1694

Mercure galant, juin 1694 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1694 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1694 [tome 6]. §

Le portrait du Roy. Par Monsieur de Verton §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 7-22.

Je ne sçaurois commencer ma Lettre d’une maniere plus agreable pour vous, qu’en vous faisant part de celle que le Pere Mourgues, Jesuite, a depuis peu écrite à Mr Guyonnet de Vertron. Je suis fort certain que la matiere sera de vôtre goust. Voicy cette Lettre.

Vous travaillez, Monsieur, au Portrait du Roy. Je vous avouë que cela me paroist effrayant. J’ay douté jusques icy que l’on pust peindre nostre Auguste Monarque, soit avec des couleurs, soit mesme avec des paroles. Les Peintres sçavent bien que tout tient du mouvement & de l’esprit dans cette heroïque physionomie ; le Pinceau n’attrape point cela. Une Plume sera plus heureuse, mais prenez garde encore ; vous ferez un Eloge au lieu d’un Portrait. Il est malaisé d’estre moderé sur les qualitez de ce Corps & de cette Ame. Il me semble que ses traits & ses vertus ne sont pas comme ce qu’on trouve dans les autres hommes. On est trop touché aussi-tost que l’on y pense, on répand sur le papier ce que l’on sent avec ce que l’on voit, & des lors ce n’est plus peindre, c’est loüer. Mais quand vous pourriez faire taire vostre cœur, je vous assure que la Posterité, (car vous travaillez pour la Posterité) vous croira toujours extasié de vostre objet. Vous ne pouvez dire les choses que comme elles sont, & il vous arrivera de paroistre flateur, quand vous n’aurez esté que naïf. Il pourra mesme arriver que vous en direz trop peu pour ce siecle, & trop pour les siecles suivans. Croyez moy, Monsieur, desormais ce sera une veritable affaire que d’avoir à parler du Roy. L’idée de ce sublime merite a pris le dessus sur toutes les expressions, que l’admiration mesme fournit ; l’Eloquence est à bout, chacun en pense plus que l’on ne luy en peut dire avec les paroles les plus pathetiques. Il y a plusieurs années que ce merite est complet. LOUIS LE GRAND fournira chaque jour de nouvelles choses, mais non de plus glorieuses, parce que sa gloire est à son comble. Ces Heros estoient bien plus commodes pour estre loüez, qui croissoient en gloire jusqu’à la fin de leurs jours, & dont la vertu avoit ses âges, ainsi que tout le reste ; leurs Portraits estoient toujours nouveaux, & toujours differens. Quoy qu’il en soit, je vous prie, Monsieur, de me communiquer ce difficile Portrait du Heros du siécle, où pour me servir de vos termes, de l’Homme Immortel, & du plus Grand des Grands, dont vous avez si bien prouvé la grandeur suprême dans cet admirable Parallele de Sa Majesté avec les Princes qui ont eu ce glorieux surnom. Je conserveray ce Portrait encore plus précieusement que ce beau Tableau, dont il vous plût de récompenser quelques Vers, que vous fîtes valoir à vôtre gré. Vôtre cœur a paru dans le premier present, vôtre esprit éclatera dans le second, car je ne vous ay parlé des difficultez que je vois à vôtre dessein, que pour vous faire connoître comment je suis préparé à admirer la maniere glorieuse, dont vous l’aurez executé. Croyez qu’on ne peut rien ajoûter à la parfaite estime avec laquelle je suis, &c.

LE PORTRAIT
DU ROY.
Par Monsieur de Vertron.

Je ne marresteray point aux qualitez du corps, qui répondent à celles de l’ame de nostre Auguste Monarque. Son air martial & heureux, son port majestueux & libre, son geste noble & modeste, sa taille riche & dégagée, toutes ces marques extérieures, qui sont les moindres de ses perfections, le feroient reconnoître pour Roy, quand on n’auroit jamais eu le bonheur de le voir ; car enfin ce n’est ny la magnificence de ses habits, ny la foule de ses Courtisans, qui le distinguent de ses Sujets. Ses manieres Royales & sa mine relevée font sa distinction & son ornement. Quoique son regard soit fier, cette fierté neanmoins est temperée d’une certaine douceur, qui permet qu’on le considere à travers les changemens qui arrivent dans les affaires. Comme il n’en arrive point dans son ame, il n’en paroist aucun sur son visage. La couleur de son teint vive & brune (marque de son humeur guerriere) est une teinture qu’il a prise dans ses Campagnes glorieuses, exposé aux ardeurs du Soleil, mais que dis-je ? Il est luy-même le Soleil de la France, & lors qu’il ne prend pas soin de cacher tous son éclat, on ne peut soûtenir le brillant de ses yeux, qui sont autant de perçans rayons.

Les Ambassadeurs des Nations les plus éloignées ont esté ébloüis de sa presence, charmez de ses bontez, comblez de ses faveurs. Tous ont avoüé que LOUIS LE GRAND avoit quelque chose de plus qu’humain ; & les hommages qu’ils ont rendus à son Auguste Majesté, leur ont donné une joye extrême, à la vûë du plus bel astre qui soit au monde. On ne doit pas s’étonner, si l’on est venu de toutes les parties de l’Univers, pour rechercher avec empressement l’amitié & la protection du plus grand Prince de la terre, puisque ses vertus luy ont justement acquis le respect & l’amour de ses Sujets, l’estime & l’admiration des Etrangers.

Ouy, sans doute, l’Empereur des François est le modelle achevé des vertus Chrestiennes, politiques, morales, & militaires. Sa Majesté peut seule en fournir des exemples à tous ceux qui aspirent au Grand & à l’Heroïque.

On voit en sa Personne sacrée une pieté sincere, une charité ardente, une équité incorruptible, une égalité parfaite, une bonté souveraine, une douceur charmante, une prudence achevée, une valeur insurmontable, une discretion entiere, une fermeté inébranlable, une moderation extrême, & une magnificence inimitable.

Pour preuve de la fidelité du Portrait de Loüis le Grand, il ne faut qu’observer sa conduite, suivre ses pas, regarder ses actions, écouter ses discours, peser ses bienfaits, examiner ses desseins, lire ses Ordonnances, & nombrer ses conquestes.

L’Europe respecte nostre incomparable Souverain, l’Asie l’honore, l’Afrique le redoute, l’Amerique le revere, tout l’Univers l’aime, le craint, l’admire. Et qui n’aimeroit l’ornement du monde ? qui ne craindroit la foudre de la guerre ? qui n’admireroit un Prince qui a receu du Ciel en partage, comme Salomon, une sagesse consommée, & un esprit universel ?

Il ne fut jamais de cœur plus magnanime, d’entendement plus éclairé, ny de volonté mieux reglée. Si ce grand Monarque est prompt à concevoir, il ne resout qu’aprés de serieuses reflexions ; il attend les occasions les plus favorables pour executer, & ménageant toutes les circonstances, il sçait balancer ses desseins au poids d’une conduite tres-exacte ; car dans sa façon d’agir on n’apperçoit ny trop de lenteur, ny trop d’empressement ; & comme il ne veut rien que de juste, il ne fait rien que de loüable. L’alliance heureuse de son jugement & de sa memoire, luy tient lieu de cette experience, que les autres n’acquierent que par une longue suite d’années. Sa raison modere la vivacité de son imagination ; enfin il est autant le maistre de ses passions que de ses Ennemis.

Jamais Prince n’a eu plus de connoissance des droits de son Royaume, plus d’application à les faire valoir, plus de fermeté à les maintenir.

Ecouter en tout temps les malheureux ; secourir en tous lieux les foibles ; relever genereusement les opprimez ; deffendre hautement l’innocence ; soûtenir puissamment la justice ; distinguer parfaitement le vray merite, le récompenser liberalement ; proteger universellement la Religion & les droits des Rois, voila les occupations de LOUIS LE GRAND. Ce sont-là ses merveilles, où pour mieux dire, ses miracles, qui l’assurent de l’immortalité, & qui luy ont fait donner le titre d’Homme Immortel.

Jugement du P. Mourgues, Jesuite, Sur le Portrait de Sa Majesté §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 23-27.

JUGEMENT
DU P. MOURGUES,
Jesuite,
Sur le Portrait de Sa Majesté.

Enfin, Peintre heureux & hardy, vous estes venu à bout de l’excellent Chef d’œuvre que je vous avois fait si difficile. Je m’imagine que vous vous sçavez bon gré d’insulter maintenant à mes défiances passées. Avec cela je ne m’en dédis point, vous aviez trop osé, & regulierement parlant, vous deviez succomber dans une telle entreprise. Il est des temeritez heureuses, & celles qui réüssissent ont toûjours un succés d’éclat, comme la vôtre. Je sçavois que vous estiez chargé de l’Histoire Latine de LOUIS LE GRAND, & j’estois bien sûr que jamais Ouvrier ne se prescriroit une si forte tâche dans l’Empire Latin : mais enfin il est naturel de representer en grand les grands objets, comme l’on fait dans une Histoire. La difficulté pour les Peintres est de réduire les grandes figures en petit sans les brouiller & sans les estropier. Il faut un bon cristal bien poly & bien façonné pour assembler en un seul point les rayons du Soleil, & il faloit un esprit de fine trempe, & d’une grande culture telle que la vôtre, pour ramasser tout l’éclat d’une vie si glorieuse dans les bornes d’un simple Portrait. Au reste, Monsieur, vous avez fait en homme adroit & habile de faire suivre ce Portrait aprés la dissertation sur le titre de l’Homme immortel. Vôtre Prose & vos Vers avoient dit les meilleures choses du monde sur ce sujet : mais la vuë du Heros décide tout. Je me represente Enée, qui sort tout à coup de la nuë tandis qu’on est en peine de luy, & qui est semblable à un Dieu par les traits du visage, & par la taille, Os humerosque Deo similis. Voila en effet, Monsieur, comme vous avez sçû peindre d’aprés Virgile : & vous voyez que le sentiment naturel qu’excita la vûë du Heros Troyen fut de le faire regarder ainsi qu’un Immortel. N’en déplaise à Virgile ; l’Immortalité est aussi bien acquise à nôtre Heros qu’au sien. J’augure mesme qu’il se fera un écoulement d’immortalité de vôtre Prototype sur vous, & que la Posterité plus raisonnable que vos scrupuleux, vous nommera sans scrupule. Le Peintre Immortel de l’Homme Immortel.

Sonnet §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 28-30.

Mr l’Abbé Saurin, l’un des Academiciens de l’Academie Royale de Nismes, Auteur des Traductions des Hymnes & des belles Inscriptions de l’Illustre Mr de Santeüil, a fait le Sonnet suivant, qui est une Priere pour le Roy.

SONNET.

Arbitre tout-puissant des Arbitres du monde,
Qui du plus grand des Rois affermis la grandeur,
Qui soûtiens par ton bras son invincible cœur,
Et le fais triompher sur la terre & sur l’onde.
***
 C’est en toy seul, Seigneur, que son espoir se fonde,
De toy seul il attend sa gloire & son bonheur.
Ce Monarque zelé combat en ta faveur,
Inspire-luy toûjours ta sagesse profonde.
***
 Il vange tes Autels ; couronne ses hauts faits.
Qu’en estat de tout vaincre il donne encor la Paix
A tous les Potentats de l’Europe allarmée.
***
 Puisqu’il est icy-bas le Protecteur des Rois,
Fais que de ses vertus la terre enfin charmée
Reçoive de sa main tes souveraines Loix.

[Devise]* §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 30-31.

Voicy une Devise faite par Mr de Hericourt de l’Academie de Soissons à la gloire de Monseigneur le Dauphin.

Le Corps est un Aigle, qui en presence d’un plus grand en combat plusieurs autres.

Elle a pour ame ces paroles.

  Patre auspice tantis Haud impar.
Eclairé des regards d’un Pere genereux
Qui domine par tout, à qui tout rend hommage,
Contre tant d’ennemis & fiers & valeureux
J’éprouve avec plaisir ma force & mon courage,
 Et je m’en sens assez pour eux.

[Madrigaux de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 48-52.

Vous sçavez, Madame, que le mois passé le Roy eut quelques legers accés de Fiévre, qui en firent craindre la suite, parce que la moindre alteration donne sujet de trembler pour une santé si précieuse. Ces accés ayant cessé presque aussi-tost, Mademoiselle de Scudery, dont les années n’affoiblissent ny le zele ny les lumieres, fit le Madrigal que vous allez lire sur la guerison de ce Monarque. Vous y trouverez une maniere de prédiction de la Bataille qui vient d’estre gagnée en Catalogne.

Quand un leger frisson troublant nostre repos,
Nous fit craindre un grand mal pour nostre grand Heros,
 Tous les Ennemis de la France,
Dans leurs Camps, dans leurs Forts comptoient sur son absence,
Et se réjoüissoient avec témerité ;
Mais, grace au juste Ciel, ils ont tous mal compté.
Tremblez, fiers Ennemis, LOUIS est en santé.
Vous refusez la Paix, & bien-tost la victoire
Va vous couvrir de honte, & le combler de gloire,
Et de ce mesme bras qui vous vainquit cent fois,
Il va reduire enfin vostre Ligue aux abois,
 Et par de nouvelles conquestes
Achever d’étouffer cette hydre à tant de testes.

Voicy d’autres Vers que la mesme Mademoiselle de Scudery a adressez à Monseigneur le Duc de Bourgogne, sur une Traduction qu’il a faite.

Quoy ! Prince merveilleux, en un âge si tendre,
Vous estes un fidelle & charmant Traducteur,
Et vous sçavez bien plus que ne sceut Alexandre,
Aprés tant de leçons de son grand Precepteur ?
Mais je prévois pour vous encore une victoire.
Vous allez surpasser le premier des Cesars,
Qui d’une mesme main écrivit son Histoire,
Vainquit ses Ennemis, & força des remparts.
Aimez, aimez toujours les Filles de Memoire ;
Imitez bien Loüis dans les guerriers hazards.
Nul n’a sceu comme luy le chemin de la gloire ;
Vous serez favory d’Apollon & de Mars.

Daphnis à la Fauvette de l’Illustre Sapho §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 52-54.

Il n’y a personne à qui le Dialogue d’Acante & de la Fauvette ne soit connu. On sçait qui est ce fameux Acante, & la Fauvette, que ses Vers ont rendu si considerable, meritoit bien ceux que Mr de Bosquillon, l’un des Academiciens de l’Academie Royale de Soissons, luy vient d’adresser sous ce titre.

DAPHNIS
a la Fauvette
De l’Illustre Sapho.

Si-tost que le Zephir commence à soupirer
Pour les jeunes attraits de la charmante Flore,
 Le zele ardent qui te devore,
Tous les ans vers Sapho prend soin de t’attirer
L’excés d’une amitié si constante, si belle,
Paroist à nostre siecle un spectacle nouveau ;
 Mais ta Maîtresse est ton modele.
Son cœur, pour ses Amis, genereux & fidelle,
Sçait porter la tendresse au delà du tombeau.

Mademoiselle de Scudery a fait répondre ainsi la Fauvette.

Réponse de la Fauvette à Daphnis §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 54-55.

RÉPONSE
De la Fauvette à Daphnis.

Ouy, ma Maistresse est mon modele ;
 Mais si je veux la contenter.
 Il faut que je chante comme elle,
Les vertus de celuy qui m’apprit à chanter ;
 Car avant le fameux Acante,
Je chantois dans son bois, mais comme une ignorante,
 Et me taisois tous les Hivers :
 Mais par ses admirables Vers
 Ma voix sera douce & charmante
 Jusqu’à la fin de l’Univers.
 Comment pourrois-je estre inconstante ?
Ne me loüez plus tant de ma fidelité,
 Je luy dois l’immortalité.

[Madrigal de Mr de Bosquillon à son Médecin]* §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 55-56.

Mr de Bosquillon ayant esté dangereusement malade il y a quelques mois, fut traité par Mr Moreau, Docteur en Medecine, qui par ses soins luy fit recouvrer sa santé. C’est le sujet de ce Madrigal, qu’il luy envoya avec quelques Ouvrages de sa façon en Prose & en Vers.

Des hommes & des Dieux je parle le langage,
Et pour toy, cher Moreau, mon cœur reconnoissant
Pretend bien mettre un jour l’un & l’autre en usage.
Je vanteray tes soins & ton zele agissant,
Ton sçavoir, ta prudence au dessus de ton âge ;
Car sous le poids des maux je tombois affoibli,
Sans toy j’allois passer dans la fatale Barque :
Mais si tu m’as sauvé des fureurs de la Parque,
Je sauveray ton nom des horreurs de l’oubli.

[Discours prononcé par Mr des Landes] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 68-82.

Je vous entretins le mois dernier de la mort de Mr l’Evesque & Comte de Treguier. Je vous envoye un discours, où il en est encore parlé. Je ne doute point que vous ne soyez d’abord persuadée en lisant le nom de l’Auteur, dont vous aimez tous les Ouvrages, que vous y trouverez beaucoup d’érudition, & plusieurs choses curieuses. Mr des Landes, Grand Archidiacre & Chanoine de Treguier, Vicaire General, s’étant disposé à prêcher dans la Cathedrale le jour de l’Ascension, on y reçût le mesme jour la nouvelle de la mort de Mr l’Evesque de Treguier, arrivée icy où il estoit venu comme Deputé des Estats de Bretagne. Voicy l’exorde dont se servit Mr des Landes, ayant pris pour Texte ces paroles du Psalmiste. Exaltare super omnes cœlos, Deus, in omnem terram gloria tua. J’ay sorty de ma solitude, dit le Prophete, j’ay voulu voir ce qui se passe dans le monde ; je me suis insinué à la Cour des Princes ; j’ay entré dans le Palais des Magistrats ; j’ay mesme voulu observer ce qui se passe dans les Armées ; mais par tout, je n’y ay remarqué que grandeur, que pompe, qu’éclat, que fierté. Transivi & ecce non erat ; j’ay passé quelque temps aprés, & j’ay vû que toute cette gloire estoit disparuë comme une vapeur. Grands du monde, vous n’estes que terre, & vous retournerez en terre. Sceptres, Couronnes, Thiares, Mîtres, Ornemens de gloire, vous estes portez par des hommes qui ne sont qu’un peu de poussiere organizée. Cesars, Empereurs, Magistrats, Generaux d’Armées, vous serez arrachez de vos Trônes, de vos Tribunaux, de vos Champs de Bataille, vous descendrez dans le tombeau, & tout vostre éclat sera dissipé comme un nuage. Il n’y a que vostre gloire, ô mon adorable Sauveur ! il n’y a que vostre triomphe qui soit éternel. Je vous l’avouë, Chrestiens. C’est un bonheur aux Orateurs orthodoxes de n’avoir que des choses agreables à dire à leurs Auditeurs. Moïse n’osant refuser l’ordre du Ciel, qui portoit d’aller reprocher à un Prince sa dureté pour le Peuple choisi, prit pour excuse qu’il n’estoit pas né éloquent, Nescio loqui. Dieu ordonna à un Prophete d’aller avertir un Prince, de ses injustices ; mais le Prophete estant dans le chemin, prit la resolution de parler à ce Souverain, par enigmes, & par paraboles. Un Ange mesme se contenta d’écrire sur une muraille l’arrest que le Ciel avoit donné contre un Prince qui avoit profané les Vases sacrez.

Je n’avois, mes Freres, à vous parler que de choses que je sçavois vous devoir estre agreables. La solemnité & la feste de Saint Yves nostre Patron, l’ouverture du Jubilé, le Mystere de l’Ascension, dont je dois vous entretenir, ne m’avoient donné que de tranquilles idées ; c’estoit pour moy une joye toute particuliere d’entendre le divin Apostre, qui insultoit la mort : O mors, ubi est victoria tua ? Mais voicy une cruelle insulte, que nous fait la mort ; elle nous enleve Mr de Carcado, Evesque & Comte de Treguier. Je juge de vostre douleur par la mienne. Et que mon sort est facheux, de me voir obligé d’annoncer à des Enfans la mort de leur Pere ! Je devrois imiter l’Apostre, qui descendit de Chaire ayant commencé son discours. Il remarqua qu’un de ses Auditeurs estoit tombé mort ; d’où S. Chrysostome a pris occasion de dire, Casus pro oratore fuit. Ha ! Chrestiens, le decés subit, & non imprévû, de nostre illustre Prelat est un éloquent & pressant discours pour nous bien persuader de l’inconstance de la vie. Il me seroit facile de vous parler des grandes qualitez de Mr de Treguier, de sa haute naissance, qui n’a rien au dessus d’elle que la Souveraineté ; de sa charité, de son zele, de son application pour tous les besoins de son Diocese ; mais, Messieurs, les vertus extraordinaires sont, dit Cassiodore, comme les Astres & les fleurs, qui n’ont pas besoin d’Orateurs. Astra & flores non indigent interprete. C’est dans le Ciel que cet illustre & grand Prelat reçoit la récompense de ses travaux. Mais, Chrestiens, je me vois interrompu, j’entens une charmante Musique ; ce sont les Anges, qui accompagnant J.C. dans son Ascension, forment un concert, & se demandent les uns aux autres par admiration, quis est iste Rex gloriæ ? Un Archange répond, Dominus virtutum, c’est le Seigneur des vertus. C’est le mesme, dit cette Intelligence, qui a esté conceu dans le sein d’une Vierge, lors que je luy dis avec soumission & respect, AVE MARIA.

Aprés que Mr des Landes eut prouvé que l’Ascension estoit un mistere de justice, d’admiration & de gloire, il crut devoir parler de l’ouverture du Jubilé, dont il expliqua la nature, les effets & les motifs. Il s’appliqua à faire voir la douleur de l’Eglise. L’Eglise demande la Paix pour vous, & pour elle-mesme. Il compara l’Eglise à cette Mere, qui voyant que son Enfant s’estoit dérobé d’auprés d’elle, & s’estoit traîné sur le bord d’un précipice, bien loin d’épouvanter cet Enfant, luy montra son sein, & luy parlant avec douceur, l’appella d’un ton d’amitié & de caresse.

L’Eglise est inconsolable, continua-t-il, Vox in Rama audita est, & ululatus, Rachel plorans filios suos, noluit consolari, quia non sunt. Qui pourroit exprimer l’image sanglante de la guerre, qui a fait perir plus de six millions de personnes ? L’Eglise pourroit se consoler, s’il n’y avoit que ses Ennemis declarez qui luy fissent la guerre ; mais elle gemit de douleur voyant que son Fils Aîné est attaqué par des Princes qui devroient le regarder avec admiration.

Le Jubilé n’est autre chose que l’application du Sang de J.C. Les Interpretes demandent d’où la Fontaine Probatique pouvoit avoir la vertu de guerir toutes les maladies. Les uns ont cru que cette vertu luy estoit donnée par un Ange, qui venoit à certains jours, & qui donnoit du mouvement à l’eau de cette miraculeuse Fontaine. D’autres ont dit qu’il y avoit des canaux sousterrains qui recevoient le sang des victimes qui estoient immolées dans le Temple, & que ce sang imprimoit cette vertu aux eaux de cette Fontaine. Ah, Chrestiens, si le sang des agneaux & des autres Victimes, qui n’estoient que la figure de J.C. si ce sang mêlé à ces eaux a pû guerir toutes sortes de maladies, le sang de J.C. qui est appliqué dans le saint temps du Jubilé, n’aura t-il pas plus de force & de vertu que le sang des Victimes ?

Il dit en finissant qu’il avoit dessein d’accorder le premier des Martirs & le Disciple bien-aimé. Le premier des Martirs dit qu’il a vû les Cieux ouverts, & J.C. debout : & Jesum stantem ; le Disciple bien-aimé dit qu’il a vû les Cieux ouverts, & J.C. comme un agneau, tanquam occisum. Tout cela est vray, Chrestiens, J.C. est dans le Ciel comme un agneau, qui soumis au Pere Eternel luy offre les merites de ses souffrances ; mais il est debout comme un Mediateur qui parle en faveur des Pecheurs. Ah, Chrestiens, ce sont nos crimes, ce sont nos injustices qui ont attiré la colere du Ciel. Nous dormons tranquillement comme Jonas dans le fond d’un Vaisseau, dans nos mauvaises habitudes, & nous ne pensons pas que nous avons émû cette horrible tempeste. Video cœlos apertos & Jesum stantem. Adorable Sauveur, je vous vois dans le Ciel élevé sur une nuë. Descendez comme autrefois pour terrasser l’Ennemy de vostre Epouse. Parlez, frapez, Seigneur, Ego sum Jesus quem tu persequeris. Terrassez cet Usurpateur qui trouble la tranquillité de tout l’Univers ; mais, adorable Jesus, en terrassant cet Usurpateur, convertissez son cœur, comme vous changeâtes celuy de Saul. Divine Mere de mon Dieu, prosterné à vos pieds, je vous demande la conservation du Roy & de toute la Maison Royale. Paroissez, Sainte Vierge, comme une aurore, pour dissiper tous ces nuages ; sortez de l’Arche comme une belle Colombe avec le rameau d’Olive, symbole de la Paix ; paroissez comme l’Arc en-ciel, cet heureux phenomene, qui est un signe de reconciliation. Donnez-nous la paix dans cette vie, pour joüir d’une paix éternelle.

[Benefices donnez par le Roy] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 85-88.

Le mesme jour de la Pentecoste, Sa Majesté, aprés avoir entendu Vespres chantées par la Musique, où officia Mr l’Archevesque de Reims, nomma Mr l’Abbé de Gesvres à l’Archevesché de Bourges. Il est Fils de Mr le Duc de Gesvres, premier Gentilhomme de la Chambre, & Gouverneur de Paris. Cet Abbé estant à Rome y a fait voir dés sa plus grande jeunesse la sagesse & la prudence qui ne se trouvent ordinairement que dans un âge plus avancé, ce qui luy fit acquérir une estime generale. Sa Majesté donna en mesme temps l’Evesché de Treguier à Mr l’Abbé de Kervillio, Avocat General du Parlement de Bretagne, tres-estimé dans son Corps, & dont la réputation d’honneste homme est si établie, qu’il n’a point eu d’autre recommandation auprés du Roy, qui ne le connoissoit que par là. Mr Coupillet, cy-devant Maistre de Musique de la Chapelle de Sa Majesté, fut pourvu ce mesme jour d’un Canonicat de l’Eglise Royale de Saint Quentin, outre une pension de deux mille livres qu’Elle luy avoit donnée il y a quelques mois, pour marquer qu’Elle estoit contente de ses services. Elle nomma aussi à l’Abbaye de Nonenque Madame de Toiras, & Madame de Pibrac à celle de Levignac. Il restoit plusieurs Abbayes à remplir, mais Sa Majesté, pour des raisons que sa prudence & sa charité luy ont inspirées, a differé juques à Noël à y nommer.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 96-121.

Les entestemens sont dangereux, & quand on s’est trop préoccupé de certaines choses, ce qui affoiblit ou détruit entierement les impressions qu’on en a prises, porte quelquefois des coups si cruels, qu’on a de la peine à y resister. Ce que je vais vous conter en est une preuve qui vous surprendra. Un Gentilhomme fort riche, & assez bien fait pour estre assuré de plaire par tout, se trouva sensible à la beauté d’une de ses plus proches Parentes, qui dans un âge brillant avoit tout l’éclat que peut avoir une tres-belle personne. Comme il faisoit sa fortune, il luy fut aisé de faire agréer sa passion. On eut beau luy dire que les mariages de cette nature avoient quelquefois des suites fort malheureuses, & qu’il trouveroit ailleurs des avantages, qui répondroient au bien qu’il avoit. Il ne songea qu’à ce qui touchoit son cœur, & fit venir la dispense necessaire. Il épousa sa belle Parente, & il n’y eut jamais rien d’égal à leur union. Le Gentilhomme souhaitoit passionnement d’avoir des Enfans. Il fut satisfait, & il s’en vit six en sept années ; mais si ce fut pour luy un sujet de joye, cette joye luy dura peu, puis qu’il n’y en eut aucun qui allast jusqu’à dix ans. Sa Femme estoit grosse lors qu’il perdit le dernier. Elle accoucha d’une Fille, & cette Fille se trouvant unique, vous pouvez juger des soins qu’on en eut. Ils furent d’autant plus grands, que rien n’approchoit de sa beauté. Le Gentilhomme ne la voyoit croistre qu’en tremblant, persuadé que quand elle seroit sortie de l’enfance, il la perdroit comme il avoit fait ses autres Enfans. Il ne laissa pas de s’y attacher aussi fortement que s’il n’eust fait aucune épreuve facheuse, & comença à tout esperer quand elle eut finy sa douziéme année. Il la faisoit voir à tous ses Amis comme un tresor précieux, qu’il plaisoit à Dieu de lui conserver, & resolu de la marier de fort bonne heure, il ne fut pas faché que sa Femme qui aimoit le monde, receust des visites de beaucoup de gens. C’estoit faire connoistre sa Fille, & luy attirer des Adorateurs. Il s’en trouva pour elle en grand nombre, & quand son miroir ne luy eust pas dit ce qu’elle valoit, les loüanges que tout le monde luy donnoit sur sa beauté, qui sembloit augmenter de jour en jour, l’auroient aisément persuadée du plaisir que l’on prenoit à la regarder. Elle en avoit un sensible à entendre ce qu’on luy disoit de tous costez, & dans cet accablement d’admiration & de loüanges, elle se remplit si bien d’elle-mesme, qu’elle croyoit qu’un de ses regards estoit un bonheur tres-grand pour celuy qui l’obtenoit. Il y avoit un peu de fierté dans ses manieres, mais comme on pardonne tout aux belles personnes, c’estoit à qui pourroit estre assez heureux pour se mettre bien dans son esprit. Tandis que quantité de jeunes Amans d’un bien & d’une naissance fort considerable, tâchoient de gagner la Mere, pour trouver quelque secours auprés de la Fille, un Marquis d’une humeur fort retirée s’adressa au Pere, & luy demanda son agrément. Tout se rencontroit en luy, le rang, l’alliance, une belle Charge, & le Gentilhomme en fut si bien ébloüy, qu’il conclut l’affaire. Sa Fille n’avoit pas encore seize ans, & n’estoit qu’au commencement de ce beau regne, où le grand brillant de la beauté assujettit tous les cœurs. La Mere, qui sur ce qui luy fut dit des manieres du Marquis, comprit que ce seroit un homme sauvage, qui ne voudroit pas que sa Femme se donnast aux plaisirs du monde, s’opposa de toute sa force à ce mariage, & la Belle qui jugea de son costé qu’estant obligée de vivre dans une maniere de retraite, elle perdroit le plaisir de s’entendre dire à tous momens, & par differentes bouches, qu’il n’y avoit rien au monde qui égalast sa beauté, prit pour le Marquis une aversion secrete, qui l’obligea de prier son Pere de la vouloir bien laisser encore quelque temps dans l’heureux estat où elle estoit. Le Gentilhomme qui avoit dessein d’en faire une Femme raisonnable, & qui voyoit que la complaisance que sa Mere avoit pour ses sentimens, ne pouvoit aboutir à autre chose qu’à en faire une coquette, luy representa avec beaucoup de tendresse les avantages qu’elle pouvoit esperer en épousant le Marquis, & sans s’étonner de la repugnance qu’elle luy marquoit, il luy dit qu’il sçavoit mieux qu’elle ce qui devoit faire son veritable bonheur. Ainsi il arresta les articles avec le Marquis, & le jour estoit déja pris pour le mariage, lors qu’il fut surpris d’une maladie aiguë qui l’emporta en six jours. La Belle, quoy que fort touchée de cette mort, en sentit beaucoup diminuer la douleur par la joye qu’elle eut de se voir maistresse de ses volontez, ne doutant point que sa Mere n’appuyast la resolution qu’elle prit de rompre avec le Marquis, à qui elle dit fort honnestement, qu’elle luy estoit tres-obligée de l’honneur qu’il luy faisoit, mais que dans l’affliction que luy causoit la perte qu’elle avoit faite, il luy estoit impossible de songer si-tost à se marier. Le Marquis ayant compris tout ce qu’on vouloit qu’il entendist, ne s’obstina point dans cette affaire. Il laissa la place à ceux qui furent moins sages, ou plus amoureux que luy, & le grand bien de la Belle, qui estoit present, donnant un plus grand éclat à sa beauté, il y eut redoublement d’assiduitez & de Pretendans. La Mere qui trouvoit son compte à se voir faire la cour, insinuoit adroitement à sa Fille, que se marier si jeune c’estoit mourir aux plaisirs ; qu’elle avoit beaucoup de belles années à donner à ce qui pouvoit la toucher le plus, sans dépendre de personne, & qu’en tout temps, estant aussi riche qu’elle estoit, elle seroit en pouvoir de faire un heureux, quand elle voudroit choisir. La Belle suivit cette politique. Elle presta l’oreille aux douceurs sans rebuter personne par la préference, & laissant également sujet d’esperer à tous, elle mena une vie toute charmante, par la diversité des hommages qu’elle recevoit de toutes parts. Cependant comme elle ne les vouloit attribuer qu’à sa beauté seule, elle prenoit des soins extraordinaires de la conserver, & ces soins alloient jusqu’à l’excés. Ainsi on pouvoit l’en nommer l’esclave. Elle ne sortoit jamais qu’à certaines heures où elle croyoit n’avoir rien à craindre du Soleil ny du serein, & si quelquefois elle se mettoit à une fenestre, c’estoit avec des précautions contre le grand air, qui tenoient un peu de la folie ; mais à quoy n’aime-t-on pas à s’assujettir pour demeurer toujours belle ? Vous vous imaginez bien dans ce grand soin les inquietudes qu’elle avoit sur la petite Verole qui a esté cette année une maladie commune. Il n’estoit permis à aucun de ses Amans de la voir qu’en attestant qu’il n’avoit dans sa Famille aucune personne qui fust attaquée de ce vilain mal, qui luy faisoit tant d’horreur, qu’à peine en pouvoit-t-elle entendre prononcer le nom. Elle demandoit des préservatifs à tout le monde, & tous ceux qu’on luy apprenoit estoient pratiquez. A force de prendre des potions, contraires peut-estre les unes aux autres, elle s’échauffa si bien, qu’elle eut quelque accés de Fiévre. D’abord les effrayantes idées de la petite Verole la saisirent malgré elle. On eut beau luy dire que c’estoit assez pour se l’attirer que de se mettre en l’esprit les terreurs paniques dont elle estoit agitée ; elle en crut avoir tous les accidens, & estant delivrée de cette Fiévre, elle resolut de se ménager encore davantage qu’elle n’avoit fait, mais ce qu’elle fit fut inutile. La petite Verole ne luy partit point de la pensée, & le moindre mal de cœur la faisant trembler, elle en eut enfin qui furent de vrais pronostics de ce qu’elle apprehendoit. On la traita d’abord sans luy vouloir dire que ce fût le mal qu’elle avoit craint, mais en y songeant sans cesse, elle devina ce que l’on tâchoit de luy cacher, & aprés qu’on luy eut dit que ce ne seroit guere plus que ce qu’on appelle Verole volante, elle pria que sans avoir égard à sa vie, on s’appliquât seulement à empêcher que son visage n’en portât des marques. Sa Mere qui l’aimoit uniquement, & qui avoit elle-même grand interest à la conservation de sa beauté, qui luy attirant une grosse Cour, ne la laissoit point manquer de plaisirs, en prit des soins extraordinaires ; mais peut-estre fit-on trop pour empêcher les marques qu’elle apprehendoit. Il luy en demeura beaucoup sur le nez, & en general il y eut quelque changement dans son visage. La pluspart de ses Amans, qui attachez par son bien, le regardoient comme une chose solide qui ne pouvoit recevoir aucun changement, se montrerent empressez à l’envy les uns des autres à venir sans cesse s’informer de l’état où elle étoit, mais ils demanderent inutilement à la voir, elle ne voulut se montrer à aucun d’eux avant que ses yeux l’eussent asseurée qu’elle auroit encore cet air brillant, dont on se hazardoit à luy répondre pour l’obliger à souffrir que l’on mit sa vie en seureté. Elle demeura assez en repos pendant six semaines ; mais quand son miroir luy eut appris qu’on l’avoit flattée, & qu’en se cherchant en elle-même, elle ne retrouva plus ce teint délicat, qui étoit le charme de tous ceux qui la voyoient, elle tomba dans un desespoir que rien ne peut égaler. Toutes les consolations qu’on chercha à luy donner, & sur le secours du temps qui luy ôteroit les rougeurs qui l’étonnoient, & sur ce qu’étant riche & de naissance, quand il ne luy resteroit ny richesse ny beauté, elle trouveroit toûjours à se marier avec beaucoup d’avantage, furent sans aucun effet. Elle dit avec une espéce de fureur qui l’emportoit malgré elle, qu’elle ne devoit songer qu’à mourir, & que si quelqu’un pouvoit se resoudre à l’épouser étant aussi laide qu’elle étoit, ce ne seroit que pour estre maître de son bien, & devenir son Tyran ensuite. Dans ces sentimens, un chagrin sombre s’empara de son esprit. Elle ne voulut se laisser voir à personne, & ne mangeant presque plus, elle donna lieu de craindre qu’un épuisement de forces ne la jettât dans une langueur dont on auroit peine à la tirer. Rêveuse, abattuë, pleine de mépris pour elle-même, elle ne pouvoit souffrir qu’on luy proposât aucun divertissement, & se sentant trop gênée par le soin continuel qu’elle avoit de se cacher, elle souhaita d’aller à la campagne, où rien ne la contraindroit. Sa Mere la mena à une Terre, où elle s’obstina à refuser toute sorte de visites. La maison étoit tres-belle, & les jardins agréables. Elle alloit de tems en tems y resver à son malheur, & disant toûjours qu’il falloit manquer de cœur pour aimer à vivre quand on étoit laide, elle s’abîmoit de plus en plus dans les cruelles réflexions qui la tourmentoient. Il étoit inutile de luy dire qu’elle se persuadoit ce qui n’estoit pas, & que malgré tout le changement qu’elle croyoit estre dans ses traits, elle avoit encore de quoy effacer la pluspart de celles qui se piquoient de beauté. Elle prenoit un miroir, & le cassant de dépit aprés s’estre regardée, elle s’abandonnoit encore plus sensiblement à son déplaisir. Un jour qu’une Demoiselle qui estoit à elle, & qui la suivoit toujours dans ses promenades de jardin, s’étoit éloignée de trente pas pour cueillir des fleurs, elle entendit tout à coup beaucoup de bruit dans un bassin d’eau, & vit sa Maîtresse qui s’y debattoit. Elle cria au secours, on accourut, & on l’en tira à demy noyée. On la porta dans sa chambre, où elle fut mise au lit avant qu’elle fust revenuë à elle. On la rechauffa, & quand on luy eut fait rendre la pluspart de l’eau qu’elle avoit beuë, elle ouvrit les yeux, & demanda ce qu’on avoit fait de son Ravisseur. Elle ajoûta qu’un fort vilain homme l’ayant poursuivie pour l’enlever, elle l’avoit évité en se jettant dans une Riviere qu’elle avoit heureusement passée à la nâge. On connut par là que son cerveau s’estoit alteré par le peu de nourriture qu’elle prenoit depuis quelque temps, & ce fut un nouveau mal auquel on tâcha d’apporter remede. On n’y a point encore réussi, puis qu’il augmente plûtost qu’il ne diminue. La crainte qu’elle a qu’on ne vienne à bout de l’enlever, fait qu’elle s’obstine à ne plus quitter son appartement, sans vouloir souffrir qu’on ouvre à personne, qu’avec des précautions qui la mettent à couvert des insultes qu’elle craint. Il y a prés de deux mois qu’elle est dans cette folie, disant toujours que puis qu’elle est assez laide pour ne devoir plus se montrer au monde, elle veut au moins se choisir une prison, sans qu’on l’enferme de force, comme on feroit si ses ennemis se pouvoient saisir de sa personne.

[Divers Sonnets sur les rimes proposées par l’Academie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 121-145.

Toulouse, Capitale de Languedoc, si fertile en beaux esprits, est surnommée avec beaucoup de justice, Palladienne, parce que de tout temps les Sciences & les beaux Arts y ont fleury, & qu’ils y fleurissent plus que jamais, par la noble émulation qu’il y a entre les Poëtes, & les Orateurs, qui s’excitent entre eux, & qui excitent les autres à travailler pour la gloire du Roy, en proposant des Prix pour ceux qui excelleront, soit en Prose, soit en Vers. Je vous ay souvent parlé de la Compagnie ancienne des Jeux Floraux, instituée par Dame Clemence, du Testament de laquelle les Capitoux sont executeurs. Vous sçavez qu’il y a sept Mainteneurs, qui sont des personnes de merite & de distinction ; un Chancelier perpetuel, qui est aujourd’huy Mr de Manisban, President à Mortier de ce Parlement, où en qualité d’Avocat General, il a long-temps fait admirer ses rares talens, sa vive éloquence, & ses grandes qualitez. Cet illustre Magistrat est le cinquiéme des Presidens à Mortier qui ont eu celle de Chancelier dans ces Jeux, si propres à animer la Jeunesse. Vous n’ignorez pas non plus que ceux qui remportent les trois Fleurs pour des Chants Royaux, ont l’honneur d’y estre receus Maistres. On les appelle tous communement Floristes. Il y a encore en la mesme Ville deux autres Compagnies de gens de Lettres. Les uns s’assemblent chez Mr de Carrieres, au nombre de douze, dont Mr Martel est le digne Secretaire. On leur donne le nom d’Oranistes, & leur principale occupation est l’Eloquence. Mr de Rocoles s’y est distingué par plusieurs beaux Discours qu’il y a prononcez en public. Mr Tournier, autrefois Missionnaire Royal, & Conseiller en cet auguste Parlement, & Mr Compain, Chanoine de l’Eglise de Saint Estienne, qui a souvent balancé les suffrages de Mrs de l’Academie Françoise, en composant pour les Prix d’Eloquence, y ont fait éclater la leur par des pieces achevées. Il reste à vous dire un mot de dix autres personnes choisies, qui s’assemblent de temps en temps pour la belle Poësie Françoise, chez Mr Lucas, Conseiller Clerc en ce Parlement. Je vous ay déja mandé qu’à l’imitation des Academiciens d’Italie ils ont pris le nom de Lanternistes, & qu’ils avoient proposé une Medaille d’argent pour celuy qui rempliroit le mieux leurs Bouts rimez. Mr d’Haumont, dont je vous envoyay le Sonnet le dernier mois, a eu l’honneur de le lire à Sa Majesté, & celuy qui a paru en mesme temps sous le nom du Chevalier de l’Etoile, a réveillé les Muses. On doute qu’elles en fassent de meilleurs. Cependant vous jugerez des nouveaux que je vous envoye. Ils ont esté faits sur les mesmes rimes, pour le mesme Prix, & sur le mesme sujet. Mr l’Abbé Saurin, Academicien de l’Academie Royale de Nismes, a fait le premier, & Mr Gillet le Fils, Avocat au Parlement de Dijon, a fait le second.

I.
LA FRANCE
AUX ALLIEZ.

Fiers ennemis d’un Roy digne de plus d’un Buste,
Qui malgré les frimats, les neiges, les glaçons
Fait dans le champ de Mars de si belles moissons
D’une main en tout temps également robuste.
***
Voulez-vous triompher de ce Vainqueur Auguste ?
Avec docilité recevez mes leçons ;
Gardez-vous de traiter mes avis de chansons,
Ce que je vais vous dire est aussi vray que juste.
***
Implorez sa clemence, & venez sans orgueïl
Briguer prés de ce Prince un favorable accueïl :
Au torrent qui vous perd vous mettrez une digue.
***
La douceur & la Paix sont les plus sûrs ressorts
Pour vous ouvrir un cœur de ses bien-faits prodigue
Et vous unir à luy par d’aimables accords.

PRIERE POUR LE ROY.

Veille, ô Dieu tout-puissant, pour le salut d’un Roy
Aimé pour ses vertus, & craint pour son courage,
Et qui te fait un humble hommage
Des Victoires qu’il tient de toy.

II.
A LA GLOIRE
DU ROY.

Elevons des Autels, & consacrons un Buste
A l’Hercule François qui malgré les glaçons
Fait de ses ennemis de sanglantes moissons,
Et se montre en tous lieux & vaillant & robuste.
***
Pour loüer les exploits de ce Heros Auguste
Qui seul au monde entier peut donner des leçons,
Redoublons pour LOUIS nos vœux & nos chansons ;
Il est sage, prudent, il est pieux, & juste.
***
De la Ligue insolente il renverse l’orgueïl,
Il ne sçait ce que c’est qu’au vice faire accueïl,
Contre ses envieux la prudence est sa digue.
***
Il détruit leurs desseins par de secrets ressorts.
En ce grand Prince enfin la nature prodigue
Joint toutes les vertus par de charmans accords.

PRIERE.

Seigneur, le Grand Louis dont ta main a fait choix
Sert aux Rois ici-bas d’exemple & de modele.
En conservant ses jours, conserve luy son zele,
Pour deffendre ta cause, & nous donner des loix.

III.

L’Aigle pâlit d’effroy, mesme en voyant le Buste
D’un Roy qui la poursuit au milieu des glaçons
Avec la même ardeur qu’il foule ses moissons,
Dans les travaux de Mars Hercule est moins robuste,
***
Quel Prince a mieux rempli la qualité d'Auguste ?
On vient du bout du monde écouter ses leçons.
Les Muses à l’envy composent des chansons
Pour vanter un Monarque & si grand & si juste.
***
De cent Princes liguez, LOUIS dompte l'orgueïl,
Tout plaist en ce Heros, l’air, la taille, l'accueïl,
En vain à sa valeur on oppose une digue.
***
Il triomphe en tous lieux par differens ressorts.
De ses dons en naissant le Ciel luy fut prodigue,
Luy seul de l’Heresie a détruit les accords.

PRIERE.

 Ciel, conduisez les redoutables coups
  Du plus grand Prince de la Terre.
Pour soûtenir vos droits il entreprend la guerre,
En combatant pour luy, vous combatrez pour vous.

Ce troisiéme Sonnet est de Mademoiselle de Chance, & un Galant Auteur qui ne veut pas encore estre nommé, a fait les trois que vous allez lire, & le dernier a esté fait par un autre Inconnu.

IV.

Quelle marque d’honneur, quel monument, quel Buste,
Pour un Roy qui bravant les chaleurs, les glaçons,
A fait aux champs de Mars de lauriers cent moissons,
Plus qu’un simple Soldat fatiguant & robuste ?
***
Sous son Regne plus beau, que le regne d'Auguste,
Les exploits des Cesars sont de foibles leçons,
Les vertus des Heros sont de vieilles chansons,
Il est plus sage qu’eux, plus vaillant, & plus juste.
***
De ses fiers ennemis il sçait dompter l'orgueïl.
A ceux qu’il a vaincus il fait un doux accueïl,
Contre une si grande ame il n’est rempart, ny digue.
***
Et quand le Ciel prit soin d’en former les ressorts
Il y voulut verser, en se montrant prodigue,
De toutes les vertus les celestes accords.

PRIERE.

De ta grace, Seigneur, accorde nous des marques
Qui distinguent le Roy des autres Potentats.
Que ta droite attentive au bien de ses Etats
Se declare en faveur du plus grand des Monarques.

V.

Pour honorer LOUIS ce seroit peu qu’un Buste,
Si les Peuples du Nord exposez aux glaçons
Ne quittoient pour le voir leur terre & leurs moissons,
Le More, l’Indien, & le Scythe robuste.
***
L’éclat majestueux de sa presence auguste
Des plus hautes vertus inspire les leçons.
Les Muses pour luy seul épuisent leurs chansons,
Et tout l’encens du monde est un tribut tres juste.
***
L’Africain, le Genois abaissent leur orgueil,
Pour calmer sa colere, & briguer son accueil ;
Personne à ce torrent n’ose opposer de digue.
***
De la Ligue en fureur il brise les ressorts,
En Pere de son peuple & de ses soins prodigue
De ses vastes Etats il regle les accords.

PRIERE.

 Que ta bonté, Seigneur, desarme ta justice,
Et quand nostre Monarque au pied de tes Autels,
Pour son peuple & pour luy fait des vœux solemnels,
Que le Ciel applaudisse à ce grand sacrifice.

VI.

Aux Autels, ex voto, posons du Roy le Buste,
Et tant que les hivers produiront les glaçons,
Et que l’Astre du jour jaunira les moissons,
Demandons pour ce Prince une santé robuste.
***
Fuyez, lâches Mortels, loin de son Trône auguste,
Vous du crime & du mal qui donnez des leçons.
Ses armes ny ses loix ne sont pas des chansons,
Dans la Paix, dans la guerre il est severe & juste.
***
Il sçait punir sans fiel, & vaincre sans orgueil,
Il fait teste au superbe, à l’humble il fait accueil,
Sa valeur dans son cours ne trouve point de digue.
***
Son air charme les cœurs par de secrets ressorts.
Heureux pour le loüer à qui Phœbus prodigue
Ses aimables fureurs, & ses divins accords !

PRIERE.

Seigneur, fais que le Roy triomphe de l’Envie,
Et que depuis son sacre on compte un siecle entier,
Sans que le sort jaloux ose assez s’oublier,
Pour troubler le repos d’une si belle vie.

VII.

L’Histoire de Loüis est un excellent Buste,
On y voit ce Heros au milieu des glaçons
Se couvrir de lauriers comme au temps des moissons ;
Son esprit vaste & ferme anime un corps robuste.
***
Dans son air, dans ses mœurs on reconnoist Auguste ;
Au plus fin Politique il feroit des leçons.
Muses, consacrez-luy vos Vers & vos chansons,
Dites qu’il est par tout grand, invincible, juste.
***
Humain sans s’abaisser, & Maistre sans orgueil,
Honorant la vertu d’un veritable accueil,
La paix de ses Exploits sera l’heureuse digue,
***
Pour elle il fait agir les plus puissans ressorts,
Pour mieux la ménager il semble estre prodigue.
Ciel, répons à ses vœux par tes divins accords.

PRIERE.

Avec tes Ennemis qui haïssent la paix,
 Tu vois, Seigneur, que je suis pacifique,
 En leur parlant, avant que je m’explique,
Contre moy sans raison ils ont lancé leurs traits.

Le Pere Raphaël, Augustin Déchaussé d’Aix, a fait ce dernier Sonnet.

VIII.

De l’Hercule vivant on voit icy le Buste,
De Loüis, qui triomphe au milieu des glaçons,
Qui n’attend pas toujours la saison des moissons,
Pour faire aux plus vaillans sentir son bras robuste.
***
Son air est fier & doux, haut, martial, auguste,
A cent peuples liguez il donne des leçons,
Et s’ils n’estoient payez par Guillaume en chansons,
Ils verroient que luy seul dans ses desseins est juste.
***
Les plus fameux exploits ne l’enflent point d'orgueil,
Au Prince détrôné seul il fait bon accueil,
Luy-mesme à son Royaume il sert de forte digue.
***
En vain la Ligue fait joüer tous ses ressorts,
Tous ses tresors en vain l’Angleterre prodigue ;
On doit mieux ménager, ou craindre ses accords.

PRIERE.

Seigneur, qui tiens en main le cœur de tous les Rois,
Qui connois le cœur droit du Monarque de France,
Protege ce grand Roy, qui seul prend ta défense,
Contre les transgresseurs de tes plus saintes loix ;
Il y va de ta gloire & de ta providence.

[Ceremonie faite à la Cour de Pologne] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 151-164.

Le 13. Avril dernier, le Roy de Pologne fit à Holkieu la ceremonie de donner l’Ordre du S. Esprit à Mr le Marquis d’Arquien. Le jour precedent, ce Prince en sortant de la Messe le fit Chevalier de S. Michel dans la chambre de la Reine. Mr d’Arquien se mit à genoux, & le Roy debout & couvert tira son Sabre, & luy en donnant deux coups sur l’une & sur l’autre épaule, il dit, En vertu du pouvoir que le Roy de France m’a donné, de par Saint Michel & Saint Georges, je vous fais Chevalier. Ensuite Sa Majesté Polonoise l’embrassa deux fois, & l’aida à se relever. Cela se fit en particulier, & en habit ordinaire. Le lendemain on alla à la Paroisse d’Holkieu, & le Roy pour rendre cette action plus éclatante, voulut en faire le chemin à pied. [...] A neuf heures & demie, le Maistre des Ceremonies, suivi du Heraut & de l’Huissier, alla prendre Mr le Marquis d’Arquien, qui estoit en habit de Novice, & le conduisit à l’appartement du Roy, qui l’attendoit revestu du grand manteau & du grand Collier de l’Ordre, & les reverences estant faites, on défila de cette maniere. L’Huissier précedé de quantité de Tambours, de Trompettes, de Hautbois, & de Clairons à l’Allemande, à la Turque, à la Polonoise, & à la Hongroise, marchoit le premier, suivi du Heraut, à quatre pas du Prevost Maistre des Ceremonies, du grand Tresorier, & du Secretaire, tous trois de front, le premier au milieu, le grand Tresorier à sa droite, & le Secretaire à sa gauche ; ensuite le Chancelier seul ; Mr le Marquis d’Arquien seul aussi, & le Roy, dont Mr de Marigny, Frere de la Reine, portoit le Manteau. Les Senateurs & autres Grands du Royaume, suivoient chacun en son rang. On arriva à l’Eglise. Le Service commença par un Sermon Polonois, que fit le Pere Balouski, Jesuite, sur la Ceremonie qui se preparoit. La Prédication estant achevée, le Prestre vint à l’Autel où il entonna le Veni Creator, qui par l’ordre de la Reine ne fut chanté qu’en plain Chant, aprés quoy on commença une Messe basse, pendant laquelle la Musique Françoise chanta des Motets. La Messe finie, les reverences furent faites suivant l’instruction venuë de la Cour de France, que Mr Faitout, Secretaire de Mr d’Arquien, tenoit à la main, & la Ceremonie s’acheva à l’ordinaire. On sortit de l’Eglise dans le mesme ordre qu’on y estoit venu, & on ramena le Roy dans son appartement. Ce Prince ayant quitté ses habits de l’Ordre, on passa dans l’antichambre de la Reine, où l’on trouva une grande table en quarté long, couverte des mets les plus exquis. [...] Le jour suivant, Mr le Marquis d’Arquien regala magnifiquement toute la Cour.

Ode §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 164-171.

L’Ode qui suit est de Mr de Senecé. Ses Ouvrages sont si generalement estimez, que je croiray toujours vous faire plaisir en vous envoyant tous ceux qui me tomberont entre les mains.

A Mr LE MARQUIS
DE LA VRILLIERE.
ODE.

Au Palais de la Fortune
L’honneur & la probité,
Malgré la plainte commune,
De tout temps ont habité.
Parmy le vulgaire inique,
Plus d’un grand cœur y pratique
Les sentiers les moins battus,
Et grace aux destins propices,
La Cour, comme de grands vices,
Nourrit de grandes vertus.
 Jamais la Magistrature
Echauffant l’ambition,
Ne fit sortir de mesure
Aristide & Phocion.
Ciceron de gloire avide,
Naturellement timide,
Fut Consul ferme & hardy.
Et toy, Caton, l’on atteste
Que tu fus toujours modeste,
Quoy que toujours applaudi.
***
 L’ame la plus élevée
Que gêne un sort limité,
De tout mouvement privée
Languit dans l’obscurité.
Ce Dieu, qui dans sa carriere
Des spheres de la lumiere
Regloit les celestes sons,
Devenu Berger d’Admete
Fut reduit au Mont Hymete
A de rustiques chansons.
 Quel spectacle davantage
Plaist à la Divinité,
Que de voir lutter le Sage
Contre la prosperité ?
Pour combattre la disgrace
L’ame aisément se ramasse,
Et triomphe avec honneur ;
Mais l’effort de sa puissance,
C’est de garder l’innocence
Dans le comble du bonheur.

IV.

 O race en Heros feconde,
Noble sang des Phelypeaux.
Qui sans t’épuiser, au monde
Fournis des sages nouveaux,
Quel Phebus, quelle Uranie
Elevera mon genie
Pour te chanter dignement,
Nom brillant, Nom plein de gloire,
Nom de qui mesme l’histoire
N’est qu’un foible monument ?
 Venerable la Vrillere,
Toy, dont la posterité
Dans le sein de la lumiere
Accroist la felicité ;
Que Chateauneuf est fidelle
A conserver pour modelle
Tes exemples solemnels,
Qui dans un poste sublime
Ne s’enrichit que d’estime,
Content des biens paternels !
***
 Chez luy, manieres honnestes,
Libre accés, humanité,
D’un siecle émeu de tempestes
Temperent la dureté.
Dans la carriere glissante
Où la faveur chancelante
Marche d’un pas égaré,
Maistre de ses destinées,
Il a couru trente années
D’un pas ferme & mesuré.
 Heritier de leur merite
Soûtenez, jeune Marquis,
Le grand poids où vous invite
Tant d’honneur qu’ils ont acquis.
Non ; vous ne pouvez sans honte
Manquer de rendre bon compte
De l’éclat de vos Ayeux,
Dont la maxime severe
Defend la vertu vulgaire
Aux enfans des Demi-dieux.
***
 Mais quel soucy t’inquiete
Et te trouble sans raison ?
Supprime, Muse indiscrette,
Tes avis hors de saison.
Plein de l’esprit de ses Peres,
Ses talens héréditaires
N’attendent pas ton conseil,
Et pour prouver sa naissance
Cet Aigle dés son enfance
A regardé le Soleil.
 J’ay veu chez l’Auguste Reine
Que je pleure à tous momens,
La Cour suffire avec peine
A loüer ses begaimens.
Comme au jardin d’Hesperie,
La plante à peine fleurie
Nous offre un précieux fruit :
Comme le fils du Tonnerre,
Il naist & frappe la terre
Et de lumiere & de bruit.
***
 Poursuivez avec constance,
Marquis, meritez le choix,
Meritez la confiance
Du plus éclairé des Rois.
Foulez la fameuse trace
Que bat vostre illustre race,
Meditez ces grands objets ;
Et comme eux piquez-vous d’estre
Toûjours zélé pour le Maistre,
Toujours bon pour les Sujets.
 Mais lors qu’en son Apogée
Brillera vostre credit,
Ne laissez pas negligée
La Muse qui l’a prédit.
Sans elle, il faut qu’on perisse ;
Sans elle, prudent Ulisse,
Tu ne vivrois pas encor,
Et Léthé, cette eau profonde,
Eust englouti dans son onde
L’éloquence de Nestor.

[Bons mots des Orientaux] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 218-219.

Je suis ravi que vos Amis soient aussi contens du Livre que vend le Sieur Brunet, contenant les paroles remarquables, les bons mots, & les maximes des Orientaux, que je l’avois esperé. Comme c’est une Traduction des Ouvrages qu’ils ont faits en Arabe, en Persan, & en Turc, accompagnée de Remarques, il est impossible de trouver dans un seul Livre plus d’érudition, & plus de choses, dont toutes sortes de gens peuvent tire de l’utilité. Aussi tous ceux qui le lisent icy, demeurent d’accord qu’on n’en a point imprimé depuis longtemps qui ait une si grande varieté, & qui divertisse davantage. Le mesme Libraire debite un Livre intitulé, l’Etat present de l’Armenie, tant pour le temporel que pour le spirituel, avec une description du Pays & des mœurs de ceux qui l’habitent.

[Détail de tout ce qui s’est passé à la Bataille gagnée par Mr de Noailles, avec diverses Relations touchant cette Bataille] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 227, 255-259.

Je viens à la Bataille gagnée par Mr le Maréchal Duc de Noailles, & vais vous en donner un détail beaucoup plus ample que tout ce qui a paru jusques à present ; mais avant que d’y entrer, je crois qu’il est à propos de vous dire un mot de la Catalogne. [...] [Le Roi reçoit une lettre de Mr de Noailles qui l’informe de l’avancée de ses troupes]

Cette Lettre fut apportée au Roy par Mr le Marquis de Noailles. Sa Majesté la reçût avec beaucoup de joye, mais avec la moderation qui luy est naturelle, & ses premiers soins estant toûjours de faire rendre des Actions de graces à Dieu, Elle écrivit la Lettre suivante à Mr l’Archevesque de Paris.

MON Cousin. A peine la Campagne est-elle commencée, que je reçois la nouvelle d’une Bataille gagnée par mes Troupes en Catalogne le vinpt septiéme du mois dernier, sous le commandement de mon Cousin le Mareschal Duc de Noailles. Il forma le dessein le jour precedent d’attaquer l’Armée Espagnole, retranchée de l’autre costé du Ter ; toute mon Armée passa la Riviere à la vüe & sous le feu des Ennemis. Il furent forcez dans leurs retranchemens, mis en deroute, poursuivis pendant quatre lieuës, & mon Armée ne s’arresta que quand des defilez impraticables les luy eurent derobez. Leur perte est au moins de cinq ou six mille hommes tuez, ou faits prisonniers. Ils ont abandonné leurs Equipages, leurs Munitions ont esté enlevées, jamais Victoire n’a esté plus complete. J’ay lieu de croire, qu’un si heureux commencement m’annonce des suites encore plus heureuses, non seulement dans la Catalogne, mais dans les autres lieux où je suis obligé de porter mes Armes ; & que l’Espagne insensible aux coups qu’on luy porte dans des lieux trop éloignez, ne le sera pas à ceux qu’elle reçoit si prés du coeur des ses Estats. Des marques si visibles de la protection singuliere que Dieu donne à la justice de mes Armes, m’obligent de luy en rendre graces, & de luy en demander la continuation. C'est pourquoy je vous écrit cette Lettre pour vous dire que mon intention est, que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le Grand Maistre, ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part ; & je donne ordre à mes Cours d’y assister en la maniere accoustumée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le 7. Juin 1694. Signé, LOUIS, & plus bas, Phelypeaux.

[Siege de la Forteresse] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 315-318.

Le Roy voulant faire chanter le Te Deum en action de grace de la prise de la Ville & du Chasteau de Palamos, écrivit la Lettre suivante à Mr l’Archevesque de Paris.

MON Cousin. Je ne doute pas que mes Ennemis eux-mesmes ne se soient attendus à voir la derniere Victoire que je viens de remporter en Catalogne, suivie de prés par la prise de Palamos & qu’après la prise de Palamos ils ne s’attendent encore à des pertes plus considerables & plus sensibles. Ce sont aussi les esperances que cette Conqueste me donne qui en font le plus grand prix, quoy que d’ailleurs elle soit accompagnée de circonstances assez glorieuses. La Ville a esté prise d’assaut, quoy que défenduë par plus de trois mille hommes. Plus de six cens y ont esté tuez & autant faits prisonniers. Le reste s’étant retiré dans le Chasteau, y a esté pressé si vivement, qu’aprés avoir inutilement demandé à capituler, le Gouverneur & quatorze cens hommes qui luy restoient se sont rendus Prisonniers de Guerre. Le bonheur de mes Armes ne se dement point, & une si longue prosperité seroit étonnante, si elle n’estoit dûe à la justice de la cause que je soutiens. C’est pour en rendre graces à celuy qui s’y interesse par des marques si visibles de sa continuelle protection, que je vous fais cette Lettre, pour vous dire que mon intention est, que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris, le vingt-troisième de ce mois, à l’heure que le Grand Maistre ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part, vous avertissant que je donne ordre à mes Cours d’y assister en la maniere accoustumée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le vingt-deuxiéme Juin mil six cens quatre-vingt-quatorze. Signé LOUIS & plus bas Phelypeaux.

[Journal de ce qu’a fait Monseigneur en Flandre] §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 338-341.

Voicy un Journal fort curieux de la marche de Monseigneur le Dauphin en Flandre. Ce Prince partit de Versailles en poste le 31. May, & vint coucher à Guise. Le lendemain il dîna à Avênes, où Mr Voisin, Intendant de Mons, luy donna un grand repas, parce que ses Officiers n’y estoient pas. Le soir il vint coucher à Maubeuge, où estoit le rendez-vous. Il y trouva les Officiers Generaux, & l’Armée qui avoit esté assemblée auparavant par Mr Rosen, estoit cantonnée dans tout les Pays des environs, où elle vivoit doucement, mangeant des herbes sans toucher aux bleds. Monseigneur fut receu à Maubeuge par Mr de Ximenes, qui en est Gouverneur, au bruit du Canon, dont l’on fit trois décharges. En suite ce Gouverneur presenta à Monseigneur l’Abbesse & les Chanoinesses de Maubeuge, dont le Chapitre est si considerable. Elles vinrent luy rendre leurs respects, & Monseigneur leur fit l’honneur de les saluër toutes. Pendans que les Troupes estoient dans leurs cantons, Monseigneur en fit faire la reveuë par les Commissaires, & comme on luy rapporta que la Cavalerie se raccommodoit fort, il resolut de laisser les Troupes dans leurs quartiers.

Le 5. Juin un Courier du Cabinet luy ayant apporté la nouvelle du gain de la Bataille de Catalogne, Monseigneur fit aussitost chanter le Te Deum, dans l’Eglise des Chanoinesses de Maubeuge, & le soir on en fit la réjoüissance, non seulement dans la Ville de Maubeuge, mais dans tous les lieux où estoient les Troupes. Le jour de la Feste de Dieu, Monseigneur fit ses devotions, communia dans l’Eglise des Jesuites de Maubeuge par les mains de Mr l’Abbé de Tonnerre, & ensuite alla à la Procession du S. Sacrement, qui se fit dans l’Eglise des Chanoinesses, à cause du mauvais temps. Il estoit accompagné des Prince du Sang qui sont auprés de luy, & des Officiers Generaux.

Pendant tout le temps que Monseigneur est demeuré à Maubeuge, sa Cour a esté fort grosse, tous les Officiers venant de leurs quartiers chacun à son tour. Il parloit à tous pour sçavoir l’état de leurs troupes & mesloit toujours à ce qu’il leur disoit pour le service, beaucoup de marques de bonté, disant à chacun avec distinction ce qui luy convenoit.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1694 [tome 6], p. 359-360.

On m'a assuré que la Chanson nouvelle que je vous envoye, est d'un fort habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 359.
Absence, qui m'avez cent fois
Flaté du doux espoir de bannir ma tendresse,
Je n'écoute plus vostre voix,
Vous me trompez sans cesse.
Vous feignez quelquefois de répondre à mes vœux :
Mais un moment après vous augmentez mes feux,
Je ne puis oublier mon aimable inhumaine.
Helas ! loin de ses yeux,
Mes ennuis, & ma peine,
Ainsi que mon amour,
S'augmentent chaque jour.
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