1694

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1694 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 7-10.

N’attendez, Madame, aucun Eloge du Roy au commencement de cette Lettre. Quoy que chacune de ses actions fournisse une ample matiere à de glorieuses reflexions, on peut quelquefois se dispenser de les faire, & j’entre aujourd’huy dans les sentimens de Mr l’Abbé Jacquelot, qui dans les Vers que vous allez lire, nous donne l’exemple de ne songer qu’à faire des vœux pour la conservation de cet Auguste Monarque.

SONNET.

Grand Roy, je suis chagrin des recits ennuyeux,
Où sont mal peints les traits de ta fameuse Histoire.
Que peuvent tant d’Auteurs ajoûter à ta gloire ?
De l’Univers entier elle ébloüit les yeux.
***
Tes Vertus, & ton regne en tout si glorieux,
Du plus long avenir perceront l’ombre noire :
Qui veut par ses Ecrits assurer ta memoire,
Marque un aveugle orgueil, un zele injurieux.
***
Cent miracles divers, dont fleurit ton Empire,
Sans l’aide du Parnasse, & l’appuy du Porphire,
Sçavent rendre immortel le grand nom de LOUIS.
***
Ainsi, Monarque heureux, qui surmonte l’envie,
Je ne fais point de Vers pour tes faits inouïs,
Mais je fais mille vœux pour ton illustre vie.

[Idylle de Mr de Senecé] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 73-87.

L’Idille qui suit est de Mr de Senecé. Je n’ay rien à vous en dire aprés la satisfaction que vous m’avez témoignée de tous les Ouvrages que vous avez vûs de luy.

IDILLE.

 Ergaste, ce Berger discret,
Dont le bon sens fait croire à tout nostre Village,
Qu’au fond de quelque antre sauvage
Pan se donne le soin de l’instruire en secret,
 M’estant venu rendre visite ;
Acante, me dit-il d’un air d’autorité,
 Que donne aux hommes le merite,
 Si tost qu’il n’est point contesté.
 J’admire ta tranquillité ;
Je te vois tout ensemble indolent & malade,
Sur ton teint, dans tes yeux, j’apperçois le poison.
De courir au remede il est plus que saison,
Le mal presse, faisons un tour de promenade,
Peut-estre y pourras-tu trouver ta guerison.
***
Le rigoureux Décembre alors tout en furie
Faisoit d’hostilité cent actes declarez,
Et les fiers Aquilons avec luy conjurez,
Avoient ravi l’honneur de la triste Prairie.
 Cybele contre eux aguerrie,
Pour parer seurement leurs coups desesperez,
Couvroit d’un manteau blanc ses atours bigarrez.
Les moutons dans un tas étroitement serrez
Ne quittoient plus la bergerie.
Les ruisseaux mis aux fers jusqu’en leur lit natal,
 Au lieu de leur murmure tendre,
Par un bruit enroüé grondant leur sort fatal,
 A peine se faisoient entendre
 Au travers d’un mur de cristal.
Quel temps pour promener ! suivant les mœurs antiques,
 Dont l’usage est encor frequent,
J’aurois bien mieux aimé d’un vin doux & piquant
 Arroser mes Dieux Domestiques.
 Je le suivis toutefois empressé
 D’apprendre ce qu’il vouloit faire.
Par un sentier nouveau dans la neige tracé,
D’abord il me conduit dans un bois solitaire,
Dont le barbare hiver de frimats hérissé,
 Augmentoit l’horreur ordinaire.
Les arbres enfermez dans un émail bruyant,
 Et dépoüillez de leur feüille honorée,
Par le choc mutuel de leur sommet pliant,
 Accompagnoient d’un fracas effrayant,
Les siflemens aigus du menaçant Borée.
A ce triste concert les fidelles échos
 Unissant leur voix assortie,
 Faisoient couler au fond des os
 Toutes les glaces de Scythie ;
Et le croassement des funestes Corbeaux
Y tenoit assez bien sa lugubre partie.
Dans l’endroit le plus sombre & le moins frequenté,
Ergaste prosterné sur la neige endurcie.
 Fit retentir la montagne transie
 De ce discours prémédité.
***
 Terre aimable, terre feconde,
 Ouvre ton sein pour nous donner des fleurs.
Déja pour les orner d’éclatantes couleurs,
 L’Aurore sort du sein de l’onde,
Et t’offre en soûriant le secours de ses pleurs.
 Terre aimable, terre feconde,
Ouvre ton sein pour nous donner des fleurs.
***
L’agreable Zephir par sa vertu secrete
Remplit ton vaste corps de germes amoureux.
 Accorde à l’ardeur de mes vœux
 Le Narcisse & la Violette,
Il n’est plus d’ennemi, dont la rage inquiete
 Fatigue ce sejour heureux.
La saison rigoureuse attaque un autre monde,
Et le Tyran du Nort, à l’Ourse vagabonde,
 Court annoncer de nouvelles douleurs.
 Terre aimable, terre feconde,
 Ouvre ton sein pour nous donner des fleurs.
***
Le Ciel qui t’a promis une ardeur éternelle,
 Paroissoit un peu ralenti,
Mais le Soleil t’annonce enfin qu’il t’est fidelle,
 Qu’il ne s’est jamais démenti.
Cet Astre lumineux d’une grace immortelle,
 Te fait son message galant ;
 Le Diadême étincelant
 Qui couronne sa tresse blonde,
Excite dans les airs de piquantes chaleurs.
 Terre aimable, terre feconde,
 Ouvre ton sein, pour nous donner des fleurs.
***
 Je sens d’une celeste flame
Descendre jusqu’à moy les invisibles dons ;
 Pour chanter ton Epithalame,
J’entens le Rossignol redoubler ses fredons.
Mon espoir le plus doux sur tes bontez se fonde,
 Déesse, exauce mes clameurs.
Ainsi jamais sur toy le tonnerre ne gronde,
 Ainsi toujours la mer profonde,
 Pour te nourrir fournisse des vapeurs.
 Terre aimable, terre feconde,
Ouvre ton sein pour nous donner des fleurs.
***
 A ce debut, je le confesse,
J’appliquay la maxime apprise en ma jeunesse
 Chez un Critique des plus fins,
Que parmy les mortels la suprême Sagesse
De l’insigne folie occupe les confins.
Je crus que ce beau feu dont le Ciel nous honore,
 Dans Ergaste estoit endormy,
 Et qu’une prise d’Ellebore
 Sieroit fort bien à mon Ami.
Déja par un sousris j’expliquois ma pensée,
Quand le Berger, d’un air au dessus de l’humain,
 Se relevant de la neige enfoncée,
Acanthe, reprit-il, me saisissant la main,
 Je comprens ton muet langage.
Les fleurs que je demande avec empressement,
Au plus fort de l’hiver, à ce terrain sauvage,
 Te font croire avec fondement
Que j’ay de la raison perdu le noble usage.
Quel jugement veux-tu que l’on fasse de toy ?
De toy, qu’à contre-temps, dans le declin de l’âge,
 On voit à l’amoureuse loy
Soumettre lâchement ton indigne courage ?
 Tu ris de ma témerité,
 Quand j’apostrophe la nature
 Pendant la saison la plus dure,
 Comme si j’estois en Esté ?
Il est vray que je ments, j’approuve ta censure.
 Et toy, dis-tu la verité,
 En promettant à ta Maistresse
Les plus charmans plaisirs de l’aimable jeunesse,
 Quand la jeunesse t’a quitté ?
 L’onde sous la glace captive,
 En dépit des tendres Zephirs,
D’œillets & de jasmins émaillera sa rive,
Plutost qu’on ne verra tes impuissans desirs
Rappeller Venus fugitive.
Moins insensé que toy dans les vœux que je fais,
Je puis de ma priere au Printemps exaucée
 Voir les favorables effets,
Il fleurit à coup sûr quand la neige est cessée :
Mais de nos jeunes ans quand la fleur est passée,
 Acanthe, elle l’est pour jamais.
 Va, sois plus sensé desormais ;
 Aux esperances qui t’abusent
Dérobe de tes jours les restes languissans,
Et ne prodigue plus ton inutile encens
 Pour les Graces qui les refusent,
***
 Ce dernier mot à peine est prononcé
 Que le sage Berger me laisse,
Et dans le fort du bois brusquement enfoncé,
A mes reflexions il livre ma tendresse.
Sur ce fidelle avis faisant attention,
De son solide esprit j’admirois la lumiere,
 Et l’ingenieuse maniere
De me faire goûter une correction.
Touché de repentir, plein d’une sainte envie,
Je retourne à pas lents regagner le Hameau,
Et fais vœu d’employer le reste de ma vie
 Au soin d’élever mon Troupeau.
***
Je marchois en resvant, quand tout à coup Climene
A mes yeux ébloüis fit briller mille feux.
Dieux ! qu’elle estoit charmante, & valoit bien la peine,
Qu’on rompist des sermens pour resserrer ses nœuds !
Dans quel combat mon ame alors fut confonduë !
L’Amour parloit au cœur ; d’une flame assiduë
Il m’offroit le salaire, & se chargeoit du soin.
La raison contestoit, mais helas, de si loin
 Qu’à peine estoit-elle entenduë.
Qu’arriva-t-il, enfin ? J’empiray mon marché,
Et je rentray chez moy mille fois plus touché,
Plus épris que jamais. O Morale, Morale,
Contre des yeux vainqueurs, dont on est enchanté,
Que tes froides leçons ont peu d’autorité !
 Que ta puissance est inégale !
 Que ton secours est limité !

[Imitation de quelques Vers latins de Mr de Santeuil, qui servent d’inscription pour une Statuë du Roy] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 87-89.

Je ne suis point étonné que vous me parliez si avantageusement des Vers que je vous envoyay le mois passé, de Mr Bosquillon, Academicien de l’Academie de Soissons, sur l’Estampe d’un Chef d’œuvre en Pharmacie. Vous avez en cela suivy le goust du Public, qui les a trouvez tres-beaux. Voicy deux autres petits Ouvrages de sa façon. L’un est une imitation de ces deux Vers latins de Mr de Santeuil, Chanoine Regulier de l’Abbaye de Saint Victor, qui servent d’Inscription pour une Statuë du Roy, que les Maistres Chirurgiens de Paris font élever sous un Peristyle, dans la cour de leur Amphithéatre.

Ecce salutiferas populo quas ponimus ædes
Has animat, populi vita salusque sui.

IMITATION.

Lorsque contre LOUIS s’arme la terre entiere,
Nous élevons icy dans un profond repos
Ce nouvel édifice aux Peuples salutaire.
Qui peut mieux l’animer qu’un si fameux Heros ?
N’est-il pas en tout temps, malgré l’injuste envie,
De ses Peuples heureux, le salut & la vie ?

[Madrigal à Mr l’Evesque d’Agen] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 89-91.

Vous sçavez que Mr l’Evesque d’Agen doit avoir l’honneur de prêcher devant le Roy pendant le temps de l’Avent. Il fit son premier Sermon en presence de Sa Majesté le jour de la Feste de tous les Saints, & il le fit avec l’applaudissement de toute la Cour. C’est sur cet heureux & grand succez, ordinaire à ce Prelat, chaque fois qu’il monte en chaire, que le mesme Mr Bosquillon a fait le Madrigal que vous allez lire.

Quels éclairs redoublez ! quelle vive éloquence,
Masgaron fait briller dès son premier Discours !
 De ce torrent, de son rapide cours
 Rien n’arreste la vehemence.
Des trompeuses vertus le fard tombe à sa voix ;
 Au faux Chrestien il inspire un vray zele,
Et traçant en LOUIS le modéle des Rois,
Des Orateurs sacrez se montre le modele.

[Elegie] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 124-131.

On voit tous les jours tant de surprenans effets de l’amour, qu’on ne peut douter de son pouvoir, mais rien n’en convaincra davantage, que l’Elegie que vous allez lire. Elle est d’une Demoiselle de dix-huit ans, à qui la passion toute seule a appris à faire des Vers.

ELEGIE.

Quel changement affreux ! que suis-je devenuë !
Meconnoissable à tous, à moy-même inconnuë.
De mon juste destin, Ciel, quelle est la rigueur !
Je tremble pour tes jours, & je crains pour ton cœur.
Cher Tircis, que n’es tu le témoin de mes larmes !
Je ne puis soutenir mes mortelles alarmes.
Quel barbare devoir me retient dans ces lieux ?
Ne consultons plus rien, partons, & qu’à ses yeux
De mon amour pour luy se fasse voir l’ouvrage.
Mes pleurs pourront fléchir son superbe courage.
Son cœur considerant l’estat où je me voy,
Balancera peut-estre entre la gloire & moy,
Et touché des malheurs dont je suis poursuivie,
Menagera des jours où j’attache ma vie.
Mais enfin, quels que soient mes chagrins, mes douleurs,
Je n’ay rien aprés luy de si cher que mes pleurs :
Trop heureuse, s’il faut vivre loin de tes charmes,
Qu’en liberté mes yeux pussent verser des larmes,
Qu’il ne me falust point étouffer mes soupirs.
Mais me veut-on laisser ces funestes plaisirs ?
C’est peu qu’on me défende, helas ! que je le voye.
Libre dans ma douleur aussi peu qu’en ma joye,
Je ne puis rencontrer les précieux momens
D’abandonner mon cœur à ses ressentimens.
De Parens qu’effarouche une flame si belle,
Il me faut soutenir l’attention cruelle.
Je les voy chaque jour, me nommant mon vainqueur,
Sur mon front ardemment étudier mon cœur.
En vain voudrois-je, helas ! tromper leur soin extrême ;
Souvent pour me cacher je me trahis moy-même.
Ah, combien de malheurs entraînent aprés soy
Une larme, un soupir, échapez malgré moy ?
Mais comment dérober mon amour à leur vuë ?
Tircis, à ton nom seul interdite, éperduë,
Je sens mon cœur fremir, & ma raison plier,
Et pour me retenir il faudroit t’oublier.
T’oublier ! mais helas, en serois-je capable ?
Et de quoy mon amour peut-il estre coupable ?
Qui peut en condamner l’innocente ferveur ?
Fierté, gloire, raison, tout parle en sa faveur.
A de tristes devoirs cependant asservie,
J’attens tout des Parens dont j’ay receu la vie ;
Mais s’il faut immoler l’amour que j’ay conceu,
Ils me demandent plus que je n’en ay receu.
Pour un vil interest devenus trop farouches,
Eux-mesmes m’ont trahie ; helas ! les mesmes bouches
Qui portoient jusqu’au Ciel son merite, & ses faits,
M’ordonnent aujourd’huy de ne le voir jamais.
Je sentis que mon cœur fremissoit à sa vuë,
Je l’aurois évité si je m’en étois cruë ;
Je prévoyois les maux qu’il me faudroit souffrir,
Mais sans cesse à mes yeux on prit soin de l’offrir,
Pour luy leur amitié toujours vive, empressée,
Enfonça dans mon cœur le trait qui m’a blessée,
Et j’osay sur la foy de leurs soins trop pressans,
Suivre de mon amour les transports innocens.
Mais ce Heros, telle est leur injustice extrême,
Au moment qu’il m’eut plû, ne leur fut plus le mesme,
Et de mon cœur à peine avoit-il triomphé,
Qu’à leurs yeux son merite en parut étouffé.
Pardonne, cher Tircis, pardonne cet outrage,
D’un traitement pareil mon cœur te dédommage,
Et leur zele pour toy s’éloignant lâchement,
N’en allume en mon cœur qu’un feu plus vehement.
Bien-tost poussant plus loin leur dure tyrannie,
Dans un sejour affreux tu me verras bannie ;
Mais pour trouver charmant le plus affreux sejour,
Cher Tircis, c’est assez d’y porter mon amour,
Et pour m’en dérober l’aspect triste & sauvage,
Il suffit que mon cœur y porte ton image ;
Au moins en liberté j’y plaindray mes malheurs,
Et mes yeux sans témoins pourront s’ouvrir aux pleurs.

[Madrigal] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 131-133.

Vous aurez sans doute appris que Madame la Princesse d’Epinoy accoucha d’un Fils le mois passé. On n’en peut attendre que de grandes choses, puis qu’il aura à marcher sur les traces de Mr le Prince d’Epinoy son Pere, qui tout jeune qu’il est, s’est extrêmement distingué, & a déja receu plusieurs blessures, qui luy sont tres-glorieuses. Voicy un Madrigal qui a esté fait sur la naissance de ce Fils. Mr du Perier en est l’Auteur.

 Prince charmant, qui dans ce jour
Viens commencer une noble carriere,
 Tu seras beau comme l’Amour.
 Joüis longtemps de la lumiere.
Le Ciel qui t’a formé du plus illustre sang,
Te donne en tes Ayeux un grand exemple à suivre.
Tu dois les imiter, ou renoncer à vivre ;
Et si tu veux remplir les devoirs de ton rang,
 Sois aussi vaillant que ton Pere,
 Sois vertueux comme ta Mere ;
On ne peut souhaiter pour toy rien de plus grand.

[Le Dormitif, Conte] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 150-157.

Voicy deux Ouvrages de Mr de Vin. Son heureux talent pour la Poësie vous est si connu, qu’il ne faut pas vous en dire davantage.

LE DORMITIF.

Certain Duc fatigué de trois jours d’insomnie,
 Consulta Roch, son Medecin.
 Il n’en dormit pas mieux. Enfin,
Apprehendant par là d’interesser sa vie,
 Comme un remede souverain,
Il envoya querir le fameux Trissotin.
 Monsieur l’Abbé, je suis bien aise,
 Luy dit-il, dés qu’il fut entré,
 Qu’on vous ait chez vous rencontré.
Asseyez-vous sur cette chaise,
Et sçachez que chez moy je ne vous ay mandé
Que comme l’Amy seul dont je puisse estre aidé.
 Vostre secours m’est necessaire ;
 Je ne dors non plus qu’un lutin,
 Roch, sur ce mal perd son latin,
 Et ce vieux fou n’y sçait que faire.
 Ah ! par ma foy, ny moy non plus,
Monsieur, je ne suis point Docteur en Medecine,
Et je n’en ay pas mesme assez l’air & la mine
 Pour me consulter là dessus.
Encore si c’estoit sur la Theologie,
Sur la belle Eloquence, & sur la Poësie,
Peut-estre avec honneur s’en deméleroit-on.
Tout Paris a fait cas de ma Prose galante
 Et par des Vers pour Amarante,
 Grace au Ciel on s’est fait un nom
 Si glorieux qu’on s’en contente.
Mais pour … Oh ! Monseigneur, vous me joüez. Ah ! non.
Je ne me raille point, reprit le Duc sincere,
 Et vous avez un somnifere
 Que bien des gens ont trouvé bon.
Moi ? Vous me surprenez. Oui, vous-mesme, & j’espere
Que vous l’accorderez à mon humble priere.
Dites-moy donc du moins ce que c’est. Un Sermon,
De tous les Dormitifs c’est le plus salutaire ;
Il n’est point de pavot appliqué sur le front
Ou pris mesme en liqueur dont l’effet soit plus prompt.
Ah ! mon cher Trissotin, que je dors bien aux vostres !
 Il s’en faut tout qu’à ceux des autres
 On gouste les mesmes douceurs,
La Roche, Hubert, Boileau, Bourdalouë, & la Rüe,
 D’une attention assiduë,
 Nous forcent d’écouter les leurs.
Mais comme vous l’avez, nul d’entre eux, quoi qu’habile,
N’a cet art merveilleux d’exciter ces vapeurs
Qui causent un sommeil aussi long que tranquile.
 Bon, rien moins. Les voit-on d’humeur
A laisser un moment dormir un Auditeur ?
 Non, ils sont sans misericorde,
Et de peur d’en rien perdre on n’ose pas enfin
Bâiller mesme avec eux, qu’ils ne soient à la fin.
 Mais à grand’ peine vostre Exorde
Est-il cessé qu’on sent appesantir ses yeux,
 Et par ma propre experience
Je sçai qu’on ne dort jamais mieux
Que quand de vous entendre on a la patience.
 J’en auray tout autant qu’il faut,
Vous le verrez. Au reste il n’est pas necessaire
 De le prendre d’un ton si haut.
 Parlez sans fougue & sans colere,
Ne vous fatiguez point ; ça, Monsieur, commencez,
Et dés que vous aurez abbatu ma paupiere,
 Cela suffira, finissez.
 Preschez donc, rendez-moy la vie,
 Mais preschez viste, & trouvez bon
Qu’un Duc & Pair gueri de sa triste insomnie
 Vous en ait l’obligation.
 Quelqu’un ici croira peut-estre
 Que ce Duc railleur & malin
Avoit voulu jouer le pauvre Trissotin.
 Non, sincere autant qu’on peut l’estre
Il crût ingenument, las de ne point dormir,
 Qu’un Sermon pourroit l’assoupir.
Cependant à ces mots qu’il prend pour une injure,
Dans le fond de son cœur l’Abbé gronde & murmure ;
Mais n’osant pas tout haut s’expliquer là-dessus.
 Il se leve, & sort tout confus.

[L’Aiguiere, du mesme Auteur] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 157-159.

L’AIGUIERE.

Lubin au sortir d’un repas,
D’une Aiguiere d’argent dont s’arma sa furie,
Fendit un jour la teste à la belle Uranie.
 D’où vient ? C’est ce qu’on ne sçait pas.
 Tout ce qu’on sçait, c’est que Dorante
 La trouvoit aimable & charmante,
Qu’il vantoit tous les jours la douceur de ses yeux,
 Et qu’il la suivoit en tous lieux.
Ce tendre empressement, qui ne luy plaisoit guere,
 Porta peut-estre cet Epoux
 A vanger un dépit-jaloux
 De cette brutale maniere.
Du coup, quoy qu’il en soit, l’Aiguiere se rompit.
Cependant, quel prodige ! insensible à la vue
Du sang qui ruisseloit de sa teste fendue,
La modeste Uranie à peine s’en plaignit.
 Sa blessure & large & profond
Ne mouilla que fort peu ses yeux qu’elle essuya
 Le plus tranquillement du monde.
Quand jusques à ce point la patience va,
On peut dire qu’elle est d’une grande étendue.
 Depuis Job qui l’a jamais vûe
 Se porter à cet excés-là ?
 Mais sa douleur tres-retenue
Enfin au triste aspect de l’Aiguiere rompue
 A grands éclats se déploya,
Et pour lors tout à coup sensible devenue,
 La Ménagere s’écria,
Ah ! faut il de mon pot voir la façon perdue ?

[Pompe Funebre de Mademoiselle de Dombes] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 163-172.

Je vous appris aussi par ma Lettre du mois passé, que Madame la Duchesse du Maine étoit accouchée d’une Princesse, qui estoit morte peu de temps aprés. Elle en accoucha à sept mois le 11. de Septembre dernier, & la petite Princesse fut ondoyée à l’instant par Mr l’Abbé Dandin, Aumônier de Madame la Duchesse du Maine. Quelques jours aprés qu’elle fut née, Monsieur le Duc du Maine ordonna qu’on la nommeroit Mademoiselle de Dombes. Elle mourut le 26. du mesme mois. [...]

[Le] 28. le Corps fut porté à la Paroisse de Versailles, dans un Carosse à six chevaux, dans lequel estoit Madame de Malezieu, Gouvernante de la petite Princesse, & un Aumosnier en surplis. [...]

Le Samedy 16. Octobre, on tendit de blanc tout le grand Choeur de la Paroisse, avec trois rangs de tentures dans la Nef, & devant le Portail, le tout semé des armoiries de la Princesse. [...] Le Clergé chanta les Prieres ordinaires, aprés lesquelles les Prestres descendirent le Corps dans un petit Caveau que l’on avoit creusé au milieu du Choeur.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 183-214.

La beauté a des charmes si particuliers, qu’elle n’a quelquefois besoin que d’un moment pour gagner les cœurs. Quoy que c’en soit l’effet ordinaire, il n’a jamais paru avec tant de force que dans ce qui est arrivé à un Cavalier fort sage, qui n’eut pas si tost vû une jeune Blonde, dont tous les traits étoient fort piquans qu’il en demeura charmé. Elle estoit Fille unique d’un homme, qui ayant amassé des sommes immenses dans les affaires, n’avoit songé à se marier que dans un âge extrêmement avancé. Sa Femme estant morte dix ou douze années aprés l’avoir épousée, il ne voulut point penser à un second mariage, & se contenta d’avoir une Fille, dont la naissante beauté le mettoit en droit d’esperer de faire une alliance fort considerable. Il avoit chez luy une Niece, Fille d’un Frere, qui devoit heriter de tous ses biens, s’il perdoit la sienne ; mais autant que sa Fille, quoy que toute jeune encore, estoit capable de plaire, autant sa Niece estoit-elle laide & desagreable. Il sembloit mesme que le chagrin de se voir d’une figure qui n’estoit pas revenante, avoit mis sur son visage je ne sçay quoy d’aigre & de malfaisant, qui estoit dans son humeur. La Belle augmentant toujours en charmes, estoit déja parvenuë jusqu’à sa vingtiéme année, sans que l’on eust pû faire agréer à son Pere aucun des Amans qui s’estoient offerts pour elle. Il estoit du caractere de ceux, qui estant nez avec peu de bien, trouvent les moyens de s’élever à une grande fortune. Cette fortune estoit sa maistresse, & rien n’aprochoit de son avarice. Il regardoit comme une charge pesante l’obligation où il estoit de marier cette aimable Fille, & la veuë de ce qu’il devoit luy en couster, le rendoit tres-difficile sur le choix d’un Gendre. Les choses estoient en cet estat lors qu’on luy fit un procés où il s’agissoit de dix mille écus. La somme avoit de quoy luy donner de grandes inquietudes. Sa Partie estoit considerable, & il avoit besoin de recommandations puissantes auprés du principal de ses Juges, qui selon le tour qu’il donneroit à l’affaire, pouvoit luy faire gagner ou perdre sa cause. Il s’informa avec soin par qui ce Juge estoit gouverné, & il apprit qu’un de ses Neveux avoit tout pouvoir sur luy. C’estoit un Cavalier tres-bien fait, & fort estimé dans le monde par ses belles qualitez. Il n’estoit plus question que de l’obliger d’agir, & on luy dit que la chose estoit aisée ; qu’il n’y avoit point d’homme plus galant ny plus empressé à chercher toutes les belles Personnes, & qu’on n’avoit qu’à luy-faire voir sa Fille, pour le mettre entierement dans ses interests. Il pria qu’on luy fist naistre l’envie de venir chez luy, & ordonna à sa Fille de le recevoir avec agrément. Cela fut executé. On l’amena chez la Belle, & dés cette premiere visite, il en demeura tellement touché que le plaisir de la voir luy fut préferable à toutes choses. Il se rendit assidu, & vous jugez bien que le besoin qu’on avoit de luy, ne luy fit trouver aucun obstacle à ce qui flatoit le plus ses desirs. La Belle avoit certains traits mignons, qui luy donnoient un grand brillant de jeunesse, mais il en fut encore moins charmé que de la delicatesse de son esprit, & de la beauté de ses sentimens. Aussi s’apperceut-elle en fort peu de jours qu’il prenoit feu, & s’applaudissant de cette conqueste qu’on luy avoit ordonné de faire, & qui estoit fort selon son cœur, elle se tint seure de ne recevoir aucun refus, quand elle voudroit luy recommander les interests de son Pere. Elle ne luy eut pas si-tost témoigné qu’il pouvoit luy estre utile dans une affaire importante, qu’il en fit la sienne propre avec des honnestetez qui ne peuvent s’exprimer. Il demanda dés ce jour-là mesme à entretenir son Pere, & ayant appris de luy quelles estoient ses prétentions, il luy offrit sans nulle reserve tout ce qu’il avoit de credit, non seulement auprés de son Oncle, mais encore auprés de ses autres Juges, dont la pluspart estoient ses Amis. Comme l’affaire avoit de grandes difficultez, & qu’on ne pouvoit les applanir que l’une aprés l’autre, il fallut du temps à solliciter, & les soins du Cavalier furent si pressans, qu’il y eut tout lieu d’esperer que la chose auroit le succés qu’on souhaitoit. La Belle luy en marquoit beaucoup de reconnoissance, & ses manieres honnestes, & l’obligeant accueil qu’il en recevoit, luy faisant connoistre qu’il n’estoit pas mal dans son esprit, il luy declara avec quelle forte passion il se sentoit attaché à elle, & que rien ne seroit capable d’affoiblir le sincere amour qu’il luy juroit éternel, s’il estoit assez heureux pour ne luy déplaire pas. Elle répondit qu’elle tenoit en honneur les sentimens qu’il luy expliquoit, mais que dépendant d’un Pere fort absolu dans ses volontez, c’estoit à luy qu’il se devoit adresser, pour obtenir un consentement qui ne luy manqueroit pas de sa part dés qu’elle seroit en pouvoir de le donner. Cette obligeante réponse mit le Cavalier dans le comble de la joye. Il avoit du bien & de la naissance ; & quoy que la Demoiselle fust reconnuë pour une Heritiere des plus riches, il trouva la conjoncture si favorable pour luy par le service qu’on en attendoit, qu’il crut estre en droit de la demander en mariage. Le Pere surpris de la proposition ne sceut d’abord que répondre. Le besoin qu’il avoit du Cavalier, ne permettoit pas qu’il le chagrinast ; mais aussi il ne vouloit pas luy donner des assurances trop fortes, dont il pust avoir sujet de se repentir. Dans cet embarras d’esprit, il marqua au Cavalier qu’il se tiendroit honoré de son alliance ; mais que n’ayant que son procés dans la teste, il luy feroit un plaisir extrême d’attendre qu’il fust jugé pour parler de mariage ; que cependant il se croyoit obligé de l’avertir qu’on le tenoit bien plus riche qu’il n’estoit, & qu’il faudroit qu’il accommodast ses prétentions à sa fortune. Le Cavalier comprit par cette réponse, qu’il le préparoit à se contenter d’une avance mediocre ; & comme il avoit seulement en vûë le succés de son amour, il n’entra dans aucune des conditions du mariage, dont il prétendoit le laisser le maistre ; & en attendant qu’il se pust conclure, il luy demanda la permission d’employer ses soins à gagner entierement le cœur de sa Fille. Le Pere qui ne vouloit point le perdre, par le besoin qu’il avoit de son secours, luy accorda sans aucune peine le droit de la regarder comme une personne qui devoit un jour estre sa Femme ; il s’en expliqua même avec elle d’une maniere qui luy fit connoistre qu’elle pouvoit suivre son panchant, s’il luy parloit fortement en faveur du Cavalier. Il n’en falut pas davantage pour l’autoriser à ne plus garder aucune reserve dans les sentimens secrets qu’il luy avoit inspirez. Elle luy apprit qu’il estoit aimé, & les nœuds de leur amour furent serrez par de si fortes promesses, que rien ne fut plus capable de les desunir. Trois mois aprés on jugea le procés du Pere, & il le gagna dans toutes ses circonstances. Il avoit obligation au Cavalier, qui aprés ce qu’il avoit fait pour luy, devoit attendre des conditions tres-avantageuses dans son mariage, qu’on recommença à mettre sur le tapis, & dont le bruit se répandit aussi-tost dans toute la Ville. Le retardement que le Pere y apporta par divers obstacles, qu’il ne forma que pour ne se pas dessaisir sitost de ce qu’il devoit donner à sa Fille, mit les deux Amans dans la plus cruelle épreuve qu’ils pouvoient apprehender. Un Marquis d’une Maison assez distinguée, & ayant de belles Terres, entendit parler de cette riche Heritiere. Il sceut que c’estoit une tres-grande fortune pour le Cavalier, dont il est l’ennemi mortel ; & pour contenter la haine qui l’animoit contre luy, il resolut d’employer toutes sortes de moyens pour luy ravir sa Maistresse. On luy dit que l’avarice du Pere, qui ne pouvoit se resoudre à ouvrir sa bourse, estoit la seule cause du retardement du mariage. Il estoit fort vieux, sa mort vray-semblablement devoit arriver dans peu d’années ; & le Marquis se flatant de n’attendre pas long-temps aprés son bien, alla luy déclarer qu’il estoit prest d’épouser sa Fille sans luy demander aucune chose. Sa proposition fut receuë avec un plaisir qui ne se peut exprimer. L’alliance d’un Marquis, & la joye de n’avoir aucune partie à oster d’un tout qu’il avoit pris tant de peine à amasser, furent des charmes pour luy qui l’emporterent sur toutes sortes de considerations de reconnoissance & de parole donnée. Il demanda huit jours au Marquis pour congedier le Cavalier, & pour disposer sa Fille à recevoir l’honneur qu’il luy vouloit faire. Vous pouvez juger de la desolation où le Cavalier & la Fille se trouverent, aprés que le Pere leur eut declaré ses intentions. Le Cavalier parla en Amant soumis, qui ne cherchoit que les avantages de la Belle, & le bonheur de sa vie, & la Belle exigea d’abord de luy qu’il laisseroit éclater l’orage, sans chercher par aucune voye à se vanger du Marquis. Ensuite ils se firent l’un à l’autre tous les sermens qui peuvent répondre d’une éternelle constance, & attendirent ce que devoit resoudre le Pere, qui n’ayant pû obliger sa Fille à renoncer à l’amour du Cavalier, luy défendit absolument de le voir. Il fallut qu’elle obéist, tant il l’observa exactement, & ce ne fut pas sans peine qu’ils trouverent le moyen de se servir de Billets, pour se confirmer dans le dessein de s’aimer toujours, quelques traverses qu’ils eussent à essuyer. Le Marquis fut introduit auprés de la Belle, & sur le chagrin qu’il luy marqua, de ne pouvoir obtenir son agrément sur une prétention aussi legitime que la sienne, elle luy dit d’un ton fier & resolu, qu’il la devoit estimer de sa resistance ; qu’elle n’avoit engagé son cœur que par l’ordre de son Pere ; qu’il n’estoit plus temps de luy demander qu’elle prist pour luy les sentimens qu’elle avoit pris pour un autre ; que la plus grande fortune estoit incapable de l’obliger à changer ; qu’elle l’en avertissoit, afin qu’il prist ses mesures pour ne pas s’abandonner à des esperances qui luy seroient inutiles, & qu’elle croyoit, aprés ce sincere aveu, qu’il auroit assez de soin de sa gloire, pour n’abuser pas contre elle du pouvoir injuste que s’attribuoit son Pere. Le Marquis luy répondit, que s’il osoit s’en servir, elle ne devoit se plaindre que de son trop de merite ; qu’une personne comme elle estoit incapable d’inspirer une mediocre passion, & que la sienne estoit telle, que connoissant ce qu’elle valoit, il ne pouvoit renoncer à l’esperance qu’on luy avoit laissé concevoir. La réponse estoit galante, quoy que la galanterie n’y eust point de part. Le Marquis étoit un homme qui regardoit la beauté comme un plaisir des yeux, où l’on n’estoit plus sensible dés qu’on y estoit accoûtumé, & en s’obstinant à cette conqueste, il ne songeoit qu’à s’acquerir le bien du bon homme, & à se vanger du Cavalier. Le Pere irrité au dernier point de l’opposition qu’elle formoit à ses volontez, entra dans une maniere de fureur, qui luy fit oublier qu’elle estoit sa Fille. Il protesta qu’il la desheriteroit, & joignant la rigueur à la menace, il mit en usage tous les mauvais traitemens qui pouvoient luy faire peur. Elle les souffrit sans vouloir recevoir de visites du Marquis ; & enfin ils furent poussez si loin, que se voyant comme prisonniere, & gardée à veuë, elle resolut de s’échaper, & de s’enfermer dans un Convent. Elle en prit la premiere occasion qu’elle rencontra, & courant chez une Amie, où elle manda le Cavalier, il fut arresté que pour étonner le Pere, qui n’ayant qu’elle d’Enfans, pourroit craindre de la perdre, elle prendroit l’habit de Religieuse, s’il persistoit dans sa dureté. La Belle ajoûta, que pour empêcher qu’il ne luy ostast son bien, comme il l’en avoit menacée plus d’une fois, elle iroit jusqu’à la Profession, en faisant auparavant les Protestations necessaires pour n’estre pas assujettie à ses vœux, s’il arrivoit qu’il mourust. Ils se separerent avec de nouveaux sermens d’une tendresse éternelle, & d’une constance inébranlable. La retraite de la Belle mit le bon homme dans des emportemens de colere qui allerent au delà de tout ce que l’on peut dire. Il réitera ses menaces de luy oster sa succession, & le dessein où on luy dit qu’elle estoit de quitter le monde, ne l’attendrit point. Il la laissa faire, & prétendit que le desespoir qui luy faisoit prendre cette resolution, devoit estre la punition de sa révolte. Ainsi lors que le Marquis le vint prier d’y apporter quelque obstacle, il luy répondit, que c’estoit même pour ses propres interests qu’il l’abandonnoit à son caprice ; que quand il pourroit la retirer du Convent, il la connoissoit si entestée de ses premiers sentimens, que rien ne l’obligeroit à l’épouser, au lieu qu’en souffrant qu’elle renonçast au monde, sa Niece deviendroit son Heritiere ; que si elle estoit moins belle, elle estoit plus raisonnable ; qu’elle n’avoit jamais eu d’attachement qui pust l’empêcher de se donner toute à luy, & qu’en l’épousant il devoit se tenir seur d’avoir tout son bien aprés sa mort. Ensuite il luy fit un ample détail de ses richesses, qui estoient encore beaucoup plus grandes qu’il ne le croyoit. Le Marquis gousta la chose. Le bien du bon homme l’avoit toujours plus touché que la beauté de sa Fille, & il estoit seur également en consentant à ce mariage que le Cavalier perdroit sa Maîtresse. Il continua de voir le Pere, & entretenoit quelquefois la Niece, qui se voyant destinée à estre Marquise, faisoit ce qu’elle pouvoit pour plaire au Marquis. La Belle qui fut avertie de tout aprés qu’elle eut prit le Voile, sentit un plaisir secret des suites desesperantes que devoit avoir pour le Marquis le mariage où il sembloit resolu. Le jour de la Profession arriva, & elle en remplit la ceremonie en Fille entierement détachée du monde. Le Marquis ne manqua pas d’épouser sa Parente peu de temps aprés, & il n’en coûta au bon homme qu’un Carosse & des chevaux, avec les habits de Noces. Il se passa une année entiere, pendant laquelle il eut beaucoup à souffrir de la mauvaise humeur de sa Femme, qui estoit bizarre, & bien souvent sans raison ; mais le grand bien qu’il en attendoit, luy rendoit cette peine moins sensible, sur tout lors qu’il vit que le bon homme tomboit en langueur. Elle estoit pour luy d’un heureux présage, & en effet, sa mort la termina peu de temps aprés. Le Marquis se préparoit à recueillir une ample succession, quand on luy fit declarer qu’il se presentoit une Heritiere, & que sa Fille, qu’il croyoit Professe, avoit protesté contre ses Vœux. Cette declaration le mit dans un estat si terrible, qu’il forma tout à la fois cent differentes resolutions. Il employa tout ce qu’il avoit d’Amis & de credit pour faire condamner la Belle à rentrer dans son Convent, mais il n’y put réussir. Les Protestations qu’elle avoit faites estoient en tres-bonne forme, & il n’y eut pas moyen d’y porter atteinte. Ainsi le mal qu’il avoit voulu faire au Cavalier, retomba sur luy. Il se trouva chargé d’une laide Femme, qui estoit sans aucun bien, & qu’il relegua dans une maison de campagne, ne pouvant vivre avec elle ; & le Cavalier, outre tous les avantages d’une tres-grande fortune, gousta les douceurs du plus heureux mariage qui ait jamais esté fait.

[Mort de Messire Louis Gaspard de Foucaud]* §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 300-305.

Messire Louis Gaspard de Foucaud, Seigneur Duplessis ; mourut le 17. de ce mois dans sa maison du Plessis en Brie, âgé de quarante-sept ans. Il descendoit de Philibert de Foucaud, Gentilhomme ordinaire de Louis XII. pendant qu’il n’estoit que Duc d’Orleans. Sa fidelité & son attachement obligerent ce Prince à le faire son premier Maistre d’Hôtel lors qu’il vint à la Couronne. Cette famille a donné depuis, beaucoup de Sujets illustres dans l’Epée & dans la Robe, sçavoir, François de Foucaud, Capitaine d’une Compagnie d’Ordonnance, sous Henry II. Pierre de Foucaud, Secretaire du Cabinet sous Henry III. Charles de Foucaud tué à la Bataille de Coutras, & François son Frere, Conseiller au Parlement, Maistre des Requestes & Conseiller d’Estat sous Henry IV. Gaspard de Foucaud, Conseiller au Parlement sous Louis XIII. lequel eut de Christine de Rossignol, Louis Charles de Foucaud, qui se retira dans une maison de Campagne pour vaquer tout entier à la pieté & à l’étude, pour laquelle il avoit un goust extraordinaire. Il épousa Charlotte le Coq, Fille de Henry le Coq, Conseiller à la Cour des Aides, dont il eut Louis-Gaspard de Foucaud qui vient de mourir, & Marie-Suzanne de Foucaud, mariée à Armand Seigneur de Toussi, Capitaine de Cavalerie, tué à la Bataille de Nerwinde. Mr de Foucaud, dont je vous apprens la mort, herita des vertus & des inclinations de Mr Foucaud son Pere. Il s’appliqua dés sa jeunesse à l’étude de la Philosophie & des belles Lettres, qu’il possedoit parfaitement. Sa profonde érudition, la facilité de son esprit, la douceur de son temperamment, & les graces qu’il répandoit sur ce qu’il disoit, luy avoient attiré l’estime & l’amitié de tous ceux qui le connoissoient, & particulierement des Sçavans, avec lesquels il entretenoit commerce, non-seulement dans tout le Royaume, mais encore dans les Pays Etrangers. On luy en a trouvé beaucoup de Lettres aprés sa mort, entr’autres de Mr Rubini de Florence, Academicien de la Crusca, de Madame la Viguiere d’Albi, de la mesme Academie, de Mr de Saint-Evremont, de Mr Jurieu, de Mr Wallier, Vice-Chancelier de l’Université d’Oxford, de Mr Sarraut de Bordeaux, de Mr Ranchin de Toulouze, & d’un grand nombre d’autres. Vous ne serez peut-estre pas fâchée d’apprendre que l’on a découvert par ces Lettres, que Mr Sarraut estoit l’Auteur de plusieurs Pieces tres-curieuses, qui ont esté dans les Lettres que je vous adresse tous les mois, d’un Traité des Echets, de deux Lettres sur une Fontaine minerale qu’on a trouvée à Bordeaux ; d’une autre Lettre sur les Pluyes continuelles des deux dernieres années, & des Remarques sur la Satyre de la Macette du fameux Regnier.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1694 [tome 11], p. 313-315.

Les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye noté, ont esté faites d'aprés nature. Elles marquent la vive douleur d'un mary que rien ne peut consoler de la perte de sa femme. C'est Mr Arnoux, Ordinaire de la Musique de Roy. Je ne doute point que l'Air qu'il a composé sur cette mort, n'ait dans vôtre Province le mesme applaudissement qu'il a eu dans une Cour aussi délicate que la nostre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 314.
Triste & cher souvenir d'une si pure flame,
Non, je ne prétens point vous bannir de mon cœur,
Je n'écoute que vous dans mon cruel tourment,
Sans cesse vous m'offrez Celimene vivante,
Et quand parmy les morts je me la represente,
Vous me flatez au moins de l'agreable attente
De la revoir bien-tost où son Ombre m'attend.
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