Mercure galant, octobre 1695 [tome 10].
Mercure galant, octobre 1695 [tome 10]. §
[Priere pour le Roy] §
La Guerre presente estant une Guerre de Religion, puis que l’invasion d’Angleterre n’a point eu d’autre prétexte, & que le Roy la soutient pour la gloire de l’Eglise, on fit dans le temps qu’elle s’alluma beaucoup de Prieres pour Sa Majesté, de la nature de celle que vous allez lire. Elles ont recommencé depuis peu, & je vous en envoye une nouvelle.
Seigneur, qui seul meritez l’adoration de toutes les Nations de l’Univers que vous avez créé, faites que Loüis, qui est le Chef d’œuvre de vos mains divines, le Modele des Souverains, & le Pere des Peuples, continuë de regner sur ses Sujets. Egalez par vostre bonté la durée de ses jours au nombre de ses vertus & de ses conquestes, dont il vous rapporte toute la gloire, confessant qu’il la tient de vous. Grand Dieu, qui préparez au Roy Tres-Chrestien des récompenses solides dans vostre glorieuse Eternité, donnez en dés cette vie à sa haute valeur & à sa pieté sincere, par un triomphe perpetuel sur ses Ennemis & les vostres ; & puis qu’aveuglez qu’ils sont, & entraînez par le Demon de l’Envie, ils ont refusé la Paix que nostre Auguste Monarque, inspiré par vostre Esprit, leur a offerte, ne souffrez pas qu’ils puissent jamais alterer celle de son cœur ; conservez luy toujours ce don si précieux ; répandez continuellement vos benedictions sur sa Personne sacrée, sur sa Famille Royale, & sur son Royaume, qu’il gouverne avec tant de sagesse, & qu’il a mis sous vostre divine protection, vous reconnoissant pour le Roy des Rois, & pour le puissant Dieu des Armées. Sauveur du monde, sauvez ce Prince qui est selon vostre cœur. Nous vous supplions tres-humblement, nous que vous avez fait naistre ses fidelles & heureux Sujets, d’écouter les prieres, & d’exaucer les vœux que nous vous adressons pour luy. Nous vous admirons, & vous honorons dans vostre image vivante ; nous vous adorons, & vous remercions avec le Fils aîné de vostre Eglise, des victoires que vous luy faites remporter sans cesse sur tant de Puissances unies contre ses Etats. N’abandonnez jamais un Prince qui combat pour vous. Conduisez en tous lieux ses pas ; secondez en tout temps son zele, soutenez son bras, dirigez son esprit, animez son cœur, remplissez son ame de vos graces, & faites enfin, mon Dieu, que ce Heros incomparable n’ait point d’autre objet icy-bas que la gloire de suivre avec une joye ineffable & une entiere obéissance, les salutaires inspirations de vostre Esprit adorable, & d’executer avec un profond respect & une humilité parfaite, les ordres immuables de vostre divine Providence.
Cet Ouvrage est de Mr Guionnet de Vertron, connu par une infinité d’autres, tant Latins que François, & qui écrit également bien en Prose & en Vers.
[Histoire] §
Il n’y a rien de si surprenant que ce qui est arrivé à une jeune Personne d’un fort grand merite, à qui la fortune a fait éprouver en peu de temps ses changemens les plus extraordinaires & les plus bizarres. Elle estoit Fille d’un Pere qui ayant beaucoup de naissance, & cherchant à s’élever encore davantage, avoit hazardé tout ce qu’il avoit de bien sur des espérances qui l’avoient flaté mal à propos. La moindre de ses imprudences estoit de s’estre marié par amour. Heureusement il n’estoit venu que cette Fille de son mariage, & elle avoit environ dix ans, lors qu’une maladie violente emporta son Pere, avant qu’il eust donné aucun ordre au malheur de ses affaires. Ainsi il ne luy laissa pour tout avantage que celuy de demeurer sous la conduite d’une Mere habile, qui ayant esté contrainte de s’accommoder de ses droits pour peu de chose avec des Creanciers riches & puissans, qui pouvoient les contester, trouva le moyen de se soutenir par la grande œconomie, ce qui luy acquit une estime generale, & luy donna des Amis, chose rare dans la mauvaise fortune. Sa Fille estoit belle, d’une humeur fort douce, & toutes ses inclinations estant portées à la gloire, sa Mere tâcha de les seconder par tout ce qu’une bonne éducation peut ajoûter à un naturel heureux, & qui estoit disposé à recevoir toutes les impressions de vertu & de sagesse qu’elle prenoit soin de luy donner. Ses instructions eurent tant d’effet, qu’à mesure que sa Fille avançoit en âge, on voyoit que sa raison se formoit de plus en plus. Elle avoit en tout une équité merveilleuse, qui servoit de regle à ses sentimens ; & on peut dire que l’on n’avoit jamais veu dans une personne qui ne faisoit que de commencer à entrer au monde, briller plus d’esprit & de politesse. Les belles qualitez de l’ame estant jointes à mille agrémens qu’elle avoit receus de la nature, la rendirent l’admiration de tous ceux à qui il estoit permis de la pratiquer, & sa Mere qui luy trouvoit elle-même un fond de merite, qui ne pouvoit que s’augmenter par le temps, en prit sujet de se promettre pour elle tous les avantages qu’on peut esperer quand l’habileté soutient la bonne conduite. On parloit par tout de sa beauté, & une douceur d’esprit toute charmante, qui estoit meslée à beaucoup de complaisance & d’honnesteté, luy attiroit des loüanges, même de la plus grande partie des Femmes qui la rencontroient en quelque visite, quoy que naturellement elles tâchent d’affoiblir ce qui paroist en meriter de trop grandes. Vous jugez bien qu’il luy eust esté facile d’avoir une grosse Cour du costé des hommes, si elle eust voulu souffrir leurs empressemens. Tout les engageoit à souhaiter qu’elle daignast agréer leurs soins. Sa Mere étoit encore fort bien faite, & avoit beaucoup d’esprit ; mais plus elle l’avoit pénétrant, plus elle crut devoir s’en servir pour ménager les interests de sa fille. Elle la gardoit comme un tresor qu’il ne falloit pas montrer souvent, & elle redoubloit l’envie que l’on avoit de la voir par les obstacles qu’elle y faisoit naistre. Cette politique éloignoit certaines gens qui ne cherchoient qu’à satisfaire leurs yeux, & à joüir d’une agréable conversation, & en même temps elle enflammoit ceux qui ayant le cœur sensible, faisoient leurs efforts pour obtenir que les assiduitez leurs fussent permises. Ils voyoient bien qu’il ne falloit pour cela qu’une déclaration en bonne forme. Quelques uns se hazardoient à la commencer, mais comme ils ne parloient pas assez clairement, on se tenoit toûjours avec eux dans une réserve qui empeschoit la familiarité qu’ils eussent bien voulu acquerir. Le merite de la jeune Demoiselle estoit une amorce bien flateuse ; mais sitost qu’elle leur faisoit faire quelque pas qui les pouvoit engager, la consideration de son peu de bien les retenoit. Parmy ce nombre d’Amans qui s’expliquoient à demy, la Mere jetta les yeux sur un Cavalier, qui luy parut plus capable que les autres d’une passion qui l’entraîneroit où elle cherchoit à le mener. Il avoit l’esprit aisé, l’humeur douce & complaisante, beaucoup d’agrément dans ses manieres, & ne dépendant que de luy-même, il n’avoit à rendre compte à personne des engagemens qu’on pouvoit luy faire prendre. Elle s’attacha principalement à favoriser les empressemens qu’il faisoit paroistre, & fermant les yeux sur sa naissance qui n’estoit pas des plus relevées, elle ne regarda que son bien, qui estoit assez considerable pour mettre sa fille dans un établissement fort avantageux pour elle. Le privilege qu’il eut de la voir plus assidûment que ses Rivaux, fut une distinction qui piqua sa vanité. Il crut pouvoir s’applaudir sur ses bonnes qualitez, qui luy facilitoient un accés libre dont personne ne partageoit l’avantage, & l’habitude des soins qu’on luy permettoit de rendre à la Belle, l’ayant livré insensiblement à toute l’ardeur de sa passion, il en devint éperduëment amoureux. C’estoit dans l’un & dans l’autre un si grand rapport d’humeur & de sentiment, que la simpathie serra fortement les nœuds que l’amour avoit formez. La Belle le trouvoit fort à son gré, & ne doutoit point qu’elle ne vêcust heureuse avec luy. La Mere ne perdit point de temps, & voyant les choses à peu prés au point qu’elle avoit préveu, elle mit le Cavalier dans la necessité de conclure sans aucun retardement, ou de s’abstenir de voir sa Fille. Il en estoit trop charmé pour pouvoir prendre ce dernier party. Ainsi il fallut qu’il s’engageast sans retour, & il le fit avec un épanchement de cœur qui persuada la Belle qu’elle en estoit veritablement aimée. L’affaire ayant esté arrestée entre eux, il ne voulut point la tenir secrete, & fit vanité de la beauté de son choix. Quoy qu’on n’y pust rien trouver à redire, la Belle ayant un merite singulier, on ne laissa pas d’en estre surpris. Le Cavalier avoit toûjours paru attaché au bien, & on avoit eu d’abord de la peine à croire qu’il fust capable de s’abandonner assez à l’amour pour ne rien chercher du costé de la fortune. Le mariage se devoit faire dans fort peu de jours, lors qu’on en parla chez une Dame qui avoit toûjours grande compagnie. On dit hautement que la Demoiselle estoit digne encore d’une meilleure fortune, & tout le monde se trouva si bien d’accord à vanter l’agrément de sa personne, la douceur de son esprit, & l’égalité de son humeur, qu’il n’y eut qu’une seule voix sur son article, à l’exception d’une jeune Veuve, qui ne pouvant s’opposer ouvertement à de si justes loüanges, se contenta de dire, que quelque merite qu’eust la Belle, c’estoit l’acheter bien cher que de la prendre pour rien. La Veuve avoit autant de méchantes qualitez, que celle dont on parloit en avoit de bonnes. C’estoit l’esprit du monde le plus dangereux. Elle estoit naturellement portée à nuire, ne pouvant souffrir qu’on dist du bien de personne, & cherchant à abaisser tous ceux que l’on élevoit ; de sorte que ce fut assez d’avoir entendu parler si avantageusement de la Belle pour luy donner envie de luy rendre tous les mauvais offices, dont elle pourroit imaginer les moyens. L’arrivée du Cavalier luy fit naistre de nouveaux sujets de jalousie. Tout le monde le congratula sur son bonheur, & la Veuve qui le connoissoit, & qui fut aigrie des choses avantageuses qu’on recommença à dire de la Demoiselle, le pria de la venir voir le lendemain, afin qu’elle pust luy faire ses complimens & plus à loisir ; & avec moins de tumulte. Il y alla, & comme elle estoit aussi dissimulée qu’artificieuse, elle luy dit qu’elle prenoit part à la satisfaction qu’il avoit sujet de se promettre pendant les premiers six mois de son mariage, estant impossible qu’il ne trouvast ce temps court, avec une aimable & jolie personne, aprés quoy elle insinua adroitement qu’il n’y avoit rien de plus dangereux que d’engager pour toûjours sa liberté par un sentiment d’amour qui s’affoiblissoit presque aussitost ; que la plus belle Maistresse perdoit tous ses charmes par le nom de Femme ; qu’on avoit alors de longs sujets de se repentir d’avoir renoncé aux avantages de la fortune, qui gardant toûjours leur prix avoient de quoy se consoler de bien des choses, & que s’il vouloit luy laisser le soin de le marier, elle estoit assez de ses Amies pour travailler de tout son pouvoir à luy trouver un party qui luy convint. Le Cavalier s’écria sur la proposition & en la remerciant des marques qu’elle luy vouloit donner de son amitié, il luy dit qu’il s’estoit trop déclaré, pour pouvoir se dédire avec honneur ; qu’il concevoit bien que l’amour perdoit beaucoup de sa violence par le mariage ; que peut-estre quand il avoit donné sa parole, il n’avoit pas assez serieusement examiné s’il n’agissoit pas contre luy-même, mais qu’il ne voyoit point de tour pour la retirer ; qu’il sembloit bien même que son cœur n’y consentiroit qu’avec une peine extrême, & qu’aprés avoir poussé les choses aussi loin qu’il avoit fait, il ne pouvoit reculer sans s’exposer à estre blâmé de tout le monde. La Veuve traita de foiblesse la délicatesse du Cavalier sur le point d’honneur, & luy ayant dit beaucoup de choses avec une vivacité d’esprit surprenante qui ébloüit sa raison, elle ajoûta, que s’il craignoit les reproches qu’on luy pourroit faire sur un manque de parole commun aux plus scrupuleux, quand il est causé par l’interest, ce moment de honte seroit réparé en peu de temps par le grand bien que luy devoit apporter une personne, qui estoit maistresse de ses volontez, & recherchée par tant de gens importans, qu’il auroit lieu de se tenir glorieux de la préference qu’elle se chargeoit de luy faire avoir. En suite elle luy fit un portrait de cette mesme personne si semblable à elle-même, qu’il ne douta presque point que ce ne fust elle qui le vouloit épouser. En effet, elle estoit fort riche, & elle avoit à choisir entre plusieurs Amans distinguez. Le Cavalier la pressa long-temps de luy nommer l’aimable personne dont elle venoit de luy faire la peinture ; & la Veuve remit jusqu’au lendemain à satisfaire une juste curiosité, afin qu’il eust le temps de se consulter, & de sçavoir s’il se trouvoit en estat de répondre à la proposition qu’elle luy faisoit. Il passa la nuit dans des agitations extraordinaires. L’infidelité qu’il falloit qu’il fist à une personne qui estoit si digne de tout son amour, estoit pour luy une peine insupportable, mais les avantages qu’il devoit trouver avec la Veuve, qui estoit jeune & fort agreable, furent des charmes ausquels il ne fut pas possible de résister. Il trouvoit d’ailleurs beaucoup de gloire à obtenir sans peine par la force de son seul merite, comme il le croyoit, ce que plusieurs autres, dont la naissance avoit plus d’éclat, poursuivoient depuis long-temps inutilement, & se perdant dans ses flateuses idées, il ne sentit plus la perfidie qu’il alloit commettre. Il retourna chez la Veuve, qui refusa de s’expliquer en termes plus clairs, s’il ne luy donnoit parole, que pourvû qu’il eust lieu d’estre content du costé de l’interest, il épouseroit la personne qu’elle avoit à luy nommer. Il répondit, que si malgré son peu de merite, il estoit assez heureux pour faire approuver qu’il prétendist à celle qu’il soupçonnoit, rien ne pourroit l’empêcher de donner les mains à tout ce qu’il faudroit faire pour joüir de ce bonheur. Enfin, aprés quelques contestations, qui ne servirent qu’à luy mettre plus fortement dans le cœur ce qu’il commençoit déja d’y avoir, il fut obligé de dire ce qu’il pensoit, & il prononça le nom de la Veuve. Elle se mit à sourire, & refusa de luy avoüer d’abord que ce fust d’elle qu’elle eust entendu parler dans le Portrait où il croyoit qu’on la pouvoit reconnoistre ; mais enfin elle s’estoit si bien mis en teste de rompre le mariage, qui eust unis la Belle dans un estat plus heureux que celuy où elle estoit, que par le seul plaisir d’empêcher le changement qui estoit prest d’arriver à sa mauvaise fortune, elle resolut d’épouser le Cavalier, & voulut bien luy accorder tous les avantages qu’il luy demanda. Le mariage se fit en trois jours, & avec tant de secret, que la Belle, qui n’en avoit pas le moindre soupçon, demeura longtemps sans le pouvoir croire. Autant que l’estime qu’on avoit pour elle, la fit plaindre de tout ce qu’il y avoit d’honnestes gens qui la connoissoient, autant blâma-t-on le Cavalier qui l’avoit trompée si lâchement ; mais sur tout il ne se trouva personne qui crust la Veuve excusable. Comme on luy avoit dû refuser divers Partis beaucoup plus considerables que le Cavalier qu’elle venoit d’épouser precipitamment, sans s’estre donné le temps de le bien connoistre, on ne put douter qu’elle ne l’eust fait par un sentiment de jalousie, qui l’avoit portée à chercher contre son propre interest, cette injuste voye de faire avorter une affaire, dont le succés devoit donner de la joye à tout le monde. Son caractere envieux, bas & malfaisant, fit l’entretien de toute la Ville, & jamais Femme ne fut si generalement méprisée. La Belle souffrit l’injustice qui luy estoit faite avec une moderation, qui persuadant encore plus de la beauté de son ame, redoubla l’estime qu’on avoit conçuë pour elle. Elle se contenta de dire que le bien ayant esté de tout temps l’Idole des hommes, on ne devoit pas estre surpris, que le Cavalier luy eust sacrifié son honneur, & qu’elle souhaitoit qu’il n’eust jamais sujet de se repentir d’en avoir usé si mal avec elle. Ses souhaits ne furent point accomplis. La Dame qui ne l’avoit épousé que par caprice, sans que son cœur fust touché d’amour, ou qu’elle eust esté prévenuë d’estime, en prit un dégoust qui l’obligea de s’abandonner à tout ce que son humeur avoit de bizarre. Elle prétendoit luy avoir fait grace en voulant bien se donner à luy, & sur ce principe, toutes ses manieres estoient méprisantes & imperieuses. Il essaya vainement de la gagner par ses complaisances, c’estoient tous les jours des hauteurs insupportables. Son emportement luy tenoit lieu de raison, & rien ne pouvant la faire changer. S’il vouloit avoir quelque repos, il falloit qu’il s’asservist en esclave à toutes ses volontez. Ce fut alors qu’il reconnut, mais trop tard, la faute qu’il avoit faite. Ami de la paix qu’il ne trouvoit point, & comptant la tranquillité pour le suprême bonheur, il regretoit à toute heure l’aimable personne avec qui il n’avoit tenu qu’à luy de passer une vie douce & heureuse, & s’il l’eust pû racheter par la moitié de son bien, il l’auroit donné avec plaisir ; mais il avoit beau se chagriner, le mal estoit sans remede. Sa Femme cherchoit tous les jours de nouveaux moyens de le tourmenter, & tous les efforts qu’il fit pendant deux années entieres pour adoucir cet esprit sauvage, ne servirent qu’à luy faire mieux connoistre qu’il se flatoit inutilement d’en pouvoit venir à bout. Il estoit prest de l’abandonner, & il meditoit un long voyage qui l’auroit mis à couvert de ses froideurs, puis qu’on pouvoit appeller ainsi ses extravagances, lors que ses emportemens continuels luy ayant brûlé le sang, luy causerent une fiévre qui l’en délivra. Elle mourut en fort peu de jours, & il ne se vit pas plûtost tiré d’esclavage, que regardant tout ce qu’il avoit souffert comme une juste punition de sa perfidie, il resolut de la réparer en reprenant sa premiere passion. Tous les charmes de la Belle se presenterent à luy, & il se sentit sur tout si fort penetré de cette douceur d’esprit qui la rendoit toujours d’une humeur égale, que son amour réveillé par ses idées, fut plus violent qu’il ne l’avoit esté en naissant. Avant que de s’exposer aux premiers reproches qu’il s’attendoit bien qu’on luy feroit, il voulut se les rendre moins fâcheux, en faisant prévenir la Mere & la Fille par un Amy, qui alla les assurer de sa part qu’elles pouvoient disposer comme elles voudroient, & de sa personne & de son bien. La Mere surprise de ce compliment, répondit avec assez de froideur, qu’aprés le juste sujet qu’il leur avoit donné à l’une & à l’autre de se défier de ses promesses, il leur falloit des effets & non pas des paroles. La Fille fit voir plus de fierté, & quoy que l’Amy du Cavalier luy pust dire, elle déclara que s’estant rendu une fois indigne de son estime, il ne la pourroit jamais regagner, & que comme elle ne vouloit songer à se marier que pour remplir ses devoirs, il prétendroit inutilement à sa tendresse, puis que ne le pouvant estimer, elle sentoit bien que tout l’amour qu’il luy marqueroit, ne vaincroit pas son indifference. Le Cavalier ne s’estonna pas de cette fiere réponse, il crut qu’il dissiperoit par les assurances qu’il luy donneroit luy-même, la crainte qu’elle avoit sujet d’avoir qu’il ne parlast pas de bonne foy, & il alla luy rendre visite ; mais il eut beau faire, elle refusa obstinément de le voir, & il ne put parler qu’à la Mere, qui persuadée de son repentir, luy promit ses soins pour fléchir sa Fille, qui cependant demeura inexorable. Ses meilleurs amis, en luy disant qu’elle avoit raison d’estre irritée, ne laissoient pas de blâmer ses refus opiniâtres. Ils luy remontroient que le Cavalier avoit esté assez puny de son manque de parole, pour l’obliger à oublier cette injure, & que dans l’estat malheureux de ses affaires, elle devoit faire pour elle-même ce qu’il ne meritoit pas qu’elle fist pour luy. Elle répondoit sans se rendre à aucune des raisons dont on se servoit pour la combattre, que si la fortune luy estoit toûjours peu favorable, l’avantage de sa naissance & la bonté de son cœur estoient des biens assez grands pour luy devoir tenir lieu de tout. Cette fermeté à se mettre au dessus de toutes sortes de vûës d’interests, pour n’épouser pas un homme qui l’avoit forcée à ne le plus estimer, fit admirer le courage de la Belle. Les moins portez à loüer ce qui n’est pas de leur caractere, en parlerent avec admiration, & le bruit en fut si grand, qu’un homme tres riche, & d’un rang fort distingué, regarda les sentimens de cette aimable personne, comme quelque chose qui surpassoit la force ordinaire de son Sexe. Il s’informa d’elle, & ayant appris tout d’une voix qu’elle possedoit tout ce qu’on peut souhaiter de grand & de noble dans une Fille, il fit si bien qu’il se rencontra deux ou trois fois en un lieu où elle avoit coûtume d’aller. Il la regarda attentivement, l’entendit parler, & sortit sans luy avoir dit aucune chose. Deux jours aprés il alla chez elle, & voyant la Mere étonnée de sa visite, il luy dit qu’il ne doutoit point que le compliment qu’il alloit luy faire ne la surprist. Ce compliment est qu’il luy venoit demander sa Fille en mariage ; qu’il avoit assez de bien pour luy faire soûtenir avec avantage le rang qu’il luy donneroit, & qu’il n’attendoit que leur réponse pour faire venir un Notaire qui dresseroit les Articles. Elles trouverent la chose si peu vray-semblable, qu’elles furent toutes deux dans un embarras d’esprit qui ne se peut exprimer. Le Prétendant qui s’en apperçût le fit cesser en leur apprenant qu’il sçavoit toute l’avanture de la Belle. Il ajoûta que la fermeté qu’elle avoit euë dans sa mauvaise fortune, de mépriser un homme riche, mais qui s’estoit montré si indigne d’elle, par la lâche tromperie dont il devoit plus long-temps souffrir la peine, l’avoit rempli de tant d’admiration, qu’il avoit en mesme temps resolu de s’assurer le bonheur qu’un mal-honneste homme avoit refusé. Cela fut dit avec de si fortes marques d’estime, & si serieusement, que la Belle fut forcée d’ajoûter foy à ce qui luy paroissoit ne devoir estre qu’un songe. L’execution du dessein qu’on avoit pris, suivit en fort peu de temps, & ce qui fut extrémement remarquable, le hazard voulut que le Cavalier se rencontra dans l’Eglise lors que les deux Amans y entrerent pour se marier. Il ne sçavoit rien de cette affaire, & lors qu’on luy eut appris la Ceremonie qui le preparoit, il dit en soupirant que la Belle estoit digne encore d’une plus haute fortune. Il s’évanoüit presque en mesme temps, & il fallut le porter chez luy. Le chagrin le fit ensuite tomber dans une maladie de langueur, dont il a encore de la peine à revenir. Quant à la Belle, il ne se peut rien ajoûter à son bonheur. Elle est adorée de son Mary, dont elle fait la felicité, & le moindre des avantages que son mariage luy a procurez, est le titre de Comtesse.
[Traduction d’une Ode d’Horace, par Mademoiselle Cheron] §
L’Ouvrage que vous allez lire est de Mademoiselle Cheron. Elle en a fait de si beaux, & qui ont receu un applaudissement si general, que son nom fait son éloge.
IMITATION.
De l’Ode VII. du IV. Livre d’Horace à Torquatus.Diffugêre nives, redeunt jam gramina campis,Arboribusque comæ.Les frimats ont fait place à la jeune verdure ?L’Amante de Zephire étalant ses couleurs,Emaille la terre de fleurs,Et nos bois ont repris leur verte chevelure.***Les torrens mutinez, dont les puissans effortsDéracinoient les Pins en tombant des montagnes,Laissent à découvert nos fertiles campagnes,Et le fleuve orgueilleux se renferme en ses bords.***Déja les Graces toutes nuës,Avec les Nymphes sont venuës,Par leurs danses & leurs chansons,Celebrer le retour du Pere des Saisons.***N’esperons rien icy d’éternelle durée.A peine la froidure est elle retirée,Que le Printemps fleury prépare dans nos champsDe la blonde Cerès les utiles presens.Pomone qui vient aprés elle,Cede à son tour à la saison cruelle,Qui l’aneantit tous les ans,Et donne à la Nature une langueur mortelle.***Ainsi circule chaque année,Les jours ont un pareil destin,Le couchant chasse le matin,La nuit qui luy succede attend l’autre journée ;On les voit tour à tour s’entre-suivre & perir.Rien icy-bas ne conserve son estre.Mais les jours, les saisons que le temps fait mourir,Un autre temps les fait renaistre.***L’Astre qui dans la sombre nuitFait briller sa pâle lumiere,A mesure qu’il se détruit,Répare sa perte premiere,Et d’un nouvel éclat nous luitEn recommençant sa carriere.***Nous seuls miserables Humains,Qu’un fatal instant doit dissoudre,Nous ne renaissons plus, quand la Parque en ses mainsTient l’urne où nostre orgueil n’est plus qu’un peu de poudre.***Où-sont ces fameux Potentats ?Que reste-t-il de ce pieux Enée ?Ancus, Tullus, par leurs riches EtatsSe sont-ils exemptez de la loy du trépas ?Comme au plus malheureux leur course est terminée.***Mais puis qu’un espoir incertainNe peut nous assurer si nous serons demain ;S’il est vray qu’une mort rapide,En trompant nos desirs peut abreger nos jours ;Par les plaisirs tâchons d’en mélanger le cours,Et qu’une avarice sordideN’augmente point la part d’un heritier avide.***Lors que nostre ame fugitiveDe l’Acheron verra la triste rive,Que nous éprouverons ce terrible moment,Où Minos des Enfers gouvernant la balance,Par un severe jugementDu retour desiré tranchera l’esperance.Alors les grandeurs, l’opulenceNe suivront point nos pas aux bords du Phlegeton :Et le sçavoir, & l’éloquenceNe persuadent point Cerbere ny Pluton.***En vain Diane sollicitePour ravir la chaste Hyppolite,Tous ses efforts sont superflus,Bien que des sombres lieux elle soit Souveraine.Quand le Stix est passé l’on ne retourne plus,Et Thesée aux Enfers n’a sceu rompre la chaîneDe son Ami Pirrithoüs,
[Lettre de Mr de Senecé, sur cette Traduction] §
Mademoiselle Cheron ayant envoyé cette Ode à Mr de Senecé, dont vous connoissez le bon goust & la beauté du genie, Mr de Senecé luy écrivit la Lettre suivante.
A Mâcon le 21. d’Aoust.
Je vous rends, Madame, des graces infinies, de l’agréable présent que vous m’avez fait. Quelque envie que j’aye de vous en dire mon sentiment, comme vous le desirez, il ne m’est pas aisé de le faire, & les graces de vostre Poësie, sont au dessus de mes expressions. Je suis forcé chaque jour de reconnoistre que pour la naïveté du stile, pour le tour aisé, pour la pureté du langage vôtre sens surpasse le nostre, & que c’est à son école que nous devons nous instruire. Mais comme les personnes de ce sexe, qui excellent en de pareils talens sont en petit nombre, soit par le deffaut de l’éducation, soit par celuy de l’application necessaire, il faut avoüer que celles qui s’y distinguent comme vous, sont dignes d’une loüange infinie. Aussi vous osay-je promettre que non-seulement le siécle où nous vivons vous rendra justice, mais encore que la posterité ne se taira pas sur vostre merite, & que vous occuperez quelque jour un rang illustre dans la mémoire des hommes, parmy tout ce que la terre a jamais produit de plus digne de leurs éloges, dans la plus belle moitié du monde.
Mais pour vous convaincre de ma sincerité, je suis bien aise de vous dire ce que j’ay trouvé à desirer dans vostre Ouvrage. J’aurois bien voulu qu’il fust composé de Stances regulieres, & toutes d’une même mesure, le nom d’Odes que les Anciens ont donné à cette espece de Poësie, & l’exemple des Grecs & des Romains, impose, ce me semble, une pareille necessité. Une Ode est un amas de couplets d’une même chanson, qui doivent par consequent estre d’une même cadence, pour se pouvoir tous chanter sur le même air. Quoy que je ne condamne pas les Vers irreguliers, dont on se sert avec beaucoup de grace dans les Idylles, & dans d’autres Ouvrages de pareille nature ; cependant il me semble que dans les Odes, il faut necessairement de la regularité, & de la justesse.
Je vous envoye un petit Ouvrage de même qualité, que je ne prétens pas mettre en parallèle avec le vostre : me délivrent les Muses de cette vanité. Je l’ay seulement composé dans la vûë de cultiver vostre amitié, estant persuadé que celles que l’on contracte au Parnasse ont besoin d’aliment, sur tout pendant l’absence, & qu’elles s’entretiennent par des presens reciproques, aussi bien que les autres. Vous ne trouverez pas dans mon Ode l’exactitude d’un Traducteur : j’en laisse le scrupule à ceux qui travaillent aprés les Historiens. Mais quand il s’agit d’imiter un Poëte, je tâche en conservant le sens principal de son Ouvrage, de m’imaginer en quels termes il auroit executé son dessein, s’il avoit vêcu dans nostre siécle, & parmy nostre Nation. Horace a bonne grace de parler de la succession d’Ittale, Roy de Pergame, dont la memoire estoit encore toute recente chez le Peuple Romain, qu’il avoit nommé son heritier. Si je l’imitois en cela, au lieu d’inserer un agrément dans mon Ouvrage, j’y proposerois un Enigme, qui auroit besoin de commentaire chez beaucoup de gens. Il en est de même des Marbres du Mont Hymette, ausquels j’ay substitué ceux de Beziers qui nous sont plus connus ; & si dans la description du luxe, j’ay parlé des Porcelaines de la Chine dont il n’a dit mot, il est vraysemblable qu’il en auroit pû toucher quelque chose, s’il avoit vêcu dans un temps, où l’on employe des sommes si considerables à cette fragile acquisition. Il me semble qu’il faut encore avoir égard à toutes les délicatesses de ceux pour lesquels on écrit, & ne leur proposer aucun objet qui les puisse choquer. C’est par cette raison que je n’ay pas voulu peindre d’aprés Horace cette femme sale & crasseuse, qui ruinée par un usurpateur de son bien, & reduite à la mendicité, porte dans ses bras des enfans couverts de haillons, & aussi sales qu’elle. Ce portrait auroit paru touché trop fortement, & nos Dames sont assez fatiguées de trouver par les vuës de semblables objets, sans que l’on vienne encore les leur presenter dans des Vers, où elles s’attendent à ne rien voir que de briant. Pour moy je crois que ceux qui veulent traduire les Poëtes avec une exactitude scrupuleuse, tombent dans l’inconvenient, & dans la grossiereté des premiers Peintres, qui d’écrivant des lignes sur les ombres d’un corps humain, en prenoient bien à la verité les dimensions, & les contours avec beaucoup de regularité, mais n’exprimoient point cette vie, & cette grace, que l’Art a eu tant de peine à donner à ses figures, si nous en croyons Pline sur le chapitre des Anciens, & Vasari sur celuy des Modernes, en quoy, Madame, vous surpassez la gloire des uns & des autres. Quoy qu’il en soit, je ne prétens pas icy faire une plus longue Apologie de ma maniere de traduire les Poëtes ; si vous l’approuvez ce sera infailliblement la bonne, & vous entretenir plus long temps sur des maximes que vous sçavez, & que vous pratiquez mieux que moy, c’est porter, dit le proverbe Grec, des Hiboux dans Athenes.
[Ode d’Horace, traduite par le même] §
Cette Lettre estoit accompagnée de l’Ode qui suit.
IMITATION
De l’Ode XVIII. du II. Livre d’Horace, qui commence,Non ebur, neque aureumMea renidet in domo lacunar.La dent des Elephans, l’écaille des TortuesNe composent chez moy ny parquet, ny lambris,Je n’y conserve point des antiques StatuesLes fastueux débris.***Des Marbres de Beziers la veine la plus fineN’y fait point remarquer son émail different,Et ce n’est point pour moy que commerce la ChineSon limon transparent.***Je n’ay point le secret de ces bas artifices,Dont on grossit l’amas de ses possessions,Impudemment intrus par de lâches servicesDans les successions.***Mais avec les talens que la Muse me donne,Avec un procedé de la fourbe ennemy,Tout pauvre que je suis, le Riche ambitionneDe m’avoir pour amy.***Content d’un petit fond qui vient de mes Ancestres,Je songe à le transmettre à mes derniers Neveux,Sans étourdir le Ciel, sans fatiguer nos MaistresDe Placets, ny de vœux.***Par l’insensible effort du jour qui luy succede,On voit le plus beau jour dans le neant poussé ;Par la Lune qui suit, de celle qui précedeL’éclat est effacé.***Et vous, Ambitieux, près de la sepultureA bastir des Palais on vous voit empressez,Comme si du tribut qu’impose la NatureVous estiez dispensez ?***A l’ardeur de vostre ame au profit attentive,La fremissante Mer oppose en vain ses bords,Et vous osez tenter pour alonger la riveDe risibles efforts.***Cet avare Demon qui vous tient dans ces chaînes,Vous force d’arracher les bornes du Voisin,Pour ajoûter encore à vos vastes domainesSa gerbe, & son raisin.***Privez de leur foyer par cette violence,Le malheureux Epoux, & sa triste moitié,Laissent à leurs Enfans pour toute subsistanceL’art de faire pitié.***Bastissez, ravissez, acquerrez à toute heure :Forcez dans peu de jours de prendre un autre ton,Le Louvre où vous ferez la plus longue demeure,Est celuy de Pluton.***La Parque égale tout, & la terre équitable,Du merite ou du rang ne faisant aucun choix,Enferme dans son sein le Fils du miserable,Et la Race des Rois.***Le severe Portier de la Cour infernaleInterdit du retour les sentiers inconnus,Le subtil Promethée, & le riche TantaleN’en sont point revenus.***Du sort qui le condamne aux travaux de la vie,Le Pauvre en cet azile évite la fureur ?Et Caron l’y conduit, soit qu’il en ait envie,Soit qu’il en ait horreur.
Le chat et le fromage. Fable §
La Fable qui suit est de la composition de Mr Boüillet, Ingenieur.
LE CHAT ET LE FROMAGE.
FABLE.Au fond d’un Corbillon fermé de toutes partsGisoit dessus du foin à couvert des hazardsUn tendre & savoureux fromage.Son fumet en passant vint frapper l’odoratD’un chat.Croquepoulet estoit le nom du personnage,Voir ce mets délicat qui le vint ébloüir,Le convoiter, chercher les moyens d’en jouir,Fut pour luy presque mesme chose,Mais par malheur la corbeille estoit closeEt du surplus rare l’occasion.Une Vieille sans dents qui veilloit à l’officeEust empesché le malefice,Il luy faloit user d’invention.Quand Chats ont medité de faire une maliceDifficulté chez eux aigrit la passion.***Or voulant mettre à fin cette haute avantureSur le point que le jour cede à la nuit obscure,Nostre Chat suit la Vieille, & se cache avec soinDans un coin.La Duegna sortie, il approche la cage,Et comme il estoit Chat peu novice en tels tours,Au jeune & credule FromageIl tint à peu prés ce discours.***Que vous estes charmant, que vostre odeur est douce !Quelle cresme ! quel embonpoint !Vous sortez de divine source,J’en jure, & ne me trompe point.Non, vostre lait n’est pas d’une commune vache ;Il fut tiré du pis de la fille d’InacheVous meriteriez place à la table des Dieux.Ny le Nectar ny l’Ambrosie,Ny la plus douce MalvoisieN’ont rien auprès de vous qui soit delicieux.Pourroit-on point toucher cette odorante écorce ?Ne craignez rien, Fromage tout charmant,Je suis devenu vostre amant,Et ne veux rien de vous par force.Ouvrez vostre guichet, objet de mes amours,Je vous feray la pate de velours,J’éloigneray de vous les souris meurtrieres,Et vous protegeray contre la dent des rats ;Et sur les plus hautes goutieres,Je miauleray vos appas.***Quand le pauvre Fromage auroit esté moins tendre,A de vives raisons il faut enfin rendre,Sur tout lors qu’on y joint, & fleurette, & douceur,La louange & la flaterieFont une double batterieQui bien-tost a détruit les deffense du cœur.***Le Fromage éblouy par cette douce amorce,Moitié de gré, moitié de force,Au Matou seducteur entr’ouvrit guichet.Vous jugez aisément que Don CroquepouletNe se fit pas prier d’entrer dans la corbeille.Le pauvre fils d’Io fut pris au trébuchet ;Mieux eust valu pour luy, faire la sourde oreille,Point n’eust souffert un tel échet.***Croquepoulet dedans la cage,Teste à teste avec le Fromage,Avant d’aller au fait, fit un peu le badin ;Puis y porte la dent, puis d’outrage en outrage.L’entame de tout sens, le pille, le fourageTout ainsi qu’il eust fait des choux de son jardin.Voila ce que produit la credule innocenceQu’accompagne un tendre penchant ;Toujours on butte à l’insolenceOn la voit le butin du fourbe & du méchant.***De cette avanture tragiqueLe bruit se répandit chez la Gent Fromagique.Sur un cas si nouveau, grande rumeur entre eux.Où mettre à l’abry le Fromage,Si renfermé dans une cageIl ne peut résister aux Matoux cauteleux.***Pour opiner sur cette affaireLeur Prince Parmezan députe promptementDes postillons par tout où son nom se revere,Avec un ordre fort severe,Sous peine de Banissement,Qu’un Fromage de chaque especeSans s’excuser sur sa vieillesseSe rende à son commandement,***Fromages assemblez, les plus vieux opinerentL’un à faire cecy, l’autre à faire cela ;Mais de tous ces moyens nuls ne les contenterent,Tant que sur la fin se levaUn gros fromage de Griere,Qui raisonnant à sa maniere,Leur fit cet éloquent discours.***Nous allons voir, Seigneurs, arriver tous les joursLe cruel accident qui fait nostre tristesse.Il ne vient, selon moy, que de trop de tendresse.Ainsi tous les Fromages mous,Tendres par consequent, & dont le cœur se pique,Seront les dupes des Matous,Au détriment de la chose publique.Partant je crois, Seigneurs, & c’est mon sentiment,Que nous devons incessammentLes mettre sous la sauve gardeDu sexe remply de pudeur,Dont le cœur est toûjours en gardeContre tout ce qui fait sentir de la langueur.Cet avis trouvé bon, l’on députe vers cellesQue le renom d’estre cruellesRendoit propres à cet employ.Quatre Angelois de la part de leur RoyFort joliment les haranguerent,Et du sexe charmant, Messieurs les DéputezFavorablement écoutezAyant receu l’aveu, joyeux s’en retournerent.***Les Fromages depuis ce tempsEn de tranquilles passetempsSont sous un tel rampart les plus contens du monde,Ils ne s’inquietent de rien.Ainsi chaque Fille a le sienAutour duquel, sans fruit, maint matou fait la ronde,Bien est-il vray, que des soins assidusQuelquefois ne sont pas perdus.Bien est-il vray, qu’une chanson touchante,Un doux billet, un discours plein de feu,Une colation délicate & galante,Un discret & sincere aveu,Et plus que tout cela les dons & les richesses,Belles, vous font souvent manquer à vos promesses,Sans compter le fatal & le tendre momentDont maint Croquepoulet sçait faire bon usage.Contre tant d’ennemis on combat vainement :L’on a beau jurer d’estre sage,L’amour vient arracher vostre consentement.Alors Fille aux abois oubliant son sermentLaisse aller le chat au fromage.
Air nouveau §
Je ne vous dis rien sur l'Air nouveau que je vous envoye. Vous vous connoissez trop bien en Musique, pour n'en pas découvrir les beautez.
images/1695-10_317.JPGAIR NOUVEAU.
Laissez-moy mourir en repos,Souvenir importun de ma gloire passée,Et n'offrez plus à ma penséeLe rang que j'ay tenu sur d'illustres Rivaux.Si j'ay regne sur le cœur de Silvie,Quand je la perds, helas ! vous redoublez mes maux.Souvenir importun des beaux jours de ma vie,Laissez-moy mourir en repos.