1695

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1695 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13]. §

Eglogue §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 55-70.

Il n’y a rien dont on ne puisse tirer une matiere de dispute. C’est ce que vous connoîtrez par l’Ouvrage que vous allez lire, dans lequel deux Bergers examinent si le jour doit remporter l’avantage sur la nuit.

EGLOGUE.

Un jour je vis de loin Philidor & Silene
S’asseoir nonchalamment sur le bord de la Seine,
Où pour prendre le frais renonçant au sommeil,
Tous deux estoient venus au lever du Soleil.
Curieux de sçavoir ce qui les y fait rendre,
Me couvrant d’un buisson je tâche à les entendre,
Au moment que leur Muse agitoit si la nuit
A plus ou moins d’appas que le jour qui la suit.
La voix de ces Bergers, dont retentit la rive,
Rendoit chaque Nayade autour d’eux attentive ;
Et dans ce lieu tranquille, ou regne un plein repos,
Silene tout à coup commence par ces mots.

SILENE.

N’en doutons point, Berger, l’ame n’est point émuë
De ce qui chaque jour se presente à la veuë.
Combien de fois nos yeux ont-ils vû le Soleil,
Sans avoir admiré cet Astre sans pareil ?
Ah, que plein de rayons il entre en sa carriere !
Ce Dieu devant ses pas fait marcher la lumiere.
Vois comme par son ordre elle ramene aux fleurs
Tout le long de ces bords mille & mille couleurs.
A ce feüillage épais elle rend la verdure ;
Dans la plaine voisine, où la moisson est meure
Elle vient de nouveau redorer les épis :
Elle est fidelle à rendre & le lustre & le prix
A l’or, aux Diamans, aux Perles, au Porphire,
Et sur le sein de Flore éveillant le Zephire,
Cet Amant va porter le frais dans l’Univers,
Et de douces odeurs parfumer tous les airs.

PHILIDOR.

Le Monarque des jours, au moment qu’il s’éveille,
Ressuscite, il est vray, bien plus d’une merveille,
Mais enfin au sortir de l’humide élement,
Pourquoy nous cache-t-il les feux du Firmament ?
Il est si beau de voir dans la voûte azurée
Mille Astres éclatans dont elle étoit parée.
Par tout l’argent y brille enchassé dans l’azur,
Le jour le Ciel n’est point ny si net, ny si pur,
Et puis, le blond Phœbus éclairant toutes choses,
Montre d’affreux serpens, comme il montre des roses.
S’il fait de cent vertus éclater les appas,
Il luit sur cent forfaits qu’il faudroit ne voir pas.
Peut-estre les malheurs dignes que l’on ignore,
Avant qu’estre éclairez, sont pleurez par l’Aurore.

SILENE.

Je le croy, mais aussi cette foible clarté
Qu’ont les Astres, n’est rien qu’un éclat emprunté.
On dit que le Soleil finissant sa carriere,
Daigne les enrichir de sa propre lumiere,
A leur retour on voit s’enfuir de toutes parts,
Loin des lieux habitez, le Negoce & les Arts.
Ouy, si-tost que la nuit étend ses voiles sombres,
Tout ce vaste hemisphere est caché sous les ombres.
D’une main elle efface alors chaque couleur,
Quand de l’autre elle imprime une horrible noirceur,
Et répandant au loin cette morne peinture,
Le Cocyte n’a point de rive plus obscure,
Que le sont cent climats dépoüillez d’agrément,
Et qui n’en montrent plus qu’aux Hiboux seulement.

PHILIDOR.

Se plaint-on que la nuit soit sombre & tenebreuse,
Lors qu’on veut qu’elle cache une intrigue amoureuse ?
Un jour le beau Tircis, le plus beau des Mortels,
L’encensoir à la main s’approchoit des Autels,
Qu’il avoit élevez exprés pour la Déesse,
Et disoit ; chere Nuit, faites que ma Maistresse,
Qui hesite à se rendre, à vostre ombre ait recours,
Je viens vous en prier de la part des Amours.
En effet, une Belle, en craignant d’estre veuë,
Le jour prés d’un Amant a trop de retenuë.
Les plaisirs dans la nuit se dérobent bien mieux.
C’est un larcin qui plaist au Souverain des Dieux.

SILENE.

Si quittant son Epoux l’Amante de Céphale
Alloit montrer ailleurs une ardeur sans égale,
La Déesse sçavoit que les plaisirs d’amour
Valent mieux lors qu’on peut les dérober de jour.
De jour voyant un teint, dont la blancheur vermeille
A celle de la Rose & du Lis est pareille,
A suivre un doux transport on est plus excité ;
La nuit pour bien aimer a trop d’obscurité.
D’ailleurs le jour souvent joint la gloire aux delices.
On l’attend pour voler aux nobles exercices.
C’est alors qu’un Heros rend des Peuples soumis,
S’il ne connoist la peur qu’au front des Ennemis.
C’est alors qu’aux Tournois une illustre jeunesse,
Signale dans les jeux sa force & son adresse,
En face du Soleil & les Chiens & les cors
Font trembler le gibier retiré dans les Forts,
D’où sortant, le Chasseur le poursuit dans la Plaine,
Et fait qu’un trait lancé porte une mort certaine.
Pour nous autres Bergers, exerçant nos esprits,
Le jour aux meilleurs Vers nous assignons les prix ;
C’est le jour que d’un pied croisé sur sa houlette,
On médite, on essaye un air sur sa musette,
Puis devant le Dieu Pan en jouant de son mieux,
Quelquefois on s’attire un souris gratieux.

PHILIDOR.

 Que de doctes labeurs, que de rares merveilles,
Doivent tout leur renom à de sçavantes veilles ?
Apparemment les traits d’un habile Orateur
Qui passant par l’oreille arrivent jusqu’au cœur
Sont l’effet merveilleux d’une étude profonde,
Qu’il fait durant la nuit, loin du bruit & du monde.
Pleins d’un noble desir, je crois que des Guerriers
Apprennent le bel art de cueillir des lauriers,
Lors qu’ils passent la nuit à feüilleter l’Histoire
Pour apprendre quels faits meritent plus de gloire,
Puis alors le sommeil sur leur paupiere assis,
Peignant ces faits en songe, en retrace le prix.
C’est la nuit qu’on s’instruit à bien dire, à bien faire,
La Science & la Gloire ont la Nuit pour leur mere.

SILENE.

Ainsi que dans un champ au son des chalumeaux
Dés que le jour paroist retournent les Troupeaux,
Et non moins que l’Abeille au lever de l’Aurore
Se répand par essain dans l’empire de Flore.
Dans les Villes de mesme, on voit de toutes parts
Avecque le matin revenir les beaux Arts.
Sur les toiles alors les pinceaux se répandent,
Mille traits aprés eux prennent place & s’étendent,
Et le sçavant Sculpteur se plaist à retoucher
L’ouvrage que la veille il n’a pû qu’ébaucher.

PHILIDOR.

Si l’on ne peut gagner une gloire certaine,
Qu’aprés avoir senti le travail & la peine,
Et si Pallas l’ordonne à tous ses nourrissons,
Tirons-en pour la Nuit avantage, & disons,
Ce qu’aux Cerfs alterez est une eau pure & claire,
Ce qu’aux Amans parfaits est un aveu sincere,
Et ce qu’aux indigens est l’amas des tresors,
Au sortir du travail, le sommeil l’est aux corps.

SILENE.

 Ne me le dites point, rien n’est plus effroyable,
L’image de la mort peut-elle estre agreable ?
Elle est peinte sur nous quand le plus froid des Dieux
D’un humide pavot appesantit les yeux.
On se couche, on s’étend, on ferme la paupiere,
Nos sens sont interdits, nostre ame est prisonniere,
Et le long de son lit étendu mollement
Sur son chevet l’on tombe, on est sans mouvement.

PHILIDOR.

 Lorsqu’un cruel soucy nous trouble & nous agite,
Et qu’au milieu des maux que dans nous il excite,
Nostre ame pour sortir fait en vain mille efforts,
Que sans pouvoir mourir on meurt de mille morts,
Le corps s’appesantit, sous les maux, il s’affaisse,
Ensuite avec le temps la paupiere s’abbaisse,
Mais qui nous rend plus forts au moment du réveil ?
Qui nous empesche enfin de mourir ? Le Sommeil.

SILENE.

 Je ne puis me lasser de le redire encore,
Rien n’est égal au jour qu’une Iris que j’adore,
On l’estime, on l’admire, on l’aime en la voyant,
Tout charme à son abord, tout plaist, tout est riant,
Cent fois dans mes discours m’efforçant de luy plaire,
A l’objet le plus beau j’égalois la Bergere.
Ainsi je la nommois belle comme le jour,
Un Dieu ne peut mentir, & j’en croyois l’Amour.

[Avanture] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 70-73.

Le Mecredy, dernier jour du mois passé, il arriva icy une chose qui fait voir que dans les occasions pressantes, les Dames ne manquent ny de courage, ny de presence d’esprit. Madame de Turquantin, Femme du Sous-Doyen du Presidial de Tours & alliée à tout ce qu’il y a de plus considerable dans la Robe, estoit depuis deux mois à Paris, où elle vient de temps en temps solliciter des procés pour son Mary, qui est devenu aveugle. Elle estoit logée chez Mr de Reperfon, son Procureur, ruë de la Harpe, & un Voleur estant entré dans sa chambre sur les deux heures aprés minuit, elle s’éveilla par le bruit qu’il fit en ouvrant sa Garderobe. Il tenoit quelques-uns de ses habits qu’il prétendoit emporter ; & la Dame ne sçachant pas bien ce qu’elle entendoit, ne laissa pas de se jetter hors du lit, & de se saisir d’une épée qu’elle a coutume d’avoir auprés d’elle lors qu’elle voyage. Dans le temps qu’elle appelloit du secours, le Voleur courut à elle pour l’empêcher de sortir, ce qui l’obligea de se défendre, & de luy donner quelques coups d’épée dans le corps. Le Voleur n’eut point alors un autre party à prendre que de se jetter par la fenestre de la chambre, qui estoit un premier étage. Quand on eut apporté de la lumiere, on trouva beaucoup de sang dans la chambre, sur la fenestre & dans la ruë. Je rapporte simplement le fait, & laisse juger de l’action, qui marque le cœur d’une Amazone.

[Lettre sur le Livre de la vie d’Adam] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 73-86.

Je vous ay parlé d’un Livre nouveau, intitulé, La Vie d’Adam. Vous ne serez pas sans doute fâchée de voir une Lettre à laquelle cet Ouvrage a donné lieu.

A Mr L’ABBÉ B…

Je me souviens, Monsieur, que vous m’avez proposé quelques doutes sur le Livre qui a pour titre, La Vie d’Adam. Je ne sçay s’ils estoient bien serieux, & si vous avez cru tout de bon que cet Ouvrage meritast vos reflexions ; mais si vous voulez que je vous en dise ma pensée, il me suffit de sçavoir, que c’est une Traduction de l’Adamo de Loredan, pour n’en avoir qu’une mediocre idée, & pour le mettre au nombre des Pieces plus capables de donner du plaisir que de l’instruction. Ce Noble Venitien s’est joüé visiblement de son sujet, & sans respecter la source sacrée d’où il l’avoit tiré, il n’a songé qu’à le farder des plus vives couleurs de son éloquence, & à l’embellir des faits les plus agreables que son imagination luy a pû fournir.

Il a imité dans cette occasion ce que le fameux Lope de Vega a fait dans une autre. Cet Auteur Espagnol voyant que l’Evangile avoit renfermé en tres-peu de mots tout ce que les Pasteurs avoient fait, ou pû dire à la Créche de Bethléem, & au sujet de la Naissance du Sauveur, se resolut d’en faire un détail, & s’imaginant pour cet effet un certain nombre de Bergers & de Bergeres, avec tout ce que la devotion la plus ingenieuse leur pouvoit suggerer dans ce moment, il en composa, dans un volume assez gros, la plus excellente Pastorale qu’on verra jamais.

C’est ainsi que j’ay vû il y a quelques années un Manuscrit in folio, composé par un pauvre Garçon, sur l’Entretien de Nostre Seigneur avec les deux Disciples qui alloient en Emmaüs. Ce jeune Domestique, qui n’avoit point d’autre étude que quelque lecture qu’il avoit faite de l’Ecriture Sainte en Langue vulgaire avec beaucoup de ferveur & de pieté, ayant remarqué que Saint Luc s’estoit contenté de dire en general que Jesus-Christ avoit interpreté tout ce qu’il y avoit de figures & de prédictions de sa Personne dans les Livres de Moyse, aussi bien que dans les Pseaumes, & dans les Prophetes, prit le dessein de former un Dialogue plus étendu, & de faire expliquer par Nostre Seigneur à ces deux Disciples, chaque endroit de l’Ancien Testament qui le regardoit. Ainsi par la seule vraysemblance il trouva le moyen d’amplifier d’une maniere fort agreable un seul point d’Histoire de l’Evangile de Saint Luc, jusqu’à en faire un Ouvrage aussi diffus que je l’ay marqué.

Mais pour ne s’en pas tenir aux exemples que nous fournissent ces sortes de Pieces, les Langues Italiennes, Espagnoles & Françoise, Valerio, Evêque de Verone & Cardinal, dans son Ouvrage intitulé de Rhetorica Christiana, nous apprend qu’une des causes des fausses Legendes des Martyrs, a esté la coutume qui s’observoit autrefois en plusieurs Monasteres, d’exercer les jeunes Religieux par des amplifications Latines qu’on leur proposoit sur le Martire de quelque Saint, ce qui leur donnant la liberté de faire agir & parler les Tyrans, & les Saints persecutez, en la maniere qui leur paroissoit la plus vray-semblable, leur donnoit lieu en mesme temps de composer sur ces sortes de sujets, des especes d’histoires bien plus remplies d’ornemens & d’inventions que de verité ; mais quoy qu’elles ne meritassent pas d’estre fort considerées, celles qui paroissoient les plus ingenieuses & les mieux faites, ne laissoient pas d’estre mises à part ; en sorte qu’aprés un long temps se trouvant avec les Manuscrits des Bibliotheques des Monasteres, il estoit fort difficile de discerner ces jeux d’esprit d’avec les autres legitimes, & les histoires veritables des Saints qui s’y conservoient. Il faut avoüer cependant que ces pieux Ecrivains estoient excusables, en ce que n’ayant eu d’autre dessein que de s’exercer sur de saintes matieres, ils n’avoient pû prévoir la méprise qui est arrivée dans la suite ; de maniere que si la posterité s’est trompée, ç’a esté plûtost l’effet de son peu de discernement, qu’une preuve de leur mauvaise intention.

Il seroit difficile d’avoir la même indulgence pour le celebre Simeon Metaphraste, Auteur Grec du neuviéme siecle, qui le premier nous a donné les Vies des Saints pour chaque jour des mois de l’année, puis qu’il est visible qu’il n’a pû par cette raison les composer que fort serieusement, quoy que cependant il les ait remplies & amplifiées de plusieurs faits imaginaires, au témoignage même de Bellarmin, qui dit assez nettement, que Metaphraste a écrit quelques unes de ces Vies en la maniere qu’elles ont pû estre, & non telles qu’elles ont esté effectivement. Mais comment cela ne seroit-il pas arrivé à des Historiens Ecclesiastiques, par un pieux Zele d’honorer les Saints, & de rendre leurs Vies agreables au Peuple, plus porté ordinairement à admirer ceux qu’il revere, qu’à les imiter, puis que cette liberté s’estoit même glissée autrefois jusque dans la Traduction de quelques Livres de la Bible, & que nous apprenons de S. Jerôme, dans la Préface sur celuy d’Esther, que l’Edition vulgate de ce Livre de l’Ecriture, qui se lisoit de son temps, estoit pleine de plusieurs additions, que je ne sçaurois mieux exprimer que par les termes de ce même Pere quem librum, dit-il, parlant du Livre d’Esther, editio vulgata lacinosis hinc inde verborum finibus trahit, addens ea quæ ex tempore dici potuerant, & audiri, sicut solitum est scholaribus disciplinis sumpto themate, excogitare quibus verbis uti potuit qui injuriam passus est, vel qui injuriam fecit.

Voila à peu prés, Monsieur, la conduite que Loredam a tenuë dans son Adam. Il a fait parler Dieu, Adam, Eve, & tout ce qu’il y a d’autres sujets de cette Piece, en la maniere qu’il a cru qu’ils devoient ou pouvoient parler ; mais il y a meslé encore plusieurs faits, & quelques circonstances qui n’ont aucun fondement dans l’Histoire, & qui doivent uniquement leur origine à son Inventeur. Telles sont, par exemple, la naissance de Calameada avec Cain par le premier enfantement d’Eve ; celle de Debora avec Abel par le second, & telles sont aussi les circonstances de la mort d’Adam aussi bien que les dernieres paroles qu’il fait dire à ce premier Pere des Hommes ; à Seth, son troisiéme Fils. Car quelle plus grande Fable que ces deux Tours qu’il dit qu’Adam ordonna à Seth de bastir, l’une qui pust résister au feu, & l’autre à l’eau.

Il n’en faut pas davantage, Monsieur, pour plaindre le Public, de se voir ainsi abusé par de specieux phantômes & de badines imaginations, sur un point aussi serieux de l’Histoire qu’est la Vie d’Adam. Mais si cette science peut estre soufferte, servons nous du moins du Correctif de Saint Augustin, en nous souvenant que cet illustre Docteur & Défenseur de la verité, n’a jamais voulu même autoriser ce qui s’appelle officieux ou pieux, mensonges. Disons sagement avec luy ces belles paroles qu’il nous a laissées dans son Livre de la vraye Religion, Non sit nobis Religio in phantasmatibus nostris, melius est enim qualecunque verum, quam omne quod libet quod pro arbitrio fungi potest. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

Dialogue de l’Amour & de l’Amitié §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 86-113.

Le Dialogue qui suit est de Mr de la Tronche de Roüen.

DIALOGUE
De l’Amour & de l’Amitié.

L’AMITIÉ.

Mon Frere, je vous donne le bon jour. Je suis ravie de vous rencontrer. Vous m’évitez toujours avec tant de soin, que je n’ay jamais pû trouver l’occasion de vous dire tout ce que j’ay sur le cœur.

L’AMOUR.

Moy, ma Sœur, je vous évite ! C’est à quoy, je vous jure, que je n’ay jamais pensé.

L’AMITIÉ.

N’est-ce pas m’éviter que de fuir par tout ma compagnie, & particulierement chez les personnes mariées ? Comment donc nommez-vous cela ?

L’AMOUR.

J’ay cru vous faire plaisir de vous y laisser seule, afin que personne n’y partageast vostre empire. Ne vous plaindrez vous point aussi de ce que je ne vous accompagne pas chez les Amis & chez les Parens.

L’AMITIÉ.

Ce n’est pas de même. Vostre presence n’y est pas necessaire, mais j’ay besoin de vous dans le mariage. Sans vous mon regne n’y est pas de longue durée ; j’y deviens languissante, on m’y neglige. Il faut que vous m’aidiez à entretenir l’union des cœurs que vous avez joints, mais vous n’estes qu’un volage.

L’AMOUR.

Vous m’en devez sçavoir bon gré. Si je cours de conquestes en conquestes, n’est-ce pas pour les mettre sous vostre domaine ? J’unis les cœurs des Amans, ils s’unissent ensuite eux-mêmes par le mariage. Alors je vous les abandonne.

L’AMITIÉ.

C’est justement de quoy je me plains, mais si l’on vous en croit, je vous en seray beaucoup à retour. Je vous suis redevable de toutes vos conquestes, vous n’avez vaincu que pour me faire joüir de la victoire, & vous ne travaillez qu’à m’acquerir de nouveaux Sujets. Cependant tous les jours vous débauchez les plus fidelles des miens, vous ne me les enlevez que pour en faire vos esclaves. Combien de force, combien d’Amis vivoient sous mes loix, que vous avez rendus rivaux & jaloux, pour les livrer à la haine, qui a toujours esté ma plus mortelle ennemie.

L’AMOUR.

Ah, ma Sœur, je vous proteste que quand cela arrive, c’est contre mon intention. La haine est autant mon ennemie que la vostre, & ce n’est pas moy qui fais que deux Amis commencent à se haïr.

L’AMITIÉ.

C’est que vous estes un broüillon, un petit étourdy qui ne cherchez qu’à satisfaire vostre caprice à quelque prix que ce soit, qui n’examinez jamais l’avenir, qui ne regardez point aux consequences, toujours dans l’action.

L’AMOUR.

Je ne me donne pourtant pas beaucoup de mouvement quand je veux gagner les cœurs. Je n’ay besoin souvent que d’une œillade, d’un sourire, d’un je ne sçay quoy. Pour vous, ma Sœur, qui estes une grande parleuse…

L’AMITIÉ.

Je vous prie, mon Frere, de ne point faire de comparaison de vos manieres avec les miennes. Vous estes un fourbe perpetuel, qui vous servez indifferemment de toutes sortes de moyens pour parvenir à vos fins, sans bonne foy, sans sincerité, sermens, parjures, tout vous est bon. Vicieux, vous vous couvrez du manteau de la vertu. Débauché, vous faites gloire de l’estre ; lâche, vous vous piquez de valeur ; roturier, vous ne parlez que de noblesse ; rempli de defauts, vous vantez vostre merite ; sans beauté, vous avez recours au fard. Quel visage ne prenez-vous pas ? Aujourd’huy vieux, & demain jeune, une robe, une épée, rien ne vous fait peine. Taisez vous quelque chose avec reflexion ? Empresse & violent donnez-vous seulement le temps aux cœurs que vous voulez unir de se reconnoistre ? Pour moy, j’étudie avec prudence les Sujets que je veux ranger sous mes loix. Je choisis à loisir ceux que je trouve dignes de moy ; je ne reçois que le vray merite. J’inspire dans tous les cœurs la vertu & la generosité, & j’ay vû des Amis s’exposer à la mort pour leurs Amis.

L’AMOUR.

Je ne vous conseille pas d’entrer dans ce détail. Vous n’y trouverez pas vostre compte. L’histoire est toute pleine d’Amans qui ont choisi & le même moment pour mourir, & le mesme tombeau pour estre mieux unis aprés leur mort. Ne vous en faites point tant à croire, les vrais amis sont plus rares que les veritables Amans. Vostre empire n’est rempli que d’infidelitez & de trahisons, on n’y rencontre par tout que de faux amis.

L’AMITIÉ.

Je ne dis pas que vous n’y en trouviez quelques-uns. Les hommes sont si difficiles à connoistre, & leurs manieres sont si trompeuses, que je ne pense pas estre infaillible dans le choix que j’en fais ; mais si avec toute l’étude & l’application que j’y apporte, je me trompe quelquefois, que ne faites-vous pas, vous qui n’y prenez aucune précaution ?

L’AMOUR.

Si j’estois si difficile, mon empire seroit bientost desert. Vos Sujets ne se gouvernent pas comme les miens. Les unions que vous faites sont toutes spirituelles, les sens n’y ont que tres-peu de parti mais ceux que je fais obéir à mes loix, n’ayant pour objet que la satisfaction de leurs sens, dont le goust n’est rempli que de caprice & d’inconstance, ne s’engageroient jamais à aimer, si je leur donnois le temps de se connoistre. Il faut que je leur fasse violence, que je les enleve avec force, que je les ébloüisse, que je les enchante.

L’AMITIÉ.

Mais aussi, mon Frere, quand une fois vous les avez conduits jusqu’au mariage, où ils ont le temps de s’examiner & de se connoistre, combien de defauts remarquent-ils qu’ils n’avoient jamais vûs ? Que de visages couverts de lis & de roses ne vont point jusqu’au lit nuptial, & demeurent étalez sur la toilette ? Combien…

L’AMOUR.

Ah tout beau, ma Sœur, ne m’accablez point par vos reflexions ; voila mon unique chagrin. Si l’Himen estoit une fois banni du monde, je ne vivrois que dans la joye & dans les plaisirs ; car ne croyez pas que ce soit moy qui engage les Amans à se marier ; mais quand une fois ils s’aiment fortement, je n’en suis plus le maistre. Ils vont plus viste que je ne veux, je ne sçaurois plus les arrester. Ils courent au mariage comme à leur souverain bonheur, & c’est là où les infidelles me creusent un tombeau. Ah, ma Sœur, si vous estiez bien informée, vous ne me blâmeriez pas tant de vous laisser seule chez les personnes mariées. Si vous sçaviez de quelle maniere ils me traitent, vous me plaindriez. Les perfides qui avoient pour moi quelques jours auparavant mille complaisances, qui ne se lassoient point de me caresser, qui me baisoient cent fois le jour, ne me disent pas une seule parole de douceur. Ils me dédaignent, ils me rabaissent. Enfin fatiguez des reproches que je leur en fais, ils m’étoufferoient & me feroient mourir tout à fait, si je ne prenois la fuite.

L’AMITIÉ.

Vous n’avez que ce que vous meritez ; c’est le fruit de l’ambition qui vous devore. Vous voulez estre le vainqueur de tout le monde, qu’il n’y ait pas un canton sur la terre où vostre puissance ne se fasse sentir, que nul mortel ne puisse échaper à vos coups ; & pour courir par tout l’Univers, il faut que vous voliez avec une rapidité qui ne vous permette pas d’assortir les humeurs, les âges, les temperamens ; ce qui produit cette monstrueuse bigarrure d’unions qu’on voit dans le monde ; un fou avec la prude, un devot avec la coquette, une jeune personne avec un vieillard, de la Roture avec la Noblesse ; un homme d’esprit avec une étourdie, & un homme sage avec une évaporée.

L’AMOUR.

On ne reprochera jamais à l’Amour ces unions si mal assorties.

L’AMITIÉ.

A qui voulez-vous donc qu’on s’en prenne ?

L’AMOUR.

A l’interest, ma Sœur, qui fait luy seul presque tous les mariages.

L’AMITIÉ.

Que ne l’obligez-vous à ne point entreprendre sur vos droits, ou que ne le chassez-vous de l’Univers ?

L’AMOUR.

L’interest est bien plus fort que vous ne pensez. C’est le Dieu le plus aimé de tous les hommes ; il n’y en a aucun qui ne luy dresse des Autels. Dés le commencement du monde il s’est si fortement insinué dans leur esprit, qu’ils ne le sçauroient abandonner ; & lors qu’on luy veut faire la guerre, ils le cachent, ils le déguisent si bien, que quoy qu’il soit par tout, on ne le sçauroit trouver en aucun lieu.

L’AMITIÉ.

Je détruirois donc le mariage, afin que l’interest n’eust plus le moyen de vous chagriner & de vous perdre de réputation.

L’AMOUR.

Cela ne seroit pas difficile. Les Mortels ne sont pas si universellement entestez de luy que de l’interest ; mais, ma Sœur, pour une raisonneuse comme vous, qui prévoyez l’avenir, & qui prévenez les consequences, je ne sçay pas comment vous me faites cette proposition.

L’AMITIÉ.

Pourquoy donc, mon Frere ?

L’AMOUR.

Sans le Mariage, ma Sœur, qu’arriveroit-il de vostre empire & du mien ? Quoy que j’aye contre luy tout le dépit possible, je suis pourtant oblige de le souffrir. Les hommes estant tous mortels, si le mariage n’avoit pas pour but de faire multiplier leur espece, nous manquerions bientost de nouvelles creatures, qui s’elevent pour estre pour vous & pour moy de tres-bons & tres-fidelles Sujets.

L’AMITIÉ.

Je voudrois bien sçavoir, puis que vous aimez tant la propagation du genre humain, pourquoy vous avez tant fait mourir d’hommes, soit par les Duels, soit dans les Sieges & les Batailles ; car on dit souvent que l’amour en a esté cause. Les champs Troyens fument encore d’un nombre infini d’hommes, qui furent immolez à la passion que vous inspirâtes à Paris pour Helene.

L’AMOUR.

Pourquoy prenez-vous plaisir à m’imputer tout le mal qui se fait dans le monde ? Ne sçavez-vous pas, ma Sœur, que l’ambition & le point d’honneur travaillent incessamment à détruire vos Sujets & les miens ; que je ne prens aucune part aux querelles generales & particulieres ; ce que je fais seulement inspire la belle gloire à ceux qui par la valeur veulent plaire à leurs Maistresses ? Je suis un Dieu pacifique qui aime la douceur, qui ne me plais que dans la tranquillité & dans la mollesse, qui ne trouve du goust que dans le son de la Lyre & de la Musette, que les trompettes & les timbales chassent & étourdissent. En un mot, je prétens estre le Dieu des plaisirs, & je me pique d’estre le plus aimable de tous les Dieux.

L’AMITIÉ.

Pourquoy donc, si vous estes si aimable, vous déguisez-vous pour trouver entrée dans le cœur d’une jeune beauté, & pourquoy prenez-vous mon nom & mes manieres pour le surprendre ?

L’AMOUR.

Moy, prendre vos manieres, ma Sœur ? cela ne m’est jamais arrivé. Je me sers quelquefois de vostre nom. Vous me faites passer vous-même dans le monde pour un petit badin, qui pour peu qu’on l’écoute, & s’en fait à croire, devient entreprenant & hardy avec le beau Sexe. C’est ce qui fait qu’à mon seul nom une tendre Beauté s’alarme & s’effraye. Je l’approche sous le vostre, mais dans le même moment elle sent bien qu’elle n’a jamais goûté dans l’amitié ce charme que je luy fais ressentir. Elle aime cependant à se tromper, & quoy qu’elle s’apperçoive bien que ce n’est pas vous qui la pressez, elle semble le vouloir croire ; mais je ne suis pas si difficile à connoistre, & quoy que Frere & Sœur, la ressemblance entre nous n’est pas si grande que l’on s’y puisse tromper.

L’AMITIÉ.

Mais, mon Frere…

L’AMOUR.

Mais, ma Sœur, vous ne songez pas que depuis que nous causons, j’ay perdu plus de temps qu’il n’en faudroit pour conquerir une Province entiere. Remettons, s’il vous plaist, la conversation à une autrefois, car j’entens Mercure qui se plaint que plusieurs Amans se refroidissent par mon absence, & que plusieurs jeunes cœurs tombent en foiblesse & dans le découragement depuis qu’ils ne ressentent plus mes douces impressions. Je vous promets de revenir au plûtost pour vous donner une entiere satisfaction sur ce qu’il vous reste à me dire.

L’AMITIÉ.

Je serois bien fâchée que vostre retardement fust cause de quelque trouble dans vostre Empire. Adieu, mon Frere, je suis vostre tres-humble Servante.

L’AMOUR.

Ah, je veux vous baiser auparavant.

L’AMITIÉ.

Ah, ce petit fripon, il n’aime qu’à baiser.

L’AMOUR.

Adieu jusqu’au revoir.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 114-140.

Le manque de bien fait prendre souvent aux plus aimables personnes des resolutions qui ne s’accommodent guere aux sentimens de leur cœur. Une jeune Demoiselle, qui meritoit tout par ses belles qualitez, eut le malheur de demeurer sans fortune avec sa Mere, qui l’aimant fort tendrement, donnoit tous ses soins pour luy procurer quelque avantage. Son Pere qui estoit d’une Maison assez distinguée, la voyant assez jolie & toute aimable, luy avoit donné des Maistres dés ses plus jeunes années, pour la Danse, pour la Musique, pour le Luth, le Clavessin, & enfin pour toutes les choses où il avoit remarqué qu’elle avoit quelque talent, mais il estoit malheureusement entré dans des affaires, qui aprés un long procés avoient causé sa ruine entiere, & il en estoit mort de déplaisir. La Belle qui avoit besoin d’appuy dans le malheureux estat où elle estoit, chercha à se faire des Amis, & parmy ceux qui s’attachoient à elle, un Cavalier d’un esprit fort doux, & que la droiture de ses sentimens faisoit estimer de tout le monde, luy rendit des soins qui se firent remarquer. Elle les souffrit par le pouvoir d’une simpathie secrete qui attiroit son panchant vers luy ; mais en le rendant fort amoureux, elle conserva toujours beaucoup d’empire sur elle. Cette réserve venoit des difficultez qu’elle prévoyoit sur son mariage, quand il parleroit de l’épouser. Il n’avoit de luy qu’un bien mediocre, qui ne pouvoit suffire à la mettre dans un établissement assez commode pour la faire vivre heureuse, & toute son esperance estoit aux bontez d’un Oncle fort riche dont il devoit heriter, & qui témoignoit vouloir luy faire une avance considerable en le mariant. Ainsi il s’agissoit de sçavoir s’il seroit d’humeur à consentir que son Neveu épousast une personne qui n’avoit pour dot que sa vertu, & dont le merite faisoit toute la richesse. Le Cavalier, que son amour aveugloit, ne douta point qu’il ne vinst à bout de cet obstacle, & ravi de voir que cette charmante Fille voulust bien répondre à sa passion, il luy promit qu’il employeroit auprés de son Oncle des personnes si puissantes, qu’il luy seroit impossible de les refuser. Il luy tint parole, & rien ne fut oublié de tout ce qu’il pouvoit faire pour s’assurer le bonheur où il aspiroit ; mais tous les moyens qu’il imagina ne purent gagner cet Oncle ; & non seulement il s’opposa à l’amour du Cavalier avec une opiniastreté invincible ; mais ayant en veuë un party qui luy devoit estre avantageux, il le menaça de luy ôter sa succession s’il continuoit à voir la Belle. Le Cavalier ne put cacher à cette aimable Personne le mauvais succés qu’il avoit eu. Il vint luy en rendre compte, tout penetré de douleur, & sa passion s’irritant par les obstacles, il voulut luy persuader que les menaces dont elle craignoit les suites, n’avoient esté faites que pour les intimider, & que si elle vouloit bien souffrir qu’il l’épousast, son Oncle s’adouciroit sitost qu’il verroit la chose faite. La Belle qui s’aveugloit moins que le Cavalier, & qui malgré l’estime qu’elle avoit pour luy, ne se sentoit le cœur engagé qu’autant que son devoir le pouvoit permettre, luy representa tout ce qu’il avoit à craindre en s’abandonnant à un amour qui ne pouvoit que les rendre tous deux malheureux. Elle ajoûta qu’il n’estoit pas juste qu’il renonçast à une grande fortune qui luy estoit assurée, s’il avoit de la complaisance pour son Oncle, & le pria de ne la plus voir, puis que ses visites ne feroient que nuire à sa réputation, sans qu’il se mist à couvert de la disgrace qu’il devoit apprehender. Le Cavalier combattit long-temps la resolution qu’elle prit de ne le plus recevoir chez elle ; mais enfin il fut contraint de se rendre aux sages raisons, qui luy firent voir qu’il falloit qu’il s’éloignast, & tout ce qu’il en obtint, fut une assurance reciproque qu’ils demeureroient toujours Amis, & qu’en quelque lieu que fust le Cavalier, elle recevroit de ses nouvelles, & luy donneroit des siennes, sans qu’il parust qu’ils eussent ensemble aucun commerce de Lettres. Jamais il n’y eut douleur si violente que celle du Cavalier à cette cruelle separation ; mais ce fut peu de la ressentir tres-vivement, il eut encore de fâcheux combats à rendre. On ne se contentoit pas du sacrifice qu’il faisoit de son amour, on vouloit qu’il se disposast à épouser la personne sur qui on avoit jetté les yeux, & il ne put s’affranchir de la persecution qu’on luy faisoit pour l’engager à ce mariage, qu’en demandant à faire un voyage en Italie, afin de faire cesser tous les soupçons qu’on luy témoignoit avoir, que quelques promesses qu’il fist d’étouffer sa passion, il cherchoit toujours à voir en secret l’aimable Fille qui l’avoit causée. Son Oncle avoit un procés fort important à faire juger dans un Parlement assez éloigné. Ce fut là qu’il l’envoya pour en faire les poursuites, & par son éloignement l’orage qui s’élevoit contre luy fut entierement calmé. Cependant la Belle que d’heureux talens accompagnoient, s’abandonna à ce que le Ciel voudroit ordonner de sa destinée. L’absence du Cavalier fit place à de nouveaux Prétendans, & un Conseiller d’une Cour Superieure fut un des plus assidus. Il avoit beaucoup de bien, & la Belle ne pouvoit rien faire de mieux pour ses avantages, que d’essayer de toucher son cœur. Elle y employa toute son adresse, & parut y réussir. Comme il aimoit la Musique avec passion, il estoit charmé de la douceur de sa voix, & il ne se lassoit point d’entendre les Pieces qu’il la prioit de joüer sur le Clavessin ou sur le Luth. Le Cavalier, à qui elle fit part de cette conqueste, toujours, amoureux, toujours regrettant de n’estre pas en pouvoir de suppléer à ce qui manquoit à son merite, se dépouïlloit de ses interests, pour ne s’attacher qu’aux siens, & luy donnoit des conseils utiles sur les démarches qu’elle devoit faire pour ne laisser pas échaper ce nouvel Amant. La Belle en fit d’assez engageantes, quoy que toujours sans blesser sa gloire, pour mettre le Conseiller en état de ne pouvoir renoncer à elle ; & quand elle vit son attachement au point où elle avoit voulu le porter pour ne craindre pas qu’il le pust rompre, elle luy dit, qu’il luy estoit fort avantageux d’avoir un Ami de son caractere, mais qu’il falloit satisfaire le Public, & que des visites aussi assidues que les siennes pouvant faire tort à sa réputation, elle se trouvoit obligée de le prier, ou de cesser de la voir, ou de déclarer le sujet qui l’amenoit, afin de ne point donner de prise à la médisance. Le Conseiller qui ne manquoit pas d’esprit, essaya d’abord de luy faire croire que pourvû qu’on eust une conduite innocente, on devoit for peu s’inquieter des sots contes, & voyant que tout ce qu’il luy disoit sur ce ton là ne contentoit point sa délicatesse, il ajousta qu’elle pouvoit bien juger qu’estant toute aimable, on ne pouvoit la voir longtemps sans prendre pour elle tous les sentimens d’amour qu’elle inspiroit, & que dés qu’on s’attachoit à aimer une personne aussi vertueuse qu’elle estoit, ce ne pouvoit estre que dans des veuës legitimes ; que les siennes n’avoient rien dont elle pust s’offenser, & qu’il luy en donneroit des marques solides sitost qu’il seroit sorti d’une affaire qui estoit en termes de s’accommoder. Cette réponse n’ayant rien de positif, elle s’obstina à le presser, & il fut enfin obligé de luy promettre qu’il l’épouseroit dans un certain temps. Il luy demanda six mois pour mettre toutes ses affaires en estat, & comme elle n’aspiroit qu’à avoir ses assurances, elle consentit à luy accorder ce terme, pourvû qu’il luy fist une promesse avec un dédit de dix mille écus. Ce fut un sujet de longues disputes. Le Conseiller qui ne cherchoit qu’à gagner du temps, parce qu’il estoit bien-aise de continuer à voir cette charmante personne, qu’il n’avoit aucun dessein d’épouser, ne voulut point donner le Billet des dix mille écus ; & la Belle qui le connoissoit plein d’avarice, auroit préferé l’acquisition de cette somme, qui l’auroit mise en repos, au mariage dont il la flattoit. Pendant qu’ils estoient dans ces contestations, le Conseiller prétendant toujours qu’on se devoit assurer sur sa parole, il arriva une chose que l’on peut dire tenir du miracle. La Belle ne pouvoit esperer de bien de sa Famille que par la mort de quatre personnes, dont la plus âgée ne passoit pas cinquante ans, & par divers accidens, ces quatre personnes moururent en moins d’un mois ce qui la fit devenir une tres-riche heritiere. Outre les Terres & les autres biens en fond, elle se vit maistresse de plus de quarante mille écus en argent comptant. Il est aisé de s’imaginer les empressemens qu’eut le Conseiller pour toutes les choses qui pouvoient luy plaire. Comme il luy avoit donné parole de l’épouser, quoy que foiblement, & sans intention de le faire, il se crut en droit de se flater de son choix préferablement à tous ceux qui s’offriroient ; & pour effacer de son esprit les sujets de plainte qui luy estoient demeurez, il tâcha de réparer par mille offres de service, le refus qu’il s’estoit obstiné de faire de la promesse qu’elle avoit voulu avoir de luy, pour seureté des paroles qu’il donnoit. Cependant les successions venuës à la Belle luy donnerent des affaires. Elle chercha à les mettre en ordre, & il fallut qu’elle allast dans tous les lieux où il luy estoit échu du bien, ce qui l’occupa pendant toute l’année de son deüil. Elle recevoit souvent des Lettres du Conseiller, & elle y faisoit réponse assez gracieusement. Ses esperances s’estant augmentées par là, elle ne fut pas si-tost de retour, qu’il parla de mariage. La Belle luy répondit qu’il estoit temps d’y songer ; mais qu’avant toute autre chose, il falloit penser aux meubles qui luy estoient necessaires. Le Conseiller qui crut en devoir laisser le choix à sa volonté, fut fort surpris quand il vit qu’elle les portoit jusqu’à la magnificence. Son avarice en souffrit, & la Belle qui le reconnut à son air chagrin, luy dit qu’il ne devoit point se mettre en peine de cette dépense ; qu’elle avoit de quoy y fournir abondamment sans qu’il en payast aucune chose, & qu’elle luy demandoit seulement ses soins, parce qu’il avoit le goust tres bon, & qu’elle sçavoit qu’il feroit faire les choses à bien meilleur compte qu’elle, qui n’en sçachant pas assez bien le prix, s’exposeroit à estre trompée. Il fut fait comme il fut dit. Le Conseiller donna tous les ordres, & ce fut la Belle qui paya. Tout estant prest, carrosses, meubles, habits, il n’estoit plus question que de la fonction du Notaire. La Belle luy dit qu’elle le feroit venir au premier jour ; mais qu’elle estoit obligée auparavant de luy faire une déclaration qui pourroit ne luy pas plaire. Cette déclaration estoit, que par toutes ses manieres depuis qu’elle avoit souffert qu’il la vist assiduement, elle n’avoit que trop bien compris que s’il n’estoit arrivé aucun changement dans son estat, il se seroit bien gardé de la vouloir épouser ; qu’elle le regarderoit toujours comme son Ami, & qu’elle venoit de luy en donner des marques par toutes les commissions dont elle avoit consenti à le charger, mais que jamais elle ne seroit sa femme, & que la reconnoissance l’engageoit à se donner à un homme qui n’avoit eu des yeux que pour elle dans sa mauvaise fortune ; que c’estoit à son égard un si grand merite, qu’elle ne croyoit jamais pouvoir faire assez pour luy témoigner combien son cœur en estoit touché, & qu’ainsi la resolution qu’elle avoit prise estoit si ferme, qu’il essayeroit inutilement de l’ébranler. On ne sçauroit dire à quel excés de dépit & de colere ce discours porta le Conseiller. Il estoit au desespoir, non seulement de voir de grands biens luy échaper par sa seule faute, mais de ne pouvoir justement se plaindre du procedé de la Belle, qui pour se vanger de son avarice, qui l’avoit empêché de l’épouser lors que la chose ne dépendoit que de luy, l’avoit chargé de beaucoup de soins, qu’il n’auroit pas pris s’il n’avoit cru qu’il les prenoit pour luy-même. Il s’en plaignit cependant, & ne la quitta qu’aprés avoir poussé son emportement jusqu’à la menace. Elle n’eut pas lieu d’en estre inquiete, puis qu’elle épousoit le Cavalier qui la mettoit à couvert de tout. Ils s’estoient toujours écrit depuis son éloignement, & sa fortune ne fut pas sitost changée, qu’elle luy manda que sa personne & son bien seroient à luy, dés qu’elle auroit terminé quelques affaires qui la devoient occuper pendant quelque temps. Cette generosité fit un effet merveilleux sur l’Oncle du Cavalier, qui loin de s’opposer encore à son mariage, luy fit une avance dont il eut lieu d’estre satisfait. La Belle l’épousa peu de jours aprés que le Conseiller eut esté congedié ; & comme il n’y eut jamais ny plus de raison dans deux personnes, ny plus de rapport d’humeur, rien ne sçauroit approcher de l’union dans laquelle ils vivent.

Stances §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 164-171.

Vous ne serez pas fâchée de voir les Vers que je vous envoye. Ils sont de Mr Rault, de Roüen, & faits sur ces paroles de Job, Qui est ce qui me fera la grace, que dans l’enfer mesme vous me protegiez, & vous me cachiez jusqu’à ce que vostre fureur soit passée ?

STANCES.

Quel lieu pourra, Seigneur, me mettre en seureté,
 Contre ce bras qui tient la foudre,
 Et dont vous reduisez en poudre,
 Ceux qui vous ont trop irrité ?
***
Helas ! autant de fois que je vois à mes yeux,
 Eclater vostre main armée,
 Je tremble, & mon ame allarmée,
 Fremit dans les plus sombres lieux.
***
Je voudrois dans ma peur que l’antre le plus noir,
 La forest mesme la plus sombre,
 En m’environnant de son ombre,
 Empeschât le Ciel de me voir.
***
Que pour me délivrer d’un si terrible effroy,
 Je pusse au centre de la terre,
 Me cacher loin de ce tonnerre,
 Que vous faites gronder sur moy.
***
Oüy ; je me cacherois au milieu d’un rocher,
 Dans les Tombeaux, où sont les ondes,
 Dans les grottes les plus profondes,
 Si ces lieux pouvoient me cacher.
***
Je voudrois que mon œil n’eust jamais vû le jour,
 Ni la Lune, ni les Etoiles,
 Ou que la nuit avec ses voiles,
 M’ensevelist dans son sejour.
***
Quand du Ciel en couroux le tonnerre éclatant
 Est tout prest de crever la nuë,
 Celuy dont l’ame en est émeuë,
 De Laurier se couvre à l’inflant.
***
Mais ces carreaux affreux qui partent de vos mains,
 Ces éclairs, & cette tempeste,
 Dont je ne puis sauver ma teste,
 Font que je fremis & je crains.
***
Les cavernes, les bois, & les sombres deserts,
 Et la bauge la plus secrette,
 Pour moy n’ont aucune retraite,
 Puis que ces lieux vous sont ouverts.
***
Les feüillages épais, & les rameaux touffus,
 Sembloient cacher le premier Homme ;
 Qui pour avoir mordu la Pomme.
 De son crime devient confus.
***
Mais quand il voit son Dieu le poursuivre de prés,
 Et qu’il en connoist la puissance,
Il a honte de sa presence,
 Trahi de ses propres forests.
***
Le lieu le plus obscur ne le soulage pas ;
 En vain il se cache à soy-même,
 Il a de son Auteur suprême,
 Toûjours l’image sur ses pas.
***
Dans l’antre des Lions Daniel est jetté,
 Pour luy leur rage se modere.
 Mais les Chaldéens au contraire,
 En éprouvent la cruauté.
***
Ainsi pour me cacher, les forests, les valons,
 Où regnent les ombres affreuses,
 Dans leurs retraites tenebreuses,
 Ne sçauroient être assez profonds.
***
Loth dans un antre obscur, est vû des yeux de Dieu,
 Sa caverne trahit son crime.
 Que Caïn se cache en l’abysme,
 Abel le poursuit en tout lieu.
***
Jonas, quoique plongé dans le centre des eaux,
 Voit que ce centre est infidele,
Et bien que le fond le recele,
 Les ondes sont de clairs tombeaux.
***
Le monstrueux Poisson qui l’avoit englouti,
 Sans en hâter les funerailles,
 Le revomit de ses entrailles,
 Et ce Prophete en est sorti.
***
La Mer même perfide en ses plus sombres lieux,
 Trahit les secrets de ses ondes,
 Et ses grottes les plus profondes,
 Découvrent leur sein à nos yeux.
***
Quelle fidelité dans les tombeaux affreux !
 Les ossemens s’en font paroistre,
 L’Echo parle, & l’on peut connoistre,
Qu’elle est aux antres les plus creux.
***
Aux bois les plus touffus se fiera-t-on jamais ?
 Le retour d’une aspre froidure,
 Qui les dépoüille de verdure,
 Fait tomber leur ombrage épais.
***
Ainsi le Ciel, la mer, les antres, les forests,
 Pour la frayeur qui me redouble,
 Et qui met mon esprit en trouble,
 N’ont pas des lieux assez secrets.
***
Seigneur, ma sureté ne dépend que de vous ;
 Vous dissiperez mes allarmes,
 Si pour moy mettant bas les armes,
Vous appaisez vostre courroux.

[Vers de Mr de Santeul, pour mettre au dessous du Portrait de Mr Fagon] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 234-237.

En vous parlant dans ma Lettre précedente de ce qui s’estoit passé le mois dernier aux Ecoles de Medecine à l’occasion de la reconnoissance que la Faculté a voulu rendre publique envers Mr Fagon, j’oubliay de vous dire que quelques jours auparavant, Mr Burlet, Professeur de la mesme Faculté, avoit fait un Discours pour l’ouverture des Ecoles de Medecine, dans lequel il fit voir combien les Arrests donnez depuis peu par le Conseil du Roy, & par le Parlement, en faveur des Medecins de Paris, estoient honorables à tout le Corps, & salutaires au Public. L’Assemblée fut tres-nombreuse. Le Recteur de l’Université s’y trouva, & le Discours de Mr Burlet reçût beaucoup d’applaudissemens. Je ne vous rapporte rien de ce qu’il dit de Mr Fagon, dont l’Eloge devenoit naturel à son discours, puisque c’est à luy que la Faculté doit ce qui en faisoit le sujet ; de sorte que quand il n’auroit rien dit de ce premier Medecin de Sa Majesté, tout s’y seroit rapporté, sans mesme qu’on le nommast. Je devois en vous en parlant le mois passé, vous dire qu’on avoit fait graver au dessous du Portrait de la These qui luy estoit dédiée, les Vers que vous allez lire. Ils sont du fameux Mr de Santeul.

Quem sibi Rex legit medicum ex omnibus unum,
 Jam per vota diu publica lectus erat.
Quæ sortes ! quæ fata viro concredita, Regni
 Dum venit à salvo principe tuta salus.

[Imitation des mesmes Vers] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 237-238.

Voicy une Imitation de ces Vers, qui peint bien celuy pour qui ils ont esté faits.

Sage, plein de sçavoir, vertueux, secourable,
De son Auguste Maistre il merita le choix.
 Déja le Public équitable
 Dés longtemps luy donnoit sa voix.
Sur quels Destins il veille ! & de quelle importance
Sont les soins où l’engage aujourd’huy son employ,
 Puisque le salut de la France
 Est en la santé de son Roy.

[Extraits de tous les beaux endroits des ouvrages des plus celebres Autheurs] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 255-258.

Il n’y a personne qui ne demeure d’accord de la beauté des Ouvrages des Auteurs dont voicy les noms.

Balzac.

Voiture.

Costar.

Durfé.

Scudery.

Gomberville.

Bergerac.

Sarazin.

Ablancourt.

Moliere.

Ce dernier n’est pas celuy qui a travaillé pour le Theatre. La pluspart de ceux qui aiment à lire, & qui veulent profiter de ce qu’ils lisent, & sur tout les personnes qui composent, ou qui parlent en public, font ordinairement des remarques sur les Livres qui sont de leur goust, & vont mesme bien souvent jusqu’à faire d’amples extraits de ce qu’ils y trouvent de plus beau. C’est ce qu’a fait Mr Corbinelli, en s’appliquant à la lecture des Ouvrages des Auteurs que je viens de vous nommer. Ainsi ce sera une peine épargnée à ceux, ou qui les ont lus, sans en faire des extraits, ou qui ont dessein de les lire pour en faire, puis que ces extraits ont esté imprimez à Amsterdam, en cinq volumes, qui se debitent de l’impression de Hollande, chez le Sr Jean Jombert, prés des Augustins, à l’Image Nostre-Dame. On trouve aussi dans ces mesmes volumes d’autres extraits de plusieurs Ouvrages des plus habiles Auteurs qui ne sont point nommez. Mr Corbinelli ayant déja fait la mesme chose avec succés à l’égard des Poëtes François, on doit estre persuadé qu’il n’aura pas moins bien réussi sur les Ouvrages en Prose de nos Auteurs les plus estimez. Je vous ay parlé de luy en d’autres occasions, & vous ay fait connoistre à fond son merite.

[Rejouissances faites pour la naissance de Mr le Prince de Dombes dans cette Souveraineté] §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 262-265.

 

Je vous ay déjà appris la naissance de Mr le Prince de Dombes. Cette naissance ayant répandu une joye generale dans la Souveraineté, les Peuples ravis de se voir toujours sous la domination de Monsieur de Duc du Maine leur Souverain, qui y est extrémement aimé, se sont empressez de la faire paroistre par des réjoüissances publiques. Tous les Corps furent convoquez au Dimanche 11. de ce mois. Le Parlement suivi du Corps de la Noblesse, composée de plus de cent Gentilhommes, & de tous les autres Corps, assista au Te Deum, qui fut chanté solemnellement en l’Eglise Cathedrale, avec une Musique & une Simphonie tres-agreable. De là il alla allumer un grand feu d’artifice, du fameux Villette. Mr de Seve, premier President de ce Parlement, qui avoit à sa gauche Mr de Damas, Marquis d’Antigny, Gouverneur de la Souveraineté, y mit le feu. Le Parlement donna un grand Soupé aux Dames & à toute la Noblesse, & ensuite un Bal magnifique à Madame la Gouvernante, qui est de l’illustre Maison de la Baume-Montrevel. Mr le premier President en fit les honneurs avec un air de qualité & de politesse qui contenta toute l’assemblée.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 312.

Je vous envoye à mon ordinaire un Air nouveau d'un de nos meilleurs Musiciens.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 312.
Malgré vostre Prophetie,
Messieurs les Marchands de vin,
Par l'abondance du raisin
Nostre douleur est adoucie,
Quel mal vous font les faveurs de Bacchus,
En volerez-vous moins tous nos écus.
images/1695-12_312a.JPG

Souhaits pour Iris §

Mercure galant, décembre 1695 [tome 13], p. 312-315.

Si tous ceux qui font des souhaits, pensoient aussi ingenieusement que l’Auteur des Vers que vous allez lire, chacun auroit envie d’en entendre faire souvent. Je vous envoye ces Souhaits pour vos Estrennes. Vous pourrez en recevoir de moins agreables.

SOUHAITS POUR IRIS.

Que vos jours par Clotho filez d’or & de soie,
Au milieu des plaisirs coulent toujours en joie,
Sans que d’aucun malheur vostre sort soit atteint,
Et que le temps enfin qui détruit toutes choses,
Respecte, s’il se peut, & ces lis, & ces roses,
Dont la nature seule a paré vostre teint.
Qu’on se plaise à vous voir, & plus à vous entendre.
Soyez par tout aimée, & vivez sans amour ;
Dormez toute la nuit, travaillez peu le jour,
Gardez avec grand soin ce qu’on ne peut vous rendre.
Laissez parler le monde, & faites toujours bien.
 Ne prestez point, n’empruntez rien,
 Toûjours égale, toûjours saine.
Un revenu commode, & des plaisirs sans peine.
 Soyez devote sans excés,
 Nulle affaire, point de procés,
 Exempte de haine & d’envie,
 Et contente de vostre sort,
 Vivez sans crainte de la mort,
 Mourez sans regretter la vie.
Iris, voila les vœux que mon cœur fait pour vous.
 S’ils ne répondent point aux vôtres,
 Parlez, il luy sera plus doux
 Et plus aisé d’en faire d’autres.