1696

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1696 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1]. §

[Prélude. Prière pour le Roy] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 7-11.

On fait en tout temps des Prieres pour le Roy, mais il n’y en a point où tous les vœux des François se renouvellent avec plus d’ardeur pour la santé & prosperité de ce Prince, que dans celuy-cy. Le commencement d’une année est un sujet pour luy en souhaiter encore un grand nombre, & qui soient accompagnées de tout le bonheur dont ses grandes qualitez le rendent digne. Nos vûës sont peut-estre interessées, puis que ce Monarque est le soutien de la France, & que tous ses soins ne vont qu’à rendre ses Peuples heureux ; mais il est permis d’estre interessé de cette sorte, & c’est toujours travailler pour conserver à la terre, ce que le Ciel luy a jamais accordé de plus parfait. Les Vers que vous allez lire, feront voir ces vœux exprimez avec tout le zele que peuvent avoir des Sujets pour un Souverain qui meriteroit de commander à tout l’Univers.

PRIERE
POUR LE ROY.

 Grand Dieu, qui tenez dans vos mains
 Le sort du plus grand des Humains,
Ecartez tous les maux où luy-mesme il se livre.
 Parmy ses soins laborieux
 Conservez ses jours précieux.
Qui défend vos Autels est bien digne de vivre.
 Daignez encor sur son Auguste Fils
 Etendre vostre Providence.
De cette noble Tige il sort de si beaux Lis ;
 Versez sur eux une douce influence.
  LOVIS armé seul contre tous
  Soutient une juste querelle.
 Tous contre luy, bien moins que contre vous,
  Forment une Ligue rebelle.
Dissipez leurs projets, fortifiez son bras ;
Qu’il mette enfin ses Ennemis par terre,
Et terminant une funeste guerre,
Faites, Seigneur qu’aprés tant de combats,
Las d’entasser victoire sur victoire,
Il regne en paix dans le sein de la Gloire.

Cette Priere est de Mr de Hericourt, l’un des Academiciens de l’Academie Royale de Soissons.

[Feste celebre à Avignon] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 11-29.

 

Il s'est fait depuis peu de temps à Avignon, une Feste solemnelle, dont vous trouverez la description dans la Lettre que je vous envoye.

 

À MONSIEUR DE...

 

Vous attendez, Monsieur, de mes nouvelles, me voicy arrivé depuis peu de jours. Je n'ay pas oublié la parole que je vous donnay en prenant congé de vous, & je la tiens d'autant plus volontiers, que ce que j'ay à vous écrire le mérite mieux. Je me croirois bien dédommagé des fatigues de mon voyage, si on faisoit ailleurs des Festes solemnelles pareilles à celles qu'on fit hier aux Penitens Gris de cette Ville. Je n'eusse jamais cru qu'en un lieu saint, qui ne respiroit que la pieté, on vist tant d'agrémens. Le sujet mesme en estoit tout à fait singulier. On y fit la Translation du Saint Sacrement, par ordre de Mr l'Archevêque de cette Ville, pour renouveller la memoire d'un prodige arrivé icy dans la Chapelle de ces Pentiens depuis prés de trois siecles. Je suis seur qu'un homme aussi pieux que vous l'estes, & qui s'est fait un si grand plaisir de m'y faire observer bien des fois la pieté & la religion du Roy touchant nos adorables Misteres, me sçaura bon gré que ce soit icy la premiere nouvelle que je luy donne depuis mon départ de Paris ; & cette nouvelle vous sera d'autant moins suspecte, que l'Amy qui vous l'écrit est volontiers un peu incredule. Je pouvois m'en tenir à la Relation qu'un Abbé de qualité, plein de zele & de droiture, vient de faire imprimer icy ; mais j'ay bien voulu par moy-même m'instruire du fait, en lisant les Titres authentiques qui en font foy & dont les expressions simples & naives ont un air & un caractere de verité tout à fait persuasif. Je prens la chose d'un peu loin, par la liaison necessaire qu'elle a avec ce qui se passa sous le regne de Loüis VIII. Ce Prince l'an 1226. aprés trois mois de Siege s'estant rendu maistre d'Avignon, où les Heretiques Albigeois s'étoient cantonnez, voulut par une espece d'amende honorable reparer les outrages qu'avoient fait à Jesus Christ les ennemis jurez du Saint Sacrement, en assistant luy-même revêtu d'un sac couleur de terre, ceint d'une corde, la teste nüe, & le flambeau à la main, à une procession solemnelle, où se trouva le Cardinal de Saint Ange, Legat à Latere, que le Pape Gregoire IX. avoit envoyé exprés pour accompagner le Roy dans son expedition, & où Pierre de Corbie, de l'Ordre de Cluny, Evêque d'Avignon, porta le Saint Sacrement le 14 de Septembre de la même année, à une Chapelle hors de la Ville, sous le titre de la Sainte Croix. L'exemple de ce pieux Monarque ramena à son devoir toute la Ville, qui avoit favorisé les Heretiques, & donna commencement dés l'année 1226. à une devote Compagnie, sous le titre des Penitens Gris, ou de la Confrairie des Disciplinez, de laquelle il est probable qu'ont pris naissance toutes celles qui se sont depuis establies dans la Chrestienté, puisque suivant l'opinion de Varillas, la plus ancienne n'est que depuis l'an 1234. & selon le Pere Maimbourg, depuis l'an 1260. L'Evesque leur donna des Regles que le Legat confirma, & la ferveur des Citoyens, que leur Evesque avoit obligez d'aller par penitence reciter tous les Vendredis les Pseaumes de la Penitence, dans cette Chapelle, les porta si loin, qu'outre les rudes disciplines dont il y chastioient souvent leurs corps, ils voulurent encore sur l'exemple du Roy, qui les toucha vivement, & qu'ils reconnoissent pour Fondateur de leur Confrairie, se revestir d'un sac tel que le Prince l'avoit porté, & qu'ils portent encore aujourd'huy, & allerent passer tous les jours, & presque les nuits entieres, à y adorer le S. Sacrement ; ce qui détermina le Prelat a ordonner qu'on l'y tiendroit exposé jour & nuit à perpetuité, pour rendre d'éternelles actions de graces du changement si prompt & si universel d'une Ville qui venoit de donner retraite à l'Heresie ; & comme cette ferveur ne se rallentit point dans la suite des temps, les Papes, les Evesques, les Archevesques autoriserent l'Exposition perpetuelle du Saint Sacrement dans cette Chapelle, mais le Ciel voulut bien luy mesme l'autoriser par un prodige éclatant. Avignon est tout entouré de rivieres, & la Chapelle des Penitens Gris est mesme bastie sur le Canal de la Sorgue, & comme le 29. de Novembre 1433 les pluyes extraordinaiores firent déborder les eaux, il en entra une si grande quantité dans cette Chapelle, que les deux Chefs de la Confrairie craignant que l'eau ne s'élevât jusqu'au Tabernacle, où étoit exposé le S. Sacrement, resolurent d'y entrer le 30. pour le faire transporter ailleurs, au cas qu'il y eust quelque danger ; mais ils trouverent que les eaux qui estoient montées à droite & à gauche le long des murailles à la hauteur de quatre pans, s'estoient partagées, & laissoient au milieu un passage libre & sec, qui conduisoit jusqu'à l'Autel où estoit le S. Sacrement ; & par surcroit de merveilles, tous les environs de l'Autel qui estoient à plein pié, & à niveau de la Chapelle, étoient pareillement sans eaux & tout secs. Les eaux mesme de part & d'autre le long des murailles, venoient en pente jusqu'au chemin qu'elle laissoient libre, & formoient un talus, ou comme s'explique l'ancienne Relation, une espece de toit. Ces deux Confreres, aprés avoir satisfait leur pieté, & adoré l'Auteur de cette merveille, en allerent donner avis à beaucoup d'autres des leurs. Il y en eut douze qui les suivirent, dont l'un s'explique luy-même de la sorte dans l'authentique qu'on garde dans les Archives de la Chapelle. Nous autres qui estions bien douze, vismes tous le miracle, & pour en estre plus certains, nous allâmes querir quatre Freres Mineurs, desquels les trois estoient Docteurs en Theologie, & l'autre Bachelier, & firent la preuve. Le jour après que les eaux se furent écoulées, & que tout le monde entra en foule dans la Chapelle, chacun fut témoin oculaire que les Livres, les Papiers, les Nappes, & les autres meubles qui estoient sous l'Autel, ne furent nullement moüillez, & que la moitié des bancs, à égalité des autres, qui furent tous remplis d'eau, demeura si seche, que creusant même sur l'heure le bois avec un couteau, & par dehors & par dedans, on ne s'apperceut pas du moindre vestige d'humidité.

Ce prodige augmenta beaucoup la devotion des Fidelles, & elle s'est maintenuë jusqu'à aujourd'huy. Cependant comme Mr l'Archevêque faisant sa visite pastorale le 18 Juillet 1694. eut vû qu'on tenoit exposé le Saint Sacrement dans une niche de pierre assez propre au costé de l'Evangile, & d'autre part que leurs Titres estoient tres-bons, il ordonna qu'on en feroit la translation, & qu'on l'exposeroit nuit & jour à perpetuité au milieu de l'Autel, suivant l'usage present de l'Eglise. Les Confreres, pour concourir aux pieuses intentions de leur sage Prelat, voulurent celebrer cette Feste avec toute la solemnité & la magnificence possible, le 30 de Septembre 1695. qui fut le jour en l'année 1433 auquel le miracle des eaux arriva. Ils commencerent par faire faire une Niche de la derniere propreté ; elle est de noir d'Ebene aux colomnes Corinthiennes, dont les chapiteaux, & tous les autres ornemens sont d'argent cizelé, d'un travail fort delicat. Cette Niche qui est de l'invention de Mr Pirus, est entourée de nuées rayonnantes, chargées avec beaucoup d'art & sans confusion, de groupes d'Anges & de Cherubins, qui font un tres-bel effet. La decoration de la Chapelle répondoit à la propreté de l'Autel, chargé d'argenterie. On y entre par une longue & belle Gallerie, qui conduit à une espece de Salon exagone ; l'un & l'autre estoit en compartimens dans le plat fond, & aux deux costez, le tout orné de Tableaux choisis, de glaces de Miroir, & de divers autres ouvrages d'Orfevrerie dorée, avec un bel arrangement, & beaucoup de simmetrie. Dès l'entrée jusqu'à l'Autel tout estoit mieux éclairé, & particulierement l'Autel où le Saint Sacrement devoit estre exposé. Mr l'Abbé Delphino, Vicelegat, dont on loüe pas moins icy la pieté exemplaire que son integrité & sa vigilance dans l'exercice de sa dignité, voulut, aprés avoir fait l'honneur aux Confreres de s'associer à leur Compagnie, faire luy-même cette Ceremonie auguste. Il vint celebrer la Messe dans leur Chapelle, aprés quoy on fit une Procession solemnelle au son des Trompettes, & parmy la simphonie & les accords d'une Musique excellente, Mr le Vice legat sous un Dais porté par Mrs le Viguier & les Consuls, alla prendre le Saint sacrement dans l'ancien Tabernacle, & à la fin de la Procession le plaça dans cette Niche, qui estoit au milieu de l'Autel. Il se rendit ensuite l'aprésdînée à la Chapelle, pour y assister au Sermon que fit Mr l'Abbé Bocqui, Chanoine de Saint Didier. Son Discours prononcé de la meilleure grace du monde, fut solide, juste & touchant. Il donna une tres haute idée de cette Translation par rapport à celle de l'Arche dans le Temple de Salomon, & il montra que le Seigneur estant dans ce lieu magnifique comme sur un Trône de gloire & de grace, nous devions en approcher avec respect & avec confiance. Son texte même faisoit une allusion si naturelle avec cette Niche dont je vous ay parlé, qu'il sembloit estre fait exprés. Intulerunt Sacerdotes Arcam fœderis Domini in locum suum subter alas Cherubim. On termina la Feste par la benediction du Saint Sacrement, où l'on chanta un Motet, dont les paroles toutes propres au sujet, & fort favorables pour la Musique donnerent lieu à l'habile Maistre à qui on l'avoit fait composer à Rome, d'y faire des Recits charmans, toujours soutenus, & entremeslez de simphonies, dont je vous avoüe que je fus enchanté. Je passe les bornes d'une Lettre, mais pardonnez, Monsieur, à un Amy, qui aprés avoir pris tant de plaisir à cette Fetse, croit qu'il peut vous en donner quelques momens, par le recit fidelle qu'il vous en fait. On m'appelle à l'heure que j'écris pour aller prendre la benediction dans cette Chapelle, où les Concerts dureront pendant l'Octave.

[Epigramme latine]* §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 29-31.

On vient de me faire part d’une Epigramme Latine sur ce grand prodige, que je pense que vous serez bien-aise de voir.

Suspendit Jordanis aquas, dum permeat Arca :
 Ad te, Christe, viam pensilis unda dedit.
Quæ quondam Domini cognoverat unda velumbram,
 Non nosset Dominum, quem videt illa, suum ?

Voicy l’Imitation de cette Epigramme, en nostre Langue.

Quand l’Arche dut passer, par respect le Jourdain
Fit remonter ses eaux, & s’arresta soudain.
L’eau suspenduë en l’air, Seigneur, vous fait hommage,
Et pour aller à vous nous ouvre le passage.
 Si cet insensible Element,
Par l’ombre & la figure a reconnu son Maistre,
A-t-il pû ne le pas connoistre
 Lors qu’il l’a vû réellement ?

[Eloge des Dames] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 77-87.

On n’a pas raison de dire que le courage & l’esprit n’entrent point dans le partage des Femmes, puis qu’il s’en trouve plusieurs en qui ces deux qualitez éclatent avec beaucoup d’avantage. C’est ce que prouve agreablement une personne de vostre Sexe, dont on ne m’a point appris le nom. Cependant les Vers que je vous ay déja envoyez dans une de mes dernieres Lettres, sur l’action heroïque de Mlle de la Charse, doivent servir à vous la faire connoistre. Voicy ce qu’elle a écrit sur ce sujet.

À MADAME ***

Venez à mon secours, aimable Celimene,
Vous qui dans les beaux Arts fistes tant de progrés
Vous qui de vostre Sexe aimez les interests,
D’un de vos Ennemis rendez l’attaque vaine,
 Et pour luy mieux lancer des traits
 Allez boire dans l’Hipocrene.
***
 Certain Censeur mis en homme de Cour,
 Dit que les Femmes ne sont faites
 Que pour inventer chaque jour
 Des parures à leurs Toilettes,
Et pour faire regner la mollesse & l’amour.
Dans le jaloux chagrin qui contre nous le guide,
 Avec emportement il dit,
Qu’en Oracles tres-clairs la Nature décide
Qu’on ne doit point chez nous voir un brillant esprit,
 Encor moins une ame intrepide.
Pour plaire, si l’on croit ses bizarres discours,
 Le Sexe doit estre toujours
 Dupe, coquet, poltron, timide.
 Contre ces vains raisonnemens,
 Formez en dépit du bon sens,
Sur un ton moins bruyant j’ay fait voir que les Femmes
 Ont le droit d’avoir dans leurs ames
De brillantes clartez, de fermes sentimens,
 Et sans tomber à tous momens,
 Comme cet Ennemi des Dames,
 Dans de brusques emportemens,
J’ay montré qu’un grand caractere
Ne les rendoit encor que plus propres à plaire.
Voicy comme à peu prés j’ay vanté leurs talens.
***
 L’exemple prouve que les Belles
Peuvent avoir l’esprit ailleurs qu’aux bagatelles.
 Telles firent jadis des coups
Qu’au Theatre aujourd’huy l’on voit avec surprise.
 De Bradamante & de Marphise
 Que le destin fut grand & doux !
 Elles triomphoient par leurs armes
 Encore plus que par leurs charmes.
Il leur estoit permis de signaler leur bras
 Dans les plus perilleux combats.
Ah, qu’elles possedoient un heureux avantage !
Quel plaisir de marquer son intrepidité !
Si nostre Sexe encor avoit un tel usage,
 J’aurois déja pour mon partage
 Un Brevet d’immortalité.
 Rien n’est si charmant que la gloire
  Que donne la victoire.
 Heureux mille fois les Guerriers !
Ils peuvent à souhait moissonner des lauriers,
Et marcher à grands pas au Temple de memoire,
Dans ces temps fortunez où nous voyons Loüis
Faire dans un seul jour tant d’exploits inoüis,
Que même en les voyant on a peine à les croire.
 On n’a qu’à suivre ce Heros
 Pour se faire un nom dans l’Histoire ;
Qu’on ne se fit jamais à l’ombre du repos.
Cependant un destin dont je n’ose me plaindre,
Veut que nous choisissions cet indolent estat,
 Et nous engage même à craindre
 Toutes les actions d’éclat.
C’est en vain qu’en secret un grand cœur en murmure ;
Pour nous point de lauriers, point de brillans exploits.
Nous aimons mieux languir dans une vie obscure,
Et toujours obeir à de severes loix,
 Qui par une regle trop dure
Voulurent retrancher la valeur de nos droits.
Mais aussi pour le prix de nostre obeissance,
On nous a conservé de certains champs d’honneur,
 Où le Sexe avec bien-seance
Peut témoigner de la valeur.
Telle fut près de Gap l’affaire glorieuse,
Où la Charse animant le courage François,
 Sceut par une prudence heureuse
Renverser les desseins des fougueux Piémontois.
 On vit cette illustre Guerriere
Les punir par ses coups de leur témerité.
Comme elle a de Pallas la mine noble & fiere,
 Elle a son courage indompté
 Enfin elle est aussi vaillante,
 Aussi pleine de fermeté,
Que le furent jadis Marphise & Bradamante.
 Que si sa valeur agissante,
Livre moins son grand cœur à d’éclatans destins ;
 C’est que la fortune changeante,
Fait qu’on n’est plus au temps des errans Paladins.
***
 Les Heroïnes qu’un spectacle,
 Par les plus beaux Vers ennobli,
 Tire pour jamais sans obstacle
 Du sein tenebreux de l’oubli,
Ont le plaisir flateur de retrouver en France
 Vne image de leur vaillance.
 La Charse marche sur leurs pas,
Et la scene aujourd’huy parle de leurs appas
 Dans un langage si sublime,
Qu’on reste convaincu de tout ce qu’il exprime.
Peut-on trop admirer leurs sentimens, leurs faits
 Peints avec de si nobles traits ?
 Si les Heroïnes guerrieres
Par Corneille aujourd’huy sont mises dans leur jour,
D’autres ont éclaté par de vives lumieres,
Que la Scene pourra celebrer à leur tour.
 Voilà, charmante Celimene,
 Ce que j’ay dit tranquillement
Au prétendu Sçavant, dont la boüillante haine
Déclame contre nous d’un ton si vehement,
Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine
 Du moins pendant quelque moment.
Il ne faut pas que son air vous impose,
Quoy qu’il parle si haut, il ne sçait ce qu’il dit.
Gasté d’un vain sçavoir, son ridicule esprit
Mesle les Livres saints & la Metamorphose.
 Vous sçaurez le rendre interdit,
Dés que vous écrirez, soit en Vers, soit en Prose,
 Vous pensez toujours finement ;
Et puis que vous avez un tour plein d’agrémens,
 C’est icy qu’il se doit produire,
 Vostre bon goust, vostre bon cœur,
 Tout vous doit engager d’écrire ;
Vous aimez vostre Sexe, & luy faites honneur,
 Car la raison sçait toujours vous conduire.
Vostre Sexe à son tour vous aime avec ardeur.
 Efforcez-vous donc de détruire
 L’injuste & jalouse fureur
Des fantasques Censeurs qui veulent en médire.

Etrennes ingenieuses presentées à Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 98-111.

Le premier jour de ce mois, on presenta pour Etrennes à Monseigneur le Duc de Bourgogne un Coq, composé de coquilles tres rares, representant la Nation Françoise. Ces coquilles qu’on a trouvées depuis peu dans une Isle de la Chine, ont toutes, ou le même feu que les Rubis, ou le même œil que les Emeraudes, ou le même éclat que les Diamans, ou la même eau que les Perles. Le coq qu’elles forment est élevé sur un Piedestal, au bas duquel dans les quatre angles se trouvent quatre Esclaves enchaînez, le tout dans une boëte fort riche entourée de glaces tres-fines. Cette boëte est de trois pieds de hauteur sur deux de largeur, & sa matiere est d’écaille de Tortuë. Elle est enrichie d’ornemens d’or moulu, de figures & de colomnes, avec des Sentences gravées sur le bronze, & placées toutes avec simmetrie. Ces Sentences tirées de l’Ecriture, sont autant d’heureux préjugez sur la gloire de Monseigneur le Duc de Bourgogne. En voicy les termes.

I.

Ego primogenitum ponam illum, excelsum præ Regibus terræ Semen ejus in æternum manebit. & thronus ejus sicut sol in conspectu meo. Psal. 88.

 Ce Fils Aisné que l’Estre infini favorise,
Elevé sur les Rois n’aura point de pareil,
Et sa Posterité que le Ciel éternise,
Fera briller son Trône autant que le Soleil.

II.

Quis dedit gallo intelligentiam ? Non erit Rex qui resistat Job cap 3.

 Par d’heroïques faits dignes de sa naissance,
Comme Loüis le Grand, sage, intrepide, heureux ;
De Souverains armez il vaincra la puissance,
En assurant par tout son triomphe sur eux.

III.

Arcum conteret & confringet arma, & scuta comburet igni. Psal. 46.

 Plus craint que les Cesars, & que les Alexandres,
On le verra briser l’arc de ses Ennemis ;
Leurs Etats subjuguez, leurs boucliers en cendres
Prouveront qu’à son bras tout doit estre soumis.

IV.

Timebunt omnes Reges terræ gloriam tuam. Ps. 144.

 En faisant redouter sa gloire & son tonnerre,
Signalant sa valeur par mille exploits guerriers,
Les foudres à la main pour conquerir la terre,
Il ira chez les Rois moissonner des Lauriers.

V.

Regnum tuum regnum omnium sæculorum, & dominatio tua in omni generatione. Ps. 101.

 L’arbitre souverain des grandes destinées,
Perpetuera son regne & sa Posteritè,
Et son Sceptre, l’effroy des Testes couronnées,
Assujettira tout à son autorité.

VI.

Dominus mihi adjutor, & ego despiciam omnes inimicos meos. Psalm. 117.

 Protegé du Tres haut, dont le pouvoir suprême,
Eleve, aneantit les choses à son choix,
Ce Heros soutiendra l’éclat du Diadême,
En forçant l’Univers d’obeir à ses loix.

VII.

Stulti, aliquando sapite, annunciate inter gentes gloriam ejus. Ps. 105.

 Tremblez, Ligueurs, tremblez des futures conquestes
De ce Prince formé d’un Sang victorieux.
Déja sa noble ardeur a menacé vos testes,
Et vous avancerez ses progrés glorieux.

VIII.

Dissipa gentes quæ bella volunt. Ps. 67.

 Cet Alcide naissant, l’espoir de nostre France,
Ainsi que ses Ayeux vaincra les Nations.
Des plus fiers Ennemis foudroyant l’insolence,
Il dissipera seul toutes les factions.

Les Vers qui suivent accompagnoient ce present.

À MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE.

Prince auguste & charmant, à qui les destinées
Doivent un regne heureux, & de longues années,
Rempli d’un zele ardent je viens en ce grand jour
Joindre pour vous mes vœux à tous ceux de la Cour.
Mais que vous souhaiter ! Seur d’un puissant Empire,
Digne Fils des Vainqueurs que l’Univers admire.
Jaloux impatient d’imiter leurs beaux faits,
Le Ciel a prévenu pour vous tous nos souhaits.
Vostre cœur élevé, genereux, heroïque,
En faveur de Bellone à chaque instant s’explique.
Guerrier dés le berceau, comme estoient les Césars,
Voulant chercher la gloire, & suivre le Dieu Mars,
Tout brûlant de marcher sur les pas de vos Peres,
On vous a vû gemir des défenses severes
Qui retardent encor les coups victorieux
Qu’à son tour doit lancer vostre bras glorieux.
Quand ce bras deviendra le foudre de la guerre,
De prodiges nouveaux il remplira la terre.
Par vos faits éclatans tous les Rois ébloüis,
Reconnoistront en vous la valeur de Louis.
En tous lieux vous irez exciter des tempestes,
Sans qu’ils puissent borner le cours de vos conquestes,
Sur la foy du Prophete on peut s’en assurer.
Ces Oracles certains que l’on doit reverer,
Et que j’ay recueillis avec un soin fidelle,
Prédisent clairement vostre gloire immortelle.
Vous devez estre un jour maistre de l’Univers,
Des fieres Nations appesantir les fers,
Eterniser leur joug, terrasser leur puissance,
Leur oster tout espoir d’insulter à la France,
Et leur prouver qu’elle est trop fertile en Heros,
Pour les souffrir longtemps dans un oisif repos,
Cet imperieux Coq, de qui la teste altiere
Menace vos Rivaux de vostre ardeur guerriere,
Augmente la frayeur de ces tristes Captifs,
Qu’à ses pieds nous voyons desesperez, craintifs.
En vous avec douleur ils découvrent les marques
D’un courage qui fait les illustres Monarques,
Et de vostre valeur par avance affligez,
Ils confirment pour vous ces heureux préjugez.
C’est vostre bras qui doit accomplir ces Oracles,
Grand Prince, à l’Univers vous devez ces miracles.
Nous esperons vous voir, en secondant vos vœux,
Soumettre un monde entier à vos exploits fameux.
Sans doute que le Ciel remplira vostre attente,
Que toujours couronné d’une gloire éclatante,
Parfait Imitateur de nostre Auguste Roy,
Vous serez, comme luy, Défenseur de la Foy.

[Ceremonies observées au Mariage du Prince Royal de Danemarck] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 123-133.

 

Vous avez sceu le mariage de la Princesse Louise de Meckelbourg Gustraw, avec le Prince Royal de Danemarck. La Lettre qui suit vous en apprendra les Ceremonies.

 

De Copenhague, le 23. Decembre 1695.

 

L'Entrée magnifique de Son Altesse la Princesse de Gustraw commença le 15. Decembre, aprés disner, par un cortége superbe de plus de quatre vingt Carosses, qui partirent de Jagersbourg, avec une grande pompe, & elle fut suivie immediatement de la Ceremonie du mariage, qui se fit par un temps extraordinairement beau. Ce mesme jour tous les Bourgeois de Copenhague furent sous les armes depuis le matin jusqu'au soir, ils estoient tous habillez & parez, s'envy l'un de l'autre. Dés que la Princesse entra dans la Ville, elle fut saluée du bruit de trois cens quatre vingt pieces de canon de dessus les remparts & de la Flote, & la Ceremonie finie, on fit encore une triple salve de dessus les Fregates que l'on fit monter pour cet effet dans le Canal devant le Chasteau, & ainsi finit la premiere soirée. Le lendemain 16. la Bourgeoisie fut passée en revûë & exercée sur la Place du Chasteau, en presence du Roy & de toute sa Maison ; ce qui se fit avec beaucoup de pompe. On se mit ensuite à table, & un peu aprés que le repas fut finy, on fit joüer devant le Chasteau un Feu d'artifice, des plus beaux qu'on eust veus depuis longtemps, & qui eut tout le succez imaginable. De là on passa à la Comedie, & puis à un Bal tres magnifique. Le mesme jour, le Roy honora du caractère de Conseiller Privé, dix personnes d'un mérite distingué ; qui sont, Mr Knuth, premier Gentilhomme de la Chambre du Roy, Mr Knuts, Gouverneur de Friderichsbourg, Mr Krabé, Gouverneur de Seeland, Mr Meyercroon, Envoyé Extraordinaire à la Cour de France, Mr Gabel, Chambellan de Sa Majesté, Mr Ablefelds, Grand Chambellan de Son Altesse Royale, Mr Greismar, Grand Maistre d'Hostel de la Maison de la Reine, Mr Moth, Premier Secretaire d'Estat, Mr Harboe, premier Secretaire d'Estat, & Mr Jesse. Pour ce qui est des divertissemens, comme ils ne sont pas encore tous finis, on n'en pourra mander les particularitez que par l'ordinaire prochain. Presentement il suffit de dire qu'on ne sçauroit dépeindre ny exprimer la joye & la satisfaction que cette alliance a causée, soit du costé des illustres Mariez, soit parmy le Public. Je ne dois pas oublier icy que le jour de l'entrée, tous les Bourgeois furent rangez en double haye, depuis le ruë du Nord jusques à la Place du Chasteau. Le vieux Marché & celuy qu'on nomme Amacker, furent occupez chacun d'un Bataillon du Regiment du Comte de Schak. Les Mariniers du Prince Frideric avec le Regiment de Seelandz, furent postez sur la Place Royale. Quant à la Garde du Roy, elle estoit devant le Chasteau & le Holm. Tout estant ainsi disposé, à trois heures aprés midy, une salve de cent cinquante pieces de canon fut le signal de l'arrivée du Cortège de l'Illustre Epouse, laquelle on fit descendre hors de la Ville, & passer sous une tente qu'on avoit dressée exprés pour la regaler avec toutes sortes de confitures exquises, & pour luy faire voir en mesme temps le train du Cortége qui passa devant elle de la maniere suivante.

À la teste marchoit une Compagnie de Cavalerie, suivie d'un Ecuyer, de soixante dix couples de chevaux de main, & d'autant de carosses à six chevaux, precedez & entourez de gens de livrées tres bien équippez. Ensuite vinrent les chevaux de main des Comtes du Royaume, & leurs carosses, avec leurs Ecuyers & Maistres d'Hostel. Tout cela se termina par un Regiment de Cavalerie. À quelque distance de là on vit avancer douze Trompettes avec les Timballes du Roy, suivis d'un Escadron de la Garde du Corps de Sa Majesté, & de douze chevaux de parade, tous superbement enharnachez & couverts de housses de velours de couleur de pourpre, garnies d'or, à la suite desquels marcherent vingt quatre chevaux de main, dont les ornemens estoient encore plus riches, & qui estoient conduits par deux Ecuyers tres-bien équippez. On fit marcher devant ceux cy les vingt quatre Pages du Roy, avec leur Gouverneur. Immediatement aprés, suivoit l'Ecuyer de L'Academie Royale, accompagné de vingt-quatre Academistes. Ensuite passérent douze carosses du Roy remplis en partie de Dames & de Cavaliers, suivis des livrées des Ministres & Officiers de la Cour, apres lesquels parurent les Gentilshommes de la Cour, dans un équipage magnifique, & puis le grand Chambellan & le Mareschal de Son Altesse Royale, tenant à la main le Baston de Mareschal. Aprés luy marchoit Son Altesse Royale montée sur un tres beau cheval blanc entouré de quantité de Trabans. Il passa devant le carosse où estoit son Illustre Epouse, avec Madame sa Sœur la Princesse Royale, & la Princesse de Hambourg. Quelques Gentilshommes marchoient ayprés du carosse, la teste nuë, & aux deux costez il y avoit plusieurs Trabans. À la fin parut le General-Lieutenant Pless, avec toute la Garde du Roy à cheval, qui finissoit le train du Cortège. La Ceremonie se fit par le Confesseur du Roy, & pendant toutes ces Festes on marchoit sur du drap rouge, depuis la Place du Chasteau jusques à la Salle des Chevaliers. Il n'y eut à la table du Roy que neuf personnes, qui furent servies par les premiers Ministres de la Cour.

[Madrigal sur le Portrait de M. Fagon] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 137-139.

Je vous envoyay le mois passé, des Vers Latins de Mr de Santeul, & une Imitation en Vers François sur le Portrait de Mr Fagon. En voicy d’autres encore avec un Madrigal.

Entre cent Medecins en sçavoir excellens,
Celuy-cy que le Roy choisit pour son usage,
Dés longtemps du Public pour ses rares talens
 Avoit obtenu le suffrage.
Quelle distinction ! quel merveilleux éclat
 Répandra-t-elle sur sa vie,
 Puis qu’un même choix luy confie
Et le salut du Prince, & celuy de l’Etat ?

POUR LE MESME.
MADRIGAL.

Le puissant Dieu des Vers & de la Medecine
En faveur de Loüis nous fait part de ses dons.
Pour chanter ses Exploits s’il m’inspire des sons,
A conserver ses jours Apollon te destine.
Mais que nostre partage a peu d’égalité !
 Et que mon nom seroit vanté
 Parmy les Filles de memoire,
 Si je travaillois pour sa gloire
 Comme tu fais pour sa santé !

Ritornelle §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 139-145.Le texte figure sous le titre de Ritornelle dans les Oeuvres posthumes de Senecé (E. Chasles, Paris, 1855, p. 289-292).

Je vous envoye une Ritornelle, que non seulement vous chanterez avec plaisir, parce qu’elle a esté mise en air par un tres-habile Musicien, mais dont vous trouverez toutes les paroles fort agreables. Il y a plusieurs couplets, dont le stile aisé & naturel vous fera connoistre qu’ils partent de source, & que l’Auteur a un talent tout particulier pour la Poësie.

RITORNELLE.

L’Air doit regarder les pages 140. & 328.
Un soir dans une grotte obscure,
Où d’un ruisseau le cours secret
Accompagnoit de son murmure,
Les plaintes d’un Amant discret ;
Tircis à l’objet qui l’engage
Recommençoit cette chanson,
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Lors que l’excés de ma souffrance
Me rend inquiet & rêveur,
Tu fais voler mon esperance
Sur les ailes de ta faveur.
Aprés tu m’abas le courage
Par des rigueurs hors de saison.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Quand sur ma Musette plaintive
Je chante quelque air langoureux,
Je vois ton oreille attentive
À mes préceptes amoureux.
Si je veux les mettre en usage,
Tu deviens sourde à ma leçon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
De fleurs fraîchement amassées
Quand je te presente un bouquet,
Dans ton sein je les vois placées
D’un air complaisant & coquet.
Veux-je en faire un galant pillage ?
À peine j’en obtiens pardon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon,
***
De ma Sœur entre tes compagnes
Tu parois cherir l’entretien,
Et souvent parmy nos campagnes,
Ton Troupeau paist avec le sien :
Mais un pareil soin te ménage
Les Sœurs d’Ergaste & d’Alcidon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Piqué de quelque jalousie,
Si je te découvre mes maux,
Tu te ris de ma phrenesie,
Tu plaisantes de mes Rivaux.
Avec eux sous l’épais ombrage
Tu danses pourtant sans façon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Quelquefois par un trait de flame
Tes yeux aux miens font entrevoir
Qu’Amour, qui captive mon ame,
Te tient aussi sous son pouvoir :
Si j’en veux un baiser pour gage,
Je n’en puis obtenir le don.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Pour me prouver toute la force
Du trait dont ton cœur est blessé,
Tu graves sur la tendre écorce
Mon Chiffre au tien entrelacé :
Mais soudain d’une main volage
Tu veux l’effacer sans raison.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Ingrat, interrompt la Bergere,
Avant qu’il fust prest d’achever,
Est-ce veritable colere,
Ou la feins-tu pour m’éprouver ?
Je t’aime, & tu le sçais : sois sage,
Chasse un injurieux soupçon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Répandant des pleurs d’allegresse,
Tircis interdit & perclus,
Baise la main de sa Maistresse,
Et n’ose tenter rien de plus.
Le feu d’amour monte au visage,
Et de la Fille & du Garçon.
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Un Faune habitant de cet antre,
Qui les regardoit par un trou,
Couchè tout à plat sur le ventre,
S’en mit à rire comme un fou,
D’une voix moqueuse & sauvage
Redisant sur le mesme ton,
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
***
Cette histoire par la contrée
Se répandit en peu de temps,
Et du galant pays d’Astrêe
Réjoüit fort les Habitans :
Tous y chantoient dans leur Village,
Menant paistre chevre & mouton,
C’en est trop, si c’est badinage,
Et trop peu, si c’est tout de bon.
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[Reception de M. Dacier à l’Académie] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 204-223.

Le Jeudy 29. du mois passé, Mr Dacier, connu par tant d’excellentes Traductions des Ouvrages de nos meilleurs Auteurs Grecs & Latins, accompagnées de sçavantes notes, fut reçû à l’Academie Françoise, à la place de feu Mr l’Archevesque de Paris. Aprés avoir marqué sa reconnoissance à ce Corps illustre, par des termes qui faisoient connoistre à quel point il estimoit la grace qu’il avoit reçue, il dit que le grand Armand de Richelieu, qui faisoit mouvoir avec tant de force & d’adresse tous les ressorts de l’Etat, sous Louis le Juste, persuadé qu’inutilement il auroit jetté les fondemens d’une Puissance superieure à toutes les autres, s’il ne luy asseuroit par les Lettres, seules capables d’éterniser la grandeur des Empires, une gloire qui ne pust jamais finir, avoit embrassé avec ardeur la Protection de l’Academie naissante, afin que comme la France avoit herité de la valeur des Grecs & des Romains, elle succedast aussi à leur éloquence, & qu’elle trouvast dans son sein des hommes capables de publier dignement ses grands Exploits ; que l’application de ce Ministre à calmer les orages que ce nouvel établissement avoit excitez, & son attention à perfectionner ses Regles & ses Statuts, étoient pour ce Corps, des Titres bien glorieux ; Mais, ajoûta-t-il, il fit davantage, il voulut Messieurs, animer tous vos desseins. Cette Ame remplie des idées immortelles, qui ont produit ce grand ouvrage de Politique, où tous les Etats pourroient puiser les regles d’un heureux gouvernement, & qui serviroit encore à nous conduire, si Dieu n’avoit mis sur nos testes un Genie superieur, qui dans l’art de regner ne peut avoir de Maistre que luy-mesme ; cette Ame incapable de s’occuper que de choses proportionnées à sa grandeur, devient l’ame de vostre Compagnie, & cet esprit qui, comme une Divinité, changeoit à son gré la face de l’Europe, travaille de concert avec vous à changer nostre langue & à la tirer du nombre des langues barbares, en la dépouillant de tout ce qu’elle avoit de bas & de rude, & en luy donnant de l’harmonie, de la force, de l’élegance, & de la Majesté. Il n’oublia pas l’Eloge de Mr le Chancelier, qui avoit eu l’avantage de succeder à ce premier Ange tutelaire de l’Academie, & ce qui estoit infiniment plus glorieux, de preparer les voyes au grand Prince qui aprés luy, avoit daigné l’honorer de sa Protection auguste, & la recevoir dans son Palais. Il parla de la perte qu’elle avoit faite de Mr l’Archevesque de Paris, que son merite & ses travaux avoient placé sur le Siege le plus important de ce Royaume. Il dit que la politesse de ce Prelat n’estoit pas une superficie sans profondeur, mais le dehors éclatant de plusieurs qualitez interieures également solides, veritables sources de la moderation, de l’affabilité, de l’humanité, des Graces, qui pour le rapprocher de ses inferieurs, cachoient ou temperoient sa Superiorité, & qui faisoient que ceux qui l’approchoient estoient toûjours contens de luy & d’eux-mesmes, & que sa douceur estoit accompagnée de toute la sage fermeté que donne une dignité si haute. Il ajoûta que les differens talens de la parole n’avoient jamais paru avec plus d’éclat que dans ses Discours publics, & dans ses Conferences particulieres ; qu’il plaisoit dans celles-cy par sa solidité & par la noble simplicité avec laquelle il expliquoit les plus grandes difficultez de la Theologie, & faisoit servir les lumieres des autres comme les siennes, à l’éclaircissement de la verité, sans opiniastreté, sans entestement, & sans envie ; que dans ses Discours publics il égaloit toujours la grandeur de son sujet avec une facilité si merveilleuse, qu’on ne pouvoit distinguer ses actions sur le champ, d’avec celles que la reflexion avoit travaillées, & qu’on trouvoit dans les unes comme dans les autres, la grace & la force, l’abondance & l’arrangement. Il parla de la force avec laquelle il avoit soutenu les interests de l’Eglise, ceux du Roy & de l’Etat dans neuf Assemblées du Clergé ausquelles il a eu l’avantage de presider, du service qu’il avoit rendu à l’Eglise en découvrant les illusions & le poison funeste d’une doctrine de tenebres, qui sappant les fondemens que la verité même a posez, jette les hommes dans un criminel abandon & dans une securité mortelle ; & enfin des sentimens de reconnoissance éternelle que devoit avoir l’Academie pour cet illustre Prelat, qui avoit obtenu pour elle la protection dont elle joüit, & qui a esté suivie de la glorieuse distinction qui l’égale en quelque maniere aux premieres Compagnies de ce Royaume. Il prit de là occasion de loüer le Roy, & dit que l’Eloquence estant fille de la verité, c’estoit la rendre digne de son origine, & la consacrer à son veritable usage que de l’employer à immortaliser la gloire de ce grand Prince. Jamais, poursuivit-il, on ne luy a donné d’objet plus digne d’elle qu’un Roy, qui est persuadé que les hommes ne sont grands qu’à mesure qu’ils sont justes, qui regarde la soumission qu’il a pour Dieu, comme la source & la borne de l’autorité qu’il a sur les hommes, & qui dans une puissance superieure est toujours lié par les loix & par la sagesse, dont les liens luy deviennent, comme parle un sage, une protection de force & une baze de vertu. Quel spectacle plus admirable, Messieurs, & plus digne de vos Eloges, pu’un homme dont Dieu a rempli l’ame de splendeurs, pour me servir de l’expression d’un grand Prophete, & qui estant le plus grand des Rois par sa naissance, par la dignité de sa Couronne, par ses victoires, par l’étenduë de ses Estats, est encore plus grand par les exemples qu’il donne. C’est luy qui remplissant tout le devoir d’un veritable Roy, qui est proprement le Ministre de Dieu, pour rendre heureux ses Peuples, a brisé les chaînes qu lioient une grande partie de ses Sujets, & a fait tomber une rosée de lumiere sur ceux qui estoient couchez dans les tenebres. Cent Peuples irritez de ses vertus si éclatantes, & conjurez pour le plus horrible des attentats, fondent sur ce Royaume avec un bruit effroyable, de tourbillon, de tempeste, & de feu. Louis le Grand soûtenu par le bras invisible qui a toûjours esté son bouclier & son azyle, s’oppose seul à cette foule d’Ennemis. A mesure que cette hydre croist, la force & le courage de ce Prince se multiplient. C’auroit esté un triomphe tres-glorieux de resister à tant de Puissances unies ; mais sa pieté obtient du Dieu des Armées des Victoires pleines de merveilles, qu’il n’attendoit pas de son bras. Mr Dacier s’étendit ensuite sur les esperances que nous devons concevoir d’une guerre, entreprise pour dissiper une Ligue injuste, pour proteger un Roy précipité du Trône, & pour assurer le triomphe de la Religion, & dit que plus cette Ligue s’efforçoit de ranimer son courage, pour avoir repris une seule de ses places, aprés sept années de mauvais succés, plus elle nous faisoit voir la fierté & l’assurance que nous devoient donner tous nos avantages.

Aprés que Mr Dacier eut achevé son Discours, Mr l’Abbé de Clerambault, alors Chancelier de l’Academie, luy répondit d’une maniere, qui fit connoître qu’il estoit tres-digne de se trouver à la teste de cette celebre Compagnie. Aprés avoir fait l’éloge de feu Mr l’Archevesque de Paris, dont la perte estoit également grande pour l’Academie & pour l’Eglise, il dit que si la sagesse du Prince avoit reparé pleinement celle de l’Eglise, pas le choix d’un sujet, dont le merite & la vertu ne luy laissoient rien mesme à souhaitter, on pouvoit dire que la perte de l’Academie n’estoit pas moins heureusement reparée par un Confrere aussi fameux dans les lettres que Mr Dacier, qui avoit esté formé au bon goût par les plus grands Maistres. Il parla de ses Traductions élegantes, de ses sçavantes Remarques, & de l’art merveilleux qu’il avoit trouvé de nous rendre faciles & aimables, ces Connoissances abstraites recueillies des Monumens de l’antiquité, ou renfermées jusqu’icy dans les Ecrits de quelques Sçavans obscurs. Heureux, dit-il, dans des Recherches si laborieuses d’avoir pour Compagne une Personne qui fait tant d’honneur à son sexe & à nostre siecle. Cet éloge fit plaisir à tout le monde. Et qui ne connoist pas le merite de l’illustre Madame Dacier. Mr l’Abbé de Clerambault ayant ensuite felicité ce nouveau Confrere de l’heureux engagement où il se trouvoit d’asseurer la perpetuité de son nom, en exerçant son éloquence sur un sujet veritablement digne d’elle ; Ce ne peut estre, continua-t-il, que Louis le Grand nostre Auguste Protecteur, si élevé au dessus des autres hommes, par le rare concours de tant de perfections ; & quoy que la grandeur, & s’il faut ainsi dire, l’immensité de la matiere, soit redoutable aux plus grands Maistres, soûtenuë neanmoins de cette longue habitude contractée par vos veilles avec tant de Heros, vous pourrez plus aisément instruire la posterité des merveilles de son regne. La parfaite connoissance de leurs differens caracteres, vous donnera lieu d’en tracer de plus vives images en sa personne & si la superiorité avec laquelle ce Prince possede toutes les vertus de ces grands Personnages, vous empesche de le faire connoistre avec assez d’exactitude ; ce sera du moins de la maniere la plus approchante de la verité. Ces deux Discours s’attirerent de grands applaudissemens d’une Assemblée fort nombreuse ; & je ne doute point que le peu que je vous en envoye en extrait, ne vous donne beaucoup d’envie de les voir dans toute leur estenduë. Ils se debitent chez le Sieur Coignard, Libraire de l’Academie, à la ruë Saint Jacques.

Le Hibou et les vautours. Fable §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 223-228.

Je vous envoye une Fable de Mr Diereville. Vous n’avez rien veu de sa façon qui ne vous ait pleu. Ainsi je ne puis douter que vous ne la lisiez avec plaisir.

LE HIBOU,
ET LES VAUTOURS.
FABLE.

 Dans un Hameau certain Hibou,
Né sous le Signe de Saturne,
Et qui ne voit le jour que par un trou,
Fut rencontré dans sa course nocturne,
Par deux Vautours d’un naturel filou.
 Cet Oiseau de mauvais augure
 Venoit de faire sa capture
 Dans les Villages d’alentour ;
Les deux Vautours cachez sous un toit de masure
L’attendoient à dessein de luy joüer un tour.
 La piece fut executée
 Ainsi qu’elle estoit concertée.
 Ces Vautours sont intelligens,
 Ils avoient sceu prendre le temps
 Que la nuit n’estoit pas trop brune,
 Et qu’aidez du clair de la Lune,
Et de mille autres feux encor plus éclatans,
 Le Hibou couroit la fortune
De ne pas échaper à leurs soins vigilans.
 Ils faisoient trop bien sentinelle,
 Le Hibou vient ; à son aspect
Les deux Vautours sur luy tombent d’un seul coup d’aile,
Et luy faisant sentir & la serre & le bec,
Ils le firent trembler d’une frayeur mortelle.
D’où viens-tu, dirent-ils, vilain Oiseau de nuit ?
 Ç’a, donne ta proye, & sans bruit,
 Sinon, gare une fin tragique.
 Le pauvre Hibou sans replique,
 Fait à l’instant ce qu’on luy dit.
 Ce n’est pas cependant sans peine,
 Mais les deux Vautours en haleine,
 De ce butin peu satisfaits,
 Recommençant sur nouveaux frais,
 Ne luy laissent pas une plume.
 Ah, quel excés de cruauté !
En hiver, c’est assez pour gagner un bon rume.
 Le Hibou dans sa nudité,
 De colere & de rage écume
 De se voir ainsi maltraité.
  Aprés un tel outrage,
  Il entend les Vautours
  Luy faire en leur langage
  À peu prés ce discours.
 Depuis longtemps dans ces retraites
 Te donnant des airs d’Epervier,
 Tu poursuis certaines Fauvettes
 Qui ne sont pas de ton gibier.
Toy qui n’es destiné que pour faire la chasse
 Aux rats, aux mulots, aux souris ;
 Vilain Hibou, de ton audace
 Tu viens de recevoir le prix.
Va dire à tes pareils ta funeste avanture.
À ces mots, les Vautours s’élancent dans les airs,
Et le Hibou confus d’un si honteux revers,
Cherche pour se cacher la premiere masure.
Il y trouve d’autres Oiseaux
À l’abry de l’âpre froidure,
Qui voyant sa sotte figure,
L’agassent par des cris nouveaux.
Alors chacun d’eux l’environne,
Mais aprés l’avoir bequeté,
Touchez de voir comme il frissonne,
De ses plumes chacun luy donne
De quoy couvrir la nudité
De sa hiboutique personne.
***
À voir les Vautours sans quartier
Plumer le Hibou de ma Fable,
Pour éviter un sort semblable,
Chacun doit faire son métier.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 229-254.

Il n’y a rien de plus extraordinaire que ce qui est arrivé depuis quelque temps à un Cavalier plein de merite, dans une des principales Villes du Royaume. Il sortoit d’une famille aussi noble qu’ancienne ; & il estoit né avec des inclinations qui répondoient à cet avantage. Comme rien ne contribuë tant à former l’esprit & les mœurs que les voyages, & que son pere luy avoit laissé assez de bien pour pouvoir fournir agreablement à cette dépense, il employa quatre ou cinq années à voir les Cours étrangeres ; & il en revint avec des manieres dégagées entierement des airs rudes & grossiers qu’on reproche à ceux qui ne sortent point de la Province. Tous ses Amis luy marquerent une grande joye de son retour, & il crut ne devoir songer qu’à joüir à l’avenir d’une vie tranquille. Son bon goût, la politesse & sa complaisance pour les Dames luy donnerent un accés facile chez toutes celles qui se distinguoient par quelque endroit. Quoy qu’il contast des douceurs à la pluspart, & qu’il en fust écouté avec plaisir, il ne laissa pas de les voir toutes assez indifferemment pendant plusieurs mois : mais enfin il estoit de sa destinée de perdre cette indifference. Son étoile l’entraîna chez une jeune personne d’une beauté vive, qu’il estoit fort difficile de voir, sans prendre pour elle les sentimens qu’inspire l’amour. Elle joignoit à une humeur des plus enjoüées une adresse merveilleuse pour se rendre aimable à ceux qu’elle vouloit engager ; & tout ce qu’elle disoit, estoit soûtenu d’un feu d’esprit, qui donnoit toûjours à la conversation un agrément incroyable. Aussi avoit-elle une grosse cour, qu’elle avoit grand soin de s’atirer, faisant consister sa gloire à se voir des adorateurs en grand nombre. Plus elle en avoit, plus elle applaudissoit à ses charmes ; & vous jugez bien qu’étant de ce caractere, & sçachant l’estime où le Cavalier estoit, elle eut grande attention à n’oublier rien pour s’asseurer sa conqueste. Elle y réussit admirablement, & le Cavalier charmé du progrés qu’il s’appercevoit que ses soins faisoient de jour en jour dans son cœur, devint en fort peu de temps le plus amoureux de tous les hommes. La Belle ravie de ce triomphe qui ne pouvoit que luy estre glorieux, tâcha de se mettre en estat d’en profiter par toutes les complaisances qui pouvoient flatter le Cavalier. Elle ne luy cachoit point qu’elle avoit pour luy les sentimens qu’un amour qui plaist doit faire naistre, & dés qu’il marquoit de la jalousie pour quelque Rival, ce Rival étoit aussi-tost sacrifié. Il n’y avoit rien de plus engageant que cette conduite, aussi en tira-t-elle un grand avantage, en disant au Cavalier, que son Pere demandoit qu’il s’expliquât, pour faire cesser les bruits qui couroient qu’elle n’avoit des yeux que pour luy, & que peut-estre il ne la voyoit que par en amusement qui ne devoit rien produire. Le Cavalier amoureux au dernier point, luy protesta qu’il n’avoit cherché à toucher son cœur que dans des veuës legitimes, qu’il estoit prest de luy en donner des marques, & que le plaisir de s’unir à elle par des liens que l’on ne pust rompre, seroit pour luy le bonheur suprême. La Belle luy dit cent choses flateuses, & ménagea si bien son esprit, que deux jours aprés elle l’obligea de se declarer avec son Pere. C’estoit un homme qui entendoit admirablement ses interests, & qui voyant le party avantageux pour sa Fille, chercha a conclure sans aucun retardement. Le Cavalier en montra beaucoup de joye ; mais il fut contraint de demander le délay d’un mois pour faire venir le consentement d’un Oncle dont il devoit heriter, & qui demeuroit dans une Province fort éloignée. Il se tenoit d’autant plus certain de l’obtenir, qu’ayant passé chez luy quelque temps au retour de ses voyages, cet Oncle l’avoit prié de ne point tarder à faire choix d’une femme, avec qui il pust s’assurer de vivre heureux. Le terme d’un mois parut long au Pere, & voulant avoir des asseurances précises, il ne l’accorda, qu’à condition qu’on signeroit toûjours des articles avec un dédit de dix mille francs. Le Cavalier consentit à tout. Les articles furent dressez & signez, & l’on arresta que l’on tiendroit la chose cachée, iusqu’à ce qu’on eust réponse de l’Oncle. Cependant l’attachement que le Cavalier avoir pour la Belle faisans bruit par tout, la pluspart des Dames qu’il continuoit de voir, luy firent une espece de raillerie sur le pouvoir qu’il donnoit sur luy à la beauté, puis qu’il rendoit tant de soins à la plus coquette de toutes les filles. Les Portraits desagreables que chacune luy en fit selon son genie, plus ou moins porté à découvrir ce qui est blâmable, blesserent sa délicatesse, mais il eut encore bien plus à souffrir quand on ajoûta tout d’une voix, qu’il ne falloit pas estre surpris qu’elle eût une grosse Cour ; qu’elle écoutoit sans aucune distinction de merite tous ceux qui luy en contoient ; que c’estoit un seur moyen pour avoir beaucoup d’Amans, mais que rarement on trouvoit par là un Epouseur, à moins que quelque Etourdy ne vinst donner dans le piege. Le Cavalier touché au vif du reproche, commença d’apprehender d’estre l’Etourdy qui s’estoit imprudemment laissé surprendre à l’éclat de la beauté. Il ouvrit les yeux sur sa conduite, & sa passion s’affoiblissant par le dépit de se voir la dupe d’un amour trop prompt & trop aveugle, il ne trouva plus la mesme personne qui luy avoit jusques la paru toute aimable. La complaisance qu’elle avoit de répondre avec enjoüement à tout ce qu’on luy disoit de flateur, luy fit une peine qu’on ne sçauroit exprimer. Il la voulut obliger à prendre un air serieux sur ces sortes de douceurs, qui ne devoient plus luy plaire, puis qu’elle s’estoit resoluë à se donner toute à luy ; & comme elle cherchoit à le mettre sur le pied d’un Mary commode, elle répondit que les femmes ne renonçoient jamais au plaisir d’estre loüées, & que luy-mesme il devoit s’en faire beaucoup, de voir qu’on la trouvast belle & toute brillante, puisque les éloges qu’elle recevoit, faisoient connoistre qu’il estoit d’un fort bon goust de l’avoir choisie pour Femme. D’ailleurs, elle prétendoit que le mariage seroit bien gesnant, si en prenant un Epoux, il falloit cesser de vivre agreablement avec ses amis. C’estoit s’avoüer coquette elle-mesme, que de laisser échapper ces sentimens, mais il y eut encore plus. Le Cavalier qui voulut approfondir sa conduite, apprit de divers endroits qu’elle avoit eu des galanteries secrettes, qui en mettant sa vertu en doute, avoient fait un tort irreparable à sa reputation. Elle avoit disparu tout d’un coup dans ces temps là, & son absence quelque couleur que l’on eût pû luy donner, estoit toûjours demeurée suspecte. Le Cavalier aimoit trop la gloire, pour vouloir encore écouter aprés cela l’amour aveugle qui l’avoit seduit. Il resolut de ne plus jamais songer à la Belle ; & le premier dessein qu’il forma, ce fut de voyager de nouveau, & de s’éloigner d’un lieu où il avoit pris un engagement qui luy faisoit honte ; mais le dédit des dix mille francs qu’il avoit signé, ne luy permit pas de l’executer. Il falloit sortir de cette affaire ; & ce n’estoit pas une chose aisée. L’embarras d’esprit où il se trouva, ayant donné quelque atteinte à sa santé, il fut obligé de garder la chambre pendant huit jours, pour quelques remedes. La Belle qui l’alla voir quelquefois, s’ennuyoit presque aussi-tost avec luy, rien n’estant moins de son goust que l’entretien d’un malade, & il sçavoit que loin que son mal la tinst inquiete, elle recevoit des visites agreables où elle exerçoit sa belle humeur. Cependant le temps s’avançoit toûjours, & le Cavalier avoit receu le consentement qu’on attendoit pour faire le mariage. Il s’épuisoit tous les jours à imaginer quelque moyen de le rompre ; & enfin rien ne luy parut plus seur pour cela, que de se faire croire accablé de dettes. Le remede estoit un peu violent, puisqu’il ne s’en pouvoit servir sans éclat ; mais enfin rien ne luy sembloit fâcheux pour se tirer du mauvais pas où il s’estoit mis. Il alla trouver le principal Juge de la Ville, qui estoit de ses amis, & de concert avec luy, il se rendit prisonnier. Le bruit courut par tout dés le lendemain qu’un creancier l’avoit fait arrester pour mille écus ; & que s’il ne donnoit ordre à le satisfaire promptement, il estoit à craindre qu’on ne le retinst pour des sommes plus considerables. La pluspart de ses amis qu’il avoit en fort grand nombre, s’empresserent à luy aller offrir le secours qui luy pouvoit estre necessaire. Vous jugez bien qu’il refusa tout, n’ayant en effet besoin de rien. La nouvelle de son emprisonnement fut un fort grand sujet de surprise pour le Pere de la Belle, qui s’alarma de ce qu’on disoit, & qui commença à se repentir de s’estre engagé avec un homme, dont les affaires pouvoient n’estre pas dans l’ordre. Il ne put se dispenser d’aller apprendre de luy ce qu’il falloit faire pour le mettre en liberté. Le Geolier qu’on avoit instruit, demanda en le voyant, s’il venoit empescher comme les autres, qu’on ne fist sortir le Cavalier, & dit que depuis le peu de temps qu’on l’avoit mis en sa garde, il avoit esté déja recommandé pour plus de dix mille écus. Quel coup assommant pour un homme qui croyoit avoir trouvé un Gendre qui le défaisoit heureusement d’une Fille, dont la garde commençoit à le lasser ! Le Cavalier ne s’expliqua point précisément avec luy sur ce qu’il pouvoit devoir à ses Creanciers ; il prétendit seulement qu’il y avoit beaucoup de difficultez à éclaircir sur toutes les sommes qu’ils luy demandoient, & témoigna estre resolu de demeurer plutost prisonnier toute sa vie, que de les payer, s’ils ne consentoient à luy en remettre une partie. Ce n’étoit pas là le compte du Pere. Il attendit encore quelques jours, & jugeant par les dettes que l’on découvroit du Cavalier, qu’il en avoit encore d’autres qui absorberoient la plus grande partie de son bien, il luy fit dire qu’il n’estoit pas raisonnable que les articles qu’ils avoient signez ensemble subsistassent au desavantage de sa fille, pour qui il s’offroit divers partis ; que la connoissance qu’on avoit du mauvais estat de ses affaires devoit suffire pour les rendre nuls, & qu’il seroit bien injuste, s’il prétendoit tirer avantage d’un dédit qui devoit estre sans force, quand le mariage dont il faisoit l’assurance, n’estoit plus faisable entr’eux. Le Cavalier qui ne souhaittoit rien tant que cette rupture, pour laquelle il auroit fait encore pis que de se mettre en prison, ne fit pas le difficile pour consentir à ce qu’on vouloit de luy. On observa les ceremonies accoûtumées, le Cavalier fut conduit entre deux Guichets, & un Notaire appellé, dressa un acte, par lequel tout ce que le Pere de la Belle avoit signé avec luy, fût declaré nul. On n’avoit point sçû jusques là qu’il y eust un engagement de mariage ; & on ne put s’empescher de dire en l’apprenant, que la disgrace du Cavalier ne luy étoit pas entierement desavantageuse, puis qu’elle le dégageoit du plus grand malheur que pust craindre un honneste-homme. La Belle qui n’avoit jamais aimé qu’elle mesme, se consola aisément de l’avanture avec ses autres Amans. Elle demandoit en plaisantant, si elle n’estoit point obligée d’aller quelquefois tenir compagnie au Cavalier, qui selon les apparences, s’ennuyeroit longtemps dans le lieu où il étoit ; & ce ne fut pas un petit sujet d’étonnement pour elle & son Pere, d’apprendre deux jours aprés qu’il estoit en liberté. Ses amis ravis de le voir tiré d’affaires, lui demanderent comment il avoit pû en sortir si tost. Il répondit en riant, sans vouloir rien dire davantage, qu’il n’avoit que d’honnestes Creanciers, qui l’avoient laissé aller sur sa parole, & que si jamais il s’avisoit de se vouloir marier, il conseilloit à ceux qui y prendroient interest, de s’informer plus à fond de l’état de ses affaires. Cependant il eut beau cacher la verité de l’histoire, on la devina, sur ce que les prétendus Creanciers ne se nommoient point, & qu’il s’estoit trouvé libre, si tost que le dédit des dix mille francs n’avoit plus esté à craindre pour luy. On fit plusieurs contes qui ne furent pas agreables pour la Belle ; & l’on dit tout haut, qu’il n’y auroit point à balancer, s’il falloit choisir entre une prison perpetuelle, & le malheur d’avoir à passer sa vie avec la plus grande des Coquettes.

[Réjouissances & harangues faites pour la naissance de M. le Prince de Dombes] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 255-268.

Je vous ay déja parlé de quelques réjoüissances faites pour la naissance de Mr le Prince de Dombes. La Ville de Thoissis n’a pas oublié de marquer son zele sur cette naissance. Mrs de Ville firent élever un Feu de joye, qui attira un nombre infiny de peuple des environs le 21. du mois passé. L’édifice de ce feu representoit le Temple de la Gloire, dont la Statuë étoit à l’entrée. Elle tenoit par la main un petit Enfant revestu d’une robe royale, & luy montroit dans ce Temple la place qu’il y devoit occuper un jour. L’Architrave estoit d’un Ordre Composite, & sur le fronton on lisoit ces Vers.

Sans estre prévenu pour ce jeune Heros,
Qui promet à la Dombe un éternel repos,
Il sera sans égal dans la paix, dans la guerre.
Il servira d’exemple aux Princes de la terre.
On le verra paré de ces traits glorieux,
Qui tracent en luy seul son Pere & ses Ayeux,
Les foudres à la main, suivi de la Victoire,
S’en aller à grands pas au Temple de la Gloire.

Le même jour, le Principal & les Aggregez du College de la même Ville, firent joüer un feu d’artifice, qui eut un fort grand succés. Au milieu de la façade de ce College, estoit un globe de feu, de deux pieds de diamettre, representant le Soleil dans un mouvement continuel, avec un tres-grand nombre de rayons, tous fort brillans, chacun de plus de trois pieds d’étenduë. Au dessous étoient trois Vers latins, écrits en caractere de demi pied dans un cartouche, dont les lettres paroissoient d’or, à la faveur de quantité de lumiere qui estoient derriere le cartouche, avec ces quatre lettres au dessus des Vers, D.C.V.S. Dombasum Collegii votum solemne.

D.C.V.S.

Vive Pater, puerumque tuum virtutibus imple.
Cresce Puer, patremque tuum virtutibus æqua.
Vivite, & è nostris vestros Deus augeat annos.

Les corniches, tablettes des fenestres, & les cordons de chaque étage, & de la Tour de l’Horloge, qui est en face du College, estoient ornées de lampes ardentes, entre-lassées de fleurs de lis d’or, & des Armes du Prince. A l’entrée du College estoit une grotte ornée de rocaille, de mousse & de buis, d’où sortoit une fontaine de vin, qui jettoit de la hauteur de huit pieds, & retomboit dans un bassin, où le Peuple venoit boire, avec ces deux Vers latins.

Plaudite nascenti, juvenes, & quotquot adestis
Haurite, & madeant pectora vestra mero.

Au milieu de la Place qui est devant le College, estoit un corps d’Architecture de marbre feint, à trois faces de trente pieds de large, d’Ordre Dorique, qui soûtenoit une Piramide triangulaire de la hauteur de vingt pieds, qui faisoit avec le corps d’Architecture de dix-huit pieds de hauteur, posé sur un Socle d’un pied & demy, trente-neuf pieds & demy de haut. Chaque face representoit un Portique avec un attique au dessus. Les piedestaux, les frises, & les pilastres de l’attique paroissoient d’un marbre de couleur d’agathe, & les colomnes d’un marbre couleur de feu. Les bases, & chapiteaux, impostes, & archivoltes estoient de marbre blanc. La frise estoit ornée de ses triglyphes, & les metopes contenoient en bas relief des lampes ardentes, cassolettes, basles à feu, & autres ornemens semblables. L’attique renfermoit une table de marbre blanc couchée en panneaux, & au dessus de l’attique s’élevoit la Piramide triangulaire, en forme d’obelisque, terminée par le globe du monde. Au devant des faces de l’obelisque, estoient trois Statuës isolées de grandeur colossale. Au dessous du globe qui terminoit l’obelisque, estoient plusieurs lances à feu qui éclairoient ce globe, avec ces mots, qui marquoient que le jeune Prince sera un jour par ses actions heroïques, l’ornement & la gloire du monde. Splendor novus additus orbi. L’obelisque estoit garni de lances à feu, de saucissons, & de fusées de toutes sortes, qui en faisant leur effet representoient une piramide toute en feu. La premiere faisant face au College, representoit Minerve avec une lance & un bouclier, & ces Vers en faveur du jeune Prince.

Dombe, réjoüis toy, dans l’agreable attente
De voir ton jeune Prince instruit dans les beaux Arts
En sagesse, en prudence, égaler les Cesars,
Et surpasser tous ceux que l’Antiquité vante.

La seconde representoit Hercule combattant une hydre, & à son costé paroissoit un jeune Enfant, revestu d’une robe royale, tirant la peau d’un Lion dont Hercule estoit couvert, pour s’en couvrir luy-même, avec ces Vers.

Cet Enfant du berceau veut aller à la gloire.
Bien tost on le verra parmy les grands Guerriers,
Au milieu des hazards cueillir tant de lauriers,
Qu’en son siecle, il sera l’Hercule de l’Histoire.

La troisiéme representoit Vulcain dans sa caverne, forgeant des armes, tenant d’une main son marteau, & de l’autre une foudre sur l’enclume, avec ces Vers.

La foudre que je forge à ce Prince doit plaire,
Rien ne pourra borner sa guerriere chaleur,
Et si de ses Ayeux il y joint la valeur,
Il en usera plus, que l’on n’en pourra faire.

Sur la corniche de chaque portique estoit une devise. La premiere representoit l’Etoile du matin, avec ces mots, Splendet ab ortu, pour marquer que Mr le Prince de Dombes brille des sa naissance. La seconde representoit le Sagittaire, avec ces mots, Ad prælia natus, pour faire connoistre que ce jeune Prince estant né sous ce signe, il sera grand guerrier. La troisiéme representoit une main avec une épée, & ces mots, Ipsum verebitur hostis. Chaque Statuë étoit garnie de lances à feu dans les endroits propres ; & avoit derriere soy une quaisse de vingt fusées, avec quantité de saucissons au bas. Dans le Globe du monde terminant la piramide, estoit un pot à feu, & sur les trois angles des attiques, estoient d’autres pots à feu qui formoient une espece d’acrotere, avec un vase à lampe ardente. Tout le reste de l’entablement estoit garny de demy pied en demy pied, tant sur la corniche, que sur l’architrave, de lances à feu, chacune accompagnée de deux saucissons, & au milieu de chaque, frise une girandole à neuf fusées ; les dedans des portiques estoient remplis de petards, de saucissons & autres feux artificiels qui terminerent le feu d’artifice. Cent cinquante fusées furent jettées à la main, les unes à pluye d’or, les autres à étoiles, & les autres en serpenteaux, & un dragon aux armes du Prince, partit du College pour mettre le feu à la machine.

[Air nouveau sur les paroles de la Ritornelle]* §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 328.Le texte figure sous le titre de Ritornelle dans les Oeuvres posthumes de Senecé (E. Chasles, Paris, 1855, p. 289-292).

Les paroles de la Ritornelle que j'ay employée dans cette Lettre, & qui commence par

Un soir dans une grotte obscure, L’Air doit regarder les pages 140. & 328.

ont esté trouvées si agreables, qu'un second Musicien des plus habiles que nous ayons a voulu aussi les mettre en air. Ainsi je vous les envoye notées de sa composition, afin que vous ayez le plaisir de juger du genie de l'un & de l'autre, par la difference de leurs caracteres.

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[Livres nouveaux] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 328-332.

 

Nous sommes dans un temps où les Muses aiment à se familiariser avec les Dames. Il est aisé de le voir par le Recueïl de Poësies galantes que Madame de Sainctonge vient de nous donner. Le premier Ouvrage de cet excellent Recueïl est le Ballet des Saisons, qui servi d'idée à celuy qu'on a fait paroistre à l'Opera, depuis peu de temps. Si on s'étoit servi de ses Vers, ils n'auroient sans doute fait qu'en augmenter la beauté, puis qu'ils sont aisez, naturels, & tres-chantans. Tout ce qu'on y lit ensuite, Idilles, Elegies, Madrigaux, Epigrammes & Chansons, est du mesme caractere, & marque la fecondité & la delicatesse du genie de cette Dame, qui fait beaucoup d'honneur à son Sexe. C'est d'elle que sont les Opera de Didon, & de Circé, qui ont attiré si longtemps la foule. Il ne faut pas s'étonner qu'elle ait de si beaux talens, puis qu'elle est Fille d'une Mere, qui est tout esprit. L'Arioste Moderne, & plusieurs autres ouvrages, qui ont tous esté reçûs tres-favorablement du Public, en sont une preuve. Les Poesies galantes de Madame de Sainctonge, se debitent chez le Sr Jean Guignard, Libraire, à l'entrée de la grande Salle du Palais.

Il y avoit plus de soixante ans qu’on n’avoit eu aucune Traduction de la Vie de Guzman d’Alfarache, Original Espagnol, universellement estimé. Il vient d’en paroistre une nouvelle que les Curieux pourront lire avec plaisir. Elle est divisée en trois tomes, & chaque tome est embelly de figures. Ce n’est que la vie d’un Gueux, mais ce Gueux sçait raisonner, & debite une Morale qui ne peut estre que fort utile. Mathieu Alleman, qui en est l’Auteur, n’a eu en vûe que le bien public. Les Enfans apprendront dans cette histoire combien ils sont obligez à leurs Parens, qui en prenant soin de leur éducation, leur montrent de quelle maniere ils doivent se gouverner dans le monde, & les Peres y apprendront à leur tour l’application qu’ils doivent avoir à détourner leurs Enfans de l’oisiveté, qui les fait tomber dans toutes sortes de vices, quand on neglige de cultiver leur esprit, & qu’on les abandonne trop à leur panchant. Je n’ay rien a vous dire du Traducteur qui m’est inconnu, sinon que son stile est naturel, & proportionné à la matiere qu’il traite. Ce livre se vend dans la grande Salle du Palais, chez le sieur Brunet Libraire, qui debite presentement la pluspart des plus agreables nouveautez.

[Divertissements publics]* §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 333.

Jamais la foule n'a esté si grande aux divertissemens publics que depuis que l'hyver a commencé. Les trois Theatres ont toûjours esté remplis, & l'Opera de Jason a succedé au Balet des Saisons. La Musique de l'un & de l'autre, est de Mr Colasse, excepté les airs de Violon du Ballet des Saisons, qui sont des anciens Ballets de feu Mr de Lully, & qui ont esté faits avant l'establissement de l'Opera. La Foire de Saint Germain a paru à l'envy sur le Theatre François, & sur celuy des Italiens. Son Altesse Royale Monsieur a donné deux Bals avec toute la magnificence qui accompagne toujours tout ce que fait ce Prince. Monseigneur s'est rendu au Palais Royal, pour prendre ce divertissement, & la foule des Masques a esté tres-grande.

[Nouveaux Bouts-rimez des Lanternistes] §

Mercure galant, janvier 1696 [tome 1], p. 333-335.

J’attens à chaque moment ce qui aura esté décidé touchant le prix qui doit estre donné au meilleur Sonnet fait sur le Bouts-rimez qui ont esté proposez, il y a trois mois à la gloire de Madame la Princesse de Conty. Comme les Juges sont d’une distinction, à ne pouvoir estre pressez, vous ne trouverez ce Sonnet victorieux que dans ma Lettre de Février.

Je vous apprendray cependant que la celebre Compagnie des Lanternistes de Toulouse, continuant à proposer tous les ans des rimes à remplir à la gloire de Sa Majesté, a marqué celles-cy pour cette année dans le Programme qu’elle a fait imprimer sur ce sujet.

Sublime, Candeur, Splendeur, Anime,
Crime, Ardeur, Grandeur, Victime,
Mutins, Destins, Etoufée,
Flots, Trophée, Complots.

Le Prix sera donné à la Saint Jean prochain, & ceux qui y prétendront auront soin d’accompagner leurs Sonnets d’une Priere pour le Roy, en quatre Vers, suivis d’une Sentence en latin, de mettre au bas de la page, leur pays & leur nom cachetez, ou dans une lettre separée, le tout sous la mesme envelope. Il faut que huit jours avant la distribution du Prix, les paquets soient rendus à leur adresse à Toulouse, chez Mr Seré à la Place de Roaix, & qu’ils soient francs de port, si on veut qu’ils soient reçûs.