1696

Mercure galant, février 1696 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1696 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1696 [tome 2]. §

[L’Anneau d’Horace à Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 7-12.

Je sçay, Madame, que tout ce qui vous parle du Roy, vous est agréable. C’est ce qui m’oblige à commencer cette Lettre par les Vers que vous allez lire. Ils sont de Mr de Betoulaud, qui les a intitulez, L’Anneau d’Horace, & il les a adressez à Mademoiselle de Scudery, en luy envoyant un Anneau d’or, dans lequel est enchassée une Agathe antique, où l’on voit le Portrait d’Auguste en relief.

 L’Aimable Courtisan d’Auguste,
Horace, dont la Lyre enchanta les humains,
 Portoit au doigt ce petit Buste
 Du plus grand de tous les Romains.
***
 Pour loüer ce Maistre du monde,
 Qui, l’honorant d’un si beau sort,
Luy fit sentir sa main en bienfaits si feconde,
 Ce Portrait l’inspiroit d’abord.
***
Mais, Sapho, si jadis cette puissante Image
Sceut l’échauffer d’un feu si charmant & si doux,
 À qui convient si bien qu’à vous
 Ce reste de son heritage ?
***
Les Graces, comme à luy, sur cent sujets divers
 Vous ouvrent leur noble carriere,
Et son ame en vos mains passe encor toute entiere,
Quand le nom de Loüis sur l’aile de vos Vers,
 Ainsi qu’en un char de lumiere,
 Vole aux deux bouts de l’Vnivers.
***
Que dis-je ? Horace même auroit manqué d’haleine,
 Et n’auroit pû vous imiter,
S’il eust eu comme vous sur les bords de la Seine
 Tant de miracles à chanter.
***
Qu’auroit-il dit de Mons, de Besançon, de l’Isle,
Et de tant d’Ennemis avec un bras d’Achille
Repoussez en tant de façons ?
Peut-estre qu’au milieu de ces riches moissons,
 Sa Muse impuissante & sterile
N’auroit pû luy fournir que de trop foibles sons.
***
Peut-estre que l’Anneau qui fit couler sa veine
Parmy tant de rayons n’auroit de rien servi,
Et que son œil surpris n’eust soutenu qu’à peine
 Les hauts faits qui l’auroient ravi.
***
Mais Loüis d’un regard fait cent fois plus qu’Auguste
 N’eust fait avec mille regards,
Sapho, quand vostre esprit & si vif & si juste
Sous des tas de Lauriers nous peint ce nouveau Mars.
***
 Pour moy, malgré ma longue absence,
Je croy revoir encor ce Heros de la France,
Quand mon zele à mes yeux retraçant ce Vainqueur,
Chaque instant offre à ma memoire
Le Portrait que toute sa gloire
A si bien gravé dans mon cœur.

[Réponse de Mlle de Scudery] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 12-14.

Voicy la Réponse que Mademoiselle de Scudery a faite à Mr de Betoulaud. Il est merveilleux que le nombre des années n’ait point alteré ce feu d’esprit admirable qu’on a veu toujours briller dans tout ce qui est party de sa Plume.

L’Anneau d’Horace est précieux,
Il plaist à tous les Curieux ;
Mais, Damon, l’oserois je dire ?
 J’eusse bien mieux aimé sa Lyre.
 Peut-estre me la cachez-vous,
 Et vous chantez d’un ton si doux,
 Si noble, si haut, & si juste,
 Un Heros bien plus grand qu’Auguste,
 Que j’ay sujet de soupçonner
 Que vous pouviez me la donner.
 Quoy qu’il en soit, je vous la laisse,
 Je n’aurois pas assez d’adresse
Pour en tirer un son charmant ;
 Mais je chanteray hardiment
 Que la verité toute pure,
 Sans ornement & sans figure,
Suffit pour faire voir que les Heros Romains
N’estoient prés de Loüis que des phantômes vains,
Et que le faux éclat de leurs vertus payennes
Est terny pour jamais par ses vertus Chrestiennes.
Quand il répand son ame aux pieds de nos Autels,
Il ne compte pour rien ses Lauriers immortels,
Et cette humilité, qui n’eut jamais d’exemple,
Luy fait bien plus d’honneur que n’auroit fait un Temple.

[Epistre en Vers] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 63-73.

Je vous envoye des Vers dont l’Auteur m’est inconnu. Ils sont si beaux, qu’il ne devroit pas affecter de se cacher.

EPITRE
À MADAME DE R.…

Eh quoy ? toujours fidelle à vôtre solitude,
Pretendez vous, Iris, vous nourrir de poison,
Et prodiguant des pleurs, qu’entretient l’habitude,
Souffrir que la douleur suffoque la raison ?
***
Depuis que vos beaux yeux par des torrens de larmes
Celebrent le trépas d’un Epoux si chery,
Nos champs que les hivers ont privez de leurs charmes,
Défigurez trois fois, ont trois fois refleury.
***
La Lune trente fois obscure & languissante
A repris dans son plein sa force & sa beauté,
Et les vents adoucis, à la mer mugissante
Ont redonné le calme & la tranquillité.
***
Vous seule à vos ennuis sans cesse abandonnée,
Vous suivez constamment l’erreur qui vous détruit,
Et des reflexions de la triste journée
Vous formez la terreur des songes de la nuit.
***
Croyez-vous que l’objet, dont vous pleurez l’absence,
Aime l’emportement de vostre cœur outré,
Que vostre desespoir vienne à sa connoissance,
Ou s’il peut y venir, qu’il vous en sçache gré ?
***
Les Morts sont des ingrats, malgré la foy promise,
À ses engagemens Mausole a bien manqué.
Ny dépense, ny soin de la sage Artemise
Du sejour de la paix ne l’ont point évoqué.
***
Celuy qui vous occupe, au soucy qui vous ronge
Laisse abreger vos jours sans en estre troublé ;
Ce sont soupirs perdus. Pensez-vous qu’il y songe,
Attentif au bonheur dont je le vois comblé ?
***
Mais s’il y reflechit, vostre douleur l’irrite,
Il luy seroit plus doux de se voir negligé.
S’il ne vous aime plus, sans doute il vous en quitte,
Et s’il vous aime encore, il en est affligé.
***
Un si long desespoir à la belle nature
Par mille endroits divers devient injurieux ;
Des plus aimables traits il change la figure,
Il efface le teint, il obscurcit les yeux.
***
L’ame plus que le corps s’en trouve endommagée,
Le jugement confus en est embarassé,
Des spectre : qu’il produit la memoire assiegée
Laisse l’esprit perclus, & le goust émoussé.
***
 C’est en vous conservant, que de vostre tendresse
Vous pouvez faire voir la force à vostre Epoux.
Il vit dans vostre cœur : chassez-en la tristesse,
Pour luy fort inutile, & nuisible pour vous.
***
Si vous veniez icy, nous ferions nôtre étude
De bannir vos soucis, d’instruire leur procés.
Vostre tranquille Sœur, de vostre inquietude,
Pourroit par son exemple adoucir les accés.
***
Sa belle ame en tout temps à soy-même semblable,
Fait fleurir dans sa cour, repos & liberté,
Et la riche Amalthée y répand sur sa table,
L’abondance & l’éclat, l’ordre & la propreté,
***
Dans ces longs promenoirs qu’un si bel Art varie,
Errans à l’avanture, exempts de passion,
Nous faisons succeder l’aimable rêverie
Aux douceurs que fournit la conversation.
***
On ne connoist icy ny regles, ny contrainte,
Ainsi que des momens nous y passons les jours :
Et si nous y formons quelque legere plainte,
C’est que pour nos plaisirs les soleils sont trop courts.
***
Lors que le blond Phœbus dans la mer d’Hesperie
Se plonge dans les flots où sa clarté perit,
En cercle autour du feu la fine raillerie,
Epanoüit le cœur & réveille l’esprit.
***
Tantost sur le bas stile, & volant terre à terre,
À parer aussi prompts, comme on l’est à porter,
Nous faisons l’un à l’autre une galante guerre,
Où chacun s’étudie à se déconcerter.
***
Tantost en nous joüant, & sans tirer l’épée,
Nous foudroyons la Ligue & par terre & par mer :
Nous ostons à Nassau la Couronne usurpée,
Heureux, si l’on le souffre estre encor Statouder.
***
Epuisez d’entretiens une guerre nouvelle,
Les Cartes à la main nous rend tous Ennemis.
Sur le moindre incident nous entrons en querelle,
Et le jeu terminé nous demeurons amis.
***
Fatiguez de plaisirs plus qu’assouvis encore,
Nous livrons au sommeil nos yeux appesantis ;
On dore dans de beaux lits au delà de l’Aurore,
Où les songes qu’on fait, sont des songes d’Atis.
***
Venez donc profiter du doux air qu’on respire,
Dans ce Palais charmant de graces ennobly
Où par mille agrémens que je ne puis décrire,
Nous passons sans mourir le consolant Oubli.
***
Je parle sçavamment de sa vertu magique.
Le croiriez-vous, Iris ? Dans ce charmant sejour,
Je perds tout souvenir du chagrin domestique,
Paris à ma memoire échape avec la Cour.
***
Venez, il est bien temps que de ce deüil trop ample
Vous exemptiez enfin vostre cœur desolé ;
Je vous pardonnerois, s’il estoit quelque exemple
D’un Mort, qu’on ait au jour par les pleurs rappellé.

La Belle au bois dormant, Conte. §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 74-117.

Quoy que les Contes des Fées & des Ogres semblent n’estre bons que pour les Enfans, je suis persuadé que la lecture de celuy que je vous envoye vous fera plaisir. Il est écrit d’une maniere agreable, & le stile convient parfaitement au sujet. On doit ce petit Ouvrage à la mesme personne qui a écrit l’histoire de la petite Marquise dont je vous fis part il y a un an, & qui fut si applaudie dans vostre Province.

LA BELLE
AU BOIS DORMANT.
CONTE.

Il estoit une fois un Roy & une Reine, qui estoient si fâchez de n’avoir point d’enfans, si fâchez, qu’on ne sçauroit dire. Ils allérent à toutes les eaux du monde, vœux, pelerinages, menuës devotions, tout fut mis en œuvre, & rien n’y faisoit. Enfin, pourtant, la Reine devint grosse, & accoucha d’une Fille. On fit un beau batême ; on donna pour Maraines à la petite Princesse, toutes les Fées qu’on put trouver dans le pays, (il s’en trouva sept) afin que chacune d’elles luy faisant un don, comme c’étoit la coutume des Fées en ce temps-là, la Princesse eust par ce moyen toutes les perfections imaginables Aprés les ceremonies du Batême, toute la Compagnie revint au Palais du Roy, où il y avoit un grand festin pour les Fées. On mit devant chacune d’elles, un couvert magnifique avec un étuy d’or massif, où il y avoit une cueïller, une fourchette & un couteau de fin or, garni de diamans & de rubis. Mais comme chacun prenoit sa place à table, on vit entrer une vieille Fée, qu’on n’avoit point priée de la feste, parce qu’il y avoit plus de cinquante ans qu’elle n’estoit sortie de la Tour, & qu’on la croyoit morte ou enchantée. Le Roy luy fit donner un couvert, mais il n’y eut pas moyen de luy donner un étuy d’or massif comme aux autres, parce qu’on n’en avoit fait faire que sept pour les sept Fées. La Vieille crut qu’on la méprisoit, & grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes Fées, qui se trouva auprés d’elle, l’entendit, & jugeant qu’elle pourroit donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, elle alla, dés qu’on fut sorty de table, se cacher derriere la tapisserie, afin de parler la derniere, & de pouvoir reparer autant qu’il luy seroit possible, le mal que la Vieille auroit fait.

Cependant les Fées commencérent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune luy donna pour don, qu’elle seroit la plus belle personne du monde ; celle d’aprés, qu’elle auroit de l’esprit comme un Ange ; la troisiéme, qu’elle auroit une grace admirable à tout ce qu’elle feroit ; la quatriéme, qu’elle danseroit parfaitement bien ; la cinquiéme, qu’elle chanteroit comme un Rossignol ; & la sixiéme, qu’elle jouëroit de toutes sortes d’instrumens dans la derniere perfection. Le rang de la vieille Fée estant venu, elle dit en branslant la teste, encore plus de dépit que de vieillesse que la Princesse se perceroit la main d’un fuseau, & qu’elle en mourroit. Ce terrible don fit fremir toute la compagnie, & il n’y eut personne qui ne pleurast. Dans ce moment, la jeune Fée sortit de derriere la tapisserie, & dit tout haut ces paroles. Rassurez vous, Roy, & vous Reine. Vostre Fille n’en mourra pas. Il est vray que je n’ay pas assez de puissance pour deffaire entierement ce que mon Ancienne a fait. La Princesse se percera la main d’un fuseau, mais au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil, qui durera cent ans, au bout desquels le Fils d’un Roy viendra la réveiller. Le Roy pour tâcher d’éviter le malheur annoncé par la vieille Fée, fit publier aussi-tost un Edit, qui deffendoit à toutes sortes de personnes de filer au fuseau, ny d’avoir de fuseaux chez soy, sous peine de la vie.

Au bout de quinze ou seize ans, le Roy & la Reine estant allez à une de leurs maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour dans le Chasteau, & montant de chambre en chambre, alla jusqu’au haut du donjon dans un petit galetas, où une bonne femme estoit seule à filer sa quenoüille. Cette bonne vieille n’avoit point oüi parler des deffenses que le Roy avoit faites. Que faites-vous là, ma bonne Femme, luy dit la Princesse ? Je file, ma belle Enfant, luy répondit la Vieille, qui ne la connoissoit pas. Ah que cela est joly ! reprit la Princesse. Comment faites-vous cela ? Donnez moy, que je voye si j’en ferois bien autant. Elle n’eut pas plutost pris le fuseau, que comme elle estoit fort vive, un peu étourdie, & que d’ailleurs l’arrest des Fées l’ordonnoit ainsi, elle s’en perça la main, & tomba évanoüie. La bonne Vieille bien embarassée, crie au secours. On vient de tous costez ; on jette de l’eau au visage de la Princesse ; on la délasse ; on luy frappe dans les mains ; on luy frotte les temples avec de l’eau de la Reine de Hongrie, mais rien ne la fait revenir. Alors le Roy qui estoit rentré dans le Palais, & qui monta aussitost au bruit, se souvint de la prediction des Fées, & jugeant fort prudemment, qu’il falloit bien que cela arrivast, puisque les Fées l’avoient dit, il fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais sur un lit en broderie d’or & d’argent. On eust dit d’un Ange, tant elle estoit belle, car son évanoüissement n’avoit point osté les couleurs vives de son teint ; ses jouës estoient incarnates & ses lévres comme du corail. Elle avoit seulement les yeux fermez, mais on l’entendoit respirer doucement, ce qui faisoit voir qu’elle n’estoit pas morte. Il ordonna qu’on la laissast dormir en repos, jusqu’à ce que son heure fust venuë. La bonne Fée, qui luy avoit sauvé la vie en la condamnant à dormir cent ans, estoit dans le Roiaume de Mataquin, à douze mille lieuës de là, lors que l’accident arriva à la Princesse, mais elle en fut avertie en un moment par un petit Nain, qui avoit des bottes de sept lieuës. C’estoit des bottes avec lesquelles on faisoit sept lieuës d’une seule enjambée. La Fée partit aussi-tost, & on la vit au bout d’une heure dans un char tout de feu traîné par des Dragons, descendre dans la cour du Chasteau. Le Roy luy alla presenter la main à la descente du Chariot. Elle approuva tout ce qu’il avoit fait, mais comme elle estoit grandement prévoyante, elle pensa que quand la Princesse viendroit à se reveiller, elle seroit bien embarassée toute seule dans ce vieux Chasteau. Qu’y avoit-il à faire ? quel expedient ? Elle en eut bien tost trouvé. Elle toucha de sa baguette tout ce qui étoit dans le Chasteau, hors le Roy & la Reine, Gouvernantes, Filles-d’honneur, Femmes de chambre, Gentils-hommes, Officiers, Maistres-d’Hostel, Cuisiniers, Marmitons, Galoppins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied. Elle toucha aussi tous les Chevaux qui estoient dans les écuries, avec les Palfreniers, les gros mâtins des basse-cours, & la petite Poufe, petite chienne de la Princesse, qui estoit auprés d’elle sur son lit. Dés qu’elle les eut touchez, ils s’endormirent tous, pour ne se réveiller qu’en mesme temps que leur Maistresse, afin d’estre tout prests à la servir, quand elle en auroit besoin. Les broches mesme qui estoient au feu toutes pleines de perdrix & de faisans, s’endormirent, & le feu aussi. Tout cela se fit en un moment. Les Fées n’étoient pas longues à leurs besognes. Alors le Roy & la Reine, après avoir baisé leur chere enfant, sans qu’elle s’éveillast, sortirent du Chasteau, & firent publier des deffenses à qui que soit au monde d’en approcher. Ces deffenses n’étoient pas necessaires, car il crut dans un quart-d’heure tout autour du Parc, une si grande quantité de grands arbres & de petits, de ronces & d’épines entrelassées les unes dans les autres, que beste ny homme n’y auroit pû passer ; en sorte qu’on ne voyoit plus que le haut des Tours du Chasteau, encore n’estoit-ce que de bien loin. On ne doute point que la Fée n’eust fait là un tour de son mestier, afin que la Princesse pendant qu’elle dormiroit, n’eust rien à craindre des curieux.

Au bout de cent ans, le Fils d’un Roy qui regnoit alors, & qui estoit d’une autre Famille que la Princesse endormie, estant allé à la Chasse de ce costé-là, demanda ce que c’estoit, que des tours qu’il voyoit au dessus d’un grand bois fort épais. Chacun luy répondit selon qu’il en avoit oüy parler. Les uns disoient que c’estoit un vieux Chasteau où il revenoit des Esprits ; les autres, que tous les Sorciers de la contrée y faisoient leur Sabat. La plus commune opinion estoit, qu’un Ogre y demeuroit, & que là il emportoit tous les enfans qu’il pouvoit prendre, pour les manger à son aise, & sans qu’on le pust suivre, ayant seul le pouvoir de se faire passage au travers du bois. Le Prince ne sçavoit qu’en croire, lors qu’un vieux Paysan prit la parole, & luy dit. Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que mon Pere m’a dit, qu’il y avoit dans ce Chasteau une Princesse, la plus belle qu’on pust voir, qu’elle y devoit dormir cent ans, & qu’elle seroit éveillée par le Fils d’un Roy, à qui elle estoit destinée, Le jeune Prince à ce discours se sentit tout de feu. Il crut sans balancer qu’il mettroit à fin une si belle avanture, & poussé par l’amour & par la gloire, il resolut de voir sur le champ ce qui en estoit. A peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces & ces épines s’écarterent d’elles mêmes pour le laisser passer. Il marcha vers le Chasteau, qu’il voyoit au bout d’une grande avenuë, où il entra ; mais ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avoit pû suivre, parce que les arbres s’estoient rapprochez dés qu’il avoit esté passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin. Un homme, jeune, Prince & amoureux, est toujours vaillant. Il entra dans une grande anticour, où tout ce qu’il vit d’abord estoit capable de le glacer de crainte. C’estoit un silence affreux ; l’image de la mort s’y presentoit par tout, & ce n’estoit que des corps étendus, hommes & animaux, qui paroissoient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné & à la face vermeille des Suisses, qu’ils n’estoient qu’endormis, & leurs tasses où il y avoit encore quelques gouttes de vin, montroient assez qu’ils s’estoient endormis en beuvant. Il passe une grande cour pavée de marbre. Il monte l’escalier, il entre dans la Salle des Gardes, qui estoient rangez en haye la carabine sur l’épaule, & ronflant de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes & de Dames qui dormoient tous, les uns debout, les autres assis. Enfin il entre dans une chambre toute dorée, où il vit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous costez, le plus beau spectacle qu’il eust jamais vû, une jeune personne qui paroissoit quinze ou seize ans, & dont l’éclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux & de divin. Il s’approcha en tremblant & en admirant, & se mit à genoux auprés d’elle.

Alors comme la fin de l’enchantement estoit venuë, la Princesse s’éveilla, & le regardant avec des yeux plus tendres qu’une premiere vûë ne sembloit le permettre. Est ce vous, mon Prince, luy dit-elle ? Vous vous estes bien fait attendre. Le Prince charmé de ces paroles, & encore plus de la maniere dont elles estoient dites, ne sçavoit comment luy témoigner sa joye & sa reconnoissance. Il l’assura qu’il l’aimoit plus que luy-même. Ses discours furent mal rangez ; ils en plurent davantage ; peu d’éloquence, beaucoup d’amour, avec cela on va bien loin. Il estoit plus embarassé qu’elle, & l’on ne doit pas s’en étonner. Elle avoit eu le temps de songer à ce qu’elle avoit à luy dire ; car il y a apparence (l’histoire n’en dit pourtant rien) que la bonne Fée, pendant un si long sommeil, luy procuroit le plaisir des songes agréables. Enfin il y avoit quatre heures qu’ils se parloient, & ils ne s’estoient pas encore dit la moitié de ce qu’ils avoient à se dire. Quoy, belle Princesse, luy disoit le Prince, en la regardant avec des yeux qui en disoient mille fois plus que ses paroles, quoy, les destins favorables m’ont fait naître pour vous servir ? Ces beaux yeux ne se sont ouverts que pour moy, & tous les Rois de la terre, avec toute leur puissance, n’auroient pû faire, ce que j’ay fait avec mon amour ? Ouy, mon cher Prince, luy répondit la Princesse, je sens bien à vostre vûë que nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est vous que je voyois, que j’entretenois, que j’aimois pendant mon sommeil. La Fée m’avoit rempli l’imagination de vostre image. Je sçavois bien, que celuy qui devoit me desenchanter, seroit plus beau que l’Amour, & qu’il m’aimeroit plus que luy-mesme, & dés que vous avez paru, je n’ay pas eu de peine à vous reconnoistre.

Cependant tout le Palais s’estoit réveillé en mesme temps que la Princesse. Chacun songeoit à faire sa charge, & comme ils n’estoient pas tous amoureux, ils mouroient de faim, il y avoit long-temps qu’ils n’avoient mangé. La Dame d’honneur, pressée comme les autres, s’impatientant, dit tout haut à la Princesse, que sa viande estoit servie. Le Prince aida à la Princesse à se lever. Elle estoit toute habillée, & fort magnifiquement, mais il se garda bien de luy dire, qu’elle estoit habillée comme ma mere grande & que son colet estoit monté. Elle n’en estoit pas moins belle. Ils passérent dans un Salon de miroirs, & y soupérent. Les Violons & Hautbois joüérent de vieilles pieces, mais excellentes, quoy qu’il y eust cent ans qu’on ne les joüast plus, & aprés soupé, sans perdre de temps, le premier Aumosnier les maria dans la Chapelle, & la Dame d’honneur leur tira le rideau. Ils dormirent peu. La Princesse n’en avoit pas grand besoin, & le Prince la quitta dés le matin pour retourner à la Ville, où le Roy son Pere devoit estre en peine de luy. Ce Prince luy dit qu’en chassant, il s’estoit perdu dans la Forest, & avoit couché dans la hute d’un Charbonnier, qui luy avoit fait manger du pain noir & du fromage. Le Roy son Pere, qui estoit bon homme, le crut, mais la Reine sa Mere n’en fut pas bien persuadée, & voyant qu’il alloit presque tous les jours à la chasse, & qu’il avoit toujours une raison en main pour s’excuser, quand il avoit couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu’il n’y eût quelque amourette. Elle luy dit plusieurs fois, pour le faire expliquer, qu’il falloit se contenter dans la vie, mais il n’osa jamais se fier à elle de son secret : il la craignoit, quoi qu’il l’aimast. Elle estoit de race Ogresse, & le Roy ne l’avoit épousée qu’à cause de son grand bien. On disoit mesme tout bas à la Cour, qu’elle avoit toutes les inclinations des Ogres, & qu’en voyant de petits enfans, elle avoit beaucoup de peine à se retenir de se jetter dessus. Ainsi le Prince ne luy voulut jamais rien dire. Il continua pendant deux ans à voir en secret sa chere Princesse, & l’aima toûjours de plus en plus. L’air de mystere luy conserva le goust d’une premiere passion, & toutes les douceurs de l’himen ne diminuerent point les impressemens de l’amour. Mais quand le Roy son Pere fut mort, & qu’il se vit le maistre, il declara publiquement son mariage, & alla en grande pompe querir la Reine sa femme dans son Chasteau. On luy fit une entrée magnifique dans la Ville capitale. Quelque temps aprés, le Roy alla faire la guerre à l’Empereur Cantalabute, son voisin. Il laissa la Regence du Royaume à la Reine sa Mere, & luy recommanda fort la jeune Reine, qu’il aimoit plus que jamais, depuis qu’elle luy avoit donné de beaux enfans, une Fille qu’on nommoit l’Aurore, & un Garçon, qu’on appelloit le Jour, à cause de leur extrême beauté.

Le Roy devoit estre à la guerre tout l’Este, & dés qu’il fut party, la Reine Mere envoya la jeune Reine & ses enfans, à une maison de Campagne dans les bois, pour y pouvoir assouvir plus aisément son horrible envie. Elle y alla quelques jours aprés, & dit un soir à son Maistre d’Hostel, Maistre Simon, je veux manger demain à mon disner la petite Aurore. Ah ! Madame, dit le Maistre d’Hostel. Je le veux, reprit elle d’un ton d’Ogresse, qui a envie de manger de la chair fraische. Ce pauvre homme voyant bien qu’il ne falloit pas se joüer à une Ogresse, prit son grand couteau, & monta à la chambre de la petite Aurore. Elle avoit quatre ans, & vint en sautant, en riant, se jetter à son col, & luy demander du bonbon. Il se mit à pleurer. Le couteau luy tomba des mains, & il alla dans la Basse-cour couper la gorge à un petit agneau, auquel il fit une si bonne sauce, que la méchante Reine l’assura qu’elle n’avoit jamais rien mangé de si bon. Il emporta en mesme temps la petite Aurore, & & il la donna à sa femme, pour la cacher dans le logement qu’elle avoit au fonds de la Basse-cour. Huit jours aprés la méchante Reine dit à son Maistre d’Hostel, Maître Simon, je veux manger demain le Jour. Il ne repliqua pas, resolu de la tromper comme la premiere fois. Il alla chercher le petit Jour, & le trouva avec un petit fleuret à la main, dont il faisoit des armes contre un gros Singe. Il n’avoit pourtant que trois ans. Il le porta à sa femme, qui le cacha avec la petite Aurore, & donna à sa place à la méchante Reine un petit Chevreau fort tendre, qu’elle trouva admirable.

Cela estoit fort bien allé jusques là, mais un soir cette méchante Reine cria d’un ton effroyable, Maistre Simon, Maistre Simon. Il alla aussi-tost, & elle luy dit : Je veux manger demain ma Bru. Ce fut alors que Maistre Simon desespera de la pouvoir encore tromper. La jeune Reine avoit vingt ans passez, sans compter les cent ans qu’elle avoit dormi. Sa peau estoit un peu dure, quoy que belle & blanche, & le moyen de trouver dans la Menagerie une Beste de cet âge-là ? Il prit donc la resolution, pour sauver sa vie, de couper la gorge à la Reine, & monta à sa chambre, dans l’intention de n’en point faire à deux fois. Il s’excitoit à la fureur, & entra le poignard à la main dans la chambre de la jeune Reine. Il ne voulut pourtant pas la surprendre, luy dit avec beaucoup de respect l’ordre qu’il avoit receu de la Reine-mere. Faites, faites, luy dit-elle en luy tendant le cou, executez l’ordre que l’on vous a donné. J’iray revoir mes enfans, mes pauvres enfans, que j’ay tant aimez. Elle les croyoit morts, depuis qu’on les avoit enlevez sans luy rien dire. Non, non, Madame, luy répondit le pauvre Maistre Simon tout attendri, vous ne mourrez point. Vous irez revoir vos chers enfans, mais ce sera chez moy où je les tiens cachez, & je tromperay encore la Reine, en luy faisant manger une jeune biche en vostre place. Il la mena aussi-tost à la chambre de sa Femme, où il la laissa embrasser ses enfans, & pleurer avec eux, & alla accommoder la biche, que l’Ogresse mangea à son soupé avec le même appetit que si ç’avoit esté la jeune Reine. Elle estoit bien contente de sa cruauté, & se préparoit à dire au Roy à son retour, que les Loups enragez avoient mangé la Reine sa femme & ses deux enfans. Un soir qu’elle rodoit à son ordinaire dans les cours & basse-cours du Chasteau, pour y halener quelque viande fraîche, elle entendit dans une Salle-basse, le petit Jour qui pleuroit, parce que la Reine sa mere le vouloit faire foüetter, à cause qu’il avoit esté méchant, & elle entendit aussi la petite Aurore qui demandoit pardon pour son petit Frere. L’Ogresse reconnut la voix de la Mere & des Enfans, & furieuse d’avoir esté trompée, elle commanda dés le lendemain au matin avec cette voix épouvantable qui faisoit trembler tout le monde, qu’on apportast au milieu de la cour une grande cuve, qu’elle fit remplir de crapaux, de viperes, de couleuvres & de serpens, pour y faire jetter la Reine & ses Enfans, Maistre Simon, sa Femme & sa Servante. Elle avoit donné l’ordre de les amener les mains liées derriere le dos. Ils estoient là, & les Bourreaux se préparoient à les jetter dans la cuve, lors que la jeune Reine demanda qu’au moins on luy laissast faire ses doleances, & l’Ogresse, toute méchante qu’elle estoit, le voulut bien. Helas ! helas ! s’écria la pauvre Princesse, faut-il mourir si jeune ? Il est vray qu’il y a assez longtemps que je suis au monde, mais j’ay dormi cent ans, & cela me devroit il estre compté ? Que diras tu, que feras-tu, pauvre Prince, quand tu reviendras, & que ton pauvre petit Jour, qui est si aimable, que ta petite Aurore, qui est si jolie, n’y seront plus pour t’embrasser, quand je n’y seray plus moy même ? Si je pleure, ce sont tes larmes que je verse, tu nous vangeras, peut-estre, helas ! sur toy même. Ouy, miserables, qui obeissez à une Ogresse, le Roy vous fera tous mourir à petit feu. L’Ogresse qui entendit ces paroles, qui passoient les doleances, transportée de rage s’écria, Bourreaux, qu’on m’obeisse, & qu’on jette dans la cuve cette causeuse. Ils s’approcherent aussi-tost de la Reine, & la prirent par ses robes ; mais dans ce moment, le Roy qu’on n’attendoit pas si-tost, entra dans la cour à cheval. Il estoit venu en poste, & demanda tout étonné ce que vouloit dire cet horrible spectacle. Personne n’osoit l’en instruire. quand l’Ogresse enragée de voir ce qu’elle voyoit, se jetta elle-même la teste la premiere dans la cuve, & fut devorée en un instant par les vilaines bestes qu’elle y avoit fait mettre. Le Roy ne laissa pas d’en estre fâché. Elle estoit sa Mere, mais il s’en consola bien-tost avec sa belle Reine & ses chers enfans.

 Attendre quelque temps pour avoir un Epoux
 Riche, vaillant, aimable & doux,
 La chose est assez naturelle ;
Mais l’attendre cent ans, & toujours endormant,
 On ne trouve plus de femelle
 Qui dorme si tranquillement.

Sur le tableau de l’Histoire de Suzanne §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 133-139.

Je vous ay déja envoyé une Lettre en Prose, sur l’excellent Tableau de Susanne, que Mr Coipel le Fils a fait depuis peu, & je vous envoye aujourd’huy un Ouvrage en Vers sur le même Tableau. Ce sont des Vers libres, qui ont esté admirez & recherchez de toute la Cour.

SUR LE TABLEAU
de l’Histoire de Suzanne.

Vous ne perirez point, adorable Innocence.
Que le jaloux Enfer lâchement conjuré,
Epuise contre vous l’effort desesperé
 De sa redoutable puissance ;
 Que la barbare violence,
 La calomnie, & la licence
Sous le masque des Loix s’arment pour sa vengeance ;
Que la triste Nature ait le cœur déchiré,
Sans pouvoir opposer la moindre resistance
 Contre l’orage preparé ;
Le Ciel, le juste Ciel, pour vous est declaré,
Vous ne perirez point, adorable Innocence.
***
D’infames Delateurs par l’âge respectez,
Ont accusé Susanne à son devoir fidelle,
 Et leurs mensonges concertez
Portent à son honneur une atteinte mortelle.
 Le Peuple animé d’un faux zele
Souleve avec fureur ses esprits irritez ;
Mille bras sont levez, & la pierre cruelle,
 Siffle de tous costez.
***
Qui peut la garantir de ce malheur étrange ?
Dèja, ses Ennemis paroissent triomphans,
Mais le Dieu d’Abraham se réveille, & la vange,
 Luy, qui des lévres des Enfans,
Tire quand il luy plaist sa sublime loüange.
Le jeune Daniel par son ordre excité,
 Va débroüiller la trame obscure,
Et faire succomber l’effroyable imposture
 Sous la brillante Verité.
***
Ranimez vos beaux yeux d’une vive esperance,
La Troupe des Vertus vole à vôtre deffense ;
 L’incorruptible Chasteté,
 Et l’inébranlable Constance
Conduisent fiérement le secours redouté.
Je vois déja pâlir la coupable Insolence ;
 Et la folle temerité.
Vous ne perirez point, adorable Innocence.
***
Des Vieillards, que le Ciel se dispose à punir,
L’Euphrate vous verra triompher sur ses rives,
Et les Livres Sacrez au fidelle Avenir
 Dans leurs immortelles Archives
 En garderont le souvenir.
***
Mais ce n’est point assez de vôtre sainte histoire,
 Pour nous retracer la memoire.
Il nous falloit encore un second Daniel,
Et le Ciel aujourd’huy suscite à vôtre gloire
 Le Pinceau du jeune Coypel.
***
Tout absout l’Heroïne en son charmant ouvrage
Pour qui sçait des couleurs entendre le langage :
 Les traits affreusement noircis
De ses Persecuteurs dans le crime endurcis
En conservont la sombre Image,
Et la jeune Beauté fait voir sur son visage
Qu’un cœur pur & sans tache, au milieu de l’orage,
 Est exempt de soucis.
La Troupe qui l’entoure en diverses manieres,
Concourt dans cette cause à donner des lumieres ;
Icy, c’est la Douleur, ou la Compassion,
 Là, le Mèpris, où l’Indignation.
Mais par un beau concert, l’Amour comme la Rage,
 La Haine, ou la Protection,
 La Tendresse, ou l’Aversion,
Tout absout l’Heroïne en ce charmant ouvrage.
***
Regnez, Chaste Suzanne, au milieu de Paris.
Jamais, à l’Art Romain pour disputer le prix
Le Poussin n’a fourny de plus riche matiere :
Pendant que la beauté du parfait Coloris,
Que du Dessein correct la grace singuliere,
 La force de l’Expression,
 Des Ombres, & de la Lumiere
 La noble Dispensation
 Chez les beaux Esprits de la France
Trouveront quelque attention,
Vous ne perirez point, adorable Innocence.

Epitre à Aristie §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 153-170.

Une Dame, dont la modestie répond à ses belles qualitez, a fourni la matiere de l’Epistre en Vers que je vous envoye. Elle est de Mr Soüart du Boulay, de Tours.

EPITRE A ARISTIE.

Jeune & chaste beauté, dont l’heureuse memoire
Du lieu de ta naissance enrichira l’Histoire,
Toy, que la main du Ciel juste dans ses desseins,
Forma pour meriter tous les vœux des humains,
Aristie, il est vray, dans ce profond silence,
Où m’arrestent pour toy la raison, la prudence,
Et fixent de mon cœur les plus ardens souhaits,
Ma Muse chaque jour pousse mille regrets.
Quoy (dit-elle en secret, en son ardeur d’écrire)
Sur un si beau sujet faut-il n’oser rien dire ?
Et que sur tant d’attraits, qui frappent tous les yeux,
Je ne puisse jetter qu’un œil respectueux ?
Quoy, tandis qu’à l’envy chacun icy publie,
Que rien n’est comparable aux charmes d’Aristie ;
Que je voy jusqu’aux Cieux élever sa beauté,
N’ay-je pas pour parler la mesme liberté ?
Parmy tous ces regrets où s’emporte ma Muse,
Un peu d’attention bien-tost la desabuse ;
La raison vient à l’aide, & luy fait concevoir,
Qu’un si hardy dessein surpasse son pouvoir ;
Que pour oser tracer un si parfait modelle,
C’est peu de sçavoir peindre, il faut estre un Apelle. a
 Ce n’est pas toutefois qu’aucune expresse loy
Deffende à mon esprit de s’exercer pour toy ;
Je sçay que si je veux, je puis dans quelque ouvrage
A la voix du public ajoûter mon suffrage.
Mais, dés mes premiers ans nourry sur l’Helicon,
Ce seroit imprimer une tache à mon nom,
Si l’on m’entendoit dire en langage ordinaire :
Aristie est charmante, elle est faite pour plaire.
Quel cœur pourroit jamais se défendre d’aimer
Cet objet que le Ciel prit plaisir à former ?
 Ainsi, remply pour toy de respect & d’estime,
Je n’ose pour le dire employer une rime.
Je ne veux point d’Icare éprouver les malheurs ;
Tu sçais que du Soleil affrontant les ardeurs,
Ce jeune temeraire élevé jusqu’aux nuës,
Aux dépens de ses jours vit ses ailes fonduës.
Son exemple est pour moy. Je n’ose te loüer,
En m’élevant si haut, je craindrois d’échoüer.
Je connois ma portée, & c’est-là mon excuse,
Je sçay les embarras où se verroit ma Muse,
S’il luy falloit tracer cette vive douceur,
Ce tour d’esprit aisé, cette noble pudeur,
Les traits de la vertu marquez sur ton visage,
De l’estime publique infaillible présage ;
S’il luy falloit icy, dans son zele emporté,
Benir l’ordre du Ciel, dont la sage équité
A permis que Damon disposast de sa fille,
En faveur de l’aîné d’une illustre famille ;
S’il falloit t’applaudir en termes éloquens,
Te prodiguer en vers un legitime encens,
Dépeindre au naturel ta candeur, ta franchise ;
Ce seroit pour ma Muse une vaine entreprise.
En vain dans ton portrait, pour te combler d’honneurs,
Je voudrois employer mes plus vives couleurs,
L’artifice pour toy seroit d’un foible usage.
Chacun en te voyant en conçoit davantage,
Et mon pinceau grossier, au lieu de t’embellir,
Touchant à tes attraits, les pourroit avilir.
 Mais je veux que du Ciel l’influence secrette,
Au gré de mes desirs, m’ait fait naître Poëte,
Et que pour te loüer je possede à la fois,
L’éloquence & l’esprit qu’on admire en Dubois. b
J’ignore sur ce point à quel party me rendre,
Si, quand je le pourrois, je devrois l’entreprendre.
Que sçay-je quel succés obtiendroient mes écrits ?
Si ton inimitié n’en seroit pas le prix ?
Irois-je impunément blesser ta modestie ?
Je m’en garderay bien Je sçay, belle Aristie,
Que bien tost je verrois éclater ton chagrin,
Si, m’offrant à tes yeux l’encensoir à la main,
Par un discours flateur dont tu haïs la fumée,
Je te parlois de toy comme la Renommée.
Ce que j’avance icy se peut justifier,
Sur la foy du Public j’ose le publier :
 Il est mille talens que possede Aristie,
 Et que vient à nos yeux cacher sa modestie,
Elle sçait tout, dit-on, sans se piquer de rien.
Voila sur ton sujet quel est son entretien.
Chaque jour, chaque instant, d’un recit si fidelle
Fait naistre à mes regards une preuve nouvelle ;
Non que je veüille icy vanter tous tes talens ;
Mais si j’osois parler de voix ou d’instrumens,
Sans beaucoup y resver, cette heureuse matiere,
Fourniroit à ma veine une vaste carriere ;
Je pourrois te dépeindre, en t’adjugeant le prix,
Telle dans ces climats qu’au milieu de Paris.
Ce siecle à vû briller l’incomparable Hilaire, c
En entonnant les airs que composoit son Frere, d
Et pour les instrumens, je dirois que ta main
Ne cede dans ces lieux qu’à celle de Doirin. e
Cependant, à te voir, humble dans ta science,
Affectant sur ce point un genereux silence,
A moins de le sçavoir, on ne peut présumer,
Que ta voix & ta main ont le don de charmer.
Telle est dés le berceau ta prudente maxime,
La loüange t’offense, & si je la supprime,
De ton inimitié mon cœur craint les effets,
Autant que de mes vers le malheureux succés.
Toutefois, si jamais tu veux par complaisance
Montrer pour qui te loüe un moment d’indulgence ;
Si tu daignes souffrir qu’on te parle de toy,
Cet excés de bonté doit rejallir sur moy.
J’en sçauray profiter sans me rendre incommode,
De ces lâches esprits je blâme la methode,
Qui prés d’un bel objet s’érigeant en conteurs,
Vont mandier le prix de leurs fades douceurs.
Pour moy je te loüeray par un motif contraire,
Mon zele le fera sans espoir de salaire :
Ton éloge à mon cœur offre un parfait plaisir,
Celuy de dire vray remplira mon desir.
Mais sur tout, mon esprit ennemy des querelles,
Sçaura de ses discours bannir les paralleles,
Je peindray ta beauté, sans arrester mes yeux
Sur mille objets charmans que je trouve en ces lieux.
Pour te donner sur eux une entiere victoire,
Peut-estre en ta faveur j’obscurcirois leur gloire,
Vainement je loüerois l’éclat de leurs vertus,
Mon zele prétendroit qu’Aristie en a plus,
Je vanterois la tienne avec tant d’avantage,
Que tout le Sexe entier en pourroit prendre ombrage.
On diroit que pour toy j’ay cherché ce détour,
Et qu’aux dépens d’autruy je veux faire ma cour.
Chacun l’imputeroit à l’ardeur de médire,
Et prendroit chaque mot pour un trait de Satyre.
Je n’en puis plus douter ; mille & mille raisons,
Ou plutost mes malheurs, confirment mes soupçons.
Chargé, quoy qu’innocent, de la haine publique,
Je dois plus que jamais user de politique.
Icy, l’un desolé, prétend que par mes vers
J’ay peint son caractere aux yeux de l’Univers.
Là, l’autre furieux se plaint que sans scrupule
Ma main pleine de fiel l’ait rendu ridicule,
Chacun fait dans ses yeux éclater son dépit,
Et je ne doute pas que, si par un Edit
Des combats singuliers, du meurtre & du carnage,
LOUIS dans ses Etats n’eust deffendu l’usage,
On ne me vist forcé de m’exercer dans l’art
Que j’ay pendant deux ans pratiqué sous Pillart, f
Ou qu’un coup concerté ne déchargeast la Ville
D’un Rimeur tel que moy plein de fiel & de bile.
Tel est mon triste sort. Je voy de toutes parts
Mille flots d’ennemis s’offrir à mes regards :
Par tout contre mes vers on éclate, on murmure,
Chacun croit avoir droit de vanger son injure.
Je suis, si je les crois, un Censeur odieux,
Et sur mon innocence on veut fermer les yeux.
Quelquefois il est vray, libre dans ses caprices,
Ma Muse hautement condamne certains vices :
Mais, quel sujet a-t-on pour se plaindre de moy ?
D’où vient que le Lecteur les veut prendre pour soy ?
À l’honneur de quelqu’un ay-je fait quelque outrage ?
De critiquer en vers ay-je introduit l’usage ?
Ay-je commis un crime en suivant Juvenal ?
Imiter ses pareils en est-ce un capital ?
Quand j’attaque un deffaut, se plaint-on que je nomme ?
Pourquoy deffendre à Tours ce qu’on souffroit à Rome ?
 Mais je ne forme icy que des vœux impuissans,
Je le vois, Aristie, il faut ceder au temps.
Sur les bords de la Loire, infortunez Poëtes,
Nos écrits malgré nous trouvent des Interpretes.
On blâme chaque trait qui part de nostre main,
Souvent c’est du nectar qu’on prend pour du venin.
Que j’écrive pour toy, de la mesme disgrace
Mon étoile funeste à jamais me menace,
Et mesme en ce moment j’en redoute l’effet,
Où ma main n’a qu’à peine ébauché ton portrait,
Je crains pour mon Epître, & peut-estre on va dire,
Que contre tout le Sexe il court une Satire :
Triste effet du destin irrité contre moy !
Ne peut-on estre aimable, & l’estre moins que toy ?
Quoy, parce que Venus, par l’équité d’un homme
Sur deux autres beautez a remporté la pomme,
A-t-on donc présumé que Junon & Pallas
Fussent à dédaigner, & n’eussent point d’appas ?
Pâris méprisa-t-il le pouvoir de leurs charmes ?
A-t-on vû contre luy tout un Peuple en alarmes ?
Mais ces vaines frayeurs ne peuvent rien sur moy,
Mon cœur ne cache point ce qu’il pense de toy.
Ouy, de quelque façon que le public me nomme,
Sur tout le Sexe entier je te donne la pomme,
Et je diray toujours sans vouloir l’insulter,
Que pour estre parfait il n’a qu’à t’imiter.
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[Fureteriana] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 187-188.

Les Livres de bons mots sont devenus extrémement à la mode, & aprés ceux qui ont pour titre, Soberiana & Menagiana, le Sr Thomas Guillain, qui a sa Boutique à la descente du Pont-neuf prés les Augustins, vient de donner au Public Fureteriana, ou les bons mots & Remarques de Mr Furetiere. Il avertit le Lecteur que ces Remarques ont esté trouvées dans ses Papiers aprés sa mort ; & que s’il y en a quelques-unes qui paroissent un peu negligées, cela vient de ce qu’on n’a pas voulu toucher à ce qu’avoit écrit un homme aussi connu que Mr de Furetiere, qui n’y avoit pas mis la derniere main. La lecture ne laisse pas d’en estre agreable, aussi bien que celle des Historiettes qu’on y a meslées, & qui, encore qu’un peu longues, sont assez plaisantes pour n’ennuyer pas.

[Ceremonies observées à la reception de Mr le Marquis de Dangeau, Grand Maistre de l'Ordre de S. Lazare, & de Nostre Dame de Mont Carmel] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 216-259.

 

Il y a si longtemps qu'on n'a fait une ceremonie pareille à celle dont je vais vous entretenir, qu'on peut dire avec raison que ce sera un morceau d'histoire qui satisfera les Curieux. J'ay pris soin d'en ramasser toutes les particularitez, pour en faire un corps, & je croy qu'il vous paroistra exact. Mr le Marquis de Dangeau, Grand Maistre de l'Ordre de Nostre-Dame de Montcarmel & de Saint-Lazare, après avoir presté serment entre les mains du Roy, dans la Chapelle à Versailles, resolut que la ceremonie de sa reception dans l'Ordre se feroit le Dimanche 29. du mois passé, dans l'Eglise des Peres Carmes, appellez communement des Billettes, & ordonna à Mr de Sauleux, Prevost & Maistre des Ceremonies de l'Ordre, d'en prendre le soin. L'Eglise & les Tribunes furent tenduës de riches Tapisseries, & remplies de tapis de pied, de fauteüils, de chaises & de carreaux, & Mr le Grand-Maistre & les Chevaliers assisterent aux premieres Vespres qui furent chantées la veille. Il y avoit des estrades dans les Chapelles à droit & à gauche, où l'on arrangea des chaises par étages, en sorte que l'on voyoit la ceremonie de tous costez.

Le grand Autel & les Credences estoient parez d'ornemens de velours amarante, avec des doubles M. à cause de l'Ordre de Nostre-Dame de Montcarmel ; de doubles L. à cause de l'Ordre de Saint Lazare ; de Fleurs de Lis, à cause que les Rois Loüis VII. & Saint Loüis, ont établi l'Ordre de S. Lazare en France, & que le Roy Henri IV. a institué celuy de Nostre Dame de Montcarmel. Il y avoit aussi des Armes écartelées de celles de l'Ordre & de celles de Mr le Grand-Maistre, le tout en broderie d'or.

la Chasuble, les Chapes, les Tuniques & le devant de la Chaire du Prédicateur, estoient du même velours, avec les mêmes chiffres & les mêmes Armes. Le grand Autel estoit éclairé d'un luminaire où estoient encore les mêmes Armes. Il y avoit des Lustres dans le reste de l'Eglise. Toute la Nef fut destinée pour la Ceremonie. Dans le milieu estoit une estrade avec un Priedieu, couvert d'un tapis de velours amarante frangé d'or, dont la bordure estoit chargée des Armes & chiffres de l'Ordre, un carreau au bas, & un fauteüil à costé de l'Evangile, du même velours, & orné de même. Aux deux costez du Priedieu estoient quatre bancs couverts d'étoffe amarante & verre, deux pour les anciens Chevaliers, qui estoient plus prés du Grand-Maistre, & deux autres derriere pour les Chevaliers Novices qui devoient estre receus. Derriere la chaise du Grand-Maistre estoit un autre banc pour les Aumôniers, les Freres-servans, & le Herault, & un banc plus éloigné, pour les Huissiers.

Il y eut un fort grand ordre pour la distribution des places, & pour arriver à l'Eglise avec facilité. Il y avoit à chacun des deux bouts de la rüe un des Cent Suisses du Roy, & six autres Suisses, qui n'y laissoient entrer que les Carrosses qui avoient des Billets. Ces Carrosses estant à la porte du Cloistre, on les faisoit passer dans les deux ruës voisines. Il y avoit des gens de Mr le Grand-Maistre qui marquoient où il falloit aller, & prenoient les juppes des Dames pour les porter jusques à l'entrée de l'Eglise, dont la porte estoit aussi gardée par des Suisses du Roy. Il y avoit aussi des personnes préposées pour recevoir les Billets cachetez & numerotez, & pour mener ceux qui les avoient à leurs chaises numerotées de même ; en sorte que l'on estoit placé dans le moment.

Mr le Grand-Maistre arriva aux Billettes sur les neuf heures du matin. Les anciens Chevaliers allerent le recevoir à la porte du Cloistre, & le conduisirent dans une chambre où il s'habilla. Pendant ce temps les anciens Chevaliers furent presens ; c'estoient Messieurs Seguier de Liancourt ; de Bragelonne Hautefeüille ; d'Enonville ; de Montagnac, Conseiller au Parlement ; Merigot ; le Chevalier de Semonville, cy-devant Lieutenant au Regiment des Gardes Françoises ; de Baleyne, Ecuyer ordinaire de Monsieur & de Madame ; Colin, premier Maître d'Hôtel de Madame ; de Guenegaud, Me des Requestes ; de Chabossiere, de Tilleour ; de Montalet, Colonel d'un Regiment de Dragons ; de Sauleux, Prevost & Maistre des Ceremonies de l'Ordre ; de Genoïllac, Conseiller au Grand Conseil, Procureur General de l'Ordre ; le Fevre de la Barre ; & Binot, Grand Prevost des Armées du Roy.

Ces Chevaliers ayant pris leur place dans le Chapitre, Mr de Genoüillac, Procureur General de l'Ordre, y fit la lecture des Lettres Patentes accordées par sa Majesté à Mr le Marquis de Dangeau, pour l'Etat, Charge & Dignité de Grand Maistre des Ordres Royaux de Nostre-Dame de Mont-Carmel & de Saint Lazare de Jerusalem ; de la Profession de foy faite par Mr le Marquis de Dangeau, entre les mains de Mr le Nonce, des Bulles du Pape accordées en consequence, & de la prestation de serment faite entre les mains du Roy dans la Chapelle à Versailles, aprés laquelle lecture, d'un consentement unanime, les deux anciens Chevaliers precedez du Maistre de Ceremonies, furent chargez de l'aller supplier de prendre sa place.

Mr le Grand-Maistre sortit de sa chambre vestu du grand manteau de l'Ordre, de velours amarante, doublé de satin vert, ces deux couleurs estant celles des Ordres de Montcarmel & de Saint Lazare. Le manteau estoit en forme de chappe à queüe traînante, ouvert par devant, bordé d'une broderie d'or richement travaillée, avec les chiffres & les devises de l'Ordre, des trophées d'armes & des Fleurs de lis, & le reste du manteau estoit couvert, tant plein que vuide, des mêmes chiffres, trophées, & fleurs de lis, aussi en broderie d'or. Le Mantelet estoit en satin vert brodé d'or pasle, & la queüe du manteau qui avoit deux aunes de long, estoit portée par un Gentilhomme qui doit estre reçû à la promotion suivante. Sous ce manteau Mr le Grand Maître portoit une Dalmatique de Satin blanc, qui luy descendoit jusqu'aux genoux. Du haut en bas de la Dalmatique estoit une Croix mi-partie aux Emaux de l'Ordre, amarante & vert, brodée tout à l'entour. La culotte, les bas de soye, & les souliers, estoient amarante, & Mr le Grand Maistre avoit une toque de la mesme couleur, avec une aigrette & une agraffe de diamans d'un tres grand prix. Son épée estoit aussi de diamans.

Mr le Marquis de Dangeau se rendit en cet estat dans la salle du Chapitre, precedé des deux anciens Chevaliers, & du Maistre de Ceremonies. A l'entrée du Chapitre Mr Seguier de Liancourt, Doyen des Chevaliers anciens, luy fit une harangue à laquelle il répondit avec son éloquence & son honnesteté ordinaire.

Il prit sa place dans un fauteuïl qui luy estoit preparé, & aprés un petit discours sur sa reception, il declara le choix qu'il avoit fait de quelques personnes pour estre reçus Chevaliers de l'Ordre. Il en donna sur le champ la liste au Maistre de Ceremonies, qui en fit la lecture tout haut, & passa ensuite dans une autre Salle pour la lire aux Chevaliers Novices, afin qu'ils marchassent dans le rang qui y estoit marqué. Les anciens Chevaliers & les Novices estoient tous habillez de justau-corps de velours amarante, les uns en broderie d'or, les autres d'argent, ou avec des boutonnieres de mesme.

L'on marcha pour aller à l'Eglise. Les Novices estoient precedez de quatre Huissiers & du Herault. Ils marchoient lentement & avec dignité, deux à deux, & ceux qui devoient estre reçûs les derniers, marchoient les premiers. Les Chevaliers anciens marchoient aussi deux à deux, les derniers reçus marchant devant, le Grand Maistre seul, ayant à sa gauche le Maistre des Ceremonies deux pas en avant hors des rangs. La marche fut fermée par les Chapelains & Aumôniers de l'Ordre.

À l'entrée de l'Eglise, les PP. Carmes se trouverent rangez en haye, & le P. Prieur qui est Aumônier de l'Ordre, porta la parole, & fit une harangue à Mr le grand Maistre, pendant laquelle les Novices se mirent dans les places qui leurs furent montrées par le Herault.

Aprés ce compliment les Chevaliers anciens se placerent le long de leurs bancs, se tenant debout. Mr le Grand-Maistre se mit à genoux à son Priédieu, & les Chevaliers firent la mesme chose le long de leurs bancs.

Le Chapelain revestu d'une Chappe, & les Officians, commencerent le Veni creator, aprés lequel le Maistre des Ceremonies se leva, alla au milieu de l'espace qui est entre le Priédieu & l'Autel, & qu'on appelle le Parterre en matiere de ceremonie. Il fit la reverence à l'Autel, ensuite à Mr le Grand Maistre, puis aux Chevaliers à droit & à gauche, & avertit les Novices par un signe de teste de porter leurs épées sur une table posée devant le grand Autel, couverte d'un tapis Amarante, & sur laquelle il y avoit un bassin ciselé de vermeil doré, où avoient esté mises les Croix qui leur devoient estre données.

Les Novices marchérent deux à deux, un de chaque banc, se suivant à la file, firent les reverences à l'Autel, au Grand Maistre, & aux Chevaliers, & aprés avoir mis leurs épées sur la table, ils s'en retournerent à leur place dans le mesme ordre.

L'on commença la Messe & à l'Evangile Mr le Grand Maistre & les Chevaliers mirent l'épée à la main, & aprés la remirent dans le fourreau. Le Maistre des Ceremonies fit les reverences ordinaires, & avertit les deux plus anciens Chevaliers & le Procureur General, qui se vinrent placer aux deux costez du Priédieu du G. Maistre, le Procureur General à la gauche de l'ancien. Le Maistre des Ceremonies fit signe à l'Officiant d'apporter le Missel sur le Priédieu du Grand-Maistre. L'Officiant l'apporta, & le Grand Maistre ayant les mains sur l'Evangile, prononça son serment à haute voix, en ces termes.

Nous Frere Philippe de Courcillon, par la grace du saint Siege & du Roy, Grand Maistre des Ordres Royaux, Militaires & Hospitaliers de Nostre Dame de Montcarmel & de Saint Lazare de Jerusalem, Bethléem & Nazareth, tant deçà que delà les mers, jurons, & promettons à Dieu tout puissant, de garder & observer toute nostre vie ses saints Commandemens, & ceux de la sainte Eglise Catholique Apostolique & Romaine, de vivre & de mourir en la Foy qu'elle nous enseigne, de la défendre d'un grand zele, de ne nous départir jamais de l'obeissance du Roy, & de luy rendre toute nostre vie tres fidelle service ; d'observer & de faire observer exactement les Regles & Statuts desdits Ordres ; d'administrer & de faire administrer tous les biens dont ils jouissent pour la gloire de Dieu, le soulagement des Pauvres, & particulierement des Lepreux, & d'en procurer de tout nostre pouvoir la conservation & l'agrandissement. Ainsi Dieu tres grand, tres-bon & tres puissant nous soit en aide, & ces sains Evangiles par moy touchez.

Le Maistre des Ceremonies, en l'absence du Greffier de l'Ordre, donna une plume au Grand-Maistre, qui ayant signé ce serment, se leva ensuite & se mit dans son fauteüil, aprés quoy le Maistre des Ceremonies fit signe aux deux Chevaliers anciens de s'avancer au milieu du parterre, & de se ranger des deux costez. Mr le Grand-Maistre s'estant levé, & ayant fait ses reverences à l'antique, alla se placer dans un fauteüil préparé prés de l'Autel du costé de l'Evangile, ayant les deux anciens Chevaliers à ses costez, & le Maistre des Ceremonies deux pas devant.

Les deux anciens Chevaliers se mirent à genoux sur deux carreaux de velours aux pieds du G.M. & presterent leur obedience en luy baisant la main. Ensuite les autres Chevaliers, sur un signe que leur fit le Maistre des Ceremonies, s'avancerent deux à deux, firent leurs reverences, & vinrent prester à genoux la même obedience, & s'en retournerent dans le même ordre.

L'obedience finie, Mr le Grand Maistre retourna à son fauteüil de la même sorte qu'il estoit venu. L'on continua la Messe [à l'issue de laquelle les nouveaux chevaliers furent reçus et prêtèrent serment sur l'Evangile.] [...]

Les Huissiers de l'Ordre apportérent une table devant le grand Autel, couverte d'un tapis de velours amarante, où le Maistre des Ceremonies, en l'absence du Greffier, reçût les signatures de la Profession & des Voeux des nouveaux Chevaliers, par nom & surnom, aprés quoy ils retournérent à leurs places dans l'ordre qui suit.

Les premiers de chaque file, marchérent à la teste de celle qu'ils conduisoient, passérent par le parterre, & vinrent saluer les anciens Chevaliers de leur costé, commençant par celuy qyu estoit le plus prés du fauteüil du Grand Maistre, & se remirent à leur place, en passant entre leurs bancs & ceux des anciens Chevaliers.

Les Chevaliers qui furent reçûs dans l'Ordre à cette reception, estoient, Messieurs :

Le Comte de Lhospital.

Le Marquis de Blanzac.

D'Aspremont, cy-devant Chambellan de Monsieur, Frere du Roy.

Cabre, aussi Chanbellan de Monsieur.

De Carcavi Dussy

De Saint-Olon, cy-devant Ambassadeur à Maroc.

De Longueville, estant prés de la Personne de Monsieur le Duc de Chartres.

De Breteüil de Ruville.

Delbos.

De Saint Gilles.

De Villeroy.

Le Chevalier d'Angoulesme.

De Marescot, Colonel des Dragons.

De Loysonville.

De Saint Laurens, Lieutenant des Gardes de Monsieur le Prince.

De Crecy.

De Ladournat.

Le Comte de Vassé.

Le Comte de Grancey.

De Barville.

Le Marquis de Burantiere.

Bontemps Fils, Premier Valet de Chambre du Roy.

Le Baron de Rosvorin.

De Bouchardiere.

De Beaubourg, Ecuyer du Roy.

De la Boutoniere.

De Saint Chalier.

Du Vivier.

Pidou.

De Beaulieu, Premier Valet de Chambre de Monsieur.

De Breget.

De Hauteville.

De Pommarins.

De Saint Bertin.

De Chenedé.

Chapelain.

Mr de Maziere.

Quand ces nouveaux Chevaliers eurent repris leurs places, le Grand-Maistre retourna à son Priédieu, precedé des deux anciens Chevaliers & du Maistre des Ceremonies. L'Officiant commença le Te Deum, lequel estant fini, il se tourna du costé des assistans, & aprés avoir fait une reverence au Grand Maistre pour marquer que c'estoit avec sa permission, il donna la benediction solemnelle.

Cette benediction donnée, tous les Chevaliers se levérent & se mirent en marche deux à deux dans l'Eglise, selon leur rang. Les derniers reçûs marchant les premiers, passerent par le Cloistre, suivis du Grand Maistre qui marchoit seul, la queuë de son manteau estant portée par le mesme Gentilhomme qui l'avoit portée en venant à l'Eglise.Cette marche fut fermée comme la premiere, & Mr le Grand Maistre fut conduit dans la chambre où il s'estoit habillé. Une demi-heure aprés, Mr le Grand Maistre donna un disné magnifique à tous les Chevaliers. Il entra avec eux dans une grande Salle, où il y avoit cinquante-quatre couverts en long. L'on y estoit placé des deux costez. Mr le Grand Maistre se mit au milieu d'un rang. Elle fut servie avec une fort grande magnificence. Mr le Marquis de Courcillon, son Fils, tint dans une chambre voisine une autre table de dix couverts.

Le repas fini Mr le Grand Maistre & les Chevaliers retournérent à l'Eglise, où l'on chanta Vespres, & le Salut, aprés lequel les Chevaliers reconduisirent Mr le Grand Maistre à son carrosse.

Le lendemain Mr le Grand Maistre suivi des Chevaliers de l'Ordre, vint à neuf heures du matin à la mesme Eglise des Billettes, à un Service qui se fait tous les ans, pour les Chevaliers qui sont morts pendant l'année.

Depuis cette grande promotion, j'ay appris que Mr le Grand Maistre avoit reçu deux nouveaux Chevaliers, qui sont Mr le Comte de la Bourie, Colonel du Regiment de Normandie, & Mr le Comte de Clermont d'Amboize.

[Etablissement d'un nouveau Theatre à Rome] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 271-276.

 

L'application extraordinaire que le Pape donne à la conduite du gouvernement de ses Etats, par l'information exacte qu'il prend de ce qui se passe dans les Congregations, & par les Audiences qu'il donne journellement au Peuple, ne l'empesche pas de songer à ce qui regarde le soulagement des pauvres, la decoration de sa ville Capitale, & le divertissement de ses Peuples. C'est ce qui fait qu'il a fondé divers Hôpitaux pour retirer les Pauvres, & pour faire travailler le vagabons ; qu'il fait élever un grand Palais au milieu de Rome pour loger commodement les Tribunaux de Justice, qui estoient dispersez en differens endroits, & qu'il a donné la permission de bâtir un Theatre en un lieu commode de la Ville pour representer des Opera & des Comedies. Ce dernier édifice vient d'estre achevé par les soins de Mr Dalibert, Secretaire des Commandemens de la deffunte Reine de Suede, Christine Alexandre. Ce Theatre est un des plus grands & des plus magnifiques qu'il y ait en toute l'Italie. On monte dans la Salle du Parterre par un large escalier de pierre. Il y a six rangs de Loges les unes sur les autres, & trente-six Loges à chaque rang, avec huit differens escaliers pour y pouvoir monter & descendre sans embarras ny confusion. Ces Loges sont un peu plus étroites que les nostres, n'y pouvant tenir que trois personnes commodement. Le premier rang n'est pas le plus estimé, parce qu'il est fort peu élevé au dessus du Parterre, & est à l'égard de la Comedie, ce qu'une entre-sole est dans un bastiment. Ainsi on estime principalement le second & le troisième rang, & ce qui est de particulier, c'est que l'usage étant de retenir les Loges pour plusieurs representations, chacun les fait tapisser & orner à sa fantaisie, & en mesme temps chacun se pique de les rendre plus propres les unes que les autres, les uns les doublant de damas & de velours, avec des tissus & galons d'or, & de riches tapis au devant, & les autres avec des étoffes de la Chine, & Satins de differentes couleurs. On devoit faire l'Ouverture de ce Theatre le quinziéme du mois passé, par un nouvel Opera.

[Monseigneur fait l'honneur aux Comediens François de venir voir la Comedie dans leur Sale], [Compliment preparé pour Monseigneur] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 276-280.

 

Ce nouvel établissement me donne occasion de vous parler de celuy de la Troupe de Comediens François. Le premier de Mars 1688. on donna un Arrest dans le Conseil d'Estat, Sa Majesté y estant, par lequel il leur fut permis de faire leur établissement dans le Jeu de Paume de l'Estoile, rüe des Fossez Saint Germain des Prez. En consequence de cette permission, ils y ont fait une dépense de plus de deux cens mille livres. Monseigneur avoit souvent marqué qu'il leur feroit l'honneur d'aller voir leur Salle ; mais la facilité d'avoir la Comedie à Versailles, ayant fait couler le temps insensiblement, ce Prince n'estoit point encore venu à la Comédie à Paris. Enfin voulant satisfaire à sa parole & à sa curiosité, il vint voir en même temps deux Pieces qui faisoient du bruit ; sçavoir une piece serieuse intitulée, Polixene, & une Comique, qu'on joüoit alors sous le titre de la Foire S.Germain. Les beautez de la premiere attacherent beaucoup ce Prince, & la seconde le divertit. Mr Dancour, qui en est l'Auteur, avoit préparé le Compliment que vous allez lire ; mais Monseigneur, dont la modestie est connuë, n'en voulut point parce qu'il ne vouloit écouter aucunes loüanges. Voicy les termes de ce Compliment.

C'est avec un tres-profond respect que j'ose prendre la liberté de remercier Monseigneur de l'honneur qu'il a bien voulu nous faire aujourd'huy. Ce témoignage public de l'estime qu'il a pour le Theatre, & de la protection dont il nous honore, servira d'exemple sans doute, & il attirera sur la Comédie toute la consideration dont elle a besoin. Nous sommes redevables à cette protection glorieuse de la tranquillité, qui par les ordres du Roy va desormais estre rétablie dans les Spectacles. Vos bontez, Monseigneur, se font sentir generalement à tout le monde, & elles vous acquierent sur tous les coeurs, les mêmes droits que vostre naissance auguste vous donne sur les volontez. Nous en sommes tres-vivement penetrez, & si nostre Profession ne nous met pas en estat de sacrifier nostre vie pour vos interests, elle nous donne au moins l'avantage de la consacrer toute entiere à vos plaisirs, avec un zele & un attachement qu'il est impossible de ne pas avoir, & qu'il n'est pas possible de bien exprimer.

[Sonnet qui a remporté le prix des bouts rimez remplis à la gloire de Madame la Princesse de Conty Doüairiere] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 286-291.

 

Enfin, Madame, je vous envoye le Sonnet qui a remporté le Prix, sur les Bouts-rimez proposez à remplir à la gloire de Madame la Princesse de Conty Doüairiere ; il est de Mr Robinet de S. Jean, & vous serez surprise de trouver encore un feu de jeunesse dans ses Vers, quand je vous auray appris qu'il est dans sa quatre-vingt-huitiéme année. Il a beaucoup travaillé, soit en Prose, soit en Vers, & fit un Eloge de Loüis XIII. à la mort de ce Monarque, qui arriva le 14 May 1643. Cet Eloge receut de grands applaudissemens. Mr Robinet a donné longtemps ses soins au fameux Theophraste Renaudot, Inventeur de la Gazette. Aprés la mort de Mr Loret, dont les Gazettes Burlesques ont esté fort estimées, il s'attacha à cette sorte d'Ouvrage, qu'il continua plusieurs années. Il joüit encore d'une santé parfaite & vigoureuse, & sans que l'âge ait affoibli ny son esprit, ny son corps. Il travaille encore aux mêmes Ouvrages, qui font vivre avec tant de gloire le nom du sçavant & ingenieux Theophraste Renaudot, dont je viens de vous parler. L'abondance de la matiere, qui m'oblige à reserver divers articles pour le mois prochain, m'empêche de vous envoyer d'autres Sonnets que celuy que l'on a jugé digne du Prix.

À LA GLOIRE
DE MADAME
LA PRINCESSE
DE CONTI

SONNET

L'Héroïque vertu vers la gloire la guide,
L'amour par ses beaux yeux vainqueur de toutes parts,
Abat des libertez le plus fermes remparts,
Et du destin des coeurs comme il luy plaist décide.
***
Son renom se répand comme un torrent rapide,
Elle est Fille d'un Roy qui passe les Cesars
Son air est d'Amazone, & les plus grands hazars
Ne pourroient étonner son courage intrepide.
***
Elle sçait des Heros tous les nobles Emplois,
Elle est digne d'un Trône & de donner des Loix,
Son aspect calmeroit les plus fieres tempestes.
***
On ne peut résister à ses charmes divers,
Des esprits & des coeurs elle fait des conquestes,
Qui feroient dédaigner celle de l'Univers.

ENVOY.

Princesse auguste, hélas ! chacun tâche de vous plaire.
Ayez la bonté d'avoüer
L'effort que vient de faire,
Pour vous peindre & pour vous loüer,
Un homme plus qu'octogenaire.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 318-319.

Je vous envoye un Air nouveau, de la composition d'un de nos meilleurs Maistres de Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 319.
Ne me fuyez plus, inhumaine,
Je ne viens point icy vous parler de ma peine,
Ny vous entretenir de mes langueurs,
Je viens seulement vous apprendre,
Qu'une Beauté jeune & tendre,
M'a vangé de vos rigueurs.
images/1696-02_318.JPG

[Vie de Dom Antoine, Roy de Portugal] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 319-322.

 

Madame de Sainctonge, dont l'heureux genie vous est connu par les Opera de sa façon, qui ont été representez sur le Theatre Royal de Musique, & par l'excellent Recueil de Poësies Galantes qu'elle a donné au public depuis peu de temps, vient de faire voir qu'elle n'a pas moins de talent pour la Prose que pour les Vers. Elle a fait paroistre au jour la Vie de Dom Antoine, Roy de Portugal, qui n'ayant pû se conserver la Couronne contre les forces de Philippes II. Roy d'Espagne qui y prétendoit, comme estant Fils d'une Fille d'Emanuel, vint demander du secours en France, & mourut à Paris le 26. Aoust 1595. Ce morceau d'Histoire est fort curieux, & ne peut estre suspect, puisque la plus grande partie en est tirée d'un manuscrit de Dom Gomés Vasconcellos de Figueredo, Portugais, & Grand pere de Madame de Sainctonge. Ce Dom Gomés, aussi bien que Scipion de Vasconcellos son frere, Gouverneur des Isles Terceres pour Dom Antoine ont eu tant de part aux malheurs de ce Roy, & à la confidence des Princes ses Fils, qu'il est impossible qu'ils n'ayent pas esté pleinement instruits de tout ce qui se passa dans les mouvemens qui assujettirent alors le Portugal à l'Espagne. Cette Histoire est écrite d'un stile aisé & concis, & renferme quantité de circonstances, qui meritent d'estre sçûës. On la trouve chez le Sieur Guignard, à l'entrée de la grand'Salle du Palais.

[Divertissemens du Carnaval] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 322-323.

 

Jamais les plaisirs n'ont esté plus en regne que pendant ce Carnaval. Les spectacles ont attiré un grand nombre d'Auditeurs ; les Bals ont esté nombreux & frequens ; les Masques ont paru par toute la Ville en grande quantité, & les Places publiques ont esté remplies de danses. Il est peu d'Estats aujourd'huy dont on puisse dire la mesme chose ; aussi n'en est-il point dont le Souverain travaille plus. Cette grande application du Roy paroist dans ce qui va servir d'entretien à tout l'Univers.

[Divertissemens nouveaux] §

Mercure galant, février 1696 [tome 2], p. 327-328.

 

Dés que les plaisirs innocens seront de retour, on verra paroistre sur la Scene deux Pieces nouvelles, dont l'une est serieuse, ayant pour titre, Agrippa, ou la mort d'Auguste ; L'autre est une Comedie intitulée, le Viellard couru, ou les differens Caracteres des Femmes, de l'Auteur des Dames vangées, qui parurent l'année derniere, & dont on n'a pû reprendre les representations, les principaux Acteurs de cette Piece ayant esté incommodez pendant une partie de l'hiver.