1696

Mercure galant, mars 1696 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1696 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1696 [tome 3]. §

[Sacre de Mr Delfino, Nonce en France] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 10-11.

 

Le Dimanche 29. du même mois de Janvier, Messire Marc-Daniel Delfino, Noble Venitien, Vicelegat d'Avignon, nommé à la Nonciature de France, fut sacré Archevêque de Damas in partibus Infidelium, dans l'Eglise des Jesuites d'Avignon, par Messire Loüis-Aube de Roque-Martine, Evêque & Comte de Saint Paul-Trois-Chasteaux, assisté de Mrs les Evêques d'Orange & de Carpentras. La ceremonie fut tres-solemnelle, tant par le grand nombre de personnes de qualité de toute la Province, qui y assisterent, que par la Musique & Symphonie de toute sorte d'Instrumens. Ensuite le nouveau Nonce traita magnifiquement à dîner Mrs les Evêques, les Consuls, les Officiers de la Legation, & les personnes les plus distinguées de la Ville.

Idille de Meudon §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 12-25.

 

Je vous envoye un Divertissement de Musique, qui a esté fait pour Monseigneur. Il est de la composition de Mr Boisset, si connu par ses beaux Airs, & les paroles sont de Mr Moreau de Mautour, dont je vous ay déjà envoyé plusieurs Pieces & Traductions galantes.

 

IDILLE DE MEUDON.

 

Flore, l'Hiver, Cerés, Bacchus,

Deux Plaisirs chantans, deux

Bergers & deux Bergeres.

 

UN BERGER de la suite de Flore.

Ce n'est plus le temps des Amours
Que la saison de Flore.
C'est en vain qu'on entend au lever de l'Aurore
Les Oiseaux dans nos bois annoncer les beaux jours.
On ne voit plus d'Amans sensibles,
Les plaisirs ont quitté nos retraites paisibles,
La Guerre en a troublé le cours.
La Déesse des fleurs que le Zephire adore,
Se plaint & repete toujours,
Ce n'est plus le temps des amours
Que la saison de Flore.

FLORE.

Le Printemps par mes soins à peine fait éclore
Les fleurs, dont ces jardins, ces prez sont embellis,
Que les Heros de l'Empire des Lis
Me quittent pour Bellone, & content à la gloire.
À leur exemple on voit mille & mille Guerriers
Aux Myrtes amoureux préferer les Lauriers,
Dont la valeur couronne la Victoire.
Au pouvoir de Venus en vain j'aurois recours,
On neglige ses loix lors que Mars regne encore,
Ce n'est plus le temps des amours
Que la saison de Flore.

Choeur de la suite de Flore.

Les échos sont pour nous muets & sourds ;
Le bruit de nos Concerts, le son de nos Musettes
Cede au son des Trompettes,
Cede au bruit des Tambours.
On neglige nos champs lors que Mars regne encore.
Ce n'est plus le temps des Amours
Que la saison de Flore.

 

L'HIVER.

L'hiver est la saison des Amours, des Plaisirs,
C'est le temps où le Dieu des armes
Suspend les craintes, les alarmes,
Aux tendres coeurs il permet les soupirs ;
L'hiver est la saison des Amours, des Plaisirs.

DEUX PLAISIRS.

Pour les Amans guerriers que le repos appelle,
Tous les Hivers sont des Printemps.
Le retour des frimats tous les ans renouvelle
Leurs soins & leurs empressemens.
C'est l'heureux temps des jeux, des ris charmans.
Et loin de la fiere Bellone
On vient goûter de doux momens
Dans les beaux jours que l'amour donne ;

FLORE.

De toute autre saison qu'on vante les faveurs,
Pour moy, j'ay l'avantage,
Que l'aimable saison des fleurs
Sera toujours le doux partage
Des tendres coeurs.

L'HIVER.

Divinité charmante !
Que ton destin doit te rendre contente.
Icy tout flate tes desirs ;
On y voit en tout temps, même sans les zephirs,
Ta Cour toujours nouvelle & florissante,
Et tu sçais conserver dans ces lieux pleins d'appas,
La verdure & les fleurs au milieu des frimats.

L'HIVER & FLORE.

Pour plaire à l'auguste Maistre
De ce sejour digne des Dieux,
Faisons paroistre
Nostre zele à ses yeux,
Meslons nos soins, nos chansons & nos yeux.

UN PLAISIR.

Vous, Bacchus & Cerès, qui versez sur la France
Vos biens & vos faveurs au gré de tous ses voeux ;
Pour le Heros dont la presence
Vient embellir ces lieux,
Meslons nos soins, nos chansons & nos jeux.

 

CHOEUR.

Pour plaire à l'auguste Maistre
De ce sejour digne des Dieux,
Faisons paroistre
Nostre zele à ses yeux,
Meslons nos soins, nos chansons & nos yeux.

UN PLAISIR.

Publions la valeur de ce nouvel Alcide.
Ainsi que le Soleil dans sa course rapide,
On l'a vû traverser
Des Belges fiers les vastes plaines1,
Pour prévenir & renverser
De cent Peuples liguez les entreprises vaines.

BACCHUS.

C'est dans les mains de ce Vainqueur heureux,
Que le plus grand Roy de la terre
Déposa son tonnerre,
Pour dompter les Lions & l'Aigle audacieux2.
Le bruit de son nom glorieux
S'étend jusqu'aux climats où j'ay porté la guerre :
Pour seconder les efforts genereux
J'enrichis ses Sujets de vins delicieux.

CERES.

Pour luy plaire par tout je seme l'abondance ;
Si mes épics sans nombre égalent les Guerriers
Que nous produit la France,
Elle est aussi feconde en moissons qu'en lauriers.

BACCHUS & CERES.

Son illustre Dauphin dans ces lieux nous rassemble,
Celebrons ses vertus dans nos chants les plus doux.
Peut-on manquer de plaisirs entre nous,
Lors que Bacchus & Ceres sont ensemble ?

CHOEUR.

Celebrons ses vertus dans nos chants les plus doux,
Peut-on manquer de plaisirs entre nous,
Lors que Bacchus & Ceres sont ensemble ?

Chant de Bergers.

Bergers, accourons tous, & quittons nos Hameaux,
Loüis qui sur nos coeurs exerce un doux empire,
Dans ces lieux charmans nous attire.
A des concerts divins joignons nos chalumeaux.

Deux Bergers.

Dans nos prairies,
Nos Bergeries,
Si nous goûtons un plein repos,
Nous le devons aux soins de ce Heros.
Nos troupeaux paissent sans alarmes,
Sans craindre la fureur des loups,
Et quand l'amour nous fait sentir ses charmes,
Rien n'est plus à craindre pour nous
Que les yeux des jaloux.
Dans nos prairies,
Nos &c.

Deux Bergeres

Dans cet azile
oûtons le bonheur tranquille
De voir l'auguste Fils du plus grand des Vainqueurs.
La majesté qui dans ses yeux éclate,
Inspire de la crainte à nos timides coeurs.
Mais sa douceur nous rassure & nous flate.
Qu'il est digne de nos amours,
Ce Prince qui fait nos beaux jours !

Une Bergere.

Depuis qu'il a receu nostre nouvel hommage,
Nos champs, nos bois n'ont plus rien de sauvage,
Tout brille en nos hameaux, nos jeux y sont charmans,
Et nous passons d'heureux momens.
Le bruit des armes,
Et les tristes alarmes
Ne troublent point les voeux & les soins des Amans.

Un Berger.

Un tendre coeur joüit de sa victoire,
Il a le plaisir à son tour,
De faire souffir à la Gloire
Les maux qu'elle a faits à l'Amour.

Bacchus, Ceres, deux Plaisirs.

Dans ce brillant sejour, dont l'éclat nous enchante,
Le Prince aimable en fait tous les attraits,
Que tout ressente
Sa presence charmante.
Ah, sans luy nos plaisirs ne seroient qu'imparfaits.

CHOEUR.

Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,
Au doux son des trompettes
Retentisse de toutes parts.

Deux Plaisirs.

Au milieu de sa Cour ce Vainqueur est aimable
Autant que redoutable
Dans le champ de Mars.

CHOEUR.

Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,
Au doux son des Trompettes
Retentisse de toutes parts.

Bacchus, Ceres, deux Plaisirs.

Dans ce brillant sejour, dont l'éclat nous enchante,
Le Prince aimable en fait tous les attraits,
Que tout ressente
Sa presence charmante.
Ah, sans luy nos plaisirs ne seroient qu'imparfaits.

CHOEUR.

Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,
Au doux son des trompettes
Retentisse de toutes parts.

Deux Plaisirs.

Au milieu de sa Cour ce Vainqueur est aimable
Autant que redoutable
Dans le champ de Mars.

CHOEUR.

Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,
Au doux son des Trompettes
Retentisse de toutes parts.

[Sur la Réception de Mr l'Abbé Poncet à l’Académie Royale de Nismes]* §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 44-47.

Ensuite de cette lecture quelques personnes qui n’étoient pas de l’Academie, presentérent des Vers à la loüange de Mr l’Abbé Poncet, entre-autres ce Madrigal.

A M. L’ABBÉ PONCET.

 Aprés un tel Panegyrique,
Où le zele éminent d’un homme apostolique
 Avec tant d’éclat est dépeint,
On n’a pû décider dans un grand Auditoire,
 Duquel éclate plus la gloire,
Ou celle de Poncet, où celle de son Saint.

On n’estima pas moins ces quatre Vers, qui sont de Mr de Marsolier. C’est l’explication d’une Devise qu’il a faite pour cet Illustre Abbé. Le corps represente un Oranger chargé de fleurs & de fruits, il a pour ame ces belles paroles latines, qui conviennent si bien à l’un & à l’autre : Veris & Autumni decus. Mr de Marsolier les a expliquées par ces quatre Vers François.

VERIS ET AUTUMNI
DECUS.

Avoir les agrémens d’une heureuse jeunesse,
Avec tous les tresors d’une sage vieillesse,
 C’est posseder en mesme temps
Et les fruits de l’Automne, & les fleurs du Printemps.

La lecture de ces Vers finit l’Assemblée, qui fut suivie des complimens que toutes les personnes de distinction firent à Mr l’Abbé Poncet, sur sa reception.

Imitation d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 113-123.

IMITATION
D’une Ode Latine de Mr l’Abbé
BOUTARD.
ODE.

C’est aujourd’huy qu’il faut prendre
Un ton digne de mon choix,
Et par l’accord le plus tendre
Joindre ma lyre à ma voix.
Bouche diserte & fidelle,
Dont Dieu suscite le zele
Pour se faire respecter ;
Herault du Saint Evangile,
Fléchier, élevez mon stile,
C’est vous que je veux chanter.
 Et vous, Muses, si l’on ose
Mesler icy vos noms vains,
Faites son Apothéose
Par vos sons les plus divins.
Autrefois vôtre harmonie
Forma son heureux genie
Aux chants que vous enseignez,
Et dans cet apprentissage
Vos lauriers à son jeune âge
Ne furent point épargnez.
***
 Mais vostre beauté volage
Ne peut plus le retarder ;
Il s’y dérobe, il s’engage
Dans l’Art de persuader.
Il suit l’honneur qui l’invite,
Il sent croistre son merite
Par son application.
Il se surpasse, il s’anime,
Il joint à l’esprit sublime
La vaste érudition.
 Cent fois sous les voûtes amples
De leurs sacrez bâtimens,
J’ay vû retentir nos Temples
De longs applaudissemens.
Ouy, Fléchier a la cadence
De cette masle éloquence
Dont le bruit ne peut vieillir,
Sensibles à vos merveilles
Leurs pierres toutes d’oreilles
N’ont cessé de tressaillir.
***
 C’est-là, qu’en troupes nombreuses
Couroient la Ville & la Cour,
Comme vagues écumeuses
Qui se poussent tour à tour.
Là, dans les devoirs funebres
Que rend aux Manes celebres
La Chrestienne Pieté,
On voyoit avec surprise
De vostre parole exquise
La puissante nouveauté.
 On voyoit la Mort terrible
Prompte à fléchir sous vos loix,
Du fond de son antre horrible
Obéïr à vostre voix.
On voyoit ses Cloîtres sombres
Ceder les plus grandes Ombres
À vostre ordre souverain,
Epovantez du Tonnerre,
Qui pour les rendre à la terre
Brisoit leurs portes d’airain.
***
 C’est par vous, que ressuscite
D’Autriche l’Auguste Sang,
Terese, en qui le merite
Eclata plus que le rang.
Par vous revoit la lumiere
L’Heroïne de Baviere,
Que le Ciel combla de dons,
Trois fois heureuse Princesse
Des trois Princes qu’elle laisse
À la Race des Bourbons.
Par vous, le fameux Turenne
Survivant à son malheur,
Brave le sort, dont la haine
A foudroyé sa valeur.
Avec luy, dont le courage
Cent fois détourna l’orage
Sur nos jaloux Ennemis,
Vous sauvez du trait sinistre
Lamoignon, ce saint Ministre
Des neuf Sœurs, & de Themis.
***
 Par vous de la sepulture
Sort le Protecteur ardent
De ces esprits dont Mercure
Regit le noble ascendant.
Surmonté par l’excellence
De vostre reconnoissance,
Montauzier brille d’honneur,
Et sa memoire embellie,
De rejoindre sa Julie
Luy procure le bonheur.
 L’aveugle & sourde Puissance,
Si peu flexible à la voix,
Fremit de la violence
Que Fléchier fait à ses droits.
Sa fierté se desespere
Des miracles qu’il opere
Sur son butin le plus beau,
Lors qu’il rend à la lumiere
Ceux, dont pressoit la paupiere
La froide horreur du Tombeau.
***
 Ne craignez point sa menace.
Quoy qu’elle puisse attenter,
Vostre parole efficace
Vous en fera redouter.
Prelat, qui de l’ombre noire
Développez la memoire
De tant de Noms reverez,
Vainqueur de la nuit obscure,
L’Eternité vous est sûre,
À vous, qui la procurez.
 Ce n’est plus de sa puissance
Que Nismes doit se vanter,
Ny des eaux que la dépense
Dans ses murs fit transporter.
Ce n’est plus de ses Arénes,
Où des Legions Romaines
Le faste encor est vivant ;
Et l’endroit de son histoire
Qui fait sa plus grande gloire,
C’est son Evesque sçavant.
***
 Par son étude assiduë,
Par ses soins laborieux,
Dans toute son étenduë
La Vertu brille à nos yeux.
De son glorieux Empire
Les maximes qu’il inspire
Sont le plus solide appuy,
Et la Mître qui l’honore,
Semble desirer encore
Vn prix plus digne de luy.
 Nismes des Muses amie,
Où l’honneur est prodigué,
Que dans ton Academie
Il tient un rang distingué !
I’y vois la Troupe choisie
De ravissement saisie
L’invoquer à son secours,
Et pour polir son langage,
Sacrifier à l’usage
Sur l’Autel de ses discours.
***
 Par un surprenant Augure,
Pour luy devint verité
La fabuleuse avanture
De la Grecque vanité.
Autour de luy ramassées
Les Abeilles empressées
Ne cessérent de voler,
Et nourrirent son enfance
De la savoureuse essence
Du miel qu’elles font couler.
 S’il veut tenter de l’Histoire
Le stile doux & coulant,
Quel autre avec plus de gloire
Sçait exercer ce talent ?
Quel cœur rempli de foiblesse
A l’amour de la sagesse
Peut n’estre point excité,
Lors que Fléchier luy propose
De l’Empereur Theodose
L’éclatante pieté ?
***
Les Saints qu’honorent nos Temples
Celebrez dans ses écrits,
De leurs vertueux exemples
Y trouvent le digne prix.
Sur l’aile de sa parole
Leur Foy brille, leur nom vole,
Prompt à nous solliciter,
Et d’une grace immortelle
Il peint au Peuple fidelle
Tout ce qu’il doit imiter,
 Chanteray-je l’Eloquence
Mise dans un si beau jour,
Qu’elle attira le silence
De la dédaigneuse Cour,
Quand Député vers le Prince
Des Estats de sa Province,
Egal à ce noble employ,
D’un nouveau degré de gloire,
Il rehaussa la memoire
Des triomphes du Grand Roy ?
***
 Diroy-je la belle audace
Qui sur de sublimes tons
Vanta l’heureuse disgrace
De la Reine des Bretons ;
Cette ame forte & virile
Qui dans un sexe debile
Fait voir tant de fermeté,
Ce grand cœur que rien n’étonne,
Qui prefere à la Couronne
La Chrestienne Verité ?
 Non, non, fixons nostre estime
Sur des objets plus touchans.
Soit qu’il détourne du crime
La cabale des méchans,
Soit que son zele s’applique
À ramener l’Heretique
Au centre de l’Union,
Sa plume n’est reverée,
Sa langue n’est consacrée,
Que par la Religion.

[Honneurs rendus à Mr Delphino] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 143-152.

Je vous ay appris au commencement de cette Lettre, que Mr Delphino, Vicelegat d’Avignon, y avoit esté sacré Archevêque de Damas, & qu’il venoit en France, où Sa Sainteté l’envoye en qualité de Nonce, en la place de Mr le Cardinal Cavallerini. Sur la fin du mois passé, il partit d’Avignon, où il a esté trois ou quatre ans Vice-legat, generalement regreté de ceux que le vray merite touche. Pendant tout ce temps il a receu magnifiquement toutes les Personnes de marque qui ont passé par cette celebre Ville, & soutenu par là avec grand éclat les avantages de sa naissance. Sa Famille est l’une des vingt-quatre plus anciennes de Venise, & il est Neveu du Cardinal Jean Delphino, Patriarche d’Aquilée encore vivant, qui est le troisiéme Cardinal de cette Famille, qui a donné un Doge dans le quatorziéme siecle. Ce fut l’an 1356. Ce nouveau Nonce étant arrivé à Lion, alla loger au College des Jesuites, où le Pere de Colonia, Professeur de Rhetorique, luy fit faire des Complimens en François, en Italien, en Espagnol, en Latin & en Grec, par sept ou huit Gentilshommes de ses Ecoliers. Je vous envoye une partie des Vers François qui luy furent presentez. Les premiers furent sur la douleur generale qu’avoit causée son départ dans Avignon.

MADRIGAL.

 Vostre humeur douce & bien-faisante,
N’en doutez point, Grand Nonce, est connuë en ces lieux.
On sçait que vostre cœur est des plus genereux ;
 Et qu’il sent une aimable pente
À rendre, s’il se peut, tous les hommes heureux.
Agréez, cependant, qu’entre nous je le dise.
Certain bruit court icy qui nous étonne fort,
 Et qui pourroit vous faire tort.
 On entend dire avec surprise,
Qu’après avoir trois ans gouverné le Comtat,
 Sans avoir dans tout cet Etat
 Chagriné la moindre personne,
Par un ménagement qu’on dit fort délicat,
Et qui marque un grand sens, une ame belle & bonne.
 Vous n’avez pas laissé pourtant,
(Et c’est dequoy tout le monde s’étonne)
De chagriner tout un Peuple en partant.

AUTRE.

Interprete Sacré du Pape le plus sage
 Qui fut & qui sera jamais,
 Nous voyons sur vostre visage
 Briller ses plus augustes traits.
Il nous donne dans vous sa vive & juste image,
 Pour couronner tous ses bienfaits.
 Probité, talens, cœur, naissance,
 Sublime & vaste intelligence,
 Tout jusque là s’accorde bien.
 Il ne manqueroit du tout rien,
 Pour une entiere ressemblance,
 Si la Thiare entre vous deux
 Ne mettoit quelque difference.
 Mais si l’on écoute nos vœux,
Si l’on en croit les desirs de la France,
 Delphino pourra quelque jour
Nous envoyer des Nonces à son tour.

AUTRE.

Nonce, qui par toy-mesme és cent fois plus illustre,
 Que par le sang de tes Ayeux ;
Qui donnes à leur nom encore plus de lustre
Qu’il n’en reçût jamais de leurs faits glorieux.
Je trouve que du Ciel les bontez liberales
 Ont répandu dans ta maison
Un long amas d’honneurs & de toute façon.
J’y vois de tout, en creusant les Annales :
 Doges, Gouverneurs, Generaux,
 Patriarches, & Cardinaux,
 Rien ne manque dans ta famille ;
 Par tout elle entre, & par tout elle brille :
 Je ne trouve à dire qu’un point
Qui jusques à ce jour ne s’y rencontre point.
 Il faut qu’elle ait une Thiare.
 Ce point est des plus importans.
Mais j’apperçois, enfin, que le Ciel se prepare,
 À l’y mettre dans peu de temps.
Tout t’annonce ce rang ; tout m’engage à le croire,
 Ta vertu, ton sang, tes talens.
Pour donner à ton nom cette nouvelle gloire,
 Tu n’as qu’à vivre encor dix ans.

Sur ce qu’on luy a fait des Complimens en François, en Italien, & en Espagnol.

 Si vous voyez en mesme temps
 La Seine, le Tibre, & le Tage
 Nous fournir chacun son langage,
 Pour vous marquer nos sentimens ;
 Nous vous expliquerons sans peine
 D’où viennent ces empressemens.
 Le Tibre, le Tage, & la Seine,
Commencent, Grand Prelat, à vous faire leur cour.
Ils se doutent déja que sous vostre Domaine
 Leurs eaux doivent couler un jour.

Le Pere de Colonia, Auteur de ces Madrigaux, en fit un dans le temps de la naissance de Monsieur le Prince de Dombes, qui merite que vous le voyiez. Il dit beaucoup en huit Vers.

Le sang de trois Heros réüni dans moy seul,
Me promet un courage égal à ma naissance ;
Et d’un espoir nouveau flate l’heureuse France.
J’ay d’une part Loüis pour mon Ayeul.
Je sors du grand Condé par le sang de ma Mere.
Un jeune Mars est mon Pere.
De toy, pour me former, Loüis, je feray choix.
Et te suivant toy seul, je les suivray tous trois.

Iris et Tircis. Dialogue §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 164-171.

 

Je vous envoye un Dialogue, qui a esté mis en Musique par un de nos plus habiles Musiciens. Il a receu une approbation generale, dans une assemblée de Connoisseurs, où il a esté chanté, pour satisfaire une Dame du premier rang, qui s'est fait un plaisir de celebrer le retour d'un Epoux aussi vaillant, & fidelle Sujet du Roy, qu'il est tendrement aimé d'une Epouse aimable.

IRIS ET TIRCIS.

DIALOGUE.

IRIS.

L'Hiver flate mon coeur de l'espoir du repos.
Son retour interrompt le bruit tonnant des armes,
Après tant de vives allarmes,
Enfin, je revoy mon Heros.
Je le revoy couvert d'une gloire immortelle,
Mais helas ! revient-il fidelle ?

TIRCIS.

D'où vous naist ce soupçon jaloux ?
Toûjours, charmante Iris, vostre empire m'est doux,
Toûjours pour vos beaux yeux mon coeur est tout de flame,
Le Ciel dont le pouvoir me soumit à leurs coups,
N'a jamais partagé mon ame
Qu'entre la gloire & vous.

IRIS.

Ah ! Tircis, est-il vray qu'une si longue absence
N'ait point changé pour moy vos tendres sentimens ?
Les jeunes Heros de ce temps
Ne se piquent pas de constance.
Eloignez des objets qui possedoient leurs coeurs,
Ils prennent aisément de nouvelles ardeurs.

TIRCIS.

Non, si pour me livrer à quelque amour nouvelle
Mon coeur vouloit se dégager,
Je sens qu'il ne pourroit changer.
La jeune Iris est la plus belle
Des Nymphes qu'on voit sous les Cieux.
Son air n'est pas d'une Mortelle,
Puisque rien de si beau ne peut charmer mes yeux
Le moyen que mon coeur ne reste pas pour elle,
Dans tous les temps dans tous les lieux,
Toujours soumis, tendre & fidelle ?

IRIS.

Si je pouvois n'en point douter
Helas, que je serois heureuse !
Mais les bords arrosez par la Sambre & la Meuse
Ont des Nymphes à redouter.
Leur conduite toujours prévenante & flatteuse,
Promet un sort rempli d'attraits
Aux Amans blessez de leurs traits,
Et nos jeunes Guerriers dans le temps de Bellonne
Quelque intervale donne
Sont ravis de trouver près d'eux
D'agreables objets propres à rendre heureux.

TIRCIS.

Des communes faveurs je méprise les charmes,
Je vous adoreray seule jusqu'au trépas,
Vous triomphez de moy pas vos charmans appas,
Autant que Loüis par ses armes
Triomphe de Nassau dans cent fameux combats.
Quittez-donc un soupçon qui blesse
Ma sincere delicatesse.

IRIS.

Ouy, Tircis, je voy bien que vous estes constant.
Que mon coeur est charmé ! que mon coeur est content !

IRIS & TIRCIS.

Aprés qu'une longue absence
A fait sentir son pouvoir,
Quel plaisir de se revoir
Pleins d'ardeur & de constance !
L'Amour seul peut donner un sort doux & charmant.

TIRCIS.

J'aimeray mon Iris jusqu'au dernier moment.

IRIS.

Je chercheray Tircis tous le temps de ma vie.
Par un heureux destin dont mon ame est ravie
Le devoir s'accorde à mes feux.

TIRCIS.

L'Amour & la Raison nous animent tous deux,
C'est ce qu'à peine on pourra croire.

IRIS & TIRCIS.

Durent à jamais les beaux noeuds
Qui sont formez chez nous par l'amour & la gloire.

Ce Dialogue est de la mesme Mademoiselle l'Heritier qui a fait l'Eloge des Dames, employé dans ma Lettre de Janvier, dont vous m'avez témoigné estre si contente.

[Erratum de l’Eloge des Dames de Mademoiselle l’Héritier inséré dans la lettre de Janvier]* §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 171-173.

Il faut que vous ayez examiné ce petit Ouvrage avec grande attention, puisque vous y avez remarqué un endroit qui ne vous a pas semblé tout à fait juste. La faute n’en doit pas estre imputée à Mademoiselle l’Heritier, mais au Copiste qui a oublié deux Vers dans l’endroit qui vous a fait de la peine. Ainsi au lieu de lire:

 Voila, charmante Celimene,
 Ce que j’ay dit tranquillement
Au prétendu Sçavant, dont la boüillante haine
Déclame contre nous d’un ton si vehement,
Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine,
 Du moins pendant quelque moment.
 Il ne faut pas que son air vous impose, &c.

Vous devez lire dans les derniers Vers que je vous marque,

Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine,
 Du moins pendant quelque moment.
Mais vous, si vous daignez vous en donner la peine,
 Vous le confondrez pleinement.
Il ne faut pas que son air vous impose, &c.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 173-221.

Nous serions toujours heureux, si nous pouvions estre maistres de nos passions, mais il en est de si violentes, qu’elles l’emportent sur tous les secours que nous offre la raison. Un Cavalier né avec toutes les inclinations qui peuvent rendre un homme estimable, vivoit tranquille, & avoit atteint l’âge de vingt ans sans qu’il eust senti les troubles que l’amour cause ordinairement dans les jeunes cœurs. Son veritable panchant estoit pour les belles Lettres, & le desir d’acquerir toujours de nouvelles connoissances l’occupoit si fort, qu’il ne croyoit pas que l’on pust estre sensible à d’autres plaisirs qu’à ceux de l’esprit. L’avantage qu’il avoit d’estre Gentilhomme, luy fit aussi souhaiter d’apprendre tout ce qui peut convenir à un Cavalier, qui a le droit de porter l’épée, & comme c’estoit assez qu’il entreprist quelque chose pour y réussir, il fit de si grands progrés dans ses exercices, qu’en fort peu de temps il devint parfait, autant qu’on peut l’estre à faire des armes & à monter à cheval. Son Pere, qui n’avoit que luy d’Enfans, commença à craindre qu’il ne voulust prendre employ dans l’Armée, & le voulant arrester auprés de luy jusqu’à ce qu’il eust l’âge necessaire pour exercer une Charge des plus importantes de la Robe, qu’il luy destinoit, il n’en trouva point un plus seur moyen que le mariage. Ainsi il luy choisit une Femme, que d’assez grandes successions regardoient. C’estoit une Fille de quinze ans, qui sans estre belle, ne manquoit pas d’agrémens en sa personne. Le Cavalier qui n’en avoit encore que vingt-& un, se laissa conduire par son Pere, & se maria par complaisance, sans pourtant sentir aucun dégoust pour la personne qu’on luy faisoit épouser. Elle estoit d’une humeur fort douce & accommodante, & meritoit les égards qu’il marqua toujours pour elle, mais ils estoient plus fondez sur l’honnesteté que sur l’amour, & si en consentant à toutes les choses qu’il luy voyoit souhaiter, il croyoit l’aimer veritablement, c’estoit parce qu’il n’avoit point éprouvé cette passion dans toute sa force. Il passa deux ans dans l’heureuse tranquillité que l’on goûte quand on borne ses desirs à ce qu’on possede. Il avoit lié une amitié fort étroite avec un jeune Gentilhomme, qui ayant les mesmes inclinations que luy, ne contribuoit pas peu à luy faire aimer ce genre de vie. Ils estoient inseparables, & depuis plusieurs années, ils n’avoient jamais passé un jour sans se voir. Cet Amy qui estoit d’une Province éloignée de Paris d’environ soixante lieuës, estant obligé d’y retourner, conjura le Cavalier de vouloir bien y venir passer un peu de temps avec luy, afin de luy pouvoir faire rendre dans sa famille les honnestetez qu’on avoit euës pour luy dans la sienne. Le Cavalier, qui ne le pouvoit quitter qu’avec peine, consentit à ce voyage, & ils partirent lors que la saison du Carnaval alloit commencer. Le Gentilhomme qui n’avoit en teste que de procurer des plaisirs à son Amy, le prepara à voir de fort jolies femmes dans le lieu où ils alloient. Le Cavalier, naturellement galant, quoy qu’il eust toûjours vécu sans attachement, le pria de ne point dire qu’il fust marié, afin qu’il pust avoir un champ plus libre à leur conter des douceurs, ne doutant point qu’il ne fust mieux écouté, quand il passeroit pour un homme en pouvoir de disposer de luy-mesme, outre qu’il se faisoit une honte d’avoir pris si jeune un engagement sur lequel les plus sensez trouvent à déliberer toute leur vie. Ainsi pour n’estre point en danger d’estre connu, il quitta le nom de sa Famille, & en prit un d’une Terre de son Pere, qu’il n’avoit jamais porté. Son Amy luy tint parole, & luy fit voir beaucoup de monde choisi. Comme le Cavalier avoit infiniment de l’esprit, il brilla par tout avec de grands avantages, & s’acquit en peu de jours par sa bonne mine & par ses manieres, une reputation merveilleuse auprés des femmes. Il estoit bien fait de sa personne, avoit la phisionomie tres-heureuse, & disoit les choses avec un tel agrément, qu’on estoit toûjours ravy de l’entendre. Il n’y avoit rien en luy ny d’évaporé ny de sérieux. C’estoit un enjoüement plein de feu qui donnoit lieu aux plus agréables conversations, & il joignoit à beaucoup de politesse, je ne sçay quoy de si engageant, qu’il estoit mal-aisé de s’en deffendre. On felicitoit le Gentilhomme d’avoir un Ami d’un si grand merite, & comme on avoit appris de luy que son bien & sa naissance répondoient à ses belles qualitez, c’estoit à qui luy feroit un accueil plus obligeant. Quelque empressement que l’on témoignast par tout à luy donner des marques d’estime, il eut un attachement particulier pour une jeune personne qui luy parut toute aimable. Outre la beauté qui estoit piquante en elle, & une taille fine & avantageuse, que l’on pouvoit dire avoir esté faite au tour, elle avoit l’air doux & attirant, & tant d’égalité dans l’humeur, qu’elle estoit toujours la mesme, c’est-à-dire, toujours honneste, toujours complaisante, & toujours preste à faire de bonne grace toutes les choses qu’on pouvoit attendre d’elle, mais ce qui charma principalement le Cavalier, il luy trouva l’esprit aussi solide que vif. Il remarqua, malgré tous ses soins à n’en laisser rien paroistre, qu’elle s’estoit appliquée à le cultiver par diverses connoissances qui ne sont pas ordinaires aux personnes de son sexe. On ne languissoit jamais dans sa conversation, & comme elle avoit beaucoup delecture, s’il arrivoit quelque fois que l’on proposast quelque question, de celles qu’on peut agiter avec les Dames, elle en disoit naturellement son sentiment, avec une netteté inconcevable, & ce qu’elle avoit pensé estoit toujours décisif. Avec tant de belles qualitez, il ne faut pas s’étonner si le Cavalier se laissa prendre. Plus il la connut, plus il l’estima ; & plus il eut d’estime pour elle, plus son cœur en fut touché. La Belle s’en apperçut, & s’en apperçut avec plaisir. Elle voyoit dans le Cavalier tout ce qu’on peut souhaiter en un parfaitement honneste homme, beaucoup de droiture d’ame, une bonté de cœur admirable, & s’imaginant par ce qu’on luy avoit dit de son bien & de sa naissance, qu’il ne pouvoit que luy estre avantageux de meriter sa tendresse, elle ne prit aucun soin de resister au panchant qu’elle se sentoit pour luy. Il est difficile que les sentimens du cœur ne s’échapent au dehors, Le Cavalier connut en fort peu de temps qu’il estoit aimé, & la joye qu’il eut d’avoir fait cette conqueste, fut pour luy un si grand charme, qu’il tomboit d’accord avec luy mesme, qu’il n’avoit jamais goûté un plaisir pareil. La douceur en augmentoit à toute heure, & tout rempli des idées flateuses que sa passion luy fournissoit, un jour qu’il se trouva seul avec la Belle, il ne se put empêcher de luy dire en soupirant, que tant qu’il vivroit, il envieroit l’heureuse fortune de celuy à qui le Ciel avoit destiné le glorieux avantage de vivre uni avec elle, par des nœuds que la mort seule seroit capable de rompre. La Belle ravie qu’il luy donnast lieu de l’obliger à se declarer plus précisément, luy répondit qu’il estoit fort rare d’envier un bien que l’on pouvoit acquerir, & qu’elle voyoit pour luy de si favorables dispositions dans l’esprit de ses Parens, qu’il en pouvoit tout attendre sitost qu’il s’expliqueroit ; qu’à son égard elle vouloit croire qu’il luy rendoit assez de justice pour estre persuadé qu’elle ne mettroit aucun obstacle à ce qui pourroit le rendre heureux. Le Cavalier touché jusqu’au fond du cœur d’un aveu si obligeant, regarda la Belle fort tendrement, luy pressa la main, & répandit quelques larmes. Il tomba en suite dans un trouble, dont tout ce qu’elle luy dit ne put le tirer. Il la quitta un quart d’heure aprés, & estant pressé par elle de luy dire avant que de s’éloigner, ce qui l’avoit mis dans un estat si different de celuy où il avoit accoutumé d’estre, il la conjura de vouloir bien luy accorder quelques jours pour s’y préparer. La Belle ne sceut que s’imaginer de tout ce qu’elle avoit vû. Elle ne pouvoit douter que le Cavalier n’eust beaucoup d’amour. Elle venoit de luy témoigner que la declaration en seroit tres-bien receuë. Selon ce que son Ami avoit publié, leur naissance estoit égale, & il n’avoit pas un bien qui fust au dessus de ce qu’elle avoit sujet de prétendre. Ses reflexions n’aboutirent enfin qu’à luy faire croire que son Ami, pour donner plus de lustre à son merite, l’avoit fait passer pour un homme riche, & d’une Maison considerable, & que ce n’estoit qu’un Avanturier qui se soutenoit par des manieres acquises dans le commerce qu’il avoit avec le beau monde. Dans cette pensée, elle le plaignit de s’estre oublié jusqu’à l’aimer, & elle se plaignit en même temps elle-même, d’avoir pris pour luy des sentimens que sa gloire ne permettoit pas qu’elle conservast. Le Cavalier d’un autre costé estoit fort rêveur & mélancolique. Il se sentoit dans le cœur une passion, dont il commença à s’appercevoir qu’il auroit de la peine à se défaire, & il ne pouvoit se pardonner d’avoir en quelque façon engagé la Belle à répondre à un amour que la raison luy défendoit d’écouter. Ainsi il trouva qu’il estoit de l’honneste homme de ne pas souffrir que la chose allast plus loin, & il falloit pour cela luy déclarer qu’il n’estoit point en pouvoir de profiter des bontez qu’elle paroissoit avoir pour luy. C’est ce qu’il fit peu de jours aprés, en luy disant qu’il n’avoit pû se résoudre d’avoüer qu’il eust consenti à se marier si jeune, & luy demandant le même secret que son Ami luy avoit gardé, il accompagna cette declaration de tant de marques d’estime, & de protestations si fortes d’une amitié aussi solide que tendre, que la Belle, quoy qu’étouffant à regret des esperances qui luy avoient semblé legitimes, ne put s’empêcher de luy promettre la sienne, qu’il luy demanda avec des instances qui la mirent hors d’estat de le pouvoir refuser. Tout simpatisoit en eux, l’humeur, les sentimens, les manieres, & un amour peu commun pour tout ce qui peut éclairer l’esprit. Ils continuerent à se voir avec la même assiduité, quoy que détachez de tout ce qui a coutume de soutenir les liaisons où il est permis de souhaiter quelque chose, & l’estime qu’ils avoient conçuë l’un pour l’autre, & qu’ils sentoient s’augmenter de jour en jour, leur ayant donné une ouverture de cœur reciproque sur tout ce qui se passoit de plus secret dans leurs ames, elle établit entre eux une amitié d’une entiere confiance, qui les charmoit d’autant plus, qu’ils n’avoient aucun interêt en veuë. Le Cavalier vit finir le temps qu’il s’estoit prescrit pour son voyage ; & en prenant congé de la Belle, il obtint la permission de luy écrire, pourvû que leur commerce de Lettres ne fust pas frequent. Il crut devoir se soumettre à cette condition, comprenant bien que les Lettres étoient dangereuses pour le cœur ; & comme il devoit beaucoup à sa Femme, pour qui il avoit de la tendresse, il fut bien-aise qu’on l’obligeast à ne se pas trop permettre sur ce qui pouvoit nourrir une passion infructueuse. Cependant il eut beau faire. Estant de retour chez luy, il connut sensiblement que la Belle luy manquoit. Ces douces conversations si pleines d’esprit & de sentimens si droits sur les matieres les plus delicates, luy estoient toujours presentes, & il ne pouvoit s’en voir privé sans souffrir beaucoup. Il aimoit sa Femme, & reconnoissoit les complaisances qu’elle avoit pour luy, par toutes les honnestetez qui la pouvoient satisfaire ; mais il connoissoit avec chagrin que cette amitié estoit bien moins vive que le panchant qui l’attachoit à la Belle, & il ne pouvoit douter que ce panchant ne fust de l’amour. Il faisoit part de ses peines à cette charmante Fille, & en luy disant qu’il essayoit de se dissiper parmy les Femmes, il luy avoüoit qu’elle luy avoit rendu leur entretien insipide. La Belle se plaignoit de son costé, de ce qu’il l’avoit laissée sans goust pour tous ceux qu’elle voyoit, & en l’instruisant de l’estat de ses affaires, elle luy marquoit qu’il s’offroit toujours quelque Parti, mais qui luy avoit ouvert les yeux sur un genre de merite qu’elle ne pouvoit trouver, & qui devoit seul meriter son choix. Ainsi elle paroissoit resoluë en quelque sorte à ne se point marier, si quelque raison plus forte que son inclination ne l’y engageoit. Les choses estoient en cet estat, quand le Cavalier demeura Veuf. Sa Femme mourut presque tout d’un coup d’un mal violent, où l’on ne put trouver de remede. Il en parut affligé, & il le fut effectivement ; mais mille choses flateuses qui luy fraperent l’esprit, adoucirent sa douleur, & la liberté où il se vit de ne plus donner de bornes à ce qu’il avoit toujours senti pour la belle, luy fit concevoir des esperances qui luy peignirent un bonheur parfait. Il ne voulut point luy écrire le changement d’estat qui luy estoit arrivé, & feignant que le chagrin l’obligeoit à se retirer quelque temps dans une maison de campagne, il partit presque aussitost pour luy en aller luy-même porter la nouvelle, persuadé que le témoignage d’une passion empressée, l’engageroit à se donner toute à luy, comme il estoit tout à elle. Le second jour qu’il fut en chemin, estant entré dans la plus fameuse hostellerie d’un lieu où il jugea à propos de s’arrester pour dîner, il leva les yeux vers une galerie qui regnoit le long d’une partie de la cour, & tout à coup frappé par des traits brillans qui le surprirent, il reconnut l’aimable personne qu’il alloit chercher. Ils firent tous deux un cri, qui marquoit de part & d’autre autant de joye que d’étonnement. Le Cavalier courut à la Belle, qui luy demanda d’abord où il alloit, & d’où luy venoit son habit de deüil. Il luy apprit qu’elle estoit l’unique sujet de son voyage, & pour l’en mieux assurer, il ajoûta, qu’elle ne pouvoit douter qu’il n’eust toujours, & le même amour & le même empressement qu’il luy avoit fait paroistre ; qu’une mort fort impréveuë luy avoit osté sa Femme ; qu’il estoit maistre de ses volontez, & qu’il ne tiendroit qu’à elle qu’il ne devinst le plus heureux de tous les Amans. Cette nouvelle qui la devoit réjoüir, la laissa toute interdite, & un air serieux & sombre qui parut tout d’un coup sur son visage, ayant obligé le Cavalier à luy dire avec transport, qu’il craignoit bien qu’elle n’eust changé, elle répondit, qu’il estoit si vray qu’elle estoit toujours la même pour luy, qu’une des plus grandes satisfactions dont elle s’estoit flatée à Paris, où elle alloit demeurer, estoit celle de le voir, & de luy donner de nouvelles preuves de sa parfaite amitié ; mais qu’elle ne pouvoit rien au delà, puis qu’elle estoit mariée depuis huit jours à un Gentilhomme qui se disoit fort de ses Amis ; qu’elle croyoit l’aller surprendre agreablement, estant bien éloignée de s’imaginer que sans qu’elle en eust rien sceu, il fust en pouvoir de disposer de luy-même. Ce coup de foudre abattit le Cavalier. Ses esperances évanoüies tout à coup lors qu’il avoit lieu de n’y craindre aucun obstacle, luy causerent un si fort saisissement, qu’il en perdit toute connoissance, en sorte qu’il seroit tombé, si on ne l’eust soutenu. On le porta comme on put dans une chambre voisine, où il demeura longtemps sans reprendre ses esprits. Si-tost qu’il fut un peu revenu à luy, il jetta les yeux de tous costez, & remarqua parmi ceux qui estoient dans cette chambre, l’heureux Epoux de la Belle, qu’il reconnut pour un Gentilhomme avec qui il avoit eu beaucoup d’habitude. Ce Gentilhomme, qui dans le temps de l’évanoüissement donnoit quelques ordres, afin qu’on eust soin de ses chevaux, témoigna au Cavalier qu’il prenoit grand interest, & à l’accident qui luy venoit d’arriver, & à la douleur qu’il ne doutoit point qu’il ne ressentist pour la perte de sa Femme. Le Cavalier apprit ensuite de luy, qu’estant depuis six mois en Province, un de ses Amis luy avoit fait voir l’aimable personne qui avoit bien voulu l’épouser, & qu’en la voyant il avoit esté tellement charmé de sa beauté, de son esprit, & de ses manieres, que dés le troisiéme jour il avoit parlé de mariage ; qu’heureusement sa Famille & sa naissance estoient connuës, & que l’affaire s’estoit concluë aussitost, d’autant plus facilement, que la Belle estant dégoustée de la Province, où aucun Parti ne l’accommodoit, avoit paru avoir de la joye de trouver l’occasion de s’établir à Paris. Cela fut suivi d’un renouvellement d’assurances d’amitié, & on ne sçauroit rien ajoûter aux honnestetez qu’ils se firent l’un à l’autre. Ils dînerent tous ensemble ; & le Cavalier dont le chagrin avoit une cause apparente qui cachoit la vraye, dit en les quittant, que pour éviter les complimens qu’on luy venoit faire de toutes parts sur son déplaisir, il alloit passer quelques jours à une Terre où il ne verroit que fort peu de monde. Il y alla en effet, & tâcha de s’y remettre du coup dont il venoit d’estre si cruellement frapé. Combien de reflexions fit-il dans sa solitude, sur le malheur d’avoir eu des esperances qui paroissoient ne pouvoir estre douteuses, & de les trouver détruites presque aussitost par un mariage que le hazard avoit fait faire, dans le temps même qu’il avoit commencé à estre libre ! Cependant il falloit qu’il se contentast d’avoir une Amie pleine de merite & de vertu, avec qui il pouvoit ouvrit son cœur sur toutes choses. Il la vit avec assez d’assiduité à son retour, & luy donna ses conseils sur les personnes qui luy convenoient pour faire societé. Comme elle avoit l’esprit penetrant & fort delicat, elle ne lia commerce qu’avec du monde choisi. C’estoit le moyen d’avoir de fort agreables conversations. Le Cavalier en estoit presque toujours ; & s’il n’y paroissoit pas avec la gayeté qui luy estoit ordinaire, la mort de sa Femme estoit un prétexte qui autorisoit ce changement. Le temps le rendit à la raison, & quoy qu’il eust toujours pour la Belle un tres-violent amour, il se le déguisoit à luy-même, & vouloit croire que tous ses soins n’estoient qu’un simple effet d’amitié. Il est vray qu’il ne se permettoit aucune parole qui luy marquast rien de plus, & l’union estant aussi grande avec le Mary qu’avec la Femme, elle ne blessoit personne. On voulut souvent le remarier, & il s’offrit même des Partis qui obligerent la Dame à luy conseiller de n’en pas negliger les avantages, mais rien ne put l’obliger à changer d’estat, & il avoit passé cinq ou six années toujours charmé de cette aimable personne, & toujours également empressé pour elle, lors que son Mary ayant monté un cheval un peu fougueux qu’il vouloit réduire, ce qu’il avoir déja fait plus d’une fois, ne put un jour soutenir une secousse impréveuë, qui malgré toute son adresse, le jetta sur une pierre, dont il eut la reste fracassée. On n’eut pas plûtost appris sa mort, que tous ceux qui connoissoient l’attachement du Cavalier pour la Dame, & la forte estime qu’elle avoit pour luy, les marierent ensemble. Le Cavalier, quoy qu’affligé veritablement d’un accident si cruel, ne put renoncer au plaisir secret que luy donna l’esperance qui estoit renduë à son amour. Il n’en fit rien d’abord paroistre à la Dame, & s’appliqua seulement à la consoler, & à prendre soin de ses affaires, mais quand il vit sa douleur un peu assoupie, il luy demanda si elle vouloit qu’il fust toûjours malheureux quand tout son bonheur dépendoit d’elle. La Dame qui l’entendit ne luy voulut point déguiser ses sentimens. Elle luy dit qu’elle n’avoit pas de si mauvais yeux qu’elle eust pû ne pas s’appercevoir de l’effort qu’il s’estoit fait, pour se contraindre auprés d’elle ; qu’elle avoit lû dans son cœur tout ce qu’il avoit souffert, & que l’honneste homme luy ayant fait supprimer tout ce que l’Amant sembloit le devoir forcer à luy dire, elle se sentoit engagée à reconnoistre ces marques d’estime, par toutes les choses qu’il pouvoit attendre de son amitié, mais que devant compte de sa conduite au Public, elle ne pouvoit, sans blesser la bienséance, songer à aucun engagement que la premiere année de son deüil ne fust expirée ; qu’elle vouloit bien qu’il la vist jusqu’à ce temps, avec toute l’assiduité permise à un homme qui a des esperances autorisées, & qu’elle avoüeroit sans aucune peine que si elle prenoit jamais un fecond Mary, ce seroit luy qu’elle choisiroit. Le Cavalier aimoit trop la gloire de la Dame pour la vouloir exposer aux murmures du Public. Ainsi quoy que son amour eust peine à s’accommoder d’un si long retardement, il la laissa maistresse du temps, pourvû que sans differer, elle voulust bien signer avec luy un Contrat de Mariage. Elle eut cette complaisance, & il fut dressé aux conditions qu’elle voulut. Plus le Cavalier en reçut de joye, & plus il eut d’impatience de voir la fin du terme prescrit. Elle arriva, & le jour fut arresté pour le mariage. Tout le monde y applaudit, & les complimens qu’on leur en vint faire de tous costez, n’eussent point eu d’interruption, sans une langueur accompagnée de fiévre, où l’aimable Veuve tomba tout à coup. Le Cavalier vit son bonheur reculé avec un chagrin inconcevable. Il appella aussi tost les Medecins, qui l’assurerent que ce seroit pour fort peu de temps ; mais quoy qu’ils ne trouvassent rien de dangereux au mal de la Dame, elle en eut fort mauvaise opinion dés les premiers jours, & frapée du pressentiment qu’elle en mourroit, elle voulut se mettre en estat de ne craindre pas d’estre surprise. Quoy qu’on fust persuadé qu’elle s’alarmoit mal à propos, il y auroit eu de l’injustice à l’empêcher de se satisfaire. Le Cavalier qui ne l’abandonnoit point, la voyant toujours dans de funestes pensées, faisoit ses efforts pour l’en défaire, & luy demandoit souvent si elle vouloit le desesperer. Rien ne pouvoit approcher de sa douleur, quand se representoit que l’ayant trouvée mariée lors qu’il alloit la prier d’agréer son cœur & sa fortune, il estoit si malheureux, qu’il se voyoit prest de la perdre pour toujours sur le point de l’épouser. Elle eut dix ou douze jours aprés de frequentes défaillances, dont les Medecins ne pouvoient bien connoistre la cause, & continuant toujours à dire qu’elle n’en reviendroit pas, elle conjuroit le Cavalier de la moins aimer, s’il se pouvoit, afin que sa mort ne le touchast point si vivement. Les choses tendres qu’elle ajoûtoit pour l’en consoler, estoient pour luy autant de coups de poignard. Aussi n’eut-il pas la force de soutenir celuy qu’il receut, lors que luy tenant un jour la main, elle dit tout d’un coup d’une voix foible qu’elle alloit mourir, & que l’on prist garde à elle. On accourut promptement, & on tâcha de la secourir. Le Cavalier la regardoit attentivement, sans pouvoir prononcer une parole, & il demeura immobile dans un fauteuil, ayant les yeux attachez sur elle. Un moment aprés on cria qu’elle estoit morte, & ce triste cri le penetra de telle maniere, qu’on le trouva mort luy-même. Tous ceux qui avoient pris interest à leur mariage, connoissant le rare merite qui les rendoit si dignes d’estre unis autrement que par la mort, les pleurerent l’un & l’autre, & admirerent dans le Cavalier le plus surprenant effet de l’amour, dont on eust encore entendu parler.

[Relation des honneurs rendus à Mme la Duchesse de Modene] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 233-253.

 

Les Nouvelles publiques vous ont appris que Mr le Duc de Modene avoit epousé Madame la Princesse de Hanover. Cette nouvelle Duchesse accompagnée de Madame la Duchesse de Hanover sa Mere, arriva au commencement du mois passé, dans les Etats du Duc son Mary. La Lettre qui suit vous fera sçavoir la reception qui a esté faite à ces deux Princesses, en beaucoup de lieux par où elles ont passé.

 

À Modene ce 15 Février 1696.

 

[...] Nous entrâmes à Veronne au bruit du canon, de la mousqueterie, des boëtes, & de toutes sortes d'instrumens, & trouvâmes plus de dix mille personnes hors de la Ville. Toutes les rues estoient illuminées, tous les balcons tapissez. Nous logeâmes dans le Palais du Podesta. Il y eut le soir, & tous les jours suivans de nostre sejour, Serenades, Opera, Comedie & Bals, où se trouverent toujours plus de trois cens Dames, plus belles & mieux mises les unes que les autres, & toutes couvertes de pierreries. Il ne se peut rien ajoûter à la magnificence des tables, & à l'affluence de toutes choses, qui surpasserent tout ce qu'on s'en peut imaginer. Tout cela nous suivit jusqu'à une journée & demie de Veronne. C'estoient les limites des la Republique, & de l'Etat de Mantoüe. Là se trouverent l'Ambassadeur & le Podesta de Veronne, avec les mêmes Troupes reglées de Milice, & une infinité de peuple. Ils haranguerent de nouveau, & prirent congé. L'Ambassadeur fut regalé d'un Portrait enrichi de Diamans, de la part du Duc de Modene, & en cet endroit se trouva la Dame d'honneur de la Duchesse de Mantouë, qui complimenta les Duchesses de la part de sa Maitresse, & monta dans leur carosse. Il y avoit aussi la Compagnie des gardes de la ville de Mantouë, qu'on appelle la Compagnie des Marchands. Leurs chevaux estoient chargez de rubans, & les Gardes étoient tous en juste-au-corps de velours couleur de citron. À deux lieuës de Mantoüe arriva le Duc, qui fit ses complimens & s'en retourna. Une lieuë approchant de Mantouë, nous trouvâmes les chemins garnis de lumieres & de Milice, comme à Veronne. Nous entrâmes au bruit de toute l'artillerie & des cris de joye. Le Duc et la Duchesse se trouverent à la porte pour y recevoir les nostres. Nous logeâmes dans le Chasteau, qui est un des plus grands & des plus richement meublez de l'Europe. Il est situé sur un lac, ce qui le rend un lieu fort mal sain. Nous y sejournâmes deux jours, pendant lesquels il y eut toujours Opera, Comedie & Bal, où estoient de tres-belles Dames, & plusieurs autres qui nous avoient suivis de Veronne. [...] On arriva [le 6] à deux heures de nuit à Buon-Porto. Nous logeâmes dans un Palais appartenant à la Marquise de Rangoni, Dame d'honneur de la Duchesse de Modene ; le mariage y fut consommé, & nous en partîmes à trois heures aprés midy en carosse, pour nous rendre le soir à Modene, éloignée de quatre lieuës. À moitié chemin nous rencontrâmes la Duchesse mere, accompagnée de soixante & dix carosses à six chevaux, qui composerent le cortege de nostre Entrée. Depuis là les chemins furent bordez de lumieres, comme avant qu'on arrivast à Veronne & à Mantoüe. Tous les Clochers étoient illuminez à triple étage, aussi bien que les remparts, ce qui produisoit la nuit le plus bel effet du monde. Nous entrâmes au bruit du canon, de la mousqueterie, des boestes, des fusées volantes qui continuerent toute la nuit & des acclamations du Peuple. Toute la Ville estoit illuminée & tapissée dans les principaux endroits. Les rues même où l'on ne devoit point passer, l'estoient aussi depuis le pavé jusque sur les toits, avec des lanternes de papier huilé & peint de differentes couleurs. Les Palais l'estoient par une infinité de grands flambeaux de cire blanche, & l'on en compta à celuy du Duc jusques à huit cens, qui brûlerent toute la nuit. Le Palais qui n'est point encore achevé, sera un des plus grands & des plus magnifiques d'Italie. Il y a dès à present un grand nombre d'appartemens aussi somptueusement meublez que l'on en voye en beaucoup de Cours. Celuy de la Duchesse contient dix-sept ou dix-huit grandes Pieces de plein pied, où les moindres tapisseries sont de velours cramoisi avec de larges galons & des franges d'or. Le lit de la Duchesse est d'une broderie particuliere dedans & dehors, avec quantité d'ornemens de Perles ; & la Toilette, qui estoit des plus magnifiques, est de vermeil cizelé, avec le bas d'un tres beau point de Venise. En un mot, c'est le veritable Palais où l'Amour fit transporter Psyché par les Zephirs. Il n'y a personne qui soit plus galant, plus sage & plus content que le Duc. Ce fut le 7. que nous arrivâmes icy, & le Lundy 13. on fit la ceremonie de mariage dans l'Eglise Cathedrale, qui estoit magnifiquement ornée. Tout le pavé, & même celuy du Porche, estoit couvert de vieux tapis. La Messe fut celebrée pontificalement par l'Evêque, avec Musique, & le Te Deum chanté ; aprés quoy on fit le Festin nuptial. Vous n'avez qu'à vous imaginer tout ce qu'il y a de plus propre, de plus delicat & de plus abondant en viandes, fruits & confitures, ce qui fut suivi du Bal. Hier l'on tira un Feu d'artifice des mieux entendus. Tout cela meriteroit une description plus étendue que celle que je vous fais, mais j'espere que vous voudrez bien vous en contenter.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 312-313.

Je vous envoye à mon ordinaire, un Air nouveau d'un de nos meilleurs Maistres de Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 313.
De vostre changement, la Belle,
Je ne suis point en couroux.
Si vous estes infidelle,
Je le suis autant que vous.
images/1696-03_312.JPG

[Ouvrages posthumes de Mr de la Fontaine] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 313-316.

 

Il en est des Auteurs illustres comme des grands Peintres, leurs Ouvrages semblent augmenter de prix par leur mort. C'est ce qui fait qu'aprés qu'on les a perdus, on s'empresse à ramasser tout ce qu'on peut trouver d'eux, jusqu'à des fragmens, quoy que mutilez. Ainsi, vous ne devez pas estre surprise, si depuis la mort de Mr de la Fontaine, on a pris soin de faire un recueil de tous les Ouvrages qui portoient son nom, & qui n'avoient point encore esté imprimez. On vient de le donner au Public, sous le titre d'Oeuvres Posthumes. Ce ne sont point des fragmens, ny des morceaux détachez qu'il ait laissez imparfaits. Ce sont toutes pieces que Mr de la Fontaine a finies, & qui doivent d'autant plus attirer les Curieux, que l'on peut estre assuré qu'elles sont de luy, puis qu'estant original dans son genre, & par conséquent inimitable, son Stile est trop aisé à connoistre pour luy pouvoir imputer de fausses copies. Il y a des Lettres en Prose, des Lettres en Vers, d'autres mêlées de Vers & de Prose avec quelque Fables, & dans tout cela, on voit briller ce talent exquis, qui l'a distingué avec tant de gloire, de tous ceux qui ont tâché de suivre la mesme route. Ce recueïl d'oeuvres Posthumes, qui est regardé comme un tresor, par tout ce qu'il y a de personnes qui aiment les belles choses, se trouve chez le Sr de Luynes, libraire au Palais, dans la Salle des Merciers.

[Livres nouveaux. Polixène]* §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 316-317.

Je vous manday le mois passé que la Troupe des Comediens du Roy, avoit representé une piece serieuse, qui par sa beauté avoit réveillé le goust de la Tragedie. Cette Piece qu'on appelle Polixene, a eu quantité de Partisans fort considerables, & son succez a justifié tout le bien qu'ils en ont dit. Vous en pourrez juger par vous-mesme en la lisant, puisqu'elle se debite chez le Sr Thomas Guillain, Libraire, à la descente du Pont-neuf, prés les Augustins.

[Le Viellard couru, ou les differens caracteres des Femmes] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 317-320.

 

La premiere representation de la Comedie le Viellard couru, où les differens caracteres des Femmes, ayant esté faite il y a huit jours, plusieurs s'appliquerent à chercher de la verité dans les portraits qu'on y fait de quantité de Maistresses du Veillard, quoy que l'Auteur n'ait eu intention de peindre personne, mais seulement de donner des Amantes au Heros de sa Piece, qui, suivant son sujet, devoit en avoir beaucoup. Il n'est pas impossible que plusieurs de ceux qui ont fait des applications, se soient trompez de bonne foy mais il est sûr que d'autres cherchant à perdre la Piece, & à exciter du murmure, ont fait exprés de fausses applications, puisque de differens portraits placez en divers actes, ils ont pris des morceaux, & les ont joints pour en composer quelques-uns, & appliquer à une seule personne ces differens morceaux joints ensemble, quoy qu'ils ayent esté faits pour plusieurs, & sans qu'on ait eu d'autre objet que d'entrer dans le naturel, soit à l'égard du beau, soit à l'égard du laid, de la pluspart des femmes. Voilà ce qui attira tant d'ennemis à la Piece, le premier jour qu'elle parut, mais le nombre de ses Auditeurs ayant esté grand & équitable dans les representations suivantes, l'Auteur doit estre satisfait de la justice que le Public luy rend, en dépit des ennemis qu'il estoit innocemment attirez.

[Epistre de Mr de Senecé] §

Mercure galant, mars 1696 [tome 3], p. 322-323.

Je ne suis point surpris que vous m’ayez demandé de qui est l’Epistre en Vers que je vous envoyay le mois passé, & qui commence par

Eh quoy, toujours fidelle à vostre solitude ?

Le tour en est si aisé, & les pensées si naturelles, qu’il est difficile en la lisant, de n’avoir pas la même curiosité que vous m’avez fait paroître. Cette Epistre est de Mr de Senecé, dont le nom vous est connu par plusieurs Ouvrages d’un tres-bon goust que vous avez déja vûs de luy.