1696

Mercure galant, mai 1696 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1696 [tome 5].
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Mercure galant, mai 1696 [tome 5]. §

[Lettre de Mademoiselle l’Héritier] §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 55-77.

 

Je vous ay avertie dans une de mes dernieres Lettres, de quelques Vers que le Copiste auoit oubliez, en transcrivant l’Eloge des Dames de Mademoiselle l’Heritier. Cet Eloge a esté lû avec tant de plaisir par tout, & il a fait tant d’honneur à toutes celles de vostre Sexe, que je ne puis m’empêcher de vous faire part de ce qui a esté écrit sur ce sujet depuis qu’il est devenu public. Je commence par une Lettre de la même Mademoiselle l’Heritier, dont l’heureux genie paroist en tout ce qui porte son nom. Elle est écrite à une Dame, qui n’est pas moins distinguée par son merite que par sa naissance.

À MADAME
LA MARQUISE DE C…

Les flateuses loüanges ; Madame, que vous donnez à mon petit Ouvrage de l’Eloge des Dames, sont si obligeantes, qu’elles me feroient oublier la querelle que vous me faites, de ce que vous n’avez entendu parler de ces Vers que par le Mercure Galant, si je n’estois persuadée que l’amitié m’engage à vous faire voir que cette querelle n’est pas juste. Vous n’ignorez pas que depuis que l’ascendant d’une certaine Etoile, à laquelle on ne peut résister, eut répandu dans le monde les bagatelles rimées que j’avois tant de soin de cacher, parce que je ne les croyois bonnes tout au plus qu’à m’amuser avec trois ou quatre de mes Amies de mon caractere ; vous n’ignorez pas, dis-je, que depuis ce temps, où vous fustes informée de mon commerce avec les Muses, elles ne m’ont rien dicté de serieux ou d’enjoüé, que je ne vous en aye fait part avec exactitude, puis que vostre amitié le vouloit ainsi ; mais à l’égard des Vers de l’Eloge des Dames, je ne pouvois contenter cette exactitude par la loy que je m’estois prescrite, de ne laisser voir cet Ouvrage qu’aux personnes qui avoient eu quelque part à la conversation qui l’avoit fait naistre. J’observay regulierement cette loy ; mais quelques-unes de nos Amies ne furent pas si scrupuleuses. Elles ne se firent pas une affaire de publier cette Piece, malgré les projets que nous avions faits toutes ensemble de ne nous en divertir qu’entre nous. Comme les raisons qu’on avoit sur cela ne subsistent plus, & que de même que les Vers, la conversation s’est divulguée, peut-estre vous en a-t-on fait quelques recits, mais apparemment ils ne sont que confus. Je vais donc vous dire le sujet qui forma une dispute fort vive dans une compagnie, où l’on ne songeoit qu’à se divertir.

Dans le temps qu’on representoit la Tragedie de Bradamante, qui, comme vous sçavez, a fait beaucoup de bruit, par la force de ses Vers & la delicatesse de ses sentimens, on vint à examiner les beautez de cette Piece dans la compagnie dont il est question. Un homme d’un caractere fort extraordinaire, dit qu’il ne comprenoit pas comment on pouvoit approuver une Tragedie dont le sujet estoit entierement hors du vray-semblable, puis qu’on y introduisoit deux Femmes vaillantes, ce qui blessoit tous les gens éclairez, qui sçavent bien que jamais le courage ny la fermeté ne se rencontroient dans ce Sexe. Toute la compagnie surprise d’un si étrange sentiment, s’écria que rien n’estoit plus vray-semblable, & plus vray, que de voir du courage dans des Femmes ; & comme si j’estois obligée d’estre toûjours la Championne des belles qualitez des Dames, tout le monde tourna les yeux sur moy, & m’engagea à entrer dans cette dispute pour les deffendre. Le Cavalier qui les avoit attaquées, voulut montrer par de fantastiques preuves, toutes herissées de Grec & de Latin, qu’il n’y avoit point de Femmes qui ne fussent naturellement poltronnes, legeres, & pleines de foiblesses, & mesme qu’il falloit qu’elles fussent ainsi pour plaire. Ensuite il se mit à déclamer mille Philosophiques injures contre-elles avec une rapidité inconcevable, & finit en disant qu’il estoit extravagant de supposer qu’il pust y en avoir de vaillantes. Aprés qu’il se fut éteint la voix à force de parler viste & de crier haut, je trouvay enfin le temps de luy répondre, & de luy prouver par mille raisons, que je ne vous redis point parce qu’elles sont trop faciles à imaginer, qu’il estoit absolument dans le vray-semblable que les Femmes pussent avoir du courage. Il debita encore de nouveau une foule de passages Latins & dans ses citations, il fit un assemblage bizarre des badines fictions des Poëtes, & des Livres dont on ne doit parler qu’avec le plus profond respect. Voyant que les raisons faisoient si peu d’impression sur son esprit, je fus contrainte d’avoir recours aux exemples. Ainsi je fis passer en revûë toutes les Femmes vaillantes de l’Histoire Grecque, Romaine & Françoise, jusqu’à la Pucelle d’Orleans, & examinant ensuite les Heroïnes entierement modernes, je n’oubliay pas l’action éclatante qui a couvert l’illustre Mademoiselle de la Charsse, d’une gloire immortelle. Je connus alors que cet adversaire des Dames avoit cru parler à de plus ignorantes personnes que nous n’estions. Ces exemples le desarmérent, & il se compta si bien vaincu qu’il se reduisit à changer de These. Il s’en tint donc tout d’un coup à dire que toutes les Femmes dont je venois de parler auroient bien mieux fait de mettre leurs mouches & de filer leur quenoüille, que d’aller faire les Capitaines, & les Generaux. Enfin, Monsieur, luy répondis-je, vous estes obligé de convenir qu’il y a des Femmes vaillantes. Vous ne vous retranchez plus qu’à dire qu’elles ne le devroient pas estre. Voila la dispute changée de sujet, mais si quelques-uns de ceux qui nous écoutent, veulent entrer en lice, ils vous convaincront aisément qu’il est des occasions où le courage & la valeur même sont necessaires aux Femmes.

Vous avez si bien parlé pour elles, me dit-on tout d’une voix, que nous prétendons que vous acheviez ce que vous avez si heureusement commencé ; & puis que vous avez prouvé que la valeur se trouve aussi dans leur sexe, il faut encore que vous fassiez voir quand il la doit mettre en usage. Je ne pus me deffendre de continuer à soûtenir une cause si juste, & je n’eus pas de peine à montrer, qu’ainsi qu’il seroit hors d’œuvre à une femme de quitter le centre de sa patrie où l’on seroit tranquille, pour aller faire l’Amazone à contre-temps dans une armée nombreuse, pourveuë d’habiles Genéraux & de braves Officiers, ce seroit encore une conduite bien plus blâmable, si sous le prétexte du peu d’habitude qu’a son sexe à essuyer les perils, elle voyoit sous ses yeux le fer & le feu ravager son païs, sans avoir le courage d’exposer sa vie & de faire agir sa valeur, pour conserver ses biens & sa liberté, & prendre le party de ceux à qui le Ciel n’a pas donné la force de se deffendre. Je fis voir que dans ces occasions, non-seulement il estoit permis aux femmes qui avoient de la fermeté & de la valeur, de la faire éclater ; mais que mesme il leur seroit fort honteux de n’en point avoir. Je dis encore beaucoup de choses que je ne vous rapporte pas, de peur de vous ennuyer, quoy que la situation d’esprit où étoient ceux qui nous écoutoient, fist qu’ils en étoient divertis ; mais enfin nostre sçavant Cavalier qui ne se battoit plus qu’en retraite dans cette derniere dispute, fut mis entierement hors de combat.

Comme les Dames qui étoient presentes à nôtre conversation sont extrémement de mes amies, je ne pus resister aux prieres empressées qu’elles me firent de la mettre en Vers, mais je n’y consentis qu’à condition que ces Vers ne seroient vûs que de nôtre petite Societé. On me le promit, mais on ne se fit point de scrupule de ne me pas tenir parole, ainsi que je vous l’ay déja dit. Cette bagatelle courut dans le monde, & mesme a donné sujet à des Ouvrages d’un tour aussi aisé que délicat. Pour vous témoigner, Madame, que je veux continuer à vous faire part exactement des nouveautez du Parnasse, je vous envoye ces agréables Ouvrages, & ceux que j’ay faits à leur sujet ; & afin que vous foyez pleinement contente de moy, je vais vous rendre compte de certains petits détails qui vous feront trouver plus de plaisir à ces productions d’esprit. Premierement, il faut que je vous apprenne que sans avoir bravé le feu des ennemis comme Mademoiselle de la Charsse, ni soûtenu un Siege comme l’Epouse du Comte Tékéli, il y a déja long temps que je suis en possession du titre de Fille courageuse, & je vous diray confidemment que jamais titre n’a moins coûté à aquerir. Parce que quand il tonne je ne me cache pas sous le rideau d’un lit comme Madame D.… & qu’au contraire on me voit aussi tranquille que lors qu’il fait beau temps, parce que quand je suis dans un carosse attelé de chevaux fougueux, loin de faire des cris aussi hauts que Mademoiselle P.… je n’ay nulle frayeur, & enfin, parce qu’on me voit tirer grand nombre de coups de pistolet, quand le Roy prend des Villes ou gagne des Batailles, & qu’en telle Campagne ce rapide Conquerant m’a fait faire cet exercice jusqu’à trois & quatre fois en un seul mois, sur de pareils exploits on m’a donné liberalement le nom de Fille intrepide. Peut-estre la suis-je en theorie, mais, Madame, vous sçavez que je ne la suis point en pratique, je n’en ay jamais eu l’occasion.

Cependant, comme j’estime infiniment l’intrepidité, & que je l’honore par tout où je la trouve, quelque temps aprés vôtre départ, nous eusmes une fort plaisante conversation sur le courage, & sur la poltronnerie chez une belle Duchesse que vous connoissez, qui par sa science peut justement estre comparée à Minerve, mais qui ne seroit pas propre à imiter la valeur de Pallas. Je luy faisois la guerre de son extrême timidité, & luy disois, que si le Ciel m’avoit fait naître d’un autre sexe, j’aurois déja bien des fois signalé mon courage. Quelques Cavaliers qui étoient présens, me dirent que je devois faire éclater ce courage à la gloire de l’amour, au lieu de le combattre, comme je faisois sans cesse. Je leur répondis en plaisantant que le fond d’intrepidité que je me sentois me porteroit toûjours à éviter du moins toutes sortes de chaisnes, puisque mon sexe m’empeschoit d’aller cueillir des Lauriers en suivant les Drapeaux du Roy.

Romance sur l'air L’autre jour m’en allant promener, Ah ! mon mal vient que d’aimer §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 77-86.

 

[...] comme la charmante Duchesse chez qui nous étions, m'avoit priée de luy faire des couplets sur un certain Air qu'elle aimoit fort, je luy fis Impromptu une maniere de Romance que je vous envoye, qui rouloit sur le mesme sujet que la conversation que nous avions euë.

ROMANCE,
SUR L'AIR

L'autre jour m'allant promener,
Ah ! mon mal vient que d'aimer.

Evitons l'amour & ses traits.
Qu'il est beau de n'aimer jamais !
Je croy que ses plus doux attraits
Ont encor bien des peines.
Qu'il est beau de n'aimer jamais !
Bravons toûjours les chaisnes.
***
Si quelque objet peut enflamer,
La gloire seule doit charmer.
Chaque Sexe doit s'en former
Un attirant modele.
La Gloire seule doit charmer,
Ne vivons que pour elle.
***
On parvient par divers sentiers
À cueïllir de brillans Lauriers.
Dames ainsi que Cavaliers
Peuvent orner l'Histoire.
On parvient par divers sentiers
Au Temple de Memoire.
***
Mais pour atteindre aux prompts honneurs,
Vive Mars, vive ses faveurs,
Themis & les sçavantes Soeurs,
Ont une belle route
Mais pour atteindre aux prompts honneurs,
Mars vaut bien mieux, sans doute.
***
Quand on est du sexe à fracas,
Qu'il est beau d'aimer les combats !
Qu'on trouve de touchans appas
Au mestier de Bellone !
Qu'il est beau d'aimer les combats !
Que de gloire s'y donne !
***
Si mon sexe l'avoit permis
Que j'aurois bravé d'ennemis !
Tous ceux que Louis a soumis
M'auroient vû les combattre.
Que j'aurois bravé d'ennemis
Si Dame alloit se battre !
***
On fait des exploits inoüis
Quand on suit les pas de Loüis.
L'oeil & le coeur sont réjouis
De l'éclat de sa gloire.
Quand on suit les pas de Loüis
On court à la Victoire.
***
Mais en dépit de mon ardeur
Je ne puis suivre ce Vainqueur.
Chantons sa rapide valeur,
Pour luy faisons des festes.
Je ne puis suivre ce Vainqueur.
Celebrons ses conquestes
***
Chantant ce Heros chaque jour
Je prétens combattre à mon tour.
Je veux toûjours vaincre l'Amour
Et terrasser sa brigue.
Je prétens combattre à mon tour,
Mais ce n'est pas la Ligue.

Fragment d’une Lettre en Chansons §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 81-96.

 

Ces couplets devinrent fort à la mode, & cela me donna auprés de quelques gens un petit air Amazonien, que de bonne foy je n’avois nullement songé à m’acquerir, comme vous jugez bien, n’ayant cherché dans cet entretien & dans ces chansons qu’à me divertir, en expliquant mes sentimens naturellement. On s’est souvenu encore depuis que pendant que j’estois en Normandie en 1694. & que les Ennemis prenoient mille mesures pour insulter nos Ports & les Côtes de cette Province, la confiance que j’ay dans la suprême sagesse, & l’ascendant du Roy, me fit toujours dire, sans prendre les moindres alarmes, que les Anglois feroient bien plus de bruit que d’effet ; & on a remis sur les rangs une Lettre en chansons, que j’écrivois à une de mes Amies de Bayeux, où j’estois dans ce temps-là, & qui, comme vous sçavez, est sur la route de la Hogue. Ne m’allez pas encore faire une affaire, de ce que vous n’avez point vû cette Lettre, c’est que j’ay cru qu’elle ne meritoit pas vostre attention ; mais puis qu’on s’est avisé de la tirer de l’oubli, je vais vous en dire quelques morceaux. Vous sçavez que ces sortes de Lettres se font sur mille chants differens, & qu’on change d’air à chaque couplet. En voicy quelques uns. Je començois par une description des craintes & des alarmes, qui agitoient certains cœurs dans le lieu où j’estois, & je disois que le tumulte de Mars en avoit chassé tous les Jeux & les Amours ; puis je poursuivois ainsi.

FRAGMENT
D’une Lettre en Chansons.

SUR L’AIR,
Sommes-nous pas trop heureux.

 Dans ce turbulent fracas,
Peut-estre on croit que les Muses
Interdites & confuses
Du bruit tonnant des Combats,
Ne pourront prendre courage
Que pour chanter dignement
Ce qu’un1 Heros jeune & sage
Va faire chez le Flamand.

SUR L’AIR
Il fait tout ce qu’il défend.

 Mais cette troupe divine
Qui penetre l’avenir,
Dit sans en estre chagrine,
Voyant l’Ennemi venir ;
Comment craindre les tempestes
Quand Louis défend nos testes ?
Pleines de tranquillité
Imitons leur fermeté.

SUR L’AIR
La verte jeunesse qui tourne à tous
vents.

 Malgré les alarmes,
Malgré les Tambours,
Profitons des charmes
Qu’on doit aux beaux jours :
De certain Dieu tendre
Défendons-nous seul,
Et laissons défendre
Nos Ports à 2 Choiseul.

SUR L’AIR
Quand Iris prend plaisir à boire

Tout s’émeut au bruit de la guerre,
Mais quand Louis tient son tonnerre
L’Ennemy doit seul avoir peur.
Nostre Heros enchaisne la Victoire,
Bientost nous le verrons vainqueur,
Et son Dauphin rempli d’ardeur,
Va se couvrir encor de gloire.

Cette Lettre en chansons, Madame, & la Romance avoient fait voir les sentimens que j’ay sur la valeur.

La dispute que j’ay euë avec le Cavalier Dogmatiseur, les a confirmez, & les Vers que j’ay faits sur cette dispute ont achevé de les mettre dans leur jour. Vous voyez bien cependant que dans ces Vers, je ne me suis pas amusée à rapporter les preuves de raisonnement, & les exemples historiques que i’avançay dans cette conversation. J’ay traité la dispute moins en forme en faveur de la Poësie, qui n’a pas de grace quand elle fait des raisonnemens si suivis, & même j’ay pris quelquefois un ton badin, comme lors que je dis,

 De Bradamante & de Marphise,
Que le dessein fut grand & doux !
Elles triomphoient par leurs armes
Encore plus que par leurs charmes.
Il leur estoit permis de signaler leur bras
 Dans les plus perilleux combats ;
Ah qu’elles possedoient un heureux avantage !
Quel plaisir de marquer son intrepidité !
Si nostre sexe encor avoit un tel usage,
 J’aurois déja pour mon partage,
 Un Brevet d’immortalité.

Eh bien ! Madame, ces Vers, avec le souvenir des marques de mon Heroïsme, dont je vous ay tantost parlé, sont cause qu’on m’a écrit incognito une des plus jolies Epîtres du monde, où l’on me compare à Telesille. Je ne sçay pas si cette Heroïne a l’honneur d’estre connuë de vous, mais c’étoit une des plus illustres Sçavantes de l’antique Grece. Plutarque l’a celebrée fort glorieusement ; mais cependant je ne sçay si vous estes instruite de son histoire, quoy que j’aye pris soin de vous en informer dans le Triomphe de Madame Deshoulieres Telesille donc, comme vous sçavez, ou comme vous ne sçavez pas, étoit d’Argos, & aprés avoir acquis dans la Grece une reputation immortelle par la beauté de ses Ouvrages, elle éclata encore par son courage d’une maniere toute distinguée. Pendant que tous les hommes étoient en campagne, dans une guerre où les Argiens n’avoient pas esté heureux, Telesille anima si vivement les Dames Argiennes à la deffense de leur Ville contre les Lacedemoniens, que ces lions de Grece furent contraints de se retirer, voyant de quelle maniere cette troupe d’Amazones bravoit la mort sous la conduite d’une heroïne si propre à soûtenir la gloire de sa Patrie. Je ne me souviens point d’avoir jamais fait d’action qui ressemble à celle-là. Cependant voyez ce que c’est que d’avoir bien de l’esprit. L’inconnu qui m’a écrit l’Epître que je vous annonce, a trouvé l’art de faire voir dans ses Vers mille traits de ressemblance entre Telesille & moy. Ainsi font les grands Peintres, ils songent plûtost à produire un beau Tableau, qu’ils ne s’embarrassent de faire ressembler. Cependant toutes mes amies, plus frapées des beautez de cette Piece que je n’étois révoltée contre la comparaison, ont voulu que je répondisse à cet agréable Ouvrage. Si on n’y avoit parlé que de moy, j’aurois gardé le silence malgré leurs souhaits ; mais comme la gloire du Roy y étoit chantée avec justesse, l’empressement que j’ay de mêler ma voix à toutes les loüanges qu’on donne à ce Heros, me fit répondre brusquement à l’inconnu Epître pour Epître. La mienne ne commençoit qu’à paroître, quand Mademoiselle d’Alerac dont vous connoissez le bon goût, me pria de lui faire part de ces deux Ouvrages. Je les luy envoyai accompagnez d’une Lettre en Vers & en Prose. Cette Lettre, je croy, n’aura rien d’obscur pour vous ; car vous vous souvenez sans doute que dans une Epître que j’ay faite au sujet des Anciens & des Modernes, qui a paru dans le Mercure de Novembre dernier, il y a ces quatre Vers :

Faisons donc redire à l’Echo,
D’Alerac passe autant Erinne,
Que Scudery passe Sapho,
Et des Houllieres, Corinne.

Toutes ces Heroïnes, Madame, sont, ce me semble, de vostre connoissance. Pour Praxille, dont il est parlé aussi dans cette Lettre en question, si vous ne la connoissez pas, & que vous ne vouliez point vous donner la peine de la démesler dans l’Histoire Greque, informez-vous d’elle dans le Triomphe de Madame des Houlieres. Mademoiselle d’Alerac, qui fait naturellement des plus jolis Vers du monde, a répondu à la Lettre que je luy ay écrite, une autre Lettre meslée de Prose & de Vers, qui est toute pleine d’esprit. Cette Demoiselle en fait tant briller dans la conversation, qu’il ne faut que la voir une fois pour estre convaincu que personne n’a plus de feu, d’esprit & de vivacité. Vous connoissez si bien le caractere de toute sa Maison, que je suis seure que vous trouverez que ce que j’en dis à la fin de la Lettre que j’écrivis à cette aimable Fille, n’est pas la moitié de ce qu’on y voit de propre à s’attirer l’estime la plus distinguée. Hé bien vous plaindrez-vous à present que je ne vous fais pas assez de part de ce qui regarde les Muses ? Vous les aimez tant, qu’en bonne foy il y auroit de la dureté à ne vous apprendre pas tout ce qu’on sçait de leurs nouvelles, & je vous estime trop pour ne me pas faire un plaisir des occasions qu’elles me donneront de vous marquer combien ie suis parfaitement, Madame, vostre.

[Epistre en Vers] §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 97-102.

Je croyois n’avoir plus à vous informer de rien, mais j’apprens qu’on a découvers que l’Epistre qui me veut faire passer au moins pour Telezille la cadette, est du Marquis de V.… dont vous estimez le sçavoir & la politesse.

À MADEMOISELLE
L’HERITIER.
EPISTRE.

Des neuf Sçavantes Sœurs celebre Favorite,
Charmante l’Heritier, dont les rares talens
 Sont joints au plus touchant merite,
 Que n’ay-je vos dons excellens !
 Que n’ay-je vostre docte Lyre
Pour chanter comme il faut ce qu’en vous on admire !
En voyant le sçavoir, en voyant la clarté,
 Le courage, la fermeté,
Et le vif agrément qui chez vous toujours brille,
On croit revoir en vous l’illustre Telesille,
Qui sceut par son courage égaler en Argos
 La gloire des plus grands Heros.
Comme elle vous avez une ame d’Heroîne,
Et si vous en trouviez le moment bienheureux,
 Nassau si hardy dans ses vœux,
Trouveroit sous vos coups son entiere ruine.
Ainsi que Telesille eut toujours dans le cœur
 Un beau zele pour sa patrie,
Pour la France & Loüis toute pleine d’ardeur,
On vous verroit donner vostre sang, vostre vie.
La Grecque par hazard signala son envie,
 Mais comme elle vous n’aurez pas
De perilleux moyens d’exercer vostre bras.
De l’auguste Loüis tel est le privilege,
 Que dans tous ses vastes Etats,
Vingt Souverains liguez avec tant de fracas,
 A peine ont pû former un Siege,
Et n’ont pû triompher dans les moindres combats.
 Leur fureur plus que leur vaillance
Eclata follement dans d’injustes exploits,
Le Dauphiné seulement une fois,
 Ainsi que la belle Provence,
 Sentit l’effort du Piemontois.
La Charsse fit alors l’action grande & belle,
Que vos doctes Ecrits sçauront rendre immortelle ;
 Mais si l’on vit son intrepide cœur
Dans cette occasion faire briller son zele ;
 Malgré la pente naturelle
 De son heroïque valeur,
 Cette Sujette agissante & fidelle
Ne trouvera plus lieu d’exercer son ardeur,
 Bellone dormira pour elle.
L’invincible Loüis par ses prudens projets,
 Sçait trop bien garder ses Sujets.
 Ainsi vous n’aurez point la gloire
 De repousser ses Ennemis,
Puis que le juste Ciel par son ordre a permis
Qu’il ait sous ses Drapeaux attaché la victoire.
 Mais cependant consolez-vous,
Vous chantez ses exploits sur des accords si doux,
Qu’ils vous donnent un nom d’éternelle memoire,
 Dont mon Sexe seroit jaloux,
 Si tout les rares avantages,
 Les vertus, les dons précieux,
Qu’avec profusion vous receustes des Cieux,
Ne sçavoient réunir pour vous tous les suffrages.
Je dis tous, car on voit vostre Sexe charmant,
Qui se sent honoré de vos sçavans Ouvrages,
Estre rempli pour vous d’un vif empressement.
 Puissiez-vous donc, illustre Fille,
 Puissiez-vous goûter à jamais
Un sort aussi brillant, aussi rempli d’attraits,
 Que fut celuy de Telesille.

Reponse de Mademoiselle l'Héritier §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 102-107.

REPONSE DE MADEMOISELLE
L’HERITIER.

Mon zele ardent & pur pour le plus grand des Rois,
 Et mon amour pour la Patrie,
Me donnent en effet quelqu’un des beaux endroits
 De l’Heroïne qu’autrefois
 La docte Grece a tant cherie ;
Mais je n’ay point son sort, ses talens, ny sa voix.
 Si Telesille fut vaillante
 Autant qu’elle parut sçavante,
C’est qu’elle put trouver le moment fortuné
De montrer les vertus dont son cœur fut orné.
Puis qu’il n’est pas permis au sexe dont nous sommes,
 De braver les affreux hazards,
Que quand les Ennemis entourent nos remparts,
Et qu’en un autre temps il abandonne aux hommes
 La gloire des exploits de Mars,
 Sous le Heros dont la puissance
 Fait fleurir aujourd’huy la France,
Quels lauriers perilleux pourrions-nous acquerir ?
 Bien loin d’avoir à nous défendre
Des projets que sur nous on pourroit entreprendre,
L’intrepide Loüis ne fait que conquerir.
 Si d’une terreur passagere
 La Provence & le Dauphiné
Virent quelques momens leur peuple consterné,
Par le boüillant effort d’un Prince témeraire ;
Ce Prince vit bien-tost que le Ciel en colere
À son mauvais destin l’avoit abandonné.
La Charsse faisant voir une noble assurance,
 Sceut rassembler par sa prudence
Un peuple qui fuyoit étourdy, mutiné.
Avec elle il combat, leur valeur est heureuse,
 Et l’Heroïne genereuse
De lauriers immortels voit son front couronné.
De l’Auguste Loüis telle est la destinée,
Que son juste party rend tout Sexe vainqueur.
De l’illustre la Charsse admirons le bonheur.
Puisse-t-lle toujours de gloire environnée,
Estre auprés du grand Roy qui la comble d’honneur ;
Mais vous avez raison, sous la loy fortunée
  Prince vaillant & brillant de splendeur,
 Quelque guerriere qu’on soit née,
On ne peut témoigner cette heroïque ardeur.
Sous son regne rempli de bonheur, de sagesse,
 Ny les Telesilles de Grece,
 Ny les Jeannes de Vaucouleur,
Ne trouveroient pas lieu d’exercer leur valeur.
 Vous, dont l’aimable politesse
Chante aussi noblement ce triomphant Heros ;
Qu’auroit fait dans les Vers l’Heroïne d’Argos,
 Occupez souvent vostre Lyre
À celebrer un Roy que l’Univers admire.
Pour moy, suivant toujours le zele que je sens
 Pour ce Conquerant tout Auguste,
Qui ne fait jamais rien que de grand, que de juste,
Je mesleray ma voix à vos doctes accens.
Mes tons ne seront pas merveilleux, ravissans,
Ainsi que furent ceux de l’illustre Argienne,
Mais du moins mon ardeur surpassera la sienne,
Et j’auray des sujets cent fois plus excellens.

[Autres Epistres] §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 107-120.

Mademoiselle l’Heritier, estant fort Amie de Mademoiselle d’Alerac, luy envoya ces deux Lettres, qu’elle accompagna de celle-cy.

À MADEMOISELLE
D’ALERAC.

Puisque vous le souhaitez, Mademoiselle, je vous envoye la flateuse Epître du spirituel inconnu, qui me prodigue l’encens, & la réponse que j’ay faite à cet agréable Ouvrage. Je voy bien que c’est pour me rendre le change de ce que je vous ay donné un nom fameux de l’antiquité, que ce sçavant Cavalier m’en donne un à mon tour. Ainsi que je vous ay nommée Erine, & la charmante Comtesse de Murat, Praxille, de mesme l’on veut que Telesille soit desormais mon nom sur le Parnasse. Mais les Paralleles que j’ay faits sont plus justes que la comparaison qu’on a faite pour moy. Tout le monde est convaincu que Mademoiselle de Scudery est autant au dessus de Sapho par ses grands talens que par ses rares & solides vertus. On n’est pas moins persuadé que Madame Deshoulieres a porté le sublime & la justesse de la Poësie beaucoup plus loin que Corinne. Vous sçavez tous les raports que le beau naturel & le spirituel enjoüement des Ouvrages de nôtre aimable Comtesse luy peuvent donner avec Praxille, & à vôtre égard personne n’ignore.

 Qu’on voit en vous briller d’Erinne
Les tours heureux, les agrémens divers,
Comme elle vous pensez d’une maniere fine,
 Et comme elle dans tous vos Vers
Sans contrainte & sans art certain beau feu petille.
Quoy que dans quelques lieux on vante mes accords,
 Il n’est point de pareils rapports
 De l’Heritier à Telesille.

Mais quoy que le parallele ne soit pas juste, l’Epître qui le fait est si ingenieuse & si bien tournée, que si elle ne me loüoit pas tant, je la loüerois beaucoup davantage en faveur des agrémens qu’on voit dans les Vers. Faisons donc grace à la comparaison. Quoy qu’elle soit fort outrée, ce n’est pas une affaire. J’en ay vû cent fois dans nos Poëtes & dans nos Orateurs, qui l’estoient encore plus, & je vous avoüe que quand même j’aurois quelque air de Telesille, je serois ravie de ne luy ressembler qu’imparfaitement. Quoy qu’en effet je sois partagée d’un courage assez ferme pour mépriser les dangers, s’il s’agissoit de témoigner mon zele à ma Patrie dans des occasions perilleuses, j’ay une joye infinie qu’elle n’ait nul besoin de mes services. Si j’avois vêcu sous ces regnes funestes, où les Ennemis de l’Etat ravageoient nos plus belles Provinces, & pilloient nos Villes tour à tour, j’eusse esté sans doute la copie ou la suivante de la Pucelle d’Orleans ; mais je rens mille graces au Ciel, de vivre sous un regne éclatant, où mon Sexe, il est vray, peut rarement parvenir à faire quelques exploits guerriers, mais où Loüis le Grand luy en fournit de si merveilleux à chanter, que tous les antiques Heros n’ont jamais pû luy en donner de pareils. Nous sommes donc bien éloignez de nous trouversous un regne qui ressemble à ceux de quelques-une de nos Rois de la premiere Race, ou au commencement de celuy de Charles VII.

 Et j’avois vêcu sous ces Rois,
Dont l’indolence estoit le caractere,
J’aurois pû signaler par de fermes exploits
 Un zele ardent & necessaire.
Mais dans ces tristes temps où les François confus,
Sentoient de leurs revers une douleur amere,
 Ma Muse contrainte à se taire.
Auroit vû de sa voix les talens superflus ;
Au lieu que de nos jours Loüis par ses vertus
M’ouvre à chaque moment une illustre carriere.
 Ouy, je m’occupe toute entiere
À chanter ses exploits rapides, glorieux.
Ah, pour nostre bonheur j’aime mille fois mieux
 En bien dire que d’en bien faire.

Vous voyez bien, Mademoiselle, que, n’en déplaise à mon courage, j’ay raison d’aimer mieux raconter qu’agir, puis qu’on a prescrit à mon Sexe de ne se pas mêler d’affaires si vigoureuses, que quand les Ennemis sont à nostre porte, ou qu’il arrive quelque autre occasion aussi pressante. Les prosperitez de la France me sont trop cheres, pour ne pas faire mille vœux au Ciel de ne trouver jamais aucun lieu de faire éclater ma fermeté. Cependant je veux bien estre Telesille, si l’on veut, mais une Telesile, dont tout le merite consistera à sentir un grand zele pour sa Patrie & pour son Roy, & à avoir quelques talens propres à chanter les loüanges de ce Heros. Je laisse à vostre illustre Sœur l’honneur d’avoir imité l’Heroïne d’Argos, par des endroits plus perilleux, & d’abord qu’on ne me regardera qu’en Telesille de Paix, la comparaison ne deviendra guere moins juste que de vous à Erinne ; car lors que je fais d’attentives reflexions, vos avantages me paroissent bien autant au dessus des siens, que les miens sont au dessous de ceux de Telesille. Outre cet air charmant de douceur & de tendresse, répandu dans toutes les productions d’esprit qui vous échapent, sans doute encore plus touchant en vous qu’en celle à qui on vous compare ; outre tous ces avantages, dis-je, on ne lit dans aucun endroit qu’Erinne fust d’une Maison aussi illustre dans la Grece, qu’est celle de la Tour du Pin en France ; ny on ne lit point non plus que cette sçavante de Lesbos eust eu une Sœur si celebre par une belle action, qu’une telle Heroïne auroit esté seule capable de couvrir sa Famille de gloire, si cette Famille n’en avoit pas esté partagée d’ailleurs. L’Erinne de Lesbos n’eut aucune de ces heureuses prérogatives. D’Alerac, l’Erinne de France, les posse de avec éclat, & y joint encore le bonheur d’estre née d’une Mere qui rend incertain lequel on doit le plus admirer en elle de l’esprit ou de la vertu. Enfin l’Erinne de France a des Freres, qui sans estre ny Grecs ny Romains, sçavent pratiquer dans toute sa delicatesse la plus belle Urbanité. En bonne foy, pour mêler des termes modernes à ces expressions de l’antiquité, Lesbos auroit bien fait du bruit d’un Citoyen aussi sage & aussi galant homme, qu’est le Marquis de la Charsse. Je conclus donc, que par mille raisons vous estes autant au dessus d’Erinne, que ie suis au dessous de Telesille. Mais comme une tendre amitié m’unit avec vous par les nœuds les plus étroits, dans une si belle union, le fort soulagera le foible. Nous ferons commerce de merite. Vous me ferez part genereusement de ce que vous avez de trop, cela rendra les choses égales ; & ainsi vous resterez toujours Erinne, & moy Telesille.

Réponse de Mademoiselle d’Alerac, à Mademoiselle l'Heritier §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 121-124.

RÉPONSE
De Mademoiselle d’Alerac,
À Mademoiselle l’Heritier.

Que je sçay bon gré, Mademoiselle, au spirituel inconnu qui vous donne le nom de Telesille ! Il vous convient, si quelque chose peut vous assortir. Je vous l’aurois donné, ce nom, si je n’estois persuadée que le vostre vaut mieux que tous ceux dont l’on peut se servir. Si vous aviez vêcu dans ces siecles reculez, vous auriez rempli l’Histoire. Alors l’on auroit décidé pour les Anciens ; mais il vaut mieux que nos Neveux lisent ce qui vous distingue par mille beaux endroits, & que nous jouïssions de l’heureux plaisir de vous voir, qui doit estre si cher à vos Amis.

L’on trouve en vous une amitié solide,
 Un commerce plein de douceur.
Quand sur vos beaux endroits il faut que l’on décide,
 Quelque bon goust qui guide,
L’un tient pour vostre esprit, l’autre pour vostre cœur.

Il n’y a que l’amour qui se plaint de vous. Il est vray, Mademoiselle, que vous le bravez sans ménagement.

 Pour avoir plus d’esprit qu’une autre,
 Croyez-vous sauver vostre cœur
  D’une tendre langueur ?
  C’est une pure erreur.
 Ce cœur est fait comme le nostre,
Dans vos Vers immortels vous chanterez un jour
 La gloire de l’amour.

Il sera seur de triompher lors que vous ferez valoir ses charmes.

 Vos Vers ont un tour enchanteur,
L’amour verra par eux augmenter son empire.
 Telesille, il n’est point de cœur
Qui ne se rende au son de vostre docte Lyre.

L’amour me sçaura bon gré de mon préjugé, & peut-estre par reconnoissance, laissera-t-il mon cœur à l’amitié, qui est si contente de moy, & qui a tant de raison de l’estre. Vous me faites sentir, Mademoiselle, tout ce qu’elle a d’agreable par le plaisir que j’ay d’aimer, & d’estre aimée d’une Amie de vostre merite. Je suis.

[Sur l’Arbre gravé]* §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 181-190.

Les Poëtes, à qui ces choses ont plû, ne les ont pas negligées ; ils en ont fait l’endroit mignon & favori des Elegies & des Eglogues. Les Grecs, les Latins, les Espagnols, les Italiens & les François ont triomphé là-dessus. Virgile que vous aimez tant, est à mon gré celuy qui a le mieux exprimé cet amusement rêveur des Amans. Il est vray, luy dis-je, & je me souviens encore avec plaisir des rives du Mince, & de la Bergere Amarylle. Titire va dans les bois graver ses amours sur les arbres.

Certum est in silvis inter spelæa ferarum
Malle pati, tenerisque meos incidere amores
Arboribus.

C’est un ancien usage, & les Romains, aussi bien que nous, soulageoient par là leurs peines amoureuses. Mais peut-on rien voir de plus tendre & de plus ingenieux que cette réponse ?

Crescent illæ, crescetis amores,

Un Poëte de nostre connoissance a dit d’une maniere bien respectueuse en parlant de sa passion à son Rival, qui s’amusoit comme luy à la décrire sur les arbres.

Comme toy dans le sein des écorces profondes
J’ay gravé mille fois mes flâmes sans secondes ;
Mais ce que mon amour avoit osé tracer,
Le respect aussitost me l’a fait effacer.

Le Tircis de Mr de Segrais imite plus précisément l’Amant de Virgile, & n’est pas si respectueux que nostre Ami, mais il est plus passionné,

En mille & mille lieux de ces rives champestres
J’ay gravé son beau nom sur l’écorce des hestres.
Sans qu’on s’en apperçoive il croistra chaque jour
Helas ! sans qu’elle y songe, ainsi croist mon amour.

On mit ces Vers en air, s’il vous en souvient, & nous les avons tant chantez dans nostre jeunesse. Comme cet endroit touche infiniment, il estoit tout propre pour la Musique, & je ne sçay qui a plus d’agrément, ou de l’air ou des paroles. Madame Deshoulieres a aussi fort heureusement imité cet endroit de Virgile, dans son Eglogue intitulée, Celimene, où cette amoureuse Bergere.

Tantost cedant à la force
De ses amoureux transports,
Elle grave sur l’écorce
Des arbrisseaux de ces bords.
Puisse durer, puisse croistre
L’ardeur de mon jeune Amant,
Comme feront sur ce hestre
Les marques de mon tourment.

Cette Bergere me fait souvenir de l’Hermine du Tasse, qui faisoit la même chose dans sa solitude. Comme elle estoit extrémement affligée, sa plainte est fort touchante.

Sur les écorces les plus dures,
Hermine en diverses figures
Grave son amoureux tourment ;
Quoy que Tancrede la méprise,
Le nom de ce cruel Amant
Compose avec le sien une tendre Devise.
***
Mais ce chiffre aussi-tost redouble ses allarmes,
 Et luy fait verser tant de larmes,
 Qu’elle en arrose tout ce bois :
 Dans la douleur qui la transporte,
 Encor qu’il soit sourd à sa voix,
 Elle luy parle de la sorte.
***
Croissez, branches qui me sont cheres,
 Croissez avec ces caracteres
 Où mon amour est si bien peint :
 Si quelqu’un vient sous vôtre ombrage
 Il en sera sans doute atteint.
***
Heureuse, ingrat Amant, si pour prix de ma peine,
 Je puis l’obliger par pitié ;
 À te porter autant de haine,
 Que je te porte d’amitié.
***
Mais peut-estre toy-mesme un jour dans ces forests,
 Tu verras les maux que j’endure ;
 Et par d’inutiles regrets,
 Tu plaindras ma triste avanture.
***
Ces chiffres dans ce lieu champêtre
Me feront assez reconnoistre
 Pour ne pas douter de mon sort,
 Il se ressouviendra d’Hermine,
 Tu l’aimeras je m’imagine ;
Mais pourquoy, cher Tancrede, attendre aprés ma mort ?

Ce ne sont pas icy les beaux Vers de Mr le Clerc, comme vous voyez. Je ne veux point me faire honneur de sa Traduction de la Jerusalem du Tasse ; mais, où ma memoire me manque, il faut que ma verve supplée. On ne perd rien au change, me répondit obligemment mon Amy. Cet endroit fait plaisir, & je vous sçay bon gré de l’avoir mis en nostre Langue avec tant d’agrément. Mais pour parler poëtiquement & dans le langage de nostre Virgile.

Et jam summa procul villarum culmina fumant,
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ.
***
Des arbres, & des monts les ombres redoublées
Portent déja la nuit dans le fond des vallées.

Dialogue historique et moral d'un perroquet et d'une pie §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 197-234.

Je mesle toujours une Historiette dans mes Lettres. Vous en aurez une en Vers ce mois-cy, & Mr Robinet en est l’Auteur. C’est toujours un feu d’esprit que le nombre des années ne ralentit point.

DIALOGUE HISTORIQUE
ET MORAL
D’UN PERROQUET
ET D’UNE PIE.

LA PIE.

Hé bien, nous voicy seuls, tu ne peux t’en dédire.
 Conte moy ta vie, & m’apprens
Comme tu m’as promis, ses états differens.

LE PERROQUET.

 Ouy, mais tu n’en feras que rire.
 Peut estre mesme iras-tu les redire,
Je sçais ton flus de langue, & m’en dois défier.

LA PIE.

 Non, cher Verdelet, foy de Pie.
Mon babil aisément se peut rectifier,
Et je m’offre à souffrir pour dix ans la pepie,
 Si l’on m’entend rien publier.
 Dis moy d’abord des nouvelles des Indes,
  Jadis le sejour si charmant
  De ton amy, le Dieu des Brindes,
De qui la soupe au vin est ton cher aliment.

LE PERROQUET.

Helas ! quand j’en sortis, à peine estois-je en l’âge,
 Où de parler, de boire, & de manger,
  On peut au plus avoir l’usage.
  Avec plusieurs de mon plumage.
Je fus pris dans un bois que l’on vint fourager ;
  Et je tombay dans l’esclavage.
  Par mer, on nous fit voyager.
  Ainsi passant de plage en plage,
Non sans me voir sort souvent en danger
 De faire un funeste naufrage,
 Enfin dans un Port étranger,
 J’eus pour logement une cage
Comme celle où tu vois que l’on me fait loger.

LA PIE.

 Hé-bien, en cage, de la sorte,
 Comment de toy disposa-t-on ?

LE PERROQUET.

Mon Acheteur jusqu’à Madrid m’apporte,
  Et me met en bonne maison.
  J’y fus reçu par une Dame
  Qu’à son air comme à sa beauté
 Je reconnus d’abord, estre de haute game.
 En effet, elle estoit femme de qualité.
 Elle me fit caresse sur caresse,
 M’appella Perroquet mignon.
 Et, d’une main enchanteresse.
Aux douceurs de sa bouche, ajoûta maint bon bon,

LA PIE.

  Cher Verdelet, que la Fortune
Eut envers toy bien-tost adouci sa rigueur,
  Et qu’aprés un peu de rancune
  Elle établit bien ton bonheur !

LE PERROQUET.

  Tu te trompes, ma pauvre Pie.
Dans quelque estat brillant que je me visse alors,
 Je ne pouvois gouter cette nouvelle vie.
Et tous les jours pour fuir je faisois mille efforts.
 Je regrettois mon Bois, mon Parentage
  Et ma sauvage liberté ;
Et quelque doux que fust mon esclavage
 C’estoit toujours une captivité.
 Je n’entendois point le langage
 Que ma Geoliere me parloit,
 Et je m’enfonçois dans ma cage
 Lors que la Belle m’appelloit.

LA PIE.

 Voila ce que c’est qu’estre beste
 Et sans aucun discernement ;
 Ce que c’est d’avoir une teste
 Qui manque de raisonnement.
Si l’on ne t’eust pas pris malgré ton beau plumage
 Qui te fait icy rendre hommage
Tu pouvois éprouver le malheureux destin
D’avoir dans ta forest, aile ou teste cassée,
Par le funeste plomb d’un Giboyeur malin
 Qui t’auroit mis en fricassée,
 Car les Indiens, ce dit-on,
De chair de Perroquet ont l’appetit glouton.

LE PERROQUET.

 Hé, ne blâme point tant les bestes.
Ne peut-on pas du nombre te compter ?
 Si tu prétens le contester
 Tu peux tenir des raisons prestes,
Mais ce n’est pas à quoy je me veux arrester.
 Je te diray seulement que les hommes
 Sont aussi bestes que nous sommes,
 Quand il s’agit de leur bonheur.
 De tous ceux que l’on a vûs naistre,
 Aucun encor n’a pû connoistre
En quoy d’un sort heureux consiste la douceur,
 Aucun du moins, n’en fait un bon usage.

LA PIE.

Oüais. Perroquet, comme tu sçais jaser !
 Tu veux, je croy, moraliser
 Et contrefaire l’homme sage,

LE PERROQUET.

Je parle en Perroquet. La sçavante Henrica,
 C’estoit ma Maistresse Espagnole,
 Lisoit souvent ce beau passage-là,
 Dans certain livre appellé Seneca,
Et je l’ay retenu parole pour parole.

LA PIE.

Sans doute qu’elle avoit de l’esprit, je le voy,
 Mais raconte-moy son histoire
 En Perroquet de bonne foy
 Et de bienheureuse memoire.
 Que je sçache, de plus, comment
On t’a fait consentir à te separer d’elle,
Puis qu’elle te traitoit si bien, si tendrement.

LE PERROQUET.

 Je sens une douleur mortelle
 Pensant à cet événement.
De point en point je m’en vais te le dire.
 Pardonne-moy, si je soupire.

LA PIE.

 Soupire, & parle promptement.

LE PERROQUET.

Quand je me fus défait de mon humeur farouche,
 Et qu’elle m’eut apprivoisé,
 J’en estois sans cesse baisé,
Et je joignois mon bec à son aimable bouche.
 Elle y mettoit des pois sucrez
 A mon goust friand consacrez,
Ces pois estoient pour moy d’une amorce puissante.
Mon humeur en devint amoureuse & galante.
Je baisois son beau col, j’épluchois ses cheveux,
  Dignes de mille & mille vœux ;
  Et cependant son doux langage
 M’entretenoit de cent propos jolis,
Pour me dépaiser de mon jargon sauvage.
Or, je profitay tant de ses discours polis,
Quejamais Perroquet du plus riche plumage,
Ne fut si beau parleur que je le fus en cage.
 Le Domestique & l’Etranger,
 A tous propos venoient me loüanger,
 Et dés qu’on me faisoit paroistre
 Quelque moment à la fenestre,
 Une Troupe pour m’écouter,
 Me formoit un grand Auditoire,
 Et j’oserois bien me vanter
Que jamais Orateur n’eut l’art de debiter
 Ses talens avec plus de gloire.
 Ma cage, au reste, il faut-sçavoir
 Comment elle estoit ajustée.
 Tout y faisoit plaisir à voir
 Tant elle estoit bien concertée,
Ma Maistresse Henrica me la fit faire exprés.
L’or & mille brillans y furent mis en œuvre,
 Et ce bijou fait à grands frais,
 Qu’on regardoit comme un chef-d’œuvre,
 Sembloit un vray petit Palais.
 Voilà quelle estoit ma fortune,
 Et j’ay dû t’en entretenir
  Avant que de venir
 A l’avanture peu commune
 Où mon malheur me donna parti
 Et tu vas voir par quel hazard.

LA PIE.

 Ah ! Compere, je le devine.
 Tu faisois la Beste badine
 Autour de l’aimable Henrica,
 Et comme je me l’imagine,
 Quelqu’autre Beste en fut chagrine,
 D’humeur jalouse se piqua,
Et d’auprés de la Belle, enfin, te débusqua.
 Voilà tout justement l’affaire.
 Mais, dis-moy, quel autre animal
 Te fut un si fascheux Rival ?
Fut-ce quelque autre Oiseau qui mieux que toy sceust plaire ?
 Quelque beau chat, quelque beau chien,
 Qui rendit ta Dame infidelle ?

LE PERROQUET.

 Helas ! je ne me plains pas d’elle,
 Et tu ne devines pas bien.
Cet Animal, pour te le dire en somme,
Que je rendis jaloux, ne fut autre qu’un homme.

LA PIE.

 Un homme ! ô Ciel ! que me dis-tu ?
 Un homme jaloux d’une beste !
 Ah ! je ne l’aurois jamais crû.
Quel bizarre martel dans une humaine teste !
Mais qui fut le jaloux que ton bonheur choqua ?

LE PERROQUET.

 Ce fut le Mary d’Henrica.

LA PIE.

Le Mary d’Henrica ! Le moyen de te croire ?

LE PERROQUET.

Tu me croiras quand tu sçauras l’Histoire.
 Cette Dame comme j’ay dit,
Avoit l’air grand, estoit fort belle.
De plus, elle estoit jeune, elle avoit de l’esprit,
 Et nulle autre dans tout Madrid
 N’avoit tant de merite qu’elle.
Faite comme cela, pour donner de l’amour,
Je te laisse à juger comme elle estoit aimée,
Entre-autres, un Seigneur des plus grands de la Cour,
Avant son mariage, en eut l’ame charmée,
 Et sans quelque inégalité
 De biens, de qualité,
À quoy fut joint une ligue formée
 Contre luy, par la Parenté,
 Il eust d’Henrica, fait sa Femme.
 Mais l’histoire dit que sa flame,
Quoy qu’elle eust un Epoux, encor longtemps dura ;
Que l’Epoux bien instruit, en eut l’ame allarmée ;
  Que son Epouse il resserra,
Et commit des Argus, enfin, dont la prunelle
 Avec grand soin faisoit la sentinelle,
 De peur que de jour ou de nuit,
 Le Seigneur par l’amour conduit,
 Ne se glissast dans la ruelle
  De la Belle
  À petit bruit ;
Sortoit-elle un moment, il alloit avec elle.

LA PIE.

Mais quoy, sans fondement agissoit il ainsi ?

LE PERROQUET.

 Ouy, jaloux dans l’excés sans cause,
 Il avoit tout ce vain soucy,
 Et la Médisance qui glose
Sur la même pudeur, sans aucune mercy,
A l’égard de la Belle, eut toujours bouche close.

LA PIE.

  O le fatal poison
 Que la maudite frenesie
 Que l’on appelle jalousie,
Qui souvent sans sujet vient broüiller la raison !

LE PERROQUET.

 Tu le vas encor mieux connoître
 Par la suite de ce recit.
 Ruydez (c’estoit le nom du Maitre)
 Estoit laid, ragot, sans esprit,
 Et d’ailleurs, avancé dans l’âge,
 Son bien qui n’estoit pas petit,
Faisoit tout son merite & tout son avantage.
 Quand la Nature un homme ainsi bastit,
 Elle luy laisse un penchant à l’ombrage ;
 Et si belle Femme il choisit,
Il craint presque toujours qu’elle ne soit pas sage,
Ainsi, quoyque prés d’elle, il tremble dans son lit.
 Ruydez troublé de cette sorte
 Croit voir sans cesse un Suborneur
Qui caressant son aimable Consorte,
Fait quelque bréche à son honneur.
Or le Destin, un jour, permit pour mon malheur
Qu’allant rêvant à cent fâcheuses choses
 Qui luy chargeoient beaucoup le cœur,
 Il trouve des Metamorphoses.
 Quoy qu’il fust fort petit Lecteur
 D’un bout à l’autre, il les feüillette,
 Et voit comment jadis les Dieux
 Pour tenir leur flame secrete,
Incognitò, venoient en ces bas lieux,
 Travestis de maniere adrette
De Jupiter les divers changemens
En Cygne chez Léda, dans une Tour en pluye
Luy remplissent le cœur de jaloux mouvemens,
Il faut que devant luy tout le monde s’enfuye.
Il va dans ses soupçons jusques à la fureur,
Il pense qu’un Oiseau peut encor estre un homme.
 Trop prévenu de son erreur,
 L’Amant de sa Femme, il me nomme
 Et dans la Chambre d’Henrica,
 Il entre avec un, Qui va-là ?
 J’étois sur le sein de la Belle,
 Helas ! pour la derniere fois.
 Il se jetta sur moy, sur elle,
 Avec un affreux ton de voix,
Et d’un fer afilé me blessa dans une aile.
 De mes jours croyant voir la fin,
 Avec un grand cri je m’élance
 Par la fenestre en un jardin,
 Où je fus ramassé soudain
Par un pauvre Ouvrier, qui là de bonne chance
 Travailloit seul, & m’emporta chez luy.
 O Ciel, quel y fut mon ennuy !
 Je meurs de chagrin quand j’y pense,
 Comme si c’estoit aujourd’huy.
Le bon homme me mit dans une vieille cage
De Merle ou Sansonnet, d’Aloüette ou Moineau,
Sans égard à mon rang, à mon riche plumage,
 Et m’y nourrit de pain & d’eau.

LA PIE.

Compere, c’estoit là faire un peu penitence
 De tes plaisirs passez.
Mais quel bonheur n’est pas sujet à l’inconstance.
Poursui, voila moraliser assez.

LE PERROQUET.

Chez mon Hoste nouveau je ne demeuray guere.
Dés que je fus gueri, le chetif Mercenaire
 A la sourdine me vendit.
Comme je suis assez paré par la nature,
 Que mon babil m’avoit mis en credit,
Et que la rareté de ma triste avanture
Faisoit grand bruit par tout ; enfin tout cela fit
 Qu’un jeune Seigneur d’Italie,
 Sur le point de s’en retourner,
M’acheta cent écus, exprés pour me donner
 A certaine aimable Julie,
 Qui de son cœur estoit l’attrait.
L’Ouvrier est ravi d’une si bonne aubaine,
 Il me voit partir sans regret,
 Et moy, d’Henrica fort en peine
Je pars sans de son sort apprendre le secret.
 Je sors de ma vilaine cage.
Pour me faire agréer mon nouvel esclavage,
On m’en presente une autre, avec un compliment
 Rempli d’un doucereux langage,
Que toutefois j’écoute froidement.
De nouveau sur la mer voila qu’on me promene.
J’y suis plus agité de mes tristes soucis,
Que ne l’est le Vaisseau par la vague incertaine,
 Qui de frayeur rend les Nochers transis.
Nous arrivons à Naple, où demeuroit Julie.
Le Seigneur qui m’apporte en est tres-bien receu.
Aucun charmant transport envers luy ne s’oublie,
Et par ce doux accueil pour l’Epoux on l’eust cru.
 Que dis je ? Non, en Italie,
Comme depuis ce temps de plusieurs je l’ay sceu,
Les Maris au retour de leurs plus longs voyages,
Rarement sont receus par leurs cheres Moitiez
 Avec ces témoignages
Où brille l’agrément des tendres amitiez.
Aussi, ce Seigneur-là qui se nommoit Camille,
N’estoit point de Julie encore le Mary.
Ce n’estoit qu’un Amant qui s’en croyoit chery,
Et l’un & l’autre estoient d’une illustre Famille.
 De s’épouser ils estoient prests.
On attendoit Camille avec impatience.
 Il revenoit en diligence,
 Et l’on faisoit de superbes apprests ;
 Je t’acheveray leur histoire,
Ainsi qu’elle est écrite en ma memoire,
 Lors que je t’auray dit comment
 Je fus accueilli de Julie.
 Ce fut si favorablement,
Que sans l’excés de ma mélancolie,
J’en eusse esté dans le ravissement,
 On luy conte mon avanture,
  Qui l’étonne beaucoup ;
 Elle voit la marque du coup
 Qui sur mon aile toujours dure.
Le bruit par tout dans Naple en est semé,
Le cas paroist tout extraordinaire,
Jamais Oiseau ne fut tant estimé,
 Et le Phenix imaginaire
 Dans l’Univers n’est point si renommé.
 Si l’on m’eût mis à quelque Foire,
 Ou bien ailleurs, pour me montrer,
Le peuple pour me voir, ayant sceu mon histoire,
Eust donné tout l’argent qu’on eust pû desirer.
 Au reste, la Belle Julie
Connoissant mon chagrin, se plaist à le flater ;
Mais Henrica m’occupe, & loin que je l’oublie,
 Accablé de mélancolie,
Sans cesse l’on m’entend Henrica repeter.
Revenons maintenant à Julie, à Camille.
 C’estoit un Couple fort complet.
Julie estoit bien faite, & Camille bien fait.
 Quel feu charmant dans leurs yeux brille !
Ils avoient les cheveux chacun du plus beau blond,
 Le tour du visage un peu long.
Ils estoient l’un & l’autre aussi de taille riche,
 Et l’esprit ne leur manquoit pas.
La fortune d’ailleurs ne leur estoit point chiche,
 De leurs Parens on faisoit cas.
Enfin ils sembloient nez pour estre joints ensemble ;
 Mais que les choses d’icy-bas,
 Sont souvent autres qu’il ne semble !
 Voilà le jour de leur Hymen venu,
 Dont on s’estoit longtemps entretenu.
L’une & l’autre Famille est pleine d’allegresse.
Les Epoux, comme on croit, ont tous deux les transports
 Que cause une même tendresse,
 Et l’on juge par ces dehors,
 Que l’Amant comme la Maistresse,
 A les simpatiques ressorts
Dont dépend l’union des esprits & des corps.
Cependant quelques mois sont écoulez a peine,
 Que Julie a pour son Epoux
 De grands froids & de grands dégousts,
Venant, ce disoit-on, d’amoureuse migraine.
Sur quoy fondé cela ? Sur Henrica, sur moy.

LA PIE.

Sur Henrica, dis-tu, sur toy ?
Cela ne se peut. Quelle histoire ?
Tu veux rire.

LE PERROQUET.

  Moy, rire ? Non.
 La Belle fait semblant de croire
 Que cette Henrica, dont le nom
Est si profondément gravé dans ma memoire,
Et tant de fois mêlé dans mon jargon,
 Est quelque Maistresse jolie
 Que Camille a faite à Madrid.
 Elle ajoûte (quelle folie !)
Que je suis un present que la Donc luy fit,
Afin que tous les jours m’entendant parler d’elle,
 Il ait lieu de s’en souvenir.
 Elle conclut qu’il est un infidelle,
Et que peut-estre même il aura fait venir
 Avec luy cette Belle ;
 Qu’elle est à Naple, & qu’en secret
Luy parlant chaque jour, il est Amant discret.
Le pauvre homme est surpris, si jamais on peut l’estre,
 Du ridicule entestement
 Que son Epouse fait paroistre,
Et ne sçait comment prendre un tel évenement.
 Ce n’est pas l’ordre en Italie,
Que les Femmes y soient jalouses des Epoux.
 C’est aux Epoux que convient la folie
D’estre de leurs Moitiez frenetiques jaloux.
 Camille là-dessus rumine,
Et rumine si bien, ou disons mieux, si mal,
Qu’il croit que sa Julie, en faisant ainsi mine
De craindre une Rivale, aime quelque Rival,
Il fait la guerre à l’œil pour découvrir les causes
D’un malheur qui l’étonne, & l’étonne à bon droit.
 Il examine toutes choses,
 Et sur le fait enfin il met le doigt ;
 Il découvre le pot aux roses.
 O que le Sexe feminin,
  A l’ame courbe !
  Ah, qu’il est fourbe !
Qu’il a l’esprit hipocrite & malin !
 Cela s’entend dans quelques Femmes.
Car on sçait bien qu’il est nombre de Dames
 Qui nourrissent des feux constans,
 Et qui malgré les mœurs du temps
 Ne brûlent que de pures flâmes.
Mais venons à Julie. On eust dit à luy voir
Cet air que la vertu sur un visage imprime,
 Qu’elle regardoit comme un crime
 Tout ce qui blessoit son devoir.
Pourtant avec cet air d’une pudeur extrême…

LA PIE.

Que vas-tu dire ? Avoit-elle un Amant ?

LE PERROQUET.

Ouy, qu’elle aimoit fort tendrement,
 Et qui l’aimoit de même.

LA PIE.

Les hommes vivent donc comme les Animaux.

LE PERROQUET.

Ils connoissent moins qu’eux & les biens & les maux.
On les voit rechercher tout ce qui leur peut nuire ;
Et s’il estoit des Bestes parmy nous,
A qui l’usage eust appris l’art d’écrire,
 Nous leur ferions connoistre à tous
Qu’en Morale mieux qu’eux nous sçavons nous conduire,
 Et qu’ils devroient chez nous s’instruire.

LA PIE.

C’est ce qu’a dit Moliere, & dans ce qu’il a dit
 Je trouve beaucoup d’apparence.
Les Bestes ne sont pas si Bestes que l’on pense.
  Mais poursui ton récit,
J’ay d’en oüir la fin beaucoup d’impatience.

LE PERROQUET.

Les yeux qu’éclaire un interest d’honneur,
Sont bien plus clair-voyans que ceux des Astronomes,
 Et dans les affaires du cœur
Ils peuvent découvrir jusqu’aux moindres atomes.
 Ainsi Camille observa si bien ceux
 Qui s’approchoient de son Epouse,
 Qu’il découvrit enfin les feux
  Dont la fausse jalouse,
Et son Amant, brûloient tous deux.
De certaines langueurs, de certaines œillades,
Ordinaires aux gens qui d’amour sont malades,
  Certains discours déconcertez,
Un silence parlant mieux que le discours même,
Tout cela luy donna d’infaillibles clartez,
 Pour voir leur passion extrême.
Il les fait observer ensuite de fort-prés,
Par des yeux vigilans qu’il y commet exprés.
Il gagne par les dons quelques ames venales
  Des ames de Valets,
Que le gain tout-puissant peut rendre déloyales,
Et par elles, il sçait les plus cachez secrets.
Il n’a plus à douter du malheur de sa teste.
 Un jour qu’on le croioit bien loin,
 Il se posta dans un recoin,
 D’où sans peine il put voir la feste.
 Convaincu par ses propres yeux,
Ne se possedant plus, de sa niche il s’élance,
 Et par la mort de ce couple odieux,
A l’aide d’un poignard, satisfait sa vangeance.
 Grand desordre dans la maison.
Grand bruit dans l’une & dans l’autre famille,
 Mais la Justice avec raison,
 Absout l’infortuné Camille.
Si l’on pouvoit, sur l’exemple d’autruy,
  Se rendre sage,
 O qu’il est de fous aujourd’huy
 Qui craindroient un semblable orage !
 Mais il fut & sera toûjours
 Des Amans fous de toute sorte,

LA PIE.

A leur dam, Verdelet, à nous, que nous importe
 Qu’il soit tant de folles amours ?
 Acheve viste ton Histoire.

LE PERROQUET.

 Je la termine en peu de mots.
 Effrayé plus qu’on ne peut croire
Du desastre arrivé que je t’ay dit en gros,
Comme alors j’estois libre, arrangeant mon plumage,
 Je vole dans le voisinage,
Où le destin me mit dans les mains d’un François,
 Qui m’a fait faire le voyage
De Naple dans Paris, & depuis plusieurs mois,
J’y suis Oiseau Bourgeois, logé dans cette cage,
 Où de la tienne tu me vois.
 Voilà mon histoire finie,
 C’en est le récit tout entier,
 Que t’en semble, Margot, ma mie ?

LA PIE.

Ma foy, dans les Romans jamais nul Ecuyer
 Ne conta mieux la vie
 De son Heros avanturier.
 J’ay souvent oüy ma Maistresse
 Lire dans les fades Romans.
Mais le chagrin me prend, & de longtemps necesse,
Quand j’entens l’Ecuyer, en discours peu charmans,
 Raconter à perte d’haleine
Les exploits, les amours & les enchantemens
 De leurs Heros coureurs de prétentaine.

LE PERROQUET.

Laissons là les Romans, & songe qu’à ton tour
 Tu me dois ton histoire.

LA PIE.

Ouy, mais c’est trop parler, sans manger & sans boire.
Pour discourir, nous avons tout le jour.
N’imitons pas ces Heros de la Fable
Que les Auteurs nuit & jour font parler
 Et d’un Pays à l’autre aller
Sans que jamais ils se mettent à table.

LE PERROQUET.

Je trouve tes avis tres-bons.
Regalons-nous, mangeons, beuvons.

[Mort de Monsieur de la Bruyere]* §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 309-310.

Il me reste à vous dire qu’il vaque une place à l’Academie Françoise par la mort de Mr de la Bruyere, si connu par son Livre des caracteres de Theophraste. Il avoit soupé avec un appetit extraordinaire, & presque aussitost aprés il tomba en Apoplexie. Il n’eut plus de connoissance, & mourut à deux heures aprés minuit.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1696 [tome 5], p. 317.

Je ne doute point que vous ne soyez contente de la nouvelle Chanson que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 317.
Je voudrois bien sur la fougere
Choisir une jeune Bergere,
Dont le cœur fust tendre & constant ;
Mais on n'en voit plus de fidelle.
La moins legere, helas ! change à l'instant
Qu'elle trouve une amour nouvelle.
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