1696

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1696 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9]. §

La Gloire mal entendue §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 60-71.

La Piece qui suit a esté si applaudie de tout ce qu’il y a de plus fins & de plus habiles Connoisseurs, que je ne vous sçaurois rien envoyer de meilleur goust. Elle est de Mr Perrault de l’Academie Françoise. Il y fait parler la Gloire, qui se plaint de ce qu’on la cherche où elle n’est pas.

LA GLOIRE
MAL ENTENDUE.
VERS LIBRES.

De toutes les Beautez qui brillent sous les Cieux,
Je suis la plus aimée & la plus inconnuë.
L’éclat de mon Palais ébloüit tous les yeux,
Peu de gens cependant en trouvent l’avenuë.
 Un Prelat y croit arriver
Par son train magnifique & par sa bonne table,
 Et pense que pour me trouver
Il prend une route immanquable ;
Sur tout quand six chevaux, gros, larges & puissans,
 Fiers d’un beau Char où l’or éclate,
 Et de leurs houppes d’écarlate,
 Eclaboussent tous les passans.
 Je l’aimerois bien davantage
En faisant sa visite avec moins d’équipage,
 Et même avec un seul Mulet,
Tel qu’on voyoit aller de village en village
 Son défunt Confrere d’Alet.
***
Un Gentilhomme en sa Gentilhommiere
 Pense beaucoup faire pour moy,
Quand la canne à la main il fait trembler d’effroy
 Le Paysan sous sa chaumiere,
 Ou qu’il débauche sa Fermiere.
Il croit que de frauder Marchands & Creanciers,
 Sans que jamais la plus criante dette
 Le mortifie ou l’inquiete,
 C’est estre Noble, & de seize quartiers ;
 Mais si plein d’une belle audace
 Il attaquoit avec vigueur
 L’endroit meurtrier d’une Place,
Qu’il prouveroit bien mieux sa noblesse & son cœur !
 Ou si touché de la misere
 De ceux dont il est le Seigneur,
 Et les traitant avec douceur,
Il se faisoit moins voir leur Maistre que leur Pere.
***
Un Juge auprés de moy croit fort se distinguer
 Quand de ses Confreres peu sages,
 Il enleve tous les suffrages
 À force de les haranguer ;
Lors que de tout son Corps estant le plus fort membre,
Au gré de ses Amis il gouverne sa Chambre.
 Qu’il feroit mieux d’estre tranquille & doux,
 Et de rendre justice à tous !
***
Quiconque à la Finance utilement s’applique,
En meubles, en habits peut estre magnifique,
 Il peut avoir Carosses, Palfreniers,
 Et sur tout, de bons Cuisiniers.
Il pourra se choisir une aimable Compagne,
 Et se donner à la campagne
 Une maison belle & de prix,
 Retraite des jeux & des Ris ;
 Il peut y remuer des terres,
Y faire des jets d’eau, des canaux, des bassins,
 Et de magnifiques parterres,
Dont le Nostre luy-même aura fait les desseins.
 J’en suis d’accord, l’argent qu’il y dépense
 Retourne au pauvre en diligence.
 Mais que par luy soient achetez
 Des Marquisais & des Comtez,
 Pour en porter les noms illustres,
Sur tout si ses Ayeux n’ont esté que des Rustres :
 Un tel orgueil est ridicule & vain,
Et pour venir à moy prend un mauvais chemin.
***
Lors qu’un Prédicateur, bien fait de sa personne,
 Ayant belles mains, belles dents,
Par des discours polis, fleuris & transcendans,
 Sur un grand Auditoire tonne :
 Lors qu’il le charme ou qu’il l’étonne,
Tantost par son sçavoir, tantost par de beaux traits,
 Et tantôt par de beaux portraits,
Il croit, car se flater est chose bien facile,
Que déja son beau nom dans mon Temple est gravé
 Sur l’endroit le plus élevé.
 Ah, qu’il luy seroit plus utile
 De prêcher le pur Evangile !
 Qu’il luy seroit plus glorieux,
Non pas d’oüir l’Auditeur qui l’admire,
Mais de le voir s’en aller sans rien dire,
Le cœur gros de soupirs, & les larmes aux yeux !
***
Un Avocat, qui par son éloquence,
 Sur une affaire de bibus,
Qu’on auroit pû vuider en un quart d’heure au plus,
 A tenu toute l’Audience :
 Qui par son babil a jetté
 Trois de Messieurs sur le costé,
 Dormans d’un doux & profond somme,
 Se regarde comme un grand homme.
 Qu’il eust esté plus à propos,
Pour me gagner & pour gagner sa cause,
  De ne dire que quatre mots,
 Sans mettre en jeu ny Philon, ny Berose,
Ny le galant Auteur de la Metamorphose,
 Qui tous ny de loin ny de prés
 N’avoient que voir dans ce procés,
Mais telle est, dira t-on, l’éloquence feconde.
 Quel abüs ! & jusques à quand
 Ignorera-t-on dans le monde
Qu’un Orateur trop long ne peut estre éloquent ?
***
Un Moine adroit, qui pour toutes sciences,
Sçait rendre son Convent celebre & frequenté,
Ou qui, doux & commode, a de l’habileté
 À manier les consciences,
 Qui se fourant où sont reclus
 De vieux Devots avec de vieux écus,
 Les induit saintement à faire
 De gros legs à son Monastere ;
Tout Moine enfin qui par son entregent
À sa maison fait venir de l’argent,
 Croit que je luy suis toute acquise,
Parce que son Prieur l’aime & le préconise.
Mais s’il reflechissoit comment il est vestu,
Pourquoy dans un Convent il a voulu se mettre,
Ce qu’en faisant ses vœux il a fallu promettre,
Quelle est de son estat la premiere vertu,
 S’il songeoit bien que le silence,
 La retraite, la penitence,
 La pauvreté, l’obeissance,
  Font son essence :
Triste de ces succés, honteux de son talent,
Il iroit se cacher dans une grotte obscure,
 Et là seul confus & dolent,
 Et quelquefois se flagellant,
 Prier sans cesse & coucher sur la dure.
Pour se combler d’honneur, & d’un honneur qui dure,
 Le moyen seroit excellent.
***
 Une Femme propre & galante
De mes plus beaux rayons se croit toute brillante,
Quand sur son foible Epoux elle a gagné le pas :
 Lors que pompeusement parée
Et de tout le plein pied s’estant seule emparée,
Elle l’a relegué dans un vieux galetas,
 Quand Precieuse devenuë,
Et plus que luy cent fois du beau monde connuë,
 Par tout elle fait du fracas.
Teste à l’évent qui ne sçait pas encore
Qu’une Femme d’esprit, qu’une Femme de cœur,
 N’a pas de plus solide honneur,
Que d’avoir un Epoux que tout le monde honore.
Pour un seul qui vers moy sçait conduire ses pas,
 J’en vois cent qui prennent le change,
 Et qui par une erreur étrange
 Me cherchent où je ne suis pas

[Suite de l'histoire du mois dernier] §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 85-180.Voir cet article pour le début de l'histoire galante

 

Je viens au reste des avantures de la petite Marquise. Elle alloit souvent à la Comedie, qu'elle aimoit bien mieux que l'Opera. On y pleure, disoit-elle, & quel plaisir de pleurer ! On y voit des malheureux, on les plaint, & ce qui est admirable, en les plaignant on voudroit souvent estre à leur place au hazard de souffrir comme eux. Elle y alloit toujours de bonne heure, afin de recevoir les applaudissemens de toute l'Assemblée ; car dés qu'on allumoit les Lustres, & qu'on la pouvoit remarquer dans sa loge, & le theatre & le parterre, tout n'avoit attention qu'à elle. Chacun se récrioit sur ce visage enfantin, où toutes les graces estoient rassemblées : aussi sçavoit-elle bien les faire valoir par ses petites manieres. Elle avoit toujours à la main un miroir de poche plus grand qu'à l'ordinaire, & le hazard faisoit toujours qu'il manquoit quelque chose à sa coiffure. Sas pendans d'oreilles n'estoient pas droits, ses mouches n'estoient pas bien placées, son collier de Perles estoit trop serré, ou ne l'estoit pas assez. Enfin, quand elle s'estoit ajustée à sa fantaise, elle se reposoit dans la contemplation de ses charmes, & jouissoit du plaisir inexprimable de voir tous les yeux attachez sur elle, & souvent même d'entendre les acclamations sinceres qu'on donnoit à sa beauté. Elle estoit un jour dans la premiere loge extraordinairement parée. Elle devoit le soir aller à un souper & au Bal chez l'Ambassadeur de Venise. Une robe de velours noir toute chamarrée de Diamans, un mouchoir volant, qui laissoit entrevoir une gorge naissante, mille rubans couleur de rose, des boucles d'oreilles de Rubis, tout sembloit contribuer à rehausser l'éclat de ses yeux & les agrémens de son visage. Les Comediens joüoient une Comedie intitulée, L'Isle enchantée. Un Comedien venoit d'annoncer la venuë de la Déesse de la Jeunesse. Il en avoit fait douze ou quinze Vers une description fort agreable, & achevoit ce Vers,

Seigneur, vous allez voir cette aimable Déesse,

lors que tout d'un coup, & comme de concert, vingt voix du Parterre s'écrierent ensemble, la voilà, la Déesse de la Jeunesse, en levant les mains vers la loge où estoit la petite Marquise. Le theatre sans balancer suivit l'exemple du Parterre. Tous se leverent en confusion, & passerent de son costé, en disant, Ouy, la Deesse de la Jeunesse, Voilà ses yeux, sa bouche, ses agrémens, voilà jusqu'à ses petites façons. Les Comediens eurent beau demander silence, il fallut qu'ils s'arrestassent tout court, & qu'ils vinssent eux-mêmes rendre hommage à la petite Marquise. Elle en vouloit rire au commencement ; mais voyant que c'estoit tout de bon, sa modestie fut poussee à bout, & pour éviter tant de regards qui la devoroient, elle s'enfonça dans sa loge, & ne se remontra aux yeux du Public, que quand le bruit fut cessé & la Comedie recommencée. Cela ne laissa pas de luy faire grand plaisir. Il faut bien que je sois belle, disoit-elle à sa mère avec une ingenuité charmante, puisque tant de gens le disent.

Une autre fois, qu'elle étoit à la Comedie avec la Comtesse d'Altref, elle remarqua dans la loge un jeune homme fort bien fait avec un justeaucorps d'ecarlate en broderie d'or & d'argent, mais ce qui lui donna plus d'attention, c'est qu'il avoit aux oreilles des boucles de Diamans fort brillantes & trois ou quatre mouches sur le visage. Elle s'attacha par curiosité à le regarder & lui trouva une phisionomie si douce & si aimable que ne pouvant se retenir, Madame, dit elle à la Comtesse d'Altref, voilà un beau garçon. Il est vrai, dit la Comtesse, mais il fait le beau, & cela ne sied point à un homme. Que ne s'habille-t-il en fille ? la Comedie continuoit, on ne causa plus, mais la petite Marquise tournoit souvent la tête, & ne se sentoit plus d'attention pour le faux Alcibiade, qu'on representoit. À quelques jours de là, étant à la Comedie dans la troisiéme loge, le même jeune homme, qui se faisoit assez remarquer par ses ajustemens extraordinaires, se trouva dans la deuxiéme loge, & voyant à son aise la petite Marquise, qui étoit dans la troisiéme, il eut pour elle toute l'attention qu'elle avoit euë pour lui la premiere fois, & ne se contraignit pas tant. Il tourna toûjours le dos aux Comediens, & ne pouvoit détourner ses regards de dessus la petite Marquise, qui de son costé lui répondoit un peu plus souvent que l'exacte modestie ne l'eust voulu. Elle sentoit dans ce commerce mutuel de regards, ce qu'elle n'avoit jamais senti, une certaine joye delicate & profonde, qui des yeux passe dans le coeur, & qui fait toute la felicité de la vie. Enfin quand la Comedie fut achevée, en attendant la petite piece, le beau jeune homme sortit de sa loge pour aller demander le nom de la petite Marquise. Les Portiers, qui la voyoient souvent, lui dirent son nom sans se faire prier, & même sa demeure, & voyant que c'étoit une personne de qualité, il resolut de faire connoissance, s'il pouvoit, & même sans aller plus loin, il s'avisa (l'amour est ingenieux) d'entrer tout d'un coup dans la loge de la petite Marquise, en feignant de se tromper. Ah, Mesdames, s'écria-t-il, je vous demande pardon, je croyois entrer dans ma loge. La Marquise de Banneville aimoit assez les avantures, & ne manqua pas celle-cy. Monsieur, luy dit-elle fort honnestement, nous sommes fort heureuses que vous vous soyez trompé. Quand on est fait comme vous, on est bien receu par tout. Elle avoit envie par là de le retenir pour le voir tout à son aise, l'examiner, lui & son ajustement, faire plaisir à sa Fille, dont elle avoit deja remarqué l'emotion, & en un mot se rejouit innocemment. Il se fit encore un peu presser, & puis demeura dans la loge, sans vouloir se mettre au premier rang ; on lui fit cent questions, ausquelles il répondit avec beaucoup d'esprit & un certain agrément dans le son de la voix & dans toutes ses manieres qui le rendoient fort aimable. La petite Marquise lui demanda pourquoy il avoit des pendans d'oreilles. Il repondit que c'estoit habitude & qu'ayant eu les oreilles percées dès son enfance, il y avoit toûjours mis des boucles de Diamans ; & qu'au reste, il croyoit qu'on pardonneroit à son âge ces petits ajustemens, qui proprement ne conviennent qu'au beau sexe. Tous vous sied bien, Monsieur, lui dit la petite Marquise en rougissant, & vous pouvez mettre des bracelets, sans que nous nous y opposions. Vous ne serez pas le premier ; tout tourne dans le monde galant. La pluspart des filles veulent avoir des cravates & des perruques. Ce sont toutes des Amazones, & beaucoup de jeunes gens mettent des pendans d'oreilles & des mouches, & s'ajustent comme des filles. La conversation ne tomba pas. Le beau jeune homme, qui sçavoit l'histoire, leur dit, que nos grands peres avoient porté des pendans d'oreilles & des bracelets de Diamans, & que la mode en pouvoit fort bien revenir.

Cependant la piece étant finie, il reconduisit les Dames à leur carosse, & fit suivre le sien jusqu'à la maison de la Marquise, & là, sans oser entrer, il envoya un Page faire un compliment, & dire que son escorte leur avoit esté assez inutile.

Les jours suivans on le vit; on le trouva partout, à l'Eglise, aux promenades, aux spectacles, toûjours soumis, toûjours respectueux, saluant profondement la petite Marquise sans oser l'approcher, ni lui parler. Il ne paroissoit avoir qu'une affaire, & n'y pas perdre un moment. Enfin au bout de trois semaines, un Conseiller au Parlement, frere de la Marquise de Banneville, lui vint proposer un matin de recevoir la visite du Marquis de Bercourt, son bon ami & son voisin. Il l'assura que c'estoit un fort honneste homme, & l'amena dés l'aprésdinée. [...] Il leur proposa un jour de faire une petite lotterie de bijoux. La chose fut executée sur le champ. Les meres fournirent quelque argent pour elles & pour leurs filles. Il devoit y avoir cinq ou six billets noirs, mais chacun fut bien étonné, quand en ouvrant ses billets, il ne s'en trouva que des noirs. Chaque Dame faisoit de grands cris en ouvrant chaque billet. Il est vray que tous ces lots n'estoient que des bagatelles, des Tablettes, des Etuis, des Rubans, mais la surprise & la joye n'en furent pas moins grandes, & quoy que le Marquis s'en deffendist, on vit bien que cela ne pouvoit venir que de luy. Il avoit fait amitié avec les deux Orphées de nôtre siecle, Descoteaux & Filbert, & les amenoit souvent chez la petite Marquise. C'est là qu'ils deployoient tout le secret de leur Art. Ils estoient tout autres que chez les plus grands Seigneurs. Tantost leur flute poussoit de ces tons ravissans qui transportent l'âme hors d'elle même ; tantost ils s'abandonnoient aux charmes d'une Musique naturelle, & chantoient les beautez de la petite Marquise, en chantant celles de leur Bergere. La difference de leurs voix & peut-estre de leurs inclinations, quoy que fort amis, faisoit un contraste, & l'on ne sçavoit qui plaisoit davantage, ou l'enjouement de l'un, ou la tendresse de l'autre. [...]

C'est ainsi que les journées se passoient agreablement chez la Marquise de Banneville, jusqu'à ce que la chere Enfant fust parfaitement rétablie. On la revit avec joye aux promenades publiques. Les Comediens disoient en riant, qu'ils vouloient l'annoncer dans leurs Affiches. Elle recommença à faire sa vie. Le Marquis de Bercourt y venoit souper tous les soirs, & la Mere estoit fort contente, parce que sa Fille ne parloit point de ce mariage, qui lui faisoit tant de peine. Elle esperoit que contente d'aimer, & d'estre aimée de son cher Marquis [de Bercourt], elle se croiroit heureuse dans la liberté entiere qu'elle luy donnoit de faire toutes ses volontez, mais elle fut détrompée au bout de trois mois. [...]

[...] [La petite Marquise] alloit souvent au Bal, à la Comedie, à l'Opera, & toujours avec la même Compagnie. Le Marquis ne la quittoit pas, & tous ses autres Amans voïant assez que c'estoit une affaire reglée, s'estoient retirez. [...] Ainsi le mariage fut arresté. On leva les étoffes, & la ceremonie se fit chez [son] bon oncle, qui comme Tuteur, voulut donner le festin des nôces.

Jamais la petite Marquise ne parut si belle, que ce jour là. [...] On les unit pour jamais, & chacun leur donnoit mille benedictions. Le soir, le festin fut magnifique. La musique & les violons n'y manquerent pas. Enfin l'heure fatale étant arrivée, les parens & les amis les mirent ensemble dans un lit de parade, & les embrasserent, les hommes en riant, & quelques Vieilles en pleurant. [...]

[Spectacle donné à Rouën] §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 198-204.

 

La Tragedie du College de Roüen, où se fait la distribution des Prix, fondez par Mr du Parlement de Normandie, fut representée le 30. du mois passé, avec un succés extraordinaire. Tout contribua à la faire réussir, le choix des Acteurs qui declamerent beaucoup mieux que n'ont coutume de faire des Ecoliers, l'Assemblée qui estoit tres-nombreuse, & où se trouverent plusieurs personnes de distinction, & sur tout les agrémens de la Musique & de la Danse, dont la Piece estoit entemeslée, & dont l'execution contenta toutes les personnes de bon goust. Cette Piece fut terminée par un Compliment à Mrs du Parlement, que le Fils de Mr Petit de Captot, Avocat General en la Cour des Aides de Normandie, recita avec une grace particuliere. Ce Compliment parut noble, & singulier, & propre au sujet ; & comme il reçut de grands applaudissemens, je croy devoir vous en faire part. il est de la composition du Pere Buffier, Jesuite, dont on a vû il y a longtemps de fort beaux Vers sur differentes matieres.

Auguste Parlement, dont l'illustre presence
Vient honorer les Muses de ces lieux,
Et de qui la magnificence
Anime les beaux Arts par des dons précieux,
Goûtez icy le fruit de leur reconnoissance.
Il n'est point indigne de vous,
Quelque leger qu'il soit en apparence,
Vous devez en estre jaloux.
***
Jadis les Senateurs du Conseil le plus sage,
Du Tribunal le plus majestueux,
Du venerable Areopage,
S'en firent une gloire, & vous faites comme eux.
Leurs presens excitoient les esprits de la Grece
À mille exercices divers
De l'Eloquence & du bel Arts des Vers.
Athenes fut ainsi l'école & la maistresse
De l'Europe, de l'Univers.
L'on apprit d'elle ainsi le secret heroïque
De former noblement les moeurs,
De polir les esprits sans corrompre les coeurs,
De parler dans la République
Avec autant de dignité,
Qu'on y donnoit des Loix avecque majesté.
***
Loin d'elle, loin de nous, loin d'un Empire illustre,
Cette âpre & farouche équité,
Qui des beaux Arts n'emprunte point le lustre,
Et qui n'a d'ornement que sa rusticité,
Ne sçauroit estre le partage
Que du feroce Ameriquain,
Ou d'un peuple encor plus sauvage,
Mais dont jamais ne put souffrir l'usage
Le Grec habile, & le poli Romain.
***
D'un Senateur Français le noble caractere
A-t-il des droits moins excellens ?
Non, quelque soit l'éclat de ses autres talens,
Ce ne sera jamais qu'une obscure lumiere,
S'il ne tient d'Apollon ses traits les plus brillans.
Si les Muses ne peuvent faire
Ses soins, son étude ordinaire,
Qu'il en fasse du moins ses divertissemens,
Et qu'il se montre ainsi distingué du vulgaire.
Jusque dans ses amusemens.
***
Ô vous, florissante jeunesse,
Qu'un illustre Senat prend plaisir aujourd'huy
D'animer à la politesse,
Profitez de ses dons, & formez-vous sur luy.
Contemplez à loisir sa dignité, sa gloire,
D'avoir eu des Pellots, des Rys, des Montholons,
Comme l'on vit ailleurs des Thous, de Lamoignons,
Rendre leur nom éternel dans l'Histoire,
Par l'honneur qu'ils ont fait aux Filles de Memoire.
Que dans vous, comme en eux,
Apollon & Themis
Fassent un jour cette heureuse alliance,
Qui seule peut former en France,
Un Magistrat digne des Lis,
Digne de prononcer les Arrests de Loüis.

[Entretiens sur les anciens Auteurs] §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 217-219.

Il paroist depuis peu de jours un Livre nouveau, qui a pour titre, Entretiens sur les anciens Auteurs. Il est de Mr de Martignac, qui s’est distingué avec beaucoup d’avantage parmy tout ce qu’il y a de gens de Lettres, par ses excellentes Traductions de Virgile & d’Horace. Son dessein a esté formé sur la Bibliotheque de Photius, Patriarche de Constantinople, qui nous ayant laissé des Extraits de plusieurs Livres qui ne subsistent plus à present, a rendu par là un service considerable aux Sçavans. Mr de Martignac introduit Cleante & Timandre, tous deux remplis d’érudition, qui en parlant des Auteurs anciens, marquent leur Patrie, leur Siecle, leurs Emplois, & leur maniere d’écrire. Ils rapportent même des Fragmens de leurs Ecrits, pour donner une plus ample idée de la matiere qu’ils traitent. Ce Livre contient en abregé la Vie de quarante-sept de ces Illustres, dont le nom vivra toujours, à commencer par Homere ; & cet Ouvrage, qui n’est pas moins curieux qu’utile, ne peut donner qu’un fort grand plaisir à ses Lecteurs. Il se trouve chez le Sr Guillaume de Luynes, Libraire au Palais, dans la Salle des Merciers.

[Liste des Marchandises contenues sur les Vaisseaux de la Flotte de Smirne appartenant aux March. de Marseille] §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 226-227.

 

Je vous envoye un détail des marchandises que l'on a trouvées sur six des Vaisseaux qui sont venus de nostre flote de Smirne. Leur charge est estimée plusieurs millions ; & on a eu à Marseille d'autant plus de joye de leur arrivée, que le Roy a fait la grace à cette Ville là de luy accorder la franchise de son Port. Aussi pour marquer combien cette joye estoit generale, on y a chanté un Te Deum, & allumé des feux dans toutes les ruës. [...]

[Publication de la Paix &c] §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 266-290.

Peu de jours aprés, le Roy, à la priere de Monsieur le Duc de Savoye, consentit à accorder aux Alliez une Tréve de trente jours en Italie, pour leur donner le temps de se concerter pour accepter la neutralité. Ces quinze jours estant expirez, S. M. voulut bien en accorder encore vingt, à la priere de ce même Prince, & quand ils furent passez, Elle fit publier cette Ordonannce.

On fait sçavoir à tous, qu'une bonne, ferme, stable & solide Paix, avec une amitié & reconciliation entiere & sincere, a esté faite & accordée entre Tres Haut, Tres-Excellent, & Tres-Puissant Prince LOUIS, par la Grace de Dieu Roy de France & de Navarre, nostre Souverain Seigneur ; & Tres-Haut & Tres-Puissant Prince VICTOR AME' II. DUC DE SAVOYE, leurs Vassaux, Sujets & Serviteurs en tous leurs Royaumes, Etats, Pays, Terres & Seigneureries de leur obéissance ; Que ladite Paix est generale entr'eux & leursdits Vassaux & Sujets ; & qu'au moyen d'icelle il leur est permis d'aller, venir, retourner, & sejourner en tous les lieux desdits Royaumes, Etats & Pays, negocier & faire commerce de Marchandises, entretenir correspondance, & avoir communication les uns avec les autres, & ce en toute liberté, franchise & seureté, tant par terre que par mer, & sur les Rivieres, & autres eaux de deçà & delà les Monts, & tout ainsi qu'il a esté & et dû estre fait en temps de bonne, sincere & amiable

 

Cette Ordonnance ayant esté renduë publique, la Paix fut publiée le 10. Mrs du Chastelet se rendirent à l'Hostel de Ville, où il y eut un grand repas. La marche commença ensuite. Elle estoit composée des Archers du Guet, de la Compagnie de Mr le Prevost de l'Isle, & des trois cens Archers de Ville, divisez en trois Compagnies. Toutes ces Troupes avoient une infinité d'Officiers bien montez, & estoient accompagnées des Hautbois & Trompettes de la Chambre, & de celles de la Ville. Mrs du Chastelet & de la Ville marchoient ensemble, & Mrs du Chastelet avoient la droite. Il y avoit six Herauts & le Roy d'Armes, qui publia la paix. La premiere publication se fit devant le Palais des Tuileries parce que c'est le dernier endroit du Louvre que le Roy ait habité.

 

Je ne vous ay rien dit de cette Paix ; mais qu'aurois-je pû vous dire de mieux que ce que porte la Lettre du Roy à Mr l'Archevêque de Paris, dont voicy les termes :

 

Mon Cousin. Comme dans cette guerre que je soutiens seule depuis neuf ans contre l'Europe conjurée, je n'ay eu d'autres vûës que de défendre la Religion, & de vanger la Majesté des Rois, Dieu a protegé sa cause, il a conduit mes desseins, & secondé mes entreprises. Les heureux succés qui ont accompagné mes Armes, m'ont esté d'autant plus agreables, que je me suis toujours flaté qu'ils pourroient contribuer à la Paix ; & je n'ay profité de ces prosperitez que pour offrir à mes Ennemis des conditions plus avantageuses que celles qu'ils auroient pû souhaiter, quand même ils auroient eu sur moy cette superiorité que j'ay conservée sur eux. J'ay cru ne devoir rien omettre de ce qui peut avancer le bonheur de l'Europe, & j'ay tout mis en usage pour marquer à mon Frere, le Duc de Savoye, avec quelle ardeur je désirois voir renaistre entre nous une intelligence établie depuis tant de siecles, fondée sur les liens du sang & de l'amitié, & qui n'avoit esté interrompuë que par les artifices de mes Ennemis. Mes vœux ont esté exaucez. Ce Prince a connu ses veritables interests, & mes bonnes intentions, la Paix a esté concluë. Il faut esperer que les Puissances Confederées, touchées de cet exemple & des maux de leurs Peuples imiteront sa conduite, ou que, s'ils persistent dans les mêmes sentimens, ils connoîtront plus que jamais que rien n'est impossible à des Troupes accoutumées à vaincre, & conduites par le desir de la Paix. C'est pour rendre graces au Dieu des Armées qui a bien voulu se montrer le Dieu de Paix, & pour le prier de rendre à l'Europe une tranquillité si necessaire & que luy seul peut donner, que j'ay resolu de faire chanter le Te Deum dans l'Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris le 13. du present mois, ainsi que vous le fera plus particulierement entendre le Grand Maistre ou le Maistre des Ceremonies, auquel j'ordonne d'inviter à cette Ceremonie mes Cours, & ceux qui ont accoutumé d'y assister. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le 11 de Septembre 1696. Signé, LOUIS. Et plus bas, Phelypeaux.

Cette Lettre a esté trouvée tres-belle, & comme elle fait voir parfaitement la situation des affaires de la Guerre, je n'ay rien à vous en dire davantage.

Mr des Granges, Maistre des Ceremonies, ayant invité en même temps les Cours Superieures de se trouver à ce Te Deum, elles y assisterent, ayant Mr le Chancelier à leur teste. Le Clergé s'y trouva aussi. Il y eut le soir un Feu d'Artifice devant l'Hostel de Ville. La Paix y estoit representée, tenant d'une main un rameau d'olivier, qui en est le simbole. Elle estoit appuyée de l'autre sur un bouclier aux Armes de France, pour marquer que la force des armes victorieuses du Roy, en a toujours esté le plus ferme appuy. On y voyoit sur le piedestal une Inscription Latine, dont voicy la traduction. À LA GLOIRE DE LOUIS LE GRAND, pour avoir donné la premiere ouverture de la Paix à l'Europe, en rompant une Ligue en Italie par une nouvelle Alliance.[...]

Je ne vous parle point des réjoüissances qui se firent par toute la Ville. Elles éclaterent à la maniere accoutumée en de pareilles occasions, le peuple reglant toujours sa joye, quelque interest qu'il ait à la Paix, sur le plaisir qu'elle fait au Roy, & ne l'ayant jamais demandée, ny même souhaitée contre sa volonté.

Je vous envoye un Lettre touchant les réjoüissances, qui furent faites le même jour par une grande Princesse.

Me la Duchesse de Nemours donna une Fête à l'Hostel de Soissons pour marquer sa joye, & l'interest qu'elle prend à cette paix. Tout y parut magnifique & bien imaginé ; cette Feste ayant esté conduite par Mr Baron qui a l'honneur d'estre à cette Princesse, & que son intelligence & sa capacité font distinguer parmy les plus honnestes gens. Plusieurs fontaines de vin ouvrirent la Scene. Elles furent suivies d'une illumination au dehors & au dedans de cet Hôtel, & il n'y eut pas une fenestre qui n'eût sa lanterne, ny d'endroits où l'on ne vist de petites lampes. Elle estoient placées dans la Cour par arcades, par compartimens & par cordons, qui entouroient tous les étages de ce Palais, & dont la symetrie fort juste composoit un tour qui faisoit l'effet du monde le plus agreable à la veuë. Au milieu de la Cour vis à vis les fenestres de l'appartement de la Princesse, s'élevoit une espece d'Amphitheatre qui avoit trois faces où les Armes de France & de Savoye estoient marquées par l'arrangement de ces petites lampes qui en faisoient briller les traits. Sous les Portiques qui font les entrées & les sorties de la Cour pendoient des Lustres de Cristal de Roche chargez de bougies. Les Salles, les Antichambres & les Cabinets rendoient une lumiere extraordinaire, & ne cedoient en rien à la clarté de la cour. Tout estoit remply de bras, de Plaques & de Torcheres. Tout ce que l'abondance peut fournir de plus delicat & de plus exquis, fut servy sur deux tables qui furent mises dans la premiere Salle. Les personnes à qui Madame de Nemours avoit fait l'honneur de les inviter, les remplirent, & elles furent bientost environnées des Dames de Paris les plus parées & les mieux faites, que le bruit de cette magnificence avoit attirées en ce lieu. Il fut permis dans un jour consacré à la liberalité, de distribuer avec profusion les fruits & les confitures des tables à celles qui les entouroient. Ces Dames s'en trouverent si honorées qu'elle se crurent de la Feste, ou du moins necessaires pour la rende complete. Pendant ce temps-là, les plus excellens Violons joüerent les airs de Lully avec tant de perfection & de succés, que Madame de Nemours, ingrate naturellement à la Musique, crut toute la soirée qu'elle l'aimoit. Les tables enlevées, on se mit aux fenestres. Comme il y en avoit un grand nombre, on y fit placer les personnes de distinction, sans qu'il y eût aucun embarras.

Le bruit des Trompettes & des Tambours apprit que le Feu alloit commencer, & l'on n'entendit plus qu'un tonnerre de Boëtes qui redoubloit à chaque instant. Chacun eut ensuite les yeux attachez sur les Armes de France & de Savoye, qui brûlerent dans la Cour sans se consumer. Ce Feu fut beau dans toutes ses parties, & finit par cinq grosses gerbes, qui peu de temps aprés descendirent en pluye de feu, & couvrirent toute la cour. L'on apperceut ensuite au même endroit d'où l'artifice estoit parti, un Soleil admirable, mis exprés en l'honneur de la Devise de Sa Majesté. Il en sortit de tous costez une infinité de rayons enflammez, & compassez avec une tres-grande justesse.

Ce Soleil demeura fixe fort longtemps, & les yeux auroient toujours esté attachez dessus, sans un composé de plusieurs fusées volantes réunies ensemble, qu'on appelle une Girande, qui vola en l'air par dessus cette Tour si élevée, qui est dans la cour, & qu'on dit avoir esté bastie par une Reine, pour y faire observer les Astres. On en fut redevable à la liberalité de Mesdemoiselles de Soissons & de Carignan, qui s'en estoient fait une affaire particuliere. Les Trompettes, dont le nombre estoit grand, firent ensuite trois tours autour de la machine. Les Tambours qui leur succederent, en firent autant ; mais les Fifres & les Hautbois bien concertez ensemble, chasserent tous ces bruits de guerre, par des sons plus tendres, & firent place à une plus douce harmonie, dont l'Assemblée fut vivement touchée. Il parut aprés cela trois tables, l'une toute couverte de Caffé, l'autre de Thé, & la troisième de Chocolat, dont tout le monde fut regalé. Il y eut ensuite un grand Bal, dans un lieu éclairé d'une infinité de bougies. L'Assemblée qui le composoit, fut augmentée par la compagnie qui eut l'honneur de venir à la suite de Mesdemoiselles de Carignan. Ce Bal dura jusques à une heure aprés minuit, & chacun s'en retourna fort satisfait & comblé de differens plaisirs.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1696 [tome 9], p. 326-327.

Je vous envoye un Air nouveau, que vous ne trouverez pas moins agréable que ceux qui l'ont précedé.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 326.
Quand on a de l'amour
Qu'il est difficile
D'estre tranquille
Seulement un jour,
Que ne craint pas mesme un heureux Amant ?
L'instant que luy promet une ardeur éternelle,
Est suivi d'un autre moment,
Qui souvent fait une infidelle.
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