1697

Mercure galant, février 1697 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1697 [tome 2].
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Mercure galant, février 1697 [tome 2]. §

[Nouvelle Dissertation sur un passage de Virgile] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 9-43.

Il y a une autre guerre qui ne finit pas fort promptement. C’est celle qui s’allume entre les Sçavans. On a attaqué l’explication nouvelle que je vous ay envoyée d’un passage de Virgile, & l’Auteur de cette explication s’est cru obligé de la soutenir. Voicy ce qu’il a écrit de nouveau sur ce Passage.

A MONSIEUR ***

Vous avez vû, Monsieur, la Lettre qui attaqua au mois de Novembre, celle de ma nouvelle explication d’un passage de Virgile, laquelle parut au mois d’Avril. Le septiéme mois depuis la naissance de cette explication seroit-il funeste pour elle, de même que les Medecins estiment que les jours septenaires sont critiques, & que les années septenaires sont climateriques ? Si je fais cette remarque, c’est que j’ay affaire à un membre celebre de la Faculté, où on n’obmet pas cette observation. Un Etudiant a mis son nom à cette Lettre de Novembre ; mais quoy qu’il soit studieux & avancé, je sçay de bonne part qu’il n’a fait que prêter sa main pour la copier, & qu’elle appartient originairement à son Docteur. En effet, coruscat radiis Magistri. On y voir l’esprit & le genie du Maistre, qui est comme lapis, Phœbo ante alios dilectus. Cet abus de nom n’estoit pas approuvé de Virgile, qui trouva mauvais qu’un autre se fist honneur d’un distique qu’il avoit composé ; ce qui donna lieu à ce petit Vers, & à d’autres semblables, où il s’en plaint.

Sic vos non vobis vellera fertis, oves.

Ce n’est donc pas pour vous, brebis, que vous portez vos toisons. Il ne s’agit pas icy de la toison d’une brebis, mais de la peau d’une Louve, que j’ay essayé d’ôter de l’interpretation d’un endroit de Virgile, & que l’Auteur de la Lettre critique y veut retenir. Voicy le Passage dont le sens est agité & mis en question.

Inde Lupæ fulvo nutricis tegmine lætus
Romulus, &c. Æneid. 1.

J’ay combattu le sens vulgaire, qui revest icy Romulus de la peau de la Louve, ou de celle d’un Loup, & j’ay proposé un nouveau sens qui le couvre de feüilles, feüilles symboliques d’immortalité. On me dispute ma refutation, & on me dispute aussi mon opinion. Il me faut donc faire une seconde discussion de ces termes, Lupæ fulvo nutricis tegmine, &c. On doit les entendre passivement, c’est à dire, de la peau prise de la Louve : ou activement, de ce que la Louve fournit hors d’elle-même, & qui couvre Romulus, le tirant d’un autre sujet. Le premier sens a beaucoup de difficultez. La Louve surmonte sa ferocité naturelle, & son appetit vorace ; au lieu de devorer Romulus que le Tibre luy avoit comme jetté à la gueule, elle l’adopte comme son enfant, elle devient sa mere nourrice, & elle luy fait part de son lait comme à ses petits. Romulus doit ainsi doublement sa vie à la Louve, & pour ne l’avoir pas mangé comme sa proye, & pour l’avoir nourri comme un de ses petits. Se peut-il aprés cela que Romulus trouve le moyen de tuer la Louve, & qu’il se couvre de sa peau ? Ce seroit une espece de parricide. Androdus, cet esclave fugitif, ayant esté repris, fut condamné à estre déchiré par les bestes. Lors qu’il y est exposé, un grand Lion le couvre, se mettant au devant de luy, & il empêche qu’elles ne l’approchent. Le Peuple Romain jaloux de la generosité du Lion, donne la vie à l’esclave, & il est mis en liberté. Ferez vous devenir cet esclave le meurtrier de ce Lion, & le ferez-vous couvrir de sa peau ? Si l’action du Lion fut admirée comme une merveille, l’action de l’esclave seroit regardée comme celle d’un monstre. Il ne sert de rien d’alleguer la peau du Lynx d’Harpalice, ny celles des bestes tuées à la chasse. Ce sont des dépoüilles d’un ennemi vaincu ; mais icy c’est la peau d’une bienfaictrice, d’une tendre nourrice ; ces sujets & ces exemples ne sont pas de la nature du nostre, & ne luy ressemblent point. Je vais plus avant que cette reflexion morale ; je dis qu’il n’est pas possible que la peau de la Louve fust mise à cet usage. Romulus enfant n’estoit pas en estat de tuer sa Louve, soit à la chasse, soit autrement ; & quand il eut atteint douze ou treize ans, quoy que ce soit encore estre trop jeune pour un exercice aussi rude & aussi dangereux qu’est celuy de la chasse du Loup, posé qu’il eust tué la Louve, qui est-ce qui auroit reconnu que c’estoit celle qui avoit esté sa nourrice ? Ce ne seroit pas Romulus, qui auroit esté treize ans sans la voir. Ce ne seroit pas non plus Faustulus, qui lors qu’il enleva l’enfant, prit sans doute son temps que la Louve n’y estoit pas. Aussi semble-t-il que le Critique se rend sur cet article, puis qu’il a recours à la peau d’un Loup. Mais cette opinion ne peut pas s’ajuster aux termes du Poëte, qui sont Lupæ nutricis, la Louve nourrice. Le sens doit estre tiré des termes. Un Loup n’est pas une Louve, encore moins une Louve nourrice. On s’égare donc de Virgile, & on l’interprete mal, d’expliquer la chose contre la signification des mots. De plus, j’ay avancé qu’il estoit incompatible de mettre une peau de Loup sur les épaules du Fondateur de Rome, parce que ce seroit le travestir en Loup, animal affreux ; en Lycantrope, figure triste & d’une mélancolie noire, ce qui ne convient ny à Romulus, ni à lætus ; joint que cet animal seroit d’une fatalité & d’un mauvais augure pour l’Empire. Il y a un passage de Tite-Live que j’ay déja cité. Viso lupoin Capitolio, dirum putatum. Un Loup ayant esté vû dans le Capitole, on crut que c’estoit un cruel prodige. En voicy un autre du même Historien ; c’est au 2. livre de la 4. Decade, où il dit qu’un Loup estant entré dans la Ville par la porte Esquiline, les Consuls n’oserent pas sortir que ce prodige & quelques autres ne fussent expiez par l’immolation des grandes Victimes. Lupus Esquilinâ portâ ingressus, &c. Majoribus hostiis sunt expiata. Il y a un troisiéme passage de la même consequence, au 1. livre de la troisiéme Decade. Tite-Live, aprés avoir rapporté la belle harangue militaire qu’Annibal fit à son Armée, & qui excita si fort ses Soldats à en venir aux mains, ajoûte que les Romains n’avoient pas la même ardeur de combattre. Apud Romanos haud tanta alacritas erat, recentibus etiam territos prodigiis : nam & lupus intraverat castra. Ce Loup qui estoit entré dans le Camp, leur ôta le courage, & leur fit plus de peur qu’Annibal luy-même. Voila trois lieux considerables, où les Romains furent prodigieusement alarmez du spectacle d’un Loup ; sçavoir, le Capitole, la Ville, & le Camp. Jupiter estoit au Capitole, le Senat estoit dans la Ville, & les Legions Romaines étoient dans le Camp ; neanmoins la presence de ces grands sujets ne pouvoit les rassurer contre celle d’un Loup, qui les faisoit trembler en les menaçant d’une calamité déplorable. Aprés cela, la peau si hideuse, si funeste d’un Loup se pourroit elle souffrir sur Romulus, sans devenir luy même un objet d’un fâcheux augure à ses Romains, même par tout, dans les Temples, dans le Senat, & dans l’Armée. On me dit que le Loup n’estoit d’un mauvais augure que par des circonstances ; & moy je soutiens qu’il l’estoit de luy-même & de sa nature. Le Loup est un composé d’impudence, d’astuce, de malice, de rapacité, de voracité & de cruauté ; sa face est hideuse, son regard affreux, & son hurlement horrible. N’y a-t-il pas là suffisamment de quoy former un mauvais augure, non par accident, mais de soy même ? On m’objecte encore qu’il y avoit un Loup dans les Enseignes de la Republique. Je sçay que Pline le dit au ch. 4. de son x. livre, sans que Tite-Live en ait parlé. Cela ne fait rien, parce que ce n’estoit que dans celles où il y avoit aussi un Cheval, un Sanglier, & un Minotaure ; ce qui marque que ce Loup n’avoit aucune relation à Romulus, & qu’il n’estoit point de son institution, autrement on auroit mis dans ces Enseignes militaires, non un Loup, mais une Louve, & cette Louve y auroit esté seule. Le même Pline dit aussi que ce Loup en fut osté, comme si les Romains en eussent eu honte. On n’y vit plus la figure affreuse de cette beste, qui fut tirée des Enseignes Romaines par l’ordre de Marius, & l’Aigle, cet animal noble, & le Roy des oiseaux, y demeura seule, quoy qu’il y eust dans la personne de ce cruel Dictateur quelque rapport à un Loup, ayant devoré comme sa proye plusieurs Grands de Rome qu’il remplit de ses cruautez. On insiste aussi que le Loup est appellé martial, Lupus martialis, un animal de Mars. Qu’importe ? C’est dans l’idée horrible de la guerre, dans celle de la cruauté & du carnage, & nullement dans l’idée noble de la valeur. La Choüette est nommée Noctua Palladia, un oiseau de Minerve, en estoit-elle moins de mauvais augure ? Elle servoit de symbole pour la sagesse & l’intelligence profonde de la Déesse qui penetre dans les choses les plus obscures, car autrement elle n’en est pas moins qualifiée Noctua improba, la Choüette maligne. Cette Epithete me fait souvenir de l’opinion de ceux qui ont cru la Metempsycose ; sçavoir que l’ame d’un méchant homme, d’un homme cruel, entroit au sortir de son corps dans celuy de loup. Mettre une peau d’un loup sur Romulus, & l’en couvrir, ne seroit-ce pas commencer d’avance cette horrible Metempsycose ; figure tres-opposée à celle d’un Dieu, sous laquelle Proculus Patricien disoit l’avoir vû dans le Ciel ? Assurément cette opinion, soit de la peau de la Louve, soit de celle d’un Loup, est si peu sortable à Romulus, que l’Auteur de la Critique, qui avoit abandonné l’une, semble ne pas mieux trouver son compte dans l’autre, puis qu’il s’attache à un autre sens, qui est d’entendre par lupæ nutricis tegmine, le corps ou le ventre de la Louve, sous lequel il veut mettre Romulus ; car de plusieurs opinions il n’y en peut avoir qu’une de veritable, & on paroist rebuter l’une quand on approuve l’autre.

Cependant cette derniere opinion est encore moindre que la précedente ; car celle-cy a pour elle Servius, & divers Commentateurs qui l’ont suivi à la file ; au lieu que l’autre n’a, que je sçache, esté adoptée par aucun Auteur remarquable ; ainsi estant sans préjugé, & ne pouvant tirer de noblesse à patre & avo, je croy devoir employer moins de paroles à la combattre. Outre ce que j’en ay déja dit dans un article de ma premiere Lettre, je prétens qu’il y a de la difference à faire entre les petits de la beste & les petits de l’homme. Les petits de la beste ont la teste basse & courbée, conformement à la figure panchée de leur corps ; ainsi elles peuvent bien estre dans une situation naturelle sous le ventre de leur mere, se mettre sous le même ventre dont ils sont sortis. Il n’en est pas de même des petits de l’homme, qui ont la teste haute & les yeux élevez, suivant la structure droite de leurs corps, Os homini sublime dedit, dit Ovide. Par cette raison, la même disposition que celle des petits de la beste, ne leur est pas propre & commode ; le fait le prouvera. Il y a à Rome chez le Conservateur du Peuple, une Louve en bronze appliqué. On y voit Romulus & Remus, pour atteindre ses mammelles, hausser leurs petites mains en pliant leurs genoux, posture fort contrainte, d’autant plus qu’ils se trouvent là contre nature. Il n’y a que la necessité de conserver la vie qui les y retienne ; car autrement n’y a-t-il pas une secrete repugnance de têter une beste au lieu d’une femme ? Estre non seulement du genre humain, mais encore avoir Mars pour Pere, & une Vestale pour Mere, & cependant estre réduit à la mammelle d’une beste feroce, affreuse, & l’aversion des hommes, il n’y a pas là matiere de joye, je n’y trouve point Romulus lætus. De plus, quel emblême, quel caractere, quelle idée de gloire pour Romulus se peut-on imaginer à le placer sous le ventre d’une Louve ? Quel rapport y a-t-il avec ces grandes choses qui suivent, & que Virgile attribuë à ce premier Roy de Rome ?

Romulus excipiet gentem, & mavortia condet

Mœnia, &c. Romulus prendre le soin de cette Nation, il bâtira les murs de Rome belliqueuse, &c. Mais ce n’est pas assez d’avoir, pour ainsi dire, sapé les fondemens des opinions vulgaires, je suis obligé de confirmer de nouveau la conjecture que j’ay proposée, & de repousser les traits qu’on a lâchez contre elle, afin que s’ils retentissent sur le bouclier, au moins ils ne le percent pas.

J’ay donc déclaré que par ces paroles,

Inde lupæ fulvo nutricis tegmine, &c. on pourroit entendre activement que la Louve couvriroit de feüilles Romulus enfant ; en quoy cette nourrice extraordinaire s’acquitte d’un second soin envers son nourrisson ; sçavoir, aprés l’avoir allaité, de le couvrir & de l’enveloper de feuïlles, selon l’instinct de cet animal, qui est de se servir de feuïlles pour couvrir sa prise. Plutarque rapporte dans la vie de Romulus, que la Louve le trouva sous un Figuier, appellé à ce sujet ruminalis. Voila Romulus recumbens sub tegmine fagi, mais comme la Louve ne pouvoit pas demeurer dans un lieu passant, & sur les bords du Tybre, & que les Loups se retirent ordinairement dans les forests, c’est là où elle transporte Romulus, & c’est là qu’outre l’abri des chesnes, elle le couvre encore de feuïlles tombées de ces arbres, qui sont les seuls langes qu’elle pouvoit donner à ce merveilleux nourrisson. Outre cette convenance tirée de l’histoire, celle-cy se prend de Virgile même, par imitation d’Horace son original & son modele. Ce grand Poëte chante au 6. livre de l’Odyssée, qu’Ulisse, ce Heros de sagesse, estant échapé du naufrage, couvre sa nudité de feuïlles arrachées des branches d’un bois où il se trouva. Virgile en use de même pour Romulus, un Heros de Mars. Il estoit sauvé de l’inondation du Tybre, & de là estant emporté par une Louve dans un bois, il le fait couvrir de feuïlles dans sa nudité par cette Louve sa nourrisse. Aprés cet exemple que le Poëte Latin imite du Poëte Grec, je puis en produire un particulier de Virgile même ; c’est dans sa iv. Eglogue de l’illustre Enfant de Pollion. Il met du lierre sur son berceau, & il y ajoûte encore un autre feuïllage.

At tibi prima puer, nullo munuscula cultu
Errantes hederas passim cum baccare tellus, &c.

La terre vous fera de petits presens, nez sans aucune culture, des feüilles de lierre, & de la branche ursine, &c. Comme il est naturel à cet incomparable Poëte de garder son caractere dans des sujets semblables, il fait dans l’Eneide ce qu’il a fait dans les Bucoliques, Romulus estant un autre enfant merveilleux, il le couvre de feuilles de chesne. Le lierre & la branche ursine ont leur emblême pour le Fils de Pollion, & les feuïlles de chesne ont aussi un mistere pour le Fils de Mars, comme je l’ay déja remarqué. Joignez ces rencontres à ce que j’avois allegué d’Horace,

Fronde novâ patruæ Palumbes

Texêre. Il y a dans ce tout une juste convenance qui affermit mon sentiment. Il me reste de répondre à ce qu’on m’objecte, que des feuïlles tombées ne font pas une belle image, & qu’elles marquent plûtost une décadence qu’un estat florissant. Je replique, qu’il ne faut pas regarder icy les feuïlles de chesne dans cette circonstance, mais dans la nature simbolique de l’arbre, qui est pour l’éternité. Lors qu’on récompensoit d’une couronne de feuïlles de chesne celuy qui dans le combat avoit sauvé la vie à un Citoyen, ces feuïlles qui couvroient sa teste, estoient privées de la seve du tronc de l’arbre qui les faisoit vivre, & cependant elles n’estoient pas moins un simbole de gloire ; & il n’y a personne qui ose dire que c’estoit d’une gloire flestrie, parce que ces feuïlles de chesne separées de l’arbre estoient dans un estat flêtrissant. On ne rencontre pas mieux sur la couleur jaune des feuïlles, qu’on affecte de faire passer pour une image de la mort. De toutes les couleurs il n’y en a guere qui ait moins de ressemblance à la mort. On porte le deuïl avec le noir, avec le blanc, avec le violet, & jamais avec le jaune. Le jaune est la couleur du Soleil, cet Astre immortel. C’est aussi la couleur de l’or, métal incorruptible ; & dans la Chine, où l’or abonde, & où le Soleil est si puissant, le Prince y fait du jaune une couleur auguste & royale.

Je croy, Monsieur, en avoir assez dit pour faire remarquer les grands embarras & les difficultez insurmontables, qui se rencontrent à expliquer le Passage de Virgile, soit qu’on y entende la peau de la Louve, ou son ventre, ou la peau d’un Loup ; & en avoir assez dit aussi pour induire le nouveau sens, qui couvre Romulus de feuïllage ; feuïllage qui convient tellement à cet auguste Enfant, que j’ose conclurre que c’est cela seul qui faisoit sa joye, estant le présage de sa gloire.

Romulus haud alio tegmine lætus erat.

Je suis, &c.

Biblis à Caunus §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 44-52.

Je quitte Virgile pour Ovide. Vous ne serez pas fâchée de voir la Traduction d’une des Epistres de ce tendre Poëte. Biblis eut le malheur de trouver dans Caunus son Frere, des qualitez qui luy plurent trop. Elle s’en laissa toucher, & aprés avoir long-temps combatu sa passion, telle en fut la violence, qu’elle se trouva enfin forcée de luy en découvrir le secret, ce qu’elle fit en ces termes.

BIBLIS A CAUNUS.

Celle qui vous écrit, triste & timide Amante,
 Que du Ciel poursuit le courroux,
Vous souhaitant heureux, ne peut vivre contente,
 Si son bonheur ne vient de vous.
***
Son nom vous surprendra, je tremble à vous le dire,
 Et voudrois que sans le sçavoir
Vous sçeussiez ce que souffre un cœur qui ne respire
 Que le seul plaisir de vous voir.
***
Helas ! en vous aimant que n’est-elle assurée
 Que vous répondrez à ses vœux,
Avant que de Biblis la honte déclarée
 Vous révolte contre ses feux !
***
Ouy, Caunus, il est vray. C’est Biblis qui vous aime,
 Biblis à qui le nom de Sœur
N’a pû faire affoiblir la passion extrême
 Qui regne pour vous dans son cœur.
***
Mes yeux baignez de pleurs, mes regards tout de flame,
 Sur vous avidement tendus,
Vous expliquoient assez le secret de mon ame
 Si vous les eussiez entendus.
***
Quand surpris des soupirs que je poussois sans cesse,
 Vous m’en demandiez le sujet,
Mon trouble, vous faisant l’aveu de ma foiblesse,
 N’en découvroit-il pas l’objet ?
***
Combien aux vifs transports qui vous faisoient paroistre
 Tout le desordre de mon cœur
Ay je joint de baisers, que vous pouviez connoistre
 Plus tendres que ceux d’une Sœur !
***
Cependant quelque ardeur qu’une trop douce image
 M’ait pû contraindre de nourrir,
Les Dieux m’en sont témoins, j’ay tout mis en usage
Pour l’étoufer, pour en guerir.
***
J’ay long-temps à l’amour disputé la victoire,
 Et cherchant à me l’asseurer,
J’ay cent fois plus souffert que vous ne sçauriez croire,
 Qu’une Fille puisse endurer.
***
Enfin forcée à rompre un funeste silence,
 Qu’eust suivy la fin de mes jours,
Vous montrant de mon mal toute la violence,
 J’ose implorer vostre secours.
***
Le Ciel tient sous vos vœux ma fortune asservie,
 C’est à vous à regler mon sort.
Deux mots de vostre bouche assureront ma vie,
 Ou feront l’arrest de ma mort.
***
Ce choix dépend de vous ; avant que de le faire
 Songez que celle qui l’attend,
Ne voulant desormais vivre que pour vous plaire
 Merite ce qu’elle prétend.
***
Il ne luy suffit pas qu’une mesme naissance
 Par le sang l’ait unie à vous.
Pour remplir ses desirs, combler son esperance,
 Elle voudroit des nœuds plus doux.
***
Laissons examiner ce qui passe pour crime
 A ceux que le nombre des ans,
Sur ce qu’on doit tenir injuste ou legitime,
 A fait devenir clairvoyans.
***
Ce n’est qu’avec le temps, aprés un long usage,
 Qu’on peut amortir ses desirs,
Et trop de retenuë est mal propre à nostre âge
 Qui n’est fait que pour les plaisirs.
***
Comme nous ignorons ce que les loix permettent,
 Croyons que tout nous est permis.
Les Dieux, tout Dieux qu’ils sont, à l’Amour se soumettent ;
 Ainsi qu’eux soyons luy soumis.
***
Nul obstacle fâcheux ne pourra nous contraindre ;
 Tout nostre amour peut éclater,
Et pourvû qu’en effet nous voulions ne rien craindre,
 Nous n’avons rien à redouter.
***
La presence d’un Pere aux Amans importune
 N’aura rien de cruel pour nous,
Et nous pourrons goûter nostre heureuse fortune
 Sans nous attirer de jaloux.
***
De cent larcins d’amour à toute heure capables,
 Nous en sçaurons seuls la douceur,
Et nous les cacherons, ces larcins agreables,
 Sous les noms de Frere & de Sœur.
***
Vous & moy nous pouvons déja, quand bon nous semble,
 Joüir d’un secret entretien ;
Et mesme devant tous nous badinons ensemble,
 Sans que personne en dise rien.
***
Nous nous abandonnons à d’aimables carresses,
 Moins douces pour vous que pour moy.
Pour laisser le cours libre à nos tendres foiblesses,
 Il faudroit nous donner la foy.
***
Ne blâmez pas, de grace, un aveu trop sincere
 Du mal dont je ne puis guerir.
Je vous l’aurois caché si j’avois pû le faire,
 Mais il faut parler ou mourir.
***
Serez vous sans pitié pour une malheureuse
 Qui vous rend maistre de son sort,
Et croirez vous qu’il soit d’une ame genereuse
 D’estre la cause de sa mort ?

[Traduction des quinze Livres des Metamorphoses d’Ovide en Vers, par Mr Corneille] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 53-58.

Il ne faut point chercher cette Epistre parmi celles qu’on appelle ordinairement les Heroïdes. Elle est tirée du neuviéme livre des Metamorphoses, où Ovide a décrit avec un art admirable, toute l’avanture de Biblis, ses differentes agitations sur un amour qu’elle condamne elle-mesme, son desespoir aprés que son Frere a refusé de lire sa lettre, & son changement en Fontaine, causé par les larmes continuelles qu’elle répandit. C’est, je croy, une agreable nouvelle à vous donner, que de vous apprendre que Mr Corneille a enfin achevé la Traduction de ce grand Ouvrage. Je me souviens que quand il en fit imprimer les six premiers livres, il y a plus de vingt ans, vous prîtes tant de plaisir à cette lecture, que vous me demandâtes plusieurs fois si l’on en pouvoit esperer la suite. Il a revû ces six premiers livres, & mis aussi en Vers les neuf autres, de sorte que cette Traduction paroistra entiere au commencement du mois prochain, divisée en trois volumes, dont chacun contient cinq livres. Non-seulement il a pris soin que l’impression en fust aussi belle que correcte, mais il n’a épargné aucune dépense pour donner à cet Ouvrage toute la beauté qu’il peut recevoir. Ainsi il a fait graver prés de deux cens Planches, afin qu’il y en ait une au commencement de chaque Fable, pour representer d’abord aux yeux ce que les Vers expliquent ensuite. De tout ce que les Anciens Poëtes nous ont laissé, rien n’estoit plus propre à nostre Poësie, que les Metamorphoses, puis qu’il n’y a aucun autre Poëme où les matieres soient si agreablement diversifiées. D’ailleurs, on peut dire que c’est une lecture qui est necessaire en quelque sorte, puis qu’à moins que l’on ne sçache la Fable, on ne connoist rien à la pluspart des Tapisseries & des Tableaux qu’on trouve par tout où l’on se rencontre. Il y a mesme un avantage pour ceux qui liront la Traduction dont je vous parle. Ovide ayant écrit dans un temps où toutes les Fables estoient fort connuës, il ne s’est pas mis quelquefois en peine d’expliquer pourquoy les choses dont il parle estoient arrivées, comme lors qu’il se contente de dire que Persée rencontrant Andromede attachée à un rocher, prit la resolution de combatre le Monstre auquel elle avoit esté exposée. Il suppose que ceux de son temps sçavoient qu’elle avoit esté condamnée à cette cruelle mort pour expier le crime de Cassiope sa Mere, qui avoit osé se dire plus belle que les Nereides. Mr Corneille, pour éclaircir ses Lecteurs, preste quelques Vers à son Auteur, dans tous les endroits de cette nature, & afin qu’on ne les attribuë pas à Ovide, il les a fait imprimer en caractere Italique. Si l’essay de cette Traduction n’avoit pas déja paru avec l’applaudissement du Public, qui souhaite depuis longtemps de la voir entiere, je m’étendrois davantage sur cet article, que je finiray en vous apprenant que toutes les Epistres du mesme Auteur, traduites en Vers, suivront de prés les quinze livres des Metamorphoses.

[Reception faite à Mr le Mareschal Duc de Bouflers à Beauvais, en qualité de Gouverneur] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 59-82.

Le Roy ayant créé par son Edit du mois d’Aoust dernier, des Charges de Gouverneurs dans toutes les Villes de son Royaume, Mr le Maréchal Duc de Bouflers s’est fait un honneur de se procurer l’agrément de S.M. pour le Gouvernement de la Ville de Beauvais Ce nouveau titre qui pouvoit faire l'ambition d'une personne moins qualifiée, n'ajoute pas à la vérité un grand relief à toutes les éminentes dignitez que cet Illustre General a obtenuës de la justice de son Prince ; mais l'affection & l'ancienne tendresse qu'il a toujours conservée pour sa patrie, ont attiré son choix & mérité pour cette Ville, une préférence si honorable. Il a cru qu'il se devoit donner le titre de Premier Gouverneur de Beauvais, comme ses Ancestres s'en estoient fait un de celui de Grand Bailly de Beauvoisis, dés le premier établissement qui en fut fait, & se sont fait honneur de se le conserver depuis ce temps-là dans leur Maison. L'on s'étoit flaté que ce Maréchal venant de joindre ces deux Charges dans sa personne, il se feroit mettre en possession de l'une & de l'autre en même temps, mais le peu de sejour que le service du Roy luy a permis de faire à Beauvais, luy a fait partager ces deux Ceremonies en differens voyages, de sorte qu'il a remis la Séance au Bailliage au premier intervelle que ses autres emplois luy pourront donner. Il s'est contenté d'estre reçû au Gouvernement de Beauvais, où il se rendit le troisième du mois passé sur les sept heures du soir avec cette même diligence qu’il a coutume d’apporter lors qu’il execute les ordres de Sa Majesté. Son arrivée fut une maniere de surprise qui déroba beaucoup des preparatifs que le zele & l’affection des Habitans avoient projettez, & leur joye ne fut pas aussi complete qu’elle l’eust esté, pour avoir esté avancée de quelques semaines. Tous les Corps de la Ville ne laisserent pas de s’empresser à l’envy pour luy venir rendre leur respects, & firent un concours de devoirs dans la maison de Mr Foy de Morcourt, que Mr le Maréchal de Bouflers a déjà plusieurs dois honoré d’une pareille visite, comme il l’honore d’une entiere confiance, par l’attachement & le zele qu’il a toûjours reconnu en luy pour sa personne & ses interests [...]

[Suit une description des différentes personnalités, les corps de ville, corps du présidial, le chapitre de la cathédrale, Mr l’abbé d’Ormesson, doyen, qui prononça le compliment & trois anciens chanoines, ainsi que les officiers de l’élection, le corps des bourgeois et membres de la noblesse, tous venus rendre leur hommage au nouveau gouverneur]

[Tous] s’estoient rendus auprés de Mr le Mareschal au premier avis de son arrivée, & luy formérent une Cour digne de luy. Elle forma en mesme temps une grosse Compagnie pour le souper, qui fut servi magnifiquement peu de temps après. Les Chefs de differents Corps de la Ville y furent invitez, & Mr l’Abbé d’Ormesson y fut traité avec la distinction convenable à sa dignité & à son nom. Les Violons & les Hautbois égayerent la bonne chere, & furent postez à une distance à ne pouvoir interrompre la conversation. Elle continua agreablement aprés le repas ; & comme Mr le Maréchal encherit toujours par ses graces sur les services qu’on luy rend, il regala à son tour Mr de Morcourt, son hoste, des Lettres de Lieutenant de son Gouvernement, qu’il luy mit en main, le dédommageant avantageusement par là de la perte qu’il venoit de faire de sa Lieutenance de la Capitainerie de la Ville, que la création d’un Gouverneur avoit supprimée. Le lendemain, les Compagnies privilegiées s’estant remises sous les armes, marcherent en bon ordre au Logis de Mr le Gouverneur ; & le Corps de Ville s’y estant aussi rendu, Mr le Maréchal précédé de ces quatre Compagnies fort lestes, se mit en marche, accompagné de son nouveau Lieutenant, des Officiers de Ville, & de toute la Noblesse, vers l’Hostel commun, pour la prise de possession de ce nouveau Gouvernement. La ceremonie estoit d’autant plus curieuse, qu’elle estoit toute nouvelle & singuliere, & que Beauvais n’avoit reconnu jusque-là qu’un Capitaine, dont les fonctions & l’autorité, qu’il partageoit avec le Maire & les Echevins, estoient bornées au commandement des armes & des Compagnies privilégiées, dont je viens de vous parler. Mr le Maréchal prit sa seance dans la grande Salle, sur un siege distingué, ayant d’un costé & d’autre Messieurs de Ville & du Presidial. Mr Auxcousteaux de Pisseleux, Bailly du Duché de Boufflers, en sa fonction de Procureur du Roy de la Ville, requit l’enregistrement des Lettres & Provisions de Gouverneur, par un Discours [...]

[Suivent la restitution des lettres patentes de l’érection du Comté de Cagny en duché sous le nom de Bouflers.]

Ces Lettres furent leuës & enregistrées sur la prononciation de Mr le President d’Hucqueville, Maire, avec l’agrément & l’applaudissement de tous les assistants. Les acclamations du peuple se mêlerent pour lors au son des cloches, aux fanfares des Trompettes & au bruit des Tambours. La séance levée, Mr le Maréchal fut conduit dans le même ordre à la Cathedrale, où il entendit la Messe, & cet acte de pieté fut suivi de plusieurs liberalitez envers les Pauvres.

[Harangue faite à Mr l’Archevesque] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 155-159.

Mr l’Archevêque de Paris, qui n’a point encore laissé échapper d’occasion de faire paroistre sa pitié & son zele pour le gouvernement de son Diocese, en a donné depuis peu une marque bien éclatante, par une Mission qu’il a fait faire à Paris, par les Peres Capucins, à la Paroisse de S. Hyppolite au Fauxbourg Saint Marcel. Les Missionnaires estoient au nombre de douze, tous consommez dans ce saint & charitable exercice. L’ouverture s’en fit le 27 Decembre de l’année derniere, par une Procession composée du Clergé de la Paroisse & des Peres Missionnaires, après laquelle le Superieur fit voir dans un sermon fort instructif & fort pathetique, tous les avantages que les Fidelles peuvent tirer d’une Mission, & tous les moyens d’en profiter. Je ne vous dis rien des travaux & des succés de ces zelez Missionnaires, malgré la rigueur de la saison, puis que vous le verrez assez par le témoignage public que Mr le Curé de Saint Hyppolite en rendit à Mr l’Archevêque dans la Harangue qu’il luy fit à l’entrée de son Eglise. Pendant la Mission, qui a duré prés de six semaines, il y a eu tous les jours trois Sermons, & une Conference sur les Commandements de Dieu, & un Salut le soir avec la benediction du Saint Sacrement après la dernier Predication.

Le 3 de ce mois, Mr l’Archevêque se rendit dés le matin dans cette Eglise, pour terminer cette Mission. Mr le Curé accompagné d’un Clergé composé de cinquante Ecclesiastiques, & des Peres Missionnaires, l’alla recevoir en Procession aux dernieres maisons de sa Paroisse, où Mr l’Archevêque estant descendu de carosse, fut conduit sous un dais à l’Eglise en chantant le Cantique Benedictus. A l’entrée de l’Eglise, Mr le Curé le harangua [...]

L’Hiver §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 172-182.

L’Hiver s’est trouvé si long & si rude cette année, qu’il merite la Satire que je vous envoye. Elle est de Mr Robinet, Auteur de l’Automne dont je vous fis part dans ma Lettre de Novembre. On ne sçauroit assez s’étonner de voir encore tant de force & de vivacité d’esprit dans un homme de son âge.

L’HIVER.

Voicy le hideux Fils d’un Pere plus hideux.
Ce Pere est le Peché qui creusa les abîmes,
Où par un Arrest juste autant que rigoureux,
 Sont à jamais punis les crimes.
Or ce Fils c’est l’Hiver, dont voicy le Portrait,
 Mais seulement en mignature,
 Car on ne sçauroit trait pour trait
 En faire une exacte peinture.
***
En vain il engourdit ma main,
Mon encre en vain par luy se glace,
Il faut que de cet inhumain
Une idée au moins je vous trace.
***
Ses glaces, ses frimats, ses neges, ses broüillars,
 Dans les vallons, dans les bois, dans les plaines,
Où l’on entend sifler ses piquantes haleines,
 Le presentent à nos regards.
***
Jusque dans nos jardins, jusque dans nos prairies,
 Et nos royales Tuileries,
 Il vient étaler ses horreurs,
 Et nos Palais, nos domiciles
 Ne sont pas d’assez bons asiles,
 Pour nous sauver de ses fureurs.
***
Les rivieres sont devenuës
Par son froid des masses cornuës,
Et les Poissons tout étonnez,
De voir les ondes retenues,
S’y trouvent comme emprisonnez.
***
Le Feu là-haut jusqu’en sa sphere,
N’est plus, je pense, qu’un glaçon,
Tous les Astres ont le frisson,
Et le Soleil dans sa carriere,
Qui n’est plus rien qu’une glaciere,
A moins, sans doute, qu’un tison,
Et de chaleur & de lumiere.
***
 L’air est épais & tenebreux,
 La nuit en plein jour tend ses voiles ;
Et pour ne laisser voir que son aspect affreux,
 Elle éteint toutes les Estoiles.
***
Entre les Elemens nul commerce n’est plus,
Ou s’il en est encor, il nous paroist semblable
A celuy qu’ils avoient dans le cahos confus,
D’où dans les premiers temps un pouvoir adorable
En se joüant tira tant d’estres confondus.
***
Les oiseaux dans les airs n’ont aucunes journées
Pour chanter les faveurs qu’Amour leur a données ;
Et ces Chantres ornez de plumages divers,
Par des rigueurs qui ne sont point bornées,
Dans leurs petits gosiers sentent glacer leurs airs.
***
C’est le temps des Hiboux, c’est le temps des Choüettes,
 Hostes des plus noires retraites,
  C’est le temps des Corbeaux
 Qui croulent autour des tombeaux,
 Et cherchent les squelettes,
 Mets frians des sales oiseaux.
***
Les Bergers avec les Bergeres
 Sont renfermez dans leurs chaumieres,
On n’entend plus leurs charmans chalumeaux,
  Ny leurs douces Musettes.
On ne voit plus sur les tendres herbettes
  Leurs bondissans Troupeaux.
***
Ah ! qu’il est, cet Hiver, digne de ma Satyre !
Non content des trois mois qui bornent son Empire,
Il usurpe encor ceux des trois autres saisons.
Dans toutes ce tyran vient mesler ses frissons,
Et l’Aquilon y soufle au lieu du doux Zephire.
 Qu’il est digne de ma Satyre !
 On ne danse plus aux chansons,
 Aux portes l’on n’entend plus rire.
 Qu’il est digne de ma Satyre !
***
 Mais finissons ces bourrus Vers,
Ces Vers irreguliers qu’on aura peine à lire.
 En d’autres Vers je ne sçaurois écrire
D’un Ennemi qui met mon esprit à l’envers.
Pour luy je ne puis faire Ode, Sonnet, ny Stance.
C’est le dépit qui seul m’inspire icy,
 En me voyant prés d’un grand feu transi,
Et je ne puis garder mesure ny cadence.
***
 Mais à quoy donc pensay-je ? Helas !
Dois-je contre l’Hiver avoir tant de colere ?
Un autre hiver en moy fait bien plus de fracas,
 Et doit beaucoup plus me déplaire.
Il ruine mon corps, & le renverse à bas.
 Ce cruel hiver est mon âge,
 Age de quatre vingt-neuf ans,
Où de ce monde il faut qu’enfin je déménage.
Ce n’est pas tout-à-fait pourtant malgré mes dents ;
Car déja la pluspart pour faire le voyage,
 Ont pris les devans dés long-temps.
***
Tu vois, Lecteur, comme je goguenarde
 Au grand âge que je dis.
 Cependant la Parque camarde,
 Qui tout le genre humain canarde,
 Me vint l’un des derniers Jeudis
Donner une telle nazarde,
Que tous mes sens en furent étourdis,
Et que je devins presque homme à De profundis.
***
 La verité point je ne farde,
 Cela fait voir que jusqu’au monument
 La belle humeur pourra me suivre.
Sans elle jusqu’icy comme je n’ay pû vivre,
Sans elle je ne puis mourir pareillement.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 182-202.

Ce qui est arrivé depuis peu de temps dans une des meilleures Villes du Royaume, est assez extraordinaire pour meriter que je vous en fasse part. Un fort honneste homme avoit amassé beaucoup de bien dans un employ honorable qui répondoit aux avantages de sa naissance. L’épargne, l’assiduité au travail, & une tres-longue vie avoient fort contribué à augmenter sa fortune. Il estoit aimé & consideré dans toute la Ville, & il n’y avoit personne qui n’en parlast avec les éloges dont il s’estoit rendu digne. Ainsi il se voyoit recherché de tout le monde, particulierement les jeunes gens les plus distinguez luy faisoient la Cour ; & ce qui causoit leur attachement auprés de luy, c’estoit une Fille unique qu’il avoit, & qui devoit heriter de tous ses biens. Elle estoit tres-belle ; & comme il l’aimoit fort tendrement, toutes ses pensées alloient à luy procurer un parti avantageux. Il n’avoit rien épargné pour augmenter en en elle un merite que sa complaisance, l’agrément de son humeur & la vivacité de son esprit faisoient éclater par tout où on la voyoit. Elle avoit une grace merveilleuse dans la danse, & sçavoit fort bien joüer du Lut & du Clavessin. Tant de belles qualitez que relevoit sa beauté, auroient suffi pour luy attirer des Adorateurs en fort grand nombre ; mais les grands biens qui ne luy pouvoient manquer, & une tres grosse somme d’argent comptant qu’on luy promettoit, étoient un surcroist de charmes qui pouvoit tout sur les plus indifferens. Cependant la Belle, dont l’humeur estoit fort douce, & qui n’estimoit rien tant que la vie tranquille, comptoit pour rien tous les avantages que la nature & la fortune luy avoient donnez, & la pluspart des choses du monde, qui flatent ordinairement les jeunes personnes n’ayant rien qui la touchast fort sensiblement, elle s’en trouva si détachée, qu’elle demanda un jour à son Pere la permission de se retirer dans un Convent. Le Bonhomme crut d’abord qu’elle vouloit badiner, ne pouvant croire qu’une Fille, ayant autant de beauté qu’elle en avoit, & pouvant choisir entre les meilleurs partis, fust capable de songer à estre Religieuse, mais elle ajoûta que s’il vouloit la laisser maistresse de ses volontez, ce seroit peut-estre le genre de vie qu’elle choisiroit, ne trouvant rien qui fust preferable au repos dont on estoit assuré de joüir dans la retraite. Son Pere prit alors son sérieux, & luy fit si bien connoistre que si elle s’obstinoit à songer à un Convent, elle seroit cause de sa mort, qu’elle luy promit de luy obéïr en toutes choses, & de suivre aveuglement les ordres qu’il jugeroit à propos de luy prescrire. Il l’assura qu’il n’abuseroit jamais du pouvoir de Pere, & qu’il ne feroit nulle violence à son inclination, qu’ainsi ne cherchant rien tant qu’à la voir heureuse, & voulant la marier, il la prioit de luy dire si parmy ceux qui sembloient charmez de sa beauté, il y en avoit quelqu’un qui touchast son cœur, & qu’il se feroit un fort grand plaisir de le préferer à tous les autres. La Belle luy dit qu’elle les estimoit tous, sans qu’elle en aimast aucun, & que s’il vouloit absolument qu’elle se soumist à un Epoux, ce seroit luy qui le choisiroit, avec protestation que tout ce qu’il luy plairoit de resoudre, seroit executé de sa part sans aucune repugnance. Le Bonhomme ne l’ayant pû obliger à vouloir choisir par elle même, songea à n’épargner aucuns soins pour bien marier sa Fille. Le plus sûr moyen d’y réüssir estoit d’examiner à loisir les Prétendans. Tout ce qu’il y avoit de plus considerable dans la robe & dans l’épée s’estant presenté, il connut en peu de temps la jeunesse la plus noble & la plus riche. Il recevoit tout le monde assez favorablement, & il aimoit qu’on luy parlast de la beauté de sa Fille, & des rares qualitez qu’elle possedoit. Il écoutoit mesme les raisons que luy apportoient les uns & les autres pour l’obliger à les préferer, mais tout ce qu’ils luy disoient ne suffisoit point pour déterminer son choix ; le trop grand nombre d’Amans le mettoit dans un embarras continuel. Le dernier qu’il avoit vû l’emportoit toûjours sur les premiers, & aussi-tost qu’il paroissoit un nouvel Amant, sa prévention estoit pour luy. Cependant chacun croyant ses affaires en bon chemin, redoubloit ses assiduitez pour venir à bout de son entreprise, mais le Bonhomme ne résolvoit rien. Le choix de la Robe ou de l’Epée tenoit son esprit en inquietude, & la Belle ne contribuoit pas à l’en tirer. Ses Amans avoient beau tâcher de gagner son cœur. Elle recevoit leurs soins avec toute l’honnesteté qu’elle leur devoit, mais ils n’en pouvoient tirer aucune réponse plus favorable, sinon qu’elle obéiroit quand son Pere auroit choisi. Quelques-uns se rebuterent de cette froideur, & ces jeunes prétendans ne pouvant obliger le Pere à s’expliquer, se trouverent à la fin reduits au nombre de cinq. Aprés avoir passé plusieurs mois dans cette recherche sans estre plus avancez que le premier jour, il arriva qu’on fit une grande Chasse aux environs. Toute la Noblesse s’y devant trouver, nos Amans furent obligez de quitter la Ville pour s’y rendre, mais ils n’y apporterent que du chagrin. L’insensibilité de la Fille, & l’irresolution du Pere estoient pour eux un obstacle dont rien n’adoucissoit la rigueur ; & comme l’amour les faisant rivaux, ne les avoit pas rendus ennemis, ils auroient volontiers cedé à l’heureux qui auroit esté choisi par l’un ou par l’autre ; mais ce qui faisoit leur plus rude peine, on leur permettoit des esperances qui n’estoient suivies d’aucun effet. La Fille continuoit toujours à se retrancher sur ce qu’elle ne sçavoit qu’obéir, & le Pere paroissoit plus incertain que jamais sur le choix qu’il devoit faire. Ils estoient par là dans une situation assez fâcheuse, & l’abattement de leur esprit paroissoit sur leur visage. Aussi la partie de Chasse ne leur causa-t-elle qu’un plaisir fort mediocre. Un Marquis nouvellement marié, & qui avoit son Chasteau fort proche du lieu où elle fut faite, pria tous ceux qui s’y estoient rencontrez, de venir chez luy se rafraîchir. Il les regala magnifiquement ; & les Amans de la Belle s’estant trouvez de la Troupe, on n’oublia pas à parler de leur amour. Ils firent chacun l’Eloge de la Demoiselle qu’ils aimoient, sans cacher pourtant son humeur indifferente, & l’on admira comment des Rivaux pouvoient si longtemps s’attacher au même objet sans se broüiller. Le Marquis qui estoit l’Ami commun de tous ces Amans, les retint chez luy jusqu’au lendemain ; & comme ils tâcherent de répondre par leur belle humeur à la bonne chere qu’il leur fit, il prit cette occasion pour leur remontrer le tort qu’ils avoient de s’obstiner dans une poursuite qui leur devoit estre infructueuse, & qui ne pouvoit que les desunir, eux qui estant de la même Ville, estoient nez pour vivre les uns avec les autres dans les douceurs de la plus agreable societé ; qu’il leur seroit d’autant plus aisé de renoncer à l’amour qui les rendoit malheureux depuis si longtemps, qu’aucun d’eux n’avoit sujet de se croire aimé, ny par consequent de se flater de l’esperance d’obliger la Belle à se déclarer en sa faveur, & que le Pere, estant aussi irresolu qu’il l’estoit, & trouvant en tous un égal merite, ne pourroit jamais obtenir de luy, d’estre favorable à l’un, puis que ce seroit donner sujet de se plaindre aux autres ; qu’ainsi ils auroient toujours les mêmes difficultez à combattre, s’ils vouloient continuer à se repaistre des vaines idées dont se nourrissoit leur passion. Ils répondirent qu’il estoit vray que leur estat n’estoit pas heureux, mais que les choses ne pouvoient demeurer encore longtemps dans les mêmes termes ; qu’il faudroit qu’enfin le Pere ou la Fille se déterminast à faire un choix, & que c’estoit ce qu’ils attendoient, resolus de se retirer sans aucun murmure, si tost que l’un d’eux auroit obtenu la préference. Le Marquis les voyant si raisonnables dans leurs mutuelles prétentions, leur conseilla de n’attendre ny du Pere, ny de la Fille, ce qu’ils pouvoient faire par eux-mêmes, en tirant au sort l’Amant heureux à qui les autres s’obligeroient de ceder. Ils se récrierent tous d’abord contre cet avis, mais aprés avoir examiné les justes raisons qu’il y avoit de le suivre, ils approuverent cet expedient. Le Marquis commença par les obliger de se jurer une amitié inviolable, & chacun promit que si le sort luy estoit contraire, il cesseroit ses poursuites auprés de la Belle. On fit cinq billets, & on écrivit sur l’un, Amant fortuné. Ils furent tirez, & le sort tomba sur un jeune Cavalier fort riche, renommé dans les sciences, d’une taille mediocre, mais tres bien prise. Tous d’une commune voix le nommerent le Fils de la Fortune. On donna parole de ne rien dire de cette avanture jusqu’à ce que le mariage fust terminé. Les Amans exclus donnerent quelques soupirs à la perte qu’ils faisoient de la charmante Heritiere. Il y en eut même à qui il en couta quelques larmes. Le Cavalier pour qui le sort s’estoit déclaré, redoubla ses soins auprés du Pere, & n’eut pas de peine à venir à bout de ses desseins, puis que l’absence des autres le laissoit seul prétendant. Le bon homme dit plusieurs fois qu’il avoit bien fait d’examiner ceux qui prétendoient à sa Fille, avant que de vouloir se choisir un Gendre. Il accusa d’inconstance les quatre Amans que les obstacles avoient rebutez, & loüa la fermeté de celuy qu’ils avoient laissé sans concurrence. La Belle luy fit un merite de ce que rien n’avoit affoibli ses empressemens, & consentit de fort bonne grace à l’épouser, quand son Pere luy eut accordé son consentement. Le Cavalier qui trouva de grands avantages dans cette alliance, envoya des presens galans à ses Rivaux, qui furent depuis ses meilleurs Amis. Parmy ces presens, chacun d’eux trouva une Tabatiere d’or, sur laquelle estoit une Devise qui representoit un cœur avec ces paroles, Donnez-le à un autre. Il les pria aussi de ses Noces, & tout s’y passa avec autant de magnificence que de joye.

[Secrets merveilleux dont l’experience a esté faite devant le Roy] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 202-210.

Je ne puis m’empêcher de repeter ce que je vous ay dit déjà plusieurs fois, que jamais les Arts n’ont tant fleury que sous le regne du Roy, que jamais on n’a tant ny si bien pensé, & qu’on a inventé mille choses, qui ont esté inconnuës aux Anciens. Voicy la troisiéme fois que Mr de Lagarouste, Gentilhomme de la Ville de Saint Cere en Quercy, me donne occasion de parler de son merveilleux genie. Je vous ay appris que c’estoit luy qui avoit eu l’honneur de presenter au Roy ce beau & fameux Miroir ardent de cinq pieds & un pouce de diamettre, qu’il remit à l’Observatoire. C’est l’ouvrage en ce genre, le plus extraordinaire qui ait paru jusqu’icy. Je vous ay parlé aussi d’une machine de Musique qu’il a faite, & qu’il a nommée Pandolyre, nom qui luy convient tres-bien, puisque c’est l’assemblage de toutes sortes d’Instrumens ; c’est une Machine que l’on ne peut assez admirer. Aussi le Roy en ayant examiné le dessein avec beaucoup d’attention, en fut si surpris que Sa Majesté avoüa qu’elle n’avoit jamais rien vû d’une si grande imagination. Le Public sera bien aise que je luy en marque la construction, mieux que je n’ay fait la premiere fois, & que je luy fasse part du détail que l’Auteur en fait à ses Amis. C’est un Corps d’Architecture & de Sculpture, d’une tres-grande beauté, qui a vingt-deux pieds de long sur quartorze de hauteur, & sept de face du costé des Claviers. Il y a au premier corps d’en bas treize Statuës en forme de Termes qui sont organisées, chantant chacune leur partie, avec le mouvement du menton, & toutes ensemble comme dans un Choeur de Musique. L’on voit un Char où sont assis trois petits Amours qui joüent de la Musette, avec le mouvement de la teste, des bras, & des doigts sur le chalumeau, qui sert de chaize à l’Organiste. Dans ce premier étage est une Orgue à douze ou quatorze Jeux, que l’Auteur a fait de sa main. Les soufflers & le Souffleur y sont cachez. Dans le deuxième Corps sont quatre Clavecins tous differens, dont le premier qui sert de mobile à toute la machine, est à trois cens cordes portées sur une table & sur trois chevalets, dont chaque rang est accordé differemment ; de sorte que ce Clavecin seul fait Concert entier. C’est l’Instrument le plus singulier qu’on ait jamais vû. Il est d’une bonté & d’une beauté admirable. Dans le troisième étage sont les Luths, des Theorbes, des Violes & des Violons. C’est une seule personne qui fait joüer ensemble tous ces Instrumens par le moyen de trois claviers qui sont placez dans ce Grand Clavecin. Par le premier l’on fait chanter les Statuës, joüer de la Musette aux enfans, & l’Orgue de même, quoy que separément si l’on veut, les figures n’y ayant aucun rapport. Par le deuxième Clavier toute la Machine jouë à la fois ; & par le troisième, l’Instrument seul que l’on veut entendre. On y voit sur le devant un frontispice où sont placées les neuf Muses avec Apollon, ayant chacune en main leur Instrument de Musique dont elle joüent, & dont on voit le mouvement, & pour couronment l’Auteur y a placé la figure du Roy, que la Gloire & la Victoire couronnent, & deux Renommées qui luy viennent offrir l’Univers entier, en luy presentant deux Globes, où sont l’un & l’autre Hemisphere. Autour du Gouvernement sont treize enfans qui portent tous des Instrumens differens, dont on voit encore le mouvement. Cet ouvrage, merveilleux en toutes ses parties, a acquis à l’Auteur une si grande reputation, qu’une infinité de gens de la premiere qualité, & de Curieux ont esté chez luy pour le voir, ne pouvant ajoûter foy à tout ce qui leur en avoit esté dit.

Songe §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 234-243.

Je vous envoye des Vers qui ont fait icy du bruit il y a plus d’un an. Les applaudissemens qu’ils receurent ne pûrent engager l’Auteur à les donner au Public ; mais n’ayant pû depuis quelques mois refuser à un de ses Amis de luy en prêter une copie, & cette copie ayant couru, on en a fait paroistre une imitation dans la Comedie Italienne, intitulée Pasquin & Marforio, Medecins des mœurs, & cette Imitation estant d’aprés un bon original, a esté fort applaudie.

SONGE.

Un oiseau de mauvais augure,
 En dormant, vingt fois m’a chanté,
 C’est imposture ;
Et pour embroüiller l’avanture,
Vingt autres fois m’a repeté
 C’est verité.

GLOSE SATYRIQUE.

L’Homme se pique de droiture,
De bonne foy, de probité,
 C’est imposture :
Son cœur n’est qu’une source impure
De fraude, de duplicité ;
 C’est verité.
***
Affublé d’un vieux froc de bure,
Laurent prêche la pauvreté ;
 C’est imposture :
Il fait soupirer la nature
Pour plus d’un fils desherité ;
 C’est verité.
***
Nouveau dans la Clericature,
Roch se pare d’humilité ;
 C’est imposture.
Sa barbe & sa large tonsure
Visent à quelque dignité :
 C’est verité.
***
Socin sur la Sainte Ecriture
Plus de vingt ans a medité ;
 C’est imposture.
Il y cherche quelqu’ouverture
Aux doutes, à l’impieté,
 C’est verité.
***
Sœur Rose depuis sa vêture
Aux Cieux a l’esprit transporté
 C’est imposture ;
Son petit cœur dans la clôture
Medite sur la liberté :
 C’est verité.
***
Affrontant fatigue & blessure,
Tu cours à l’Immortalité,
 C’est imposture.
Lycas, je connois ton allure,
Une pension t’a tenté :
 C’est verité.
***
Fier en discours, rogue en figure,
George est un Brave redouté :
 C’est imposture.
Chargez le, il rompra la mesure,
Dans ses pieds gist sa sûreté ;
 C’est verité.
***
Cujas dans la Magistrature,
Tient sa morgue de gravité ;
 C’est imposture ;
Quand Venus met bas sa ceinture,
Serviteur à l’integrité ;
 C’est verité.
***
Votre bon droit est chose sûre,
Dit Balde, par vous consulté ;
 C’est imposture ;
Il trouve en sa Thémis obscure
Des raisons pour l’autre côté ;
 C’est verité.
***
Alidor, à ce qu’on assure,
Triomphe en liberalité ;
 C’est imposture.
Le Traître vole, & se parjure
Pour fournir à sa vanité ;
 C’est verité.
***
Ma bourse est à toy, je te jure,
Te dit un Traitant effronté ;
 C’est imposture.
Damis, je connois l’encloueure
Ta Terre touche à sa Comté ;
 C’est verité.
***
Le Chimiste Bonaventure
Vend des secrets pour la santé ;
 C’est imposture.
Il a fait une belle cure
De guérir sa mendicité ;
 C’est verité.
***
Que ces Pedans ont l’ame dure !
Le beau Sexe en est detesté ;
 C’est imposture.
Mais ne sentez vous point l’ordure ?
Leur College en est empesté ;
 C’est verité.
***
Muny de grands mots & d’enflure,
Jean de bel esprit s’est flaté ;
 C’est imposture.
Tirez-le de sa tablature,
Je le maintiens asne basté ;
 C’est verité.
***
Sur les atomes d’Epicure
Morgant dit qu’il a commenté ;
 C’est imposture.
J’en trouve en luy quelque teinture,
Car il a le timbre gâté,
 C’est verité.
***
Par ses Vers cet Anti-Voiture
Promet aux Grands l’Eternité ;
 C’est imposture.
Luy-même à la race future
N’apprendra point qu’il ait esté ;
 C’est verité.
***
La neige est moins blanche & moins pure
Que Dorine au teint si vanté :
 C’est imposture.
Qu’on luy deffende la peinture,
On luy deffendra la beauté,
 C’est verité.
***
Gabrine est une créature
Qui se croit d’un air enchanté,
 C’est imposture :
Otez-luy patins & coiffure,
Adieu Taille, adieu Majesté,
 C’est verité.
***
Propos d’amour sont une injure,
Dont Lyse à l’esprit irrité,
 C’est imposture.
Elle aime jeu, festins, parure,
Equivoque est sa chasteté,
 C’est verité.
***
Alix, sous la jeune verdure
Jure à Martin fidelité,
 C’est imposture.
Sous son toit, tant que la nuit dure,
Blaise fait bien mieux son traité :
 C’est verité.
***
Lucille fait dans sa dorure
Des grimaces de qualité,
 C’est imposture.
Ses Ayeux prouvent sa roture
Depuis le siecle de Jephté,
 C’est verité.
***
Laure a d’un tendron l’encolure
Dans son begayment affecté,
 C’est imposture.
Ses dents, ses cheveux, sa charnure,
Accusent son antiquité :
 C’est verité.

[Mr le Comte de Briole nommé à l’Ambassade de Savoye] §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 253-260.

Le choix que le Roy a fait Mr le Comte de Briolle, premier Ecuyer de Monsieur le Prince, pour son Ambassadeur vers Monsieur le Duc de Savoye, a esté fort applaudy. Ce Comte a toutes les qualitez necessaires pour remplir dignement cet employ. Il y a long-temps qu’il est attaché à la Maison de Condé. Il a fait plusieurs Campagnes sous feu Monsieur le Prince. L’on apprenoit à vaincre sous ce Grand Homme, mais encore à avoir de l’esprit, car personne n’ignore que ce Prince en avoit autant que de valeur. Tout se trouve dans ce sang, & il seroit malaisé de porter la magnificence plus loin que Monsieur le Prince d’aujourd’huy. On voit briller en luy ce caractere de grandeur dans tout ce qu’il fait, & les Festes qu’il a données à Chantilly, ont esté si distinguées, tant par la grande dépense, que par des manieres galantes & toutes nouvelles, que l’avenir aura peine à estre persuadé que les Relations qui en ont esté faites, contiennent des veritez. Ce Prince donna un Bal le Lundy gras, où la magnificence, la profusion, & la galanterie, parurent dans le plus haut point. Il y avoit un appartement de huit pieces, tout brillant de lumieres, & superbement paré. Après un magnifique soupé, la Compagnie que Monsieur le Prince avoit regalée, descendit dans cet appartement. On y trouva plusieurs Masques, qu’on crut estre venus pour le Bal. Les Violons joüérent comme pour commencer, les Masques sortirent de leur place, & dancerent un Balet. Ils cachoient tout ce que l’opera a de meilleurs Danseurs & de meilleures Danseuses. Ce Balet finy, ils se retirérent, & le Bal commença. Tant qu’il dura, on servit un nombre infiny de bassins remplis de tout ce que que la Patisserie peut fournir de plus agreable au goust ; le tout estoit chaud. [...]

[Suit une description des mets et des rafraîchissements placés dans une alcôve de la pièce principale. « Ainsi toute l’Assemblée eut ce qu’elle souhaitoit pour manger ou pour boire »]

Ceux qui avaient dansé un Balet avant l’ouverture du Bal, surprirent une seconde fois l’Assemblée, & en dansèrent un second, sous d’autres habits. Leurs Altesses Royales, & tout ce que la Cour & Paris ont de distingué, se trouverent à ce Bal, qui meriteroit une plus ample description que celle que je vous en fais.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1697 [tome 2], p. 281-282.

Je vous envoye un Air nouveau, estimé des Connoisseurs.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 282.
Que nous aurons une fàcheuse année,
Disoit Gregoire à son Voisin !
On ne boira point de bon vîn,
Sans voir sa bourse ruinée ;
Mais de me l'épargner je ne suis pas si fou,
J'aime mieux manger moins & boire tout mon sou.
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