1697

Mercure galant, juin 1697 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1697 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1697 [tome 6]. §

A Mr l’Abbé d’Auvergne, elu coadjuteur à l’Abbaye de Cluni §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 63-65.

 

A Mr L’ABBÉ
D’AUVERGNE,
ELU COADJUTEUR
à l’Abbaye de Cluni.

Prince, qui commencez une illustre carriere,
 Où par un essor glorieux,
Vos brillantes vertus vont laisser en arriere
 Les merveilles de vos Ayeux ;
Quoy que témoin du fait, j’y suis presque incredule.
 Pour vous un grand Corps réuni
Mieux qu’il ne fut jamais pour Armand, ny pour Jule,
 Vient de se guerir du scrupule
 Qu’inspire l’amour du Cuculle
Aux fiers Capitulans de l’antique Cluni.
***
S’il est vray qu’Apollon quelquefois prophetise,
Ce beau commencement nous permet d’esperer
 Qu’il n’est dignité dans l’Eglise,
 Où vous n’ayez droit d’aspirer.
Ouy Prince, l’Esprit Saint, qui sçait rendre amollie
 La plus dure prévention,
 Par la même inspiration
Malgré les préjugez & la prescription,
Peut en vostre faveur détromper l’Italie
 Du zele de sa Nation.
***
 En attendant que les années
 Se donnent le soin d’accomplir
 Ce qui seul manque pour remplir
 Vos éclatantes destinées ;
Puisse bien-tost par le Senat Romain
Elevé sur l’Autel de nostre premier Temple,
 Le grand Boüillon par son exemple
 Vous en préparer le chemin.

Le Printemps §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 66-85.

Je vous ay fait part du petit Poëme sur l’Hiver, de la composition de Mr Robinet. Il faut vous faire voir ce qu’il a écrit sur la Saison où nous sommes. Comme elle a esté fort inégale, il a marqué dans la description qu’il en fait, & qu’il commence dés le premier Mars, tous les mauvais jours que nous avons eus.

LE PRINTEMPS.

Le Dieu du jour, je croy, par mes Vers irrité
Contre l’Hiver hideux dont j’ay fait la peinture,
Vient enfin triompher, couronné de clarté,
De ce cruel tyran de toute la Nature.
Il ne sçauroit souffrir son regne plus longtemps,
Il en retranche un mois, & le donne au Printemps,
Qu’il ramene en son char accompagné de Flore.
Tout est changé, la terre s’amolit,
 Et la charmante Aurore
En quittant plus matin son lit,
Est surprise de voir les fleurs si tost éclorre.
***
Le Soleil qui la suit ne fut jamais si beau
Qu’il se montre à present dans sa noble Victoire,
Et jamais le Printemps, par qui tout est nouveau,
Ne parut à nos yeux avecque tant de gloire.
Que leur retour cheri produit d’effets pompeux,
Et qu’ils répondent bien l’un & l’autre à nos vœux,
Prenant soin de bannir un Hiver si funeste !
Que tout est beau, que belles sont les nuits !
Diane fait briller dans la voûte celeste.
 A plein ses feux épanoüis,
Et de l’obscurité l’on n’y voit aucun reste.
***
Nous pourrions discourir du Printemps aujourd’huy,
Ainsi qu’en discouroit nostre galant Horace,
Si nous pouvions sur nous attirer comme luy,
Les divines faveurs des Filles du Parnasse.
Chantons, quoy qu’en marchant de fort loin sur ses pas.
Le voicy de retour le Printemps plein d’appas.
En Scithie il bannit l’Hiver rude & sauvage,
 Qui desoloit de tous costez nos champs,
Qui dans les Elemens faisoit tant de ravage,
 Et qui faisoit cesser les chants
Des Choristes ailez de different plumage,
***
Les aimables Zephirs, ces chers Amans des fleurs,
Déja dans les jardins, & déja dans les plaines,
Commencent d’en chercher de toutes les couleurs,
Et de les caresser par leurs douces haleines.
Déja les Papillons, ces rivaux des Zephirs,
A l’oreille des fleurs font oüir leurs soupirs.
Ils cherchent tout le jour les plus belles d’entr’elles,
 Sans pour aucune avoir rien de constant.
De l’une à l’autre ils vont de leurs legeres ailes,
 Etaler l’émail éclatant,
Et ce sont les Portraits des Amans infidelles.
***
Les Oiseaux enfermez dans les feüillages verts.
Pour chanter du Printemps la victoire nouvelle,
Recommencent par tout leurs excellens concerts,
Où l’amour les anime, & redouble leur zele.
L’Abeille desormais vole dés le matin,
Pour faire sur les fleurs l’ordinaire butin,
Dont avecque tant d’art son miel elle compose.
 D’autre costé la prudente Fourmi,
En qui, comme en un point, la sagesse est enclose,
 Et qui jamais ne travaille à demi,
Pour remplir ses greniers agit sans nulle pause.
***
Aujourd’huy les Bergers loin d’estre renfermez,
Sortant de leur cabane avecque leurs Bergeres,
Pour qui seules leurs cœurs se sentent enflâmez,
Vont les entretenir sur les molles feugeres.
Ils font innocemment au son des chalumeaux,
Musettes, flageolets, paistre leur gais troupeaux,
Qui bondissent de joye en quittant la clôture,
Où l’âpre froid les avoit retenus ;
Et d’aise les agneaux sautent sur la verdure,
 Estant par les chiens défendus
Contre les Loups gloutons, ardens à la capture.
***
 Comme eux bondissent les Poissons,
Nageant en liberté de l’une à l’autre rive,
Depuis l’heureux débris de ces vastes glaçons,
Qui les tenoient captifs sous une onde captive.
On reverra bien-tost retourner sur les eaux
Nautonniers, Mariniers avecque leurs Vaisseaux ;
Ceux cy pour le Commerce, & ceux-là pour la Guerre.
 Les Voyageurs vont se mettre en chemin,
 Soit sur les flots, soit sur la terre,
 Laissant leur destin dans la main
Du puissant Immortel qui regit le Tonnerre.
***
Le Laboureur chagrin d’estre trop au foyer,
Le quittant tout joyeux retourne à la charuë.
Il cultive la terre, attendant le loyer
Que promet la récolte, & pour laquelle il suë.
Les Bœufs avec le soc fendent les durs sillons,
Où souflent les doux vents au lieu des Aquilons,
En faveur de Cerés, qui sur les champs preside.
 Dans les forests les chiens & le Chasseur
Vont reduire aux abois, tantost le Cerf timide,
 Tantost le Sanglier en fureur,
Dont la dent écumante est souvent homicide.
***
Les Nymphes se parant de leurs pompeux atours,
 Vont s’ébattre au clair de la Lune.
Entre elles sont mêlez plusieurs brillans Amours,
Les uns aimant la Blonde, & les autres la Brune :
Par là nous entendons tant de jeunes Beautez,
Tant de galants poudrez qu’on voit à leurs côtez,
Qui se trouvent le soir dans les lieux de plaisance,
Où plus qu’ailleurs le Printemps semble beau,
Où l’on fait des festins, où l’on rit, où l’on dance,
 Où l’on met enfin au tombeau
 Les ennuis de l’Hiver qu’a chassez sa presence.
***
Que de Myrthe à l’envi l’on fasse des chapeaux,
 Et que chacun en mette sur sa teste,
Qu’avec les Instrumens & des concerts nouveaux,
Du plus beau des Printemps on celebre la feste.
Au premier qui parut dans le premier jardin,
Ce jardin si fameux qui fut planté soudain
Avec tant d’agrément par une main suprême,
 On pourroit bien comparer celuy-cy.
Ce n’est pas sans sujet que je me l’imagine,
 Il a mille charmes aussi,
Et je le croy produit par une main divine.
***
Mais que voy-je ? Ici bas que tout est inconstant !
D’un Printemps merveilleux, je veux tracer l’Image,
Et voila ses attraits effacez à l’instant ;
Tout est, tout est changé, c’est un autre visage.
Des nuages épais viennent rebroüiller l’air.
 Aprés quatorze jours qu’il se montre si clair,
Et l’on en voit tomber à la fois grêle & pluye,
 Comparons donc au Printemps d’autre fois,
Dont si-tôt la beauté parut évanouie,
 Ce Printemps-ci, d’un demi-mois,
Dont ma Muse s’étoit trop viste réjoüie.
***
Que les quatorze jours qu’à l’Hyver il a pris
Avant qu’il dust finir, nous couteront peut-estre !
En écrivant d’abord, que je m’étois mépris,
Et qu’au temps si changeant, c’étoit mal me connoistre !
On n’en sçauroit tenir un assuré discours,
Il change tous les ans, tous les mois, tous les jours,
Où plustost à chaque heure, à chaque moment mesme.
 En composant presentement ces vers,
Ne reconnois-je pas ce changement extrême ?
 Que d’aspects du Soleil divers !
Tantost il est brillant, & tantost triste & blême.
***
A ce temps incertain que nous sommes sujets,
Nous changeons mille fois, dans le cours d’une année,
De passions, d’humeurs, de goust & de projets.
Tant nôtre ame est par luy puissamment entraînée.
Que dis-je ? à chaque instant elle a nouveaux desirs.
Tout le bon-heur ne peut arrester ses soupirs.
Non, rien ne peut jamais la rendre satisfaite,
 Bien moins on voit selon le vent,
Sur le haut d’un Clocher tourner la giroüette.
 Qu’au vent d’un appas decevant,
L’Ame toûjours volage, & toûjours inquiete.
***
Ce n’est que dans le Ciel que l’on trouve un Printemps,
Qui ne change jamais, qui tous les siecles dure,
Et ce n’est qu’en Dieu seul que les cœurs sont contens,
Leurs vœux par tout ailleurs, épuisent la Nature.
 Renonçons donc aux choses d’ici-bas,
Ne nous attachons plus à de foibles appas,
Pensons que c’est au Ciel, qu’est nostre domicile.
 Sortons d’erreur, icy tout est abus,
 Tout est perissable & fragile
 Ouvrons les yeux & ne nous trompons plus,
 Ce n’est qu’en faux objets que ce monde est fertile.
***
Le Soleil * aujourd’hui reprend son Ascendant
Avec un vif éclat, il rentre en sa carriere,
On sent avec plaisir que cet Astre est ardent,
Et l’on est tout ravi de revoir sa lumiere.
Ce beau jour est aussi du Printemps le premier,
Il commence les mois qu’il a pour son quartier,
Ce début est charmant, mais voyons en la suite,
Sans du Printemps encor souhaitter les plaisirs.
C’est par là seulement que le chagrin s’évite,
 Lors que des biens qui flattoient nos desirs.
Dans nos cœurs tout à coup l’esperance est détruite.
***
 Ah ! j’avois bien prévu que les quatorze jours,
Retranchez à l’hiver de son âpre froidure,
 Et dont si beau fut tout le cours,
S’etoient restituez & mesme avec usure,
Le barbare ! il a sçeu se bien dédommager.
A peine nous a-t-il permis d’envisager
Depuis un mois entier l’astre de la lumiere.
Ce n’est que froid, que pluie, épaisse obscurité.
 Je sens petiller ma colere,
Preste à pester encor contre sa cruauté.
***
Mais non, j’ay tort, entrons dans des pensées,
 Plus morales & plus sensées.
C’est, comme je l’ay dit, qu’ici rien n’est constant.
 C’est que sans cesse tout y change,
Que du bien & du mal il s’y fait un mélange,
Qui ne permet jamais qu’on puisse estre content.
***
Ne nous desolons pas ; trois beaux jours d’intervale,
 Nous sont donnez, & le Soleil,
 De ses clairs aspects nous regale,
Nous verrons si demain le temps sera pareil.
***
 Non, depuis ce jour-là, jusques au quatriéme
 Du Mois des douze le plus vert,
Le Ciel pour nous toûjours le mesme,
S’est fait voir à nos yeux de nuages couvert.
Nous n’avons eu que vent, que gresle & pluye,
 Bon dieu ! qu’un tel desordre ennuie,
Lors qu’on pense jouir d’une aimable saison.
 Mais nous nous plaignons sans raison.
Ce qu’on nomme desordre est un ordre suprême,
 Il vient de la sagesse même,
 Que nous devons, sans murmurer,
 Humblement adorer,
 A nos plaintes faisons succeder mille graces,
Depuis le trois du present mois de May,
 De l’affreux temps on ne voit nulles traces,
Presentement tout renaist, tout est gai,
 Nos aimables Tuilleries,
 De tous costez sont fleuries,
Et du Monde charmant on y voit le concours.
Mes forces que l’Hyver avoit beaucoup flêtries,
Semblent se rétablir en ces premiers beaux jours,
Et j’iray m’égayer dans les vertes Prairies,
Mais il est bon de finir ce discours,
 Par un Proverbe de grand cours,
  L’Homme propose,
  Et Dieu dispose.
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[Lettre de Mr Hemery, touchant une maladie dont on n’a point encore ouy parler] §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 98-103.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parler d’une maladie pareille à celle que vous trouverez décrite dans une lettre de Mr Hemeri, Medecin de Blois, que je vous envoye.

A MONSIEUR DE ***.

 

Vous serez sans doute surpris, Mr, de ce que je vais vous apprendre. Une Fille de ce pays est depuis long-tems incommodée de vents qui semblent circuler par tout son corps. Elle les sent tantost dans un endroit, tantost dans un autre ; mais sur tout dans l’estomac, où ils produisent une tension douloureuse qui l’oblige quelque fois de courber un peu l’épine du dos en arrière. Le rare & le merveilleux, c’est qu’en pressant l’endroit où il y en a, on les fait sortir en moins de deux minutes par la bouche, de sorte que quelques personnes par amitié luy frapant sur l’épaule luy causoient aussi tôt une opression, suivie d’une eruption de ces vents. Elle n’a souvent qu’à se froter l’oreille, qu’à se presser le bras, elle ne manque point d’en donner la scene. Elle a eu depuis peu une fracture à la jambe pres du tarse, où ces vents ont causé une enflure du pié avec de violentes douleurs. Pour dissiper & les douleurs & l’enflure, il a fallu de temps en temps presser successivement le pied jusqu’à quelque distance de la fracture. On n’avoit presque pas appuyé le pouce sans mettre beaucoup d’intervalle entre la touche & le fredon, on entendoit ces vents faire leur jeu par l’anche de cette partie qu’on compare à une musette. Je me sers du mot fredon, parce qu’un auteur de ce temps dit que les vents dans leurs sifflemens imitent tous les tons de Musique. Je ne sçay pas à quoy il tient qu’il ne soit tout à fait musical, car ce qui le fait jouer est comme une espece de Clavier, où il semble qu’il y ait des tuyaux à l’unisson, qui le plus souvent sont touchez par une habile Musicienne, qui touche l’orgue & le clavessin, mais elle n’a pas ici plus de credit qu’un autre, car ce vent pressé au pied, au dos, à la teste, selon l’endroit qui incommode la plus, ne rend jamais que la même note. Il faut observer que la malade ne peut soutenir la pression continue, mais il faut luy donner du relâche parce que l’eructation l’accable, & luy donne des foiblesses. [...]

[Suit une description des douleurs de la malade et une dissertation sur l’origine de ces vents inexpliqués.]

Traduction d’une Epigramme Latine §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 116-117.

Les Vers qui suivent sont de Mr de la Fevrerie, dont vous avez lû avec tant de plaisir l’Ouvrage intitulé, Le Parterre de Gazon, dont je vous fis part le mois passé.

TRADUCTION
D’une Epigramme Latine.

 Sur les ailes de la Pudeur,
La chaste Lycoris d’une course legere,
 Fuit Damon qui cherche à luy plaire,
 Et qui la suit avec ardeur.
Ils tombent en courant, une pierre les blesse,
 Et l’amour rit de tout son cœur
 De l’Amant & de la Maistresse.
Mais bien-tost ce ris cede à de vives douleurs.
Lycoris à Damon montre sa main blessée.
 Damon l’arrose de ses pleurs,
 Fâché de l’avoir offensée.
Que ne puis-je, dit-il, apporter du secours
 A la douleur qui vous possede ?
 Le temps y donnera remede,
 La mienne durera toujours.

[La Bibliotheque des Auteurs] §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 123-124.

Le Sr de Luynes, Libraire au Palais, debite aussi un Livre nouveau, intitulé, La Bibliotheque des Auteurs. Ce sont des Maximes sur toutes sortes de sujets, ramassées par les soins de Mr de Coursant. On doit les estimer d’autant plus, qu’il est aisé d’en tirer en peu de temps un degré d’habileté pour la conduite des mœurs, & un air d’agrément dans les conversations, qu’il seroit impossible d’acquerir par d’autres voyes, qu’aprés un long & tres-penible travail. Ainsi l’Auteur a raison de dire que la pluspart des autres Ouvrages sont comme de vastes forests, où il faut traverser cent buissons avant que d’y trouver une rose, au lieu que celuy-cy est un Parterre émaillé des plus belles fleurs, apportées de Grece, d’Italie, d’Espagne, & de plusieurs autres endroits.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 154-175.

L’avarice est la passion des ames basses ; mais elle possede souverainement ceux qui s’en sont une fois laissé attaquer, & ils n’y renoncent qu’en quittant la vie. Un Cavalier tres-estimable de toutes manieres, s’estant attaché auprés d’une jeune Demoiselle, qui avoit beaucoup de bien, en fut écouté assez favorablement, pour avoir sujet de croire qu’il ne tiendroit pas à elle que ses prétentions ne réussissent, s’il venoit à bout de gagner l’esprit de ses Parens. Il s’en falloit beaucoup qu’il ne fust aussi riche que la Belle, & il y auroit eu entre-eux une entiere inégalité de ce costé-là, s’il n’eust pas esté l’unique heritier d’un Oncle, qui ne s’estoit appliqué toute sa vie qu’à chercher les moyens de s’enrichir. Il estoit entré dans toutes sortes d’affaires, & il avoit toujours si bien ménagé les choses, qu’il avoit gagné dans toutes. Une grande épargne jointe à ce bonheur luy avoit fait amasser des sommes immenses, & outre l’argent comptant dont son cofre fort étoit rempli, & quantité de Billets dont il retiroit un profit considerable, il avoit fait quelques acquisitions de Terres qui luy rapportoient un gros revenu. La succession d’un homme si riche estant infaillible au Cavalier, faisoit qu’on jettoit les yeux sur luy comme sur un des meilleurs partis de la Ville ; & on s’en laissoit d’autant plus flater, qu’elle ne pouvoit estre longtemps attenduë, puis que l’Oncle estoit fort vieux, & qu’il passoit soixante & quinze ans. Ainsi la Belle n’ayant rien à desirer dans le Cavalier du costé de la naissance ny des belles qualitez, on se préparoit de part & d’autre à signer le Contrat de mariage, lors qu’un incident que l’on n’avoit pas prévû, y apporta des difficultez. Le vieil Oncle demeura veuf lors qu’il y pensoit le moins. Sa Femme, qui n’avoit guere plus de cinquante ans, fut emportée en peu de jours d’une fiévre continuë ; & comme il estoit d’une richesse extraordinaire, on dit aussi tost par toute la Ville qu’il alloit estre couru. La chose arriva comme on le disoit. On luy fit faire des propositions de toutes parts, & de fort jolies personnes, à qui la fortune n’avoit pas esté aussi favorable que la nature, commencerent à briguer pour avoir la préference. Son grand âge, ny ses frequentes incommoditez ne les étonnerent point. Elles consentoient à sacrifier quelques-unes de leurs plus belles années, pour estre ensuite en pouvoir de se choisir un Mari selon leur goust. Le bon homme, en qui cet empressement fit renaistre tout à coup certains sentimens que ses années devoient avoir entierement assoupis, crut qu’il meritoit d’estre recherché, puis qu’on luy venoit proposer de jour en jour quelque nouvelle Maistresse, & fier des avances qui luy estoient faites, il voulut voir la pluspart de celles dont on luy vantoit le merite & la beauté. Plusieurs luy parurent fort aimables, mais ce qui estoit tres-chagrinant pour un homme aussi avare que lui, il n’y avoit point à choisir entre-elles sur le plus ou moins de bien, chacune en estoit assez de dépourveuë. Il ne sçavoit que répondre, & on avoit peine à le faire demeurer d’accord, que dans l’âge où il estoit, s’il avoit envie d’avoir une femme qui fust jeune & belle, il falloit qu’il l’achetast. Du moins il se mit en teste, s’il en prenoit une, de la choisir au rabais, & de s’arrester à celle qui se voudroit contenter de moins que les autres ; car quoy qu’il eust déclaré à toutes qu’il ne vouloit faire aucune dépense, ny rien donner de comptant, il poussoit son avarice jusqu’aprés sa mort, & ne pouvoit consentir que la Veuve qu’il laisseroit, eust beaucoup à reprendre sur son bien. Il estoit avantageux pour le Cavalier qu’il fust de ce caractere. Cependant le bruit qui courut par tout qu’il pourroit bien se remarier, fit peur aux Parens de la jeune Demoiselle, qui avant que de signer les Articles, demanderent que le vieil Oncle s’obligeast de conserver sa succession à son Neveu. Cette proposition le mit en colere. Il dit que son bien estoit à luy ; qu’il l’avoit acquis par mille peines, & qu’il y avoit une injustice effroyable à l’en vouloir dépoüiller. On eut beau faire pour l’adoucir, & pour luy faire entendre raison. Quoy que le mariage qui estoit prest de se faire, s’il accordoit la condition que l’on exigeoit de luy, fust d’une extrême importance pour le Cavalier, à qui la Belle échapoit par son refus, il fut impossible de luy faire rien signer. Ce qu’il avoit amassé par son sçavoir faire, luy sembloit perdu pour luy, s’il n’estoit plus en pouvoir d’en disposer, & tout resolu qu’il estoit de le garder prétieusement, jusqu’à se priver, comme il avoit fait toute sa vie, des choses commodes, de peur de retrancher quelque chose d’un tresor qu’il ne possedoit qu’en imagination, puis qu’il n’en faisoit aucun usage, il aima mieux mettre son Neveu au hazard de perdre l’heureux avantage qui se presentoit, que de consentir à luy assurer son bien aprés sa mort. L’obstination qu’il fit paroistre à refuser tous ceux qui luy en parlerent, ne laissant plus douter qu’il ne pensast tout de bon à un second mariage, on suspendit la conclusion de celuy du Cavalier, jusqu’à ce que l’on eust vû quelle resolution prendroit le bon homme. Le Cavalier en fut vivement touché, & s’alarma d’autant plus, qu’il vit tous les jours de nouvelles tentatives auprés de son Oncle, pour l’engager à prendre une Femme. S’il s’y résolvoit, elle pouvoit luy donner un heritier qui eust emporté sa succession, & il voyoit tout à craindre s’il n’empêchoit qu’il ne se remariast. Quand même il seroit arrivé que le bon homme n’eust point eu d’Enfans, une Femme adroite se pouvoit indemniser dans la suite, du peu d’avantage qu’il luy auroit fait en l’épousant. L’avarice ne tient pas toûjours contre l’amour, & des manieres flateuses ont grand pouvoir sur un homme qui en se remariant lors qu’il n’auroit deu songer qu’à mourir, a déja fait la plus grande des sottises. Le Cavalier qui avoit des espions chez son Oncle, pour être instruit de tout ce qui se passoit, apprit qu’une mere luy menoit souvent sa fille, que cette fille étoit fort aimable, que le bon homme la voyoit toûjours avec plaisir, & qu’on avoit commencé à parler d’articles. Cet avis receu fit agir le Cavalier. Il s’informa de la mere, & de la fille. L’une avoit toute l’adresse & tout l’esprit que l’on peut avoir, & rien ne manquoit à l’autre du costé de la beauté. Le commerce de ces deux personnes étoit dangereux pour le bon homme qui paroissoit ébranlé, & qui donnoit lieu de craindre qu’il ne se laissast gagner tout à fait. Il étoit lié d’interest & d’amitié avec un homme qu’il avoit associé dans la pluspart des affaires qui luy avoient réüssi. Le Cavalier s’adressa à cet ami, à qui il representa le grand préjudice que le mariage de son Oncle luy alloit faire, s’il ne trouvoit moyen de l’en détourner. L’ami qui regardoit le Neveu comme un parfaitement honneste homme, qu’il eust été ravi d’obliger, & qui d’ailleurs ne pouvoit soufrir dans un homme âgé l’aveuglement où étoit son Oncle, raisonna long temps sur les mesures qui étoient à prendre pour l’en tirer. Aprés avoir bien examiné ce qu’il y avoit à faire, il s’avisa tout d’un coup d’un expedient qu’il ne voulut point expliquer au Cavalier, & qu’il luy dit seulement estre fort seur, pourveu qu’il luy promist d’approuver la chose quand il l’auroit mise en état de réüssir. Le Cavalier le laissa maître de tout, sans se vouloir informer de rien, & luy repeta qu’il luy étoit d’une si grande importance d’empescher son Oncle de se marier, qu’il n’y avoit point de conditions qu’il n’acceptast pour avoir la joye d’en venir à bout. L’ami sur cette assurance alla trouver le bon homme, qu’il mit d’abord sur son mariage, dont il luy parla comme d’une chose qu’il sçavoit être arrestée. Il ajousta qu’il étoit fâché pour luy, qu’il eust vécu si long-temps en reputation d’homme sage, pour faire enfin une folie aussi grande qu’étoit celle de se résoudre à se marier à une jeune coquette qui luy donneroit mille chagrins, en luy faisant dissiper en fort peu d’années, la plus grande partie du bien qu’il avoit eu tant de peine à amasser. Le bon homme nia fortement la chose, & aprés une longue contestation, sur ce qu’on disoit sçavoir avec certitude qu’il étoit engagé de telle sorte qu’il n’étoit plus en pouvoir de s’en dédire, son ami finit en offrant de parier telle somme qu’il voudroit, qu’il ne mourroit point dans le veuvage. Le bon homme sur qui l’interest pouvoit beaucoup plus que toute autre chose, insista sur le pari, & son ami voyant qu’il mordoit à l’hameçon, luy dit qu’il se tenoit si asseuré de son fait, qu’il étoit tout prest de luy apporter dix mille écus, qui seroient à luy comme faisant partie de son bien, s’il arrivoit qu’il mourust sans s’estre remarié, mais qu’aussi s’il succomboit à la tentation de prendre une femme, il seroit contraint dés le lendemain de son mariage, de luy remettre cette même somme, avec une autre pareille, puisqu’il auroit perdu le pary. Le bon homme se voyant le maistre de gagner dix mille écus, ne balança point à accepter le parti, & son ami alla aussi tost rendre compte au Cavalier de ce qu’il venoit de faire, en luy offrant ce qui pouvoit luy manquer de cette somme pour la fournir toute entiere. Le Cavalier comprit aussi-tost, que si son Oncle recevoit dix-mille écus, il ne se voudroit jamais marier, parce qu’il faudroit en donner vingt-mille. On luy mit entre les mains la somme dont on étoit convenu, & il s’obligea de la rendre au double, s’il se lassoit d’estre veuf. Il mit bon ordre à éviter la tentation. Il ne voulut plus souffrir aucun commerce de Femmes, & on se faisoit bannir de chez luy, si-tost qu’on luy proposoit d’en voir quelqu’une. Ainsi l’Oncle & le Neveu furent fort contens. L’un regardant l’acquisition nouvelle des dix mille écus, comme une bonne fortune, insultoit à son ami qu’il croyoit être la duppe des faux rapports qu’on luy avoit faits sur son mariage prétendu, & l’autre, dont la principale affaire étoit de s’asseurer sa succession, prétendoit n’avoir pû choisir un plus seur dépositaire des dix mille écus qu’on luy avoit mis entre les mains. Il ne les garda que cinq où six mois, & sa mort qui suivit presque aussi-tost une violente apoplexie, dont il fut frappé, mit le Cavalier en possession de tous ses biens. On peut juger aisément qu’on ne fit plus de difficulté de luy donner l’aimable personne qui luy avoit été déja accordée. Leur mariage fut fait en fort peu de temps, & ils vivent dans une union qu’il paroist que rien n’est capable de troubler.

[Vers de Mr de la Sale]* §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 197-198.

Les Vers qui suivent, sont de Mr de la Sale.

 Si-tost que le Printemps reverdit les ombrages,
Du Rossignol aimable on entend les ramages,
Au retour des Zephirs ses ravissans accords
Sont l’agreable effet de ses tendres transports ;
C’est dans les plus beaux jours qu’à sa chere Maistresse,
Il exprime avec art le zele qui le presse.
Mais faut-il que ses chants, ainsi que ses amours,
Cessent dans la saison qui nous rend ces beaux jours ?
Que n’est il dans les bois quelque Beauté rebelle,
Qui luy pût inspirer une flame éternelle !
Il explique si bien son amoureux desir,
Que luy prester l’oreille est un charmant plaisir.
Hélas, si son Amante est trop prompte à se rendre,
C’est qu’il chante trop bien pour pouvoir s’en deffendre.

[Voyage de Monseigneur à Raincy] §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 199-207.

Je vous parlay il y a quelques années de la galante Feste que Mr le Marquis de Livry donna à Monseigneur le Dauphin dans sa maison de Livry. Ce marquis a acheté depuis peu la belle maison du Raincy, que feu Mr Bordier, Intendant des Finances, a fait bâtir. Elle a appartenu depuis sa mort, & celle de Mr de Raincy, son Fils, à Madame la Princesse Palatine, & ensuite à Monsieur le Prince. Comme Mr de Livry avoit le Marquisat de Livry avant que d’avoir acheté le Raincy, il a obtenu des Lettres, par lesquelles il luy a esté permis de vendre Livry sans le Marquisat, & de transporter le Marquisat à la Terre de Raincy. Rien n’a esté épargné pour rendre cette maison magnifique, celuy qui l’a fait bâtir estant un des plus riches hommes de son temps. Monseigneur en admira toutes les beautez en y arrivant. L’architecture en parut fort belle & de bon goust ; les Peintures plûrent beaucoup, & les appartements furent trouve tres bien dorez. On remarqua dans les plafonds de celuy qui estoit destiné pour Monseigneur, une Bacchanale, qui charma tous ceux qui s’attacherent à la considerer ; mais le Sallon qui occupe le milieu du bâtiment, attira plus d’attention. C’est aussi le premier qui ait esté fait en France aussi spacieux, & il est encore aujourd’huy un des plus grands que l’on voye. Il est tres bien percé, & tire du jour de tous costez. On voit au bas de la corniche qui regne autour, de tres-beaux bas-reliefs, & au-dessus de cette même corniche paroissent d’autres bas-reliefs, mais si bien imitez en Camayeux, qu’on ne les peut regarder sans y estre trompé, & les prendre pour de véritables bas-reliefs. La veuë de ce Sallon est tres belle, & fait découvrir quantité de très-agreables paysages. Monseigneur a mangé dans ce Sallon, & lors que ce Prince s’y mit à table la premiere fois, on fut surpris de voir un Tableau au milieu, & de la hauteur de ce Sallon, se détacher, & s’élever insensiblement jusques à la voûte d’une petite chambre que se trouvoit derriere, pour laisser voir Philidor, & sa Troupe. On entendit aussitost un concert de Flûtes douces, qui avoit quelque choses de si agreable dans ce Sallon, qu’il parut nouveau à ceux qui entendent souvent ces Instrumens. Le lendemain Monseigneur eut le plaisir de la Chasse. Il joüa à l’hombre à son retour : & pendant que ce Prince estoit au Jeu, un Loup vint se presenter à sa veuë à la porte du Chasteau, comme pour inviter ce Prince à une seconde Chasse, dans laquelle il auroit contribué à ses plaisirs. Le Jeu estant fini, Monseigneur se promena dans le Jardin jusqu’à l’heure du Soupé. Après cette promenade ce Prince revint dans le Sallon avec toute sa Cour. Aussi tost qu’on eu servi, on vît paroître autour de la table des Musiciens de l’Opera en habits de Theatre, qui commencerent un concert tout charmant. Ils chanterent un Dialogue de Bacchus, de Comus & de Silene, fait exprés pour estre chanté au Raincy, ou Livry le Chasteau. La Musique en parut excellente, & on la croit de Mr le ... Les vers sont de Mr l’Abbé Genest. On les entendit, & on les lut avec plaisir, & Monseigneur fut tellement satisfait de ce Concert, ainsi que ceux qui eurent l’honneur de manger avec luy, que ce prince le fit recommencer au sortir de table. Le lendemain, jour du départ de Monseigneur, ce Prince alla encore à la Chasse, où il trouva peut-estre le Loup qui s’estoit presenté le jour précedent aux fenestres du Sallon. Monseigneur fut fort content de la manière dont Mr le Marquis de Livry l’avoit receu ; ce qui parut dans le récit qu’il en fit aux Dames qui dînerent avec luy à Meudon à son retour. Tous les Officiers qui se sont trouvez au Raincy, pour y servir Monseigneur, ont esté comblez des honnestetez de Mr de Livry. Ils avoient sur le champ tout ce qu’ils pouvoient desirer; ou plutost on prenoit soin de prévenir tous leurs souhaits. Ceux qui ont accompagné Monseigneur dans cette promenade, sont Monsieur le Duc de Chartres, Monsieur le Duc, Monsieur le Prince de Conty, Mr le Duc de Grammont, Mr le Marquis de Dangeau, Mrs de Florensac, de Sainte-Maure, d’Heudicour, de Chevry, & de Cayeux, & Mr l’Abbé de Lignerac.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1697 [tome 6], p. 264.

Les Vers qui suivent ont esté notez par un fort habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 264.
Moutons cheris d'une fiere Bergere,
Qui paissez sous ses yeux au pied de ce costeau :
Puisque vous seuls sçavez luy plaire,
Que ne suis je un Mouton de vostre heureux Troupeau !
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