1697

Mercure galant, août 1697 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1697 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1697 [tome 8]. §

Sonnets qui ont disputé le Prix dans la Compagnie des Lanternistes §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 7-22.

Je vous envoyay le mois passé le Sonnet qui a remporté le Prix cette année, par le jugement de la Compagnie des Lanternistes, & je vous manday que le Pere François Lami, de la Doctrine Chrestienne, en estoit l’Auteur. Il est Professeur des belles Lettres dans le College de l’Esquille, & l’a emporté sur plusieurs autres Prétendans, qui se distinguent par leur rang & par leur merite. Voicy six Sonnets qui ont concouru, & parmy lesquels le beau Sexe fait particulierement briller ses agrémens, & son heureux naturel. Madame du Noyer, Epouse de Mr du Noyer, Grand Maistre des Eaux & Forests de France au département de Languedoc, a composé celuy que vous trouverez icy le cinquiéme. Elle y marque beaucoup de tendresse pour le Roy. C’est un Prince que l’on ne peut s’empêcher d’aimer. Ses grandes vertus font naistre de semblables sentimens dans tous les cœurs. Cet ouvrage fut fort applaudi, à une faute prés, que la prononciation Françoise pourroit excuser, si la severité des rimes ne s’y opposoit, puis que l’on prononce également Tu l’ignore sans s, & tu l’ignores avec une s. Comme tous ces six Sonnets sont à la loüange du Roy, j’ay crû que je ne pouvois commencer ma Lettre par un article qui vous fust plus agréable.

SONNETS
Qui ont disputé le Prix dans la Compagnie des Lanternistes.

I.

Tel qu’on voit le Soleil sur les pas de l’Aurore,
Louis par ses exploits dignes de ses Ayeux,
Suit la chaleur d’un sang fecond en demi-Dieux ;
Tout cede à sa sagesse, il n’est rien qu’elle ignore.
***
C’est pour luy que le sein des frimats & de Flore
A germer des Lauriers devient ingenieux ;
La grandeur de son ame éclate dans ses yeux,
La Justice est toujours l’étendard qu’il arbore.
***
Le Ciel, en ce Heros qu’il forma sans pareil,
Des plus rares vertus fait briller l’appareil,
Ses Rivaux les plus fiers le prennent pour modele.
***
Son bras qu’ont desarmé leurs douloureux accens,
Arreste la Victoire à nos desirs fidelle,
Pour ce nouveau triomphe est-il assez d’Encens ?

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, dont le pouvoir regle nos destinées,
Exauce nos souhaits pour le plus grand des Rois.
 Fais que le cours de ses années
 Réponde à ses nombreux exploits.

II.

Monarque reveré du Couchant à l’Aurore,
Qu’on ne me vante plus tes augustes Ayeux,
Tu fais tout, tu vois tout, à l’exemple des Dieux,
Et Mars n’a rien de grand que ta valeur ignore.
***
Dans le temps des frimats, dans la saison de Flore,
Ton bras en l’art de vaincre habile, ingenieux,
Fait trembler l’Ennemi, soumet tout à nos yeux,
Porte en tous lieux les Lis, en tous lieux les arbore.
***
Toy seul, Prince invincible, à toy seul es pareil,
Tes solides vertus font ton riche appareil ;
Sans modele, des Rois tu deviens le modele.
***
Mais pourquoy te chanter par mes foibles accens ?
A tes ordres soumis, à mon devoir fidelle,
Grand Roy, je dois t’offrir un cœur au lieu d’Encens.

PRIERE POUR LE ROY.

 Seigneur, remplis tous nos souhaits,
Combats avec un Roy qui combat pour ta gloire :
 Fais que pour nous donner la Paix
 Il se serve de la Victoire.

III.

Loüis est reveré du Couchant à l’Aurore,
Il passe avec éclat ses plus brillans Ayeux.
Sa valeur l’auroit mis au rang des demi-Dieux,
Et dans l’art de regner il n’est rien qu’il ignore.
***
Dans le temps des frimats, dans la saison de Flore,
Cachant ses grands desseins d’un voile ingenieux,
Ses Ennemis confus, sont surpris qu’à leurs yeux,
Sur leurs murs les plus fiers son étendart s’arbore.
***
Dans Rome & dans la Grece il n’eut point son pareil ;
Quoy qu’il ait d’un vainqueur & l’air & l’appareil,
Il est d’un Roy Chrestien le plus parfait modele,
***
Mais il n’a pas besoin que nos foibles accens
Tracent de ses vertus une image fidelle,
L’Univers à l’envi luy prodigue l’Encens.

PRIERE POUR LE ROY.

C’est pour tes droits sacrez que Loüis fait la guerre,
 Seigneur, benis tous ses exploits,
Et permets que son bras puisse calmer la terre,
 Pour y faire regner tes Loix.

IV.

Loüis est un Soleil dont on voyoit l’Aurore,
Eclater noblement dans ses divins Ayeux.
Il est l’appuy des Loix & l’image des Dieux,
Ce sont des veritez que personne n’ignore,
***
L’on seme sur ses pas les richesses de Flore,
Et les Muses l’ont peint d’un tour ingenieux.
De l’Univers entier il ébloüit les yeux,
Par tout cet Univers ses Drapeaux il arbore
***
Loüis, le Grand Loüis n’eut jamais de pareil.
Redoutez, Ennemis, son superbe appareil,
De cet auguste Roy faites-vous un modele.
***
Pour loüer ses vertus unissons nos accens,
Ce Heros à la gloire attentif & fidelle,
Des Peuples & des Rois a merité l’Encens.

PRIERE POUR LE ROY.

 Dieu de la Paix, Dieu de Victoire
Exaucez de Loüis les plus ardens souhaits.
Il ne veut vaincre & ne cherche la gloire,
 Que pour faire la Paix.

V.

Que ne suis-je, Loüis, plus belle que l’Aurore,
Que ne puis-je compter des Rois pour mes Ayeux !
Je te préfererois au plus puissant des Dieux,
Je le dis hautement, faut-il que tu l’ignore ?
***
Dans ces vastes Jardins, * les delices de Flore,
Où la nature cede à l’art ingenieux.
Je ferois mon bonheur d’un regard de tes yeux,
Sans songer à l’éclat que ta grandeur arbore.
***
Grand Roy, lors que mes yeux te trouvent sans pareil,
C’est moins par ta Couronne & son riche appareil,
Que par tant de vertus dont tu sers de modele.
***
Ah, que n’es-tu touché de mes tendres accens !
Mon cœur toujours rempli d’une flâme fidelle,
Brûleroit pour t’offrir un précieux Encens.
1

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, fais que Louis dans une Paix profonde
Soit toujours craint, aimé de tout cet Univers ;
Conserve-le, grand Dieu, pour le bonheur du monde,
Et permets pour le mien qu’il approuve ces Vers.

VI.

Des climats du Couchant jusqu’à ceux de l’Aurore
Louis fait triompher les drois de ses Ayeux ;
Juste & penetrant tout, à l’exemple des Dieux,
Il n’est rien qu’il ne puisse, il n’est rien qu’il ignore,
***
Pour les Arts les plus beaux Thémis, Minerve & Flore,
Admirent de ce Roy les soins ingenieux.
La valeur de Bellone éclate dans ses yeux,
Et la fortune suit les Drapeaux qu’il arbore.
***
Loüis dans les Heros ne voit point son pareil,
Il fait de ses vertus son plus riche appareil,
Le Ciel à tous les Rois le donne pour modele.
***
Tandis que pour sa gloire on pousse des accens,
Ce Monarque à son Dieu rend un culte fidelle,
Et meritant nos voeux, refuse nostre Encens.

PRIERE POUR LE ROY.

Contre tant d’Ennemis que la fureur conduit,
Louis combat luy seul, & sa valeur les dompte.
 Seigneur, dans leur orgueil détruit
 Faites voir sa gloire & leur honte.

Stances irregulieres §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 22-33.

Je vous ay déja marqué que ce fut chez Mr le premier President de Toulouse que la Compagnie des Lanternistes ajugea le Prix au Sonnet du Pere Lami. Cela estant fait, cet illustre Magistrat, qui n’a pas le discernement moins penetrant dans la décision des ouvrages d’esprit, qu’il est juste & éclairé dans les jugemens qui regardent la fortune des hommes, pria ces Messieurs de faire part à l’Assemblée de quelques uns de leurs Ouvrages qui n’avoient point encore vû le jour. Un Abbé de la Compagnie, aussi illustre par sa singuliere pieté, que par les talens de son esprit, fit lire les Stances pieuses dont je vous envoye une copie. Elles furent trouvées tres-belles, & je ne sçaurois douter que vous n’en portiez un jugement aussi favorable.

STANCES IRREGULIERES.

 Heureux, qui content de son sort,
 Retiré dans un lieu champestre,
Quand il voit la Nature & mourir & renaistre,
Regle sur ce modele & sa vie & sa mort.
***
Il se dit à luy-même, icy tout doit finir,
Ta vie est une fleur fragile & passagere.
 Ces momens, d’une aile legere,
S’envolent sans espoir qu’ils puissent revenir.
***
Tous ces objets delicieux,
De ces prez émaillez la brillante peinture,
Ces vallons, ces costeaux revestus de verdure,
Ne feront plus bien-tost le plaisir de tes yeux.
***
 Avant que l’horrible Borée
Ait ramené du Nord la nége & les glaçons,
Cette plaine aujourd’huy si verte & si dorée,
Deviendra le tombeau de ses propres moissons.
***
 L’Esté foule aux pieds le Printemps,
Et l’Automne à l’Hiver cede ensuite la place ;
Si ce monde me plaist, qu’est-ce que j’en attens ?
Une triste vieillesse, un âge qui me glace.
***
Abreuvé d’amertume, accablé de douleurs,
Si Dieu pour mes pechez prolonge mes années,
J’attendray que la mort ferme l’œil à mes pleurs ;
Mais verray je par là mes peines terminées ?
***
Aprés les noirs frimats le Printemps de retour
Aux soufles des zephirs rouvrira la carriere ;
 Tost ou tard je perdray le jour,
Et c’est sans esperer de revoir sa lumiere.
***
 Malheureux, je suis convaincu
Que l’on verra perir tout ce qui m’environne ;
 Que la mort n’épargne personne,
 Et je vis comme j’ay vêcu.
***
 Encor si fameux libertin
Je m’estois figuré que mon ame est mortelle,
Que du vaste Univers la machine éternelle
Roule par elle-même, & roulera sans fin :
***
Que le hazard rassemble & forme les accords,
Dont je sens rejaillir le plaisir qui m’enchante,
Je pourrois en aveugle avec moins de remords
Suivre de mes desirs la dangereuse pente.
***
Mais en ay-je douté ? Je sçay qu’il est un Dieu
Qui de ce corps immense anime les parties,
Qu’autre que luy jamais n’eust si bien assorties,
Dont l’œil veille sur nous à toute heure, en tout lieu.
***
L’Univers me convainc de cette verité.
L’Air, la Terre & le Ciel, la Mer & ses tempestes,
Ce tonnerre éclatant qui gronde sur nos testes,
Tout est marqué du sceau de la Divinité.
***
 Elle a par de trop vifs crayons
Dans le fond de mon ame imprimé son image,
Et m’a trop éclairé du feu de ses rayons,
Pour douter un moment si j’estois son ouvrage.
***
 Je sçay ce que sa Loy permet,
Ce qu’un Dieu me défend par une Loy si sainte
Les maux dont il menace, & les biens qu’il promet,
Dignes motifs pour nous, ou d’espoir, ou de crainte.
***
L’Impie enseveli dans des gouffres ardens,
 Dévoré d’une soif brûlante,
De moment en moment toujours plus violente,
Pleurera sans relâche & grincera les dents.
 Par le feu de l’adversité
La troupe des Elus icy-bas épurée,
Sans mesure & sans fin sera desalterée
 Dans des torrens de volupté.
***
Dieu me l’apprend luy-même, & je n’en doute pas.
Cependant occupé de toute autre pensée,
Je poursuis tous les jours dans ma fougue insensée,
D’une ombre de plaisirs les frivoles appas.
***
Ne reviendrai-je point d’une si folle erreur ?
 Le Ciel m’étale ses delices,
 L’Enfer m’ouvre ses précipices,
Un Dieu m’offre le choix, sa grace, ou sa fureur.
***
Je ne balance point à me déterminer,
Mais de nouveau seduit par des chimeres vaines,
 Au moment que je romps mes chaînes,
Par mes sens révoltez je me laisse entraîner.
***
 Grand Dieu, mon cœur est en vos mains,
De même que les eaux qui vont sans violence,
Se rendre au lieu marqué par vostre Providence,
 Pour servir de regle aux humains.
***
Ne l’abandonnez point à sa legereté,
 Ce cœur inconstant & bizarre,
Il vous cherche, Seigneur, lors même qu’il s’égare,
 Tournez le de vostre costé.
***
Parmy ces vains objets il cherche avidement
 Une felicité solide,
 Et rien ne peut remplir ce vuide,
 Qui cause son égarement.
***
 Je sens qu’il faut s’unir à vous,
Pour goûter à longs traits ces douceurs toutes pures,
 Qui sont exemptes des dégoûts
Qu’on trouve incessamment parmy les creatures.
***
Mais tel que sans Pilote un Vaisseau démâté,
Environné d’écueils, & battu de l’orage,
Je tourne en vain les yeux vers le Port souhaité,
Si vostre bras ne m’aide à gagner le rivage.
***
 Soutenu de ce bras puissant,
Je sçauray surmonter mes passions rebelles ;
Un tranquille repos, sous l’ombre de vos ailes,
Bannira de mon cœur tous les troubles qu’il sent.

[Autres Sonnets sur les mêmes Rimes que les précedens] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 33-38.

 

La lecture de ces Stances fut suivie de celle d’un Sonnet sur les mêmes rimes que celuy auquel on venoit d’ajuger le Prix, & dont l’Auteur veut bien se donner le nom du moins sçavant & du plus zelé Confrere de la Compagnie des Lanternistes. Il fut aussi extrêmement applaudi, & vous allez demeurer d’accord qu’il est tres digne de l’approbation generale qui luy fut donnée.

Dans le bel art d’écrire appliquez dés l’Aurore,
Consultons le loisir de nos sçavans Ayeux ;
Pour parler dignement le langage des Dieux,
Ouvrons-nous un chemin que le vulgaire ignore.
***
Dans le choix des sujets préferons Mars à Flore.
Qu’on y seme par tout des traits ingenieux,
Travaillons pour la gloire, elle étale à nos yeux
Ces Lauriers immortels que le Parnasse arbore.
***
Un mediocre esprit croit estre sans pareil,
Lors que d’un Vers flateur le pompeux appareil,
Luy dit que l’avenir le prendra pour modele.
***
Quelquefois la loüange a de trompeurs accent.
Choisissons un Ami zelé, discret, fidelle,
Qui sçache à nos défauts refuser de l’Encens.

Comme je receus trop tard le mois passé tout ce qui regarde cet Article, je ne pus vous envoyer que le Sonnet victorieux, qui m’avoit esté donné de bonne heure. Mrs les Lanternistes prient ceux qui à l’avenir leur envoyeront leurs Sonnets, de ne pas prendre d’autre nom que le leur. Ce détour est inutile, puis que cette Compagnie ne s’instruit jamais du nom des Auteurs qu’aprés que le Prix est ajugé.

J’ajoûte un Sonnet qui est encore sur les mêmes rimes. La morale en est d’une grande utilité.

Sur la vanité des choses du Monde.

Que sert-il d’estre au Jeu jusqu’au temps de l’Aurore,
Vanter sans imiter ses illustres Ayeux,
N’adorer que les Grands, & s’en faire des Dieux ?
Vaine & damnable erreur ! bienheureux qui l’ignore.
***
Que sert-il d’aller voir Philis, Cloris, & Flore ?
A se perdre, Marquis, c’est estre ingenieux.
Croyez-moy, méprisez les attraits de leurs yeux,
Et tous ces hauts atours qu’à leur teste on arbore.
***
Le monde n’est, helas ! qu’un abus sans pareil.
Tâchons donc d’écarter son funeste appareil,
Prenons pour nous sauver quelque assuré modele.
***
Suivons des vrais Chrestiens la vie & les accens,
Soupirons vers le Ciel d’un cœur pur & fidelle ;
Dieu seul merite enfin nos voeux & nostre Encens.

[Avanture] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 143-153.

Vous trouverez un incident aussi rare que nouveau dans ce que vous allez lire. Je le laisse dans les mêmes termes qu’il a esté écrit par celuy qui a bien voulu m’envoyer le détail de son avanture, & je suis fort persuadé que vous croirez, comme moy, que si on pouvoit suivre l’exemple de ceux qui y sont interessez, le dégoust seroit beaucoup moins frequent dans le mariage.

Bien des gens, Galant Mercure, vous fournissent des Histoires, mais je croy que personne ne s’est encore avisé de vous faire part de son avanture. Je veux commencer, & vous faire confidence de la mienne. Quoy qu’elle soit surprenante, elle n’en est pas moins vraye. Il y a dix ans que par un Employ considerable je vins m’établir dans une petite Ville, où il y a bonne compagnie de personnes de qualité & polies, qui composent une Societé fort charmante. J’avois trente-cinq ans. Mon cœur estoit encore tout neuf, ou du moins il n’avoit jamais rien aimé veritablement. Mon heure fatale arriva lors que j’y pensois le moins. En rendant visite à une aimable Veuve ; mais que dis-je, aimable ! il n’y a rien de plus charmant sur la terre. Elle est belle tout ce qu’on peut l’estre. Elle a un air de majesté qui luy attire le respect de tous ceux qui la voyent ; de l’esprit comme les Anges, mais un esprit cultivé & embelli de tout ce que peut sçavoir une Femme. Joignez à cela de la bonté, de la grandeur d’ame, & mille vertus heroïques qui ne ressentent en rien la foiblesse de son sexe. Elle avoit esté mariée à seize ans par un interest de Famille, & quoy qu’elle eust bien vécu avec son Mary, elle n’avoit eu pour luy qu’une amitié que la raison luy avoit inspirée par necessité. Aussi son cœur estoit demeuré libre. Elle ne fut que deux ans avec cet Epoux, qui la laissa extrêmement riche. Elle fut depuis recherchée par les meilleurs partis de la Province. Son bien, sa qualité, son esprit & son merite luy donnerent un fort grand nombre d’Amans ; mais aucun ne fut assez heureux pour luy plaire, & ce bonheur m’estoit reservé. Que j’en fus charmé aussi-tost que je l’eus veuë ! Mais que devins je quand je l’entendis parler ? Jamais personne ne s’expliqua avec plus de netteté ny de politesse. Il n’y a rien de faux dans ce qu’elle dit. Toutes ses pensées sont grandes & rares, & la nature luy a liberalement prodigué tous ses tresors. Je luy rendis des soins qui ne luy déplusrent pas ; mais elle me marquoit tant d’aversion pour le mariage, que je perdois presque l’esperance de pouvoir jamais devenir heureux. L’exemple de mille autres, qui ne l’avoient pû toucher, n’estoit point pour moy une consolation qui diminuast ma peine ; mais je sceus si bien me ménager auprés d’elle, & je luy marquay par tant d’actions que rien n’égaloit l’attachement que j’avois pour elle, qu’enfin elle consentit à me tirer de peine, en m’avoüant qu’elle ressentoit pour moy, ce que jusque-là personne n’avoit pû luy inspirer ; mais elle ajoûta qu’elle apprehendoit que le mariage n’éteignist en moy les feux dont elle aimoit à me voir brûler, & ne fist en elle le même effet à mon égard. Je luy répondis qu’il y avoit à cela un seur remede, qui estoit de nous marier si secretement que personne n’en pust avoir connoissance, & que le mistere nous feroit toujours paroître nôtre amour nouveau. Elle fut longtemps sans s’y résoudre, mais enfin aprés trois ans de recherche, elle se rendit à la force de mon amour & de son inclination. Nous nous convenions parfaitement, & pour le bien, & pour la naissance. Nostre mariage se fit dans la Chapelle de nostre Evêque, à qui nous confiâmes nostre secret. Il fit la ceremonie devant deux Témoins, qui nous ont esté si fidelles qu’ils ne l’ont point revelé. Nos maisons se touchent, & nous avons trouvé le moyen d’y faire des communications qui ne sont connuës que de nous seuls. Presque tous les jours la Compagnie s’assemble chez ma charmante Epouse, & personne ne trouve à redire à mon assiduité auprés d’elle. Elle a si bien fait par son adresse qu’aucun de ceux qui la voyent n’ose plus luy parler d’amour ny de mariage. J’ay vécu avec elle depuis que je l’ay épousée, de la maniere du monde la plus agreable. Je luy ay trouvé mille charmes de cœur & d’esprit, qui me rendent le plus heureux de tous les hommes. Que de tendres & d’aimables ménagemens pour me plaire ! Que de complaisance & de bonté sans foiblesse & sans affectation ! Il y a trois ans que nous sommes unis sans que personne en ait eu aucun soupçon. Je luy rens tous les soins d’un tendre Amant ; elle y répond avec un charme qui m’enchante tous les jours, & qui n’appartient qu’à elle, & nous vivons devant le monde sur le pied d’estime & d’amitié. Nous nous sommes déterminez de vous faire part de nostre avanture, estant tres seurs que personne ne la pourra démêler, & elle sera éternellement secrete si nous continuons à ne point avoir d’Enfans, car nous sommes convenus que le dernier vivant brûlera les Actes qui pourroient apprendre ce que nous avons si heureusement caché, estant assez riches pour nous passer du bien l’un de l’autre. Nostre Evêque est mort aussi-bien que nos témoins. Voilà, Galant Mercure, nostre secret entre vos mains, que vous rendrez public quand il vous plaira, & qui ne laissera pas pour cela de demeurer inconnu. Adieu.

[Ceremonies faites à Valogne] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 153-172.

Je vous appris par ma Lettre du mois de May dernier, ce qui s’estoit passé à Valogne, quand Mr le Comte de Breauté fut receu au Gouvernement de cette Ville. Le Presidial luy ayant presenté l’honneur du Pain-benit pour le jour de Saint Yves, Patron des Gens de Justice, dont il est le Chef, comme Grand Bailly de Cotentin, la Noblesse, qui en Normandie a droit de seance dans les Tribunaux, avec les Juges, l’accompagna à l’Eglise, où il y eut Musique & Sermon ; & après la Messe il donna un magnifique repas, où se retrouverent plus de cent personnes des plus considerables & des plus distinguez de la Ville. Tout y fut servi avec une politesse qui répondit à l’abondance & à la delicatesse des mets, ce qui fut accompagné d’une Simphonie qui dura jusqu’à la nuit. [...]

[Livre nouveau, Avantures et Lettres Galantes]* §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 176-178.

Il paroist depuis peu un Livre nouveau, intitulé, Avantures & Lettres galantes. Comme l’Auteur n’a voulu y rapporter que des évenemens veritables, il n’a point cherché à les embellir par des Episodes fabuleux, & s’est contenté de dire les choses comme elles se sont passées, sans les reformer ny les augmenter. Ainsi il n’a fourni que le tour & l’arrangement des mots ; en quoy l’on peut dire qu’il a tres-bien réussi. Chaque Avanture est meslée de Lettres fort vives, qui font connoistre jusqu’où va la force de l’amour sur les cœurs qui s’en trouvent possedez. Ce Livre, qui se vend chez le Sr de Luynes, Libraire au Palais, doit estre bientost suivi d’un autre du même Auteur, intitulé Santoliana.

[Statuë du Roy placée dans le Chasteau d’Ivry] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 178-186.

Le 7. de ce mois, Mr Bose, Prevost des Marchands, fit placer dans les Jardins de son Chasteau d’Ivry, dont il est Seigneur, la Statuë du Roy, sortie de la main du Sr Coiseux, fameux Sculpteur, pour honorer sa maison de la presence de son Maistre, & laisser à la posterité un monument étrenel de son zele, de son respect & de sa reconnaissance. Cette Statuë est semblable à celle qui fut érigée en 1689 dans la Galerie de l’Hostel de Ville de Paris. On lit au bas deux Inscriptions, l’une Latine & l’autre Françoise. Voicy les Vers de l’une & de l’autre.

Hostem, Aras, Populum, Victorque, Ultorque, Paterque, Sterno, tego, cumulo, vi, pietate, bonis.
***
Tel est le Chef d’œuvre des Cieux,
Loüis des vrais Heros le plus parfait modele,
Et tel doit estre un Roy, juste, sage, pieux,
Qui veut estre l’amour de son Peuple fidelle.

Plusieurs personnes considerables, & par leur rang, & par leur merite, s’estant renduës à Ivry le soir de ce même jour, y furent recuës dans un beau Salon, d’où l’on découvre le Parc & les Jardins de cette maison. Il y eut un magnifique repas de trois tables proprement servies, & il fut accompagné d’un concert de Flutes douces & Allemandes & d’autres Instrumens. Sur la fin de ce repas, la Compagnie salüa debout avec respect la Santé du Roy, & aussitost cent cinquante Boëtes se firent entendre, ainsi que les fanfares des Trompettes, et le bruit des Timbales, & le son agréable des Hautbois, tout cela estant dispersé en differens endroits du Jardin. Chacun voulut courir à ce bruit ; mais l’on fut surpris en sortant de ce Salon, de voir des feux éclatants de toutes parts. C’estoient des lumieres dans des vases qu’on avoit posez sur des gazons un peu élevez, à quatre pieds de l’autre, & qui par un double rang conduisirent cette nombreuse assemblée jusqu’à la Statüe du Roy. Elle est dans une grande place de soixante toises de circonférence, à laquelle aboutissent comme à un centre, huit avenuës, distantes également les unes des autres. Cette place est environnée de huit piedestaux, chacun de quatre faces, ornées de bas reliefs & de Devises, qui representent des Victoires & les conquestes du Roy, & ses actions les plus éclatantes pour la défense de la Religion & des Autels. Les bases & les corniches peintes en marbre, estoient bordées de lumieres, & surmontées de huit grands vases qui jettoient un feu dont toute la place estoit éclairée. La compagnie ayant esté receuë en ce lieu au bruit des Trompettes, des Timballes & des Hautbois, qui faisoient ouïr alternativement une melodie guerriere, & des fanfares convenables à la Feste, elle y fut arrestée par un grand nombre de fusées volantes qui vinrent y fondre de divers endroits, après quoy on fut conduit par un pareil bordage de lumieres à un grand bassin qui jette au milieu d’un beau parterre, où le feu & l’eau se rencontrant faisoient un meslange des plus agreables. Au delà de ce parterre on voyoit une demi-lune d’une fort grande étenduë, qui regarde la Riviere. Sa circonference estoit bordée d’un nombre infini de ces vases lumineux dont on a déjà parlé, disposez en cinq rangs par étages sur une triple terrasse, d’où à l’opposite l’on découvroit le Chasteau. On en avoit rempli les appartemens de Lustres & de bougies, & les dehors estoient éclairez de lumieres qui formoient un aspect tres agreable. Pendant que l’on admiroit toutes ces choses, on vit sortir du costé de la grille du Jardin comme un deluge de feu, qui annonça l’artifice qu’on avoit préparé. Au même moment parurent des Soleils fixes, & d’autres mobiles, qui sont la Devise de Sa Majesté. Ils furent accompagnez d’aigrettes, de jets & de pluyes de feu en fort grand nombre ; & sur la fin partirent avec impetuosité comme d’un gouffre, une infinité de serpentaux, de pots à feu, & de petards, renfermez dans plusieurs quaisses jointes ensemble, qui par une espece de tonnerre mirent fin à l’artifice qui duroit depuis deux heures. A ce plaisir succeda celui d’une promenade, qui ne put estre que fort agreable dans une nuit, où l’on respiroit un air si doux.

[Vers presentés à Mr le Prevost des Marchands]* §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 186-188.

 

Voicy des Vers qui ont esté presentez à Mr le Prevost des Marchands, sur la magnificence de cette Feste.

Illustre Magistrat, Sujet rare & fidelle,
Tes Jardins sont donc prests à recevoir Loüis ?
D’un spectacle pompeux mes yeux sont ébloüis.
Qui peut leur procurer cette gloire immortelle ?
 Pour celebrer ce jour heureux
 Une superbe Feste
 De tous costez s’appreste.
J’y vois la sombre nuit briller de mille feux.
Par un art étonnant qui dompte la nature,
Le jour dans ces Jardins renaist de toutes parts.
Mille Soleils soudains qui charment nos regards,
 En chassent l’ombre obscure.
Tel est ton zele ardent ; telle est ta pure foy,
Et ce feu que tu joins à ton parfait hommage,
Tout éclatant qu’il est, n’est qu’une foible image
De celuy dont ton cœur est brûlé pour ton Roy.

[Mort de Monsieur de Santeul]* §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 188-191.

Les Muses ont fait une veritable perte en la personne de Mr de Santeul, Chanoine Regulier de Saint Victor. Il avoit un genie merveilleux pour les Vers Latins, & l’on peut dire que tous ceux qu’on voyoit de luy, couloient de source. On en a imprimé un recueil, qui fait connoistre que son esprit estoit tout de feu, tant la force & la douceur de l’expression s’y trouvent jointes agreablement. Il ne traitoit aucune matiere qu’il ne l’embellist par la richesse des termes choisis dont il se servoit. Les Inscriptions qu’il a faites pour la pluspart des Fontaines de Paris, seront des monumens éternels de sa gloire ; mais ce qui luy a acquis un honneur qui conservera son nom jusqu’à la derniere posterité, ce sont ses Hymnes, qui ont paru un ouvrage si achevé, qu’on les chante presentement dans l’Eglise. Il est mort en Bourgogne, où il avoit eu l’honneur d’accompagner Monsieur le Duc, qui tient les Etats de cette Province. Mr Noisy a fait pour luy cette Epitaphe Latine.

Hic jacet illustris Vatum Santolius Heros.
Tantane tam tristi debetur victima letho ?
Exilio à longo quas ille reduxerat artes,
Has moriens traxit secum, conditque sepulchro.

[Entrée de l’Ambassadeur de Portugal à Hispaham] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 199-201.

Les Lettres de Perse, dont je vous ay déjà fait part, vous ont appris l’Entrée que l’Ambassadeur a faite dans Hispahan. En voicy des circonstances plus précises, tirées d’une autre Lettre de Mr l’Evêque de Babilone.

A Hispaham le 27 Decembre 1696.

L’Ambassadeur de Portugal D. Antonio Peyra fit icy son Entrée publique le 30 du mois dernier. Il estoit précédé de vingt Fusiliers, d’un Porte Enseigne avec l’Etendart de son Roy, de deux Trompettes d’argent, de vingt-quatre personnes de livrée, vêtuës de drap rouge avec des Turbans Persiens, de plusieurs Gentilshommes Portugais , & de quantité de beaux chevaux de main. Il estoit vestu à la Françoise, avec des Plumes blanches & rouges. Tous nos François s’y trouverent, & tout la Nation Armenienne. Il fut rencontré en chemin par l’Evêque élû d’Hispaham, & par le Muphti, le Kalantar, & le Drogha de la Ville, qui sont de grands Seigneurs de Perse ; mais il n’y eut que l’Evêque qui l’accompagna jusqu’à son Palais, où l’on distribua force Caffé, Eau de vie, Vin & Sucreries aux Francs, qui furent traitez ensuite chez les Augustins Portugais.

Relation du voyage fait aux Indes Espagnoles §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 202-220.

Vous attendez la Relation du Voyage de Mr de Pointis, & je vous en envoye une, telle qu’elle a esté faite par un Officier du Vaisseau nommé le Fort, qui est le premier qui ait apporté des nouvelles de ce qui s’est passé au Siege de Cartargene. Cette Ville est située dans une Presqu’isle d’une Province de l’Amerique Meridionale, qui porte le même nom de Cartagene, & qui est dans le nouveau royaume de Grenade. Cette Presqu’Isle est attachée à la terre ferme par une chaussée de deux cens cinquante pas. La Ville a un Evêché Suffragant de Santa Fé de Bogotta. La Flotte qui part d’Espagne pour les Indes Occidentales, a toujours ordre de se rendre dans son Port, ce qui le rend un des plus fameux de l’Amerique. Vous sçavez qu’il y a une autre Carthagene en Espagne, que l’on nommoit autrefois Carthage la Neuve. Elle est sur la Mer Mediterranée, dans le Royaume de Murcie, avec un Evêché Suffragant de Tolede.

RELATION
Du Voyage fait aux Indes Espagnoles.

SA Majesté ayant accordé à Mr de Pointis sept Vaisseaux de guerre, trois Fregates, deux Flutes, quatre Traversiers, & une Galiote à Bombes, il partit de Camaret le 9 janvier 1697 & fit route pour Saint Domingue.

[Suit le récit du voyage et de l’expédition militaire jusqu’au siège de la ville de Carthagène.]

Le I. May, nous travaillâmes à mettre nos Mortiers & nos Canons en batterie pour donner sur Cartagene. Le 2, le Sceptre & le Vermandois commencerent à faire feu sur la Ville ; le même jour, les gens de Cartagene surpris d’étonnement de nostre diligence à les maltraiter, arborerent Pavillon blanc sur les remparts. On y accourut, ils témoignerent qu'ils vouloient parlementer, ce qu'on leur accorda. Deux jours après ils signerent la capitulation. Au bout de trois jours, ils en sortirent au nombre de deux mille hommes de garnison, Tambour batant, méche allumée, Drapeaux déployez, deux pieces de Canon, & deux hommes masquez, qui estoient deux de nos Soldats, Espagnols de Nation, qui avoient deserté de nos Troupes. Ce même jour, Mr de Pointis accompagné de trente Gardes de la Marine, & de plusieurs de ses Officiers, entra dans la Ville, & alla à directement à la Cathedrale, où il fit chanter le Te Deum en action de grace d’avoir remporté la victoire sur ses Ennemis ; après quoy il alla au Gouvernement prendre possession de tout. [...]

[Madrigal] §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 271-272.

Je finis par un Madrigal de Mademoiselle Itier à Mr le Duc de Vendosme sur la prise de cette importante Place.

 Enfin, malgré sa résistance
Barcelone est soumise à nostre Auguste Roy,
 Il ne falloit pas moins que toy,
Prince, pour la réduire à son obéïssance.
Des braves Espagnols le zéle & la vaillance
 Ont combattu pour sa deffence
 D’une maniére qui surprend ;
Mais qui peut résister aux Armes de la France,
Conduites par le Bras, le Cœur, & la Prudence,
 D’un Petit-Fils d’Henry le Grand ?

Air nouveau §

Mercure galant, août 1697 [tome 8], p. 283.

Les Vers que vous allez lire ont esté mis en Air par une personne qui se connoist parfaitement en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 283.
Ce seroit une étrange chose,
Si je n'avois qu'un seul Amant,
N'accusez point, Lisis, un changement
Dont vous estes la cause.
Quand vous allez dans ce Hameau,
Faire l'amour ailleurs en tout temps, à toute heure,
Prétendez-vous que je demeure
Seulette prés de mon Troupeau ?
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