1697

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1697 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10]. §

Climene et Caliste. Eglogue §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 49-57.

Vous lirez sans doute avec plaisir l’Ouvrage suivant, quand je vous auray appris qu’il est de Mademoiselle l’Heritier. Ce Nom est trop connu pour vous en rien dire davantage.

CLIMENE ET CALISTE
EGLOGUE.

CLIMENE.

Dis moy, charmante Caliste,
 D’où vient ton air sombre & triste ?
Non, je ne te connois plus.
Toujours chagrine, inquiete,
Rêveuse, mal satisfaite,
Tous tes discours sont confus.
Tu ne viens plus sous l’ombrage
De nostre aimable bocage
Exercer ta belle voix ;
Et le son de ma Musette,
Qui te charmoit autrefois,
Te trouve toujours distraite.
Mais ce qui n’est pas permis,
Ton cœur jadis si fidelle,
N’a plus pour tous tes Amis
Ny vivacité, ny zele.
Tu n’aimes Troupeau ny chien.
Enfin, tu n’es bonne à rien.
Mais je croy que je devine.
Ce qui te rend si chagrine,
Et cause les changemens,
Qui font qu’à tous les momens
Ton cœur se trouble & s’égare
C’est le petit Dieu bizarre
Qui regne sur les Amans.
Ouy, sans doute, c’est luy-même ;
On est ainsi quand on aime.
Ah, que mon cœur est heureux
De braver l’orgueil extrême
De ce vainqueur dangereux !

CALISTE.

 Helas ! aimable Climene,
J’ay sceu longtemps comme toy !
Braver sa fatale chaisne,
Mais je cede malgré moy.
Je ne puis plus me défendre
D’un Amant soumis & tendre,
Qui par sa fidelité
A desarmé ma fierté.

CLIMENE.

 Qu’une Bergere est à plaindre
De se laisser engager !
On ne voit plus de Berger
Qui ne soit beaucoup à craindre.
Tous sçavans en l’art de feindre,
Ils nous marquent mille ardeurs,
Et ne daignent se contraindre
Que pour vaincre nos rigueurs.
Si-tost que nostre foiblesse
Cede à leur fausse tendresse,
Sans aucun ménagement
Ils courent au changement.

CALISTE.

 Ah, qu’une jeune Bergere
Se flate facilement !
On croit qu’un Berger charmant
N’a point l’ame mensongere.
Ouy, dés qu’un Amant sçait plaire,
On ne peut se figurer
Que son ardeur soit legere,
On le croit tendre & sincere,
Comme il vient en assurer.
Quand l’amour se fait entendre,
La raison n’a qu’à se rendre.
Je croy que jusqu’au tombeau
Tircis pour moy tout de flâme
Conservera dans son ame
Un feu si vif & si beau.
Si tu me vois inquiete,
C’est l’embarras qu’a mon cœur
D’avoüer à mon vainqueur
Son triomphe & ma défaite.
Quand l’amour force d’aimer,
Quand il tient sous son empire,
Il coute plus à le dire
Qu’il ne coute à s’enflamer.

CLIMENE.

 Puis qu’une ardeur dangereuse
Te livre aux traits de l’amour,
Dérobe du moins au jour
Cette foiblesse honteuse.
Et malgré l’empressement
Que te marque ton Amant,
Fais qu’il n’ait jamais la gloire
De découvrir sa victoire.

CALISTE.

 Quoy, j’aurois la cruauté
Par une vaine fierté,
De souffrir toute ma vie
Mon tendre Amant maltraité ?
Non, cette barbare envie
Ne peut se faire écouter ;
Tircis sçait trop m’enchanter.
Ah ! quand mes paroles fieres
Chercheroient à l’insulter,
Dans mes yeux, dans mes manieres,
Il verroit une langueur
Qui trahiroit ma rigueur.
Plein de respect il m’adore.
Pourquoy vouloir qu’il ignore
Ce qu’il m’inspire à son tour ?
En vain je me tais encore,
Il faut qu’il l’apprenne un jour.

CLIMENE.

 Quand une Belle s’enchante
Par un trop flateur poison,
Que la voix de la raison
Auprés d’elle est impuissante !
Tu suis la fatale pente
Qui t’entraîne vers l’amour ;
Mais crains le triste retour
De son ardeur inconstante.
Tu penses que ton Berger,
Toujours soumis, toujours tendre,
Comme il te le fait entendre,
Ne pourra jamais changer :
Tu goûtes déja d’avance
Des plaisirs delicieux.
Quand tu recevrois des Cieux
La favorable influence
D’un bonheur si précieux,
Ma tranquille indifference
Vaudra toujours beaucoup mieux.
 Puis qu’une heureuse indolence
N’a pour toy rien de touchant,
Je te laisse à ton panchant.
Je vais à d’autres Bergeres
Donner mes avis sinceres.
Dans nos hameaux, dans nos champs,
Je vais dire à tous momens,
 Bergeres, que la Nature
Combla de mille presens,
Pour goûter les agrémens
D’une felicité pure,
Fuyez toujours les Amans,
Renoncez aux soins génans
De la frivole parure,
Dont les vains rafinemens,
Qui mettent à la torture,
Ne vous donnent que l’encens
D’un cœur volage & parjure.
 Faites vos amusemens
De cent plaisirs innocens,
Aimez les fleurs, la verdure,
Les ruisseaux & leur murmure.
 Je repeteray cent fois
De tels conseils dans nos Bois.
Mais l’influence coquette,
La seduisante fleurette,
Qui dominent tour à tour,
Dans nos champs comme à la Cour,
Par leur ardeur indiscrete
Font qu’au siecle où nous vivons
On suivra peu mes leçons.

Maximes importantes pour un homme public §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 57-74.

Je vous envoye de nouvelles Reflexions de Mr l’Abbé Deslandes, Chanoine & Archidiacre de l’Eglise de Treguier. Vous sçavez par plusieurs autres Ouvrages que je vous ay déja envoyez de luy, que la lecture de tout ce qu’il fait, n’est pas moins utile qu’agreable.

MAXIMES
Importantes pour un Homme public.

I.

Un Homme public doit regarder le peuple avec les mêmes sentimens d’affection qu’un Pere regarde ses Enfans. Et n’avons nous pas veu de nos jours un Pere qui s’estoit fait des playes pour se tirer du sang dont il nourrissoit son Enfant ?

II.

Qu’il ait un fond inépuisable de bonté, de douceur, & de patience.

III.

Qu’il tâche de faire toutes choses sans inquietude.

IV.

Qu’il ne se laisse jamais préocuper.

V.

Qu’il soit exact dans ses Discours.

VI.

Qu’il examine l’esprit de ceux avec lesquels il doit vivre, & avec qui il a obligation de traiter.

VII.

Qu’il soit jaloux de sa reputation, mais qu’il n’en soit pas esclave.

VIII.

Qu’il se fasse plus aimer, que craindre.

IX.

Sa principale application est de s’acquerir un esprit de penetration.

X.

Qu’il ait un bon ami à qui il donne la liberté de luy dire ses défauts, & ce que l’on dit de luy dans le monde.

XI.

Qu’il ait cette honneste vanité, de ne se pouvoir rien reprocher.

XII.

Qu’il prenne garde que ses proches ou ses domestiques, n’abusent de son autorité.

XIII.

Qu’il garde des mesures, même avec ceux qui n’en gardent point avec luy.

XIV.

Un homme public doit toûjours estre en êtat de bien penser, & de bien parler de toutes choses.

XV.

Lorsqu’on luy dit des choses fâcheuses, il doit imiter l’écho qui ne répond jamais au tonnerre.

XVI.

Un homme public ne doit pas se persuader qu’il puisse & qu’il doive vivre comme un particulier.

XVII.

Seneque a renfermé en peu de mots les reflexions & les obligations d’un homme public, quotidie apud me causam dico. Pour bien se connoître il ne faut pas devenir son Avocat.

XVIII.

Un homme public a-t-il fait une faute, qu’il n’en fasse pas une seconde ; qu’il imite les Orateurs qui continuent & s’animent, quoy qu’ils s’apperçoivent qu’ils ont manqué.

XIX.

C’est un mystere de sçavoir conduire les autres. Cesar ne parla pas d’abord d’affoiblir & de détruire la Republique ; il s’y prit plus adroitement ; il imita l’amour, dit le Pere Coeffeteau, Evêque de Marseille.

XX.

C’est l’ouvrage d’une sérieuse meditation, de se procurer une égalité constante dans les differens embarras de la vie.

XXI.

Un Ministre d’Espagne disoit en parlant du Cardinal de Richelieu, qu’il estoit toûjours chez luy sans jamais en sortir, & qu’il n’avoit jamais pû le surprendre.

XXII.

A proprement parler, nous ne vivons qu’autant que nous exerçons nôtre esprit, & que nous faisons des actions de vertu.

XXIII.

Le grand secret pour estre toûjours heureux, c’est de prendre cette forte resolution. Voglio dispor di me.

XXIV.

Les passions qui ne sont pas reglées, ressemblent à la fiévre & à la sciatique, qui nous prennent malgré nous. Il n’en est pas de mesme des affections sages. La raison qui en fait le nœud les lâche, les delie & les rompt mesme s’il en est besoin. Annoda e snoda quanti lacci come bisogna.

XXV.

Comme nos corps s’ouvrent pour recevoir la chaleur de l’air, parce que c’est une qualité douce, benigne & amie de la nature ; ainsi nos cœurs s’ouvrent lorsque l’on nous traite avec douceur & amitié.

XXVI.

Strada a fait en peu de mots l’éloge de Philippe second, Roy d’Espagne, l’apellant Alexandre le sobre & le maître de sa colere sobrium & iræ victorem.

XXVII.

Il ne dépend pas toûjours des Sujets de signaler leur zele pour leur Roy ; la naissance, l’éducation & les occasions leur en refusent souvent les moyens : mais il dépend toûjours d’eux d’estre fidelles & d’estre attachez à leur Souverain par une respectueuse inclination.

XXVIII.

La reflexion de l’Empereur Galba dans Tacite, est bien judicieuse, lorsqu’il parle à Pison qu’il choisissoit pour son successeur. Aprés luy avoir representé que la felicité n’est propre qu’à nous corrompre ; fœlicitate corrumpimur ; il luy dit, il n’y a aujourd’huy que nous deux qui parlions ensemble avec une entiere sincerité qui n’a rien de faux & de dissimulé. Les entretiens des autres sans exception, s’adressent plûtost à nôtre fortune qu’à nôtre personne : cæteri libentius cum fortuna nostra, quam nobiscum.

XXIX.

Il arrive toûjours disgrace à ceux qui servent les Grands contre les interests du Prince & du public. Ils sont les victimes des passions de ces orgueilleux qui s’en servent, selon l’expression du Pape Urbain VIII. comme les Architectes se servent des échaffauts qu’ils mettent par terre, dés le moment que leurs bâtimens sont achevez.

XXX.

Le vray honneur ne consiste pas dans un courage aveugle & brutal, & on a toujours cru que rien n’estoit plus digne d’un homme vraiment genereux, que de s’efforcer de gagner ses Ennemis par des voyes d’honneur, & de les vaincre par sa moderation & par sa sagesse.

XXXI.

Un honneste homme dit dans Saluste, Tout le bien & tout le mal qui m’arriveront jamais, apporteront des changemens à mes affaires, sans en apporter à mes sentimens & à mon esprit : malæ secundæque res, opes, non mihi ingenium mutabunt.

XXXII.

Il faut prendre soin de tenir son imagination bien propre & bien nette, & de la meubler de toutes sortes de belles idées.

XXXIII.

Qu’il n’y ait jamais dans nos conversations de malignité cachée, ny de venin secret ; car les bonnes qualitez que l’on dérobe, & la réputation que l’on ôte par malice ou par indiscretion, ne peuvent se confisquer, ny estre réunies au domaine de personne.

XXXIV.

Nous nous plaignons toujours de n’avoir pas assez de temps, & cependant à le bien prendre, nous n’en sommes pas si pauvres, que nous en sommes mauvais ménagers, & l’on peut dire que chacun de nous est prodigue d’un bien qui est le seul de tous ceux que nous possedons, dont l’avarice soit honneste & vertueuse.

XXXV.

Le Precepteur de Charlequint fit un jour entrer ce jeune Prince dans la maison d’un Tisseran. Voilà, luy dit-il, le simbole d’un Prince, qui doit estre tout occupé. Ce Tisserand qui chante sur son travail, est un second simbole de la tranquillité du Prince.

XXXVI.

Moyse a esté d’un mauvais exemple pour ceux qui gouvernent. Dieu luy avoit ordonné de parler à un rocher pour en tirer de l’eau, il frapa ce rocher ; cette desobeissance ne demeura pas impunie.

XXXVII.

La nature fait dans les grands hommes, dit Quintillien, ce qu’elle fait dans les fleurs. Natura in floribus remedia pinxit. Ce sage Orateur veut que le Prince examine exactement la Physionomie. & l’exterieur de ceux à qui il confie les emplois.

XXXVIII.

Que la mort est cruelle, dit Seneque, à celuy. qui notus niuis omnibus, ignotus moritur sibi.

XXXIX.

Un Prince dans l’Ecriture veut que l’homme public ait une exacte attention sur sa conduite, qu’il regarde son cœur comme un charmant parterre, où il puisse se promener agreablement : perambulem in innocentia, in medio ordis mei.

[Ceremonie faite à S. Germain en Laye] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 204-208.

Les Habitans de Saint Germain en Laye, en reconnoissance des bienfaits qu’ils ont receus du Roy en plusieurs occasions, font chanter tous les ans une grande Messe le 5. de Septembre, jour de la naissance de ce Prince, & choisissent un fameux Prédicateur, pour faire son Panegyrique. [...]

[Suit l’éloge prononcé par l’abbé Betaud]

Stances sur la Paix §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 208-212.

Je vous envoye des Vers, qui ont receu de grands applaudissemens de tous ceux qui les ont vûs. S’il m’estoit permis de vous en nommer l’Auteur, vous demeureriez d’accord qu’il ne sort rien de sa Veine qui ne soit digne de l’empressement qu’on marque pour en avoir des copies.

STANCES
SUR LA PAIX.

A la fin l’Europe calmée
 Abandonne ses vains projets,
 Et la jalouse desarmée
 Se résout à souffrir la Paix.
Aprés tant de Combats, de Sieges, & d’allarmes,
 Elle a vu la necessité
 De confier sa sûreté
 Plutost à la foy d’un Traité
 Qu’à la foiblesse de ses armes.
***
 Rien ne résistoit à nos coups,
 Et cette Ligue à tant de testes,
 Bien loin de conquerir sur nous,
N’a pû nous empêcher de faire des Conquestes.
 Mais pourquoy vainqueurs tant de fois
 Parler encor de nos exploits ?
Laissons aux Ennemis le soin de nôtre gloire.
 Il faudra que pour leur honneur
 Ils fassent dans leur propre Histoire
 L’éloge de nostre valeur.
***
 Ainsi, quand Achille en furie
 Perçant jusques aux derniers rangs,
 De Heros ou morts, ou mourans
 Couvroit les Plaines de Phrygies
 Ces infortunez demi-Dieux
 Estimoient leur sort glorieux,
 D’avoir disputé la victoire ;
Et pour se consoler dans leur dernier malheur,
 Croyoient que le nom du Vainqueur
 Honoroit assez leur memoire.
***
Louis plus glorieux, & plus grand que jamais,
 S’est fait voir à toute la terre
 Aussi juste en dictant la Paix
 Que redoutable dans la guerre.
S’il rend aux Alliez des Forts qu’il leur a pris,
 Tout ce qu’il leur en abandonne
 Fait des biens de nos Ennemie
 Le prix du repos qu’il nous donne.
***
 Vous, qu’une panique terreur
 Avoit unis contre la France,
 Pour reconnoistre vostre erreur
Voyez comme Louis use de sa puissance.
Se trouvant en tous lieux Vainqueur & Conquerant,
A de si douces loix deviez-vous vous attendre ?
 Joüissez d’un bonheur si grand.
Et comptez beaucoup moins les Places qu’il vous rend,
Que celles qu’il estoit en estat de vous prendre.

[Madrigal sur le mesme sujet] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 212-213.

Le Madrigal qui suit est de Mr Lucas, dont vous connoissez le genie & le merite.

LOUIS donne la Paix, ce sage Conquerant
Va se vaincre soy-même, & terminer la guerre,
 Puisque vaincre Louis le Grand,
Est plus que de dompter tous les Rois de la terre.

[Retour du Roy à Versailles] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 229-230.

Le Roy arriva à Versailles le Vendredy 25. de ce mois, aprés avoir passé la plus grande partie de l’automne à Fontainebleau. Sa Majesté qui se trouve dans une parfaite santé, y a souvent pris le divertissement de la chasse, & il y a eu tous les soirs alternativement Comedie & Appartemens. Les Appartemens consistent en Jeu & en Concerts de Musique.

[Transport du Corps de Mr de Santeul à Paris, à l’Abbaye de Saint Victor, avec le service fait dans cette Abbaye] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 231-235.Voir également cet article.

Vous avez appris la mort de Mr de Santeuil arrivée à Dijon au commencement du mois d’Aoust dernier & qu’il y fust mis comme en depost dans l’Eglise de Saint Estienne, Mr Fyot en est Abbé dont le merite n’est pas moins connu à la Cour que dans la Province. Les Religieux de l’Abbaye de Saint Victor ayant souhaité d’avoir le corps de leur Confrere dans leur Eglise, ils l’ont obtenu par le credit de S.A.S. Monsieur le Prince, qui a bien voulu dans cette occasion faire fournir aux frais du transport du corps, & donner une dernière marque de l’affection dont il a honoré depuis longtemps cet illustre Defunt. Son esprit et sa grande capacité se sont assez fait connoistre par ses Ouvrages qui sont imprimez, & par ceux qu’on voit dans plusieurs lieux du Royaume, consacrez à la posterite, qui attirent l’admiration, mais sur tout par les Hymnes sacrez qu’il a composez, que plusieurs Prelats de grand merite ont cru devoir estre mis dans leurs Breviaires, & chantez dans leurs Eglises. Il ne faut pas s’étonner si Son Altesse Serenissime, qui a tant de goust pour les belles choses, & pour les personnes sçavantes, l’avoit pris en affection. Elle a témoigné en toutes occasions beaucoup d’estime pour la maison de Saint Victor en general, & pour plusieurs personnes de la Communauté en particulier, qui sont connuës d’elle. Le corps ayant esté porté à Paris, on y fit le dix-huitième de ce mois un Service magnifique, où beaucoup de gens de toutes les conditions, Sçavants & autres, assistérent, & il fut enterré dans le Cloistre. On doit mettre un Epitaphe sur sa tombe, digne du sujet.

[Gouvernement de Marseille donné à Monsieur le Marquis de Forville] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 235-241.

Le Gouvernement de Marseille s’estant trouvé compris dans l’Edit de nouvelle création, le Roy, pour donner à Mr le Marquis de Forville, qui en estoit pourvû en survivance de feu Mr de Pilles, son Pere, depuis environ quinze ans, de nouvelles marques de ses bontez, & de la satisfaction qu’il a de ses services, luy a accordé des Provisions à titre hereditaire de ce nouveau Gouvernement avec des circonstances si glorieuses pour luy, que ce qui avoit paru un contre-temps facheux, s’est tourné en un honneur éclatant. Si tost qu’il eut desarmé les quinze Galeres qu’il commandoit, il fit communiquer au Maire & aux Echevins de Marseille, ses nouvelles provisions du Gouvernement de cette Ville-là, aussi bien que celles que Sa Majesté luy a fait expedier en même temps de sa confirmation en la Charge de Viguier de la même Ville. Le Conseil de Ville fut convoqué le 30. d’Aoust, & le Maire & les Echevins les y firent & enregistrer. Il est marqué dans celles du Gouvernement, que le Roy pourvoit Mr le Marquis de Forville du Gouvernement de son importante Ville de Marseille. Le lendemain le Maire & les Echevins ayant fait annoncer par un tres-grand nombre de Tambours & de Fifres dans tous les Carrefours de la Ville, la ceremonie du jour suivant pour la reception de leur Gouverneur, les Habitans s’y disposerent avec des témoignages extraordinaires de joye. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 244-245.

Les Vers qui fuivent ont esté mis en Air par un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 244.
Non, rien ne peut ègaler mon ennuy,
J'aime depuis longtemps un Berger que j'adore,
Et de ma tendresse aujourd'huy,
Ce charmant Berger doute encor,
Helas, helas ! peut-il douter que mon cœur est à luy.
Quand malgré tous mes soins personne ne l'ignore ?
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Sonnet §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 250-252.

Le Sonnet qui suit marque bien les réjoüissances qui furent faites aprés cette publication de la Paix. Il est de Mr Maugard le jeune.

SONNET.

Quels beaux feux allumez en mille endroits divers
Marquent de tous Paris la joye universelle !
Qu’entens-je ! le Canon vers la Grève m’appelle.
De tambours, de clairons, quel bruit, & quels concerts !
***
Le salpestre étoilé serpentant dans les airs
Forme au cœur de la nuit une clarté nouvelle.
Les Astres jettent-ils une lueur plus belle
Que ce souffre enflamé qui produit mille éclairs ?
***
Ces beaux feux dissipant les tenebres & l’ombre,
Font le jour le plus beau de la nuit la plus sombre,
Tout l’hemisphere a part au bonheur de ces lieux.
***
Tout apprend que Louis a terminé la guerre.
La Paix par nos Heraults publiée à la Terre,
Par ces Couriers volans est annoncée aux Cieux.

[Addition à l’Article de Montargis] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 257-262.Complément d'un premier article sur le voyage de Monsieur et Madame p. 213-217 du même mois.

J’ajoûte à ce que je vous ay déjà dit dans cette Lettre touchant la promenade que Leurs altesses Royales ont faites au Chasteau de Montargis, auquel Charles V. Charles VII. Charles VIII. & Loüis XII. ont fait travailler, que Saint Loüis a fait bâtir la grande Salle de ce Chasteau, & qu'encore qu'il n'y en ait aucune au monde, qui soit aussi longue & aussi large, elle est pourtant sans piliers. Son Altesse Royale, à qui la magnificence est ordinaire, a fait faire de nouveaux embellissemens aux Appartemens. Deux jours après l’arrivée de ce Prince, les Pensionnaires du College des Peres Barnabites luy donnerent un divertissement, qui fut representé dans l’un des Appartemens du Chasteau, & dont voicy le sujet. Le Dieu Penate & le Genie de ce Palais se réjoüissent ensemble du bonheur qu’ils ont de posseder Leurs A.R. Le Sommeil & le Silence paroissent ensuite, & se plaignent d’abord d’avoir demeuré si longtemps dans ces vastes & magnifiques Appartemens, sans avoir esté interrompus. Mais surpris tous deux d’un si grand changement, ils se demandent l’un à l’autre, d’où peut venir ce nouvel éclat, qui paroist tout d’un coup dans ce Chasteau. Le Sommeil croit que c’est Charles V. qui revient avec toute sa sagesse ou Charles VII. suivi de toutes ses Victoires. Le Silence le persuade que c’est Charles VIII. qui raconte ses conquestes d’Italie, ou Louis XII. Pere du Peuple, qui revient voir son ancien Appanage, qu’il avoit possedé en qualité de Duc d’Orléans. Mais le Dieu Penate & le Génie du Chasteau leur font connoistre que c’est encore quelque chose de plus grand, puis que c’est le Vainqueur des Allemans, des Espagnols, & des Hollandois à la Bataille de Cassel, le Frere de Loüis le Grand. Le Sommeil & le Silence charmez de ce qu’ils entendent, & de ce qu’ils voyent, demandent au Ciel de pouvoir changer de nature. Le Sommeil veut toujours veiller, & le Silence veut toujours parler pour publier les vertus de ce Prince par toute la terre, si bien que continuant en même temps leurs demandes & leurs souhaits, ils disent ensemble.

Ah ! suivons, ouy, suivons tous deux
Le feu de nostre ardeur fidelle ;
Heureux & mille fois heureux.
Si le succès répond à notre zele.

Ce divertissement parut agreable à leurs Altesses Royales, qui partirent de Montargis, après avoir fait leurs prieres dans la nouvelles Eglise que Monsieur a fait bâtir en action de graces de la victoire qu’il a remportée à Cassel.

[Ceremonies observées à la Publication de la Paix] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 262-265.

Je vous ay dit que la Paix avoit esté publiée à la Haye le 21. de ce mois. Voicy de quelle maniere cette ceremonie se passa. La publication se fit sur le midy par le Secretaire de la Ville, au haut de l’escalier, par lequel on monte à la Salle des Etats. Elle fut suivie du bruit des Timbales & des Trompettes, & d’une triple décharge d’une partie de la Bourgeoisie sous les armes, qui s’estoit renduë en ce lieu-là. Cette Bourgeoisie se divise en six Compagnies, dont on avoit commandé de chacune un détachement de vingt-quatre Bourgeois, lesquels s’estoient assemblez sur les onze heures dans une des Places publiques de la Ville, d’où ils vinrent tambours battans & en bon ordre formant six Compagnies avec leurs Officiers en teste devant l’Hostel de Ville, où il y avoit un monde infini.

La publication de la Paix ayant esté faite, ces six Compagnies reconduisirent dans le même ordre qu’ils estoient venus, leur Colonel à son logis, devant lequel ils firent plusieurs décharges aprés en avoir déjà fait plusieurs pendant leur marche. Ces Bourgeois estoient fort lestes, & avoient tous des plumes à leurs chapeaux. Ils n’avoient épargné ny les rubans, ny la dentelle. Ils avoient passé toute la matinée à aller par brigades dans toutes les ruës où ils saluoient leurs amis par des décharges de leurs mousquets. Les six Compagnies ayant ensemble reconduit leur Colonel, chaque Compagnie reconduisit son Capitaine qui les regala. Plusieurs particuliers firent le soir des feux d’artifice.

[Relation de l’Audience donnée aux Ambassadeurs de Moscovie à la Haye] §

Mercure galant, octobre 1697 [tome 10], p. 265-273.

Je reçois presentement une relation de ce qui s’est passé à l’Audiance que les Ambassadeurs de Moscovie ont euë des Etats de Hollande, & je dois vous en faire part. L’heure de l’Audience estant fixée pour midy, quarante ou cinquante carosses à deux & à quatre chevaux destinez pour le cortege des Ambassadeurs, s’assemblèrent sur les onze heures, avec les deux carosses de l’Etat dans la cour du Château, mais les trois carrosses des Ambassadeurs se rangèrent du costé du Doule où ils estoient logez, & on amena dans le même endroit une douzaine de chevaux pour servir de monture à six de leurs Trompettes & à six Officiers Moscovites vêtus à la Tartare que l’on dit estre Officiers de la Justice du Czar. Le premier de ces carrosses est estimé dix mille écus & estoit attelé de huit chevaux de prix. Le second estoit aussi tres-riche, mais attelé seulement de six chevaux. Le troisième qui n’estoit pas doré comme les autres, estoit neanmoins fort propre & à six chevaux. Sur le midy la pluspart des carrosses de cortége sortirent de la cour du Chasteau, & les trois Deputez de l’Etat estant montez dans l’un des carrosses que je viens de marquer, la marche commença par le Maîstre d’Hostel de l’Etat à cheval, destiné pour la regler. Il estoit suivi de treize Bourgeois de la Haye qui alloient deux à deux portant chacun un bâton en forme de fourchette. Au bout de ces bâtons on devoit mettre une centaine de Martres zibelines que les Ambassadeurs avoient ordre d’offrir dans leur Audience à Mrs de l’Etat. Les carrosses qui estoient dans la cour, & ceux qui s’estoient rangez aux environs, suivirent ceux de l’Etat, & estant arrivez devant le Doule, les Deputez en sortirent, & montèrent dans l’Appartement où estoient les trois Ambassadeurs, lesquels après avoir répondu au Compliment qui leur fut fait de la part de l’Etat, descendirent pour se mettre tous trois dans le plus beau de ces deux carrosses, accompagnez seulement de deux petits Nains, qui se placérent aux portieres. Les trois Deputez de l’Etat se mirent dans l’autre carrosse qui marcha le premier, & plusieurs Officiers de l’Ambassade & de l’Etat, dans les carrosses de cortége. Il y avoit deux jeunes Princes de Moscovie qui se mirent dans un des carrosses à six chevaux. Les Trompettes habillez à la Tartare montérent en même temps à cheval, & le Maître d’Hôtel de l’Etat eut bien de la peine à s’ouvrir un passage du côté du Viverberg. La marche commença par six Officiers des Moscovites avec des carquois & des boucliers fort riches. Ils estoient suivis des Bourgeois qui portoient les Zibelines au bout de leurs bâtons. On voyoit ensuite six Trompettes dont les habits à la Françoise estoient tout galonnez d’argent. Ils estoient suivis de vingt valets de pied, dont les habits & les chapeaux estoient aussi galonnez d’argent. Le carosse des Deputez de l’Etat paroissoit après, estant suivy de celuy où estoient les Ambassadeurs. Leurs habits estoient d’étofe d’or, & faits à la manière de leurs pays ; ceux des Nains estoient à la Françoise. Un grand nombre de Pages vêtus de mesme estoient montez sur le devant & sur le derriere du carosse, à côté duquel marchoient douze Heyduques ayant une aigrette fort haute à leurs bonnets & tenant un bâton dont l’armure estoit d’argent. Les trois carosses des Ambassadeurs suivis de plusieurs autres, fermoient la marche. La presence du Czar qui devoit estre incognito à l’Audience, fut cause que les Ambassadeurs demeurerent debout pendant le temps qu’on y employa, ainsi que toute l’Assemblée des Estats. Madame de Harlay vit aussi incognito cette Ceremonie. Comme elle se trouva sur leur route suivie de deux de ses carosses à six chevaux pour les voir passer, elle les salua, & les Ambassadeurs firent faire halte à leur carosse pour luy rendre le salut, & firent retourner leurs Trompettes sur leurs pas, pour la regaler de plusieurs fanfares.