1698

Mercure galant, avril 1698 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1698 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1698 [tome 4]. §

Sur la Paix. Sonnet §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 7-10.

Les Vers qui servent de commencement à cette Lettre, peignent parfaitement bien la bonté du Roy, qui dans les grandes choses qu’il a faites depuis qu’il gouverne son Royaume par luy-même, n’a jamais eu en veuë que le bien public, jusqu’à se faire enfin une gloire de renoncer à ses Conquestes pour assurer le repos de ses Sujets.

SUR LA PAIX.
SONNET.

L’Invincible LOUIS arreste son tonnerre,
L’amour de ses Sujets desarme son couroux,
Et l’Europe le voit malgré tous ses Jaloux,
Le Maistre de la Paix, ainsi que de la Guerre.
***
Ces Canons dont le bruit a fait trembler la terre,
Ne font plus retentir que d’agreables coups,
Et le Peuple charmé d’un changement si doux,
Voit l’orgueil des Titans se briser comme un verre.
***
Ce grand Roy qui par tout fait redouter les Lis,
Satisfait des Lauriers que son bras a cueillis,
Trouve enfin son repos dans le sein de la gloire.
***
Il cede au bien public ses droits de Conquerant,
Et pour sceller la Paix d’une double victoire,
Il gagne tous les cœurs par les Places qu’il rend.

Ce Sonnet est de Mademoiselle de Razilly, qui ne pouvoit mieux employer son heureux talent pour la Poësie, qu’a faire connoistre ce que la France doit à son Auguste Souverain.

Regrets d’un Mary sur la mort de sa Femme §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 77-84.

L’esprit estant étroitement uni au corps, & comme noyé dans la matiere, il en devroit, ce semble, subir le sort, & en ressentir toujours les altérations. Le contraire arrive cependant quelquefois, & comme si Dieu vouloit faire entendre aux Libertins & aux Incredules, que les ames ne perissent pas avec le corps, mais qu’elles sont inalterables & immortelles, il les conserve avec tous leurs avantages dans quelques personnes, dont les corps usez tombent en ruine comme les vieux bastimens, & ne sont presque plus organisez. Mr d’Emery, Medecin de Bordeaux, est une de ces personnes. Ses infirmitez, inseparables de l’extrême vieillesse où il est, sont, pour ainsi dire, autant de bréches, au travers desquelles on voit briller cet esprit vif & solide, qui luy a fait meriter l’estime & l’amitié d’un grand nombre de personnes recommandables par leur merite & par leur sçavoir. Les Vers qui suivent en sont une preuve. On n’y voit guere moins de feu que dans plusieurs autres Ouvrages de sa façon, que vous avez lus dans mes premieres Lettres. Celuy cy est adressé a Mademoiselle de Scudery, son illustre Amie.

REGRETS D’UN MARY
sur la mort de sa Femme.

En vain m’ordonnez-vous de garder le silence,
 Inflexible & dure constance.
Pourquoy ne pas pleurer sur le triste tombeau
 D’une Femme si necessaire ?
 Elle ne songeoit qu’à me plaire,
Et qu’à rendre mon sort plus heureux & plus beau.
***
 Retirez-vous, superbes Conseilleres,
 Vertu, raison, constance, fermeté,
Je ne puis écouter vos discours témeraires,
 Ny me soumettre à vostre autorité.
Orgueilleuse Vertu, tes loix sont tiranniques,
Tu n’as, fiere raison, que des leçons iniques.
Constance, fermeté, vous me parlez en vain,
Je vous écouterois si j’estois inhumain.
***
Quoy, mon ame perfide, insensible & barbare,
Banniroit pour jamais sa fidelle amitié ?
 Je fermerois mon cœur à la pitié,
Et d’un objet aimé dont le Ciel me sépare,
 Je deviendrois l’odieuse moitié ?
***
Non, ne me presse plus, patience importune.
Je ne sçaurois moderer mon tourment.
Helas ! je ressens trop ma cruelle infortune ;
Qui la peut endurer souffre legerement.
 Quand je songe à tant de tendresses,
Remedes employez à guerit mes tristesses,
Que sont-ils devenus ces soins officieux ?
 Ces propos si délicieux,
 Ces entretiens si chers à ma retraite,
Ces fers portez sans douleur & sans bruit,
Ces doux plaisirs d’une flâme discrete ?
Ils se sont dissipez comme l’ombre qui fuit.
***
Vous m’exhortez encore à retenir mes larmes,
Perfides voluptez, je ne vous connois plus.
Ma vie est presque usée, & je sens tous vos charmes
 S’évanoüir en desirs superflus.
Je veux pleurer & courir à ma perte.
Comme un fidelle Epoux & comme un cher Ami.
La mort m’appelle où la tombe est ouverte,
Et le cercueil n’est rempli qu’à demi.
***
Mais enfin, ô vertus, à mes maux si propices,
 Je me rens à vos bons offices,
Mon cœur s’est contre vous trop long-temps défendu.
 Dans la douleur qui me désole,
 Vous voulez que je me console,
 Rendez-moy ce que j’ay perdu,

À SAPHO

Faites place à Sapho, Vertus de toutes Langues,
Je refuse l’oreille à vos belles harangues,
Vos raisons n’ont sur moy ny force, ny credit.
Si Sapho seulement m’offre ce qu’elle écrit,
Quand la mort d’un Ami luy fait prendre la plume,
La douceur de ses Vers guerira l’amertume
 Que la douleur répand dans mon esprit.

[Lettre en Prose & en Vers de Mr l’Abbé de Poissy] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 99-111.

Vous ne serez pas fâché de voir ce que Mr l’Abbé de Poissy a écrit au jeune fils de Mr le Comte de Crécy, qui vient de donner ses soins à la conclusion de la Paix, en qualité de Plenipotentiaire, & d’Ambassadeur Extraordinaire du Roy aux Conferences tenuës à Riswik.

À Monsieur le Comte de Crécy le Fils.

A quinze ans, sçavoir le bel Art de charmer, heureux présage ! Que ferez-vous, dites-moy, dans un âgé plus meure ? Courage, cher Comte, profitez du temps. Joignez à l’assiduité du travail, la facilité de vôtre genie. La Science est pour l’homme un riche Trésor. Faites un fond pour n’être point neuf, en quelque état que le Ciel vous appelle. Ayez la noble ambition d’y tenir le premier rang. Que les richesses ne vous soient point des dégrez pour y monter. L’Or est une clef, dont mille gens se servent pour s’ouvrir les portes qui conduisent aux grandes Charges.

Fore enim tutum iter & patens converso in pretium Deo.

L’Or vient à bout de tout.

Aurum per medios ire satelites
 Et perrumpere amat saxa.
Avec l’Or on arrive en poste
Au plus considerable Poste.
Combien voyons nous d’ignorans
Occuper les illustres Rangs !
Combien sans esprit, sans conduite,
 À qui le Bien tient lieu de talens, de merite !
Il en est à la Ville, il en est à la Cour,
J’en vois fourmiller chaque jour.

Toute Profession à ses ignorans. Voyons les Corps les plus celebres.

Dans une faculté sont-il tous sçavans ? non.
Tel qui se dit Docteur n’en porte que le nom :
Certain qui fait icy le petit Hipocrate,
Ne sçait de quel côté les hommes ont la Rate.
L’ignorance l’érige en honneste Bourreau.
Passons outre, cher Comte, entrons dans le Barreau.
Il est des Avocats dont la haute Science
Fait briller en tous lieux une utile Eloquence.
Nous avons aujourd’huy des Cicerons François.
Qui protegent le Peuple & font fleurir les Loix ;
Mais on n’en voit que trop dont la langue novice
Ne rendit à l’Etat jamais aucun service.
Il faut donc travailler ; car pour vous parler net,
Sans Etude, à quoy sert la Robe & le Bonnet ?
D’un muet Avocat la parlante liasse
Montre aux yeux du Public son ignorance crasse.
Ce rebut de Themis, cet Animal rétif,
Ne voit point assez clair dans un sac instructif.
Peut-estre a t'il aussi les visieres mal nettes,
Si sa vûë est debile, il luy faut des Lunettes.
Je me trompe, son mal ne vient point de ses yeux,
Mais de ne rien sçavoir, & d’être déja vieux.

Quel chagrin ne ressent point un homme de petit genie, qui ne sçait point sa Profession, lors qu’il se voit :

Le Burlesque sujet de tous les entretiens,
La Fable d’une Ville, & le joüet des siens.
Comment regarde t’on ce Maître de Musique,
 Dont le chant est Gothique,
Et qui sur une Ardoise accordant certain sons,
Fait siffler à la Cour ses chetives Chansons ?
Que ne pense-t-on point de ce maigre Poëte,
Qui nous donne des vers que le Public réjette ?
Quel cas fait-on d’Artus dont l’ignorant Pinceau,
Ne sçauroit ébaucher qu’un informe Tableau ?
Et que ne dit-on point du Geometre Alcide,
Qui ne peut démontrer les élemens d’Euclide ?

Si l’ignorance nous expose à la confusion, & nous livre au mépris, elle cause souvent bien des maux.

 Le Ministre sacré,
 Qui loin d’être éclairé,
À peine entend le Latin du Breviaire,
Est dommageable à l’ignorant Vulgaire.
Et comment du Prochain guidera-t-il les pas,
 S’il ne voit pas ?
Prétend-il m’éclairer ? qu’avec un soin extrême,
Il commence d’abord par s’éclairer soy mesme.
Un Juge qui jamais dans le Code ne lût,
Qui ne connut jamais ce que c’est qu’Institut,
Prononçant une injuste & fatale Sentence,
 Opprime l’innocence.

Tels sont les funestes effets de l’incapacité. Voyons les biens que les Grands Hommes font à l’Eglise & à l’Etat.

Bossuet, ce fidelle & sacré Conducteur,
Découvre en ses Ecrits des routes assurées,
Et ramene au Troupeau les Brebis égarées,
 En bon & vigilant Pasteur.
Par le docte secours d’une vive éloquence,
Le zelé Bourdaloüe a sçû charmer la France,
Et son Stile remply d’une sainte Onction,
A jetté le Pécheur dans la Componction.
 F… cet homme inestimable
Connoissant de nos corps la Machine admirable,
Ses ressorts differens, ses mouvemens divers,
A répandu son Nom au bout de l’Univers.
 Que son sort est digne d’envie !
Le salut de l’Etat est bien entre ses mains.
Bon-heur, repos, destin, tout dépend de la vie
 Du plus puissant des Souverains.
Par un heureux sçavoir où l’on ne peut atteindre,
 F… répond à nos vœux empressez,
Pour les jours de LOUIS nous n’avons rien à craindre,
  Il en a soin, & c’est assez.
 Vauban que la Cour considere,
Est pour toute une Armée un apuy salutaire.
Le Ministre éclairé, le docte Magistrat,
Le profond Directeur, l’éloquent Avocat,
Le Medecin expert, l’Ingenieur habile,
Tout Grand Homme, en un mot, au Public est utile.

[Lettre sur le bon goust] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 114-124.

Rien n’est plus à souhaiter que de sçavoir en quoy le bon goust consiste. Voyez si vous tomberez d’accord de ce qui en est dit dans les deux Lettres qui suivent.

À Monsieur…

Je ne sçaurois mieux m’adresser qu’à vous, Monsieur, pour sçavoir si nous avons bien rencontré dans l’idée du bon goust, si necessaire pour bien juger des compositions de l’esprit. Vous avez toutes les qualitez qui mettent un homme en droit de prononcer souverainement sur ces matieres, l’esprit, la science, l’autorité. Je me suis trouvé depuis peu dans une compagnie de personnes de Lettres, où l’on en parla à l’occasion de la celebre Dispute, qui est entre quelques Sçavans au sujet de la préference des Anciens & des Modernes. Comme vous sçavez parfaitement ce qui s’est passé dans cette Dispute, vous vous souvenez que les Partisans des anciens reprochent hautement aux autres, qu’ils sont sans science & sans goust ; & quelqu’un de la Compagnie dit à cela, que les Partisans des Modernes pourroient faire le mesme reproche à leurs Adversaires, & qu’ainsi ces reproches ne servoient de rien à la décision de la question. De sorte que (ajoûta-t-il) pour connoître qui a raison des uns ou des autres, c’est une necessité de sçavoir auparavant, ce que c’est que le bon goust, & en convenir ; autrement on pourra toujours disputer, parce que l’on n’aura point de regle certaine pour terminer la Dispute. Je me souvins alors de la belle idée que j’en avois trouvée, dans la Preface de la version de deux Comedies d’Aristophane, par la sçavante Me… Elle dit que le goust est une harmonie, un accord de l’esprit & de la raison, & que l’on en a plus ou moins, selon que cette harmonie est plus ou moins juste. Aprés que j’eus proposé la pensée de cette Sçavante, la sçavante Compagnie demeura quelque tems dans le silence, chacun la voulant un peu examiner en soy-même, avant que de dire ce qui luy en sembloit. Et enfin quelqu’un dit que cette distinction n’étoit pas encore capable de vuider la querelle, parce qu’il n’y a personne qui ne puisse prétendre que son esprit est d’accord avec la raison, & par consequent qu’il a le bon goust. En effet, si dans toutes les disputes chacun prétend avoir la raison de son côté, chacun peut prétendre de mesme que son esprit est d’accord avec la raison. On crut donc qu’il falloit chercher quelque chose qui déterminat davantage l’idée du goust, qui la rendist plus précise & moins équivoque ; & on trouva que l’ordre pourroit bien faire cet effet. On entendoit par l’ordre ce qui met chaque chose à sa place, les inferieures au dessous des superieures, & les égales au mesme degré ; ce qui regle nos pensées, nos affections & nos desirs ; en un mot, ce qui nous fait voir les choses comme elles sont, & nous les fait aimer selon le degré de merite que nous y voyons. Un autre prit la parole, & prétendit que l’ordre dans ce sens n’estoit autre chose que la raison, & qu’ainsi le terme d’ordre ne feroit point ce que celuy de raison ne pouvoit faire. On luy répondit qu’il n’estoit pas tout-à-fait vray que la raison & l’ordre fussent la mesme chose ; que l’on pouvoit dire que ce qui faisoit la nature de l’homme raisonnable, estoit sa capacité de connoistre l’ordre, & que ce qui le rendoit raisonnable dans ses mœurs, estoit son attachement à l’ordre. C’est pourquoy on convint qu’il n’estoit pas si aisé d’abuser du terme d’ordre que de celuy de raison ; & on fut d’avis de mettre le premier dans la définition du goust, au lieu du dernier. Mais un quatriéme demanda s’il suffiroit d’avoir l’esprit d’accord avec l’ordre, pour juger de tous les Ouvrages de l’esprit, comme des pieces d’Eloquence & de Poësie, dont on sçait que la beauté & le prix consiste en partie dans l’arrangement des mots, le nombre, & la cadence. Cette remarque nous obligea de faire entrer l’imagination dans nôtre idée, & nous crûmes pouvoir dire que le goust consiste dans l’harmonie de l’esprit & de l’ordre, & dans l’accord de l’imagination avec l’un & avec l’autre. On fit ensuite beaucoup de reflections sur cette idée ; on en fit experience sur beaucoup de sujets, on trouva qu’elle estoit & précise & complette, qu’elle ne laissoit point d’équivoque, & qu’elle s’étendoit aux compositions de tout genre ; & enfin qu’un homme dont l’ame se trouveroit dans cet heureux concert, jugeroit toujours juste, se plairoit dans tous les Ouvrages où les choses seroient conformes à l’ordre, & où le stile seroit digne des choses ; qu’il rebutteroit au contraire ceux où l’ordre seroit blessé & les bien-séances mal gardées, soit dans le stile, soit dans les choses. Voilà, Monsieur, les pensées qui nous vinrent au sujet du goust, & quoi qu’elles nous ayent assez plû, nous ne voulons pas neantmoins les croire exactes, que nous ne sçachions vôtre sentiment, résolus de les abandonner comme fausses, si vous en jugez autrement que nous. Je suis, Monsieur, &c.

[Réponse à la Lettre précedente] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 124-135.

RÉPONSE.

Je vous suis extrêmement obligé, Monsieur, de sa bonté que vous avez de me faire part de vos découvertes, & de m’instruire sous le prétexte de me faire l’honneur de me consulter. Tout Academicien que je suis, je ne présumeray jamais de pouvoir en apprendre à un homme de vôtre esprit & de vostre capacité ; mais puis que vous souhaitez mon suffrage, je vous diray qu’aprés avoir réfléchi sur ce que vous me mandez, il m’a semblé que l’on ne pouvoit rien penser de meilleur sur le goust de l’esprit. Je me suis affermi dans cette pensée en comparant ce goust avec celuy de la langue. Le premier doit, ce me semble, résulter da la santé de l’ame, comme le second résulte de celle du corps. Or il est certain que l’ame est parfaitement saine, lors que toutes ses facultez sont dans un parfait accord entre elles, & avec l’ordre ; & l’homme alors juge sainement de tout. Il est raisonnable, sage, judicieux, en un mot, de tres-bon goust ; de même que le corps se porte bien, & prend plaisir dans les viandes les plus propres à le nourrir, lors que toutes ses parties se trouvent dans une juste proportion. Je croy donc, Monsieur, que vous avez découvert la regle, qui doit faire la décision entre les Anciens & les Modernes ; & qu’il n’y auroit plus qu’à en faire l’application. Il faut adjuger la préference à ceux, dont les pensées & les raisonnemens auront plus de rapport avec l’ordre, qui auront le mieux connu le prix & le merite de chaque chose, qui les auront le plus justement placées dans leur esprit & dans leur affection, selon le degré de leur merite ; & enfin qui en auront parlé d’une maniere plus convenable. Si les Anciens l’emportent sur les Modernes à tous ces égards, le bon goust voudra que l’on les mette au dessus des Modernes ; mais on peut douter que cela soit, ou bien nos Ecrivains n’auroient guere profité des lumieres qu’ils ont, & que n’ont point euës les Anciens ; car on entend icy par les Anciens, les Payens. Il me semble même que l’on pourroit donner beaucoup d’exemples, qui feroient voir que ceux qui s’occupent trop de l’étude des anciens, & qui ne rectifient pas ce qu’ils y ont apris par la lecture des Livres, où se puise la connoissance & l’amour de l’ordre, n’ont pas ce goust exquis dont vous avez donné l’idée. Sans en aller chercher plus loin, on en peut trouver dans la Preface mesme, qui vous a fourni le fonds de cette idée ; tant il est vray que l’on peut avoir beaucoup d’esprit & de science, sans pourtant avoir avec l’ordre ce juste raport qui fait le bon goust. Je vous prie, Monsieur, de me dire si c’est l’harmonie de l’esprit & de la raison, qui fait que l’on est charmé de la souplesse de l’esprit d’Aristophane, qui luy rendoit si facile l’art de tourner en ridicule les choses les plus parfaites ?

Si l’ordre veut que l’on estime & que l’on aime les choses à proportion de ce qu’elles sont parfaites, le moyen que ce soit par la sympathie de nôtre esprit avec l’ordre, que nous soyons touchez du plaisir, lorsque nous les voyons déshonorer & rendre méprisables ? On sçait bien que quand les choses excellentes sont representées sous un air bas, & tout-à-fait opposé à ce qu’elles sont, ces surprises forcent quelque fois les Sages mesmes de rire ; mais ce ris forcé, bien loin de devenir un charme, est bientôt suivi de pitié, d’indignation & de zele. Aprés avoir traduit & lû deux cens fois la Comedie où ce Poëte s’est le plus signalé dans l’art de ridiculiser la vertu, on dit que l’on ne s’en est point lassé, ce qui n’est jamais arrivé d’aucun autre Ouvrage. C’est une grande loüange que l’on a donnée à feu Mr le Duc de Montausier, lorsque l’on a dit de luy qu’il avoit lû cent dix-sept fois le Nouveau Testament. Le plaisir qu’il y prenoit estoit la marque d’un esprit bien ordonné, puisque c’est dans ce Livre que se trouvent les loix de l’ordre. Mais lire deux cens fois & toujours avec goust, une Comedie que l’Auteur avoit entreprise pour faire perir le plus honneste homme d’Athenes, & dont le succés respondit au dessein, puisque la representation de cette piece mit la populace en fureur, & luy fit demander la mort de Socrate, cet homme que l’on apelle la Sagesse mesme ; de bonne foy, si c’est-là sympathiser avec la raison & avec l’ordre, je ne sçais ce que l’on appellera sympathiser avec le desordre & la confusion. Quand il vous plaira, Monsieur, relire cette Préface avec la délicatesse de vôtre discernement, c’est à dire avec vôtre bon goust, vous y pourrez remarquer plusieurs autres traits qui ne sont pas les preuves d’un esprit toujours réglé par les loix de l’ordre ; ce qui fait voir d’une maniere bien évidente, qu’il faut nourrir son esprit d’autres lectures que des profanes, pour se former un goust excellent. Mais, Monsieur, pour montrer la justesse de vôtre idée du bon goust, vous avez les paroles de l’Apôtre ; car il ne peut y avoir qu’un bon goust, comme il n’y a qu’un ordre & qu’une raison ; & ce bon goust doit necessairement estre celuy qui nous fera sentir du plaisir dans les choses, dont la méditation doit faire icy bas toute nôtre sagesse, & dont la possession fera nôtre felicité dans le Ciel. Quæ sursum sunt sapite. Voilà, Monsieur, ce que j’ay pû penser pour appuyer vôtre sentiment, que je regarderay toujours en cela, & en toute autre chose, avec le mesme respect que l’on doit regarder les loix des Legislateurs. Je suis avec beaucoup d’estime, Vôtre, &c.

Le retour de la Paix. Ode §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 135-145.

Voicy un Ouvrage de Poësie, dont le Titre suffira pour vous donner de la curiosité. Il a tout le feu qu’on peut souhaiter dans les beaux Ouvrages.

LE RETOUR
de la Paix.
ODE.

Quittez la voûte azurée,
Revenez, Paix desirée,
L’aimable Olive à la main.
C’est LOUIS qui vous invite.
Jugez si vostre visite
Se peut remettre à demain.
***
 Craignez, beauté sans égale,
Une orgueilleuse Rivale
Qu’on ne méprisa jamais.
Belle Paix, c’est la Victoire ;
De tout l’éclat de la Gloire
Elle anime ses attraits.
***
 D’un clin d’œil, d’une parole,
Loüis l’engage, elle vole,
Il la trouve à son costé.
Malgré la puissante intrigue
D’une generale Ligue,
Elle ne l’a point quitté.
***
 Croyez-vous qu’il soit possible
Qu’un grand cœur soit insensible
À l’offre de ses Lauriers ?
Les Guirlandes qu’elle donne
Parent mieux que leur Couronne,
Le front des Princes guerriers.
***
 Pour elle un peu de foiblesse
Se pardonne à la sagesse
Du plus moderé des cœurs.
On n’est point Heros sans elle,
Et la Royauté n’est belle
Que pour les Princes Vainqueurs.
***
 Quand le Ciel fait les Monarques,
Qui peut dire à quelles marques
Il les trouve en des Enfans ?
Son choix ne se justifie,
Qu’en ces beaux jours de leur vie
Qui les font voir triomphans.
***
 Il est bien en la puissance
Du sort & de la naissance
De donner au Peuple un Roy ;
Mais la Victoire aux Rois mêmes
Sçait donner des Rois suprêmes,
Dont ils reçoivent la loy.
***
 Sur les ailes du tonnerre
Loüis au bout de la terre
A fait voler son renom.
Ses boulets & ses cartouches,
Mieux que le Monstre à cent bouches
Ont parlé par son Canon.
***
 Qu’un tel Vainqueur vous appelle
Quand une palme plus belle
L’invite tout de nouveau !
Douce Paix, c’est un prodige.
Les triomphes qu’il neglige,
Rendent le vostre plus beau.
***
 Quoy ! je ne vois point encore
Cette Nymphe que j’implore
Au nom du Roy que je sers !
Elle devroit le connoistre.
Loüis sçait parler en Maistre,
Et même à tout l’Univers.
***
 Ciel, répons par quelque augure
À ma Muse qui murmure
D’un silence injurieux.
Eh, depuis quand tes Oracles
Refusent ils les miracles
À mon Luth imperieux ?
***
 En voicy, mais pour ma peine,
Quel frisson de veine en veine
Glisse l’effroy dans mon cœur !
Je vois voler des Armées
De Menades animées
D’une barbare fureur.
***
 L’Autan du haut du Pyrene,
Dans l’air qui couvre la plaine
En épand les Escadrons.
Tel le Nil donne des ailes
Aux avides Sauterelles,
Et le Caucase aux Dragons.
***
 Le choc de l’airain qui brille,
Le Salpêtre qui petille,
Rendent mes sens engourdis.
Moins bruyans dans le Tenare
Sont les coups, le tintamare,
Les Manes moins interdits.
***
 Oh, quelle horrible Gorgone,
Dont le soufle m’empoisonne ?
L’aspect me glace le sang.
Mille couleuvres siflantes
Forment ses tresses flottantes
Sur l’un & sur l’autre flanc.
***
 Qui ne connoistroit la guerre
À ce fumant Cimeterre,
Qu’elle branle dans sa main ?
Ciel, comme elle est empourprée !
Où s’est-elle ainsi vautrée
Dans des flots de sang humain !
***
 Elle en tache le nuage,
Elle en fait sur son passage
Tomber les rouges grumeaux,
Tels que le Berger les trouve,
Où la carnaciere Louve
A démembré ses Agneaux.
***
 Ses yeux que la rage allume,
Sa bouche blanche d’écume,
M’agitent de tristes soins.
Je crains d’estre à son approche
Une veritable roche ;
Niobe le fut à moins.
***
 Mais cessez, frayeurs mortelles,
La Furie à tire d’ailes
Se dérobe à mes regards.
Va, va, Monstre que j’abhorre,
Entre l’Istre & le Bosphore
Revoir le berceau de Mars.
***
 Je vois qui m’en débarasse,
Je vois la Paix qui la chasse.
O quels spectacles divers !
Est ce un songe qui me trompe ?
Quel Char avec tant de pompe
Se balance dans les airs ?
***
 Huit Zephirs des plus tranquilles,
Préferez aux plus agiles,
Luy donnent un train uny ;
Et les superbes tempestes
Cachent doucement leurs testes
Sous le nuage applany.
***
 Ce Trône mobile éclaire
Mieux que la seconde Sphere
Que le Ciel prête à la nuit.
Avec la tristesse sombre
La crainte qui cherche l’ombre,
Ferme les yeux, & s’enfuit.
***
 Sur sa route lumineuse,
La Reine majestueuse
Guide les plaisirs épars.
Elle nous ramene Astrée,
Et l’Abondance dorée
À la suite des beaux Arts.
***
 Tout son Cortege qui vole,
Change en gravier du Pactole
L’air qui touche à ses habits.
Mais sous sa main elle même
Tout à tour produit, & seme
L’Escarboucle & le Rubis.
***
 Ainsi par sa corne humide,
De corail & d’or liquide
Iris verse deux ruisseaux.
Ainsi l’Aube matinale
Répand la Perle, & l’Opale,
En réveillant nos Oiseaux.
***
 J’ay vû brisant des murailler,
Et décidant des Batailles,
La Victoire bien des fois.
Elle est fiere, elle est brillante,
Mais beaucoup moins engageante
Que la Beauté que je vois.
***
 Prés d’elle dans Amathonte,
Cypris verroit à sa honte,
Adorer d’autres attraits.
Est-il un cœur qui ne l’aime,
Ce cœur eust-il d’Amour même
Toujours émoussé les traits ?
***
 Par ce Lis d’or qui rayonne
Au sommet de sa Couronne,
Dont nos yeux sont ébloüis,
Ne semble-t-elle pas dire ?
C’est la France qui m’attire,
Ce sont les vœux de LOUIS.

[Prix tirez par les Chevaliers de la Butte de Troyes] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 145-153.

 

J'avois résolu de ne vous plus parler des Réjoüissances qui ont esté faites pour la Paix, mais il s'en fit une à Troyes le 31. du mois passé, lendemain du jour de Pasques, qui merite un détail particulier. Les Chevaliers de la Butte s'assemblerent ce jour-là au nombre de plus de quarante, & sur les dix heures du matin, s'estant mis sous les armes avec deux de leurs Officiers à leur teste, ils marcherent en tres bon ordre jusqu'à l'Eglise de la Trinité, où ayant mis bas leurs mousquets, ils entrerent dans cette Eglise, ornée de tres-belles tapisseries de haute-lice, pour assister au Te Deum que l'on y devoit chanter. Leurs places estoient au Chœur, où chacun avoit son rang. Mr Lyon, Maire de la Ville de Troye, qui fait l'honneur de cette Compagnie, Mr Maillet, Mr Bailleteau, leur Lieutenant & Porte-Enseigne, & Mr Charpy, dernier Roy de l'Oiseau, avoient pris leur place à droite, & les Arquebusiers à gauche. Il y eut Musique. Les Violons y joüerent accompagnez de leurs Basses, de celles de Violes, & de plusieurs Voix, qui chanterent un tres-beau Motet, de la composition de Mr des Bigaults, Chanoine, Maistre des enfans de Choeur de Saint Estienne, & tres-habile Musicien. Le Te Deum fut suivi d'une double décharge de mousquets, que firent les Chevaliers de l'Arquebuse dans la cour de la maison de la Trinité. Ensuite ils continuerent leur marche, ayant en teste leurs Officiers la pique à la main, & le Roy précedé des Tambours & des Fifres. Ils estoient fort propres & fort lestes. L'on n'entendit pendant presque toute la journée, dans toutes les ruës par où ils passerent, que le bruit des décharges de mousqueterie, dont ils saluoient les Dames qui estoient aux fenestres pour les voir passer. La marche dura jusqu'à l'Hostel des Buttes, où l'on devoit tirer trois Prix, consistant en argenterie, que l'on avoit promenée par toute la Ville quelques jours auparavant. [...] Voicy l'ordre de la marche que l'on observa à la sortie de la maison des Buttes. Le Maire & les Echevins marchoient précedez par les Tambours, les Fifres, & les Trompettes. Deux Officiers & deux Rois de l'Oiseau suivoient à la teste de leur Compagnie. Dés qu'ils furent arrivez au lieu où l'artifice estoit disposé, ils monterent tous sur le Cavalier, à l'exception des Arquebusiers qui se rangerent autour. Aprés quelques tours faits autour du theatre, à la lueur des flambeaux, au bruit des Tambours, & au son des Fifres & des Trompettes qui les suivoient , un des Sergens de Ville presenta un des ces flambeaux allumez à Mr de Lyon, qui mit le feu à l'artifice.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 157-182.

Rien n’est plus propre à gagner le cœur des Femmes que la liberalité. C’est le moyen dont un jeune Cavalier a crû se devoir servit pour se faire aimer d’une tres-jolie personne, qui par l’agrément de son humeur, & par ses manieres toute s’engageantes, s’attiroit les vœux de tous ceux qui la voyoient. Sa Mere, qui aimoit beaucoup le monde, n’estoit pas fâchée que l’on s’empressast pour elle, & que son merite, qui s’augmentoit tous les jours avec sa beauté, luy fist avoir une grosse Cour. L’envie que chacun avoit de plaire à la Belle, luy procuroit plaisirs sur plaisirs, & les divertissemens qui se succedoient les uns aux autres, faisoient passer à la Mere des heures si agréables, qu’elle auroit esté peut-estre bien-aise de ne la pas marier si-tost. Ainsi elle l’instruisoit à se tenir dans l’indifference, & avoit grand soin de mettre obstacle à toutes les choses qui pouvoient former quelque engagement. Ses leçons estoient d’une habile Femme. Elle luy representoit que pourvû qu’elle eust des honnestetez égales pour tous ses Adorateurs, sans se laisser prévenir d’aucun sentiment de préference, il seroit bien mal-aisé qu’il ne lui vinst quelque Amant qui la pust mettre dans un poste avantageux, ce qui n’arriveroit pas si elle soufroit que son cœur l’emportast sur sa raison Quoy que la Belle vist l’utilité de ces remontrances, elle ne pouvoit si bien résister à son panchant, qu’elle ne marquast au Cavalier une estime distinguée. C’estoit cependant avec assez de réserve pour ne luy donner aucun lieu de croire qu’il dust l’emporter sur ses Rivaux, s’il ne luy faisoit paroistre tout ce que l’amour a de plus vif. Il avoit du bien, & sa naissance estoit â considerer ; mais la Mere qui se flatoit de trouver encore un Parti plus riche, & qui voyoit sa Fille assez jeune pour pouvoir attendre ce que la fortune résoudroit en sa faveur, ne jugeoit pas à propos de précipiter le choix d’un Gendre, & quelque déclaration que luy fist le Cavalier, en la recevant fort honnestement, elle le prioit toujours de luy laisser le temps de connoistre, & l’inclination de sa Fille, & ce qui seroit de ses avantages. Le Cavalier ne voyant pas qu’il dust esperer un heureux succés dans cette recherche, s’il ne donnoit à la Belle des marques de son amour, qui l’emportassent sur les soins de ses Rivaux, n’eut plus autre chose en veuë que de chercher les moyens de la convaincre, que ce qu’ils sentoient pour elle n’approchoit point de sa passion. Il s’attacha à étudier tout ce qui pouvoit luy faire plaisir, & il se rendit si attentif aux moindres choses qu’il sçavoit luy devoir plaire, qu’on peut dire qu’il prévenoit jusqu’à ses souhaits. C’estoit tous les jours quelque divertissement nouveau, selon le goust où il la trouvoit. L’Opera, la Comedie, la promenade, & de petites festes galantes ne la laissoient point douter qu’elle n’occupast toutes ses pensées, & si on ne s’expliquoit pas tout à-fait pour luy comme il l’auroit souhaité, du moins on luy laissoit voir que tout estoit receu avec agrément. Pour se distinguer parmy ses Rivaux, qui fournissoient comme luy quelques plaisirs à la Belle, mais plus rarement, & d’une maniere plus resserrée, il se servit de l’occasion d’un premier jour de l’année pour luy envoyer un present galant. Il avoit compris par certaines choses qu’elle avoit dites quelque temps auparavant, ce qui luy devoit agréer le plus ; & s’agissant de toucher son cœur, il n’épargna rien pour faire que ce qu’il luy envoya répondist à ses desirs. Il n’y avoit rien de mieux entendu. L’esprit y brilloit ainsi que l’amour ; mais il eut beau alleguer la vieille coutume, qui dans ces jours-là permet de donner des marques de souvenir aux personnes qu’on estime, la Mere fut obstinée à refuser le present ; & afin que ce refus le chagrinast moins, elle prétendit qu’il estoit trop magnifique. Le Cavalier voulut en faire de moindres, & dés que la Belle loüoit quelque chose, soit pour quelque mode ou quelque ornement, il cherchoit les voyes les plus favorables pour le faire recevoir. Ces voyes estoient détournées, afin qu’on ne pust s’appercevoir que c’estoit de luy que venoit la chose, & des gens interposez offroient de donner à tres bon compte ce qui valoit quatre fois autant, quand on vouloit conclurre un marché ; mais la Mere qui avoit les yeux ouverts surtout, reconnoissoit l’artifice, & le Cavalier ne réussissoit dans aucun de ses desseins. S’il envoyoit quelques bagatelles par des Inconnus, qui les laissoient sans nommer personne, elle les faisoit reporter chez luy, & n’imputant qu’à luy Seul ces galanteries obscures, elle vouloit qu’il se chargeast de rendre à celuy qu’il devineroit en estre l’Auteur, ce qu’elle empêchoit qu’on n’acceptast. Il se plaignit plusieurs fois de ces manieres qui luy paroissoient trop scrupuleuses ; & un jour qu’ils contestoient là-dessus, quelques Dames qui entrerent, & qui connoissoient la passion du Cavalier pour la Belle, furent priées de prononcer sur leur differend. Elles dirent que le Cavalier meritant tout, on ne devoit rien refuser de luy, parce qu’on devoit le préferer à tous ceux qui se déclaroient Amans de la Belle, mais qu’en general, quand on n’avoit pas entierement résolu un mariage, on ne devoit recevoir aucun present. La Mere ravie que son sentiment fust apuyé, dit au Cavalier qu’il falloit qu’il renonçast à des manieres qui ne l’accommodoient pas ; que le temps décideroit de beaucoup de choses, sur lesquelles on ne pouvoit encore prendre une ferme résolution, & que cependant elle vouloit bien luy promettre en presence de ces Dames, qu’aussitost qu’il auroit pû l’obliger à consentir que sa Fille receust un present de luy, il pouvoit compter qu’il seroit son Gendre. Le Cavalier voyant tous ses efforts inutiles, n’espera plus qu’en l’excés de son amour. C’estoit toujours quelque avantage pour luy, qu’aucun de ses Concurrens ne fust mieux traité, & qu’il remarquoit que ses Presens, quoy que refusez, n’avoient pas laissé de faire effet sur la Belle. Trois mois se passerent, & une de ses Amies l’estant venuë voir, luy demanda si elle vouloit prendre des Billets à une Lotterie, qui devoit estre tirée avec beaucoup de fidelité. On s’informa aussi-tost chez qui, & le nom de celuy qui la faisoit estant connu, plusieurs Dames qui estoient presentes, voulurent y envoyer de l’argent. Le Cavalier entra dans le temps que l’on agitoit la chose ; & quand on l’eut engagé à prendre aussi des Billets, il fut chargé de porter l’argent de toutes ces Dames pour en avoir. On se divertit longtemps des divers noms qu’elles prirent. La Belle choisit celuy de l’Aspirante au petit Lot, & se fixa à quatre Billets. Le Cavalier voulut se faire écrire pour vingt, sous le nom du Chevalier toujours refuse. Il apporta le numero de chacune, & quand le temps de distribuer les boëtes fut arrivé, on le pria de les aller prendre, comme il avoit pris d’abord les numero. Il fut résolu qu’on n’en ouvriroit aucune qu’en presence les uns des autres, & qu’on s’assembleroit chez la Belle exprés pour cela. Le jour fut marqué, & le Cavalier apporta les boëtes. On ne trouva que des billets blancs dans les trois premieres, parmy lesquelles estoit celle de la Mere. Il y en eut un noir dans la quatriéme, & il marquoit deux petits flambeaux d’argent. Quatre autres boëtes qu’on ouvrit ensuite, n’avoient que des billets blancs, & il ne restoit plus à voir que celles de la Belle & du Cavalier. Il la pria galamment & mesme avec de longues instances, de vouloir changer de boëte avec luy. C’eust esté avoir vingt billets au lieu de quatre, & la Mere estoit assez portée à l’échange, mais la Fille ne voulut devoir qu’à elle ce qui luy pouvoit arriver d’heureux, & chacun luy applaudit sur sa fermeté, quand on ne vit rien de noir dans tous les billets du Cavalier. Elle ouvrit les siens fort doucement. Les deux premiers furent blancs, & comme elle eut remarqué du noir dans le troisiéme, elle fut long tems sans le developer tout-à-fait. Elle plaisanta d’abord pour le mettre à prix. Une des Dames qui estoient presentes luy en offrit six Loüis, & le Cavalier alla jusqu’à deux cens. Vous jugez bien qu’on n’accepta pas son offre. Enfin on lut le billet, & on y trouva une Garniture de tête estimée cinq cens écus. La Belle en eut une joye qui ne se peut exprimer, & témoigna tant d’impatience de voir cette Garniture, que le Cavalier prit son billet noire, pour l’aller querir sur l’heure. La Dame lui donna aussi le sien, pour faire apporter les flambeaux en même-tems. On trouva qu’ils estoient de dix Loüis, & la Garniture parut d’une tres grande beauté. Rien ne pouvoit égaler la finesse de l’ouvrage, & tout y estoit d’un tres grand goust. La Belle se hasta de s’en parer, & elle en receut un nouvel éclat. Personne ne la voyoit sans luy applaudir sur cette parure, & comme les femmes sont curieuses, une Dame lui en ayant un jour demandé le prix, elle répondit naturellement que c’estoit un present de la fortune, & nomma la Lotterie, d’où le billet noir luy estoit venu. La Dame releva cette réponse, & dit en riant qu’elle vouloit déguiser à qui elle avoit obligation de ce present ; mais qu’il estoit impossible que la Garniture vinst de la Lotterie dont elle parloit, puisqu’elle n’avoit esté composée que d’un fort beau lit, de quelques Tapisseries, de force Bijoux & de Vaisselle d’argent ; & qu’elle avoit aidé elle-mesme à faire les billets noirs. Grande contestation sur la Lotterie. La Dame qui avoit eu les petit flambeaux, & qui avoit veu aporter les boëtes, se trouvant presente, soûtint fortement ce que la Belle avoit dit, jusqu’à vouloir faire un pary fort important pour en confirmer la verité. On luy répondit qu’on refusoit le pary, parce qu’il n’estoit pas permis d’en faire, sur des choses dont on avoit une entiere certitude ; mais qu’elle n’avoit qu’à envoyer chez les personnes qui avoient fait la Lotterie en question, & qu’elle sçauroit si on étoit mal instruit. Elle y envoya sur l’heure, & un peu aprés il fut raporté qu’il n’y avoit eu aucun lot, où l’on eût employé la Garniture. La Dame qui avoit découvert la chose estant sortie, on raisonna long-temps sur cet incident, & enfin on ne pût douter que le Cavalier n’eust apporté une fausse boëte, pour faire accepter un present que l’on auroit refusé, s’il ne s’estoit pas servy de cette adresse. La Mere avoit consenty que sa Fille l’eust receu, & la condition se trouvant remplie, sa parole l’engageoit à luy faire épouser le Cavalier. Heureusement pour les interests de son amour, la pluspart des Dames devant qui cette promesse avoit esté faite, se trouvoient alors chez la Mere de la Belle. Elles plaiderent fortement sa cause, & la Mere ne pût aporter d’autre raison pour se défendre de donner sa Fille au Cavalier, sinon qu’il avoit usé de surprise. L’adresse a toujours esté permise en amour, & on poussoit vivement la chose, quand le Cavalier survint. Les Dames lui dirent tout ce qui venoit de se passer, & l’affaire luy parut en si bon état, par l’empressement qu’elles marquoient à luy estre favorables, qu’il crut devoir demeurer d’accord de la boëte supposée. Il le fit en protestant que quand la Mere luy donneroit son consentement, il renonceroit à cet avantage, si la Belle avoit quelque répugnance à le rendre heureux. Cette soumission estoit d’un parfait Amant, & ne pouvoit faire qu’un tres bon effet. Depuis la recherche du Cavalier, aucun Party plus avantageux ne s’estoit offert. Son alliance étoit des meilleures, & ses bonnes qualitez parloient hautement pour luy. Ainsi la Mere ne put résister aux sollicitations redoublées qui luy furent faites, & la Belle n’eut aucune peine à déclarer que ses volontez seroient sa regle. Quel triomphe pour un Amant veritablement touché ! On voulut sçavoir comme il s’estoit pû faire que la boëte suposée se fust trouvée tout à fait semblable à toutes les autres. Il répondit qu’il avoit obligé un de ses Amis qui avoit un numero, à prendre sa boëte dés le premier jour qu’on avoit commencé à les donner ; qu’il en avoit fait aussitôt contre faire le cachet, & qu’ayant ouvert la boëte de la Belle, quand il l’avoit retirée, pour y mettre le billet de la Garniture en la place d’un des billets blancs qu’elle avoit eus, il s’estoit servy de ce cachet contre fait pour la remettre dans le mesme estat qu’il l’avoit receuë. La Belle luy sçût fort bon gré d’un artifice qui luy faisoit voir la force de son amour, & le mariage se fit peu de jours aprés.

[Lettre de Mademoiselle d’Alerac la Charse de la Tour du Pin, à Mr l’Abbé de Poissy] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 182-192.

Je vous envoye une Lettre de Mademoiselle d’Alerac la Charse, de la Tour du Pin, qui a esté lûë avec un fort grand plaisir de tous ceux qui en ont pû avoir des copies. Vous y trouverez de tres jolis Madrigaux, qui meritent bien que vous en fassiez part à vos Amies.

À MONSIEUR
l’Abbé de Poissy.

L’Air que vous avez mis à mes petits Vers des Soupirs, me les fait aimer. Vous donnez de l’agrément aux moindres bagatelles. Je gagnerois beaucoup, Monsieur l’Abbé, si vous vouliez corriger les badineries qui échapent à ma Muse ; mais vous employez vos momens à des Ouvrages dont je suis trop charmée, pour vous dissiper. Ils sont admirez de l’incomparable Mademoiselle de Scuderi. Elle vous écrit des choses là-dessus qui font vostre Eloge. Mettez donc tout vostre temps à de si belles productions, & que ma Muse champestre demeure avec tous ses défauts. Je préfere vostre interest au mien. C’est quelque chose de résister aux charmes de l’amour propre.

 L’amour propre gâte le cœur,
 Il pousse tout jusqu’à l’extrême.
Il neglige Parens, Amis, égard, honneur.
Il fait tout, cet Amour, par rapport à luy même,
Et de tous les Amours c’est le plus suborneur.

Si je ne sçavois pas qu’il ne peut vous séduire, ce dangereux Amour, je ne vous dirois pas, Monsieur l’Abbé, que Madame de Nemours a beaucoup loüé vostre Livre des Prestres, & celuy de l’Athée confondu par ses propres raisons. Le goust de cette grande Princesse est exquis, & son approbation vous est fort avantageuse. L’illustre Mr de Segrais vous appelle son Fils. Il faut qu’il vous connoisse bien pour vous donner ce nom. J’aimerois mieux estre adoptée de luy que d’Apollon. Si tous ceux qui se meslent de Poësie faisoient aussi bien des Vers que ce digne Parent de Malherbe, je n’aurois pas esté éveillée aussi désagréablement que je le fus hier par certain vieux Provençal, dont la figure vous a tant déplû. Il s’est imaginé qu’il suffisoit d’estre né du pays des Troubadours, pour faire des Vers. Il est venu chanter à la porte de ma chambre d’une voix de Corbeau. Je ne me souviens point des rimes, voicy la pensée. Il disoit qu’il avoit devancé l’Aurore pour me parler de son amour ; que l’Empire amoureux estoit pire que l’Enfer ; qu’on n’y dormoit point, & que cela devoit m’engager à l’aimer. Je luy ay répondu à moitié endormie.

 Pourquoy devances tu l’Aurore ?
 Tu fatigues tout ce Hameau.
 Sans le bruit de ton Chalumeau
Dans les bras du Sommeil je languirois encore.
Si tu veux prés de moy te faire un sort heureux,
Fais-moy croire qu’on dort dans l’Empire amoureux.

Il m’a dit d’une parole animée par un dépit, que son peu de politesse ne chicanoit point, Si vostre Philene vous avoit chanté ses belles chansons, vous seriez charmée, & si l’Abbé de Poissy vous lisoit de ses Ouvrages, on vous verroit toute oreille. Dieu vous punira de vous moquer d’un homme de vostre Pays, qui vous a tant aimée. Je luy ay répondu en éclatant de rire.

Va porter tes soupçons, tes soupirs & tes larmes,
 En des endroits moins pleins de charmes ;
 Ne reviens dans nos prez fleuris,
Qu’avec l’Amour content, les Graces & les Ris,

Ma Sœur nous a raccommodez, & il est enfin sorti. J’ay eu tant de peur de le revoir, que je me suis levée à sept heures. J’ay esté aux Tuileries, où j’ay fait le Madrigal qui suit.

Tout celebre en ces lieux le retour du Printemps.
 Qui n’est pas engagé s’engage.
 Sur le gazon, sous le feüillage,
Bergeres & Bergers, tous paroissent contens ;
J’avois pendant l’hiver negligé la constance
 D’un jeune Amant rempli d’ardeur ;
Contre l’exemple & la reconnoissance
Il ne m’est plus permis de défendre mon cœur.

Vous m’en croiriez, Monsieur l’Abbé, si je ne vous envoyois un autre Madrigal, qui est sur un ton si triste, que vous verrez bien que l’ayant fait le mesme jour, l’esprit seul y a eu part,

 Heureux Rossignols, taisez vous.
Vous chantez vos plaisirs jusqu’à perte d’haleine,
  Vous augmentez ma peine.
 Pour contenter mon cœur jaloux
 Faisons un traité parmy nous.
De l’amour en secret goûtez les tendres charmes,
Et pour ne point troubler un sort tranquille & doux,
Je sçauray vous cacher mes soupirs & mes larmes.

Je suis lasse d’écrire, peut-être serez-vous encore plus fatigué de lire de mauvais vers, vous qui en faites de si beaux. Je suis, Monsieur, Vôtre tres, &c.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 192-193.

Les vers de la Chanson que je vous envoye gravée, font connoître l'heureux état où le Roy a mis la France, en luy procurant la Paix. Ils seront sans doute chantez dans vôtre Province, avec autant de plaisir qu'ils le sont icy.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Aprés un si cruel Orage, doit regarder la page 193.
Aprés un si cruel Orage,
Aprés tant d'horribles Combats,
Goutons un repos plein d'apas,
De la Paix c'est le digne Ouvrage.
Celebrons mille & mille fois,
Le Nom du plus puissant des Rois.
Chantons tour à tour à sa gloire,
Loüis le plus grand des Guerriers,
Pour éterniser sa memoire,
Prefere l'Olive aux Lauriers.
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Madrigal §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 194-195.

MADRIGAL.

 L’Hyver, ce Tyran redoutable,
 Vouloit ainsi que l’An dernier
 À sa rigueur sacrifier
 La Saison la plus agreable.
Il nous ostoit déja presqu’un mois du Printemps,
Et nous alloit priver des tresors éclatans,
Que produit Flore & qu’aime le Zephire ;
Mais Jupiter en exauçant nos vœux,
Par les coups de sa foudre est venu le détruire,
Et le clair Dieu du jour reprenant son Empire,
 Triomphe en son Char lumineux.

[Les plus belles Lettres Françoises sur toutes sortes de sujets, tirez des meilleurs Auteurs] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 205-208.

Le Sr Brunet, Libraire au Palais, vient de donner au Public un Livre qui doit avoir un fort grand debit. Il a pour titre, Les plus belles Lettres Françoises sur toutes sortes de sujets, tirées des meilleurs Auteurs. Mr Richelet qui a pris soin d’en faire un Recueil, les a embellies de Notes remplies de choses fort curieuses ; & comme il y a peu de personnes qui n’ayent besoin d’avoir des modéles pour le stile qu’on doit employer selon les occasions qui s’offrent d’écrire, il est avantageux d’en avoir de bons & en grand nombre. Ces Lettres sont séparées comme en autant de Chapitres par la diversité des matieres. Il y en a de tendres, de galantes, & d’amoureuses ; d’autres d’amitié, de passion, de loüange, de felicitation, de morale, de conseil, de reproche, de nouvelles, de recommandation, de prieres, de remerciment, d’excuses, de plaintes, & de consolation. Il y a aussi des portraits, des Epitres dédicatoires, des Lettres satyriques, de reflexions, & de critique, avec des réponses à des critiques, d’autres sur l’absence, & quantité qui contiennent des relations tres-curieuses. Elles sont toutes d’Auteurs Illustres, & précedées de quelques traits de leur vie, ce qui se trouve au commencement du premier tome de ce recueil qui est séparé en deux parties. L’on y trouve aussi de judicieuses remarques sur le stile dont on se doit servir dans les Lettres, & sur les titres qui se donnent aux personnes élevées dans les plus hauts rangs.

[Recueil de Contes, sous le titre des illustres Fées] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 208-210.

Les Contes de Fées sont devenus à la mode, & plusieurs personnes d’un esprit fort relevé, & d’une tres-grande réputation, n’ont pas dédaigné d’employer du temps à nous en donner grand nombre dans le stile simple & naturel que cette sorte de narration demande. Ils ont réjoüy les meilleures compagnies, & le plaisir que l’on a pris à les lire vient d’engager Mr de *** à nous faire part d’un nouveau Recueil de Contes de même nature, qu’il a dédié aux Dames, sous le titre Des Illustres Fées. Ce Recueil en contient onze, parmy lesquels sont, Blanche-Belle, le Roy Magicien, le Favory des Fées, la Reine de l’Isle des Fleurs, l’Isle inaccessible, la Princesse couronnée par les Fées, & le Bien faisant ou Quiribirini. La puissance des Fées y paroist avec éclat. Le stile en est agréable, & ceux qui les ont lus, trouvent que tout y répond à la grandeur des événemens. Ce livre se vend au Palais chez le Sr Medard-Michel Brunet, à l’entrée de la grande Salle du Palais, à l’Esperance.

[Réjoüissances singulieres faites à Auchy le Chasteau en Picardie] §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 232-240.

 

Les réjoüissances qui se sont faites à Auchy le Chasteau en Picardie, pour la publication de la Paix, ont eu quelque chose d'assez singulier pour m'obliger à vous en donner un court détail. L'ordre estant arrivé de faire chanter le Te Deum, on somma les Habitans de se mettre sous les armes. Les Bourgeois, & ceux des environs vêtus proprement, s'estant rendus chez Mr de Hericourt, Gentilhomme d'un merite singulier, étably depuis peu dans le lieu, à qui on avoit donné la conduite de la Milice, ils allerent chez le Lieutenant General, & chez le Maire de la Ville, la Cavalerie marchant la premiere avec Trompettes, Fifres & Hautbois, & l'Infanterie ensuite avec Tambours, Flûtes & Violons. Messieurs de la Justice ayant en teste le Lieutenant General, & le Maire perpetuel à la teste de Mrs de Ville, monterent sur des chevaux richement caparaçonnez, couverts de housses noires, tous en robes & bonnets, & prirent leur rang entre la Cavalerie & l'Infanterie, puis marcherent en cet ordre jusqu'au Tribunal de la Justice, au son de ces Instrumens de Paix & de guerre. Les Officiers descendirent, & se placerent dans l'Auditoire royal, avec Mr le Vasseur, Chanoine Regulier de Saint Jean de Soissons, & Prieur-Curé du lieu, qui s'y estoit rendu avec plusieurs Ecclesiastiques de son Eglise. Le Greffier fit lecture de l'ordre. Mr Petit, Procureur du Roy, & Maire perpetuel de la Ville, en demanda l'enregistrement, & requit par un beau Discours que la publication en fust faite, à quoy Mr de Bary, Lieutenant General du Baillage Royal, répondit par un autre Discours rempli d'eloquence, & ordonna l'enregistrement & la publication. Aussi tost toute la Simphonie champestre, & les cris de Vive le Roy, se meslerent parmy les fanfares des Trompettes & le son des Tambours. Les Officiers remonterent à cheval au milieu de la Milice, ayant le sabre à la main. Ils allerent faire la publication dans les Carrefours & les principales Places de la Ville, où l'on avoit dressé des trophées & des arcs de triomphe, Mr le Prieur, les Officiers, & quelques-uns des principaux du lieu ayant fait orner la façade de leurs maisons, de Tapisseries, de Peintures, de festons & de Cartouches. Le soir il y eut un feu d'artifice dans la grande Place, & des feux devant toutes les maisons. Mr le Lieutenant donna un grand repas à la compagnie, ensuite la Bal, qui dura toute la nuit. Les deux jours suivans se passerent en pareilles réjouïssances. Mr le Prieur, & les Officiers se traiterent les uns les autres, & firent donner à boire à tout le peuple. Il arriva plusieurs Mascarades des environs, entre lesquelles celle du Village de Bugneux eut cecy de particulier, que treize des plus jolies Filles, vêtuës en Bergeres, chacune un Tambour de Basque à la main, vinrent danser devant le Chasteau, au son des Violons & des Musettes. Elles estoient venuës dans un Char de triomphe, accompagnées de plusieurs Cavaliers en masques, & avoient assisté le matin au Te Deum & à la Messe du S. Esprit, que le Curé du lieu avoit celebrée, où elles avoient presenté chacune à l'Offrande un grand Pain d'épice de Reims, rempli d'écorce de citron & de dragées.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1698 [tome 4], p. 258-259.

L'Air que je vous envoye gravé, & dont vous allez lire les paroles a esté fait par un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par J'ay vû perir cet aimable, &., doit regarder la page 258.
J'ay vû perir cet aimable feüillage,
Que j'ay vû croistre avecque mon amour.
Ah, si j'estois bien sage,
On les verroit mourir tous deux en mesme jour.
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