1698

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1698 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9]. §

[Prelude sur le Sermon prêché au Louvre, le jour de S. Loüis] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 7-11.

L’Excellent Portrait que je vous ferois du Roy, si je pouvois rapporter icy tout ce qui fut dit de ses grandes qualitez par ceux qui firent le Panegyrique de Saint Loüis, le jour qu'on en celebra la Feste. [...] Ce Panegyrique fut précedé d’une Messe que celebra Mr l’Abbé Boileau, Directeur presentement de l’Academie, & pendant laquelle un tres grand Choeur de Musique chanta le Pseaume Super flumina Babylonis, de la composition de Mr de Bousset. Il y eut plusieurs endroits fort touchans, dont tout le monde témoigna estre charmé.

Sur la Foy. Ode §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 11-18.

Je viens de vous parler d’un saint Roy, dont la foy a esté grande. Si vous voulez voir quelque chose de tres-bien tourné sur cette matiere, lisez attentivement l’ouvrage qui suit. Il est de Mademoiselle Bernard, & luy a fait remporter le Prix aux Jeux Floraux de Toulouse. Elle l’adresse à Monsieur le Duc du Maine, par ces cinq Vers.

 O toy, qui dés ton plus jeune âge
Avec le cœur d’un Prince eus celuy d’un Chrestien,
 Permets qu’en te rendant hommage,
J’orne de ton grand nom le front de cet Ouvrage,
 Pour réparer l’obscurité du mien.

SUR LA FOY.
ODE.

Il est permis à nostre audace
De mesurer le vaste cours
Du bel Astre, pere des jours,
Et tout ce que le Ciel embrasse.
 Nous pouvons prévoir les instans
Où de ces flambeaux éclatans
Les clartez seront obscurcies ;
Nous semblons les assujettir
À de sçavantes Propheties
Qu’ils n’osent jamais démentir.
***
 En vain la jalouse Nature
Cache ses ressorts délicats
Et ces accords & ces combats
Qui du monde font la structure.
 L’Art opiniâtre & subtil
De ses détours suivant le fil,
La force à se laisser connoistre.
Plus entreprenant quelquefois,
De Sujet il devient son Maistre,
Et luy fait de nouvelles loix.
***
 Mais des ténebres respectables
Enferment la Divinité.
Majestueuse obscurité,
Vos secrets sont impénetrables.
 Nos yeux seulement sont frapez
Par quelques rayons échapez
Au travers d’une épaisse nuë.
Mais, Seigneur, lors que tu nous fuis,
Ta voix en tous lieux entenduë,
Nous dit, Je suis celuy qui suis.
***
 Au dessus du cours des Etoiles
Est un séjour resplendissant,
Où porté par le Tout-puissant
Un seul Mortel l’a vû sans voiles.
 Mais ébloüi plus qu’éclairé,
Son œil n’estoit pas préparé
À soutenir ce grand spectacle.
Ce rare, ce sublime esprit,
Trouvant en luy même un obstacle,
Admira plus qu’il ne comprit.
***
 Raison, orgueilleuse Puissance
Qui parcours les Cieux & les Mers,
Exerçant sur tout l’Univers
L’empire de l’Intelligence.
 Si ton vol alloit s’élevant
Jusqu’au Trône du Dieu vivant,
Que ta chute seroit terrible !
Là repousseroit tes efforts
Cette même main invisible
Qui retient la Mer dans ses bords.
***
 Quel objet nouveau j’envisage :
Une Aveugle qui se conduit
Au milieu d’une obscure nuit,
Et se fait aux Cieux un passage.
 Ceux qui la suivent, sur les yeux
Ont un bandeau misterieux,
Ils sçavent tout ce qu’ils ignorent ;
Et sans crainte de s’égarer
Dans ces tenebres qu’ils adorent,
Ils s’en servent pour s’éclairer.
***
 La divine magnificence
De ses dons verse le torrent
Sur le bienheureux ignorant
Qui se confie en sa puissance.
 Si le Maistre absolu des cœurs
Par de prophetiques fureurs
Veut faire annoncer ses Oracles,
C’est la bouche de l’humble Foy,
Digne instrument de ses Miracles,
Qu’il choisit pour ce noble employ.
 Montagnes, malgré vostre masse,
Et vos solides fondemens,
La Foy par ses commandemens
Vous contraint à changer de place.
 Mer, pour ouvrir ton vaste sein
Si le Fidelle étend sa main,
Ce leger signal peut suffire ;
Des Elûs Dieu comblant les vœux
Leur donne un souverain empire
Sur ce qu’il n’a fait que pour eux.
***
 Au sortir de ces lieux funestes,
La Foy doit enfin nous laisser ;
C’est alors que doivent cesser
Toutes les énigmes celestes.
 Les voiles épais tomberont,
Tout à coup s’évanoüiront
Et la figure & le simbole ;
Pour executer son traité,
La Foy dégageant sa parole
Nous livrera la verité.
 Quand seras-tu nostre partage,
Quand serons-nous tes Citoyens
O Ciel, qui nous promets des bien
Dont nul autre bien n’est l’Image ?
 Nostre ame avec ravissement
Doit se repaistre avidement
Du Dieu que nous aurons sçu croire ;
Et dans cet éclat sans pareil
Nostre œil fixe verra sa gloire,
Comme l’Aigle voit le Soleil.

[Distribution des Prix de l’Academie des Jeux Floraux à Toulouse] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 46-51.

La distribution des Prix de l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse, se fit le 3. du mois dernier avec la pompe ordinaire. Je n’ay pû vous en informer plûtost, parce que je n’estois pas assez bien instruit des noms de ceux qui les avoient remportez. Outre les quatre Prix qu’on distribuë tous les ans, on en a donné cette année trois autres ; sçavoir ceux de l’Ode, du Poëme & de la Prose, qui avoient esté réservez des années précedentes, pour les raisons dont Mrs les Academiciens avertirent le Public l’année derniere. Cette distribution fut faite dans la Salle du grand Consistoire de l’Hostel de Ville de Toulouse, en presence d’un grand nombre de personnes de qualité, & d’un grand concours de Peuple, pendant trois Séances, sçavoir le matin & l’aprés-midy du premier de May, & le matin du troisiéme du même mois. Mrs les Academiciens firent publiquement lecture des Ouvrages envoyez pour les Prix, aprés les avoir examinez pendant trois mois avec l’application & en la forme que leur Statuts leur prescrivent. Les deux Prix de l’Ode furent donnez à deux Odes de Mademoiselle Bernard ; l’une sur la Foy, c’est celle que vous avez leuë au commencement de cette Lettre ; & l’autre sur la Paix, je vous l’envoyay le mois passé Mademoiselle Bernard, qui se distingue tous les jours par divers Ouvrages en Vers & en Prose, où l’esprit brille par tout, avoit remporté encore le Prix de l’Ode une des années précedentes, & l’année derniere elle remporta celuy de l’Eglogue, ce qui fait connoistre qu’elle excelle en toute sorte de genre d’écrire. Les deux Prix du Poëme furent donnez au Pere Cleric, Jesuite, Professeur de Rhetorique au College de Toulouse, pour un Poëme, & un autre Ouvrage à la gloire du Roy. Ce même Pere concourut l’année derniere pour le Prix de l’Eglogue, & le manqua de fort peu de voix. Il a une fecondité merveilleuse, & un tres-grand feu d’esprit. Les deux Prix de l’Eloquence ont esté remportez, le premier par Mr l’Abbe Geneais, de Montpellier, d’un esprit distingué par sa sagesse & par son exactitude, & le second, par Mr l’Abbé Compaign, dont l’Eloquence luy a fait remporter ailleurs divers Prix academiques. Madame la Baronne d’Encausse a eu le Prix de l’Elegie. Elle concourut il y a deux ans avec Mr Abeille pour le même Prix. Elle est de la Maison de Bérrac de Cadreil. Sa modestie n’a pû trahir son merite. Il est connu de tous ceux qui ont vû de ses Ouvrages, où l’on ne peut se défendre d’admirer un genie Extraordinaire pour la Poësie.

[Programme de la même Academie] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 51-59.

Voicy le Programme que l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse vient de faire publier.

L’Academie des Jeux Floraux de Toulouse fait sçavoir au Public, que le troisiéme jour du mois de May de l’année prochaine 1699. elle distribuera les quatre Prix ou Fleurs qu’elle doit donner chaque année.

Le premier est une Amaranthe d’or, de la valeur de quatre cens livres, qui sera adjugé à une Ode.

Le second est une Violette d’argent, de la valeur de deux cens cinquante livres, qui sera adjugée à un Poëme de soixante Vers au moins, & de cent Vers au plus, tous Alexandrins, & suivis, ou à Rimes plates, dont le sujet doit estre heroïque.

Le troisiéme est une Eglantine d’argent, du prix de deux cens cinquante livres, qui sera adjugée à une Piece de Prose d’un quart-d’heure, ou d’une petite demi-heure de lecture, dont l’Academie des Jeux Floraux publiera toutes les années le sujet, qui sera pour l’année prochaine 1699. Les belles Lettres adoucissent les mœurs.

Le quatriéme Prix est un Souci d’argent, de la valeur de deux cens livres ; on le donnera à une Elegie, ou à une Idyle.

Le sujet de toutes les sortes de Poësies qui peuvent prétendre à ces Prix, sera au choix des Auteurs.

À l’égard des Vers, ils doivent estre réguliers, & n’avoir rien de burlesque, de satirique, ny d’indécent.

Toutes personnes, de quelque qualité & païs qu’elles soient, de l’un & de l’autre Sexe, pourront aspirer aux Prix.

Les Auteurs qui y prétendront, feront remettre leurs Ouvrages dans tout le mois de Janvier de l’année 1699. lequel estant expiré on n’en recevra plus. Il faudra qu’on s’adresse à Mr de la Faille, Secretaire perpetuel des Jeux Floraux, qui loge prés de la Place de Saint Georges.

Les Auteurs ne se feront point connoistre avant la distribution des Prix. Ils ne mettront point leurs noms à leurs Ouvrages, mais seulement une Sentence. Le Secretaire des Jeux en écrira la reception sur un Registre, où il mettra le nom, la qualité, & la demeure des personnes qui luy auront délivré les Ouvrages ; lesquels signeront le Registre, & en même temps en recevront un recepissé. Les Auteurs seront obligez de luy fournir trois copies pareilles & bien lisibles de chacun de leurs Ouvrages.

On les avertit de s’abstenir de toute sorte de sollicitation, l’Academie ayant déliberé d’exclurre tout Ouvrage pour lequel elle sera convaincuë qu’on aura sollicité.

L’aprés midy du troisiéme jour de May, on distribuera les Prix aux Auteurs mêmes, ou à ceux qui auront charge d’eux. On les désignera par la Sentence qu’ils auront mise au bas de l’Ouvrage ; alors ils seront tenus de montrer le recepissé du Secretaire des Jeux Floraux, & de se faire connoistre en recevant les Fleurs ; aprés quoy on leur donnera, ou à ceux qui auront charge d’eux, des attestations, portant qu’un tel, une telle année, pour un tel Ouvrage par luy composé, a remporté un Prix, & l’Ouvrage en original y sera attaché sous le contre-scel des Jeux. Un même Auteur ne pourra neanmoins avoir le même Prix que trois fois en sa vie ; mais il pourra les avoir tous, ou plusieurs, en une même année.

Celuy qui aura remporté trois Prix, l’un desquels sera l’Amaranthe, pourra obtenir des Lettres de Maistre, & il sera toute sa vie du Corps des Jeux Floraux, avec droit d’assister & d’opiner comme Juge, avec le Chancelier, les Mainteneurs, & les autres Maistres, aux Assemblées publiques & particulieres qui regarderont le jugement des Ouvrages & l’adjudication des Prix.

On avertit aussi que ceux qui remettront au Courrier des paquets adressez à Mr le Secretaire des Jeux, doivent affranchir les Paquets, s’ils veulent qu’on les retire ; sans cette précaution, ils doivent estre assurez qu’on laissera leurs paquets au Bureau. D’ailleurs, pour ce qui regarde les Ouvrages qu’on envoyera pour les Prix, il est necessaire de se servir de la voye de quelque particulier de Toulouse, qui remette les Ouvrages, & en retire le recepissé de Mr le Secretaire, pour éviter l’embarras qui surviendroit, si une Piece ainsi remise par le Courrier en droiture à Mr le Secretaire, venoit à estre jugée digne du Prix, parce qu’on ne sçauroit à qui le délivrer.

[Epitre en Vers] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 59-75.

Je vous envoye une Epistre de Mr de Betoulaud, que tous ceux qui l’ont veuë ont fort estimée. L’Illustre Mademoiselle de Scuderi a fait le Madrigal suivant sur cette Epistre !

 Allez, aimables Vers, allez
 Joüir d’une gloire immortelle ;
La foible Oisiveté contre qui vous parlez,
 N’a que des paresseux pour elle.
Jamais Loüis le Grand, ce merveilleux Heros,
De toutes les vertus le plus parfait modele,
N’a connu, n’a souffert l’inutile repos,
Comme l’ont dit cent fois les Filles de Memoire,
Et ne s’est repose qu’au sein de la Victoire.

AU REVEREND PERE
DE LA CHAIZE,
CONFESSEUR DU ROY.

Toy, qui par ta sagesse, as joint dans ta carriere,
À l’Etude assidue, à l’ardente Priere,
La Vigilance exacte à servir un grand Roy ;
On te l’a dés l’enfance appris ainsi qu’à moy :
La lâche oisiveté fatale à tout le monde,
Des vices les plus grands est la mere feconde.
 L’Ouvrier du Seigneur dans un trop long repos,
Bien-tost, appesanti sous de honteux pavots,
Tombera sous le joug d’une molesse indigne,
S’il n’est infatigable au travail de la vigne.
Ce ne seront bien-tost que jeux, qu’amusemens,
Que devoirs negligez, que plaisirs trop charmans,
Et qu’un sinistre oubli des soins que l’Evangile
Veut qu’on prenne en tout temps pour rendre un champ fertile ;
Mais il évitera cet état odieux,
Si comme toy, la Chaise, actif, laborieux,
Le feu celeste & pur d’un zele Apostolique
À de saintes moissons incessamment l’applique.
 Qu’un Guerrier à son tour d’un loisir dangereux
Aux Campagnes de Mars ne soit point amoureux ;
Que les trompeuses fleurs sous qui rampent les vices
Ne luy presentent point de funestes délices ;
Autrement, s’il neglige un habile ennemi,
Si sous ses vieux lauriers trop longtemps endormi,
Il n’apprehende plus la force enchanteresse
Des bras assoupissans d’une lente Paresse,
Il sentira bien-tost, triste joüer du Sort
Et du calme fatal qui le perd dans le port,
Sur l’écueïl des plaisirs où toute gloire échoüe,
Le destin d’Annibal dans les murs de Capoüe.
 Un Magistrat n’est pas moins blâmable à son tour,
Si le vin, si le jeu l’occupent nuit & jour,
Ou si d’autres penchans le traînent avec honte
Luy-même au Tribunal des Tyrans d’Amathonte.
C’est le soin de s’instruire, & cent Livres divers,
Et les yeux sur Themis à tout moment ouverts,
Et l’amour du travail vainqueur de l’ignorance,
Qui doivent de son cœur avoir la préference.
 Qui ne sçait pas aussi que les grands Orateurs,
D’une foule attentive aimables enchanteurs,
Ne font jamais sentir qu’aprés de longues veilles,
Des éclairs de l’esprit les puissantes merveilles ?
C’est-là le seul moyen d’ouvrir le bouches d’or,
Qui des leçons du Ciel dispensent les tresor,
Et de faire au Barreau tonner les Demosthenes,
Par qui Paris s’éleve à la gloire d’Athenes.
Pour tout dire, il n’est point d’employ ny de métier,
Dont chacun tour à tour n’exige un homme entier.
Semblable au Laboureur, qui constant à sa tâche,
Séme, arrache, cultive, ou cueille sans relâche.
 Mais le beau Sexe même, à qui du grand loisir
La Nature a permis le tranquile plaisir,
Auroit bien plus d’attraits si l’étude ou l’ouvrage
De ses jours moins oisifs devenoient le partage ;
Si ne tendant jamais les filets de Cypris,
Et de la vertu seule incessamment épris,
Sa pieuse retraite au fonds d’un Oratoire
Couronnoit sa beauté d’une nouvelle gloire,
Au lieu des vains discours, & des propos flateurs,
Où le frivole encens de ses adorateurs
Luy trace trop souvent l’image mensongere
Des faux biens, ou plutost des songes de Cythere.
 De quelque sexe, enfin, que naissent les humains,
Le travail de l’esprit, ou le travail des mains
Est des enfans d’Adam l’appanage ordinaire.
Mais auroit-on d’honneur à vivre sans rien faire ?
Et Nanteuil, & Varin, & le Brun, & Mignard,
Seroient-ils devenus les Rois de leur bel Art,
Et rappelleroient-ils la memoire éternelle
Du burin de Lysippe, ou du pinceau d’Appelle,
Si loin de s’attacher aux chef d’œuvres divers,
Dont leur genie heureux a charmé l’Univers,
Ils eussent vû leur main froide & paralytique
Tomber dans les langueurs d’un repos létargique ?
Le Pinde même où croist l’Amarante & les Fleurs,
Qui prétent à l’esprit d’immortelles couleurs,
Est si haut qu’on ne peut y monter qu’avec peine,
Et ce n’est qu’en suant, & qu’à perte d’haleine,
Que des sçavantes Sœurs les rares Favoris
De leur verte guirlande y vont chercher le prix,
Et genereux rivaux d’Horace, ou de Virgile,
S’élevent au sommet de ce Mont difficile.
 Pour moy qui dans l’Automne, ou dans le beau Printemps,
Sur un moindre rocher me campe tous les ans,
Malgré tous les attraits qu’offre la vie oisive
Sous mes verds orangers que Pomone cultive,
Je vais, de la Paresse implacable ennemi,
Suivre encor pas à pas l’Abeille & la Fourmi.
 C’est là qu’en sa brillante & sublime carriere,
J’ose peindre LOUIS sur son char de lumiere.
Mais puis-je par ces traits qui partent de mes mains,
Dessiner assez bien le plus grand des humains,
Et tracer dans sa longue & surprenante histoire
Les miracles sans nombre, & les moissons de gloire ?
Si Bellone inspirant le carnage & l’horreur,
De son triste flambeau rallume la fureur,
La Victoire en tous lieux suit d’abord cet Alcide,
L’Aigle de Jupiter eut l’aile moins rapide ;
Il foudroye, il renverse, & luy seul contre tous
Epouvante, & l’Enfer, & l’Univers jaloux.
 Si la Paix à son tour aprés l’affreux Tonnerre,
Sur un Trône de fleurs se remontre à la Terre,
L’Abondance aussi-tost passe tous nos souhaits,
Chaque jour est marqué par de nouveaux bien-faits.
Il n’est plus ny talent, ny merite infertile,
Et sur qui ce Heros jette un regard sterile.
Les Muses, les beaux Arts triomphent sous ses Loix ;
Praxitele & Zeuxis revivent à sa voix.
On croiroit que sa main, selon qu’il le desire,
Du celebre Amphion a ranimé la Lyre,
Quand Versailles se montre, & surpasse à nos yeux
Le fabuleux Palais de l’Olimpe & des Dieux ;
Quand Trianon, l’Amour des Graces & de Flore,
Semble au gré des Zephirs subitement éclore,
Ou quand le beau Marly, sous les plus verds Ormeaux,
Ouvre son sein paisible à des Fleuves nouveaux,
Et change en un moment en Napes, en Cascades,
En jets impetueux le cristal des Naïades.
Et que diray-je encor des Temples si pieux
Qu’éleve au Tout-puissant son cœur religieux,
Superbes Monumens de la Foy pure & vive,
Qui sous le joug des Saints sans cesse le captive ?
C’est ainsi qu’on le voit en la Guerre, en la Paix,
Du pénible travail ne se lasser jamais,
Regler, animer tout, Roy, Pere, Ami fidelle,
Des Princes les plus grands veritable modele,
Qui ne peut toutefois estre bien imité
Que par ce Fils, fameux par son cœur indompté,
Et ces trois Rejettons, dont le jeune courage
Du Sang de mille Rois sent déja l’heritage.
Mais en le crayonnant tel que nous le voyons,
Et rassemblant en luy comme autant de rayons,
L’Honneur, la Pieté, la Valeur, la Clemence,
L’Equité, l’Ordre exact, la vaste Prévoyance,
Qui peindra bien encor cet air si gracieux,
Et ce regard qui charme à toute heure, en tous lieux ?
 Je ne puis l’oublier ce regard favorable,
Du cœur de ses Sujets Aiman inévitable,
Lors qu’en son Cabinet par tes genereux soins,
J’en receus un accueil dont tes yeux sont témoins,
Et dont reste à jamais parmy des traits de flâme,
L’ineffaçable instant dans le fond de mon ame.
C’est là que je le vis plus grand par sa bonté,
Que par tout l’appareil de tant de majesté,
Que par tous ces hauts Faits que sur la Terre & l’Onde.
La Déesse aux cent voix raconte à tout le monde.
 Mais qui peut comme Toy bien peindre ce Heros,
Ou dans le Calme heureux, ou dans l’horreur des Flots ?
Fidelle Observateur de toute sa sagesse,
La Chaise, tu le vois, tu l’écoutes sans cesse,
Et frapé des Vertus dont brille un si grand Roy,
Tu n’en es pas alors moins ébloüy que moy.

Imitation de l’Ode d’Horace, qui commence par, Mecenas, Atavis, &c. §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 82-88.

L’Ouvrage qui suit est adressé à Mr l’Evêque de Nismes, & vient de Mr de la Blanchere, de la même Ville. Vous serez sans doute contente du tour aisé qu’il donne à ses Vers.

IMITATION
De l’Ode d’Horace, qui commence par,
Mecenas, Atavis, &c.

 Prelat, qui charmez l’Univers
 Par vostre divine éloquence,
Amateur des beaux Arts, Ornement de la France,
Dont la gloire a volé chez cent Peuples divers.
Vous de qui les écrits vont faire les délices
 De toute la Posterité,
Fléchier, à qui je dois ma douce oisiveté,
Ecoutez des Mortels les differens caprices.
***
Un jeune audacieux au comble de ses vœux,
 De paroistre dans la carriére,
S’empresse à se couvrir d’une noble poussiere,
Dans un Tournoy peuplé de cent Guerriers fameux.
S’il vient à remporter une illustre victoire,
S’il voit ceindre son front d’un laurier précieux,
 Il en estime tant la gloire
 Qu’il l’égale à celle des Dieux.
***
Si la faveur, aprés des soins extrêmes,
 Eléve quelque ambitieux
À l’éclat souhaité des dignitez suprêmes,
Si quelqu’autre a rempli ses greniers spacieux
 Des grains de la fertile Affrique,
Si content d’habiter une maison rustique
Il aime à cultiver avec ses propres bœufs,
Les champs que labouroient ses tranquilles Ayeux ;
 Ceux-la contens de leur partage,
Et frapez de l’horreur d’un funeste naufrage,
Quand ils devroient gagner tout l’or de l’Univers,
N’iroient point traverser le vaste sein des mers.
***
 Le Marchand surpris de l’orage
Qui craint à tout moment de perir dans les flots,
 Soupire aprés le doux repos
 Qu’il goûtoit sur l’heureux rivage,
Mais s’il voit revenir le calme sur les eaux,
 On le voit d’une ame empressée,
Sans se ressouvenir de sa crainte passée,
Faire raccommoder ses fragiles Vaisseaux.
***
Les uns passent le jour aux plaisirs de la table,
Tantost couchez aux bords des paisibles ruisseaux,
 Tantost sous la fraîcheur aimable
De mille arbres toufus, & pliez en berceaux.
Sans se laisser fléchir aux larmes d’une mere,
 Un autre ira dans les plaisirs de Mars,
Sans crainte de la mort affronter les hazards,
Séduit par les appas d’une gloire legere.
Le Chasseur matineux méprisant les faveurs
 D’une Epouse belle & pudique,
Et bravant des hivers les cruelles rigueurs,
À poursuivre le Cerf sans réserve s’applique
Pour moy, le cœur exempt de mille soins divers,
Je voy couler mes jours d’un œil toujours paisible,
 Et ne me trouve plus sensible
Qu’au plaisir innocent de bien faire des Vers.
Fléchier, si de ma Muse encor foible & tremblante
 Vous vouliez écouter les airs,
Si vous vouliez luy tendre une main caressante,
Ma gloire éclateroit en cent climats divers.

[Portrait de son Altesse Royale Madame] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 110-113.

Je ne puis vous rien faire voir qui vous plaise davantage que le Portrait que je vous envoye. C’est celuy de Son Altesse Royale Madame. Il est d’une bonne main, puis qu’il est de celle de Mr l’Abbé de Poissi.

Montrer un goust exquis, un seur discernement,
 Décider souverainement.
 Avoir l’esprit plein de délicatesse,
 Et le cœur exempt de foiblesse ;
Ne point marcher d’un courage abattu
 Dans le chemin de la vertu ;
 De grands desseins estre capable ;
 Faire voir en tous lieux
 Une constance inébranlable,
 Digne du sang de ses Ayeux ;
 Avoir cette égalité d’ame
 Qui rend l’homme semblable aux Dieux,
 Tel est le Portrait de Madame.

Cette Auguste Princesse ayant donné beaucoup de loüanges à ce Portrait, ainsi qu’elle a fait à tous les Ouvrages que Mr l’Abbé de Poissi a eu l’honneur de luy presenter, il prit de là occasion de faire ce Madrigal.

O vous, dont le seul goust décide,
Vous, dont le jugement certain
Tient lieu d’un Arrest souverain,
Princesse Auguste, esprit solide,
 Vostre suffrage heureux
 Vient de combler mes vœux.
C’est trouver le grand art de plaire,
Que de sçavoir vous satisfaire.
Ouy, les plus critiques esprits,
Nation qui fourmille en France,
 Trouveront mes Ecrits
  De quelque prix,
Puis que vostre suffrage en est la récompense.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 150-151.

Les Vers que vous allez lire meritent un aussi bel air que celuy que vous trouverez dans les paroles que j'ay fait graverI.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quand je vous vois, belle Philis, doit regarder la page 151.
Quand je vous vois, belle Philis,
Je suis tout interdit, je tremble, je paslis,
Je ne me connois plus moy-mesme.
Bien souvent loin de ce Hameau,
Je laisse égarer mon Troupeau.
Jugez de mon amour par ce desordre extréme.

[Journal contenant tout ce qui s’est passé au Camp de Coudun] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 151-221.

Je viens à la Relation du Camp de Coudun, Je ne sçaurois mieux la commencer que par des Vers, qui ont esté faits sur le départ de l’auguste Prince, qui a commandé ce Camp.

À MONSEIGNEUR
le Duc de Bourgogne.

Va, Prince Genereux, va, que rien ne t’arreste,
Abandonne ton ame à ses transports Guerriers,
Et dans un Champ fecond va semer les lauriers,
 Qui doivent couronner ta teste.
***
Apprens l’Art des Heros dans l’école de Mars.
 Commence une illustre Carriere ;
Couvre ton jeune front d’une noble poussiere,
Et foule fierement les traces des Cesars.
***
Petit Fils d’un grand Roy que l’Univers revere,
Et dont le nom inspire & l’amour & l’effroy,
 Tout le monde a les yeux sur toy,
Et tu remplis déja l’un & l’autre hemisphere.
***
Déja fendant les airs avec son Char volant,
 L’impatiente Renommée,
Annonce que tu vas commander une Armée,
Et cent Peuples divers se disent en tremblant,
***
Quel est le nouveau Mars qui menace la Terre.
Nous devons nous attendre à des faits inoüis.
La main qui doit porter le Sceptre de Loüis,
Apprend à lancer son Tonnere.

[...] Il n'y a rien de plus beau à voir que l'ordre avec lequel toutes les Troupes entrent dans le Camp, au bruit des Tambours & des Trompettes. [...]

Le Samedy 6. [...] Sa Majesté, qui estoit accompagnée [de] tous les Princes, des Generaux & des Courtisans, visita plusieurs Quartiers. [...] Lors que le Roy passe [...] [il] n'y a que la Garde du Camp qui se met en bataille, & dont les Tambours battent aux champs ; & devant la Cavalerie toutes les Trompettes se mettent auprés des Officiers quand le Roy passe, & elles sonnent la marche. Chaque Escadron de Cavalerie legere a quatre Trompettes. [...]

[Le mardi 9 les rois d'Angleterre et de France] montérent à cheval & commencérent au pas la visite de l'Armée par la gauche de la seconde ligne, au bout de laquelle ils se trouvérent vis-à-vis de la teste de la premiere qu'ils achevérent de visiter. [...] Les Trompettes & Timbaliers des Regimens Royaux ont la livrée du Roy, & les autres celles des Colonels dont les Regimens portent les noms, les uns & les autres enrichis d'or ou d'argent ; les Etendars en broderie d'or & d'argent avec des Devises, & les banderoles des Trompettes & Tabliers des Timbales, sont pareillement brodez d'or & d'argent. [...] Les Tambours des Regimens qui portent des noms de Provinces, ont la livrée du Roy, & les autres celles des Colonels dont les Regimens portent les noms. [...]

Le Jeudy 11. le Roy voulant faire voir à Monseigneur le Duc de Bourgogne, l'ordre d'un décampement d'Armée, les trois Princes partirent de Compiegne à six heures trois quarts du matin, & se trouvérent à le teste du Camp. [...] Le bruit des Trompettes, des Timbales, des Hautbois, des Tambours, des Fifres, la beauté des Troupes, leur fierté, & leur bel ordre, inspiroient un air de guerre à tous les spectateurs.

[Madrigal de Mr de Messange sur le Camp de Coudun]* §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 257-258.

Voicy un Madrigal de Mr de Messange sur le Camp de Coudun. Il a esté mis en air par Mr du Parc. Je viens d’apprendre que ces paroles ont aussi esté notées par quelques autres Maistres.

 Par un jeu digne d’un Heros,Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Par un jeu digne d’un Heros, doit regarder la page 257.
Loüis réveille Mars dans le sein du repos ;
 Aprés avoir calmé la Terre.
Celuy qui fit goûter à ses heureux Sujets
Une charmante Paix au milieu de la Guerre,
Leur fait revoir encor, mais avec plus d’attraits,
Une charmante Guerre au milieu de la Paix.
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[Enregistrement au Parlement de Bordeaux, des Lettres patentes de Monsieur le Duc de Chevreuse, sur la survivance du Gouvernement de Guyenne] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 268-270.

 

Le 28. du mois dernier Mr de l’Isle du Vigier, Mestre de Camp de Cavalerie, presenta au Parlement de Bordeaux les Lettres Patentes que Mr le Duc de Chevreuse a obtenuës, pour la survivance du Gouvernement de Guyenne, aprés la mort de Mr le duc de Chaulnes, lesquelles avoient esté remises à Mr du Vigier son Frere, Procureur General au Parlement pour y estre enregistrées. Mr de l’Isle y alla à la teste d’un nombreux cortege de Gentilshommes les plus distinguez de la Province. Mr Poitevin, fameux Avocat, qui depuis sept années avoit quitté la Plaidoirie, se signala dans cette occasion, par un tres-beau Discours. Mr Dalon Avocat General parla aussi avec beaucoup d’éloquence. Il y eut ensuite un repas magnifique chez Mr le Procureur General, où rien ne manquoit, tant pour la délicatesse que pour la propreté. Il fut accompagné d’une tres-belle Symphonie.

[Pratique curieuse, ou les Oracles des Sibyles, sur chaque question proposée] §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 271-273.

Le Sieur Brunet, Libraire dans la grande Salle du Palais, à l’Enseigne du Mercure Galant, vient de mettre au jour la troisiéme Edition du Livre intitulé, La Pratique curieuse, ou les Oracles des Siécles, sur chaque question proposée, avec la fortune des humains, inventée par Monsieur Commiers. Cette troisiéme Edition est augmentée d’une seconde Partie sur plus de soixante nouvelles questions, qui n’ont point encore paru, & qui avec celles de la premiere partie, font presque tout ce qui peut arriver dans la vie, & convenir aux hommes, joint que ces réponses y sont si bien meslées & confonduës, que plusieurs pourront se persuader qu’il y a du hazard dans les Oracles. De plus on apprend succintement dans ce Livre, l’origine & les qualitez presque de tous les Dieux de la Fable, & de l’Histoire profane : ainsi le divertissement que doit donner ce Livre est agreablement mêlé avec l’utile.

[Entretiens sur la pluralité des Mondes]* §

Mercure galant, septembre 1698 [tome 9], p. 273-274.

Le même Libraire a depuis peu mis au jour la quatriéme Edition des Entretiens sur la pluralité des Mondes. Vous sçavez que cet Ouvrage est de Monsieur de Fontenelle, de l’Academie Françoise. Les Poësies pastorales du même Auteur, que l’on r’imprime, doivent paroître dans quinze jours, augmentées de plus de deux tiers, on y trouvera un Recueil de Poësies diverses, & galantes, & un Opera intitulé, Endymion. Le Sieur Brunet fait aussi r’imprimer tous les autres Ouvrages du même Auteur. Vous sçavez que c’est au nombre des r’impressions, s’il m’est permis de parler ainsi, qu’on connoît les bons Livres.