1699

Mercure galant, mai 1699 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1699 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1699 [tome 5]. §

[Ode] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 38-50.

Les Ménageries estant aujourd’huy à la mode, & plusieurs Princesses en ayant où elles vont se divertir, le Roy a donné celle de Versailles à Madame la Duchesse de Bourgogne, & en a fait en même temps augmenter le bastiment. Ce lieu plaist fort à cette Princesse ; elle y va souvent se promener, & y regale les Dames de sa suite. Voici des Vers qui ont esté faits par M. Cassan sur les Animaux de cette Ménagerie.

ODE.

Chantez Muse, chantez en faveur de Marie,
Et mêlez vostre voix aux innocens plaisirs
Qui s’offrent à l’envy dans la Ménagerie,
 A ses jeunes desirs.
***
N’oubliez pas aussi les soins qu’elle se donne,
Pour voir de tems en tems les Animaux divers,
Qui dans ce vaste enclos joüissent de l’automne
 Au milieu des hivers.
***
Considerez d’abord cette fiere Genisse,
Avec son large front & son dos marqueté ;
Jadis on en eût fait un digne sacrifice
 Pour sa grande beauté.
***
Voyez ce jeune Dain qui bondit auprés d’elle,
Ne craignant pas icy l’atteinte d’aucun mal ;
La neige nous paroît & moins blanche & moins belle,
 Que ce doux animal.
Ce Cerf qui craint Diane & sa meute en furie,
Fut un jour sur le point de s’en voir investi ;
Mais trouvant un azile en la Ménagerie,
 Il n’en est plus sorti.
***
Cette Chevre sans barbe à ce coin écartée,
Ne connoît plus icy l’usage de brouter,
Jupiter la prendroit pour la Chevre Amalthée
 Qui venoit l’alaiter.
***
Regardez le Griffon au travers du grillage,
Observez le Sagoin, la Civete, l’Elan, *
Icy la Poule hupée, & le Canard sauvage
 Qu’on appelle Arquelan.
***
Cet Animal guindé qu’on nomme Demoiselle,
Lors qu’il voit la Princesse admirer sa beauté,
Comme un fier Espagnol s’en vient au devant d’elle,
 Avec sa gravité.
***
Icy ce gros Oiseau que l’Inde nous envoye,
Paroît estre formé sur un nouveau dessein ;
Il a le corps couvert d’une espece de soye,
 Qui ressemble à du crin.
***
La Cicogne qu’on voit une jambe levée,
Repose en cet état, & ne dort qu’à demi,
Afin d’estre au besoin promptement éveillée,
 S’il vient quelque Ennemy.
***
Le Paon de qui l’orgueil n’a rien que d’agreable,
Fait la rouë au Soleil tout bouffi de fierté ;
Mais dés qu’il voit ses pieds, il est inconsolable,
 Et perd sa vanité.
***
Junon luy fait traisner dans la voûte azurée,
Son char par des chemins aux mortels inconnus,
Et c’est d’elle qu’il tient la dépoüille dorée
 De tous les yeux d’Argus.
Là, dans une autre cour, l’Oiseau dont le plumage
Fait de nos Cavaliers le plus digne ornement,
Ayant quitté chez luy son naturel volage,
 Vit familierement.
***
Dans son Pays natal nul soin ne l’embarrasse,
Il expose ses œufs aux sables Affriquains,
Et le Soleil prend soin pour conserver sa race,
 D’éclorre ses Poussins.
***
L’Aigle qui par son vol va percer le nuage,
Pour regarder de prés le Dieu de la clarté,
De prendre son essor vient de perdre l’usage,
 Avec la liberté.
***
Le Dieu dont le courroux peut tout réduire en poudre,
A permis quelquefois par maniere de jeu,
Que cet animal fût le porteur de sa foudre,
 Sans en craindre le feu.
***
Là, vers ces grands bassins mille Oiseaux aquatiques,
Au moindre bruit qu’on fait, s’élancent dans les eaux,
Ils aimeroient mieux être en des lieux plus rustiques,
 A l’abry des roseaux.
***
§ Cet Oiseau qui nous chante un air plaintif & tendre,
Au point que son destin luy vient fermes les yeux,
Abandonnant pour nous les rives du Meandre.
 Habite dans ces lieux.
***
A l’aspect de Marie il bat l’eau de ses ailes,
Où brille la blancheur d’un éclat sans pareil,
Et ravi de plaisir en les voyant si belles,
 Il s’admire au Soleil.
***
** Remarquez cet Oiseau d’une si rare espece
Qui se perce le flanc pour nourrir ses petits ;
On ne peut concevoir cet excez de tendresse,
 Sans en estre surpris.
***
†† Sous ces Dômes ouverts environnez de grilles,
Vole un nombre d’Oiseaux comme au milieu des airs,
Nourrissant dans ce lieu leurs paisibles familles,
 Sans craindre les dangers.
***
‡‡ L’Oiseau qui de Venus a reçû pour partage
De traisner son beau char dans la route des Cieux,
Aussi-tost qu’il paroist, l’éclat de son plumage
 Vient ébloüir nos yeux.
***
Quel plaisir c’est de voir la chaste Tourterelle,
Le plus digne portrait de la fidelité !
Sa Compagne jamais ne se sépare d’elle,
 Et vole à son costé.
***
Lors que par un destin funeste à leur tendresse
L’un d’eux se trouve atteint du plomb de l’Oiseleur,
L’autre du même coup penetré de tristesse
 Va mourir de douleur.
***
Ces Oiseaux de bon goût que l’on sert sur la table,
Ne craignent pas icy que le bec du Vautour,
Qui les menace ailleurs d’un destin déplorable,
 Leur ravisse le jour.
***
Sortons de leurs enclos, de crainte que Marie,
Ne se fatigue trop à voir tant d’Animaux,
La diversité plaît & l’on se désennuie
 Par des objets nouveaux.
***
Entrons dans ce parterre, & suivons la Princesse,
Déja Flore s’avance un bouquet à la main,
Et sur toutes les fleurs l’Anemone s’empresse
 De border son chemin.
***
La fleur dont la beauté n’a rien de comparable,
La vive Renoncule avec son incarnat,
Qui va charmer les Dieux au dessert de leur table,
 Y brille avec éclat.
***
La Tulipe s’en vient émailler la verdure
Avec mille couleurs qu’elle emprunte d’Iris ;
Et la Rose dans peu va joindre à sa parure,
 Les parfums de Cipris.
***
Les fleurs qu’on voit ramper dans tout autre parterre
S’efforcent à l’envy d’un & d’autre costé,
De venir en ses mains s’élevant de la terre,
 Pour sa commodité.
***
Au fond de ce jardin regne la simetrie
De deux beaux pavillons, destinez pour les jeux
Qui peuvent augmenter les plaisirs de Marie
 Dans ces aimables lieux.
***
Princesse, terminez une course si belle ;
On a mis le couvert dans vostre appartement
Amenez vostre Cour, pour goûter avec elle,
 D’un autre amusement.
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[Suite du Journal concernant l'Ambassadeur de Maroc, avec la Harangue qu'il a faite au Roy le jour de son audience de congé] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 90.Voir cet article et cet article pour le début du journal.

Deux jours aprés, il [l'ambassadeur] alla voir l'Opera d'Amadis de Grece, & parut étonné d'avoir toujours vû des choses qui l'avoient enchanté toutes les fois qu'on l'avoit mené à l'Opera.

[La Nymphe de Chanceaux, ou L’arrivée de la Seine au Château de Marly] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 128-154.

Voicy encore un Ouvrage de Mr Cassan, Auteur de la Ménagerie, employée au commencement de cette Lettre. Sa Majesté, à qui il est adressé par ces huit Vers, l’a receu d’une maniere tres-favorable.

AU ROY.

Louis, reçois icy l’hommage d’une Muse,
Qui chante les travaux où ton esprit s’amuse,
Quand ta foudre en repos arreste son éclair,
Et n’épouvante plus ny la terre, ny l’air.
***
 Elle n’étale point ces termes emphatiques,
Dont on pare aujourd’huy les Phrases Poëtiques,
Mais d’un stile plus simple elle expose à tes yeux
La seule expression & des noms & des lieux.

LA NYMPHE DE CHANCEAUX,
OU
L’arrivée de la Seine au Château de Marly.

Dans la riche Contrée, où le Dieu des Vendanges
Voit toujours celebrer ses divines loüanges,
Pour les gros revenus qui reviennent du fruit,
Que dans ce beau Terroir son Vignoble produit ;
Là tout prés de Chanceaux, & non loin de Saint Seine,
Du fond d’un petit bois l’on voit sortir la Seine,
Qui d’abord jaillissant par de petits boüillons,
S’en va de quelques champs arroser les sillons ;
Puis rassemblant ses eaux le long d’une colline,
Elle vient réjoüir la campagne voisine,
Et tombant dans un fond, commence à cet endroit
De se former un lit par un canal étroit.
 De là, suivant sa pente en traversant les plaines,
Elle reçoit par tout le tribut des Fontaines,
Qui par des flots d’argent viennent dans des ruisseaux
S’empresser à l’envi pour augmenter ses eaux.
 La Nymphe qui réside au fond de cette source,
Admirant les progrés qu’elles font dans leur course,
Sent un instinct secret, qui luy fait concevoir
Une fois pour toujours le dessein de les voir.
 Elle sort à l’instant, & sous l’ombre des Saules,
Tresse ses long cheveux flotans sur ses épaules,
Met sa robe, & de fruits prend un bouquet en main,
Et quitte son séjour pour se mettre en chemin.
 De ces Saules enfin abandonnant l’allée,
Elle vient à Bagneux, où dans une vallée,
Son canal s’élargit, & déjà sur ses eaux
L’aviron fait voguer quelques legers Bateaux.
 Alors de quelques flots élevant la surface,
La Nymphe en un instant se forme un char de glace,
Et montant sur son siege, elle va lentement
Suivre le fil de l’eau par un doux mouvement.
 Les Faunes qui n’ont vû rien d’égal dans le monde,
La prennent pour Thetis, la Déesse de l’onde,
Mais le sort d’Acteon, dont ils sont informez,
Les écarte bientost de frayeur alarmez.
 La Nymphe qui les voit rentrer dans leur retraite,
De leur vaine frayeur demeure satisfaite,
Et pour ne plus paroistre à leurs profanes yeux,
Se fait d’une vapeur un voile officieux.
 Ainsi tranquillement elle fait son voyage,
Et remarque les lieux qui bordent son rivage.
 Elle voit Châtillon, dont l’antique rempart
Est le premier objet digne de son regard.
Mussy-l’Evêque, & Bar, & la Cité de Troye,
Font chacune à son tour le sujet de sa joye.
Cette Cité n’est pas celle où le feu Gregeois
Vit sa flâme meslée au sang de ses Bourgeois.
 Au dessous de Meri l’Aube augmente son onde,
Puis la Nymphe voit Pont & sa plaine feconde,
Non loin de là Nogent, puis Bray ; vers l’autre main
Montereau, Fautyonne au bord de son chemin,
Où par le gros renfort d’une onde auxiliaire,
On peut l’appeller fleuve aussitôt que riviere.
 Melun avec son Pont semble arrester son cours ;
Plus loin paroist Corbeil avec ses vieilles Tours.
Sur un penchant se voit Villeneuve Saint George,
Et plus bas dans son lit la Marne se dégorge.
Elle admire en passant ces superbes Maisons, *
Où regne un doux Printemps dans toutes les saisons.
A sa droite est aussi le Chasteau de Vincenne,
Avec l’Arc de Triomphe érigé dans la Plaine,
Pour les exploits fameux & les faits inoüis,
Qui de mille Lauriers ont couronné Loüis.
 A la gauche, & plus loin, paroist l’Observatoire,
Où de l’ordre des temps Cassini fait l’Histoire,
Et par de longs Tuyaux voit d’un œil curieux,
Au travers du cristal le mouvement des Cieux.
 Enfin à la faveur de l’onde qui la mene,
Elle entre dans Paris sans détour & sans peine,
Et bientost l’Arcenal, les Maisons & les Ponts
Sont par elle passez en observant leurs fronts,
Mais entre les deux Ponts que regarde le Louvre,
Considerant par tout ce que son œil découvre,
Elle admire au Pont-neuf le valeureux Henry
Sur un cheval d’airain, qui d’un air aguerry
Semble encor commander au milieu des Batailles,
Ou forcer les Ligueurs couverts de leurs murailles.
 Le Louvre, à sa main droite, est un si bel objet,
Qu’elle a regret d’en voir suspendre le projet.
Sur tout de ce Fronton d’ordonnance correcte,
Chef-d’œuvre merveilleux de Perrault l’Architecte.
Si de le voir finir ce n’est pas la saison,
C’est à d’autres qu’à nous d’en sçavoir la raison.
 D’un College fameux, † riche en toute maniere,
Elle voit tout à plein la face réguliere.
Jule par ces bienfaits a voulu dans ce lieu
Eterniser son nom, imitant Richelieu,
A qui la France doit la celebre Sorbonne,
Et les succés heureux des sujets qu’elle donne.
 Plus bas le Pont Royal, basti solidement,
Est encor de Paris un utile ornement.
 Elle apperçoit aussi le Parc des Thuilleries,
Où l’on voit étaler l’or & les broderies.
Là tout ce que Paris a de riche & de beau,
S’en va durant l’Eté l’embellir de nouveau,
Et pendant ce concours suivi de mille escortes,
Les Carosses dorez en assiegent les portes.
 Plus loin le Cours-la-Reine est ombragé d’ormeaux,
Dont le branchage épais fait trois rangs de berceaux.
Quelquefois dans ce Cours le Duc & la Duchesse
Des Carosses Bourgeois sont foulez dans la presse,
Et sans leur Ecusson, leur train ne sçauroit pas
Les faire distinguer parmy cet embaras.
 De l’autre main paroist l’Hostel des Invalides,
Affermi sur un fond de revenus solides :
Superbe monument, où la posterité
Connoistra de Loüis le zele & la bonté.
 Au loin se voit Meudon, qui sur une éminence
Est le lieu du repos de l’Aîné de la France.
Loüis y vient aussi dans la belle saison,
Respirer quelquefois l’air de cette maison,
Et pour se délasser des peines que luy donne
Pour le bien de l’Etat, le poids de sa Couronne.
 Plus bas paroist Saint Clou, qui du haut du costeau
Voit rouler le cristal dans les Cascades d’eau.
Philippe y tient sa Cour certain temps de l’année,
Et par de doux plaisirs partage la journée ;
Mais Paris quelquefois reçoit cette faveur,
Quand aux solemnitez il vient luy faire honneur.
 La Nymphe voit encor l’Architecture antique
Du Chasteau de Madrid, ouvrage magnifique,
Puis le courant s’écarte, & va vers Saint Denis,
Où l’on garde en dépost des trésors infinis.
 Ainsi par ce contour son onde détournée
Serpente dans la plaine une demi-journée ;
Il semble qu’elle craint de passer par l’endroit,
Où plus bas que Ruël son lit devient étroit.
 Mais enfin son penchant luy faisant violence,
L’entraîne dans ce lieu malgré sa résistance,
Et fait voir à la Nymphe au delà du tournant
Le formidable objet d’un travail surprenant.
 Comme on voit en hiver la forest des Ardennes,
Quand la bize a fait cheoir le feüillage des chesnes,
Et chasse les voleurs de tous les défilez,
Presenter ses vieux troncs qui paroissent brûlez.
Ainsi se voit de loin la Machine effroyable,
Ouvrage de nos jours qui paroist incroyable,
Avec tout l’attirail de son corps herissé,
De rouage & de Ponts l’un sur l’autre exhaussé,
Dont les bras s’étendant vers le haut de la coste,
Meuvent les Balanciers comme on voit une Flote,
Que la vague entretient dans le balancement,
Incliner tous ses mats à chaque mouvement.
 Quoy, dit-elle en voyant la Machine étonnante,
Seray-je donc contrainte à poursuivre ma pente,
Et me faire rouër parmy tous les ressorts,
Que je vois remuër par de si grands efforts !
Non, non, dit elle alors, la Nymphe de la Seine
Se mêlera plûtost avec l’eau qui l’entraîne,
Et par son changement sçaura bien éviter
Les outrages cruels qu’elle voit aprêter.
 Ainsi dit, à l’Instant elle se rend liquide,
Son corps va se mêler avec l’onde rapide,
Et dans le fil de l’eau tâche de s’allonger,
Croyant par ce moyen éviter le danger.
 Mais en vain, car aux Ponts cent Pompes aspirantes
L’enlevent de son lit à reprises frequentes,
Et la livrent ensuite aux Pistons refoulans,
Qui font pour l’enlever des efforts violens.
 Alors par ces efforts elle sent qu’elle monte
Vers le haut du costeau dans des tuyaux de fonte,
Qui vont la revomir au prochain réservoir,
Où cent autres tuyaux viennent la recevoir.
Là les Pistons changeant leur maniere ordinaire,
Pressent de bas en haut par un effet contraire.
 Elle reçoit le jour pour la seconde fois,
Et reprend en ce lieu l’usage de la voix,
Pour se plaindre en passant du Chevalier de Ville,
Qu’elle voit sur sa gauche avec son air tranquille
Qui t’oblige, dit-elle, avec ton Art maudit,
A venir malgré moy m’enlever de mon lit ?
A ces mots les Pistons luy coupant la parole,
Le Clapet la retient s’ouvrant à tour de rôlle,
Et la fait parvenir aprés tant de détours
Sur le haut du regard pour luy donner son cours.
De là sur l’Aqueduc, sa pente naturelle
Luy fait prendre bien-tost une route nouvelle.
 Enfin elle descend par des tuyaux de fer
Dans un long réservoir, appellé Trou d’Enfer ;
Mais c’est là que le Ciel devenu favorable,
Luy presente par tout un aspect agréable.
Soleil, dit-elle alors, qui brilles dans les Cieux,
Aprés tant de tourmens, que vois je dans ces lieux ?
Quel calme regne icy ? quelle est cette contrée,
Qui sans doute autre part doit avoir son entrée ;
Car je ne pense pas que l’horrible conduit,
Par où j’ay fait chemin au travers de la nuit,
En ait jamais esté le sentier, ny la route.
 Apollon à l’instant, pour la tirer de doute,
Belle Nymphe, dit il, apprenez qu’en ce lieu,
Aux jours de son repos habite un demi Dieu.
C’est Loüis, ou plûtost c’est le vaillant Alcide,
Qui vient de réprimer la fureur homicide,
Dont le Dieu des combats agite les humains,
Lorsque pour se détruire ils ont armé leurs mains.
 Les destins en ces lieux ont borné vostre course.
C’est icy que vostre Urne à l’opposé de l’Ourse,
Doit dégorger ses eaux dans un riche canal,
Pour les faire couler d’un mouvement égal.
 En achevant ces mots il poursuit sa carriere,
Et répand sur la Nymphe un rayon de lumiere,
Qui rétablit son corps dans son premier estat,
Relevant sa beauté par un nouvel éclat.
 D’obeïr aux destins la Nymphe est toute preste,
Et marchant quelques pas, voit lors qu’elle s’arreste,
Au milieu d’un vallon le Chasteau de Marly,
Que la Nature & l’Art ont par tout embelly.
Vers l’une & l’autre main l’Architecture étale
Six riches Pavillons de simetrie égale,
Qu’on fait communiquer par de triples Berceaux,
Artistement formez de charmes & d’ormeaux.
 De ces douze Maisons l’Astre de la contrée
N’a jamais aux ennuis vû profaner l’entrée ;
Les innocens plaisirs viennent seuls dans ces lieux,
Les rendre aussi charmans que le séjour des Dieux.
 La Nymphe s’avançant d’une démarche lente,
Reconnoist son canal pratiqué dans la pente,
Qui descend du Midy vers le front du Chasteau,
Et surprise elle admire un Ouvrage si beau.
 C’est donc icy, dit-elle, où le destin m’amene,
Pour y faire couler une nouvelle Seine ?
Je ne m’attendois pas de trouver en ces lieux,
Aprés mon infortune, un sort si glorieux.
 Alors elle se couche, & son Urne penchante
Fait couler à longs flots la Riviere naissante,
Etendant son cristal de l’un à l’autre bord,
Et la Nymphe à l’instant se repose & s’endort,
 Les ondes cependant par leur course bruyante
S’emparent du Canal, en occupent la pente,
Et leur gazouïllement attirant les Oiseaux,
Ils mêlent leur ramage au murmure des eaux.
 Muse, c’est maintenant que vous devez m’apprendre
L’agréable plaisir qu’on eut de les entendre,
Quand le bruit de leurs flots jusqu’alors inoüis,
Dans son appartement éveillerent Loüis.
 Le Monarque à ce bruit, qui luy charme l’oreille,
Se leve promptement pour voir cette merveille,
Et suivi d’une Cour dont il a fait le choix,
Voit la Seine à Marly pour la premiere fois.
 Le Soleil éclairant l’un & l’autre rivage,
Il semble qu’en ce lieu coulent les eaux du Tage.
Dont les superbes flots dans leur cours diligent
Font parmy leur gravier rouler l’or & l’argent.
 Loüis, qui sur le bord considere leur course,
Monte insensiblement, pour aller à la source,
Et venant au sommet, voir la Nymphe qui dort,
Au bruit que font ses eaux vers le costé du Nort
 Nymphe, dit-il alors, dont l’onde claire & pure
Coule dans ce Canal avec un doux murmure,
Et ranime les fleurs, que Flore dans ces lieux
Fait naistre sous nos pas pour arrêter nos yeux,
Reconnoissant icy vostre abord favorable,
Je feray que vos eaux, par un travail durable,
S’écoulant à travers des tuyaux de metal,
Eleveront en l’air mille objets de cristal,
Qui frayant vers le Ciel une route inconnuë,
Sembleront de nouveau remonter dans la nuë.
 Aussi-tost à Mansard il donne le dessein
De faire ouvrir la Terre, & foüiller dans son sein,
Pour conduire avec art par cent routes profondes
Le tribut qu’on reçoit de ces nouvelles ondes.
 L’Architecte obéit, & par mille jets d’eau
On voit briller Marly d’un ornement nouveau.
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Mort de Messire Etienne Moreau §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 180-189.

Dijon aprés Paris est une des Villes du Royaume qui produit le plus de Sçavans & d’hommes de Lettres. C’est ce que feu Mr Ménage disoit souvent dans ses Conferences. On y regrette aujourd’huy la perte qu’on y a faite en la personne de Messire Estienne Moreau, Avocat General de la Chambre des Comptes, décedé le 27. du mois passé. C’estoit un excellent Orateur, comme il a paru par plusieurs Discours qu’il a prononcez au Parlement, estant alors Avocat, qu’à la Chambre des Comptes en qualité d’Avocas General, aux Audiences publiques, & aux ouvertures de la Saint Martin, où l’usage des Harangues, aprés avoir subsisté longtemps, a cessé depuis quelques années. Il y a eu quelques-unes de ses pieces d’Eloquence mises au jour, entre autres le Discours qu’il fit au Parlement en 1676. à la presentation des Lettres de provision de Mr le Marquis d’Huxelles, pour la Charge de Lieutenant de Roy en Bourgogne ; un Discours allegorique sur la Paix, imprimé la même année, destiné pour la Chambre des Comptes ; un autre sur l’établissement d’une Academie des belles Lettres à Dijon en 1693 ; un autre adressé au Roy la même année, au sujet du rang des Officiers de son Royaume, & un Eloge du feu sçavant Mr Boizot, son Ami, Abbé de Saint Vincent de Besançon, en 1694. Il avoit un genie facile pour la Poësie, & il seroit à souhaiter qu’on eust un recueil de tout ce qu’il a composé dans ce genre de Litterature, & de toutes les Pieces détachées qui ont paru de luy en divers temps. Lors qu’il fit estant jeune, le voyage d’Italie, il laissa en passant à Lyon, à un de ses Amis, un recueil des Poësies qu’il avoit faites alors ; & au retour de son voyage par la même Ville, il trouva que son Ami avoit pris le soin de faire imprimer ses Vers sous le titre des Nouvelles Fleurs du Parnasse. Il réussissoit parfaitement aux Devises & aux Emblêmes, ainsi qu’il en a souvent donne des marques dans les Desseins des réjoüissances publiques que la Ville de Dijon a produits pour les naissances des Fils de France, les déclarations de Paix, les arrivées & séjour des Gouverneurs dans la Province, à la tenuë des Etats, & en d’autres occasions. La pluspart de ces Desseins accompagnez de Devises & d’Inscriptions de sa composition, ont esté imprimez. Il avoit épousé en premieres Noces Dame Marguerite Durand, alliée aux meilleures Familles de la Ville, de laquelle il a eu Mr Moreau de Brasey, cy-devant Capitaine au Regiment de la Sarre, Auteur des Journaux imprimez des Campagnes de Piémont 1690. & 1691. & en secondes Noces, Dame Marie Remond, d’une Famille noble & ancienne, originaire de Chastillon sur Seine, de laquelle il laisse quatre Filles. Au sujet des Devises & Emblêmes dont je viens de vous parler, il en avoit fait une pour luy-même, tirée des Armoiries de cette seconde Femme, portant trois roses, & des siennes, qui sont trois testes de More, tortillées d’or en champ d’argent ; sçavoir un More qui tient une rose, avec ce Vers.

Ardor totus is est, est ea tota pudor.

Autour de l’Ecusson de ses Armoiries, peint avec celles de feuë Dame Catherine Rosetot, sa Mere, qui sont d’or à deux roses de gueules, coupé d’azur à une rose d’argent, ainsi que le portoit Philbert Rosetot, Conseiller au Parlement de Dijon en 1616. de la Famille duquel elle estoit, & celles de Marie Rémond, sa seconde Femme, qui sont de gueules à trois roses d’argent, il avoit mis ce Vers.

Est meus in castis, ortus amorque rosis.

Il est mort dans sa soixante & uniéme année. Il estoit Frere du feu Chevalier Moreau, Capitaine dans le premier Bataillon du Regiment Royal des Vaisseaux, mort âgé de trente-deux ans à Mons en Hainaut, le 11. Aoust 1692. de la blessure qu’il avoit reçûë au combat de Steinkerque. Ses autres Freres qui restent, sont, Dom Moreau, Bachelier de Sorbonne, Prieur de Cisteaux ; Me l’Abbé de Hauteseille en Lorraine, nommé par Sa Majesté en 1692. estant à son Camp devant Namur, & Mr Moreau de Mautour, Auditeur en la Chambre des Comptes de Paris, qui a beaucoup de talent pour la Poësie Françoise, & d’inclination pour les belles Lettres. J’ay crû devoir cet article à la memoire de feu Mr Moreau, en reconnoissance de quantité de Poësies excellentes de sa façon, dont les Lettres que je vous envoye tous les mois ont esté plusieurs fois embellies.

[Vers adressez à Mr Despreaux sur la mort de Mr Racine] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 189-193.

La part que vous avez prise à la perte de l’illustre Mr Racine, m’engage à vous envoyer ces Vers, que Mr du Tremblay a faits sur sa mort.

A Mr DESPREAUX.

L’Oracle de nos jours, le celebre Racine,
Dont les Vers inspirez d’une fureur divine,
Tant de fois de nos yeux ont exigé des pleurs,
Nous laisse par sa mort de plus justes douleurs.
L’impitoyable Parque en a fait sa victime,
Sans respecter en luy l’esprit le plus sublime.
Ce monstre aveugle & sourd, ce cruel destructeur
Ne peut rien sur l’Ouvrage, & peut tout sur l’Auteur.
De ses fameux Ecrits la memoire immortelle,
Rapellera toujours cette perte cruelle,
Et nos derniers Neveux accuseront le sort
D’avoir soumis Racine au pouvoir de la mort.
 Illustre & cher Amy de ce rare genie,
Despreaux, toy qui fus le témoin de sa vie,
Toy, qui connus si bien son cœur & son esprit,
Fais nous de ses vertus un fidelle récit
Personne comme toy n’anime une peinture.
Tu peux luy faire seul un Eloge qui dure.
Jamais mortel ne fut plus digne de tes Vers,
Son nom vivra comme eux autant que l’Univers.
 Mais en vain sa memoire à ce devoir t’engage ;
En vain ma foible voix t’excite à cet ouvrage,
Justement penetré des plus vives douleurs,
Tu ne peux luy donner d’Eloge que tes pleurs.
 Tu n’en peux trop verser sur cette illustre cendre.
Mille autres comme toy sont forcez d’en répandre,
Quoy qu’ils ne perdent pas un ami précieux,
Le plus rare present de la faveur des Cieux.
Pleure, & n’entreprens point une loüange vaine ;
Tu prendrois pour sa gloire une inutile peine.
Ses Vers de l’avenir seront toujours cheris,
On lira son Eloge en lisant ses Ecrits.

[Madrigal] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 193-194.

Le Madrigal que vous allez lire sur la mort de Mr Moreau, a esté envoyé à Mr Moreau de Maintour son Frere, par Mr l’Abbé Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons.

La probité l’honneur, les beaux Vers, l’éloquence,
Les entretiens aisez, la profonde science,
Des fureurs de la mort n’ont pû sauver Moreau.
Muses, consolez vous de ses sanglans outrages ;
Son Frere & ses Amis, par d’immortels Ouvrages,
Sçauront bien l’arracher à la nuit du Tombeau.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 194-195.

Ces autres Vers ont esté mis en Air par un habile Musicien. Quiconque aura la force de s'attacher à la maxime qu'ils renferment, peut s'assurer de vivre sans inquietude.

AIR NOUVEAU.

L'Air qui commence par, Si jamais l'Amour, page 194.
Si jamais à l'amour
Je suis sensible un jour,
On le sera de même.
Le secret important
D'estre toujours content,
C'est d'aimer qui nous aime.
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Mort de Messire Bernard Picquet §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 203-205.

Messire Bernard Picquet, Docteur en Theologie de la Societé Royale de Navarre, mort à soixante & quatre ans, & Messire Loüis Picquet, son Frere, Docteur en Theologie de la Maison & Societé de Sorbonne, cy devant Bibliothequaire de la Bibliotheque publique du College des Quatre-Nations. Ce dernier est mort à soixante & deux ans, & estoit tres intelligent dans les Langues du Levant, fort connu & estimé parmy les Etrangers. Il avoit une Bibliotheque considerable, particulierement pour les Langues Orientales, & pour les Memoires & les remarques qu’il avoit faites. Il la laisse par son testament, avec tous ses papiers & pieces volantes, tant imprimez que manuscrits, à la Bibliotheque des Jacobins réformez de la ruë Saint Honoré, dont le Pere Lequin, son Ami, fort sçavant dans les Langues Etrangeres, est Bibliothequaire. Mrs Picquet laissent un Frere & une Sœur, qui sont François Picquet, Conseiller-Secretaire honoraire du Roy, Pere de défunt Mr Picquet, Conseiller au Chastelet, & N. Picquet, Veuve de Mr Lhuillier, Audiencier en la petite Chancellerie, dont entre autres est venu Mr Lhuillier, Chanoine de Nostre Dame du Vivier en Brie, réunie à la Sainte Chapelle de Vincennes.

Mort de Mr l’Abbé de Saint-Uffan §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 242.

Mr l’Abbé de Saint-Ussan. Nous avons de luy plusieurs pieces de Poësie, Billets, Contes, Fables & autres.

[Airs spirituels donnez tous les mois] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 260-261

On vient de donner au Public un recueïl d'Airs spirituels & nouveaux à une, deux, & trois parties ; composez dans le goust des Airs de l'Opera. Cet ouvrage est dedié à Mr l'Archevesque de Paris. L'Auteur donnera au commencement de chaque mois un Recüeil semblable, & dans chacun, il y aura deux Airs choisis des Opera anciens & nouveaux, sur des paroles de devotion. Ce recüeil se vend chez Claude Roussel, Graveur, ruë S. Jacques au Lion d'argent, prés les Mathurins.

[Réjoüissances faites par Mr l’Ambassadeur de Savoye] §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 266-268.

Le 17. de ce mois, Mr le Marquis Ferrero, Ambassadeur Extraordinaire de Savoye, fit faire un Feu d’artifice dans le grand Jardin de l’Hostel de Soissons, pour marquer la joye qu’il a de la naissance de Monsieur le Prince de Piémont. Voicy un Madrigal que Mr l’Abbé de Poissi luy envoya sur ce Feu.

Ces feux que le Salpestre éleve jusqu aux Cieux,
Annoncent dignement la Royale naissance
 D’un Prince issu du Sang des Dieux,
 Et montrent ta magnificence :
Mais sans flater ton Excellence,
 Heureux & sage Ambassadeur,
 Ils ne font voir qu’une étincelle
Du feu que pour ton Prince, un juste & sacré zele
 Entretient au fond de ton cœur.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1699 [tome 5], p. 280-281.Ce poème a été publié dans le Recueil des plus beaux vers (Paris, Charles de Sercy, 1661) sous le nom de Louis de Mollier (cf. LADDA 1659-29). L'air publié dans le Mercure n'en reprend que la deuxième strophe, avec une mise en musique différente.

Je croy que vous serez contente de l'Air qu'un habile Musicien a fait sur ces Vers que je vous envoye notez.

AIR NOUVEAU.

L'Air qui commence par, Ne craignez rien, page 280.
Ne craignez rien dans l'amoureux Empire.
Le mal n'est pas, Iris, si grand que l'on le fait,
Et lorsqu'on aime, & que le cœur soupire,
Son propre mal souvent le satisfait.
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