Mercure galant, juin 1699 [tome 6].
Mercure galant, juin 1699 [tome 6]. §
[Ode qui a remporté le Prix de l'Academie des Jeux Floraux] §
Rien n’estant plus propre à animer ceux qui ont du talent pour l’Eloquence & pour la Poësie, que les prix que l’on distribuë sur les sujets que les Académies proposent, il ne faut pas s’étonner si l’on travaille à l’envy pour les remporter. Le Pere Lami, Prestre de la Doctrine Chrestienne, & Professeur de Rhétorique au College de Toulouse, a eu cette année le plus considerable de l’Académie des Jeux Floraux. Il avoit remporté l’année précedente celuy de l’Académie des Lanternistes. C’est un homme d’un merite distingué, & qui s’est acquis l’estime de tous ceux qui le connoissent. Voicy son dernier Ouvrage.
A LA LOUANGE
de la Poësie.
ODE.Quel feu, quels transports, quelle audace,Saisissent mes sens & mon cœur,Et quel Dieu sur un char vainqueurM’éleve au sommet du Parnasse !Déja le beau son de ma voixCharme les échos de ces bois,Où Malherbe encor nous enchante.Pour m’en découvrir les détours,O Muses, qu’en mes vers je chante,Venez toutes à mon secours.***Delicieuse frenesie,Noble amusement des esprits,Beauté dont les cœurs sont épris,Incomparable Poësie,Tes ailes peuvent tout oser :C’est au Ciel que tu vas puiserLa rapidité de tes flâmes.Que ton art est ingenieux :Il meut, il transporte les ames,Et des hommes il fait des Dieux.***Jadis les rochers se fendirentTouchez par de tendres regrets.On vit les monts & les forestsSuivre la voix qu’ils entendirent.Les pierres dans le mouvementVont se placer artistementAu gré du son qui les attire :Tous ces spectacles plus qu’humain ;Font voir ce que peut une LyreQu’animent de sçavantes mains.***Tes traits, aussi puissans qu’aimables,Ouvrent un passage aux amoursEn des lieux qui furent toûjoursAu Soleil même impenetrables.Tes accens vifs & douloureuxPercent le séjour tenebreuxDe l’inaccessible Tenare ;Ta voix y réveille les morts ;Cet empire dur & barbareDevient sensible à tes accords.***Parcourons les Champs Elisées.Où suis-je ! Quel est mon effroy !Ah ! quels grands hommes j’entrevoy !Qu’icy leurs ombres sont prisées !Homere, le Dieu des Auteurs,Pindare, & ses imitateurs,Y brillent par leurs harmonies ;Et parmi ces divinitezSe mêlent ces fameux geniesQue l’Orne & la Seine ont portez.***On vante ces ames hautaines,Qui bravant l’horreur du trépasAlloient aux plus lointains climatsArborer les Aigles Romaines.Que de siecles ont applaudiA ce Heros jeune & hardi,Qui de tant de Rois eut l’hommage !Mais ces Vainqueurs de l’UniversEclatent moins par leur courage,Que par la puissance des vers.***Malgré les fieres destinées,Ces grands noms exempts du cercueilSurmonteront avec orgueilLa longue suite des années.Muses, quel triomphe pour vous !Un Roy, qui les efface tous,Et vous cultive, & vous honore ;Vous charmez ses soins éclatans,Lors qu’il est tout poudreux encoreDe la défaite des Titans.***Chantez ses grandes avantures,Chantez ses immenses bienfaits,Et du torrent de ses hauts-faitsInondez les races futures.L’éclat de tant d’exploits guerriersRendra plus brillans les LauriersDont vôtre teste est embelie.Jamais l’étonnante grandeurDe la Grece & de l’ItalieNe vous combla de tant d’honneur.***Quel siecle offrit une matierePlus digne du sacré Valon ?Est-il pour les sœurs d’AppollonUne plus illustre carriere ?Quoy ! faibles Muses, vous tremblez !Non : Que vos efforts redoublezConsacrent son heureuse histoire,Louis sçaura vous soûtenir ;Et du seul récit de sa gloireVous surprendrez tout l’avenir.
[Vers sur la naissance de Mr le Prince Piémont] §
Je vous tiens parole en vous envoyant les Vers qui ont esté faits sur la naissance de Monsieur le Prince de Piémont. Ils sont de M. l’Abbé de Poissi, qui fait parler un Berger des bords du Pô.
SUR LA NAISSANCE
de Monsieur le Prince de Piémont.Que tout celebre la naissanceD’un Prince aussi beau que l’Amour ;Par des vœux immortels éternisons le jourQui vient remplir nôtre esperance.Hotesses au sacré coupeau,Qui présidez aux grandes choses,Venez semer sur son berceauDes Oeillets, des Lys, & des Roses.Venez luy presenter vos Lauriers les plus verds,Un jour il aimera vos chansons, & vos vers.Que n’ay-je d’Apollon, & le Luth & la LyrePour en tirer des sons harmonieux !Je chanterois un Prince issu du sang des DieuxEt plein de cette ardeur que le Parnasse inspire,En termes plus pompeux on m’entendroit luy dire,***Croissez, Prince, croissez pour nous donner des loix,Faites briller en vous les charmes d’une Mere,Qui surpasse en beauté la Reine de Cythere ;Et par de rapides exploitsMontrez-vous digne Fils de vôtre auguste Pere.***Que ce jour fortuné flatte bien nos desirs !Qu’il a d’inexprimables charmes !Ce n’est plus le temps des allarmes,C’est celuy des plaisirs.Le tranquille Piémont, & l’heureuse SavoyeFont voir les vifs transports d’une éclatante joye.Tout retentit dans ces aimables lieuxDu son de nos MusettesEt les zephirs officieux,Aux oreilles des DieuxPortent nos chansonnettes.Pan, le Dieu des forests, à l’ombre d’un ormeauAnimant un doux chalumeau,Invente une danse champêtre,Où les Ris, les Amours & les Jeux vont paroître.Déja sur leurs HautboisLes Bergers assemblez redisent mille fois,***Croissez, Prince, croissez pour nous donner des loix,Faites briller en vous les charmes d’une Mere,Qui surpasse en beauté la Reine de Cythere ;Et par de rapides exploitsMontrez-vous digne Fils de vostre auguste Pere.***Sur ces riants côteauxOù nous conduisons nos troupeaux,PRINCE, chacun se livre au penchant qui l’entraîne.Mirtile & CorydonOnt gravé vostre nomSur l’écorce d’un chesne,Et l’entourent de fleursDe diverses couleurs.Pour vous rendre en ces lieux un solemnel hommage,Tircis, de verds gasons, vous éleve un autelOù doit fumer pour vous un encens éternel :Dans un temple rustique il place vôtre Image.Chaque PasteurA son exempleVous dresse un Temple,Mais c’est au milieu de son cœur.
Apollon sur la creation des nouvelles Muses §
La Piece que vous allez lire a esté presentée à l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse. Elle est fort à l’avantage de celles de vostre Sexe, dont le beau genie rend nos meilleurs Poëtes jaloux de leur plaire.
APOLLON
Sur la création des nouvelles Muses.Fils du grand Jupiter, toy que le Pinde adore,Apollon, embrase mon cœur ;Si dans les Jeux d’esprit je n’ay pu vaincre encore,Fais qu’aujourd’huy je sois vainqueur.***Ah, j’ay beau m’adresser à l’ardeur qui t’enflâme,Tu me refuses ton secours !Le Ciel m’a fait naistre homme, & si l’on n’est point femme,Vous autres Dieux faites les sourds.***Le Sexe en tes Etats trouve une libre entrée,Sans crainte il erre en tes forests,Et maistre du trésor de ta source sacrée,Avide il y boit à longs traits.***Ne suffit-il donc pas qu’il ait pour son partageUne beauté seure du prix ?Triomphant de nos coeurs, aura-t-il l’avantageDe triompher de nos esprits ?***Rome vit autrefois l’infortuné TibullePar Nerée accablé de fers ;Mais Rome ne vit point Lesbie avec CatulleDisputer l’Empire des Vers.***Fremissant au seul nom de l’affreuse Satyre,Les Femmes des Siecles passezSçavoient coudre, filer, & peut-estre, un peu lire,Et c’estoit bien sans doute assez.***Une seule jadis soigneuse de te plaire,Sur le Pinde voulut monter.La Grece l’admira, mais quel fut son salaire ?L’Amour vint l’en précipiter.***Tour a changé de face, autant que dans VersaillesOn voit aujourd’huy de Heros,Autant que les Bourbons ont gagné de Batailles,La France compte de Saphos.***Ah, crois-tu, Dieu des Vers, qu’icy l’on s’accommodeDe voir le Sexe à tes genoux ?Non, Fille, & Femme, Auteurs, sont une étrange modeQui choque l’Amant & l’Epoux.***Les Muses du vieux temps, tes Compagnes fidelles,Ne grondent pas moins à leur tour,Quand tu viens entouré de ces Muses nouvellesGrossir leur nombre chaque jour.***N’entendras-tu jamais les sçavantes injuresQu’elles vomissent contre toy ?Leurs soupirs redoublez, leurs menaçans murmuresNe te remplissent pas d’effroy ?***Calliope se plaint qu’aux bords de l’HippocreneLa Camus tient le même rang,Que parmy nos grands noms aux rives de la SeineOccupe son illustre Sang.***Que de Mortaing y brille avecque trop d’empire,Que l’aimable Bataille & la sçavante ItierTouchent si galamment la Lyre,Qu’elles ont les encens de tout le monde entier.***Que nous sert, dit Clio, que Suze & des HoulieresSe taisent au séjour des Morts,Si d’Encausse en dépit des Parques mutinées,Les fait vivre en ses doux accords.***Scudery, Lheritier regnent dans ton Empire,Thalie en murmure à l’écart,Et t’accuse en pleurant d’avoir donné ta LyreA l’ingenieuse Bernard.***Si ton coeur insensible à tant de justes plaintes,Laisse aux vents emporter leurs cris,Ah, du moins, sois touché des legitimes craintesQui tourmentent tes Favoris.***Nos François, Successeurs de Virgile & d’Horace,Craignent que le peuple coifféNe vienne les chasser du sommet du Parnasse,Aprés en avoir triomphé.***Si jadis les attraits de l’ignorante HeleneMirent le trouble en l’Univers,Ah, que ne fera point la cohorte hautaineDes beautez Faiseuses de Vers ?***Ouy, toy-mesme bien-tost n’ayant que ta Muzette,Tu leur cederas ces costeaux.Oh, qu’on va rire alors de te voir chez Admette,Pour vivre, garder des troupeaux.***Préviens un des honneur qui menace ta gloire ;A ta honte le Sexe est né.Veux-tu bien le haïr ? Rappelle la memoireDe l’affront que luy fit Daphné.***Mais je te parle en vain, déja tu te préparesA couronner quelque autre Iris.Et bien, que de tes dons tes mains me soient avares,Je sçay mépriser tes mépris.***Bien-tost fier du succés de mes nouvelles rimes,Je vais dans le sacré Vallon,Me voir vangé de toy par ces esprits sublimes,Dont chacun vaut un Apollon.
Air nouveau §
Les Vers que vous allez lire, & que je vous envoye, notez, font connoître qu'on trouve parmi les Bergeres, la sincere correspondance qui fait le veritable plaisir de l'amour, & qu'il est si difficile de rencontrer parmi les personnes qui se laissent entraîner dans le tumulte du monde.
images/1699-06_191.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Fuyez de nous, doit regarder la page 191.Fuyez de nous, Bergers volages,Ne vous mêlez point à nos Jeux.Dans ces charmans boccages,Il n'est point d'Amans malheureux,Fuyez de nous, Bergers volagesNe vous mêlez point à nos Jeux.
Les heureux Bergers. Epitre §
Si vous voulez une plus vive peinture des plaisirs que fait goûter la vie Pastorale, vous n’avez qu’à lire ce qu’à écrit Mr Mahuet. Vous trouverez sa versification aisée, & fort naturelle.
LES HEUREUX BERGERS.
EPITRE.Degagez pour jamais du fracas de la Ville.Nous goûtons dans les bois une paix si tranquille,Que vos plus superbes Palais,Dont les toits font gemir & le Jaspe & le Marbre,Ont pour nous moins d’attraitsQu’un gazon revestu de la mousse d’un arbre.Brulez de vains desirs,Dont le succés douteux toujours vous inquiete,Jamais chez vous, Damon, malgré tous vos plaisirs,Vit on une ame satisfaite ?Lors qu’en venant dans nos VergersVisiter de simples Bergers,Vous lisez bien gravé sur l’écorce d’un hêtre,Qu’une vile houlette en main,A l’ombre des forests nous bravons le destin,Ah, qu’il vous est aisé, Damon, de reconnoistreLa cause de nos biens & celle de nos maux !Tous vos plaisirs sont faux,L’amour, le tendre amour n’a pour vous que des peines,Et sous le faix honteux de vos indignes chaînes,Vous soupirez le jour, & vous pleurez la nuit.Pour nous, parmy nos Belles,Nous n’en trouvons point de cruelles.L’amour, qui n’est chez vous qu’un dangereux poison,Blesse chez nous le cœur sans troubler la raison.A jamais affranchis de ses tristes alarmes,Sans en sentir les maux, nous en goustons les charmes.Vous estes, vieux Echos, témoins de nos plaisirs.Parlez, le fustes-vous jamais de nos soupirs ?Nous avez-vous jamais ouïs sous vos fougeres.Accuser de rigueur nos faciles Bergeres,Et pour nous plaindre de nos maux,Sur un ton languissant enfler nos chaumeaux ?Jaloux de nos amours, aimables Philomeles,Allez, volez à tire d’ailes,De nos tendres plaisirs publiez les appas ;Dites combien de fois du sommet de vos chesnes,Vous avez vû Climene, Amatillis,Laisser, même au milieu des plaines,A la mercy des loups leurs aimables brebis,Pour venir dans nos bois joindre leurs chansonnettesAux doux accens de nos Musettes.Je plaindrois moins vostre malheur,Si les Nymphes chez vous n’estoient qu’un peu cruelles ;Mais du Sexe, on le sçait, le visage & le coeurFut de tout temps dissimulé, trompeur,D’un teint fardé les charmes infidellesNe vous font jamais voirQue de fades beautez nouvellement écloses,Qui brûlant à midy pour s’éclipser le soir,Ne doivent qu’à leurs doigts & leurs lis & leurs roses ;Mais chez nous la beautéTire tout son éclat de la simplicité.La sexagenaire Amarante,Qui sçait tous les matins réparer avec art,Les restes suranez de sa beauté mourante,En vivant dans nos bois n’useroit point de fard,Et pourroit s’épargner deux mille écus de rente.Quoy que nos jours soient tous filez d’or & de soye,De nos larmes pourtant, clairs & bruyans ruisseaux,Mille fois chaque jour nous grossissons vos eaux,Mais versons-nous jamais que des larmes de joye ?Non, il n’est rien icy qui trouble nos plaisirs,Et si dans nostre solitudeNous formons des desirs,C’est de vous voir bien-tost libre d’inquietude,Habiter un séjour si doux,Et devenir, Damon, un Berger comme nous.
[Madrigal] §
On a esté si content en France & en Savoye, de l’Eglogue que Mr l’Abbé de Poissi a faite sur la naissance du Prince Royal de Piémont, & de son Madrigal pour Mr le Marquis Ferrero, Ambassadeur Extraordinaire de Savoye, que plusieurs personnes de distinction l’en ont congratulé en Vers & en prose. L’illustre Mademoiselle de Scuderi est du nombre, & voicy le Madrigal qu’il en à receu.
Vos Bergers du Pô sont aimables,Leurs concerts sont tres-agreables,Et dignes du Royal sujetQue vous leur donnez pour objet ;Mais cette petite étincelle,(En parlant de l’Ambassadeur)Me paroist si vive &, si belle,Que vous ne pouviez mieux celebrer son bon cœur.
Air nouveau §
Voicy d'autres paroles notées, que vous prendrez plaisir à chanter.
images/1699-06_252.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, C'est un bonheur, doit regarder la page 2[5]3.C'est un bonheur charmantD'estre fidelle,C'est un bonheur charmantD'aimer constamment.La peine cruelleD'un parfait AmantRedouble son empressement.Une fiere Beauté n'est pas toujours rebelle.C'est un bonheur charmantD'estre fidelle,C'est un bonheur charmantD'aimer constamment.
[Réception de Mr de Valincourt à l’Academie Françoise] §
Mr de Valincourt fut reçû le 27. de ce mois à l’Academie Françoise, en la place de Mr Racine. Ce ne sera que dans ma premiere Lettre que je vous parlerai de ce qui se passa dans cette Assemblée ; je remets aussi jusque là la situation des affaires de l’Europe pendant ce mois, & le suivant. Je suis, Madame, Vôtre tres &c.