1699

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1699 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 5-8.

Je vous envoye un Sonnet qui sera nouveau pour vous, quoy qu’il soit sur une matiere qui n’est pas nouvelle. Les beaux Ouvrages ont cet avantage, qu’ils sont faits pour tous les temps, & que ceux qui ne les ont point encore vûs, les lisent avec plaisir longtemps aprés que l’occasion qui les a produits, a cessé de faire bruit. C’est ce qui me fait croire que vous ne désapprouverez pas le commencement de cette Lettre.

SUR LA PAIX.
SONNET.

Lauriers, toujours trempez de sueurs & de larmes.
Au prix du plus beau sang triomphes achetez,
Equivoques sujets d’allegresses & d’alarmes,
Et vous, qu’on goûte peu, tristes prosperitez.
***
Evanoüissez-vous avec le bruit des armes,
Et rendez à nos cœurs trop longtemps agitez,
Des plaisirs sans mélange, un repos plein de charmes,
Dans le tranquille cours de nos felicitez.
***
Mais toy, qui vois renaistre un calme souhaitable,
Europe, à quel Heros en es tu redevable ?
Baise humblement la main d’un Roy victorieux.
***
Voy les débris récents d’Ath & de Barcelonne,
Voy la Ligue affoiblie & tremblante en tous lieux :
Quand Loüis fait la Paix, c’est Loüis qui la donne.

[Derniere partie du Traité de la Tarentole] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 8-119.

Voicy la derniere Partie du Traité la Tarentole, par Mr de la Févrerie.

LE SOLDAT
DANSEUR,
OU
LES MERVEILLEUX EFFETS
DE LA TARENTOLE.

Comme je ne traite pas cette matiere en Medecin, je ne m’arresteray point à examiner icy tous les symptômes de la Tarentole qui regardent la maladie du Corps, ny à rechercher tous les remedes qui sont propres pour sa guerison. Je passeray legerement sur toutes ces choses, sans néanmoins rien oublier d’essentiel, & de remarquable ; mais je m’attacheray principalement aux mouvemens que ce poison excite dans l’ame comme les plus extraordinaires, & qui meritent davantage nostre attention. Cependant je ne me hazarderay pas à l’expliquer en Physicien ; cette matiere est trop épineuse, & je me suis déclaré trop hautement là-dessus contre la Philosophie moderne. Je prendray simplement la liberté de raisonner à ma maniere, & de dire mes sentimens & mes conjectures sur des effets si surprenans. Je proposeray mes doutes, mes difficultez & mes objections ; je feray des remarques & des découvertes que peut estre on n’a pas encore faites. Enfin, je purgeray cette matiere de tout ce qui sent le merveilleux & la Fable, dont le peuple superstitieux & credule & même les Auteurs de ce caractere, l’ont infectée par leurs pitoyables histoires ; ce qui sera un grand acheminement pour découvrir la verité, & pour connoistre à fond la nature de la Tarentole.

Comme cet Insecte ne se découvre que pour faire mal, il est toujours au guet dans la saison qu’il peut nuire, afin de surprendre ceux qui ne se précautionnent pas contre sa piqueure. Pour le faire plus facilement, & avec plus de seureté, il les attaque presque toujours en dormant, & le côté gauche au dessous du sein, est la partie du corps qu’il affecte davantage ; car il pique moins souvent aux pieds, & presque jamais aux mains & aux bras. Il semble néanmoins que la danse estant le caractere propre de la Tarentole, elle devroit plûtost affecter le pied & la jambe, qui en sont les parties essentielles. Mathiole dit aussi qu’elle pique d’ordinaire les Moissonneurs & les gens de la campagne en cet endroit là, qui pour ce sujet sont presque toujours bottez ; mais ce n’est que par occasion, & dans les grandes chaleurs, qu’elle les pique aux pieds & aux jambes, car elle affecte toujours l’endroit que j’ay marqué, soit pour porter son venin plus prés du cœur, & au centre du corps, afin qu’il ait plus d’effet, soit qu’elle y trouve le sang plus friand qu’ailleurs, qui l’excite & l’y porte naturellement. Il arrive aussi que ceux qui en sont piquez, laissent en dormant leur estomac découvert, où elle ne manque pas de s’aller placer. La piqueure de la Tarentole ne jette point de sang, & ne laisse aucune rougeur, ny aucune enflure d’abord. Elle est même si legere & si subtile, qu’elle est presque imperceptible ; en sorte que la pluspart de ceux qui en sont mordus en dormant, ne s’en réveillent pas le plus souvent. De là vient qu’ils ignorent la cause de leur mal, & qu’ils n’y apportent pas d’abord les remedes propres ; ce qui fait qu’ils en sont plus tourmentez dans la suite. De là vient aussi que la Tarentole se retire toujours la vie sauve, & qu’elle n’est jamais punie sur le champ du mal qu’elle a fait ; ce qui seroit d’un grand secours contre sa piqueure, pour plusieurs raisons que je diray dans la suite. Dominique sentit un peu plus que la piqueure d’une puce, comme celle d’un Cousin. Il fut trois jours sans en ressentir aucun effet. Il y en a qui sont des années entieres ; mais il tomba dans de violentes convulsions, qui penserent l’étoufer, parce qu’on en ignoroit la cause, & ce ne fut que par un soupçon assez ordinaire en son pays pour ces sortes de maladies, qu’on luy donna les remedes propres, & qu’on le fit revenir peu à peu au son d’une Guitarre, qui se rencontra par hasard.

La Tarentole pique aussi les bestes, mais plus rarement que les hommes, soit par la foiblesse de son aiguillon, & qu’elle trouve la peau des animaux trop dure, soit par une antipathie naturelle qu’elle a pour le genre humain ; mais enfin c’est à luy principalement qu’elle en veut. Il me semble que les Sçavans qui ont écrit de la Tarentole, devoient bien s’appliquer à chercher la raison pourquoy cet Insecte, & tous les autres animaux venimeux attaquent plûtost l’homme que la beste, & que leur venin luy fait plus d’impression. Je ne suis pas moins surpris de ce qu’aucun n’a remarqué les effets que le poison de la Tarentole fait sur les bestes, & quelle en est la difference ; car les symptomes de l’ame & du corps devroient estre en ce cas semblables, il n’y a que du plus ou du moins. Un chien enragé, un homme enragé ont les mêmes accidens. Quoy qu’il en soit, j’aurois plus de curiosité, & je prendrois plus de plaisir à voir une beste piquée de la Tarentole, qu’une personne. L’homme est la plus miserable des creatures, quand il est malade de corps ou d’esprit. Sa figure inspire alors je ne sçai quelle horreur, dont on n’est point saisi à la veuë des animaux ; frayeur qui vient moins de la ressemblance & de la sympathie, que du changement & de l’alteration qui paroist dans la forme humaine. Mais pour revenir à la Tarentole, l’agréable chose de voir danser & caprioler des Chevres ! sauter & bondir des petits moutons en cadence au son des Instrumens ! Quel plaisir ne donneroit point un Singe en cet estat ! Un certain Ferdinandus, qui est l’Auteur favory de Meyssonnier, dit qu’il a vû danser au son de la Vieille une mouche Guespe & un Cocq avec la Tarentole qui les avoit piquez. J’ay vû danser sans aucun Instrument une poule enragée plus d’un quart d’heure à la fois. Elle s’élevoit de terre fort haut, tournoit, faisoit la rouë de ses plumes, rien n’estoit plus plaisant. Ce n’est pas que parmy les Tarentolez il n’y en ait que l’on prend plaisir de voir danser, & faire tout leur manege. Les jeunes gens naturellement gais & de belle humeur ; ceux qui sont singes, badins & gesticulatifs, réjoüissent assurément pendant leurs accés. Ils font des gestes & des postures ridicules des yeux, des mains & de la bouche, même de tout le corps ; ce sont de vrais Pantomimes. Je voudrois bien voir en cette situation une jeune Fille amoureuse & galante, heureuse ou malheureuse en Amour. Je croy aussi que plus la personne a d’esprit, & les inclinations nobles, tendres & polies, plus ses mouvemens sont divertissans, & ses postures agréables. Les Vieillards chagrins, sombres, & rêveurs, n’ont guere d’agrément, non plus que les Boiteux & les Paralitiques, quelque agilité que ce poison leur puisse donner ; mais il y a de certains mélancoliques qui paroissent graves comme des Espagnols, dit Jonston, ces gens là ne laisseroient pas de faire rire avec leur air majestueux & concerté. Kirker les compare avec raison, aux anciens Gladiateurs, lorsqu’en dançant ils estocadent avec leurs épées. Il dit aussi que les furieux & les emportez ressemblent aux Bacchantes.

Quoy qu’on assure que le venin de la Tarentole agisse conformement à l’inclination, & au temperament de ceux qu’elle a piquez, elle aime toûjours mieux les mélancoliques que les autres, & comme elle a plus de pouvoir sur eux, elle fait le plus souvent des furieux, des visionnaires, & des fanatiques. Pour un qu’elle fait rire, elle en fait pleurer un cent ; & presque tous parmy la joye, & le son des instrumens, sont rêveurs, tristes & sombres. Quelques uns se pendent aux branches des arbres comme par désespoir, plutost que pour se brandiller à l’imitation de la Tarentole ; car on a tant de peine à les en retirer, qu’ils y finiroient leur vie si l’on n’y prenoit garde. Ils gemissent & se lamentent comme s’ils estoient bien affligez, & rien ne les peut consoler, ny les détourner de leurs rêveries. Les autres se jettent par terre avec tant de violence qu’ils ressemblent à des lunatiques, & à des possedez. Il y en a qui courent au bord des eaux comme des enragez, non seulement pour s’y baigner à cause de l’excessive chaleur qu’ils ressentent, mais plutost pour s’y regarder, ou plutost pour y considerer la Tarentole qui les a piquez, & qu’ils y cherchent comme dans le miroir. Il y en a même de si visionnaires, qu’ils croyent voir dans l’eau un Violon, à la veuë duquel peu s’en faut qu’ils ne dansent. On sçait cela par leurs gestes qui le font deviner ; car ils gardent toujours un religieux silence pendant leurs accés, & ils ne se souviennent jamais de rien quand le mal est passé. C’est donc par conjectures qu’on parle des Tarentolez, & qu’on en dit tant de merveilles, conjectures qui trompent bien des gens, & qui sont de foibles témoignages de tant de choses qu’on avance sur cette matiere. Les Historiens de la Tarentole sont fort sujets à caution.

Je ne suis pas surpris que les Tarentolez aiment les miroirs ; car s’il est vrai que cet Insecte a sous le ventre une espece de miroir, dans lequel l’on se voit fort distinctement, il se peut faire que son venin estant impregné de l’idée de ce miroir, en trace la figure dans le cerveau de ce Malade, qui luy cause cette envie d’y voir la Tarentole qu’il cherche ; outre que la clarté du miroir le réjoüit comme l’eau, & le brillant des épées : car toutes les choses transparentes dissipent ce poison, & en diminuent les accés. C’est aussi par un miroir, ou par un bassin plein d’eau qu’on les fait revenir de leur assoupissement & de leur pâmoison. Enfin le miroir, ou le vase plein d’eau, est si essentiel dans l’accés de cette maladie, que si on vient à l’oster, on cause au Tarentolé de fâcheux symptomes ; comme il arriva à Dominique, lors qu’un Cavalier en badinant, ayant seulement tourné le miroir, il poussa un grand cri, & tomba en foiblesse ; au lieu que ceux qui sont enragez, se troublent & sont émus en voyant de l’eau, quoy qu’ils la cherchent pour éteindre le feu qui les embrase, parce qu’elle avance & redouble leurs accés. Les Tarentolez sont soulagez en la voyant ; mais il faut aussi remarquer que nonobstant qu’ils se trouvent échauffez, qu’ils dansent, & qu’ils s’agitent beaucoup, ils ne sont point alterez, & ne demandent point à boire pendant leurs accés. Ils affectent une certaine couleur particuliere, qu’ils aiment plus que les autres ; c’est pourquoy ils courent aprés les rubans, & les mangent. Ils ont aussi de l’antipathie pour des couleurs qu’ils ne peuvent voir sans horreur. Dominique tomba à la veuë d’un ruban qu’on mit sur sa table lors qu’il dansoit, & qu’il apperçut de fort loin. Cette sympathie, ou cette antipathie pour les couleurs, est un pur effet du venin de la Tarentole, par rapport à celles dont elle est marquée, ou vient de l’inclination & de l’humeur dominante de la personne qu’elle a morduë excitée par sa fermentation. Ainsi il y a une couleur qui luy fait peine, & une autre qui luy fait plaisir. Les matieres qu’elle rend dans ses vomissemens, sont aussi diversement colorées, selon l’humeur, & le temperament ou selon la varieté des couleurs de la Tarentole, d’où elles prennent ces diverses teintures ; à ce que dit Meyssonnier. Cet Auteur ajoûte que les Tarentolez haïssent la couleur de cet Insecte, & qu’ils aiment le rouge, le vert, le jaune, & le bleu turquin. N’est-ce pas se contredire étrangement ? & d’ailleurs peuvent-ils haïr la couleur de la Tarentole, dont ils prennent tant de plaisir de voir la figure ? Si elle n’avoit qu’une seule couleur, ce seroit la sienne qu’ils devroient aimer ; & s’ils en haïssent quelqu’une, il y a bien de l’apparence que c’est celle qu’elle abhorre, ou pour laquelle ils ont naturellement de l’aversion. Mais ce que je ne puis comprendre, c’est qu’ils aiment cet Insecte qui les a mordus, car il est naturel de haïr tout ce qui nous a fait du mal, & même de ne le pouvoir regarder sans horreur. Cela ne viendroit il point de l’éducation & de l’habitude, dans les lieux où la Tarentole est commune, comme dans la Poüille, où le peuple timide & superstitieux, la regarde comme une espece de Divinité vengeresse ? Accoutumez dés l’enfance à la craindre & à la respecter, ces pauvres gens courent aprés elle dans leurs accés, pour l’adorer, & pour la fléchir par les hommages qu’ils luy rendent. Je doute fort qu’un Etranger, & qu’un homme de bon sens, qui en est piqué, & qui n’a jamais entendu parler de ses effets, & de tout ce qu’en disent les Tarentins, ait les mêmes symptomes qu’eux ; car cette phrenesie superstitieuse est terrible dans un esprit fanatique de ce pays là. Ce seroit une espece d’enchantement & de monomanie, si le venin de la Tarentole agissoit sur l’ame en fait de Religion, & luy inspiroit des sentimens d’Idolâtrie, jusqu’à offrir des Sacrifices à cet Insecte, comme fait Dominique. Cet effet sympathique & antipathique de la Tarentole me paroist visionnaire. Tout ce qu’elle a de merveilleux vient en partie de l’humeur & du temperament de la personne piquée, que le venin remuë & agite diversement, selon l’âge, les lieux, les saisons ; mais il n’imprime aucun caractere particulier & spécifique, non plus que la Jusquiame ou les vapeurs du vin, la rage ou la folie. À le bien prendre, chacun n’a t il pas ses inclinations & ses aversions particulieres, qui de temps en temps s’excitent & se réveillent en nous, soit par la révolution de nos humeurs, ou par quelqu’autre qualité étrangere ; ce qui a donne lieu à ce Proverbe Italien, Ogn un hâ la sua Tarentola, que tout le monde a sa Tarentole ; & comme nous disons, chacun a son caprice, sa fantaisie. Mathiole attribuë aussi tous ces differens effets dont j’ay parlé, à la diversité des temperamens, comme à la diversité du poison ; & parce que le poison & l’humeur du malade se confondent ensemble, & prennent la qualité l’un de l’autre, il est impossible de dire précisément lequel agit seul. L’humeur impregnée des caracteres du venin prend la même nature, & agit conformement avec luy. S’il est donc vray que le temperamment & l’inclination de la personne piquée de la Tarentole change la nature de son poison, la difference en sera bien plus grande selon le Païs & le climat d’où elle est. Un Allemand ou un Anglois n’auroit pas les mêmes symptômes qu’un Italien, ou un Espagnol, & même leurs accés seront plus ou moins violens, selon les lieux où ils se trouveront, parce qu’ils suënt & transpirent plus ou moins dans les païs chauds & dans les païs froids. Mais d’où vient que dans la plus grande chaleur de l’Esté, & lorsque les pores sont plus ouverts & qu’on suë davantage, les Tarentins & les Peuples d’Italie en sont plus tourmentez qu’en hiver ? En verité les Medecins ne sçavent où ils en sont, quand ils se mêlent d’expliquer cette maladie. Dira t-on que par une espece de révolution, le venin de la Tarentole se fermente, & agit avec plus de violence dans la saison où elle pique d’ordinaire, & où elle est plus dangereuse ? Mais Dominique a esté piqué dans le mois de May, & il en est plus travaillé dans l’Automne. Je croy donc que l’humeur dominante de la personne y fait beaucoup, selon la saison, comme la Pituite & la Melancolie dans l’Automne & dans l’Hiver ; le sang & la Bile dans le Printemps & dans l’Esté. Dominique est aussi mélancolique & bilieux ; c’est pourquoy il avoit des accés plus frequens au mois de Novembre, & dans la contrée de Normandie la plus froide. La constitution de la personne, le climat d’où elle est, & où elle demeure, contribuent beaucoup pour diminuer, ou pour augmenter l’effet du poison. Ceux qui ont la peau dure & les pores serrez, qui suënt & qui transpirent peu, le dissipent moins, & en sont plus malades. Il ne faut donc pas dire que la Tarentole est moins nuisible dans les pays froids que dans les pays chauds, à l’égard du temperament de la personne qui en est piquée, & du climat qu’elle habite ; car à l’égard du poison de cet Insecte, je croy bien qu’il est plus subtil & plus dangereux dans les pays chauds que dans les pays froids ; aussi y a-t-il rarement des Tarentoles dans ces lieux là ; ou s’il y en a, elles y sont peu nuisibles. Lors que la Tarentole a piqué quelques personnes, dit le scientifique Richelet aprés Jonston, elle les jette dans d’étranges symptomes. Les uns courent, les autres crient, dorment, veillent, sautent, ou rient toujours. Les autres aiment de certaines choses, & en font de tout à fait surprenantes. Furetiere dit qu’on en meurt, & que son venin change de qualité d’heure en heure, à cause de la diversité des passions qu’il inspire à ceux qui en sont piquez ; & qu’une personne qui s’imagineroit estre Roy dans le moment, le croiroit toujours estre. Renaudot dit que c’est une espece d’yvresse, & que ce poison s’accommode tellement aux inclinations des personnes, qu’il leur cause des délires & des extravagances differentes selon leurs temperamens. Aprés avoir bien examiné Maistre Dominique, je puis assurer que le venin de la Tarentole n’inspire point d’autres passions que celles qui viennent de l’humeur & de l’inclination de la personne qui en a esté piquée, qu’il excite, & qu’il réveille dans l’ame avec plus de force qu’auparavant. Il broüille la fantaisie par differentes images, mais ces images sont toujours conformes à l’humeur dominante ; en sorte qu’elle n’a point d’autres passions pendant ses accés, que celles ausquelles elle est le plus sujette ; autrement celuy qui croit estre Roy, ne le croiroit pas toujours estre, & cette fantaisie luy changeroit pour un autre. À l’égard du corps, j’avoüe que ce poison change d’heure en heure, & même de moment en moment, c’est pourquoy le Malade, tantost brûle, & tantost est glacé ; mais c’est dans le temps de la fermentation, & qu’il semble que l’ame a perdu toutes ses fonctions ; car sitost qu’elle se réveille au son des Instrumens, & que le venin s’est dissipé par la danse, le Malade n’est plus sujet à ces changemens, quoy qu’il ne soit pas entierement guéri. Dominique fait toujours la même chose, ce sont toujours les mêmes inclinations, les mêmes mouvemens, les mêmes symptomes, qui consistent à rendre de grands respects à sa Tarentole, à bien danser, & à faire quelques petits secrets de Berger, qu’il a appris dans sa jeunesse.

On n’a point remarqué si le venin de la Tarentole affecte quelque nombre misterieux dans ses accés, comme celuy de neuf dans la rage, dont on ne se ressent qu’au bout de neuf jours, neuf semaines, neuf Lunes qu’on a esté mordu. On a seulement observé qu’on est quelque temps aprés avoit esté piqué, avant que d’en ressentir les effets, & qu’au bout de l’an on en est encore plus tourmenté. Les Tarentolez ont d’ordinaire leurs accés environ dans la saison qu’ils ont esté piquez ; mais cela n’est pas toujours reglé, comme nous l’avons remarqué à l’égard du Soldat qui n’a plus de saison affectée. En effet, le lieu, le temps, la fatigue dérange l’œconomie de ce poison, en retarde, en avance, en redouble ou en diminuë les accés, comme dans la Fiévre. Pomponace qui croit cette observation, l’attribuë à l’influence & au cours des Astres. Comme on voit, dit il, des herbes & des fleurs qui renaissent toujours au même jour de l’année ; & comme il y a des gens qui sont sujets dans la même saison à la Fiévre-tierce ou à la Fiévre quarte, de même les Tarentolez sont attaquez tous les ans en pareille saison ; lors que le Soleil est au Solstice d’Esté, les mois de Juillet & d’Aoust leurs accés sont plus violens & plus dangereux. On meurt rarement de ce mal, mais il continuë jusqu’à vingt, trente & quarante années. Renaudot prétend que quand on donne en heure & en temps, c’est à dire d’abord qu’on est piqué, le remede de la Musique & de la danse sans interruption, & jusqu’à faire tomber le Malade par terre, que l’on couvre bien, & que l’on fait suer copieusement, on est absolument garanti de ce mal, mais qu’autrement on retombe du moins une fois l’an, au même jour & à la même heure qu’on a esté piqué. Mais encore un coup, l’exemple de Dominique prouve le contraire.

Les maux periodiques ne guerissent jamais du premier accés, quelque remede spécifique qu’on y apporte. C’est donc une erreur de croire qu’un Tarentolé guerit aussi-tost, s’il est promptement & soigneusement secouru. Tous les Violons du monde ne le pourroient pas faire au commencement, parce que le poison ne fermente pas encore, & n’a point d’effet. Ce ne seroit pas un remede, ce seroit un préservatif ; & du moment que le poison s’est fait sentir, on ne peut pas le chasser du premier coup, parce que ses accés sont reglez & comptez jusqu’à un certain nombre, & doivent durer un certain temps limité. La Musique & la danse le dissipent pour un temps, & le malade semble gueri ; mais l’accés revient comme dans la Fiévre, plus ou moins violent, selon la force & la qualité du venin, qui diminuë avec le temps, & l’âge de la personne ? & qui est plus ou moins dangereux, que la Tarantole a piqué plus ou moins de fois ; car supposé que cet Insecte pique plusieurs personnes, & ne perde pas son aiguillon du premier coup, ce que les Naturalistes devoient bien remarquer, & dont je doute avec raison, il est aisé de concevoir que le premier qu’elle mord est plus tourmenté, & souffre davantage que les autres qu’elle pique aprés. Il faut donc réiterer le remede à mesure que le poison réitere les accés ; car si on ne guerit point que la Tarentole ne meure ; n’est-ce pas en vain qu’on prétend d’estre délivré de ce mal avant que de l’avoir ressenti, ou aprés les premiers accés. Rhodiginus est du sentiment, que si l’on n’est pas secouru d’abord, on en meurt, ou du moins qu’on devient Nephretique ; & qu’on a ces symptomes extraordinaires qu’on admire tant : ce qui est si peu vray, qu’il y a des personnes qui furent soigneusement traitées d’abord, & qui n’ont pas laissé de danser vingt & trente ans durant avec le même manége, & les mêmes accidens que les autres. Camerarius dit qu’il n’y a que les personnes robustes & vigoureuses qui en guerissent parfaitement, & que les foibles & les infirmes s’en ressentent toute leur vie. Ils deviennent presque aveugles & sourds ; & ne font que languir tout tristes & stupides. Les Tarentolez sont toujours blémes, suans & livides, à cause du poison qui fermente en eux, & qui les agite. Tel est Dominique qui a la peau gluante & le teint olivastre, non-seulement pendant son accés, mais dans le temps qu’il se porte bien. Cependant je l’attribuë à sa complexion & à son temperament, & j’ay remarqué dans sa plus forte agitation, qu’il a seulement la peau moite, & que sa sueur n’est pas abondante. Enfin les Tarentolez ont des envies & des gousts dépravez qui viennent de l’humeur dominante excitée par ce poison, & que l’on pourroit comparer à celles des Femmes grosses, & des Filles qui ont les pâles couleurs. Ils mangent de la cendre, du plâtre, des charbons, & même de la matiere fécale, comme cette Dame de la Cour de Henry II. dont parle Brantôme, qui en avoit ses poches pleines au lieu de confitures seches.

Le venin des autres Insectes n’agit que sur le corps, celuy de la Tarentole agit sur l’ame, & sur le corps en même temps, en quoy il ressemble à la rage, qui rend ceux qui en sont attaquez frenetiques & furieux, mais au reste bien differens des Tarentolez. Il y a aussi cette difference, que le venin de la rage n’est qu’accidentel, & celuy de la Tarentole est naturel. Dans l’une & dans l’autre maladie, le premier accés vient souvent sans y penser, & quelque temps aprés la morsure. La rage agite & altere le sang, la Tarentole fermente & corrompt les humeurs. Ses accés sont periodiques, & de la même durée que ceux de la rage, mais comme la maladie est plus longue, & n’est pas mortelle, ils reviennent plus souvent. Les enragez sont furieux, & courent pendant trois jours, mais ils n’ont que neuf accés au plus, deux communement, & quelquefois qu’un seul, comme je l’ay observé d’un homme, & d’un chien, qui moururent du premier accés, au bout de neuf semaines qu’ils avoient esté mordus, & sans avoir offensé qui que ce soit. L’homme avoit este touché d’un Chevalier de Saint Hubert, & son accés le prit en voyant la mer, où il estoit allé se promener avec ses Amis. On eut soin de baigner le chien pendant neuf matins en pleine mer, mais à la fin des neuf semaines il parut triste, & ne mangea point. Sur le soir s’estant dérobé, on le trouva mort aprés l’avoir bien cherché, dans la cave, enfoüi dans une fosse qu’il avoit faite. La poule danseuse dont j’ay déja parlé, avoit aussi esté baignée dans la mer, qu’on dit estre un souverain remede contre la rage. Elle eut jusqu’à neuf accés de trois, de cinq, de sept, & de neuf jours d’intervalle ; en sorte qu’elle fut longtemps enragée avant que de mourir. Elle tomboit aprés ses accés dans un assoupissement qui duroit quelquefois vingt quatre heures, qu’elle estoit froide comme glace, & qu’on la croyoit morte. C’est ce qui arrive aussi aux Tarentolez avec une grande foiblesse des pieds & des mains dont ils ne guérissent qu’en dansant, & en s’agitant beaucoup. Je ne sçay si ce venin ne se communiqueroit point aussi comme la rage en buvant aprés la personne piquée, ou en couchant avec elle, sur tout pendant ses accés. Il est vray que le sang corrompu communique plus facilement sa malignité que les humeurs infectées ; mais dans le Tarentolé le sang peut estre également corrompu comme les humeurs, & poison pour poison, je ne voudrois pas m’y exposer.

C’est encore icy une espece de folie periodique & reglée, où le corps souffre autant que l’ame, frenesie muette qui fait garder aux Tarentolez un morne silence qu’ils n’interrompent jamais pour quelque occasion que ce soit, excepté quelques cris qu’ils poussent à la vûë des objets qui leur déplaisent, ou quand la simphonie manque, & que le poison leur cause de la douleur. Outre les extravagances qu’ils font à l’égard de la Tarentole qu’ils adorent, ils s’imaginent estre Rois, Papes, comme les autres fous ; car du moment que le poison agit, il leur broüille la fantaisie de l’idée dont ils sont infatuez. Il est vray qu’ils paroissent moins égarez, & que tout ce qu’ils font est régulier & concerté, mais enfin ils ont l’imagination troublée, & ne se souviennent point de ce qu’ils font. Une personne dans la fiévre chaude perd le souvenir de ce qu’elle fait & de ce qu’elle dit, mais tous ses mouvemens sont dereglez. Il n’en est pas de même du Tarentolé ; & je ne comprens pas comment tant de mouvemens si justes & si compassez réiterez cent & cent fois, ne laissent aucune trace, & aucunes images dans son cerveau, qui luy en rappellent le souvenir. Quand la fiévre & la vapeur du vin fixe l’humeur dominante, il est certain que l’on se souvient de ce qu’on dit & de ce qu’on fait dans ce temps-la. Ceux qui boivent, & qui connoissent leur caractere, disent je fais cela, ou je dis cela quand j’ay bû, & il y en a même qui se ressouviennent de la moindre circonstance. Il semble à plus forte raison, qu’un Tarentolé devroit bien se ressouvenir de ce qu’il dit & de ce qu’il fait pendant son accés ; mais on ne le peut mieux comparer qu’à celuy qui resve haut, & qui parle & agit en dormant, comme s’il estoit éveillé. Il ne s’en souvient point du tout, à moins qu’on ne le réveille sur le champ. Le Mareschal Faber se ressouvint toute sa vie de cet admirable entretien qu’il eut avec son genie, ou avec luy-même, sur la création du monde. Il n’en oublia pas un mot, parce qu’il fut réveillé dans le moment par l’Officier aux Gardes qui estoit couché avec luy.

Il est surprenant que la nature, qui a toujours mis le remede où est le mal, n’ait pas produit quelque simple dans la Poüille, & aux environs de Tarente, pour préservatif contre le venin de la Tarentole. On dit qu’il y a une herbe qui porte le nom de Phalange, pour la qualité qu’elle a de guerir de sa morsure, mais les Medecins d’Italie n’en font aucune mention, & Dominique, qui est de ce pays-là, ne la connoist point. Pour les remedes surnaturels, je ne doute pas que les Tarentins n’invoquent quelque Saint, qui a le pouvoir de guerir de cette maladie ; & même qu’il n’y ait quelque Prince d’Italie qui ait pour prérogative ce don-là. Il me semble qu’il manque quelque chose à la gloire de nos fameux Normans, qui ont regné dans la Poüille & dans la Calabre, de n’avoir pas gueri de la Tarentole, si elle n’est pas plus nouvelle que leurs conquestes. Comme en Italie le peuple est fort superstitieux, & curieux de secrets, je m’étonne qu’ils n’ont des talismans & des gamahez, ou du moins quelques brevets contre la Tarentole, comme on en a inventé contre les Serpens, les rats & les souris. On peut croire qu’ils ont des prieres, & des exorcismes pour les conjurer, & les excommunier certains jours de l’année, comme ceux de Troyes en Champagne en ont dans leur vieux Rituel, contre les Chenilles & les Sauterelles, qui les désoloient autrefois, & qui sont bien moins à craindre que la Tarentole.

Je l’ay déja dit, je ne traite pas cette matiere en Medecin ; ainsi je diray peu de choses des remedes qui sont propres à une maladie dont la cause est si cachée, & les effets si extraordinaires. Cependant, pour ne rien negliger de ce qui dépend de mon sujet, je ne laisseray pas de rapporter icy les plus curieux que j’ay remarquez en passant dans les Auteurs qui ont écrit de la Tarentole. J’en trouve de deux sortes, de spécifiques & de naturels, d’artificiels, & d’empyriques. On dit que la Tarentole même porte son contre-poison avec elle, comme beaucoup d’autres animaux venimeux, & que si on la peut prendre dans le temps qu’elle a piqué, il ne faut que l’écraser, & la bander sur la playe, où on la laisse jusqu’à ce qu’elle se desseche & tombe d’elle même. On se sert pour la prendre d’un chalumeau qu’on approche du trou où elle est cachée, & dans lequel on l’attire en bourdonnant à la maniere des mouches à qui elle fait la chasse, & dont elle se nourrit. Pline dit que le remede contre la piqueure des Phalanges est d’en montrer un autre de la même espece au Patient, & quand on en peut trouver de morts on n’a qu’à les garder pour cet effet, & luy en faire prendre les pelures pulverisées dans sa boisson. On peut faire la même chose de la Tarentole, puisque c’est aussi une Araignée Phalange. Les Mouches cantharides, les Bourdons, & les Freslons sont des préservatifs naturels contre son venin, & il ne faut pas s’en étonner, puisqu’ils luy servent de nourriture. C’est sur quoy est fondé le spécifique celebre de Scaliger contre cet Insecte, qui est composé d’un carteron de Mouches prises sur les fleurs du Napel, incorporées avec deux onces de Mithridate, autant d’Aristoloche ronde, demi once de terre sigillée, & quelques gouttes de jus de citron, remede qui a beaucoup de convenance avec la nature, & les qualitez de la Tarentole ; la Mouche guespe devroit bien estre un antidote contre son venin, puis qu’il y a une si grande antipathie entre elle & l’Araignée, qu’elles sont toujours en guerre. Il en est de même de la Couleuvre, à qui l’Araignée donne la mort lors qu’elle la voit endormie sous l’arbre où elle s’est mise en embuscade pour la tuer. Elle se laisse descendre par le fil qu’elle fait, & entre dans le cerveau de la Couleuvre, qu’elle mord, & si attache jusqu’à ce qu’elle meure par son venin. Comme il y a aussi une grande antipathie entre la Tarentole & le Scorpion, & que celuy qui est mordu du Scorpion, guerit avec de l’huile où l’on a suffoqué la Tarentole, je croy pareillement que celuy qui est piqué de la Tarentole, peut guerir avec de l’huile où l’on aura étouffé un Scorpion ; mais rien à mon gré ne seroit meilleur contre son venin, que la pierre Serpentine, dont les Brachmanes ont trouvé le secret à la Chine, & dans les Indes. Cette pierre est en partie naturelle, parce qu’elle croist dans le Serpent, & sur tout dans la Couleuvre veluë ; c’est pourquoy les Portugais l’appellent Cobra de Capelos, mais elle est en partie artificielle, parce qu’elle est composée du poison de divers animaux venimeux. Elle est admirable pour la piqueure des Serpens & des Viperes, dont elle guerit sur le champ les hommes & les bestes par le simple attouchement. Kirker dit qu’il en a fait l’experience luy même, sur un chien mordu de la Vipere, & qu’un Italien l’avoit aussi éprouvé sur un homme piqué d’un Serpent. On applique cette pierre sur la playe, où elle s’attache incontinent, & où elle demeure colée jusqu’à ce qu’elle ait attiré tout le venin, & qu’elle tombe d’elle-même comme une Sangsuë, horsmis qu’elle ne change point de couleur, de grosseur, ny de consistance ; mais il faut prendre garde qu’elle ne tombe pas à terre ; car elle perd toute sa vertu, pour peu qu’elle y pose, ce qui luy arrive aussi dans l’eau, comme on l’observe lors que l’on s’en sert pour purger les eaux empoisonnées, desquelles elle attire aussi-tost tout le venin, & toutes les mauvaises qualitez ; mais où elle perd toute sa force, & ne sert plus ensuite. Il n’en est pas de même des playes, où elle ne diminuë rien de sa vertu, & où il semble au contraire qu’elle augmente en continuant de s’en servir. On prétend encore qu’elle guerit de la rage ; mais on a de la peine à la trouver, & elle est inconnuë en Europe. Cependant les Tarentins & les Napolitains en devroient faire la recherche, & en sçavoir la composition ; elle leur seroit d’un grand secours. La Theriaque, qui est aussi un remede composé de plusieurs contrepoisons, est fort bonne contre le venin de la Tarentole, mais elle ne guerit pas absolument le malade, ou ce n’est qu’avec beaucoup de temps. Elle le soulage un peu d’abord, & modere seulement ses accés ; il en est de même de l’eau de vie qui luy fait du bien.

À l’égard des Simples, outre la Scorzonere, dont j’ay parlé dans la seconde Partie de ce Discours, il y a le Phalangium, qui est fort commun. Sa fleur est petite. On le distingue en deux especes, Phalangium ramosum, & Phalangium pulchrius non ramosum. On en trouve en quantité des deux sortes auprés de Surenne, & sur la bute de Seve aux environs de Paris. Ne s’y trouveroit-il point aussi des Insectes du même nom ? car la nature n’y a pas mis cette plante en vain, mais on ne s’est pas donné la peine d’en faire l’observation. Il pourroit y avoir de petits Phalanges, & même quelques Tarentoles, quoy qu’elles ne se fissent pas ressentir, parce qu’elles ne seroient pas malfaisantes ; & en effet, seroient-elles venimeuses dans des lieux où leur antidote est en si grande abondance, & d’où elles tirent en quelque façon leur nourriture, quand ce ne seroit que par l’odeur que la fleur de cette plante exhale. Comme je suis persuadé que tous les remedes qui sont propres aux maladies mélancoliques & hypochondriaques seroient fort bons contre le venin de la Tarentole, je croy qu’on pourroit utilement se servir, non-seulement des plantes qui guerissent de la morsure des bestes venimeuses & des chiens enragez, comme l’Asclepias ou dompte venin, la fleur de Moron bleuë, le gland de chesne, la Brunelle, le Plantain, le Sureau, mais aussi l’huile ou l’extrait d’Hyspericum, en François Millepertuis, la Fumeterre, le Cresson d’eau, la Buglose, la Chicorée sauvage, le Houblon femelle, le Polipode, la Passerage, la Balotte ou Marube noir, & tant d’autres qu’enseignent les habiles Medecins. Je croy, dis-je, que tous ces Simples seroient d’un grand usage dans cette maladie, puis qu’on s’en sert avec succés dans les vapeurs, dans la mélancolie, dans la manie, & dans les égaremens d’esprit, qui ont tant de rapport aux accés des Tarentolez. On a même donné à la plante d’Hypericum, ou Mille pertuis, le nom de Fugadæmonum, parce qu’on la croit propre à guerir ceux qui se disent possedez ; mais comme remarque fort bien Mr Piston, sçavant Professeur en Botanique, au Jardin Royal des Plantes, ces sortes de gens sont la pluspart des fripons, ou de veritables Hippochondriaques. J’ose avancer qu’on en pourroit dire autant de la pluspart des Tarentolez sans beaucoup se tromper.

Voilà les remedes naturels & propres contre le venin de la Tarentole. Les artificiels, les Empiriques, & les charmes sont si badins & si frivoles, outre que la Religion les défend, que je n’ay garde de les rapporter icy. Mais je ne puis passer sous silence un secret de guerir la piqueure de la Tareronde, qui est la Tarentole de la Mer, il est tout-à-fait singulier. On prend sa queuë, & on l’attache à un Chesne vert, qui meurt aussi tost, & le Malade guerit en même temps. On pourroit faire la même chose à l’égard de la Tarentole, mais sa queuë est un peu difficile à trouver ; outre que cette guerison a tout l’air d’un pacte, & qu’on dit sans doute quelques paroles ; car je ne croy pas qu’elle se fasse par transplantation, comme parent les Medecins ; c’est à dire que la maladie passe naturellement de l’homme au chesne. Ces sortes de guerisons sont du ressort & du métier des Sorciers & des Charlatans, pour lesquels on a heureusement trouvé le mot de transplantation ou d’envoy de maladie, qui n’est proprement qu’une chimere dont on couvre l’horreur du pacte & de la diablerie. Si la transplantation estoit veritable à l’égard de la Tarentole, le remede seroit aussi merveilleux que la maladie, & il ne seroit pas moins surprenant de voir danser des Chesnes que des Paralytiques & des Boiteux.

La Musique & la Danse sont les vrais remedes, ou plutost les vrais symptômes de cette maladie. Meyssonnier dit qu’elles ont tant de rapport & de sympathie avec les effets de la Tarentole, qu’elles attirent son venin au dehors de la même maniere que l’ambre attire la paille, le fer l’aimant, le Soleil l’Heliotrope, la Remore le Navire, en sorte que les sons l’entraînent avec leur douce violence par une repetition continuelle de la danse & des instrumens, sans laquelle cette attraction ne se feroit pas. Renaudot croit que les Anciens ont ignoré cette sympathie de la Tarentole & de la Musique, mais ce n’est pas une chose surprenante puisqu’ils n’ont pas connu ces Insectes, car pour les merveilleux effets de la Musique, ils ne les ont pas ignorez dans les maladies du corps & de l’ame. Ce sont eux qui nous ont appris que la Flute d’Ismenias guerissoit de la Sciatique, & qu’Asclepiades remettoit dans leur bon sens par le moyen de l’harmonie, ceux qui avoient l’esprit égaré ; mais soit la faute des Maistres, ou qu’on ait aujourd’huy l’oreille plus dure qu’en ce temps là, la Musique ne guerit plus de la Sciatique, & de la Folie ; il n’y a que les Tarentolez qui en reçoivent quelque soulagement. Elle remedie à deux accidens dont ils sont fort affligez, une grande douleur d’oreilles, & une grande foiblesse des jambes, & des pieds ; mais ce qu’il y a de plus admirable dans ce poison, c’est qu’il fait danser les Paralytiques & les Boiteux. Meyssonnier assure qu’il a vû un Vieillard de quatre-vingts ans perclus de ses membres, danser & sauter comme un Chevreuil. On fait une question là-dessus, & on demande par la même raison si un enfant au berceau, ou une personne qui auroit perdu les jambes, danseroit comme ce Vieillard ? Il semble que non ; car le venin de la Tarentole par le moyen de l’harmonie peut bien rétablir, & redonner la disposition naturelle qu’on avoit pour la danse, mais non pas celle qu’on n’a pas encore, ou qu’on a perduë par le retranchement des parties necessaires pour cela ; car sans elles peut-on passer à l’acte dont on n’a pas la puissance ? l’Invalide n’a pas plus de jambes, l’enfant n’en a pas encore l’usage. Il feroit beau voir un tronc d’homme danser & se mouvoir en cadence. Cependant comme on sent encore de la douleur au bras ou à la main qu’on a perduë, & que les enfans au maillot sautillent & s’agitent de joye à la vûë de leurs Nourrices, je croy que s’ils estoient Tarentolez l’Enfant & l’Invalide danseroient comme les Boiteux & les Paralytiques dont parle Meyssonnier. On dit que ce miracle se fait par la conformité qui se rencontre dans les tons de la Musique, & la vertu du venin de la Tarentole, qui estant froid & mélancolique, fait retirer la chaleur, & les esprits au dedans du corps, pour le préserver contre le froid mortel, ce qui cause d’abord des assoupissemens & des convulsions ; & le son des Instrumens venant à réveiller ces esprits engourdis, & à les attirer au dehors, il excite les nerfs, les muscles, & les autres organes du mouvement. Ainsi la Musique rend les Boiteux mêmes capables de la danse, en les purgeant de ce poison par les sueurs, & l’insensible transpiration que luy cause l’agitation & l’exercice. Camerarius dit aussi que ce venin amassé se répand par tout le corps par l’harmonie des voix & des Instrumens, d’où ensuite il se coule & s’évanoüit par la transpiration, & par l’ouverture des pores. Cet Auteur rapporte une plaisante histoire qu’il a tirée de Guyon, d’une Demoiselle de Rouen, nommée du Pareau, qui ne se servit jamais pendant cent six ans qu’elle vécut, que d’un Joüeur de Flute & de Tambour de Basque, qu’elle faisoit joüer plus ou moins long-temps, selon qu’elle estoit malade, & dont elle ne manquoit point d’estre soulagée, & guerie. Il y a une montagne dans l’Afrique, où l’on ne peut passer qu’en chantant & en dansant, autrement l’on est saisi de la fiévre. La Musique a un fort bon effet sur les Nefretiques & les Mélancoliques ; mais si elle guerit de la piqueure de la Vipere, comme dit Macrobe, elle peut bien guerir de la piqueure de la Tarentole.

Mais à moins que le venin de cet Insecte n’inspire dans le même moment qu’on en est piqué, l’inclination pour la Musique, & la disposition pour la danse ; comment faire danser un Boiteux & un Paralytique d’un mal qu’ils n’ont pas encore ? Ce n’est pas le premier appareil qu’on doit appliquer à ces gens là ; mais la Theriaque, la Cantharide, & les autres remedes que la Medecine enseigne. À l’égard des jeunes gens, & des personnes robustes, on peut commencer par ce remede, qui est prompt & facile ; mais en ce cas-là il n’y a que l’agitation & le mouvement qui les garantit ; & on ne peut pas dire que ce soit proprement la Musique & la danse, qui n’ont d’effet que lors que le poison agit & se fait sentir, & dont elles sont également les symptomes, de même que les remedes. Mais enfin c’est avec raison que ces pauvres Tarentolez, ad Musicam tanquam ad sacram anchoram confugiunt, dit le Docteur de Complute. Aussi quand les Violons manquent de pratique en Italie, ils vont à Tarente, à Naples, & dans les lieux où il y a des Tarentolez, qui leur donnent de la pratique tout l’Esté. Il y en a même de gagez pour le soulagement des pauvres à la campagne, dans les Bourgs & dans les Villes, où ils s’assemblent pour danser les uns avec les autres. Les personnes de qualité se rendent visite en ces occasions là, & se divertissent ensemble. Cependant je croy que ces sortes de Frenetiques sont comme les autres Fous, qui ne se plaisent guere avec leurs semblables. Dominique choisissoit fort bien ceux avec lesquels il vouloit danser. Il prenoit toujours les plus sages, & les mieux faits. C’est une chose assez remarquable que les hommes ne dansent point d’ordinaire avec les femmes, ny les femmes avec les hommes. Chaque Sexe invite ses Camarades, & ses Compagnes, qui pour s’entre-faire honneur & plaisir, se tiennent lestes & propres. Les femmes n’ont point d’épées, mais elles n’oublient pas les miroirs, les bassins pleins d’eau, les branches de verdure, & les bouquets de fleurs. Ce divertissement dure quelquefois plus d’une semaine, car il y en a qui dansent jusqu’à quinze jours de suite.

Chaque Malade affecte un certain air & un certain son. Il y en a qui aiment passionnément le son des Cloches ; & cela vient du poison qui fixe l’humeur dominante. Ainsi je croy qu’il n’y a que ceux d’Italie qui affectent principalement le branle de la Tarentole, parce que c’est la danse des Bergers de ce pays là. Kirker dit qu’ils aiment sur tout ce qu’on appelle le Tabourin, & la Zampona rustica de Pastori, la Flute des Bergers. La Musique bruyante leur plaist beaucoup, & le chant qui se mêle au son de la Flute. Ils sont plus touchez de certains tons que d’autres, & ils en reçoivent plus de soulagement, parce qu’ils sont proportionnez à la qualité du poison qui les travaille. Comme aussi il y a de certains tons qui leur déplaisent, & qui les font souffrir davantage, parce qu’ils irritent & aigrissent son humeur maligne ; mais generalement parlant, tout ce qui s’apelle son & musique les soulage, & leur fait du bien. Dominique fut d’abord retiré de son assoupissement par le premier air que joüa le Violon qu’on envoya quérir, & même il dansoit nos Menuets & nos Gavotes avec autant de justesse & d’agrément que le branle de la Tarentole. Il est vray qu’il l’aimoit mieux que les autres, mais cela vient de l’habitude & de l’usage de son pays, où cet air-là est consacré à cette maladie. Il n’y a personne qui ne soit plus touché de certains sons & de certaines cadences, & qui n’ait son Instrument & sa chanson favorite.

Ceux qui se récrient sur l’éloignement des lieux, comme fait le pieux Ecrivain que j’ay déja cité, cherchent icy des sujets d’admiration où il n’y en a point du tout ; car enfin, qu’y a t il de surprenant que la Tarentole fasse danser une personne à cent, à mille lieuës loin d’elle. C’est son venin qui la fait danser, & qu’elle porte par tout. Il ne faut point là chercher des secrets de sympathie ; & quand il seroit vray que la Tarentole & le Tarentolé dansent dans le même moment, & que c’est toujours l’Insecte qui commence le Bal, ce n’est pas une merveille. Le mouvement qu’il se donne excite, & fermente le venin qu’il a communiqué, & le Tarentolé danseroit à Siam comme à Tarente. Mais qui peut avoit remarqué cette sympathie ? Quelqu’un a t il conservé dans une boëte la Tarentole qui l’a piqué, pour sçavoir que lors qu’elle danse, il faut qu’il danse aussi, & qu’il ne danse jamais que lors qu’elle danse ? Il n’y a rien de certain, c’est une vision qui grossit les objets, & qui trouve tout extraordinaire ; mais quand il y auroit de la sympathie, l’éloignement des lieux ne la rend point plus admirable. Aprés avoir bien examiné tous les symptomes de Dominique, les saisons, les lieux, & cent autres circonstances que je ne rapporte point icy, il n’y a pas d’apparence que cela arrive de la sorte. La Tarentole danse, son venin excite à la danse, cela est certain ? Pour le reste, fausse conjecture, propre à exercer les Orateurs & les nouveaux Philosophes. Soit donc qu’on regarde la danse comme le remede, ou comme l’effet du venin de la Tarentole, c’est toujours une merveille qui la rend celebre parmy les animaux venimeux ; car cette justesse de cadence qu’elle donne à ceux qui en sont piquez, & qu’ils observent si exactement en quelque danse que ce soit, & de quelque Instrument qu’on jouë, en sorte qu’ils ne s’y trompent jamais, non plus que le meilleur danseur du monde : disposition néanmoins qui ne dure que pendant leurs accés, & qu’ils perdent aussi tost qu’il est passé, jusqu’à oublier le branle même de la Tarentole qu’ils affectent davantage, & dont ils ont une habitude de quinze ou vingt années ; tout cela, dis je, est bien digne d’admiration, mais est ce qu’un si habile Maistre de danse, qui sans art, sans étude, sans inclination, fait danser toutes sortes de danses avec tant de grace & de justesse, n’a jamais fait un écolier, & qu’il ne luy demeure rien de tant de leçons qu’il luy a données ? Tout ce que je puis dire là-dessus, est que Dominique a sans doute autrefois appris à danser, ou que la Tarentole luy a laissé dans les jambes & dans son attitude ordinaire, un air & une disposition à la danse que les meilleurs Maistres n’ont pas. Heureux les Tarentolez, si en perdant le talent pour la danse aprés leurs accés, ils recouvroient la santé ; mais aprés avoir souvent dansé toute leur vie, ils meurent encore de ce mal, ou la Tarentole qui l’a causé, dont il attendoit la mort pour avoir sa guerison ; car c’est encore icy une des merveilles, ou plûtost une des erreurs où l’on est à l’égard de cet Insecte, que l’on ne guerit de sa piqueure que par sa mort. C’est l’opinion de Dominique, qui attend depuis quinze ans que sa Tarentole soit morte pour estre gueri, s’il n’est point mort luy même, comme le bruit en a couru.

Cette erreur populaire qui est commune dans la Poüille, & à tous les Auteurs qui ont écrit de la Tarentole, n’a pourtant aucun fondement ; car s’il est vray qu’on a vû des personnes danser trente ou quarante années durant, est-il possible que cet Insecte vive si longtemps ? Et s’il est de la nature des autres Insectes, qui meurent & qui renaissent tous les ans, on gueriroit bien tost de cette maladie. On ne peut répondre à ces deux objections ; car de supposer que la Tarentole ne meurt point comme les autres Insectes, tous les ans, & qu’elle vit plusieurs années, c’est dont il faut avoir une preuve qu’on ne trouvera point chez tous les Naturalistes, afin d’établir cette opinion ; au lieu que pour la détruire on a de tres-fortes conjectures. Ainsi je ne croy point que le Tarentolé guerisse si tost que la Tarentole vient à mourir, & que si on la tuë dans le moment de la piqueure, il n’en tombe qu’une seule fois. Mais ne suffit il pas qu’il ait un seul accés, & qu’il danse une seule fois aprés qu’on l’a tuée, pour assurer qu’on ne guerit pas aprés la mort de cet Insecte. N’y auroit il pas autant de raison de dire qu’en le tuant sur le champ, celuy qu’il a piqué n’en ressent aucun effet. Pourquoy son venin ne perdra-t-il pas sa force dans le même moment, & avant que de s’estre fermenté, aussi-bien qu’aprés plusieurs accés, & une plus longue fermentation qui a corrompu le sang & les humeurs ? Tous ces Auteurs, qui n’ont songé qu’à faire des Déclamations sur la Tarentole, n’ont pas examiné la chose, & se sont laissé prévenir de tout le merveilleux que le vulgaire leur en a pû dire. Le Proverbe, Morte est la beste, mort est le venin, n’a point icy de lieu ; car on a beau tuer la Tarentole sur le champ, le malade n’en guerit pas plûtost pour cela ; il faut que son venin opere dans toute son étenduë, & selon le temperament & la complexion du malade. Il en est comme de la rage, dont on ne guerit point pour tuer le chien qui a mordu.

Je sçay bien qu’on peut expliquer cette hypothese par l’émanation des corpuscules, & par la vertu de la sympathie qui est entre la Tarentole & celuy qu’elle a piqué ; en sorte que cette communication venant à cesser par la mort de cet Insecte, son venin n’agit plus, & la personne est guerie ; mais je suis persuadé que les gens sages & judicieux s’en tiendront aux preuves de fait, & préfereront mon sentiment à tous les raisonnemens creux de la Philosophie corpusculaire & sympatique. Cependant ces pauvres Tarentins abusez de cette créance, vont à la chasse aux Tarentoles, & en tuent autant qu’ils en peuvent attraper ; dans l’esperance que celles qui les ont piquez, ou leurs Amis, seront du nombre, & qu’ils gueriront tous ; mais ils se flatent en vain, & n’entendent pas le veritable sens du Proverbe, qui veut dire seulement que le poison de la beste morte est mort aussi, parce qu’elle n’agit plus, & qu’il n’a d’effet que dans son action ; mais lors que sa piqueure a une fois operé, il agit indépendamment d’elle, & ne perd rien de sa vertu par sa mort. On prétend que dessechée & prise en poudre, elle cause les mêmes symptomes que si on en estoit piqué, & qu’elle opere bien plus promptement, puis qu’elle fait sauter & danser sur le champ ceux ausquels on en donne. Les curieux de secrets divertissans s’en servent pour cela. Cet Insecte suffoqué & dégorgé dans quelque liqueur, a aussi les mêmes effets, & agit d’une maniere plus violente qu’en poudre ; mais il est certain que toute la force de son venin consiste dans son aiguillon, & qu’il est moins dangereux mort que vivant. Pomponace, celebre Medecin de Mantouë, en parlant de la Tarentole, propose la question, & demande si le mal cesse lors qu’elle meurt de mort naturelle, ou par accident. Il avoüe de bonne foy qu’il est difficile d’en rapporter la cause, & que c’est une merveille dans la nature dont il doute, parce qu’il n’en a rien trouvé dans les bons Auteurs, & que c’est une opinion particuliere des peuples de la Poüille. Il ajoûte neanmoins qu’on peut dire que c’est un effet de la vertu de la Tarentole, qui regle ainsi la durée de son venin, par la même constellation qui abrege ou qui prolonge sa vie ; mais n’est-ce pas alambiquer sa raison sur un principe faux ? Pourquoy ne pas s’assurer du fait avant que d’en raisonner ? Etrange effet de l’illusion des faux Sçavans, qui cherchent par tout le merveilleux pour dire des choses extraordinaires. Tel est cet Auteur, qui s’embarasse encore de cette distinction frivole, sçavoir la difference qu’il y a quand la Tarentole meurt proprio fato, vel alieno. En effet, sur quoy fonder cette distinction ? On peut bien avoir observé si la mort de cet Insecte guerit ou ne guerit pas de son venin, parce que mille gens l’ont tuée sur champ ; mais c’est aussi la seule experience qu’on a pû faire, car si dans ce moment que la Tarentole est morte fato alieno, on ne ressent point d’effet extraordinaire & sympathique de cette mort violente, par quel pressentiment peut-on sçavoir sa mort naturelle, & comment en remarquer la difference ? C’est une chose impossible, mais on ne s’en mettroit guere en peine, si la proposition estoit veritable, que le malade est gueri par la mort de la Tarentole. Pourvû qu’elle meure, il n’importe de quel genre, nel proprio fato, vel alieno ; car je ne croy pas que quand un autre la tuë, ou qu’on la tuë soy-même, les accés en soient plus forts, & qu’on expie ce Tarentolicide jusqu’au periode fatal de sa fin naturelle, comme Pomponace le veut insinuer par la constellation qui préside à la destinée de cet Insecte ; ou que quand ce periode est accompli, & que la Tarentole meurt naturellement, on guerisse tout d’un coup, plus doucement, & d’une maniere imperceptible Tradition imaginaire des Tarentins, & des Auteurs credules, vaine supposition, question chimerique des nouveaux Philosophes, comme tant d’autres qu’on agite dans l’Ecole, & sur lesquelles on dit tant de pauvretez.

Je finis donc ce Discours de la Tarentole, pour ne pas tomber moy même dans un défaut que je reproche aux autres, en entrant dans un plus long détail ; ou plûtost pour ne pas grossir davantage le nombre de mes béveuës & de mes erreurs ; car je sens bien qu’on ne peut pas traiter une matiere comme celle-cy, tans que l’imagination s’égare quelquefois, & sans que le bons sens fasse de faux écarts.

[Avanture] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 119-126.

Puis que l’avanture en Vers de la Mesalliance avantageuse, employée dans ma Lettre du mois passé, a esté de vostre goust, j’ay sujet de croire que vous ne serez pas moins contente de celle cy. Elle est du même Auteur.

LE REVEIL
MAL APPRESTÉ
AVANTURE.

En un Hostel garny du Faux-bourg Saint-Germain,
 Certaine Dame à petit train,
Se faisoit appeller Marquise de la Roste.
 Elle avoit un Carosse au mois,
 Qu’elle payoit comme son Hoste ;
 Cela veut dire en bon François,
Qu’elle payoit fort mal. Le Loueur de Voiture
 Prévoyant fâcheuse avanture.
Ne vouloit plus prêter, l’Hoste pareillement.
La Dame promettoit toujours contentement,
Du retour du Marquis elle amusoit ses duppes,
Tandis qu’elle vendoit nippes, manteaux & juppes,
 Pour fournir aux pressans besoins.
Le Marquis supposé n’estoit qu’une chimere,
La Marquise estoit preste à tomber en misere,
Elle ne sçavoit plus à quoy donner ses soins,
 La marmite estoit renversée.
Enfin des vifs chagrins dont elle estoit pressée
 Rien ne sembloit pouvoir là garantir.
 Lors qu’un jour allant par la Ville,
 À pied, s’entend, non pour se divertir,
Mais pour chercher quelque moyen utile
À se tirer de tous ses embarras.
 Ainsi marchant à petits pas,
Elle fit vers le soir rencontre d’un jeune homme,
 À peu prés fait en Gentilhomme,
 Il s’avançoit au bord de l’eau.
 Assez proche estoit un bateau.
 La Dame y passa la premiere,
L’Inconnu la suivit ; traversant la Riviere
 L’un à l’autre fit les doux yeux.
 Ils se dirent quelques paroles,
 Et jouërent si bien leurs rôles,
Qu’au gré de deux Amans rien ne se pouvoit mieux.
 En débarquant l’Inconnu prit la Dame,
 Ou par le bras, ou par la main,
 Les voilà tous deux en chemin,
 L’Ecuyer, le cœur tout en flâme,
Ne parle que d’aimer, ne promet que plaisirs.
La Dame sans façon répond à ses desirs,
Chez l’Hoste mal content ils arrivent ensemble.
Le Galant dans la chambre est d’abord introduit,
 Il est trop heureux, ce luy semble,
De ce qu’on luy permet de passer là la nuit ;
 La Marquise tenant sa proye,
Chez son Hoste aussi-tost va publiant sa joye.
Enfin, mon Hoste, enfin, luy dit-elle en riant,
Mon Epoux est venu, nous payerons nos dettes.
Viste pour son souper quelque morceau friand,
Et jusques à demain, toutes choses secretes.
Il ne veut point paroistre aux yeux de nos Amis,
 Qu’il n’ait icy son Equipage,
 Et repris ses plus beaux habits,
Nous aurons dans deux jours ses Laquais & son Page.
L’Hoste plein de respect répond honnestement.
 Apreste à souper promptement,
 Joint deux Poulardes à l’éclanche,
Bon dessert & bon vin, bon feu, rien d’épargné.
Le repas est suivi d’une Toilette blanche,
Et l’Hoste sans plaider croit son procés gagné.
 Cascaret aide Simonnette ;
 De draps blancs le lit est couvert,
 Nostre Inconnu d’une serviette
 Fait un bonnet en homme expert.
 Le Domestique se retire,
L’Hoste de son costé ne songe plus qu’à rire.
Le lendemain à peine a-t-il ouvert les yeux,
Qu’il allume le feu, fait bouillir la marmite.
 En peu de temps la chair est cuite.
Il dresse deux boüillons, & les porte tous deux
 À la chambre de la Marquise.
Il ne la trouve plus. Pour luy quelle surprise !
La Toilette est pliée, & le coffre est vuidé.
L’Inconnu dort encor, l’Hoste troublé l’éveille,
 Et par l’ardeur du procedé,
 Luy met bien pis que la puce à l’oreille,
Le jette dans la crainte, & le remplit d’effroy.
Un Commissaire vient qui parle au nom du Roy.
Pour éviter l’affront l’homme duppé compose.
On dit qu’il faut payer, il convient de la chose ;
Il compte des Louis, l’Hoste paroist content.
Il n’est sot à Paris qui n’en merite autant.

[Nouvelle Pandore, ou des Femmes illustres du Siecle de Louis le Grand] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 126-138.

Vous avez lû sans doute, Madame, les Satires & les Pieces differentes qui ont esté faites depuis quelques années contre le Mariage & contre les Femmes, non seulement contre les Femmes en general, mais encore contre les Dames Sçavantes en particulier. Cela n’empêche pas que l’on ne se marie toujours, & que les beaux esprits de vostre Sexe ne travaillent pour la gloire, & à se rendre recommandables par leur sçavoir autant que par leur sagesse. Elles peuvent se vanter d’avoir remporté des Prix d’Eloquence & de Poësie dans toutes les Academies du Royaume, témoins l’illustre Mademoiselle de Scudery, Deshoullieres & Bernard, dans l’Academie Françoise. Cette derniere a gagné aussi toutes les Fleurs de l’Academie Royale des Jeux Floraux de Toulouse, & Mademoiselle Lheritier a souvent esté couronnée par Mrs les Lanternistes de la même Ville. Je ne vous parle point des Ouvrages admirables de Madame Le Fevre Dacier, des Poësies charmantes de Mademoiselle Cheron, ny des agréables Productions d’esprit de Madame le Camus, de Mademoiselle de la Force, ny d’un grand nombre d’autres, que Mr de Vertron a pris soin de loüer d’une maniere délicate & nouvelle, dans un Recueil qui paroist depuis quelque temps sous le titre de Nouvelle Pandore, ou des Femmes illustres du Siecle de Louis le Grand. Il y fait les Eloges des Mortes & des Vivantes, & pour prouver la préference de vostre Sexe au nostre, il y soutient le Pour & le Contre, ce qui a donné matiere à plusieurs Orateurs & Poëtes d’exercer leur genie sur les divers partis qu’il a embrassez dans ses six Discours Academiques.

Le premier, Du merite des Dames, est appuyé sur les témoignages des Ecritures Saintes, où l’on voit le Panegyrique des Femmes illustres de l’Ancien & du Nouveau Testament.

Le second traite du Merite des Hommes, où rassemblant les perfections des Heros de l’Antiquité, il trouve moyen de faire l’Eloge du Roy.

Le troisiéme Discours, qui est de l’Egalité des Sexes, est une curieuse recherche de la Fable & de l’Histoire ancienne, tant sacrée que profane, qui fait voir que comme l’esprit n’a point de Sexe, il n’y a nulle difference entre les Ames & les Genies des Hommes & des Femmes.

Le quatriéme Discours est contre l’Egalité des Sexes, & en faveur des Hommes. C’est une espece de Critique honneste contre les défauts de quelques Femmes, qui ont fait du bruit dans l’Antiquité. Il touche pourtant finement ceux des nostres, c’est à dire des Coquetes d’éclat, & des Plaideuses de profession, sans oublier les Précieuses ridicules, ny les fausses Sçavantes.

Le cinquiéme Discours contre les Hommes, est une peinture fidelle & en racourci des défauts des grands Hommes de l’Antiquité, & de quelques Empereurs Romains, de certains Heros, & des Dieux Payens.

Le sixiéme, qui est de la prééminence du beau Sexe, est une rétractation par laquelle il montre que tout ce qu’il a dit contre les Femmes, n’a esté que pour mieux établir leurs avantages sur les Hommes.

En parlant des Heroïnes de l’Antiquité, il parle comme il faut, & comme il doit, de celles de nostre Siecle ; & il fait voir qu’il y a des Heroïnes de plus d’une maniere. Celle dont il s’est servi pour convaincre les Hommes du merite des Femmes, en est une preuve indubitable, puis qu’il fait voir leur esprit par leurs Ouvrages, remplissant, ou pour mieux dire, ornant (c’est ainsi qu’il s’en explique luy même dans sa Préface) les deux Volumes de la Nouvelle Pandore, de ce qu’elles ont fait de plus beau. Parmy ces œuvres mêlées il a choisi celles qui regardoient la gloire du Roy. On trouve dans le même recueil le jugement qu’il fait des Ouvrages que ces Dames Sçavantes luy ont fait l’honneur de luy adresser ce qui peut passer pour des Eloges en racourci, la matiere en estant inépuisable. Il nous promet encore quelque chose de nouveau en faveur des Dames, qui luy ont donné avec justice le surnom de Protecteur du beau Sexe. C’est aussi en cette qualité qu’il a proclamé, & dans les Academies du Royaume, & dans celles d’Italie, le merite de celles qui se sont fait distinguer par leur sage conduite, par leurs vertus éclatantes, & par leurs excellens Ouvrages. Enfin, sur son témoignage, Messieurs de la docte Academie des Ricovrati de Padouë, ses Confreres, le 10. de Février dernier, receurent les Dames illustres, dont voicy la Liste qu’il m’a envoyée.

Madame la Presidente de Bretonvilliers.

Madame le Camus de Melson.

Mademoiselle de la Force.

Madame la Comtesse de Barneville Daulnoy.

Mademoiselle des Houlieres.

Mademoiselle Cheron.

Mademoiselle Bernard.

Mademoiselle Lheritier.

Il doit ces jours-cy, en qualité de Député, leur porter les Lettres Patentes d’Academiciennes, present qu’il accompagnera sans doute, de Complimens Italiens & François.

Mademoiselle de Scudery, Madame le Fevre Dacier, & Madame de Saliez, Viguiere d’Albi, ont esté receuës dans la même Academie de Ricovrati il y a déja quelques années.

Je ne vous dis rien davantage de la nouvelle Pandore, où la modestie de Mr de Vertron luy fait dire qu’il y a la moindre part, & que ce qu’il y a de meilleur, est des Dames qui ont enrichi ce Recueil par leurs Ouvrages. Ce Livre composé de deux Tomes, en attendant le troisiéme, qui sera de Pieces galantes, se vend chez la Veuve Claude Mazuel, sur le Pont Saint Michel, à la Levrette.

[Lettre en Prose & en Vers à Mademoiselle de Scudery, sur la mort de son Perroquet] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 138-146.

Le nom de Vertron me fait souvenir d’une Lettre que vous serez bien-aise de voir. Il l’a écrite à l’illustre Mademoiselle de Scuderi, sur la mort de son Perroquet.

MADEMOISELLE.

En lisant le Mercure j’apprens la triste nouvelle de la mort de vostre inimitable Perroquet. En verité je prens toute la part qu’un Ami doit prendre à la perte d’un oiseau de son illustre Amie, qui en faisoit le plus doux de ses plaisirs.

Consolez vous du Perroquet,
Recevez en un en peinture ;
Celuy cy n’a point de caquet,
Mais il plaira par sa figure.

Je ne doute point que les Muses Françoises, & les Italiennes, parmy lesquelles vous brillez, ne vous témoignent leur sensibilité pour ce qui vous touche ; & certes, Mademoiselle, si Pithagore, ce Philosophe fameux, Auteur de la Metempsicose, revenoit dans le nouveau Siecle, il aimeroit mieux que son ame passast dans le corps de vostre Perroquet, pour le ranimer, & pour vous réjoüir, que dans celuy d’un cheval qu’il prétend avoir esté. Mais sans nous arrester icy à combattre son opinion de la transmigration des Ames, il faut avoüer, Mademoiselle, que vostre Perroquet estoit un joly animal. Pardonnez à ce mot échapé, & excusez moy, si je parle ainsi d’une petite beste qui avoit tant d’esprit.

Je le dis en une parole,
Qui n’en auroit à vostre école ?

Que Perse cesse de nous vanter dans le Prologue de ses Satires un certain Perroquet, qui avoit appris à donner tous les matins le bon jour à son Maistre. Le vostre qui en faisoit de même, en prononçant si distinctement le beau nom de sa chere Maistresse, Sapho, aura des Epitaphes & des Eloges Funebres, comme en a eu celuy de Madame de Foix, lequel, si j’ay bonne memoire, mourut le 6. Février 1682. Toutes les personnes qui ont l’avantage d’avoir avec vous un commerce de Vers, ne manqueront pas d’en faire. Je juge que vostre agréable Fauvette se consolera aisément de n’avoir plus un si dangereux Rival, qui partageoit vos momens de loisir & vostre cœur.

Les Oiseaux, soit dans l’air, ou bien dans une cage,
N’aiment, non plus que nous, un semblable partage.

Le Sonnet de Mr l’Abbé de Poissy, sur le sujet de vostre perte, estoit digne de vostre réponse ; rien n’est plus spirituel de part & d’autre.

Vostre Oiseau surpassoit l’Aigle de Jupiter ;
Pour vous seule Apollon se fait Pharmacopole.
En langage divin je ne suis qu’un Frater,
Mais Poissy pour les Vers est un autre Nicole.

Je ne sçaurois achever ce Sonnet sur de vieilles rimes, que ce galant Abbé vient de remplir de nouvelles pensées avec tant de succés.

Pour l’esprit, pour le cœur point de captivité :
En Vers comme en amour je veux ma liberté.

Cependant pour vous plaire, Mademoiselle, j’ay tâché d’accorder dans cet Impromptu la Rime avec la Raison ; jugez en, je vous prie, souverainement, vous qui sçûtes toujours si bien unir l’une & l’autre dans vos Ouvrages.

Enfin il n’est donc plus celuy, dont le ramage,
 Sapho, vous charmoit jour & nuit.
 Jalouse de cet avantage,
 La fiere Parque l’a détruit.
Que ne puis je avec vous partager l’heritage !
Vous garderiez sa plume, & j’aurois son langage ;
Le vostre sçait charmer le plus grand des Humains ;
Sans estre tout parfait rien ne sort de vos mains.

Si vous me faites l’honneur de répondre à ma Lettre, je demeure dans l’Isle des Perroquets, proche Mesdemoiselles de Tronchot.

Celuy de ces aimables Sœurs
Par sa voix charme les oreilles,
Ses Maistresses, ces deux Merveilles,
Par leurs appas charment les cœurs.

Soyez persuadée, Mademoiselle, que dans le sérieux, comme dans la bagatelle, je ne manqueray jamais de vous marquer ou ma douleur, ou ma joye, prenant interest à tout ce qui vous regarde, en qualité de vostre, &c.

[Nouvelles particularitez du Carousel qui s'est fait à l'Academie de Mrs de Rochefort, de Vandeüil & d'Avricourt] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 151.

La course de Bague estant achevée, tous les Gentilshommes monterent à cheval, & firent une marche autour du Manege découvert, qui est bordé de chaque costé de trois rang d'arbres. Un Timballier, quatre Trompettes & quatre Hautbois la commencerent.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 156-157.Le poème est publié sous le nom de Madeleine de Scudéry dans la Suite de la premiere partie du Recueil des plus beaux vers qui ont esté mis en chant (Paris, Charles de Sercy, 1661, p. 439).

Les paroles suivantes ont esté mises en Air par un tres-habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quand verray je ce que j'adore, doit regarder la page 157.
Quand verray-je ce que j'adore
Eclairer ces aimables lieux.
O doux momens, ô momens précieux,
Ne reviendrez vous point encore !
images/1699-09_156.JPG

[Madrigal] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 171-173.

Je vous envoye un Madrigal que Mr Perachon a fait pour l’Illustre Mademoiselle de Scuderi, qui est âgée de quatre-vingt quatorze ans, & lit sans lunettes ce qu’on luy dit par écrit, estant dure d’oüie.

La divine Sapho, par une longue vie
 Qui dure prés d’un siecle entier,
Fait voir que son merite au dessus de l’envie
S’est attiré du Ciel un amour singulier.
 Son corps aussi bien que son ame,
A des yeux clairvoyans pleins d’une vive flame
Dont les rayons sont toûjours penetrans.
Elle n’a pas besoin de ces yeux qu’on achete.
Pour les traits les plus fins sa vûë est toûjours preste.
 Et ses yeux sont ses truchemens.
Dans cet objet plein de merveilles,
Les yeux font en effet l’office des oreilles,
Lors que nous consultons ses oracles charmans.
Cet honneur de son Sexe approchant de vingt lustres
Triomphe en deux façons de cent Auteurs illustres.
 Et l’on diroit qu’en augmentant ses ans,
Avant que d’honorer le Temple de Memoire,
Son corps à son esprit veut disputer la gloire
 De triompher des âges & des temps.

[Couches de Madame la Duchesse de Lorraine] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 185-186.

[Madame la Duchesse de Lorraine accoucha d'un fils le 26 juillet sur les onze heures du soir.]

Aussi tost aprés l'accouchement Monsieur le Duc de Lorraine fit délivrer quatre Prisonniers qui estoient dans les Prisons de Bar. Il ordonna que les Boutiques fussent fermées pendant trois jours, & envoya des Couriers à Nancy & dans tous ses Etats pour porter de pareils ordres, & Mr le Marquis de Lenoncour fut nommé par ce Prince Envoyé Extraordinaire pour faire sçavoir au Roy cette heureuse nouvelle. Le jour de Saint Louis toute la Cour de Lorraine fut extraordinairement parée. On fit de grandes illuminations, on tira beaucoup de fusées volantes, il y eut un grand Bal à la Cour, & l'on but à la santé du Roy dans toute la Ville de Bar.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 205-206.

Les paroles que je vous envoye ont esté mises en air par Mr Normandeau l'aîné; cy-devant Page de la Chapelle du Roy.

Laissons là, chers Amis, l'empire de Venus,Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Laissons là, chers Amis, l'empire de Venus, doit regarder la page 206.
N'admirons plus sa beauté sans pareille,
Rangeons nous tous sous la loy de Bacchus,
Retirons nous à l'ombre de la treille,
Goûtons la douceur de son jus.
images/1699-09_205.JPG

[Ce qui s'est passé le jour de Saint Louis dans toutes les Academies établies par le Roy] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 206-207.

Mrs de l'Academie Françoise s'estant rendus le jour de Saint Loüis, dans la Chapelle du Louvre, Mr l'Evêque Comte de Noyon, Pair de France, l'un des Quarante de l'Academie, celebra la Messe, pendant laquelle on chanta un Motet en Musique, & Mr l'Abbé Drevillet, Docteur de Sorbonne, prononça le Panegyrique du Saint, dont on celebroit la Feste, & fit voir avec beaucoup d'éloquence que ce Saint avoit remply tous ses devoirs comme Chrestien & comme Roy.

[Distribution des Prix d’éloquence et de Poésie à l’Académie jour de la Saint Louis, et Madrigal à Mr de Clerville]* §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 207-212.

Il fut aisé à l’Auditeur de faire une juste application de tout ce que cet Orateur dit sur une si riche matiere ; puisque jamais Monarque n’a mieux remply que LOUIS LE GRAND, toutes les fonctions d’un veritable Chrestien, & d’un grand Monarque. Mrs de l’Academie qui avoient esté conviez à dîner chez Mr de Noyon se rendirent à l’Hôtel de ce Prelat à l’issuë de cette Ceremonie. Ils furent magnifiquement traitez. La table estoit de trente couverts, & fut servie avec autant de propreté que de délicatesse & d’abondance. Ce Prelat, dont la magnificence est connuë, s’est toûjours distingué dans tout ce qu’il a entrepris, & a toûjours soûtenu avec un éclat digne de sa naissance, & de la grandeur de sa Maison.

L’apresdinée l’Academie Françoise s’estant renduë au Louvre, dans la Salle où elle s’assemble ordinairement, distribua le Prix d’Eloquence & de Poësie. Le premier fondé par Mr de Balzac, fut donné à Mr Mongin, qui l’avoit aussi emporté il y a deux ans, & celuy de Poësie à Mr de Clerville, Gentilhomme de Rouen. Feu Mr Pelisson donnoit ce Prix avant sa mort, mais ne l’ayant point fondé, on n’en auroit distribué qu’un dans la suite, si Mrs de l’Academie ne l’ussent donné à leurs dépens ; mais Mr l’Evêque de Noyon qui ne laisse échaper aucune occasion de faire voir l’ardeur de son zele pour le Roy, ayant souhaité de fonder ce Prix à perpetuité, ces Messieurs y ont donné leur consentement ainsi que je vous l’ay déja marque, & ce Prelat à commencé par donner celuy que Mr de Clerville a remporté. Mr le Marquis de Dangeau trouva sa Piece si belle qu’il crut en devoir faire une lecture au Roy, & Sa Majesté dit à Mr de Noyon qui l’avoit fait imprimer, & qui en avoit donné des exemplaires aux plus considerables personnes de la Cour, qu’il agréoit qu’il luy presentast l’Auteur : Il eut l’honneur de la saluer le lendemain, & d’entendre de la propre bouche de ce Prince, qu’il avoit vû son ouvrage, qu’il l’avoit trouvé beau & qu’il falloit qu’il le fust effectivement, puisqu’il avoit esté jugé tel par tant d’habiles gens.

Mr de Clerville avoit remporté le Prix de l’Eloquence en 1691. ce qui ne s’estoit point encore vû, parce qu’il n’est pas ordinaire qu’une même personne réüssisse également bien en Prose & en Vers. On luy envoya ce Madrigal le lendemain.

En Prose comme en Vers tu remportes les Prix
 Sur nos plus excellens esprits,
 Et tu portes si haut ta gloire
Qu’on te verra bien-tost paroistre sur les rangs
 Des Arbitres de la Victoire,
Aprés avoir vaincu parmy les Combatans.

[Ce qui s'est passé le même jour [fête de Saint Louis] au Camp de Marly] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 220-222.

Le même jour [fête de Saint Louis], Messieurs les Officiers du Regiment du Roy, qui campe à Marly, celebrerent la Feste de S. Loüis, dans la Chapelle du Camp, on y benit un pain ; que les Sergens du Regiment presenterent au Roy, avec un bouquet. Le R. Pere Eloy, Recollect du Convent de Versailles, fit un compliment pour eux à Sa Majesté. La ceremonie se fit au bruit des Tambours, Hautbois & Violons, & le Roy leur fit distribuer un somme considerable.

La grande Messe fut celebrée par Mr Famvel, Aumônier du Camp, & chantée par les Recollets de S. Germain ; que le Roy employe pour servir les Malades de l'Hôpital en qualité d'Aumôniers ordinaires de ses Armées.

[Mort & Pompe funebre de Mr le Chancelier Boucherat] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 227-243.

Messire Louis Boucherat, Chevalier, Comte de Compans, de Saint-Mesme, & autres lieux, Commandeur des Ordres du Roy, Chancelier & Garde-des-Sceaux de France, mourut à Paris le Mecredy à Paris le Mercredy 2. jour de Septembre dernier âgé de quatre vingt trois ans & quatorze jours. [...]

Dés le lendemain on exposa en public le corps de Mr le Chancelier, qui resta plusieurs jours. Il estoit dans une chambre toute tenduë de deüil, avec deux lez de velours sur lesquels estoient les écussons de ses Armes. On l'avoit mis dans un Lit de parade, sous un riche poësle de velours noir bordé d'hermines, sur lequel estoient le Mortier de Chancelier, la Courone Ducale, la Croix de l'Ordre du S. Esprit, deux Masses de vermeil doré, & la Robe de Chancelier de velours violet doublée de satin rouge, avec la Croix du Saint Esprit brodée en argent ; tous ces honneurs estoient sur des coussins de velours couverts de crespe, avec un grand nombre de cierges aux Armes de Mr le Chancelier, qui estoient sur des Chandeliers d'argent & brûloient jour & nuit. Plusieurs Prestres en surplis, & Religieux de divers Ordres psalmodiant autour du corps. Pour parvenir à cette chambre il falloit traverser la court, & plusieurs Salles &antichambres toutes tenduës de noir, avec deux lez de velours , & Armoiries, qui estoient éclairées par quantité de bougies dans des plquesle long des murs. Plusieurs Compagnies de gens de Robe, & Communautez de Religieux, vinrent luy jetter de l'Eau-benite ; les Officiers de Mr le Chancelier alloient les recevoir ; on chantoit un De profundis, quand elles arrivoient, & un Aumônier de la Chancellerie leur presentoit le Goupillon. De là les Compagnies alloient complimenter Mrs de Fourcy, de Harlay, & de Barillon Morangis, qui les conduisoient plus ou moins avant , chacun selon leur dignité.

Le Lundy suivant 7. de ce mois, à neuf heures du soir, se fit le transport du corps en l'Eglise de Saint Gervais. [...]

Aprés qu'on eut chanté les Vespres des Morts, & qu'on eut jetté de l'Eau-benite, la compagnie s'en alla, & on mit le corps dans une Chapelle ardente sur une estrade de plusieurs degrez, avec quantité de cierges ardens armoriez, qu'on renouvelle tous les jours. Il restera ainsi jusqu'aprés la Saint Martin, qu'on celebrera un Service solemnel, & qu'il sera inhumé dans la cave de sa Chapelle, auprés de Madame son Epouse.

[Vers Anglois traduits par Mr Ranchain] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 245-249.

Il s’en est peu fallu que vous n’ayez trouvé icy des Vers Anglois qu’on me pressoit de vous envoyer, pour vous faire voir qu’il y a de beaux esprits dans toutes les Nations, qui ne peuvent refuser des loüanges au Roy. Mr le Chevalier Baber, qui se trouve banni de sa Patrie pour avoir servi son Roy fidellement, est l’Auteur de ces Vers. Ils ont esté traduits par Mr Ranchain, fort connu dans l’Empire de Lettres, & je vous envoye cette traduction.

POUR LE ROY,
Sur sa Statuë Equestre.

 Si le Soleil, dont l’influence
Vainement tant de fois se répandit sur nous,
Cette année est beni de tous,
Pour avoir à nos champs redonné l’abondance,
 Combien à plus forte raison,
Ne doit-on pas benir le Soleil de la France,
Pour lequel il n’est point de temps ny de saison.
Depuis que nous vivons sous son obeissance
Il ajoûte toujours puissance sur puissance,
 Fait regner la magnificence,
Et répand la richesse & les biens à foison.
***
 On n’a qu’à voir sa Statuë,
Elle a je ne sçay quoy de noble & d’éclatant,
Qui surprend & frape la vûë
 Plus que ce Soleil inconstant ;
Et comme pour le bien de son peuple fidelle
 Il est plus juste dans son cours,
 Son influence aura toujours
Quelque chose de grand & de divin en elle,
Qui nous donnera d’heureux jours.
***
 Que la voix de la Renommée
Apprenne ses grandeurs à la terre alarmée,
Qu’elle annonce sa gloire & public en tout lieu,
 Qu’un grand Saint fut Loüis le neuviéme,
Et qu’à rendre justice à Loüis quatorziéme,
 Il devroit passer pour un Dieu.

[Lettre à Mr de S. Evremont] §

Mercure galant, septembre 1699 [tome 9], p. 256-268.

Je vous envoye une Lettre qui passe icy pour un chef-d’œuvre.

LETTRE À MONSIEUR
DE S. EVREMONT,
Sur la mort de Madame Mazarin.

Je prens trop de plaisir, Monsieur, au commerce que j’ay avec vous par vos Ouvrages, pour ne me pas interesser à vostre peine. Vous venez de perdre Madame Mazarin ; vous aviez de la sensibilité pour ses attraits, & de l’admiration pour son esprit ; vous l’avez dit trop de fois pour n’en estre pas cru. Tout le monde en est si persuadé, que personne ne parle icy de sa mort, sans parler de vostre douleur, les regrets que l’on luy donne sont inseparables de ceux que l’on ne sçauroit vous refuser. En nous faisant ressentir sa perte, par la maniere dont vous peignez les qualitez qui brilloient en elle, & dont vous estiez si charmé : vous nous faites ressentir vostre affliction, & l’on est également touché pour elle, & pour vous. Vostre douleur interesse d’autant plus, qu’elle est dans le cœur & dans l’esprit, & que vous ne sçauriez guere emprunter le secours de la raison pour surmonter les mouvemens de la nature.

Cependant la perte que vous venez de faire est irreparable, & dans les afflictions où il n’y a point de parti à prendre que celuy de se consoler & de pleurer toujours, on doit faire un essay de sa fermeté, plûtost que de succomber a sa foiblesse. Il faut que l’impossibilité du remede nous force à nous mettre au dessus du mal, & de toutes les raisons qui nous manquent pour soulager nostre douleur, nous devons nous en former une qui nous serve, s’il se peut, à nous guerir.

Hortense est descenduë au séjour du trépas,
 Tu ne verras plus ses appas.
Pour fléchir la rigueur du sort qui l’a ravie
 Tu tenterois un vain effort,
On passe tous les jours de la vie à la mort,
Personne ne revient de la mort à la vie.
***
Le sort qui l’a soumise à ses barbares loix
Fait voir que la Beauté ne rend point immortelle.
 Tu ne sçaurois loüer en elle
 Que ce qu’elle fut autrefois.
***
 Celle que tu voyois sans cesse,
 Celle qu’au gré de ta tendresse
 Tu ne voyois jamais assez ;
Celle dont les appas avec tant de noblesse
 Dans tes écrits sont retracez,
N’a plus cet air aimable, engageant, vif & tendre
 Qui força ton cœur à se rendre.
Tu n’entens plus sa voix, tu ne peus plus la voir ;
Hortense enfin n’est plus qu’une funeste cendre
Que tes pleurs & tes cris ne sçauroient émouvoir.
***
 Depuis cette triste disgrace
Tout te paroist affreux, tout a changé de face,
L’Univers appauvry ne t’offre plus d’attraits
 Qui ne te semblent imparfaits.
De l’astre qui nous luit la lumiere te blesse.
Rien ne se passe au monde où ton cœur s’interesse.
Rien ne peut t’arracher des vœux ny des souhaits.
Pour tenter le secours que l’amour propre inspire
Tu parcours vainement d’un regard curieux
 Tout ce qui plaist à d’autres yeux,
La terre n’a plus rien qui te puisse suffire,
 Hortense te manque en tous lieux.

Rien, sans doute, ne nous est plus sensible que de perdre ce qui nous est cher. Si ce n’est pas tout à fait cesser de vivre, c’est toujours mourir en quelque sorte. On joüit de tout avec une personne que l’on aime ; on ne goûte rien, on ne joüit de rien ! dés qu’elle n’est plus, c’est presque ne plus tenir à la vie ; mais rien n’est plus vain que de s’attacher à ce qui est perissable. Nous avons des desirs infinis, & nous nous limitons à une petite portion de ce monde, à une beauté qui perit, à une fleur qui se fane, nous n’aimons rien, n’envisageons rien au delà : vous venez de faire la triste épreuve de ce que je dis, tous les hommes la font comme vous, & personne ne se corrige,

 Tu vois par ce triste revers
 Que tout passe dans l’Univers.
Celle que tu trouvois si charmante & si belle
 A subi cette loy cruelle
C’est pour toy, je l’avoüe, un triste souvenir ;
Mais aprés ce trépas il est un avenir,
Et tu peux esperer de revivre avec elle.
***
 En vain pour faire l’esprit fort
On veut que tout perisse en nous aprés la mort.
Pour se désabuser d’une erreur si grossiere
 On n’a qu’à lire tes écrits,
 Peut-on penser que la matiere
 Inspire tout ce que tu dis ?
 Le corps n’a que le seul usage
 Des sens qu’il reçut pour partage
Il s’ignore luy-même, il ne peut s’éclairer.
Il ne sçait ce que c’est de craindre & d’esperer.
 L’ame est une immortelle essence
 Qui conçoit, qui doute, qui pense
Qui juge, qui contemple, & qui sçait écarter
L’erreur des Veritez où l’on doit se soumettre.
Il n’est rien de caché que l’esprit ne penetre
Heureux, si comme il voit sans en pouvoir douter
L’imposture & le vice attachez à son estre
 Il ne cherchoit à les connoistre
 Qu’afin de les mieux éviter.
***
L’ame en quittant le corps à nostre heure derniere
 Vole au séjour de la lumiere,
Et si-tost que ce corps cesse d’estre animé
 Il retourne dans la poussiere
 Dont la main de Dieu l’a formé.
***
 Enfin quoy qu’Epicure avance,
L’ame ne perit point dans le séjour des morts
 Et le tombeau de ton Hortense
 En cache seulement le corps.

Vostre Heros, Mr le Comte de Grammont, qui s’interesse à vostre repos, comme vous vous interessez à sa gloire, seroit d’avis que vous vous éloignassiez des lieux où vous estes, qui rappellent sans cesse à vostre esprit l’Image de Madame Mazarin, & qui ne sont propres qu’à entretenir vostre douleur.

Ces lieux ne sont pour toy qu’un sujet de tristesse,
Et loin d’estre touchez de tes cris superflus,
 Ils te font souvenir sans cesse
 Qu’elle fut, & qu’elle n’est plus.
Rien ne doit t’engager d’y rester davantage,
Quitte, quitte, un séjour fatal à ton repos,
 Repasse sur nostre rivage
Et vien retrouver ton Heros.

Il joint encore au bon esprit du Comte, les agrémens qu’avoit autrefois le Chevalier. Il efface les jeunes Courtisans par son enjoûment & par sa vivacité, & il leur fait honte par sa politesse.

 Toûjours vif dans ses reparties,
 Toûjours nouveau dans ses saillies
 Inimitable en ses façons,
Il n’abandonne point son brillant caractere.
 Pour sçavoir vivre en l’art de plaire
 On doit prendre de ses leçons.

Courtisan toujours assidu, ce qui est ordinaire, & toujours agréable à son Maistre, ce qui est rare, il ne cede à personne la gloire de luy plaire, & il ne l’approche jamais sans y réussir.

Avoüons la verité, il faudroit estre bien insensible, pour n’estre pas excité à ce dessein par toutes les vertus qui brillent dans ce grand Prince. Je sçay que la Renommée vous en instruit fort souvent, & que vous en écoutez le récit avec étonnement ; mais vous perdez beaucoup à ne les pas considerer de plus prés. Il ne tient qu’à vous de le voir & de l’entendre. Il vous l’a permis depuis longtemps ; c’est un beau spectacle qu’un Roy digne de servir de modelle aux autres Rois, & qui réunit en luy toutes les vertus de la Guerre & de la Paix. Venez joüir de ce bonheur, venez voir le plus grand & le meilleur de tous les Princes. Vous le trouverez au dessus des Heros dont vous avez ranimé la gloire dans vos Ecrits & l’idée mesme que vous avez d’Alexandre fera place à l’admiration que vous ne pourrez luy refuser.

Alexandre, il est vray, par des faits inoüis
 S’est fait un grand nom dans l’Histoire ;
Mais si sur le Granique il eust trouvé LOUIS
Je n’aurois pas voulu répondre de sa gloire.
***
De la moitié du monde il accrut ses Etats
La Victoire pour luy fut constante & fidelle
Peut-estre qu’à sa voix elle eust esté rebelle
 S’il avoit eu l’Europe sur les bras,
 Et LOUIS a triomphé d’elle.
***
 Ceux qui devoient dans leurs projets
Attaquer nos remparts, & les réduire en cendre,
Ont vû par nos Soldats désoler leurs guerets,
Forcer leurs Bataillons, & leur Ville à se rendre.
Sur leur propre foyer contraints de se défendre
Ils le verroient encore faire d’autres progrés,
 Si LOUIS sensible aux regrets
 Que cent Peuples faisoient entendre
 Ne leur avoit donné la Paix.

Toute l’Europe avoit conspiré contre luy, ses Ennemis pressoient de tous costez sa Frontiere, son Royaume estoit comme une Place assiegée. Il se met en défense il attaque, il combat, il triomphe de ceux qui s’estoient promis de l’accabler ; & aprés leur avoir fait ressentir les malheurs de la Guerre, il leur a donné la Paix, & leur en a imposé luy-mesme les conditions.