1699

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1699 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 5-8.

On a dit souvent avec beaucoup de raison, que comme il est impossible de loüer dignement le Roy, il n’y a point de meilleur party à prendre dans l’étonnement que causent ses grandes & merveilleuses qualitez, que de l’admirer & de se taire. C’est ce que fait fort ingenieusement Mr la Blanchere, dans le Sonnet que vous allez lire.

AU ROY.

Grand Roy, dont la vertu, la gloire & la vaillance
Ont soumis à l’envi tant de cœurs sous tes loix,
Que n’ay-je d’Apollon la divine Eloquence,
Pour chanter à jamais tes éclatans exploits !
***
Tantost je dépeindrois cette noble assurance,
Qui dans les champs de Mars fit pâlir tant de Rois.
Tantost j’exalterois cette sainte prudence,
Qui mit en peu de jours l’Heresie aux abois.
***
Enfin pour couronner ton immortelle gloire,
J’instruirois l’avenir qu’enchaînant la Victoire,
Lors que tu pouvois tout tu prescrivis la Paix.
***
Mais chante qui pourra ta valeur invincible ;
Pour moy, trop foible encor pour un chant si penible,
J’admire tes exploits, tes vertus, & me tais.

[Inscriptions] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 8-9.

Mr Saro, de Bordeaux, a fait deux Inscriptions, chacune d’un seul Vers latin, pour mettre sous la Statuë Equestre du Roy. L’une est :

Bello & pace potens Lodoix ostenditur orbi.

Et l’autre.

Martis equum frænans populis læta otia fecit.

En voicy la traduction faite par le même.

 Tel se fait voir à l’Univers
Ce grand Roy, le Heros de la Paix, de la Guerre.
Il vient d’arrester Mars qui désoloit la terre,
Et rendre un heureux calme à cent Peuples divers.

[Vers dans un article sur le commencement du Siècle futur]* §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 28-29.
 Vaine occupation des hommes !
Que nous importe-t-il en quel siecle nous sommes ?
 Tandis que nous nous amusons
À calculer les ans, & les saisons,
 Le temps se passe, & nostre vie,
Dans un moment, de la mort est suivie,
Sans sçavoir ce que nous faisons.
***
 Helas ! quel soucy nous dévore ?
À mesurer le temps nos soins sont superflus.
Nous voulons supputer le Passé qui n’est plus,
 L’Avenir qui n’est pas encore,
 Et le Present qui n’est qu’un point
 Qui coule, & ne subsiste point.

Le Lecteur me pardonnera ce petit trait de Morale que je n’ay pû retenir en passant.

[Autres vers dans le même article]* §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 55-57.
 O Dieu ! quel étrange jargon
 Dans le Cercle & dans la ruelle,
 Pour prouver une bagatelle !
Quand je me mariay vous estiez vieux Barbon,
Dit impertinemment Doralise à Philene ;
Je m’en souviens fort bien, luy dit aussi Climene,
J’estois grosse pour lors de mon premier garçon.
***
Un Soldat fastueux qui compte ses exploits,
Et pour mieux les nombrer les compte par ses doigts,
Marque chaque action d’une Epoque nouvelle,
Qui luy donne du lustre, & qui la rend plus belle.
À Steinkerque, à Nervinde, à Marsaille, à Valcourt,
Jamais sur les grands noms il ne demeure court.
***
Un Magistrat superbe & jaloux de sa gloire,
Pour embellir sa vie emprunte de l’Histoire
 Les plus fameux évenemens ;
Et d’une vanité qui n’a point de pareille,
Dans le récit qu’il fait des affaires du temps,
De son nom importun nous étourdit l’oreille.

Le Lecteur excusera encore ce caprice de ma Muse, pour réveiller son attention sur une matiere fort seche, & qui pourroit m’endormir moy-même.

[Madrigal] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 96-97.

Il y a cinq ou six mois que je vous appris la mort de Mr Moreau, Avocat General de la Chambre des Comptes de Bourgogne. On vient de me donner un Madrigal que l’Illustre Mademoiselle de Scudery fit sur cette mort. Tout ce qui vient d’elle est à voir en quelque temps que ce soit. Ce Madrigal ne consiste qu’en ces quatre Vers.

 Quand on a des vertus sans nombre,
On ne peut plus n’estre qu’un Ombre,
Et du sçavant Moreau, le merite fut tel,
 Que son nom doit estre immortel.

[Vers adressez à Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 97-101.

Mr Moreau de Mautour, Frere de l’Avocat General, fit cette réponse à Mademoiselle de Scudery.

 C’est par toy, docte Sœur des Filles de Memoire
 Que mon Frere merite une immortelle gloire.
Le temps qui détruit tout ne sçauroit effacer
Ceux que dans tes beaux Vers ta Muse a sçu placer.

Il accompagna cette réponse de cet autre Madrigal.

 Moreau, l’honneur de sa Patrie,
Dont la Muse produit mille ouvrages divers,
Sage & docte Sapho, tandis qu’il fut en vie,
Eut part en ton estime ainsi qu’en tes beaux Vers.
Aprés cette faveur, se peut-il qu’on l’oublie ?
Non, il vivra toûjours dans la Posterité,
Et son nom répandu dans tes divins ouvrages,
Du temps & de l’oubly sans craindre les outrages,
 S’est acquis l’immortalité.

Le même Mr Moreau de Mautour a envoyé ce qui suit à Mr l’Abbé de Bosquillon de l’Academie Royale de Soissons. Comme ces Vers regardent encore Mademoiselle de Scudery, vous ne serez pas fâchée de les voir.

Lorsque certain Abbé voudra,
Abbé d’esprit & de science,
Me procurer la connoissance
De Sapho, qui toûjours sera
Un des ornemens de la France,
Honneur, plaisir, il me fera.
Mais malgré mon impatience,
Pour acquerir sa bienveillance
Plus de dix ans il me faudra.
Hé bien ? elle a de l’indulgence,
J’espere qu’elle m’attendra.

On ne peut pas, comme vous voyez, souhaiter plus finement à cette sçavante Fille encore dix années de vie, dont le nombre de plus ne peut estre indifferent à son âge.

[L’Adieu au monde, Epitre en Vers] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 127-131.

L’Epitre que vous allez lire est écrite à un Solitaire que l’Auteur a esté joindre depuis peu. Il ne m’en a fait part qu’à condition que je vous tairois son nom.

L’ADIEU AU MONDE.

Ce temps n’est plus, Damis, où mon esprit volage
Ne se plaisoit qu’au luxe & qu’au libertinage
Par l’appas des vertus je me sens attirer,
Et ma raison enfin cesse de s’égarer.
En vain des fiers humains la grandeur importune
Fait briller à mes yeux l’éclat de la fortune,
Déja d’un beau mépris le prévoyant secours
Du luxe & de l’orgueil m’agueri pour toujours.
En vain icy l’amour étale tous ses charmes,
Mon cœur est insensible à ses plus fortes armes ;
Mais quoy que tant d’appas ne me séduisent plus,
J’éprouve d’autres maux qui te sont inconnus.
L’injuste autorité, la vangeance inhumaine,
La noire trahison & l’implacable haine
M’insultent tour à tour, & m’accablent d’ennuy,
Enfin tout contre moy se déchaîne aujourd’huy.
Non, ce n’est désormais que dans la solitude
Que mon cœur peut calmer sa triste inquietude,
On y passe ses jours dans un sage repos,
La Nature y fournit mille plaisirs nouveaux ;
À l’abry des grandeurs, du tumulte & du vice,
On y brave à loisir le joug & l’injustice.
De l’aveugle fortune on n’y craint point les coups,
La paisible vertu n’y fait point de jaloux,
Tout y plaist, tout y rit, & la discorde affreuse
N’en vient jamais troubler la paix délicieuse.
C’en est fait, il est temps que mon cœur agité
Vienne dans ton Desert chercher la liberté.
Gemisse qui voudra dans un triste esclavage,
Tolere qui voudra les vices de cet âge,
Pour moy, dont la raison ne peut s’y conformer,
Las de me voir trahir, insulter, opprimer,
Loin d’un monde trompeur & de ses foibles charmes,
Je viens auprés de toy dissiper mes allarmes,
Trop heureux d’aller-joindre un Ami vertueux ;
Pour former avec luy d’inseparables nœuds.

[Madrigal] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 132-133.

Voicy d’autres Vers, dont Mr Tesson est l’Auteur.

MADRIGAL.

 En me voyant vous rougissez,
 Et loin de moy, dit on, vous languissez,
Cependant, cher objet de mon amour extrême,
 Vous ne sçauriez me dire, Je vous aime.
 Helas ! pourquoy vous taisez-vous ?
N’est il pas temps de rompre le silence ?
Craignez-vous de mes feux la tendre violence,
 Ou l’effet d’un aveu si doux ?
 Non, l’amour n’a rien de funeste
 Pour ceux qui cedent à ses coups,
Parlez, Iris, je vous répons du reste.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 133-134.

Je vous envoye des paroles faites par Mr Mallement de Saffey, à la priere d'une jeune Demoiselle de qualité, qui vouloit faire profession de la Vie Reguliere, & comme sa voix égale son esprit & sa beauté, elle jugea à propos de les chanter à ses Parens pour leur dire adieu. C'est Mr du Val qui en a fait l'Air.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, Monde trompeur, esperance mortelle, page 134.
Monde trompeur, esperance mortelle,
Que c'est en vain que vous tentez mon cœur !
Vous n'en serez jamais vainqueur,
Je ne cherche que la gloire éternelle.
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[Feste galante des trois Helenes] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 134-176.

Voicy encore un Ouvrage de Mr de la Févrerie. Son nom suffit pour vous tenir sûre que la lecture vous en sera agreable.

FESTE GALANTE
des trois Helenes.

Dans une petite Ville de ce Royaume, qui sépare deux grandes Provinces, & que Son Altesse Royale Monsieur a honorée quelque temps de sa presence pendant la derniere guerre, trois jeunes Demoiselles se distinguent entre les autres par leur beauté, leur bien, leur naissance & leur merite. Elles sont proches Parentes, & par je ne sçay quelle heureuse fatalité on leur a donné à toutes trois le nom d’Helene, qui leur convient tres bien, mais qui met souvent en doute laquelle est la plus digne de le porter. Une foule d’Adorateurs qui leur font la cour, agitent depuis long-temps cette question, sans qu’elle soit encore décidée ; car quoy qu’en les voyant on ait d’abord de la peine à se partager, on prend parti pour l’une aussi tost qu’on a donné la préference à l’autre. Ces trois Helenes ne manquent pas de Paris, mais elles n’ont encore pû se résoudre à choisir un Menelas. Cela fait que cette petite Ville est remplie autant qu’une autre de brillans & de petits Maistres qui prétendent à cet honneur, & qui viennent des deux Provinces voisines leur offrir leurs services.

Le jour de leur Feste approchant, qui est sainte Helene, elles prirent dessein de faire une partie pour se divertir, & d’en mettre trois Cavaliers pour lesquels elles avoient le plus d’estime & de consideration ; ne doutant point qu’ils ne fussent des premiers à leur donner des bouquets, mais elles se concerterent si-bien, & prirent leurs mesures si secretement que cette petite partie fut préparée sans que personne en eust connoissance. Le jour venu, elles ne furent pas trompées dans leurs conjectures. Les trois Cavaliers choisis leur envoyerent de grand matin à chacune un bouquet tout des plus galans, auquel elles répondirent par un billet de même suivant qu’elles en étoient convenuës, qu’elles les prenoient pour estre leurs Chevaliers, & leur Paladins cette journée là, & qu’ils eussent à se trouver chez elles à l’heure d’aller au Temple pour les accompagner. Ils ne manquerent pas de s’y rendre, & s’étant tous rencontrez au Temple, on proposa une partie de promenade pour l’aprés dînée sur les cinq heures du soir, dans le parc du Gouverneur de la Ville qui fait ailleurs sa résidence. Ce fut là le lieu du rendez vous, & pour faire la partie quarrée on prit encore la Sœur d’une des Helenes, & un Cavalier de leurs parens.

Sur les cinq heures toute la Troupe se rendit dans le Parc, comme le lieu le plus agreable & le plus commode pour prendre l’air. Il n’est pas grand, mais il est propre & cultivé ; tout planté d’arbres à la ligne qui le partagent en plusieurs belles allées. Trois fontaines dont les Jets d’eau s’élevent jusqu’à la cime des arbres, font l’ornement des trois principales, avec une grote dans le grand fond du milieu, & quantité de Berceaux & de Cabinets de verdure tout à l’entour & au bout des allées. Mais ce qui en fait la plus grande beauté, c’est une Terrasse qui regne sur une Prairie à perte de veuë, que la Riviere qui passe au pied des murailles de la Ville, serpente & arrose de ses eaux en plusieurs endroits. Comme elle est fort poissonneuse, on y prend souvent le plaisir de la pesche, & aux lieux où elle est plus large, celuy du bain, ce qui divertit beaucoup ceux qui se promenent sur cette Terrasse. Vis-à-vis, & de l’autre costé de la Prairie, on voit une longue chaîne de costeaux diversifiez de jolies maisons, de Bosquets & de Jardinages, qui font un païsage fort agréable à la veuë. Mais ce qui l’enchante absolument, c’est qu’à un des bouts de la Terrasse lorsqu’on vient à se retourner, on découvre le plus beau spectacle que l’art & la nature ayent jamais fait en aucun autre lieu du monde. Representez vous une vaste grêve de neuf lieuës de circuit, entourée de toute sortes d’arbres & d’un tapis de verdure où regne un éternel printemps, auquel il semble que la mer vienne rendre hommage deux fois par jour, qu’elle fait une plaine d’eau de cette grêve, par son flux & son reflux. Mais je me trompe, c’est à un merveilleux Rocher qui domine sur cette coste, qu’elle apporte le tribut de ses eaux. Enfin imaginez-vous une Mer dans une forest, & une Ville dans cette Mer.

D’abord que cet objet se presente à la veuë,
On le prend bien souvent pour une sombre nuë,
Mais on découvre enfin ce Rocher sourcilleux,
Qui brave de la Mer les gouffres perilleux,
 Malgré la Tempeste & l’Orage,
Enfin on voit un Mont & non pas un nuage.
***
À l’aspect de ce Mont, que la vûë est surprise !
 C’est un Rocher, c’est une Eglise,
 Car sur la cime du Rocher
 L’art pour embellir la nature,
 D’une sçavante Architecture
 A fait un superbe Clocher.
Une forest jadis le cachoit de son ombre.
 Et dans une caverne sombre
 Mettoit des voleurs à couvert ;
Une mer à present inonde ce désert.
***
Si tost que ce rocher se montre clairement,
 On est saisi d’étonnement
 Pour son admirable structure,
Qui ne doit pas sa gloire à la seule nature.
Le travail des humains, leur courage, & leur art
De ce tout merveilleux fit la meilleure part.
Mais on ne peut assez admirer leur audace,
 Je me trompe, leur pieté ;
 D’avoir bâti sur cette place
 Un Temple à la Divinité,
Si leur témerité, qui n’eut jamais d’exemple,
N’a pris pour s’excuser la figure d’un Temple.
***
Temple qui dans les airs se dérobe à nos yeux,
 Et dont l’invention étrange
 Surprend les hommes & les Dieux ;
Mais faut-il s’étonner que le Temple d’un Ange
 Ait esté bâti dans les Cieux ?
***
Car ce n’est point icy cette Tour témeraire
Que l’orgueilleux Nembrot bâtit insolemment.
De ces pieux Mortels le dessein fut contraire,
 En élevant ce Monument
 À l’Ange qui du Firmament
 Précipita honteusement
 Le Demon superbe & rebelle :
Il écouta leurs vœux, il approuva leur zele,
 Et depuis cet heureux moment
Que sur le sacré Mont il receut leur hommage,
 Il a toujours soigneusement,
Conservant ses Autels, conservé leur Ouvrage.

Ceux qui ont vû cette huitiéme merveille du monde, pardonneront volontiers en cette occasion, ce petit antousiasme à ma Muse, & ceux qui ne l’ont pas vûë, luy sçauront gré du foible crayon qu’elle leur en donne.

Aprés s’estre promenez quelque temps, & récriez cent fois sur une si belle vûë, car on ne se lasse point de l’admirer, & le soir qui estoit serein, la rendoit encore plus charmante, on descendit de la terrasse, & on alla se reposer dans un Cabinet de verdure, pour se délasser les yeux qu’on avoit un peu fatiguez à considerer tant de differens objets. La conversation fut fort vive & fort spirituelle, tantost meslée, & tantost séparée, & à laquelle la Feste, & les Bouquets des trois Helenes fournirent une ample matiere. La premiere Helene, que j’appelle ainsi à cause du rang qu’elle tient parmy les autres, & qu’elle avoit esté choisie pour estre la Reine de la Feste & pour en faire les honneurs ; ayant rêvé un moment, voicy, dit elle en tirant un papier de sa poche, un Bouquet que j’ay receu ce matin, qui est d’une autre façon que les vostres. Les fleurs n’en brillent pas aux yeux, mais elles y parlent, ce qui les rend plus admirables, aussi-bien que leur durée, qui peut estre éternelle. Vous connoissez Mr de L. P. c’est nostre cher & feal Ami. Le pauvre garçon ! je voudrois qu’il fust icy. Il m’a envoyé cette Lettre par un Gentilhomme de ses Amis qui arriva hier au soir en cette Ville, & qui de peur de manquer à sa commission, me l’a apportée dés quatre heures du matin. Vous pouvez croire qu’il m’a chagrinée, car je suis naturellement dormeuse, mais à peine l’ay je luë que je luy ay pardonné de m’avoir éveillée, & l’envie de dormir ne m’a point reprise. Je croy que vous ne serez pas fâchez de la voir. Donnez-en la lecture à la Compagnie, dit-elle à son Chevalier en la luy presentant ; & comme il en avoit plus d’empressement que personne, il la lut aussitost, & il y trouva ce qui suit.

BOUQUET
À MADEMOISELLE DE…
Le jour de sa Feste.

 Voicy vostre jour, belle Helene,
Mais l’absence en ce jour redouble mes douleurs,
Je ne puis vous offrir de fleurs,
 Et même elle a glacé ma veine ;
 En vain sur le sacré Vallon
 Je vais invoquer Apollon,
 Je perds & mon temps & ma peine.
***
 Malgré le Parnasse en couroux
Et le cruel destin qui m’éloigne de vous,
 Il faut pourtant vous rendre hommage ;
Et de cet heureux jour me retracer l’image,
 Quand cent Amans à vos genoux,
 Glorieux de leur esclavage,
 Venoient vous couronner de fleurs,
Et payer à l’envi le tribut de leurs cœurs,
***
Des Nimphes de C… on vous voyoit suivie,
 Fieres, mais exemptes d’envie,
 Et qui confessent hautement
 Que vous aviez encor plus qu’elles
 D’attraits, de graces naturelles,
 Et de veritable agrément.
Mille confuses voix redisoient dans la plaine,
 Pour répondre à leur sentiment,
Belles, c’est aujourd’huy le triomphe d’Helene.
***
 Moins d’éclat & moins de beauté
 Avoit l’Helene de la Grece,
 Dont Paris estoit enchanté ;
Comme elle, auprés de vous on perd sa liberté,
Et pour vous adorer tout le monde s’empresse,
 Mais pour dire la verité,
Car je ne prétens point faire un Portrait flaté,
 Si vous estes encor plus belle,
 Ce qui plaist davantage en elle,
 Elle avoit moins de cruauté.
***
Mais ce n’est pas à moy de tenir ce langage,
Encore trop heureux de vivre sous vos loix,
 Et de pouvoir comme autrefois,
 Joncher de fleurs vostre passage.

Je ne sçay, Mademoiselle, ce que vous direz des Vers que je vous envoye le jour de vostre Feste. C’est une espece de Bouquet, dont je crains que vous ne trouviez les fleurs d’une odeur un peu trop forte. En effet je les ay cueillies sur le Parnasse pendant la nuit, & à la dérobée. J’ay pû y estre trompé, & avoir pris des Pavots pour des Roses. Cependant j’espere que leurs couleurs ne vous déplairont pas. Vous aimez naturellement les fleurs, celles qui naissent dans les champs, comme celles que l’on cultive dans les Parterres, & vous ay veuë souvent prendre plaisir à vous coiffer, & de même que cette Bergere de l’Aminte du Tasse,

 Dans une agreable prairie,
Qui brilloit de l’éclat de diverses couleurs ;
 Un jour la Bergere Silvie
Estoit toute occupée à se parer de fleurs.
 Tantost des plus fraîches écloses,
 Elle prend des Lis & des Roses,
 Et les approchant de son teint,
Vaine d’estre plus belle on la voyoit sourire,
 Et ce souris sembloit leur dire,
Belles fleurs, vostre éclat par le mien est éteint.
 J’ay sur vous une ample victoire,
Je ne vous porte point pour mon ajustement,
 Mais je vous porte seulement,
 Pour vostre honte, & pour ma gloire.

C’est ce que vous pourriez dire avec plus de justice que cette Bergere, si la modestie qui accompagne toute vos paroles & toutes vos actions, ne vous deffendoit même d’en avoir la pensée. Quoi-qu’il en soit, si par hasard ces Vers vous plaisent davantage que ceux du bouquet, & comparaison pour comparaison, si vous aimez mieux ressembler à la Sylvie du Tasse qu’à l’Helene d’Homere vous n’avez qu’à choisir. Je seray ravy que le Poëte Italien répare ce que le Poëte Grec m’a fait dire, & me fournisse quelque chose qui puisse vous divertir & vous marquer que je suis plus que personne du monde. Vostre, &c.

Le Cavalier ne fit pas cette lecture sans être souvent interrompu par les loüanges qu’on donna à cette Lettre, ce qui causa un peu de jalousie aux Dames de n’avoir pas receu un pareil bouquet, & de dépit aux Cavaliers de n’en avoir pas fait autant, mais les uns & les autres dissimulerent par politique & par conplaisance pour la Reine, & ce fut à qui l’aplaudiroit davantage ; aprés quoy toute la compagnie se leva voyant que le jour baissoit & qu’il estoit temps de s’en retourner. La premiere Helene qui estoit à la teste de la Troupe, marchoit fort lentement, & l’ayant fait repasser par dedans la grande allée, en entendit des violons & des hauts bois en aprochant de la Grote, qui avoient commencé à joüer aussi tost qu’ils avoient aperçû la Compagnie, suivant l’ordre qu’on leur en avoit donné. Les Cavaliers se regarderent l’un l’autre, comme pour se demander d’où cela venoit, & les Dames affecterent de n’en estre pas moins surprises. Ne seroit ce point, dit la premiere Helene avec une fort grande naïveté, quelque partie de la Ville qui viendroit souper icy ; allons, ajoûta-t-elle en avançant le pas en prendre nostre part, ce sont peut-estre de nos amis. Mais estant arrivez à la Grote, on fut encore plus surpris de trouver une Collation magnifique, & de ne voir que les violons & quelques laquais qui avoient changé de livrée pour n’estre point connus. Ce regale qui sembloit à tous les Cavaliers un Festin dressé par les Fées, leur fit dire de fort jolies choses ; mais les trois Helenes les ayant fait entrer dans la Grote, aidez-nous, leur dirent-elles, a deffaire cet enchantement, & voyons si cette collation est feinte ou veritable. Alors commençant à deviner l’Enigme, ils se mirent à table avec ces Dames, & se disposerent à bien célebrer cette Feste. Mais le lieu & le repas meritent bien aussi que je les décrive en peu de mots.

Cette Grote est au milieu du Bois, au-dessus du grand Bassin, & à l’extrémité du rond auquel aboutissent toutes les allées. Elle est spacieuse & en espece d’Octogone, ingenieusement travaillée au dedans, d’une Rocaille curieuse & recherchée. Seize Statuës qui sont placées dans les Angles la soûtiennent au lieu de Colonnes & la partagent en autant de niches où l’on se cache lorsqu’on fait joüer les eaux. Ces figures representent des Naïades & d’autres Divinitez de Fontaines. Une grande Coquille s’avance de leur Piedestal, dans laquelle tombe l’eau qu’elles rendent par les yeux & par la bouche, & qui forme une petite Cascade qui fait un fort joly effet quand elles joüent ; chaque niche a un siege de marbre proprement taillé. La Grote qu’on avoit illuminée paroissoit toute en feu. Un grand Lustre de Cristal pendoit de sa voûte, & chaque Figure tenoit une grosse Bougie à la main, ce qui joint à la Rocaille qui est tres-luisante & bien diversifiée rendoit cette Grote si lumineuse, que le Ciel n’a point de couleurs plus vives qu’elle en avoit alors. Chaque Niche estoit garnie d’un riche Carreau, & on avoit placé au milieu de la Grote un grand Rond qui en tenoit toute la capacité, en sorte qu’elles servoient de sieges pour la Table qui étoit de huit couverts. Une grande Corbeille s’élevoit dans le milieu qui representoit le Rocher dont j’ay parlé. Quatre autres plus petites & de differentes Figures garnies de Fleurs estoient placées sur les costez entre quatre Bassins aux quatre coins, accompagnez de huit petits plats, & d’un grand nombre d’assietes & de Porcelaines hors d’œuvres, le tout éclairé de quantité de Flambeaux & de Girandoles.

Le Buffet estoit placé entre les Fontaines & la Grote, magnifique & proprement dressé. Le grand nombre de flambeaux dont il estoit éclairé, & qui reflechissoient dans le jet d’eau qui s’élevoit au dessus, le rendoit encore plus riche, car il sembloit que chaque bassin estoit rempli de perles & de pierres précieuses. Enfin, rien n’égaloit la brillante clarté du buffet & de la grote. Joignez à cela la beauté des Dames, & la richesse de leurs habits, car elles estoient fort parées, aussi-bien que les Cavaliers qui estoient tous dorez ce jour-là. Le coloris des fruits, & l’émail des fleurs dont la table estoit ornée, toutes ces choses faisoient un spectacle si charmant, que j’aurois besoin de tout ce que la Poësie a de plus brillant & de plus pompeux pour en faire la description : mais je croy qu’il vaut mieux laisser agir icy l’imagination du Lecteur.

Les Violons & les Hautbois estoient placez sur les deux costez, à l’entrée de la Grote ; & les Domestiques aux deux bouts du buffet, pour donner aux Cavaliers ce dont ils avoient besoin pour servir les Dames, car il n’y avoit point de passage autour de la table, mais pour la commodité de ces Ecuyers, on avoit mis des verres & des caraffes pleines de vin & de liqueurs dans les coquilles du piedestal des Figures, & pour de l’eau, il ne falloit que les faire jouër pour en avoir de la meilleure du monde. Chaque Cavalier avoit soin de sa Dame.

Mais si la décoration estoit charmante, le repas estoit délicieux. C’estoit un ambigu de fruits, de confitures seches & liquides, de viande & de poisson, car il y en a en ce pays-là d’excellent, & en abondance, de mer & d’eau douce ; le gibier y est aussi commun, ainsi la chere fut entiere ; mais ce qu’on trouva de plus exquis & de meilleur goust, ce fut trois assietes de tourtes, de pastes & de compotes, que les trois Helenes avoient aprêtées elles mêmes à l’envi l’une de l’autre. Chacune élevoit le plat de son métier, & leurs Champions furent fort embarassez à leur distribuer des loüanges, & à se tirer d’intrigue. Il falloit manger, il falloit approuver, & on n’en estoit pas quitte pour cela, il falloit encore se déclarer pour l’une des trois aimables Cuisinieres ; & chaque Paris auroit voulu donner le prix à son Helene. Mais enfin, aprés une agréable contestation, tous les gousts & toutes les voix se réunirent en faveur de la Reine de la Feste, dont le mets fut jugé le plus excellent.

Pour remercier les trois Helenes, & terminer la dispute, on but leurs santez dans les formes ; & lors qu’elles en firent raison, un des Cavaliers qui a la voix tres belle, & qui chante d’une méthode à faire plaisir, parodia sur le champ une vieille chanson qui a eu grande vogue autrefois.

 Ah ! que vous estes divines
Toutes trois un verre à la main !
 On vous doit, belles Cousines,
 Tout l’honneur de ce festin.
 Ne vous ennuyez pas à table,
Et faites que le vin pétille dans vos yeux ;
 Bacchus en sera plus aimable,
Et l’Amour s’en trouvera mieux.

On applaudit au Cavalier, & les trois Helenes, pour répondre à la chanson, & pour marquer à toute la Troupe, qu’elles estoient d’humeur à se bien réjoüir, continuérent le repas avec tout l’enjoûment & toute la vivacité possible, ce qui dura jusqu’à neuf heures du soir qu’on sortit de la Grote, & que la Compagnie se retira.

Toute la Troupe ayant reconduit la Reine de la Feste chez elle, on fut extrémement surpris d’entendre encore les Violons, qu’on avoit congediez à la sortie du Parc ; mais qui avoient pris le devant, & qui joüoient dans la grande Salle du Logis, qui estoit fort éclairée, & dans laquelle un Cercle du plus beau monde de la Ville qu’on y avoit invité, les attendoit pour commencer un Bal, que le Cavalier, Parent des trois Helenes, avoit fait préparer avec beaucoup de secret & de diligence pendant qu’on estoit à la promenade, & qu’il avoit résolu de leur donner ce jour là. Ce Cavalier, qui fait tres-bien les choses, fut ravi d’avoir eu l’occasion de la Grote pour les surprendre, comme elles avoient fait toute la troupe. Comme la premiere Helene demeure avec sa Sœur, chez une Dame Veuve qui est leur Tante commune, cette Dame avoit pris la peine de faire executer les ordres du Cavalier ; en sorte qu’on n’admira pas moins sa galanterie & sa magnificence dans la Colation qu’il fit servir au Bal, où rien ne manquoit, comme s’il avoit eu huit jours à s’y préparer, & il n’y avoit que la feste de la Grote qui pouvoit luy disputer le prix. Les trois Helenes qui ont eu l’honneur de danser plusieurs fois devant Son Altesse Royale, & quelques-uns des Cavaliers, se surpasserent ce soir-là, & s’attirerent les loüanges & les applaudissemens de toute l’Assemblée. Le Bal finit à quatre heures aprés minuit ; & c’est ainsi que se termina la Feste des trois Helenes, le jour de leur Patrone, dix huitiéme d’Aoust dernier.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 177-205.

Heureux qui a l’esprit bien tourné, & à qui une bonne éducation a osté les dangereux sentimens de vanité que fait prendre l’amour propre, quand il n’est point corrigé par la raison ! Un jeune Marquis flaté de sa bonne mine, & de se voir un grand bien proportionné à sa naissance, donna dans des airs de fierté & de hauteur qui le rendirent insupportable à tous ceux qui eurent quelque commerce avec luy. Il se croyoit tout parfait, & sa Mere qui en estoit idolâtre, s’aveuglant encore plus que luy sur ses défauts, loin de travailler à l’en défaire, nourrissoit le sot orgueil qui l’empêchoit de les voir. Elle se persuadoit que tout le monde prévenu comme elle, trouvoit en luy le merite qu’elle se plaisoit à luy donner ; & à force de luy applaudir en toutes choses, elle le mettoit hors d’estat de s’imaginer qu’il pust manquer en aucune. Comme son Pere qu’il avoit perdu de fort bonne heure, l’avoit laissé extrémement riche, elle ne luy avoit rien épargné dés ses plus tendres années ; & l’habitude qu’il avoit prise de faire le Maistre, parce qu’elle vouloit qu’on luy obéist si tost qu’il parloit luy avoit donné des manieres si imperieuses, & si éloignées de la politesse, que tous ses discours, ainsi que la pluspart de ses actions, n’estoient remplies que d’impertinence. Son titre de Marquis fort bien fondé, & la figure que luy faisoit faire une assez grosse dépense, qu’il estoit en estat de soutenir sans s’incommoder, luy avoient si fort enflé le cœur, que ne prenant aucun soin d’examiner si ces avantages seuls pouvoient faire l’honneste homme, il s’abandonnoit à ce qu’il pensoit de luy, & se croyoit supérieur presqu’à tout. Ces folles idées le laissant sans aucune attention sur l’humeur hautaine qui le rendoit méprisable, il n’avoit en veuë que ce qui le distinguoit du costé de la fortune, & persuadé qu’il faisoit honneur par tout où il vouloit bien aller, il disoit mille fadaises qui faisoient connoistre son peu de bon sens. Ainsi il faisoit l’ennuy de toutes les Compagnies lors qu’il en croyoit faire le plaisir, & n’ayant point l’esprit assez fin pour déveloper ce qu’il pouvoit y avoir d’offençant pour luy dans les contreveritez qu’on luy disoit, il demeuroit dans l’antousiasme de luy-même, & ne sortoit point de son ridicule caractere. Il avoit un Frere moins âgé que lui de trois ou quatre ans, d’un extérieur qui ne frapoit pas d’abord, mais d’autant plus digne d’estre estimé des honnestes gens, qui s’estant formé sur le contraire de ce qui le choquoit dans son aîné, ses deffauts avoient esté un miroir où il s’estoit toûjours regardé pour les éviter. Il y avoit parfaitement bien réüssi, & autant que l’un avoit de mauvaises qualitez, autant l’autre en faisoit-il voir qui luy gagnoient tous les cœurs. L’interest que le sang luy faisoit prendre à la réputation de son aîné luy faisant une espece de devoir de ne luy pas déguiser combien ses façons d’agir estoient choquantes, il l’avertissoit souvent de ce qu’on disoit de luy dans le monde & tâchoit de luy faire concevoir que ses airs présomptueux luy feroient un tort irreparable, s’il continuoit à se trop remplir de sa qualité, mais le Marquis étoit trop au-dessus des remontrantces pour y déferer. Il s’aigrit contre les avis sinceres qui auroient deu le faire entrer en luy même & la liberté que son Cadet se donnoit de trouver quelque chose à redire en luy, le piqua si fort que ces marques d’amitié furent pour luy des offenses qu’il ne put luy pardonner. La Mere qui prit parti dans ce differend, toûjours entestée pour son Idole dont elle adoroit toutes les sottises, traitoit son Cadet de capricieux & d’extravagant, & ne faisoit que luy repeter imprudemment qu’il oublioit le respect qu’il devoit à son aîné. Le Marquis tirant avantage de ce prétendu respect que luy devoit attirer son droit d’aînesse, qui luy donnoit d’un autre costé deux fort belles Terres qui faisoient la plus considerable partie du bien de cette Famille, regardoit son Cadet de haut en bas, & se plaignoit hautement de ce qu’il refusoit de s’assujettir à des devoirs qui auroient esté plutost d’un Domestique pour qui l’on a de certains égards, que d’un Frere que la naissance avoit rendu son égal. Le Cavalier avoit le coeur trop bien fait pour estre capable d’un pareil abaissement. Quoy que son bien ne fust pas considerable, à le comparer avec celuy du Marquis, il ne pouvoit oublier ce qu’il estoit né, & l’estime où il se voyoit chez tous les honnestes gens, le consoloit du désavantage d’avoir partagé la succession de son Pere avec une si grande inégalité. Tout le monde luy applaudissoit, & ce consentement general à luy donner des loüanges, fit monter jusqu’à une espece de fureur, l’aversion que son Frere prit pour luy. Il le traversoit dans tous ses desseins, & pour le punir de ce qu’il ne vouloit pas le flater dans ses caprices, il n’y avoit point de mauvais offices qu’il n’essayast de luy rendre. Le Cavalier fut assez heureux pour gagner les bonnes graces d’une Demoiselle pleine de sagesse & de vertu, & qui luy devoit apporter beaucoup de bien par son mariage. Elle étoit fille d’un homme, qui quoy qu’avare, ne laissa pas de recevoir la demande que le Cavalier en fit, par le besoin qu’il avoit d’une alliance qui le pût mettre à couvert d’une recherche qu’il apprehendoit. Le Marquis n’eut pas si-tost appris sa bonne fortune, qu’il employa toutes sortes de moyens pour l’empêcher d’en joüir. Il fit dire tout ce qui pouvoit détourner le Pere d’achever le mariage, & s’il s’en fust rapporté aux portraits hideux qu’on luy fit du Cavalier, c’étoit un dissimulé, un fourbe, qui sous quelques belles qualitez apparentes, avoit des deffauts à faire horreur. Il n’y avoit jamais eu d’ame plus double, point de bien, nulle probité, perfidie en tout, & peu d’asseurance pour sa vie, s’il avoit quelque avantage à attendre par sa mort. Cela fit d’abord quelque impression sur l’esprit du Pere, mais les avis qu’il recevoit comme venant de gens inconnus, dont la médisance estoit outrée, le témoignage que rendoit la voix publique, en faveur du Cavalier, l’emporta sur des rapports qui ne meritoient aucune croyance. Ainsi le Mariage estoit sur le point de se conclure, lors que le Marquis qui vouloit le rompre, à quelque prix que ce fust, s’avisa d’un expedient qui ne pouvoit manquer de luy réüssir. Il alla trouver le Pere, se déclara Amant de sa Fille, qu’il avoit, luy disoit-il, examinée en plusieurs rencontres, & la demandant en mariage, il le laissa maistre des conditions. Le Pere qui le connoissoit Marquis à bon titre, & d’une grande opulence, luy répondit d’abord qu’il ne pouvoit croire qu’il voulust luy faire l’honneur d’estre son Gendre, & le Marquis pour ne luy laisser aucun doute qu’il ne luy parlast de bonne foy, voulut signer un Contrat sur l’heure avec un dédit de dix mille écus de part & d’autre. Cela fut executé avant qu’ils se séparassent se tenant tous deux fort assurez que la Demoiselle y consentiroit avec plaisir, le Marquis sur la confiance qu’il avoit en sa bonne mine & en ses grands biens, & le Pere, sur l’autorité qu’il pouvoit prendre sur elle, mais son caractere ne leur estoit pas connu. Elle ne se laissa, ny ébloüir par les avantages qui luy estoient sûrs en épousant le Marquis, ny intimider par les menaces de son Pere, si elle refusoit de se soumettre à ses volontez. Elle luy dit nettement qu’elle ne se résoudroit jamais à estre la femme d’un homme qu’on traitoit de ridicule dans toute la Ville, & qu’aprés qu’il luy avoit permis de prendre de l’engagement avec son Frere, elle n’estoit point capable de luy manquer de parole. Il luy demanda tout en colere si elle vouloit qu’il payast dix mille écus, portez par l’article du dédit. La Demoiselle tint ferme, préferant toûjours le merite à l’interest, & enfin pour se délivrer des persecutions qu’elle en recevoit, comme elle vit qu’il ne luy laissoit que le choix du Marquis ou d’un Convent, elle prit ce dernier parti, n’ayant jamais eu beaucoup d’attachement pour le monde. Son Pere n’eut garde de la retirer, puisque rien ne pouvoit rendre le dédit nul que sa retraite dans un Monastere. Elle y prit l’habit quelque temps aprés, & le Contrat ne perdit sa force qu’aprés qu’elle eut fait profession. Le Marquis qui n’en avoit point le cœur touché, & qui ne s’estoit résolu à l’épouser que pour l’oster à son Frere, se consola aisément de l’avoir perduë. Le tort qu’il luy avoit fait, luy fut un sujet de vray triomphe, & il s’en vanta par tout, sans se mettre en peine de la mauvaise réputation que luy attiroit cette injustice. Le Cavalier, qui estoit obligé à la Demoiselle, de la fermeté avec laquelle elle estoit entrée dans ses interests, ne put la blasmer de la résolution qu’elle avoit prise de l’abandonner pour se donner toute à Dieu, quand il sçut que ce sacrifice avoit fait son bonheur & son repos, & qu’elle estoit pleinement contente. La mauvaise volonté que son Frere avoit pour luy augmentant toûjours il estoit résolu de ne plus songer à se marier, lorsque son étoile l’entraîna vers une jolie personne, à qui il ne put s’empêcher de chercher à plaire, & à qui il plut effectivement. Lors qu’elle l’eut bien connu, elle écouta sérieusement les galanteries qu’il luy disoit, & comme ils convinrent de leurs faits pour un mariage, où ils se trouverent tous deux également disposez, le Cavalier luy demanda en riant s’il ne devoit pas apprehender qu’on luy préferast son Frere, qui pour le troubler dans son bonheur viendroit luy offrir des avantages qu’elle ne pouvoit trouver avec luy. La Belle qui entendit ce qu’il vouloit dire, par la connoissance qu’elle avoit de son avanture, luy répondit qu’elle n’estoit pas de moins bon goust que la premiere personne qu’il avoit aimée, & qu’estimant le merite préferablement à toutes choses, elle avoit cet avantage qui manquoit à l’autre, qu’elle ne dépendoit que d’une Mere qui l’aimoit trop tendrement pour ne la pas laisser dans une entiere liberté de choix. Là dessus elle fit une réflexion qu’elle ne voulut point cacher à son Amant, le priant de vouloir bien la favoriser dans un dessein qui le vangeroit de l’injuste aversion de son Frere, & luy donneroit en même temps une grande joye s’il réussissoit. Elle avoit une Amie, un peu coquette à la verité, & d’une humeur brusque, mais qu’on pouvoit dire toute belle, & qui estoit fort capable d’ébloüir par un vif éclat qui surprenoit. Elle estoit d’une fort bonne Maison, & ne manquoit pas de bien en apparence, parce qu’elle avoit une belle Terre, sur laquelle ceux de sa Famille avoient presté de fort grosses sommes à son Pere, mort depuis deux ou trois ans, en sorte que ces dettes n’estant point connuës, les créanciers attendoient à faire leurs diligences, que la Demoiselle fust mariée, afin de ne point effaroucher les Partis qui pourroient se presenter. Il s’agissoit d’obtenir du Cavalier qu’il s’en déclarast l’Amant, pour voir s’il ne prendroit fantaisie au ridicule Marquis de luy vouloir enlever cette seconde Maistresse. Le Cavalier opposa d’abord la contrainte chagrinante où il seroit d’avoir à passer ailleurs des heures que son amour luy voudroit donner, & pour remedier à cet inconvenient, la Belle promit qu’elle se rendroit tous les jours chez son Amie, où ils se pourroient entretenir avec toute liberté. Elle ajoûta en riant qu’il y alloit de ses interests de veiller à sa conduite, de peur qu’il ne se laissast toucher aux charmes de son Amie. On prit ses mesures, & la chose fut tres-bien executée. Les soins assidus qu’on vit que le Cavalier rendoit à cette charmante Amie, firent répandre le bruit qu’il en estoit amoureux. Le Marquis mit aussi tost des gens en Campagne pour empêcher qu’il ne réüssist, & les choses paroissant prestes à estre concluës, il alla trouver la Demoiselle, qu’il plaignit de l’aveuglement où elle étoit de vouloir bien épouser son Frere qui n’avoit point de fortune, elle qui par sa beauté & par son merite pouvoit prétendre aux meilleurs partis. La Belle joüa son rôle avec une adresse merveilleuse, & luy ayant dit que la naissance estoit ce qui la touchoit le plus, il luy dit enfin qu’il luy sçavoit bon gré de ce sentiment & qu’il vouloit la faire Marquise. Elle feignit quelque temps de ne vouloir point se rendre, & la mere à qui la proposition du Marquis fut communiquée, gronda fortement sa Fille de ce qu’elle balançoit à accepter une fortune si considerable, pour tenir parole au Cavalier. Cette gronderie parut l’ébranler, & elle se disposa enfin à obéïr à sa Mere, pourveu que le mariage se fist en secret afin de s’épargner les reproches que son Amant auroit sujet de luy faire. Le plaisir que le Marquis esperoit tirer de l’accablement où seroit son Frere, en perdant ce qu’il croyoit qu’il aimoit, le fit insister à demander qu’on fist hautement la chose. Il prétendoit que l’honneur d’estre sa femme devoit prévaloir à tout, & qu’il n’y avoit point de consideration qui pust l’emporter sur cette gloire. Ainsi le mariage fut fait avec toutes les solemnitez requises ; & il en coûta un faux désespoir au Cavalier qui se vit heureux bien tost aprés, en épousant une personne toute pleine de merite, & qui avoit un bien fort considerable. Un Mariage si prompt fit ouvrir les yeux aux présomptueux Marquis. On ne luy déguisa point qu’il avoit esté joüé, & le chagrin qu’il en eut, joint à ce qu’il découvrit du mauvais estat où estoient les affaires de sa femme, commença entr’eux un grand divorce. Il luy reprocha qu’elle estoit gueuse, & elle qu’il estoit un ridicule achevé. Ce furent des démêlez, qui loin de finir se renouveloient de jour en jour, & comme la Dame aimoit les plaisirs, & qu’elle prestoit l’oreille aux douceurs, la jalousie s’y mesla, & le Marquis entreprit de faire mettre sa femme dans un Monastere. Elle eut de puissans amis qui prirent ses interests, & le mauvais succez de son entreprise l’affligea si fort, qu’il tomba dans une fiévre qui l’emporta en fort peu de temps. Ainsi le Cavalier se vit possesseur de tous ses biens, & eut le plaisir de faire prendre le nom de Marquise à la personne du monde qu’il aimoit le plus, & que sa tendresse & sa generosité pour luy en rendoient si digne.

[L’Avare Genereux] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 216-218.

Mr le Noble, dont plusieurs ouvrages vous ont fait connoistre le caractere, vient de nous donner un Livre nouveau sous le titre de l’Avare genereux. C’est la continuation des Promenades & Avantures Galantes, dont vous avez vû les commencemens. Celles de l’Avare dont je vous parle, renferment deux Historiettes, dont l’une est intitulée, le Mort marié, & l’autre, le Faux Rapt. Le Personnage de Mr Sifflotin qu’il introduit, est extrémement divertissant. Les expressions dont il se sert pour le bien dépeindre, ont quelque chose de si vif & de si plaisant, qu’on voudroit toûjours entendre parler de luy. Ce livre se vend chez le Sr de Luyne, Libraire au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice.

[Nouveaux Contes des Fées] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 221-222.

Le goust des Contes des Fées n’est point encore passé, & l’on en trouve un nouveau chez le Sr Guignard, Libraire, ruë Saint Jacques, intitulé le Portrait qui parle. Il est dédié à Madame la Presidente de Mesme. C’est tout ce que je vous en diray, car le pouvoir des Fées n’ayant point de bornes, vous ne devez vous attendre qu’à des avantures extraordinaires.

[Cantique composé par Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 229-231.

Voicy un Cantique que vous trouverez du temps, puisqu’il est sur la naissance du Sauveur du monde. C’est un fruit des pieuses Reflexions de Mademoiselle de Scudery. Les paroles en ont esté mises en air, par Mr l’Abbé de Poissi, & je vous les aurois envoyées gravées, si on me les avoit données quelques jours plutost.

CANTIQUE.

Venez, Divin Enfant, Maître de l’Univers,
 Par qui les Cieux nous sont ouverts,
 Venez recevoir nos hommages,
 Qui passeront dans tous les âges.
Des plus simples Bergers vous aimez les presens,
Autant que ceux des Rois, d’or, de myrrhe & d’encens.
 Recevez donc un cœur sincere,
 Qui ne veut penser qu’à vous plaire,
 Pour vous témoigner son amour,
 Et mesler ses foibles loüanges
 Au celeste concert des Anges,
  Jusqu’à son dernier jour.

[Stances] §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 231-233.

Mr l’Abbé de Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons, estant fort Amy de Mademoiselle de Scudery a travaillé à son imitation sur cette même matiére. Les Stances que vous allez lire sont de luy.

SUR LA NAISSANCE DU SAUVEUR DU MONDE.

Le Ciel cesse d’estre en colere,
 Et le Sauveur paroist enfin ;
Tout est prodige en ce Mystére ;
Celuy qui nous nourrit, a faim.
***
Le Verbe garde le silence ;
Le Createur de l’Univers
Naist dans le sein de l’indigence,
En butte à mille maux divers.
***
Celuy qui commande aux Tempestes,
Qui vole sur l’aile des vents,
Cherche azile parmi les bestes
Contre les injures du temps.
***
Quittant un Trône de lumiere,
D’une Crêche il fait son berceau ;
Il se réduit dans la poussiere,
Méprisé comme un vermisseau.
***
Homme vain, icy tout te prêche
Qu’il faut renoncer à l’orgueil ;
Néant superbe, à cette Crêche
Viens te briser, c’est ton écueil.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1699 [tome 12], p. 283-284.

Je finis par des paroles que Mr le Camus a mises en Air.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par, Loin de moy, fier Amour, page 284.
Loin de moy, fier Amour, ne trouble plus mes sens,
Cesse d'estre toûjours le Tyran de ma vie,
Pourquoi rens-tu l'adorable Silvie,
Si peu sensible à mes cruels tourmens ?
Ah ! que n'ai je comme elle une ame indifferente !
Que j'aurois de plaisir à me vanger de toi !
Si sa beauté me soùmet à ta loi,
Barbare, appaise au moins ma flame devorante.
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