1700

Mercure galant, mars 1700 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1700 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1700 [tome 3]. §

[Inscription sur la Figure Equestre du Roy] §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 5-12.

Puis que vous avez envie de voir les plus belles Inscriptions Latines qui ont esté faites sur la Statuë Equestre du Roy, je tâcheray de vous satisfaire, & je commence aujourd’huy par vous envoyer celles qui sont du Pere Dom Joseph Roset, Religieux de la Congregation de Saint Maur.

I.

Hîc Lodoix Magnus cognomine, maximus actis,
 Et quo majorem sæcula nulla ferent.
 Voyez LOUIS, ce fameux Conquerant,
 Que tout le monde a surnommé le Grand.
Tres-Grand, est un surnom plus beau, plus magnifique,
Qui convient encor mieux à ce Prince Heroïque.
On le peut assurer ; aucun siecle jamais
Ne fera voir un Roy plus grand par ses hauts faits.

II.

Hîc pace & bello Lodoicum suspice Magnum.
 Magna hæc Effigies, magnus at ille magis.
Tout grand qu’à tes regards ce grand Prince paroît
Prince grand dans la Paix ainsi que dans la Guerre,
 Il est plus grand qu’on ne le croit,
Grand parmy ses Sujets, Grand par toute la terre.

III.

Martius ignis inest oculis, quo territat hostes ;
 Blandus inest & amor, que patriæ Pater est.
 Ses Ennemis dans ses regards
Découvrent tout surpris l’air & le feu de Mars.
Son Peuple, loin d’y voir quelque chose d’austere,
 N’y voit que la douceur d’un Pere.

IV.

Hic Lodoix decimus quartus, quem Gallia Magnum,
 Famaque jure vocat, grandia facta prohant.
Considerez Louis quatorziéme du nom,
 A qui non sans grande raison,
En France, comme ailleurs, le nom de Grand on donne.
 Il luy convient mieux qu’à personne.
Puis que de ses hauts faits l’illustre souvenir
 Passera dans tout l’avenir.

V.

Quisquis aves rectas regnandi discere leges,
 Suscipe, eas hujus Regis in ore leges.
Vous qui voulez sçavoir les loix de bien regner,
Examinez ce Prince, il peut les enseigner.
Elles sont sur son front, si vous y sçavez lire,
Vous y rencontrerez ce qui peut vous instruire.

VI.

Ars hic materiam superat, Lodoicus utramque.
 Quantus enim est, illum fingere nemo potest.

VII.

Magnus hic est Lodoix, quem totus nunc stupet orbis,
Seraque posteritas magis ac magis ipsa stupebit.

VIII.

Magnus adest Lodoix, nullo sat nomine magnus,
 Semper enim quovis nomine major erit.

IX.

Magnus hic est Lodoix, hic est mirabilis Heros,
 Lux Regum, patriæ gloria, plebis amor.

X.

Cui Mars arma dedit, palmas Victoria, Virtus
 Ingentes animos, Magnus hic est Lodoix.

XI.

Regum Prototypus, laus regni, gloria gentis,
 Splendor Borbonidum, Magnus hic est Lodoix.

XII.

Hoc ipso Lodoix magnanimus sibi
Exegit monimentum ære perennius.
Virtutum manibus fulto oberit nihil
Livor, tempus edax nihil.

[Madrigal sur la Question du Siècle futur]* §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 73-74.

Un Cavalier de Province envoya le premier jour de cette année, le Madrigal suivant à une Dame qu’il avoit veuë le jour précedent. On en a trouvé le tour galant.

Si c’est depuis le Siecle ou depuis l’an passé,
 Que je ne vous ay veuë,
C’est un calcul embarassé
Où plus d’un Docteur suë.
Je doute un peu moins doctement
Il semble à mon esprit vulgaire
Que c’est depuis l’an passé seulement ;
Mon cœur soutient l’avis contraire.

[Lettre de Monsieur du Perron à Madame la Comtesse d’Yarville]* §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 107-113.

Je vous ay déja parlé du Livre de Mr Feüillet touchant la Danse.Vous ne serez pas fâchée de lire la Lettre que Mr du Perron a écrite à Madame la Comtesse d’Yarville, en luy envoyant ce Livre.

Je sçay, Madame, que vous avez refusé un Maistre à danser des mains de Mr de la Sale, mais je suis persuadé que vous ne refuserez point des miennes celuy que je vous envoye. Il vous paroistra trop utile pour ne le trouver pas agreable. J’avouë avec vous que les Maistres du bel air, qui l’apprennent à de jeunes Demoiselles, sont un peu dangereux, & que plusieurs avantures, qu’on n’ignore pas dans le monde, autorisent vostre crainte ; mais fussiez vous encore plus scrupuleuse que vous ne l’estes, Mr Feüillet ne vous paroistra point redoutable. Vous luy donnerez une libre entrée dans l’appartement de Mesdemoiselles vos Filles, & vous ne serez point scandalizée qu’elles passent avec luy le jour & la nuit pour s’instruire des nouvelles Danses qu’elles souhaitent apprendre avec tant de passion. Auriez vous peur d’un livre qui ne parle point de galanterie, & dont la merveilleuse invention façonne le corps, & perfectionne les dispositions de toutes les personnes qui aiment à danser ? Vous aimez trop vos enfans, & je suis sûr qu’à present vous serez la premiere à les presser de cultiver les agrémens que la nature leur à donnez.

 Ne refusez donc pas ce Maitre,
Son sublime sçavoir doit vous interesser ;
 Vos Filles peuvent le connoître,
Sans craindre qu’il leur puisse apprendre qu’à danser.

Si vous sçaviez, Madame, combien de personnes m’ont demandé ce livre, vous me sçauriez gré du present que je vous en fais. Les Maistres de l’Art l’estiment, & j’en connois un des plus habiles de nostre Province, qui se croit heureux de l’avoir, parce qu’il y apprendra, sans aller à Paris, toutes les danses nouvelles. En verité, on ne sçauroit trop loüer cet Auteur, ny sa methode si facile à comprendre. On n’a qu’à lire son ouvrage, les moindres genies le conçoivent & le peuvent réduire en pratique. Cette facilité, à mon avis, en fait le grand & le merveilleux. Je ne doute point même que les Sçavans ne l’admirent, qu’ils ne luy donnent la gloire attachée aux premieres inventions, & dont les Auteurs sont consacrez à la Posterité. Je n’ay pû le lire sans me ressouvenir de beaux Vers de feu Mr de Brebeuf, à la loüange de cette Nation qui inventa l’écriture, & sans les appliquer à Mr Feüillet en y changeant peu de chose.

C’est de luy que nous vient cet Art ingenieux
De nous peindre la Danse & de parler aux yeux,
D’apprendre le bon air par des lignes tracées,
Qui montrent qu’elles ont du corps & des pensées.

J’espere, Madame, que vous me permettrez d’aller admirer Mesdemoiselles vos Filles. Je ne les verray qu’en presence de leur Maistre, il vous rendra compte de ma conduite, & vous reconnoîtrez que je suis toûjours avec respect. Vostre, &c.

[Le Philosophe amoureux, Avanture] §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 115-136.

Il semble que les Philosophes Amateurs de la sagesse, & par consequent ennemis des passions, ne doivent rien craindre des surprises de l’Amour. Cependant l’Avanture dont vous allez lire le détail, vous fera voir le contraire.

LE PHILOSOPHE
AMOUREUX.

Enfoncé dans la solitude,
Timante n’eut jamais que d’innocens plaisirs ;
 Tant qu’il sçut borner ses desirs
 Aux doux progrés de son étude.
Avide de sçavoir, rien ne flatoit son cœur
 Que le tresor de la Science ;
 Et c’est à vaincre l’ignorance
Qu’il faisoit consister sa gloire & son bonheur.
 Les plaisirs du reste des hommes
 Estoient insipides pour luy ;
 Different de ce que nous sommes,
Ce qui nous divertit luy causoit de l’ennuy.
 Le Jeu, le Bal, & le Spectacle
Qui font l’amusement de la pluspart des gens,
Pour Timante n’estoient qu’une perte de temps,
Où sa vertu trouvoit un dangereux obstacle.
 Tout occupé de son devoir,
 Il n’estoit point d’heure perduë
 Où librement on pust le voir ;
Il lit, il étudie, il compose, il se tuë,
 Il veut tout apprendre à la fois.
Tantost sur l’Ecriture il arreste sa vûë,
 Et tantost sur les Loix.
 Rempli d’ardeur pour la Chymie,
 Son cœur en est tout enchanté ;
 Et sans égard pour sa santé,
 Trop charmé de son ennemie,
 Il se desseche les poumons
 En soufflant trop sur les charbons.
 Entesté de l’Astronomie,
Souvent lorsque son corps repose en ces bas lieux,
Son esprit court aprés tous les Astres des Cieux.
Geometre, il cherit les figures qu’il trace
 Par sa plume ou par son crayon ;
Tantost en élevant le plan de quelque Place,
 Tantost celuy d’une Maison.
Nombres, calculs, lignes, figures
 Sont d’innocentes voluptez
 Qui luy font prendre les mesures
 Des differentes quantitez.
 Quand il nous parle de l’Histoire,
 Qu’il aima toûjours tendrement,
Il semble qu’elle n’ait embelli sa memoire
 Que pour s’en faire un logement.
 La sçavante Chronologie
 Qui fixe les évenemens,
 De ses tresors les plus charmans
 Sçut enrichit ce beau genie.
Souple, vif, étendu, rien ne l’embarassa ;
 Medecine, Theologie,
 Belles Lettres, Geographie,
 Egalement il embrassa,
 Mais sur tout la Philosophie
 Qu’avec honneur il professa.
 Un esprit de ce caractere
Sembloit n’estre pas fait pour l’amoureux mistere.
Témoin de ses travaux, tel fut mon jugement ;
Mais l’Amour plus habile en jugeoit autrement :
Dans ses vastes projets il n’épargne personne ;
Tout fléchit, tout se rend, lorsque ce Dieu l’ordonne,
 En tous lieux il tend ses filets
Contre tous les Mortels il décoche ses traits.
 Ne croyez pas que la Science
 Soit un obstacle à sa puissance.
 Le Docte comme l’Ignorant
Reconnoist de l’Amour le pouvoir invincible.
Philosophe, ton cœur paroist indifferent,
 Mais comme un autre il est sensible ;
Ton maintien est suspect, ton dehors affecté
Voudroit en vain nous faire entendre
Que ton cœur de l’Amour ne peut estre agité.
Timante te dément, il n’a pû s’en défendre,
Luy, que l’on entendoit déclamer chaque jour
 Contre les charmes de l’Amour ;
Luy, qui ne put souffrir qu’on parlast de tendresse,
Dont le cœur s’allarmoit au seul nom de Maistresse,
 Par un caprice tout nouveau
 Il a donné dans le panneau,
Et comme un autre Alcide aux pieds de son Omphale,
A se rendre à l’Amour son ame se ravale.
Mais penser que son cœur se fust rendu d’abord,
 Seroit luy faire trop de tort.
L’Amour depuis longtemps médita sa conqueste ;
Pour en venir à bout il fit plus d’un effort,
Et ce cœur fut battu de plus d’une tempeste.
  Vertu, politique, raison,
  Honte, devoir, profession,
 Tout conspiroit contre la flame.
Atteint du premier coup, il voit la Verité.
Elle porte l’effroy jusqu’au fond de son ame ;
Elle, qui n’est pour luy que douceur, que bonté,
N’a pour luy que mépris, n’a pour luy que fierté,
 Et dans l’ardeur qui la transporte
 Elle luy parle de la sorte.
Je ne puis plus souffrir ton infidelité.
Tu me dois ta vertu, tu me dois ta sagesse.
 Mes tendres soins t’ont élevé,
 Et tu méconnois ta Maîtresse
 Quand ton bonheur est achevé.
 Ingrat Enfant, indigne Eleve,
Puisque tu veux me quitter en ce jour,
 Je veux te quitter à mon tour ;
Que sans égard pour moy ton lâche cœur acheve
 Le triomphe de son amour.
Un reproche si juste allarma fort Timante,
D’un remords violent son cœur fut combattu,
Il se plaint, il soupire, il pleure, il se tourmente,
 Mais un reste de sa vertu,
 Qui paroissoit presque mourante
 Sçeut relever son courage abbattu.
Sa passion naissante est presque suffoquée ;
 La Verité luy désille les yeux,
 Et sa raison moins offusquée
 De son flambeau l’éclaire mieux.
Plus tranquille, il paroist échapé du naufrage.
Fy de l’Amour, dit-il, ce n’est qu’un esclavage.
Mes yeux ne craignent plus son funeste bandeau ;
Il ne troublera plus mon cœur, ny mon cerveau.
Je sens de mon esprit dissiper le nuage :
Moy qui ne puis souffrir ces jeunes libertins
Dont les cœurs corrompus, dont les esprits malins,
 Esclaves du libertinage,
 Passent le temps du plus bel âge,
A suivre le torrent de leurs folles amours,
 Irois-je d’une ame inégale
Singe d’un jouvenceau, le suivre dans son cours ?
 Démentirois je la Morale
 Que je répans dans mes discours ?
A quoy bon ces tresors d’une antique sagesse ?
A quoy bon cet amas des plus rares talens ?
Si j’avois le malheur de soüiller mes vieux ans
Par les plaisirs honteux qui perdent la Jeunesse.
Moy, qui de la Vertu cultivois les moissons,
Moy, qui portois les cœurs à luy bastir des Temples,
Pourrois-je à cinquante ans par mes mauvais exemples,
Corrompre tout le fruit de mes bonnes leçons ?
 Eh, que diroient ces hommes sages,
 Qui m’honorent de leurs suffrages ?
 Ou devenus mes ennemis
 Ils condamneroient mon caprice ;
 Où dans le même précipice
Ma chute entraîneroit ces fidelles Amis.
 Quelle seroit la raillerie
 De tant de jeunes étourdis,
Qui traînez en enfer par l’Amour en furie
De ses fausses douceurs, se font un Paradis ?
Est-ce là, diroient-ils, ce Timante severe,
 Qui fit toûjours profession
 De la vertu la plus austere ?
Esclave de l’Amour, il suit sa passion.
O Ciel, luy qui par tout prêchoit la continence,
Peut-il s’abandonner à cette extravagance ?
 Il a beau nous traiter de fous ;
 Il est cent fois plus fou que nous.
Il veut de la vertu nous enseigner la route ;
 Mais égaré dans son chemin
A la vertu luy-même il a fait banqueroute.
Quelle honte pour moy ! quel malheur ! quel chagrin !
 Ah, j’aime mieux cesser de vivre
Que trahir la vertu, que cesser de la suivre.
 Empeschons les de murmurer,
 Gardons-nous de nous égarer
 Et du plaisir de nostre étude
 Reprenons la douce habitude.
 Inutiles raisonnemens !
 Vains projets & discours frivoles !
 Peu ferme dans ses sentimens
L’homme n’a trop souvent que de vaines paroles :
 Il faut l’attendre aux actions
 Lorsque l’on veut le bien connoître :
A nos yeux, tel qu’il est, elles le font paroistre,
 Et nous peignent ses passions.
 Voila la regle la plus sure
 Pour en juger solidement,
 Tout le reste n’est qu’imposture.
Ou l’esprit se prévient, ou l’esprit se dément,
 Et lorsque l’un suit la droiture
L’autre presque toujours est dans l’égarement.
Timante nous fournit une preuve certaine
 De cette triste verité.
Il condamne l’Amour, il veut rompre sa chaîne,
Et ne peut accomplir ce qu’il a projetté.
C’est inutilement que sa raison s’explique,
 Son cœur est déja pris,
 Et sa vertu philosophique
Ne sçauroit triompher des charmes de Cloris.
L’Amour sçut l’engager à revoir la Coquette ;
Timante plus touché l’apperçoit & s’arreste.
 Interdit & dans l’embarras
Il avance, il recule, il aime, il n’aime pas ;
Son cœur voudroit tenir sa passion secrette,
Il fait tous ses efforts pour contraindre son feu :
 Mais sa langue trop indiscrette
Ne sçauroit plus longtemps en differer l’aveu.
Belle Cloris, dit-il, croyez que je vous aime,
 Que je ne vois rien sous les Cieux
 De plus aimable que vos yeux.
Quel seroit mon bonheur, si vous m’aimiez de même ?
Timante, dit Cloris, ne me jouez-vous pas ?
 Eh, quand j’aurois assez d’appas
 Pour esperer vostre conqueste,
Vostre cœur vers l’Amour ne sçauroit faire un pas
 Et je ne suis pas assez beste
Pour croire qu’à ce point il puisse s’oublier.
Il est trop entesté de la Philosophie.
Je vous aime, dit-il, & veux le publier.
Cloris, mal à propos vostre ame se défie.
Mon amour est sans fard, & n’est pas indiscret,
Souffrez qu’en ce moment il sorte du secret,
Son silence trop long est un poids qui m’accable,
En parle qui voudra, vous estes toute aimable.
Ergo, sans en rougir mon cœur peut vous aimer.
 Si vostre cœur est équitable
Il doit comme le mien se laisser enflamer,
 Nostre sort doit estre semblable,
 Et vous devez brusler pour moy ;
 Mais d’une flame aussi durable
 Que l’Amour dont je suy la loy.
Timante, dit Cloris, vostre raison s’égare.
Moy, je dois vous aimer, & souffrir vostre amour ?
 J’aimerois mieux perdre le jour.
Vostre arrest, dit Timante, est un peu trop barbare,
Je vous le prouveray, mais tres-solidement,
Si vous voulez, Cloris, m’écouter un moment.
Je n’ay pas oublié mes regles de Logique,
 Ny la forme Sillogistique,
 Soit Baroco soit Barbarahi>
Vous choisirez, Cloris, celle qu’il vous plaira.
 Pour moy ce n’est pas une peine,
Et je vous prouveray de toutes les façons
Que si vous ne m’aimez, vous estes inhumaine.
Je n’entens rien, dit-elle, à ces arabes noms.
 Eh quelle fureur vous transporte ?
 Fait on l’amour de cette sorte ?
Au lieu d’ardens soupirs, au lieu de complimens
 Vous me poussez des argumens.
Timante, à mon avis si vostre cœur se fie,
Vous ne quitterez pas vostre Philosophie,
 Je ne veux rien vous déguiser,
Les plaisirs de l’Amour ne sont pas vostre affaire,
 Vous n’avez pas le don de plaire
 Vous ne sçavez qu’ergotiser.
 Vos manieres sont si bizarres
 Que je ne puis les supporter :
 Et vos termes sont si barbares
 Que je ne puis les écouter.
Vous ne sçauriez toucher le cœur d’une Maistresse.
 Desabusez-vous sur ce point :
Il faut pour réussir certaine politesse
 Que le College n’apprend point.
 C’est dans un cercle prés des Belles
 Que l’on en trouve les modeles ;
 C’est dans l’usage de la Cour
 Qu’un cœur se forme pour l’Amour ;
 Et ce n’est pas dans quelque livre
 Qu’un galant homme apprend à vivre,
Je ne sçay quel dessein vostre cœur a sur moy ;
Mais si vous esperez de recevoir ma foy,
 Quittez un espoir si frivole.
Vos discours impolis déplaisent à mon cœur
Je ne sçaurois souffrir qu’un Pedant me cajole.
 O le dégoûtant cajoleur !
Timante fort surpris d’entendre ce langage,
Reprit tout son air sombre & son humeur sauvage,
Et sans prendre congé brusquement la quitta.
Rentré dans son logis sa douleur éclata.
 Son cœur trop las de se contraindre,
Dés qu’il se trouva seul, commença de se plaindre ;
Mais cette torrent de pleurs qui coula de ses yeux.
Loin d’éteindre son feu, fait qu’il en brusle mieux.
En vain à son secours il appelle la haine :
 Pour se vanger de l’inhumaine
Malgré tant de rigueurs, malgré tant de mépris,
 Il aime toujours sa Cloris,
 Et de la Coquette rusée
 Il est la fable & la risée.
 Esprits forts qui bravez l’Amour,
 Desabusez-vous en ce jour.
 Ne le traitez plus de foiblesse,
Timante pour le vaincre eut trop peu de sagesse,
Vos cœurs comme le sien gemiront à leur tour.
 La plus saine Philosophie,
Quand l’Amour le prétend, degenere en folie ;
Et cet autre Zenon, par son déreglement,
 Nous le prouve trop clairement.

Madrigal §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 136-138.

Cet Ouvrage est de Mr Dader, qui a fait aussi ce Madrigal.

A MADEMOISELLE D…
EN LUY ENVOYANT
un Bouquet.

Allez, charmantes fleurs, allez trouver Silvie.
Dites luy que mon cœur touché de ses appas,
 Ne pourroit plus aimer la vie,
Si j’avois le malheur de ne luy plaire pas.
 Elle merite vostre hommage ;
Ne differez donc plus, expliquez-vous si bien,
 Qu’elle approuve vostre langage,
 Et que son cœur réponde au mien.

[Mascarade faite à Stockholm] §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 138-150.

Le 25. du mois de Janvier dernier, on fit à Stockholm, Capitale de Suede, une grande Mascarade, dont je vais vous faire le détail dans les mêmes termes que la Relation m’en a esté envoyée. Cette Mascarade estoit composée de Nations Asiatiques, Affriquaines, & de quelques unes Européennes. Les habillemens estoient magnifiques & bien entendus. Chacun s’estoit piqué de briller dans le caractere où il se rencontroit par le sort des billets qu’on avoit tirez trois semaines auparavant. La Salle où l’on devoit souper & danser, estoit une Rotonde, dans le milieu de laquelle il y avoit une table ronde & évuidée au centre. Il y avoit une autre grande table qui regnoit autour de la Salle, accompagnée du costé du mur d’un banc, où estoient assis ceux qui soupoient ; de l’autre costé, d’un gradin & d’un banc, sur lequel estoient placez des Termes d’hommes & de Femmes, de dix pieds de haut, dorez & bronzez, tous diversement drapez, les hommes de gaze d’or, & les Dames de gaze verdâtre, bordée & attachée avec des galons d’or. Ces Termes, derriere chacun desquels l’on avoit pratiqué un petit buffet, soutenoient un balcon, qui entouroit la Salle, & douze Pagodes assises sur de riches carreaux, dont les habillemens diversifiez estoient de gaze blanche, & d’autres étofes legeres brodées d’or & d’argent. Ce balcon, qui estoit orné de douze riches tapis de velours bleu, brodez d’or, servit pour une partie des Masques à voir souper les autres, & pendant le Bal il fut rempli de differens Spectateurs qui n’estoient pas venus pour danser.

Ce qu’il y avoit de mieux imaginé, estoit le Plafond de la Salle, qui estoit en forme de pavillon peint à la Chinoise, avec des figures & des ornemens grotesques, partie de couleur, & partie rehaussez d’or, le tout sur un satin de la Chine blanc, avec une haute & riche crêpine d’une invention particuliere. Le tour de ce pavillon, par le moyen d’un contrepoids, se baissoit & se haussoit quand on le vouloit. Rien ne pouvoit estre plus divertissant, & plus convenable au caractere de la Feste que la singularité de cette invention.

Il y avoit une autre machine. C’estoit une espece de piramide de glaces, suspenduë au milieu de la Salle. Sur chacun de ses étages la réverberation de chaque bougie estoit trois fois reïterée, au moyen de quoy, comme aussi par une ouverture que l’on avoit faite derriere la rose du pavillon, la Salle se trouvoit parfaitement éclairée sans aucune fumée. Derriere les Guaines ou Termes, il y avoit des bougies au haut des petits buffets, pour empêcher que les Termes ne portassent ombre sur les personnes assises à table derriere ces Termes. Il y avoit vingt-quatre glaces à bordures dorées entre ces Termes, attachées au mur, sur lesquelles les lumieres du grand Lustre, & celles des douze buffets faisoient d’autant plus d’effet, que les réverberations se réunissoient au centre de la Salle.

L’on commença à s’assembler sur le soir dans un Hostel attenant le Palais Royal, où les Masques se rendirent en differens appartemens. Depuis cet Hostel, jusqu’au Palais la marche que l’on avoit à faire estoit de trois cens pas. Il y avoit une barriere couverte de drap bleu, tant sur le pavé que l’on avoit relevé, & couvert de charpente, que sur les deux appuis. Les deux costez en estoient bordez de Gardes avec des flambeaux & des armes ; dans la cour du Palais il y avoit des bancs relevez des deux costez pour les Spectateurs.

La marche commença par cinquante Masques, chaque homme conduisant sa Dame, précedé de Timbales & de Trompettes, avec un pareil nombre de Masques, parmy lesquels la Reine, leurs Altesses Royales, & les Princesses de Meckelbourg, suivies de trente-quatre petits Mores, tous semblables, la pluspart Pages de la Cour, & placez en cet endroit de la marche pour éviter la confusion dans la Salle, où ils devoient servir à table. Aprés eux marchoient encore huit Hautbois travestis, qui précedoient cinquante-deux Masques, parmy lesquels estoient le Roy, & Son Altesse le Duc de Holstein, suivis d’une Troupe de petites Egyptiennes, dont une partie portoit les juppes traînantes. Deux cens Masques que le hasard avoit assemblez fermoient cette marche.

Les Violons au nombre de trente-quatre, donnérent un agréable concert dans la premiere grande Salle, au travers de laquelle la marche passa. Les premiers cent Masques ayant fait le tour de la Salle ronde, & estant sortis par une autre porte, y revinrent en se rangeant en haye pour les cent autres qui les suivoient, lesquels estant entrez dans la même Salle ronde, trouvérent la table servie, & y prirent aussi tost leurs places. A la table du milieu il y avoit des deux costez quarante-deux personnes assises, & à celle qui regnoit autour de la Salle, il y en avoit soixante. Tout ce qui devoit estre au Souper estant dans la Salle, les ouvertures qui servoient d’entrées, furent fermées, & le cercle de la table continué sans interruption.

Aprés avoir resté environ une heure & demie à table, l’on passa dans les autres Salles du Palais, que l’on trouva remplies de Masques de la Ville qui dansoient. Cependant on desservit, & les tables furent ôtées dans la Salle ronde. L’on y laissa seulement les bancs qui accompagnoient la grande table, qui estoient couverts de grands carreaux de damas bleu, à frange d’or. La tenture de la Salle dans les entre-deux des glaces, estoit du même damas, lequel estant uni faisoit un fond convenable par son opposition à la diversité des couleurs des Masques. Le Bal y commença par les branles. La place du milieu fut toûjours conservée vuide, de sorte que les Danseurs ne s’y trouvérent point incommodez, & l’on examinoit à loisir l’air & le déguisement d’un chacun. L’on continua jusqu’au lendemain que l’Aurore dispersa la Feste, qui réüssit au contentement de tout le monde.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 150-155.

Comme on ne parle presque plus presentement que de Lotteries, je croy que vous trouverez cette Lettre de saison. Elle est de Mr de Vertron, Academicien de l’Academie Royale d’Arles & des Ricovrati de Padouë.

A MADEMOISELLE DE L.

Vous avez raison, Mademoiselle, de croire que les Boëtes de Lotterie ne sont pas semblables à celle de l’ancienne Pandore, d’où sortoient tous les malheurs : mais pour moy je croy, sans craindre d’estre accusé de superstition, qu’il en est de nous comme des jours ; qu’il y en a d’heureux & de malheureux. Persuadé que je suis de cette verité par une longue & fâcheuse experience, je n’ay pas jugé à propos de mettre à la Lotterie de l’Hôpital general sous mon nom, où il se rencontre deux R, lettre fatale dans l’opinion de quelques-uns. Cependant, à la sollicitation de plusieurs personnes de mes Amis, & pour suivre vôtre exemple, Mademoiselle, j’ay enfin risqué deux Louis d’or, & ay fait remplir les numero de deux Vers. Le premier est.

Avec un seul Louis je puis payer mes dettes.

Le second vous plaira, sans doute, davantage, & parce qu’il m’a plu aussi, je l’ay accompagné de trois autres, qui tous ensemble font un Quatrain. Le voicy.

J’attends tout de Louis, & rien de la Fortune,
 Elle a sçu me pousser à bout.
 Elle est aveugle, & luy, voit tout ;
La bonté, la justice, en mon Roy ne sont qu’une.

Pour ces deux Billets, j’ay choisi l’un des Directeurs qui, comme vous sçavez, en font la distribution ; c’est Mr Collin.

Peut estre que sa main me portera bonheur.

Vous pouvez faire, Mademoiselle, quand il vous plaira, celuy d’un galant homme. Vous estes belle, jeune, riche, &c. Si j’ay le gros Lot, je vous promets de vous le porter, pour en disposer, comme de la personne qui est déja par avance toute à vous.

Eh bien ! si vous l’avez en ferez-vous de même ?
Vous pouvez dés ce jour commencer mon bonheur ;
En attendant ce Lot, dites moy, je vous aime,
Gagner des Lots vaut moins que gagner vostre cœur.

Pour vous plaire, Mademoiselle, j’ay remply sur la Lotterie, qui est le sujet que vous avez proposé, vos Bouts-rimez, l’Amour qui fait toûjours des merveilles & des metamorphoses m’a fait devenir Poëte. J’ay tâché de representer l’estat de mon cœur & de ma fortune dans ce Sonnet que je vous envoye par le Porteur de vos rimes.

Tout beau, me direz vous, c’est-là le coup d’un Maistre.
Si je ne le suis pas, je veux tenter de l’estre ;
Ma Belle, en attendant le bonnet de Docteur,
Je suis vostre Disciple, & vostre Serviteur.

[Service solemnel célébré pour Monsieur le Chancelier Boucherat]* §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 188-190.

Le Samedy 13. de ce mois la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, fit celebrer un Service solemnel, pour feu Mr le Chancelier Boucherat, comme Protecteur des Lettres & des Sciences, dans l’Eglise des Peres de la Redemption des Captifs, appellez communement Mathurins. Elle estoit tenduë de drap noir jusqu’aux voûtes, avec une representation élevée sur une estrade de plusieurs degrez, & entourée de quantité de cierges aux Armes de Boucherat, le tout sous un haut Dais suspendu. Mr le General de l’Ordre celebra la Messe, qui fut réponduë par un Chœur des meilleurs Musiciens, sous la conduite de Mr Campra, Chanoine de Saint Jean le Rond, & Maistre de la Musique de Nôtre-Dame. Les Parens de feu Mr le Chancelier s’y trouvérent, avec un grand nombre de Personnes de Qualité.

L’honneste Homme et le Scélérat §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 250-251.

Le Sr Brunet, Libraire au Palais, debite la seconde partie du Livre intitulé L’honneste homme & le Scelerat, qui en est la conclusion. Ce second volume contient l’histoire de Cacopiste, où l’Auteur fait voir toutes les friponneries dont un scelerat se trouve capable. Cacopiste en fait le détail à son Parent Agathandre, qui ayant toujours refusé d’acquerir du bien par des voyes honteuses & illicites, est enfin récompensé de sa probité par une bonne fortune, qui le rend heureux, tandis que Cacopiste accusé de tous costez, voyant tous se crimes découverts, est contraint d’abandonner son pays, & finit ses jours miserablement, peine qui ne manque point de suivre le vice.

[Le Jonathas] §

Mercure galant, mars 1700 [tome 3], p. 269-270.

Le bien que vous avez oüi dire de Jonathas ne me surprend point. Il a esté representé plusieurs fois à la Cour le Carnaval dernier, par des Acteurs du premier rang, qui en ont fait paroistre toutes les beautez, avec beaucoup d’avantage pour l’Auteur. Puisque son nom vous est inconnu, je vous diray que cette Piece qui vient d’estre imprimée, & que debite le Sieur Ballard, ruë S. Jean de Beauvais, est de Mr Duché, distingué par beaucoup d’autres ouvrages.