1700

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1700 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7]. §

[Voyage de l’Ambassadeur extraordinaire du roi à Constantinople]* §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 15-59.

Ce que je vous envoye pourroit seul passer pour un petit livre de Voyage tres-curieux. Il a esté vû de fort peu de gens, & il ne s’en faut pas étonner, puisque ce qui excede la longueur de quelques feuillets volans, ne passe pas aisément de main en main, & qu’on regarde ces choses là comme un Volume dont la lecture fait peur sur un Manuscrit, souvent mal peint. Ainsi, ou l’on voit peu ces sortes d’ouvrages, dont il n’y a pas beaucoup de copies, parce qu’elles sont longues à faire, ou l’on ne les voit point du tout, ou bien on attend qu’elles soient imprimées pour les voir. Ce n’est pas que la fin de la Relation que je vous envoye n’ait couru séparée du commencement, à cause qu’elle, estoit regardée alors comme une chose nouvelle, tres-curieuse & tres-importante. Vous allez lire le tout dans les propres termes qu’il a été écrit, l’Auteur ayant vû tout ce qu’il a remarqué dans sa Relation, & ayant esté un des Acteurs de ce qui en regarde la fin.

RELATION
DU VOYAGE
De Mr de Feriol, Ambassadeur Extraordinaire du Roy à la Porte Ottomane ; de son arrivée à Constantinople ; de l’Audience qu’il a eüe du Grand Visir & de ce qui s’est passé chez le Grand Seigneur, le jour que S.E. le devoit voir.

A Pera le 7. Février 1700.

Mr de Feriol, Ambassadeur extraordinaire du Roy à la Porte, s’embarqua le 28. Juillet 1699 sur le Vaisseau de Sa Majesté, le Bizarre, commandé par Mr Bidault. Ce Vaisseau avoit esté preparé à Toulon, avec l’Assuré, commandé par Mr de Bagneux, pour le porter à Constantinople. Quand Son Excellence passa devant celuy qui sert d’Amiral, elle fut saluée de onze coups de Canon, & ensuite de quinze coups de chacun des deux Vaisseaux. On appareilla le même jour pour aller au Chasteau de Sainte Marguerite. Le 30. on mit à la voile par un vent qui nous favorisa jusques au Golphe de Palme, où nous nous trouvâmes le 2 Aoust. Le calme nous ayant surpris, on moüilla devant Caillery. Le lendemain, nous en partîmes par un vent si bon, que le 6 nous entrâmes dans le Port de Malthe. Le Bizarre salua la Ville de onze coups de Canon, le salut luy fut rendu coup pour coup. Mr le Commandeur de Lusignan vint à bord complimenter Mr l’Ambassadeur de la part de Mr le Grand Maistre, sur son heureuse arrivée. Mr l’Ambassadeur envoya le lendemain Mr Bidault, avec tous les Officiers du Vaisseau, les Gardes Marines, & les Gentilshommes de sa suite au nombre de cent personnes, magnifiquement vêtuës, pour saluer Mr le Grand Maistre. Le Dimanche 9. Son Eminence envoya un present à Mr l’Ambassadeur, composé de plusieurs paniers de gibier, des corbeilles de fruit, des Veaux, plusieurs pieces de volaille, de toutes sortes de vins, & une balle de glace. Le 10. Mr l’Ambassadeur alla rendre visite à Mr l’Inquisiteur qui l’estoit venu voir le jour precedent. Pendant sa visite ; on presenta une soucoupe de liqueurs à S.E. seule, & plusieurs autres aux Gentilshommes de sa suite. Mr l’Ambassadeur fut reconduit jusque dans la ruë par Mr l’Inquisiteur, qui ne quitta point son Excellence qu’elle ne fust entrée dans sa chaise. Cet Inquisiteur se tourna ensuite vers son cortége, pour assurer de ses services les Gentilshommes qui le composoient. Mr l’Ambassadeur trouva au Bizarre, Mr le Commandeur d’Oraison qui le venoit avertir que les Carrosses du Grand Maistre l’attendoient sur le Port du costé de la Ville. Son Excellence fut saluée en se débarquant de treize coups de Canon & de dix huit boëtes. Elle monta avec toute sa suite dans les Carrosses preparez, qui firent le tour des Fortifications. Les 11. 12. & 13. Aoust Mr l’Ambassadeur visita les trois Forts qui défendent l’entrée du Port de Malte, où Mr le Grand Maistre envoya regulierement des eaux glacées & des rafraîchissemens. Le 14. Il envoya encore à Son Excellence un Poisson appellé Espadon. Le même jour le Bizarre sortit du Port de Malte par un petit vent, qui cessa d’abord qu’il eut passé l’embouchure, & surprit l’Assuré entre un Fort & un Rocher, en sorte qu’il ne pouvoit avancer ny reculer. Il fut en danger jusqu’à ce que s’estant fait remorquer par une Felouque, il rentra dans le Port heureusement, & y resta moüillé ce jour-là, quoy que le Bizarre fust à la voile. Mr l’Ambassadeur donna ordre le même jour à son premier Secretaire, d’aller remercier de sa part Mr le Grand Maistre, des honneurs qu’il luy avoit faits, & d’offrir ses services à son Eminence s’il pouvoit luy estre utile, ou à la Religion de Malte à Constantinople. Mr le Grand Maistre répondit qu’il acceptoit volontiers la correspondance que Mr l’Ambassadeur luy offroit, & qu’il s’adresseroit à Son Excellence, comme il avoit toûjours fait à son Prédecesseur pour les affaires de la Religion de Malte à Constantinople. Le lendemain 15. l’Assuré sortit du Port, & nous fismes route du costé du Serigues, à la hauteur duquel nous nous trouvâmes le 20. Son Excellence expedia le même jour pour Constantinople une Barque qu’elle avoit prise à Marseille, pour porter tous ses équipages, & qui nous avoit suivis depuis nostre départ de France. Le 21. nous moüillâmes à la Sud, Forteresse qui appartient aux Venitiens. Le 22. le Commandant envoya un Officier au Provediteur Morosini qui commande dans ce Fort, & à tous ceux qui appartiennent aux Venitiens de ce costé-là. Le 23. les Vaisseaux appareillérent pour aller mouiller dans le fond de la Rade, & le Bizarre passant devant la Forteresse la salua de cinq coups de Canon, & la Forteresse luy en rendit six. On fut surpris de ce coup surnumeraire, mais nous avons appris depuis qu’il fut tiré par la faute d’un Sergent que le Provediteur fit mettre aux fers, & le condamna à deux Sequins d’amende. Le calme nous ayant surpris, nous ne pûmes aller que le lendemain 24 au fond du Port, & nous y demeurâmes jusqu’au premier de Septembre. Pendant ce temps là, Mr l’Ambassadeur prit connoissance des affaires de la Nation de la Canée. La veille du jour de la Feste de S. Louis, les deux Vaisseaux du Roy furent illuminez, le Bizarre sur les deux Plats-bords, & l’Assuré aux extremitez des masts & des vergues. Le jour de Saint Louis, les Vaisseaux furent ornez de leurs Pavois, & l’on n’oublia rien pour la solemnité de la Feste de Sa Majesté. Le premier Septembre nous partîmes du Port de la Sud, & nous moüillâmes le même jour devant Candie. Le 2. Mr l’Ambassadeur envoya son Interprete avertir le Pacha & l’Aga des Janissaires qu’il souhaitoit de les voir. Le même jour S. E. descendit à terre avec les Gentilshommes de sa suite, & quelques Officiers. Nous trouvâmes vingt-cinq chevaux sur le Port. On nous conduisit premierement chez le Kiaïa du Pacha, & chez le Pacha. Ensuite nous allâmes chez l’Aga des Janissaires, qui témoigna beaucoup de joye de voir S.E. qu’il avoit connuë à l’Armée. Le lendemain nous visitâmes les Fortifications, qui estoient en bon estat. Le Pacha avoit envoyé vingt-cinq chevaux à la Marine, & il ordonna que trente Janissaires, & son Capitaine des Gardes à leur teste, précederoient deux à deux S.E. que les Officiers se trouveroient chacun dans leur poste sur le passage de Mr l’Ambassadeur ; que les Canonniers seroient la méche allumée auprés de leur Canon, les Janissaires avec leurs armes hors des Corps de garde, & que six Porteurs d’eau ordinaires en jetteroient devant les chevaux de Son Excellence, comme s’il passoit luy-même, suivant la Coutume Turque. La Ville salua ce jour là S.E. de sept coups de Canon à boulet, tirez de la distance d’un demi-quart d’heure à l’autre. Il nous est revenu depuis qu’un des Canons, qui estoit de fonte, & de cent livres de balle, avoit crevé.

Nous partîmes de Candie le 6 Septembre pour aller au Mile. Les vents nous furent contraires, & ils s’éleverent avec tant de violence, que nous reflâmes les 10. 11. 12. & 13. à l’abry de cette Isle, bienheureux de trouver cet azile contre une tempeste effroyable, que nous eussions essuyée en pleine Mer. Nous entrâmes dans le Port le 14. & nous y reflâmes jusqu’au 25. L’Assuré avoit appareillé le 24. pour aller à Athenes, & visiter en chemin faisant quelque Echelle de l’Archipel. Il y a une Caverne dans l’Isle de Mile, dont l’entrée est fort basse. Aprés s’estre avancé douze pas, on sent une chaleur extrême : plus avant on se peut tenir debout, & à gauche l’on trouve un bain d’eau chaude, un peu salée, que l’on dit tres-salutaire. On s’y baigne fort commodement & avec plaisir. Nous moüillâmes le 26. Septembre prés de Paros dans un Port appellé Trio. Ce sont trois petites Isles inhabitées, qui ont donné le nom à ce Moüillage ; mais c’est proprement la Rade de Paros. Naxis n’en est éloignée que de douze ou quinze milles. Le 30. quelques Gentilshommes de S.E. allerent à Antiparis voir une Grotte de Congellations qui est dans cette Isle, & dont on nous avoit fait un récit merveilleux. Elle est éloignée du Chasteau de quatre milles. L’entrée seule merite la curiosité des Voyageurs. Elle est vaste & voûtée, en sorte qu’il s’y rangeroit deux mille hommes facilement. Il y a une colomne congelée, sur laquelle paroist le reste d’un Buste. Les gens du pays disent que c’estoit un Idole qui rendoit les Oracles autrefois. A main droite, il y a une fenestre par laquelle les Prestres répondoient aux demandes qui se faisoient à l’Idole. Nous descendîmes dans cette Grotte à huit heures du soir, & à force de cordes & d’échelles nous parvinsmes à une roche qui se trouve creusée en deux endroits. L’on puise dans l’un la meilleure eau douce qui se puisse boire, & dans l’autre une eau jaunastre. Nous descendîmes ensuite dans un endroit où Mr de Nointel, cy-devant Ambassadeur à Constantinople, fit dire la Messe de minuit en 1673. Nous vîmes avant que d’y arriver, plusieurs congellations, dont les unes representoient des colomnes, d’autres des figures d’hommes, de Lion, d’Enfant ; mais entre autres choses nous vîmes un Pavillon, sous lequel nous estions quinze ou seize. L’endroit où la Messe fut dite represente un Autel, deux grands chandeliers aux costez, & la façade represente plusieurs arbres les uns sur les autres. Dans l’éloignement à gauche paroist une forest formée par ces congellations ; d’autre part des ornemens à la Gothique. Mr de Nointel a fait mettre l’Inscription suivante à l’endroit où l’on posa la pierre pour dire la Messe.

HIC IPSE CHRISTUS
ADFUIT EJUS NATALI
DIE MEDIA NOCTE
CELEBRATO.
M. DC. LXXIII.

Nous descendîmes dans un endroit, où l’on nous fit remarquer des draperies fort bien figurées. Nostre Conducteur nous fit voir à gauche un abîme effroyable, & nous entendions fort longtemps les pierres qu’il jettoit dedans. Nous remontâmes avec beaucoup de peine principalement à un endroit où Mr de Nointel a laissé une échelle, qui depuis ce temps est presque pourrie. Nous sortîmes de cette Grotte à une heure aprés minuit, & nous restâmes dans l’entrée pour lire le matin les Inscriptions qui y sont. Celle-cy fut la premiere qui se presenta à nos yeux, & que nous eûmes beaucoup de peine à déchifrer.

ΚΡΙΤΟΝΟΣ
ΟΙΔΕΗΛΟΟΝ
ΜΕΝΑΝΔΡΟΣ
ΣΩΧΑΡΜΟΣ
ΜΕΝΕΚΡΑΤΗΣ
ΑΝΤΙΡΑΤΡΟΣ
ΙΠΤΟΜΕΔΟΝ
ΑΡΙΣΤΕΑΣ
ΦΙΛΕΑΣ
ΓΟΡΓΟΣ
ΔΙΟΓΕΝΗΣ
ΦΙΛΟΓΡΑΤΗΣ
ΟΝΗΕΙΜΟΣ

Nous jugeâmes que ce pouvoit estre, comme on le disoit, les noms d’Antipater & de ses compagnons, qui avoient passé par cette Isle en se retirant aprés sa conjuration contre Alexandre. Celle-cy n’est pas fort éloignée de la premiere. Elle a esté mise par Mr de Nointel.

CEDANT TENEBRÆ
LUMINI,
FICTA NUMINA
VERO DEO
HOC ANTRUM,
NOCTURNO EREPTUM
JOVI,
NASCENTI CHRISTO
DEDICAVIT
CAR. FRANC. OLLIER
DE NOINTEL.

Cette autre Inscription est à droite en entrant. Elle commence à s’effacer ; cependant nous y lûmes encore

HOC ANTRUM
EX NATURÆ MIRACULIS
PARISSIMUM,
UNA CUM COMITATU,
RECESSIBUS EJUSDEM
PROFUNDIORIBUS
ET ABDITIORIBUS
PENETRATIS
SUSPICIEBAT, ET SATIS
SUSPICI NON POSSE
EXISTIMABAT
CAR. FRANC. OLLIER
DE NOINTEL,
IMP GALLIARUM
LEGATUS,
DIE NAT. CHR. QUO
CONSECRATUM FUIT.
AN. M. DC. LXXIII.

Il y a encore deux Inscriptions à droite, dont nous ne pûmes déchiffrer une seule lettre. C’est d’un Grec ancien, & si effacé, qu’il n’en reste que quelques traces. Nous retournâmes le même jour à Bord, & le 4. Octobre nous allâmes à Naxis. L’Isle est bien grande, & tres-peuplée. Le Chasteau de son nom est sur le bord de la mer, & paroist fort ancien. Nous y vîmes une des Portes du Temple de Bacchus, qui est hors du Chasteau, dans une petite Isle détachée de Naxis. Nous y vîmes aussi les restes d’un Aqueduc qui conduisoit l’eau dans ce Temple, & prés de l’Aqueduc il y a un pavé de Mosaïque fort ancien. Nous ne fûmes pas plûtost de retour à Bord, que les vents contraires & forcez souflerent vivement, & nous fûmes retenus prés de Paros jusqu’au 15. Le 16. nous arrivâmes à la Rade de Syra, & nous rencontrâmes le même jour le Vaisseau l’Assuré, qui faisoit sa route vers Chio, où devoit estre son rendez-vous à son retour d’Athenes. S.E. alla le lendemain à l’Isle de Delos, voir les ruines de l’ancien Temple d’Apollon. Un vent tres favorable nous porta en quatre heures à Delos sur une Barque Françoise qui s’estoit jointe à nous à la Mer. Nous examinâmes les ruines incomprehensibles, non-seulement du Temple d’Apollon, mais de l’Isle entiére, qui est presentement inhabitée. Ce sont des Montagnes de pierres & de marbre, qui persuadent de la magnificence des Bastimens qui ont esté élevez en cet endroit. Nous nous embarquâmes à trois heures aprés midy, par un vent contraire pour retourner à Bord. Lorsque nous fûmes en pleine mer, il se renforça tellement qu’un de nos masts se rompit ; nous relâchâmes heureusement à Micony, où Son Excellence fut reçuë par le Consul de la Nation. Le 18. nous retournâmes à Bord, & restâmes moüillez jusqu’au 29. devant Syra. Le 2. Novembre les Grecs Schismatiques députérent quatre d’entre-eux pour aller saluer Son Excellence qui les reçut avec bonté, quoy qu’ils soient les Persecuteurs des Grecs Latins. Elle leur dit cependant que si elle apprenoit qu’ils continuassent leurs persecutions envers eux, ils devoient craindre la vangeance de Sa Majesté, qui leur avoit accordé sa protection. Ils répondirent à Son Excellence qu’ils estoient venus dans le dessein de l’assurer qu’ils vouloient bien vivre avec leurs Compatriotes ; qu’ils estoient tous Chrestiens, & que dans la suite on ne luy porteroit aucune plainte de leur conduite. Ils offrirent d’en faire serment sur les Saints Evangiles ; ce que Mr l’Ambassadeur refusa, disant qu’ils seroient doublement coupables, s’il manquoient à leur devoir & à leur parole, dont il se contentoit.

Le 4. Novembre nous appareillâmes, & nous doublâmes le même jour le Cap Bornouth. Depuis ce temps-là, les vents nous furent contraires, & les Vaisseaux ne purent moüiller au Chasteau de Smirne que le 9. Cependant le 7. le Consul de la Nation vint au devant de S.E. à quarante milles de la Ville. Ils couchérent dans le Vaisseau, & le lendemain 8. Son Excellence s’embarqua dans son Canot pour aller à Smirne. Mr Bidault la salua de dix sept coups de Canon à boulet, & Mr de Bagneux de treize coups seulement. En passant devant le Chasteau de Smirne, un Vaisseau de guerre Hollandois, & une autre petite Fregate Angloise, saluérent S.E. de treize coups de Canon chacun. Elle fut aussi saluée en entrant dans le Port de Smirne de tout le Canon des Vaisseaux François, Anglois, Hollandois, & autres Nations qui s’y trouvérent. La Maison du Consul est située sur le bord de la mer, en sorte que l’on débarque sur un quay qui en dépend. Ceux de la Nation qui n’estoient point venus à bord, se trouvérent sur ce Quay, avec une multitude de Personnes de toutes les autres Nations. Mr l’Ambassadeur, aprés avoir reçu leurs complimens, fut conduit dans l’Appartement qui luy avoit esté préparé, & par tous les endroits où il passa la Nation avoit fait construire des Arcs ornez de fleurs, sur chacun desquels estoient les Armes du Roy, celles de S.E. & celles de la Ville de Marseille. S.E. alla ensuite entendre le Te Deum, que l’on chanta dans l’Eglise des Capucins, en action de graces de son heureuse arrivée. Le 10. le Consul d’Angleterre accompagné de toute sa Nation, vint rendre visite à Mr l’Ambassadeur. Le 11. celuy de Hollande, & le 12. celuy de la Republique de Raguse. S.E. alla voir le Consul d’Angleterre le 16. qui receut Mr l’Ambassadeur hors la porte de sa maison, dont la Nation Angloise bordoit l’entrée à droite & à gauche. Il fut conduit dans un Apartement, d’où l’on sortit un quart d’heure aprés, sous prétexte de voir la maison, & nous entrâmes dans une Salle où l’on avoit servi une magnifique Colation. Ensuite Son Excellence fut conduite par le Consul jusques à l’endroit où il l’avoit receu, & la Nation Angloise suivit jusque chez le Consul de France. Le 18. S.E. alla voir le Consul de Hollande, & les choses s’y passerent ainsi que chez le Consul d’Angleterre. Le 22. elle envoya son premier Secretaire chez le Consul de Raguse, avec deux des Gentilshommes de sa suite, pour le remercier de la peine qu’il avoit prise de le venir voir, & luy offrir ses services. Le 25. les Consuls d’Angleterre, de Hollande & de Raguse vinrent dire adieu à S.E. & luy souhaiter un heureux voyage. Elle s’embarqua le 27. avec tous ceux qui l’avoient suivie à Smirne, & la Nation qui l’accompagna jusques au Vaisseau. Le 28. nous moüillâmes aux Isles Dourlac ; le 29. à Moscointchy. Le 30 nous appareillâmes, mais le calme nous ayant surpris prés du Cap Baba, nous fusmes obligez de relâcher à Moscointchy, où nous demeurâmes le premier & le 2. de Decembre. Sur le tard le vent estant favorable, & le temps clair, nous mîmes à la voile, mais l’Assuré ayant rangé la terre de trop prés, s’échoüa à trois brasses dans un endroit de vase de la longueur du Vaisseau. Il tira d’abord un coup de Canon pour nous demander du secours. Le Bizarre moüilla en ce moment, & s’estant approché de l’Assuré le plus qu’il put, on attacha un greslin au pied du grand mast de l’Assuré, dont on porta l’autre bout au Bizarre, pour l’attacher au Cabestan, & à force de virer on tira l’Assuré du danger où il estoit. Le lendemain 3. Decembre, nous appareillâmes, & le même jour nous moüillâmes devant Tenedos. Le 4. nous passâmes à neuf heures du matin entre les deux Chasteaux neufs ; mais la pluye fut si violente & le temps si couvert, que nous moüillâmes à la pointe des Barbiers dans un moment heureux ; car le vent contraire vint subitement, & avec beaucoup de violence. Le Consul des Dardanelles, qui avoit apperceu nos Vaisseaux, vint dés le jour même rendre compte à S.E. des affaires dont il est chargé. Le 6. le Pacha de Jerusalem, qui avoit pris une Barque Françoise pour le porter à Jaffa avec sa Maison, vint moüiller prés de nos Vaisseaux. Il envoya faire compliment à S.E. qui dans le moment luy envoya aussi son premier Secretaire pour l’assurer de ses services, luy recommander le Consul que la Cour a nommé depuis peu pour Jerusalem, & luy demander sa protection pour les Peres de la Terre-Sainte, qui sollicitoient la restitution des Saints Lieux dont les Grecs sont en possession. Il répondit qu’il profiteroit dans l’occasion des assurances de service de S.E. qu’à l’égard du Consul, il suffisoit qu’il fust François pour estre de ses Amis, & qu’il estoit dans le dessein d’accorder sa protection aux Peres de la Terre-Sainte. Il dit même que le Grand Seigneur l’envoyoit Pacha à Jerusalem, pour rétablir ce que ses Prédecesseurs avoient ruiné par leurs concussions, particulierement par les presens qu’ils avoient tirez des Grecs & des Latins à l’occasion de leurs Procés. Mr l’Ambassadeur luy fit presenter une fort belle montre, & le fit saluer de sept coups de canon lors qu’il mir à la voile. Le 10. nous appareillâmes par un vent tres favorable. Le Bizarre salua les deux Chasteaux des Dardanelles de sept coups de canon, qui rendirent le salut coup pour coup, & saluérent ensuite Mr l’Ambassadeur de huit autres coups. Nous continuâmes nostre route, & nous nous trouvâmes à midy devant Gallipoly, & sur le soir à la pointe de l’Isle de Marmora. Le vent estoit si bon que nous serrâmes une partie de nos voiles, de peur de trop avancer, en sorte que nous estions à la pointe du jour à la veuë de Constantinople, & entrâmes dans le Port à dix heures du matin. Mr l’Ambassadeur fut complimenté le même jour par les Ambassadeurs des Cours Etrangeres, & par le Prince Tekely, qui envoyerent leurs Secretaires à bord dés que les Vaisseaux eurent moüillé. Mr de Chasteauneuf, Ambassadeur de France, vint luy même prier S.E. de débarquer. Il ne descendit cependant que le lendemain, avec les Gentilshommes de sa suite, au bruit d’une partie de l’Artillerie des Vaisseaux. Nous montâmes en ordre au Palais de France. Mr de Castagneres avoit envoyé toute sa Maison & des chevaux à la Marine. Il receut Mr de Feriol à l’entrée du Palais, & le conduisit jusqu’à la Chapelle, où les Capucins chanterent un Te Deum pour son heureuse arrivée. Mr de Castagneres traita magnifiquement Mr de Feriol pendant trois jours, aprés lesquels il se retira dans un logis particulier, pour luy laisser toute la maison libre.

[Madrigal] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 93-94.

Vous serez sans doute bien-aise de voir ce que Mr l’Abbé de Poissi vient de faire pour le Roy.

A
LOUIS LE GRAND.

O Roy, le plus puissant des Rois,
 LOUIS, tu ne dois pas attendre
Que je fasse un détail de tes nombreux Exploits,
Je craindrois d’échouër, ou de trop entreprendre.
Pour faire ton éloge il ne faut que deux mots :
L’on trouve en toy Cesar, Annibal, Alexandre,
 Mais on les trouve sans defauts.

[Lettre du Père Tavillon à Mr l’Abbé de Poissy] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 94-100.

Vous sçavez, Madame, ce que j’aurois à vous dire sur le merite de Mr l’Abbé de Poissi, à qui le Pere Tavillon, Jesuite fameux, a adressé cette Lettre.

Vous me donnez de la confusion, vous & l’illustre Mr de Segrais, de vous souvenir de moy d’une maniere aussi obligeante que vous le faites. Le morceau de Lettre que vous m’envoyez, Monsieur, me flate bien agréablement, & les Vers que vous y ajoûtez, me paroissent d’un tour & d’un goust tout à fait nouveau. Il suffit qu’ils viennent de Mr l’Abbé de Poissi, pour prévenir aussi-tost. Je suis seulement fâché que mon suffrage dans le monde Poëtique soit compté pour si peu de chose. Depuis que je me suis exilé par devoir, plûtost que par inclination, de cet agréable & riant Pays, je trouve que mes anciennes idées se sont évanoüies ; la severe Theologie a tout chassé, & a établi à sa place merum rus, & meram barbariem. Voilà, Monsieur, en partie ce qui m’a obligé de me retirer à petit bruit, & à ne plus me montrer aux yeux delicats & clairvoyans du grand Mr de Segrais. Quoy que les badinages du Parnasse me soient maintenant de fort peu de chose, depuis qu’on m’a lié à des Etudes toutes opposées ; j’ay pourtant de l’obligation aux plaisantes folies de ma jeunesse, de m’avoir valu la connoissance, & si je l’ose dire, la bienveillance d’un homme comme luy. Si même il estoit d’humeur à me pardonner mes omissions du passé, & à ne se point rebuter de mes grossieretez presentes, volontiers, Monsieur, je vous prierois de ménager mon pardon. En tout cas j’ay un jeune Frere, qui de temps en temps tiendroit la Plume en ma place, & le dédommageroit de l’ennuy que je donne aux Gens. Je crois avoir eu déja l’honneur de vous parler de ce jeune homme de vingt-deux ans. Pour vous en rafraîchir l’idée, trouvez bon que je finisse ma Lettre par une bagatelle de sa façon. Il y a quelque temps que le jeune Comte de Crecy fit ces quatre Vers Latins sur la Paix.

Cede procul Mavors, niveis pax alma quadrigis
 Ecce redit tandem, votaque nostra beat.
Cede procul victor Lodoix jubet, armaque ponit
 Tamfacilis, facili quam capit arma manu.

Mon Frere fit cette espece de traduction paraphrasée.

Dieu des Combats, retirez-vous,
La Paix vient finir nos allarmes,
Et combler nos vœux les plus doux,
Portez ailleurs vos tristes armes,
Dieu des Combats retirez-vous.
A faire des heureux Louis borne sa gloire,
Luy même il se desarme au fort de sa victoire ;
Ces foudres que jamais rien ne put arrester ;
 Il veut enfin les suspendre,
  Aussi prompt à les quitter,
 Qu’il est prompt à les reprendre
  Quand on ose l’irriter.

Les Vers & la traduction furent fort goûtez à la Cour ; mais tout cela est peu de chose, si vous & Mr de Segrais n’y mettez vostre marque. Je suis, Monsieur, à l’un & à l’autre vostre tres, &c.

[Sonnet] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 101-103.

Le Sonnet qui suit est de Mr Bonnecamp, Medecin de la Marine. Il a esté envoyé à Mrs les Lanternistes de Toulouse. sur les Bouts-rimez qu’ils ont proposez pour le Prix de cette année. Je ne doute point qu’ils ne vous paroissent fort heureusement remplis.

Repose-toy, Louis, à l’ombre de l’olive,
Laisse nous applaudir à tes faits éclatans ;
Aprés tant de combats, grand Monarque, il est temps
De donner quelque tréve à ta valeur active.
***
Au bien de tes Sujets ta sagesse attentive
Se fait un doux plaisir de les rendre contens ;
Ton invincible bras a dompté les Titans,
Et tu tiens sous tes loix la Discorde captive.
***
Le Sabre & le Mousquet ne sont plus de saison,
Ton Astre luit par tout, sans quitter l’horison ;
Le Soldat dort tranquille au pied de la barriere.
***
Tu n’as plus rien à vaincre, & rien à soûtenir.
Ton Soleil sans éclipse a fourni sa carriere,
Et tu sers de modéle aux Princes à venir.

PRIERE POUR LE ROY.

O Toy, qui dans Louis tant de vertus assemble ;
Conduis loin ses beaux jours dans le siecle à venir ;
Et puisque tous les deux, enfin, doivent finir,
Ordonne leur, Seigneur, de ne finir qu’ensemble.

[Madrigaux] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 103-105.

Voicy un Madrigal qui fut envoyé à Mr le Marquis de … par Mr Dader, le jour de la Feste de Saint Paulin, dont ce Marquis porte le nom.

Un jeune homme autrefois réduit à l’esclavage,
 Dans ses fers craignoit d’expirer ;
Saint Paulinrempli de courage
 Se vendit pour l’en délivrer.
Contre moy vainement le sort forme un orage,
 Ce grand Saint est vostre Patron.
 Vous avez son zéle & son nom,
 Vous me sauverez du naufrage.

Si vous n’aviez pas déja vû divers Ouvrages de Mr Dader, les Vers qui suivent suffiroient pour vous apprendre combien on estime le talent qu’il a pour la Poësie.

A MONSIEUR DADER.

 Sans contredit, Monsieur Dader,
De tous les Madrigaux les plus beaux sont les vostres ;
Ainsi que l’or est au dessus du fer
 Vos Vers sont au dessus des autres.
 Cheri du divin Apollon
Pour vous rien n’est caché dans le sacré Vallon,
Et vous pouvez sans péril & sans peine
  Puiser de l’eau de l’Hippocrene,
  Tandis que les sçavantes Sœurs
Repoussent ce fatras de Versificateurs.
Que n’ont-ils comme vous, tant d’heureux avantages !
On verroit beaucoup moins d’impertinens Auteurs
 Et beaucoup plus de beaux Ouvrages.

[Avis à un libertin] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 105-108.

L’Auteur de ces Vers ne m’est connu que sous le nom du Perroquet des Sevennes. Cependant il ne parle pas comme ces Oiseaux, c’est-à-dire sans sçavoir ce qu’il dit, lorsque par ces autres Vers, il veut faire rentrer le libertin dans la contemplation de sa misere.

Toy, qui pendant le cours de ta prosperité,
Méprises du Seigneur la puissance suprême,
 Et ne rapportes qu’à toy-même.
 Ta fragile felicité :
Mortel, voy quelle est ta misere,
Au milieu des plaisirs, des biens, & des honneurs,
 Et s’il t’est permis, considere,
 Pour te guerir de tes erreurs,
 Que de ton corps réduit en pourriture,
Les Vers feront leur nourriture :
 Et qu’un même coup de ciseau
Terminant à la fois & tes jours & tes crimes ;
 Mettra le corps dans le tombeau,
Et precipitera l’ame dans les abîmes.
Assez & trop longtemps par tes dereglemens,
On t’a vû meriter le plus rude supplice.
Honteux de tes forfaits, plein d’horreur pour le vice,
 Reviens de tes égaremens ;
De ton divin Sauveur, suy les Commandemens,
Et pour te dérober aux coups de sa justice,
 Te confiant en sa sainte bonté,
Ne regle tes desseins que par sa volonté.
Par aucun fol espoir ne te laisse séduire,
Et de tout autre soin l’esprit débarassé,
Songe que l’avenir peut à peine suffire,
 Pour expier les fautes du passé.

[Epigramme] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 108-109.

Aprés tant d’Ouvrages serieux, il faut vous divertir par une Epigramme sur une vieille avanture.

Certain Maistre à chanter, sans souliers & sans bas,
Sans culote, surtout, on voyoit son derriere.
 (Cette remarque est necessaire.)
 Or ce Quidam, que je ne nomme pas,
Vint un jour à Lulli demander la passade.
Je chanteray, dit-il, tout ce qu’il vous plaira,
  Basse, Dessus, & cætera.
Jamais le Grand Gautier ne me fera bravade
  Pour le fredon & la roulade.
De ma voix en un mot je fais ce que je veux :
Comment, répond Lulli, qui m’a donné ce Gueux !
  Dequoy te servent donc les Nottes ?
 Si de ta voix tu fais ce que tu veux,
  Que ne t’en fais-tu des culottes ?

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 109-110.

Mademoiselle Lheritier a fait les Vers que je vous envoye gravez. L'Air est de Mr de Collignon. C'est un jeune homme, dont les compositions en Musique, sont fort approuvées des Connoisseurs. Il fait des Concerts chez luy, & il se trouve toûjours dans ces Assemblées, grand nombre de personnes de distinction.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Printemps, dont la belle verdure, doit regarder la page 110.
Printemps, dont la belle verdure
Ranime toute la Nature,
Que j'aime ton charmant retour.
Ah, qu'un cœur goûte bien tes charmes,
Quand il ne sent point les allarmes
Que donne le cruel Amour !
J'entens en vain dans ces boccages
Vanter ses feux & ses tendres desirs
Printemps, tes fleurs & tes ombrages
Font les plus doux de mes plaisirs.
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[Ouvrages de Musique] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 169-170.

On trouve chez le Sr Roussel les Pieces à deux, Basse de Viole, & Basse de Violon, composées par Mr Philidor, l’aîné, Ordinaire de la Musique du Roy, & l’un des deux Gardiens des Livres de Musique de Sa Majesté.

L’on y trouve aussi plusieurs Motets de Mr Marchand, Organiste du Roy, & Ordinaire de sa Musique, avec les Pieces de Viole de Mr Denyau, & un livre de Trio pour le Violon, le Hautbois, & la Flûte.

[Sonnet] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 170-173.

Voicy encore un Sonnet sur les Bouts-rimez de Mrs les Lanternistes. Il est de celuy qui depuis long-temps prend le nom de Tamiriste, que vous voyez dans la pluspart de mes Lettres.

A LA GLOIRE DU ROY.

Nous respirons enfin, & la paisible olive,
Couronne deLouismille faits éclatans ;
Mais de ce Roy si grand, la prudence en tout temps,
Veillant à nos besoins, n’en est pas moins active.
***
Aux ordres de son Dieu sa sagesse attentive
Cherche à rendre aujourd’huy tous ses Peuples contens ;
Il luy suffit d’avoir foudroyé les Titans,
Luy-même, en se vainquant, rend sa valeur captive.
***
Le Paysan en paix cueille en toute saison,
Les fruits que son travail produit sur l’horison ;
Pour le Commerce, il n’est ny terme, ny barriere.
***
Aprés tant de grandeur qu’il a sçu soûtenir.
Que luy reste-t-il plus qu’à fournir sa carriere,
Pour joüir dans le Ciel des biens de l’ avenir.

PRIERE POUR LE ROY.

 D’un Roy d’une vertu si pure
Conservez-nous, Seigneur, les jours tres-precieux.
Qu’il joüisse long-temps du bien qu’il nous procure,
Pour en trouver ensuite un plus grand dans les Cieux.

[Mort de Mr Bertherand de l’Académie Royale de Soissons]* §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 174-182.

L’Academie Royale de Soissons a perdu Mr Bertherand, Receveur General des Gabelles, ancien President & Bailly de ce Comté. Il mourut en la ville de Soissons le 30. du mois passé, aprés avoir reçû deux fois en peu de jours les Sacremens de l’Eglise avec une pieté exemplaire, & avoir souffert des operations tres-douloureuses avec une fermeté heroïque, une tranquilité d’esprit qui alloit presque jusqu’à la gayeté, & une soumission parfaite à la volonté de Dieu. Il estoit d’une bonne & ancienne famille originaire de la Ferté Millon, & avoit succedé à Mr son Pere, homme d’esprit & de merite, dans les Charges de President & de Bailly du Comté. Il laisse de défunte Dame Madelaine Joisel son Epouse, un fils unique digne de lui, Tresorier de France au Bureau des Finances de Soissons. Sa mort a esté pleurée comme une perte publique. L’Academie le regretera toûjours comme un de ses principaux ornemens, & n’oubliera jamais qu’il avoit contribué autant que personne à son établissement, & lui avoit attiré l’estime & l’amitié glorieuse du celebre Olivier Patru. Ces circonstances se lisent dans l’histoire de cette Compagnie, écrite en Latin avec une pureté digne du siecle d’Auguste par le sçavant Mr de Hericourt ; & dans l’histoire de Soissons. Quoy que Mr Bertherand eût un talent fort heureux pour la Poësie, & qu’il ait fait beaucoup de Vers tres-agreables, on n’a rien d’imprimé de lui qu’une petite Piece fort ingenieuse, intitulée le Ballet de la Comete ; & le Portrait d’Armande de Lorraine d’Harcourt, Abbesse de Notre Dame de Soissons. Voicy le sien au naturel. Il fut envoyé avec un Almanac, le premier jour de l’année 1698. par un de ses Confreres, qui estoit encore jeune alors, mais qui avoit déja beaucoup de part à son amitié & à sa confiance ; à qui sa memoire sera toûjours précieuse ; & qui pourra quelque jour faire part au public de ses ouvrages, dont il est dépositaire.

L’ALMANAC.
ETRENNES.
Mr BERTHERAND de l’Academie Royale de Soissons.

Avoir l’esprit aisé, le cœur droit, l’ame belle ;
 Penser, parler, écrire finement ;
Vivre d’une maniere, & simple, & naturelle.
Pour les autres, pour soy toûjours Commodément ;
 Faire des vers avec la même grace,
Que, s’il fût né François, en eût pû faire Horace ;
Se servir noblement du bien de ses Ayeux ;
Estre dans ses emplois exact, religieux ;
 Estre bon Maître, tendre Pere,
 Fidelle Ami, Parent officieux ;
En conversation, en plaisir, en affaire,
Partout soûtenir, & partout sçavoir plaire,
Estre estimé, cheri de ses Superieurs
 De ses égaux, de ses inferieurs
Ennemi déclaré de la sombre tristesse,
Par des airs toûjours gais, gracieux, & galans
Montrer qu’on ne craint point les injures des ans ;
N’avoir de vray defaut qu’un peu trop de paresse
 A cultiver les précieux talens
 Qu’on a reçus avec largesse ;
Pour se cacher avoir la même ardeur
 Que les autres ont pour paroître :
Clidamis à ces traits peut bien se reconnoître,
 Mon Almanach n’est point menteur.

Mr Bertherand répondit à ces vers par une lettre tres-polie & tres-modeste, dans laquelle il employa ce Quatrain.

Vous flatez trop vos amis,
Et vous avez tort de faire
Du bon homme Clidamis,
Un Heros imaginaire.

[Pegase jaloux au Superlicocantieux] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 207-216.

Vous n’êtes pas la seule qui ayez approuvé la Requeste du Superlicocantieux. Toutes les personnes de bon goust luy ont donné des louanges, & Mr l’Abbé de Vertron a esté du nombre. Voicy ce qu’il a écrit là-dessus à l’Auteur.

A MONSIEUR DE B ***
L’un des Valets de Chambre
du Roy.

J’Ay lû avec tant de plaisir, Monsieur, les jolis vers, qu’on nous a donnez de vôtre façon dans le Mercure precedent, que je n’ay pû résister à la tentation d’y répondre. Votre Superlicocantieux y parle trop bien le langage des Muses, pour ne pas mériter d’être mis aux prises, avec Pegase. J’affecte mesme de donner un caractere jaloux à ce dernier, & je ne pouvois, ce me semble, vous mieux exprimer les sentimens que j’ay sur votre ingenieuse requeste, qu’en faisant voir que sa beauté avoit allarmé nôtre cheval aisé, à qui le Parnasse doit la naissance d’Hippocrene. Je sçay bien, qu’étant aussi fier qu’il est, il me sçaura mauvais gré, de ne l’avoir fait entrer en lice qu’à sa confusion. Comme c’est toûjours le maître qui fait la bonté du cheval, la honte de sa défaite retombera sur moy, & la gloire du triomphe du Superlicocantieux vous appartiendra toute entiere. Je n’ay garde de vous rien disputer, & je ne rime ici que pour vous marquer une partie de l’estime que j’ay pour vous, en qualité de vôtre, &c.

PEGASE JALOUX,
AU SUPERLICOCANTIEUX.

Depuis quand sur mes droits ose-t-on entreprendre ?
Quoi ? Superlicocantieux.
Tu parles, comme moy, le langage des Dieux !
 Et quel Maître a pû te l’apprendre ?
 Le grand Appollon que je sers,
Autrefois me tira du rang des autres bestes,
Pour chanter ma partie en ses divins concerts ;
 Hanny, si tu veux, des Requestes,
 C’est à moy de hannir des Vers.
***
Tout Cheval que je suis, j’ay l’ame un peu hautaine,
Et ne sçaurois souffrir de me voir copié,
 Moy, qui jadis d’un coup de pié
 Fis sortir la riche Fontaine
 Qui porte le nom d’Hippocrene.
 Oh ! ne fais point le Fanfaron,
 Et parle sur un autre ton,
 Si tu ne veux que je t’écrase.
Va rimer, s’il le faut, sur le Mont Cytheron
 Sur Pelion, ou sur Caucase,
 Et ne crois pas que l’Helicon
 Reconnoisse plus d’un Pegase.
***
Tu dis qu’au Petit-fils du plus puissant des Rois
 Tu fus assez cher autrefois ;
Sans doute cet honneur t’enhardit à la rime ;
 Mais, sur ma foy, je n’en croy rien,
 Et ce Heros marque si bien,
 Quelle fut pour toy son estime,
 Qu’à te parler icy sans fard
Je ne te crois pas un Bayard.
Pour croire qu’autrefois tu fus cher à ton Maistre,
 Je voudrois que jusqu’aujourd’huy
 Il t’eust jugé digne de luy,
C’est en te conservant, qu’il me l’eust fait connoistre.
***
 Vit-on jamais les Paladins
Donner les Bridedors, les Bayards, les Frontins ?
Jusque-là les Heros ont l’ame liberale.
Qui fut plus genereux qu’Alexandre le Grand ?
 A-t-on dit que ce Conquerant
Ait jamais donné Bucephale ?
Croy-moy, mon pauvre amy, tu n’es qu’un Palefroy,
 Ne hanny plus que de la Prose ;
Ton Maistre connut bien, se défaisant de toy,
 Que tu ne valois pas grand’ chose.
***
 J’admire ton ambition,
 Tout enyvré de ton merite,
Tu voudrois te troquer contre une Pension,
 Ta Requeste la sollicite,
 Et c’est encor ce qui m’irrite.
Ne cesseras-tu point de courir sur mes droits ?
Quoy ? tu deviendras donc ma copie éternelle ?
 C’est le plus beau de mes emplois,
Et je ne puis souffrir cette insulte nouvelle.
Presenter un Placet, poursuivre Pension,
 Brevet, Gratification,
 C’est un employ qui me regarde,
 Et qu’on ne peut me disputer.
Il est vray, qu’aujourdhuy j’ay beau solliciter,
Contre mon estocade on est toûjours en garde,
Et depuis certain temps j’y réüssis si mal,
 Que je n’y suis qu’un franc Cheval,
 Et de plus, Cheval de carosse,
 Si tu comprens ce compliment,
 C’est te dire tacitement,
 Que tu n’y serois qu’une Rosse.
 Ainsi prens un autre parti,
 C’est le conseil d’un bon Ami,
 La mode des Vers est passée ;
Je veux te faire part d’une bonne pensée.
 Ton Maistre est brave, je le sçay ;
 Veux-tu faire chose qui vaille ?
Fay qu’il voye avec toy la premiere Bataille,
Où ton jeune Heros fera son coup d’essay.
 Je luy garantis la victoire,
 Et même je ne doute pas
 Que ton Maistre, en suivant ses pas,
 Ne puisse avoir part à sa gloire.
Sur tout, je répondrois du succés de ses vœux,
 Si quelque noble cicatrice
 Luy faisoit foy de son service.
Le conseil est fort bon, mais un peu dangereux,
(Diras-tu) je connois que tu n’es pas si beste,
 Et j’aime ta reflexion ;
Mais enfin il n’est point de plus forte Requeste,
 Pour solliciter Pension,
 Qu’un coup de mousquet dans la teste.
Si ce coup glorieux à ton Maistre est fatal
Du moins la Pension sera pour le cheval.

[Prix des Bouts-rimez emporté à Toulouse] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 223-227.

Voicy ce que Mrs. les Lanternistes de Toulouse ont fait imprimer sur le prix qu’ils ont donné cette année.

C’est Mr l’Abbé de Poissy qui a remporté le Prix. Son nom est connu parmi les gens de Lettres, & l’on sçait que cet ingenieux Auteur a des talens singuliers pour les beaux Arts. Son Sonnet, sans faire tort au merite d’un grand nombre de concurrens, est d’une délicatesse distinguée. Chacun s’est signalé dans l’agréable carriere des Bouts Rimez, & tous generalement ont donné dans les mêmes sentimens & dans les mêmes pensées touchant la Paix ; tant il est vray que tous les esprits & tous les cœurs s’accordent à loüer l’auguste Heros qui nous l’a si avantageusement procurée.

SONNET AU ROY.

Le Laurier a pour Toy moins d’attraits que l’ olive,
La Paix devient le prix de tes faits éclatans ;
Tes Ennemis vaincus en tous lieux, en tout temps,
Ont gémi sous le poids de ta valeur active.
***
Tu prestes à leurs cris une Oreille attentive
Et ta clemence cherche à les rendre contens ;
Loin de les foudroyer, ces orgueilleux Titans,
Tu rens en leur faveur ta puissance captive.
***
L’Orage est dissipé ; quelle heureuse saison !
Le calme des beaux jours regne sur l’horison ;
Ton bras du Champ de Mars a fermé la barriere.
***
Armer contre l’Europe, attaquer, soûtenir,
Et se vaincre au milieu d’une auguste carriere,
Seul, tu l’as fait, Grand Roy, qu’en croira l’ avenir ?

PRIERE A DIEU.
pour le Roy.

Seigneur, exauce les souhaits
Qu’adressent vers le Ciel de fidelles Sujets.
Que Louis sans cesse prospere,
Et regne assez longtemps pour se voir sept fois Pere.

[Service à Toulouse pour Monsieur Boucherat]* §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 229-233.

Mrs de l’Academie des Jeux Floreaux de Toulouse ont rendu les derniers devoirs à la memoire de M. Boucherat, Chancelier de France, à qui ils doivent le rétablissement de leur Academie. Il en a été le premier Protecteur, & il luy a procuré l’honneur d’être à l’avenir sous la protection de Mrs. les Chanceliers de France ses successeurs. Ceux qui composent cet illustre Corps firent faire le 19. du mois passé un Service dans la vaste & magnifique Chapelle de Nôtre-Dame du Mont Carmel, bâtie par Mr Malepoire, Magistrat Presidial de cette Ville, l’un des Academiciens, & affectée à l’Academie. On avoit pris soin de la tapisser de noir du haut de la voûte jusqu’en bas. Des Litres de Velours noir regnoient autour de cette Chapelle, chargées des Armoiries de Mr le Chancelier. Sous le Dome de la Chapelle étoit placé un Lit ou un Dais de Velour noir, élevé sur une Estrade à plusieurs marches, sous lequel on voyoit une Representation accompagnée de toutes les marques de la dignité de Chancelier & qui étoit entourée d’un grand nombre de Bougies. Les Ecussons étoient semez de tous côtez, & rien ne manquoit pour la décoration à cette lugubre ceremonie. La Messe fut celebrée solemnellement par Mr Compain, Chanoine de l’Eglise Cathédrale St. Etienne, l’un des Academiciens, & chantée par une tres belle Musique. L’Oraison Funebre fut prononcée par Mr l’Abbé d’Auterive, Chancelier de l’Université de Toulouse, un des Academiciens. Elle répondit à la grandeur du sujet, & reçut un applaudissement general. Toutes les Compagnies avoient été invitées à ce Service par Mrs. de l’Academie. Mrs. du Parlement, les Trésoriers de France, les Officiers du Senechal & Presidial, l’Université, les Capitouls, y assisterent en Corps, & toutes les personnes qui tiennent quelque rang dans la ville de Toulouse ne manquerent pas de s’y trouver. La ceremonie se fit sans confusion, & avec beaucoup d’ordre par les précautions que l’on avoit prises d’éloigner la grande foule de peuple, que la curiosité y attiroit de toute parts.

[Saint Evremoniana] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 233-236.

Le Sr. Michel Brunet, Libraire dans la Grande Salle du Palais au Mercure Galant, vient de donner au Public un Livre nouveau sous le titre de Saint-Evremoniana. C’est un recueil de plusieurs choses que quelques personnes se sont souvenuës d’avoir oüy dire autrefois à Mr de S. Evremons. Quoyque cet Ouvrage contienne diverses choses galantes, on n’y en trouve aucune qui ne soit honnête, & qui ne puisse être lûë par ceux qui sont les plus scrupuleux. L’Auteur en les assemblant n’a eu autre dessein que de faire voir qu’on peut écrire des Livres de cette espece meslez de choses curieuses & de galanteries, sans y employer un mot dont la vertu puisse être blessée. On peut dire même que ces sortes de lectures ont leur utilité. Les matieres traitées par principes & par raisonnement, sont excellentes pour une étude solide, & pour se remplir des sciences dont chacun a besoin dans son état ; mais aprés ces applications longues & penibles, on n’est pas fâché de trouver quelquefois sous sa main un petit Livre qui en délassant le Lecteur le puisse faire souvenir de certains devoirs qui regardent la societé, la droiture du cœur & même le respect qu’on doit à la Religion. C’est à quoy est propre le Saint Evremoniana dont je vous parle.

[Feste à Soissons] §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 236-242.

On a fait une maniere de Feste à Soissons pour la reception des Arquebusiers de Meaux. Une Compagnie composée de jeunes gens les mieux faits & des meilleures familles, biens montez & en habits magnifiques, allerent les recevoir à une lieuë de cette premiere Ville. Les Arquebusiers de Soissons en habit uniforme, & tous sur des Chevaux de prix, les joignirent un moment aprés. Les civilitez ordinaires finies, ces trois troupes marcherent sur trois files, les Arquebusiers de Soissons à la droite, & la Compagnie de la Jeunesse à la gauche. Celle de Meaux étoit au milieu, & sembloit être conduite dans la Ville comme en triomphe. On y voyoit les prix qu’elle a remportez, & le Bouquet magnifique que tant d’autres Villes avoient desiré inutilement, étoit porté par quatre hommes. Les Tambours, les Hautbois, les Violons, les Timbales & les Trompettes, se répondant les uns aux autres, faisoient une harmonie de sons differens qui avoit quelque chose d’agréable & de surprenant. On trouva à la porte du Capitaine de l’Arquebuse un regale pour se rafraîchir en passant, & une fontaine de vin y réjoüit & y arrêta long-temps le menu Peuple. On alla ensuite se montrer chez Mr l’Intendant, à l’Evêché & à l’Abbaïe de Nôtre-Dame, & aprés toutes ces visites, la Compagnie de Meaux fut conduite dans les lieux qui lui avoient été destinez. Elle se rendit le soir dans la grande Salle de l’Arquebuse où elle avoit été invitée à souper. La Table en fer-à-Cheval de soixante couverts donna moyen à tous ceux qui la composoient d’être bien placez. On y servit tout ce qu’on avoit pû trouver de meilleur pour la saison, & les santez des personnes distinguées fûrent buës au bruit de l’Artillerie placée sur le Cavalier qui est au bout du Jardin. Les Hautbois, les Timbales & les Trompettes se faisoient entendre dans le même temps, & n’excitoient pas peu à la joye. En sortant de Table, on donna des bouteilles & des verres aux jeunes gens, & ils allerent avec ces armes faire la ronde autour du Jardin, invitant les hommes à boire, & les Dames à embellir le bal par leur presence. Cependant plusieurs fusées volantes firent oüir dans des airs un petit tonnerre qui ne déplut pas. Un Soleil parut au milieu de la nuit sur le haut du Cavalier & fit longtemps un tres bel effet. Au lieu d’eau de la Fontaine qui est au milieu de ce Jardin, parut un grosse gerbe de feu qui faisoit un nouveau jour. Une partie de la Ville s’y étoit renduë pour prendre part à ce divertissement. Ainsi toutes les allées pouvoient se remplir de monde, le bal dura presque jusqu’au jour, & il y eut des rafraîchissemens de toutes sortes ; mais les hommes s’en tinrent au bon vin de Reims qui ne manqua point. Ainsi Mrs les Arquebusiers de Meaux eurent tout sujet d’être contens de la reception qui leur fut faite.

[Visite de la duchesse de Bourgogne à Arcueil]* §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 242-252.

Le premier de ce mois Madame la D. de Bourgogne alla à Arcüeil chez Madame la Princesse d’Harcourt qui l’y avoit invitée, & qui l’y reçut avec de grands temoignages de respect, de reconnoissance & de joye. Elle n’oublia rien pour rendre complette la Fête qu’elle luy avoit préparée. Elle fit trouver entre le Bourg-la-Reine & Arcüeil des Trompettes & des Timbales de sa livrée, qui précederent le Carosse du Corps de Madame la Duchesse de Bourgogne jusque dans sa maison, prés de laquelle tous les habitans du Bourg étoient rangez sous les armes. Elle attendit dans sa Cour Madame la Duchesse de Bourgogne à la descente de son Carosse, & la conduisit dans tous les Appartemens, qui sont nombreux & tres-propres. Elle lui fit remarquer la situation de cette maison, qui touche à l’Aqueduc, & qui, comme luy, a esté bâtie par la Reine Marie de Medicis. Madame la Duchesse de Bourgogne fut aussi surprise que les personnes de sa suite, qui n’y avoient jamais esté, de trouver de beaux Jardins, embellis de de Fontaines jallissantes, de plein pied à chaque étage. Je ne parle point du Rez de chaussée ; il est à présumer qu’il n’en manque pas. L’on admira au premier étage un grand Sallon plus long que large, terminé par une longue allée en berceau, que finit une Grotte d’où sort continuellement de l’eau en abondance. De l’un des Appartemens du second étage, Madame la Princesse d’Harcourt fit entrer Madame la Duchesse de Bourgogne dans une Allée fort sombre, au milieu de laquelle elle avoit fait placer un Fauteüil pour cette Princesse, & des Sieges à droite & à gauche pour les Dames de sa suite. A peine la Compagnie fut assise qu’on vit avancer par le bout de l’Allée qui lui étoit opposé une troupe de Dieux champêtres conduits par le Dieu Pan, dont les uns joüoient du Haut bois, & les autres dansoient de fort bonne grace, & lors que cette Troupe fut arrivée à certaine distance, les Dieux dansans firent deux Entrées fort agreables. Le Sr Bastaron, ordinaire de la Musique du Roy, qui representoit le Dieu Pan, chanta quelques recits en l’honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne. Derriere ces Faunes, parurent deux jeunes Bergers, la houlette à la main, & tres-galamment vêtus ; mais ils resterent toûjours assez loin, & ne danserent point. Ensuite ces Divinitez se retirerent en arriere dans le même ordre, & en cadence comme elles étoient arrivées, & disparurent au bout de l’Allée. Alors Madame la Princesse d’Harcourt conduisit Madame la Duchesse de Bourgogne dans des Jardins encore plus hauts, ou, au pied d’un grand corps de logis qui est de la dépendance de la maison, elle la fit entrer dans l’Aqueduc, & luy fit voir la source qui fournit d’eau à tant de Fontaines de Paris. Madame la Duchesse de Bourgogne n’y demeura pas long temps à cause de la trop grande fraîcheur, & s’étant assise sur un banc dans un allée voisine, elle vit paroître la Troupe des Divinitez champêtres pour la seconde fois. Pan y chanta de nouveaux recits, & les Danseurs y firent des Entrées nouvelles. Les deux jeunes Bergers y furent vûs de plus prés que la premiere fois, & furent reconnus pour les Princes Fils de Madame la Princesse d’Harcourt. Ils danserent l’un & l’autre avec toute la noblesse & tout l’agrément possible, & eurent l’honneur de saluer Madame la Duchesse de Bourgogne comme des Princes de leur sang. Aprés cette Feste, la compagnie retourna à la maison, & comme il estoit encore de bonne heure, l’on apporta une grande table & l’on fit une reprise de Lansquenet dans le Sallon du premier étage. L’on y servit avant que de commencer le jeu, une grande colation, & l’on y aporta pendant toute la reprise, des liqueurs & des glaces à profusion. Madame la Duchesse de Bourgogne quitta le jeu sur les sept heures, & se promena jusqu’à neuf heures dans les Jardins hauts. L’on servit le souper dans le mesme Sallon parfaitement éclairé. Toutes les Dames se mirent à table avec Madame la Duchesse de Bourgogne. Le repas fut tres-grand & fort delicat, & se passa au bruit des fanfares des Trompettes qui étoient dans le jardin. Tous les gens de la suite de Madame la Duchesse de Bourgogne, les Gardes & la livrée furent traitez à diverses tables magnifiquement. Lors que cette Princesse eut soupé elle fit dans le mesme lieu une seconde reprise de Lansquenet qui dura jusqu’à onze heures, & quand elle fut finie & qu’on eut ôté la table du jeu, les Hautsbois & les Danseurs parurent pour la troisiéme fois, & les derniers firent des merveilles à l’envi l’un de l’autre, ce qui n’est pas difficile à croire, puis que c’étoit l’élite des danseurs de l’Opera. Les Hautsbois étoient les Philidors & leurs camarades, qui sans contredit sont les meilleurs qu’il y ait en France. Aprés ce petit Ballet, l’on commença un Bal, où les jeunes Princes eurent l’honneur de danser avec Madame la Duchesse de Bourgogne, qui partit d’Arcüeil à minuit & demi, fort contente de la reception de Madame la Princesse d’Harcourt & des soins qu’elle avoit pris pour la divertir & pour la bien régaler. Elle l’en remercia plus d’une fois avant que de partir. Les Trompettes & les Timbales precederent le carosse de Madame la Duchesse de Bourgogne jusqu’au Bourg la Reine.

[Divertissements pour le Dauphin à Saint-Maur]* §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 265-281.

Monseigneur le Dauphin ayant résolu de prendre le divertissement de la chasse au Loup aux environs de Saint Maur, & d’aller coucher au Château qui appartient à S.A.S. Monsieur le Duc, ce Prince arriva le 18. de ce mois d’assez bonne heure pour se promener dans tous les jardins, que S.A.S. avoit fait orner pendant cinq jours de tout ce qui pouvoit les rendre plus agreables, & les embellir. On y avoit travaillé avec tant de diligence, que pendant ce court espace de cinq jours on vint à bout de faire jaillir de nouvelles Fontaines, dans des Bassins nouveaux. Ce lieu est dans une des plus belles situations de France, à cause des differentes veuës qui sont formées par des Plaines, & des Costeaux, par un Parc d’une étenduë extraordinaire, & par la Riviere qui sert de Canal à cette belle Maison.

Ceux qui composoient la Cour de Monseigneur, estoient

Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Monsieur le Duc de Chartres.

Monsieur le Duc.

Monsieur le Prince de Conty.

Mr le Comte de Toulouse.

Mr le Grand Prieur.

Mr le Duc de Grammont.

Mr le Comte de Brionne.

Mr le Duc de la Rocheguyon.

Mr de Liancourt.

Mr le Duc de Villeroy.

Mr le Duc de Rocquelaure.

Mr de Matignon.

Mr le Comte d’Estrées.

Mr le Duc de Luxembourg.

Mr le Marquis d’Antin.

Mr le Duc de la Feuillade.

Mr le Comte de Fiesque.

Mr le Comte de Roussy.

Mr le Comte de sainte Maure.

Mr le Marquis d’Urfé.

Mr le Comte de Chemerault.

Mr le Marquis de la Valliere.

Mr le Marquis d’O.

Mr le Marquis de Livry.

Il y avoit outre ces Seigneurs une infinité de personnes que la curiosité avoit attirées en ce lieu-là. On y remarqua tous ceux qui ont des maisons dans le Village, qui se faisoient un plaisir sensible de l’honneur de voir Monseigneur. Ce Prince se promena dans tous les jardins, & on eut grand soin pendant la promenade de le détourner du lieu, où Monsieur le Duc avoit fait preparer un divertissement ; mais à peine la nuit eut elle commencé, qu’on le fit entrer dans un Bosquet où il y avoit un theatre de jardin. Toutes les grandes allées qui y conduisoient estoient illuminées. Il y avoit dans le milieu de la plus grande Allée une Fontaine dont le Bassin étoit d’environ vingt toises de diamettre. Cette allée estoit bornée d’une grille illuminée par des Lampes qui formoient la grille, & la faisoient paroître en feu. Cette allée communique au Theatre, lequel est grand, & bien proportionné. Il y a une maniere de Parterre, & des Amphiteatres formez de plusieurs gradins redoublez, separez par des tablettes de pierres de taille avec des gazons, de la charmille, & des Arbres qui en désignent les plans. Ce Theatre est élevé de trois pieds. Il a deux Escaliers aux deux côtez. La face est de quinze toises sur quarante trois de long. La décoration est formée par des Maronniers, & de la Charmille dans sa proportion necessaire pour former un Theatre agreable. On avoit placé sur ce Theatre, afin d’en augmenter la beauté, de tres-beaux Orangers entre deux Maronniers, & des figures en maniere de termes sur des Piedestaux au devant de chaque Maronnier. Chaque figure portoit une girandole dorée à six branches garnies de bougies. Dans l’éloignement estoit une Nape d’eau qui provenoit de celle que jettoit un Dauphin dans une coquille, & qui retomboit dans un Bassin soutenu par un grand Piédestal. Deux figures soutenoient la coquille, avec des festons de Roseaux. Ces deux figures representoient les fleuves de la Marne, & de la Seine. Il y avoit sur la hauteur une figure representant la Déesse Flore. Tous les Piedestaux, & les quaisses des Orangers, estoient peints en Porcelaines, & ornez des chifres, & des Armes de Monseigneur, & de festons de fleurs. Le Theatre estoit bordé de quatre-vingt vases de Fayence remplis de Lauriers rose. Toutes les Statues, ainsi que les Piedestaux, les quaisses d’Oranger & les Arcades, estoient remplies de Lampes par derriere, & ces Lampes répandoient par tout le Theatre une lumiere vive sans qu’on pust voir d’où elle venoit, celle des Girandoles que portoient les termes ne pouvant produire cet effet. A peine Monseigneur fut il assis, que le Dieu Pan parut au fond du Theatre, & fut amené dans un Char de feuillée traîné par des Satires. Ce Char étoit accompagné d’autres Satires jouant du Hautbois, & d’autres qui tenoient des festons attachez au Char. Plusieurs autres Satires dançoient, & tous ensemble formoient une marche tres-agreable. Le sieur Ballon representoit le Dieu Pan. Voici ce qui fut chanté pour le Roy.

 LOUIS a desarmé Bellonne.
Sur ce Trône de gloire où la Paix le couronne.
Sans peine il suffit seul à regir l’Univers,
Et nous laisse joüir du repos qu’il nous donne.
Dans ce loisir tranquille écoutez nos concerts.
 Reposez-vous sous nos ombrages verds.

Un Faune chanta ensuite ces Vers à la gloire de Monseigneur.

Vous avez sur le Rhin fait voler la Victoire,
Digne Fils du plus grand des Rois.
  Plus d’une fois
 Les rayons de vostre gloire
 Ont éclairé la Forest Noire.

Les Faunes & les Sylvains ajoûtérent.

Mais doit-on moins loüer dans le sein du repos
Les charmantes vertus d’un aimable Heros ?
Qu’il est beau, qu’il est rare en la vive jeunesse
 De commander à ses desirs,
De sçavoir éviter dans ces heureux loisirs
La superbe licence, & l’oisive mollesse,
D’estre en un rang suprême entouré de plaisirs,
 Et n’en éprouver point l’yvresse !
Qu’il est beau, qu’il est rare en la vive jeunesse
 De commander à ses desirs !

La Musique de ce divertissement a été faite par Mr Colasse, l’un des quatre Maîtres de Musique de la Chapelle du Roy, & les entrées sont du Sieur Pecourt. Tout ce qui regarde le Theatre, l’illumination, & la décoration a été inventé par Mr Berain qui eut charge du soin de l’executer. Aprés le divertissement, Monseigneur revint au Château, où l’on servit un souper avec toute la magnificence, la profusion & la politesse possible. Sur la fin de ce repas, on entendit des Haut bois, & l’on vit aussitost paroître le Dieu des Eaux qui accompagnoit le Dieu de la Marne, representé par le Sieur de la Torilliere. Ce dernier invita Monseigneur à venir visiter ses eaux, & luy dit qu’il luy avoit préparé un divertissement. Monseigneur les suivit, & descendit par le grand Escalier du Jardin, éclairé par les flambeaux que tenoient ces deux Divinitez. Ce Prince trouva des sieges sur la terrasse, & vit de ce lieu un fort beau Feu d’Artifice qui dura environ trois quarts d’heure. Ce Feu étoit sur deux grands Bateaux qui combatoient l’un contre l’autre, & qui paroissant vainqueurs, & vaincus tour à tour, donnerent beaucoup de plaisir aux spectateurs. Ce Dieu des Eaux, & celuy de la Marne, reconduisirent Monseigneur au Château en l’éclairant toûjours. Je ne vous dis point qu’il y eut plusieurs tables servies, tant pour ceux qui ne purent avoir place à la table de Monseigneur, que pour toutes les personnes de distinction qui se trouverent à cette Fête, & pour tous ceux qui avoient contribué aux divertissemens. Quand la maison de Condé se mêle d’une Fête, tout Paris s’y trouveroit qu’on n’y manqueroit de rien. Monsieur le Duc avoit retenu des Chambres dans toutes les principales maisons du Village, & ce Prince y faisoit même servir des tables. On alla à la Chasse le lendemain Lundy & le Mardy suivant, & pendant tout le temps que Monseigneur a bien voulu passer à S. Maur, la table de ce Prince à été servie avec la même magnificence, & toutes les autres à proportion.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1700 [tome 7], p. 300-301.

Voicy une seconde Chanson dont Mademoiselle Lheritier a fait les paroles. Mr de Colignon les a encore mises en air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, L'agreable Printemps fait regner les Zephirs, doit regarder la page 300.
L'Agreable Printemps fait regner les Zéphirs,
Il ramene tous les plaisir[s],
Nos Plaines, & nos Bois brillent de mille charmes,
Mais que tout cet éclat me coûte de douleurs !
Ah, les beaux jours m'ostent malgré mes larmes
La beauté qui charme mon cœur.
Le Printemps n'est pour moy qu'un Hiver plein d'horreur.
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