1700

Mercure galant, août 1700 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1700 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1700 [tome 8]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 5-9.

Quoy qu’il n’y ait qu’un Ouvrage qui puisse remporter le Prix dans chaque sujet que proposent les Academies, beaucoup de ceux qui entrent en concurrence, ne laissent pas d’avoir de grandes beautez. Cela est si vray, qu’il arrive fort souvent que les suffrages demeurent longtemps balancez entre plusieurs Pieces, qu’on trouve également belles, en sorte que l’on peut dire que l’Ouvrage à qui le Prix est donné, n’est préferé quelquefois, que parce que l’un des Juges, aprés avoir esté longtemps incertain, fait enfin pencher la balance d’un costé. Si ce que je dis est ordinaire, il l’est encore davantage, lors que les matieres regardent le Roy, parce que les grandes actions de ce Monarque fournissent beaucoup de pensées qui se ressemblent. C’est ce qui est cause que vous ayant envoyé le mois passé, le Sonnet qui a merité le Prix des Bouts rimez de Toulouse, & dont le sujet estoit la Paix, je vous en envoye encore un sur cette même matiere.

Graces au grand LOUIS nous possedons l’ Olive,
C’est l’agreable fruit de ses faits éclatans.
Son nom sera fameux jusques aux derniers temps,
La Paix estant l’effet de sa valeur active.
***
La Ligue au desespoir, & la France attentive,
Voyoit tous ces succés qui nous rendoient contens.
Elle voyoit tomber ces orgueilleux Titans,
Qui pensoient s’élever, & la rendre captive.
***
Quand le Heros du temps & de toute saison,
Faisant briller la Paix dessus nostre horison,
Luy-même à ses progrés a mis une barriere.
***
Contre tous ses Rivaux pouvant se soutenir,
Il a choisi la Paix pour but de sa carriere,
Et ce bien nous promet mille biens à venir.

[Epitre en vers sur l’absence.] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 50-54.

Aprés cette Lettre en Prose de Mr de la Févrerie, vous voudrez bien voir une Epistre en Vers que Mr Alison, dont je vous ay déja envoyé plusieurs Ouvrages, a faite à la priere d’une Dame de ses Amies.

SUR L’ABSENCE.

Damon, quelle est vostre indolence ?
 Vous sçavez que dans ce sejour
Je ne fais que languir & la nuit & le jour
 Depuis vostre cruelle absence ;
Cependant de mes feux la tendre violence
Ne sçauroit avancer d’un jour vostre retour.
 Non, ce n’est pas ainsi qu’on aime :
Un cœur vraiment atteint, & qui se voit heureux,
 Doit se faire un plaisir extrême
De tout sacrifier à ses feux amoureux.
 L’absence de quelques journées
 Paroist un siecle aux fidelles Amans,
 Et les plus cours momens
 Sont pour eux des années.
Ah ! si vos yeux me trouvoient tant d’appas,
Me feriez-vous souffrir de si rudes allarmes,
 Et pourriez-vous trouver des charmes
 Dans des lieux où je ne suis pas ?
Depuis vostre départ je soupire sans cesse ;
En vain pour soulager la douleur qui me presse,
 J’erre dans ces rians costeaux,
 Rien ne peut adoucir mes maux ;
Le murmure des eaux redouble ma tristesse,
  Et le chant des Oiseaux
  Irrite ma tendresse.
 Quoy ! tandis que dans nos vallons
  Errante & vagabonde,
Je fais gloire pour vous d’oublier tout le monde,
Pouvez-vous me livrer à des tourmens si longs ?
Qu’est devenu le temps, où loin de ma presence
 Vostre cœur toujours languissoit,
Ne pouvant supporter quelques heures d’absence
 Que le sommeil nous ravissoit ?
 Le souvenir d’une flame si pure
 Ne doit-il pas à tous momens
 Redoubler vos empressemens ?
Helas ! cruel Amant, que faut-il que j’augure,
 Si vous me livrez si longtemps
  Aux peines que j’endure ?
Un cœur bien enflâmé peut-il perdre un instant
 Loin du tendre objet qu’il adore ?
Si vous m’aimez toujours, pourquoy tardez-vous tant ?
Ah ! revenez, Damon, mais revenez constant,
 Et s’il se peut, plus amoureux encore.

[Madrigal] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 54-55.

Vous trouverez icy un Madrigal, qui a esté envoyé à Mademoiselle D. par Mr Dader, le jour de la Feste de Sainte Madeleine, dont elle porte le nom.

Iris, de tous les cœurs vous triomphez sans peine,
 Et vos charmes font icy-bas
 Autant de bruit que Madeleine
 En fit jadis par ses apas.
Vos traits sont de ses traits une image fidelle ;
 L’Univers vous trouve aussi belle,
 Et pour dire tout en deux mots,
Vous avez ses vertus sans avoir ses défauts.

[Lettre en Prose & en Vers de Mr de Vertron à Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 55-64.

Voicy ce que Mr de Vertron, que l’on a qualifié d’Abbé mal à propos dans ma Lettre du mois passé, a écrit le même jour à l’illustre Mademoiselle de Scudery, qui porte aussi le nom de Madeleine. Vous sçavez qu’il est de l’Academie Royale d’Arles, & de celle des Ricovrati de Padouë.

A MADEMOISELLE
DE SCUDERY.

Mademoiselle,

Les plus belles fleurs de nos Jardins sont infiniment au dessous de celles que vous cueillez tous les jours sur le Parnasse, & je croirois faire peu d’honneur à vostre Feste, si je vous envoyois un Bouquet qui ne vinst pas d’un sejour qui vous est si cher, & qu’on peut appeller avec justice vostre sejour natal. Vous pensez peut-estre que je vais vous presenter des Vers de ma façon. Ma Muse n’est pas si hardie, elle baisse le pavillon devant le vostre, & c’est tout autre present que je veux vous faire. J’ose même assurer qu’il est digne de vous, c’est beaucoup dire, Mademoiselle. Cependant je me flate que tout le monde en conviendra, quand on sçaura que c’est vostre Portrait. En effet, rien n’est plus digne, ou pour parler plus juste, rien n’est digne de vous que vous-même, & mon present n’auroit point de prix, si la copie approchoit de l’original. Je n’ay garde de le croire, quoy que ce Portrait soit l’ouvrage d’une des plus habiles mains de nostre siecle.

Si l’Etrenne pour vous n’est pas assez jolie,
 C’est pour tout autre un vray regal,
 Que de voir dans une copie
 Un si parfait original.

J’avouë avec tout le monde, Mademoiselle, que vous n’avez pas besoin du secours de l’art pour immortaliser vostre nom.

Vostre Prose, vos Vers, vos vertus, vostre cœur,
Vous donnent un grand nom, qu’au Parnasse on revere ;
Si ce nom n’estoit pas immortel par le Frere,
 Il le deviendroit par la Sœur.

Ouy, Mademoiselle, le sceau de l’Immortalité vous est acquis à tous les deux, selon l’admirable expression de feu Mr de Gomberville, dans sa Doctrine des Mœurs.

 Muses, que vos sacrez misteres
 Changent le destin des Mortels !
Que ceux qu’un beau desir consacre à vos Autels
 Portent de puissans caracteres !
Leur nom a plus d’éclat que le flambeau des Cieux ;
Le Temps rompt pour leur plaire & sa faux & ses ailes,
Et quand ils ont quitté leurs dépoüilles mortelles,
 La gloire en fait autant de Dieux.

Par les mêmes raisons qu’on donne aux Muses le nom de Filles Immortelles, vous, Mademoiselle, qui en estes la dixiéme, & qui portez celuy de Sapho, vous devez avoir part à leur immortalité, comme vous en avez à leur gloire. Celle du Roy vous doit desormais occuper uniquement.

Qui peut chanter LOUIS ? Qui peut le faire mieux
Que celle que l’on croit avoir Phœbus pour Pere,
 Et Mnemosine pour sa Mere,
Et qui sçait aussi bien le langage des Dieux,
Que le pouvoient sçavoir Virgile, Horace, Homere ?

Tout cela me persuade que le Public me sera fort obligé du soin que j’ay pris de faire graver celle qui fait l’admiration de nostre âge, & je me flate d’une agreable idée, qui n’est pas une chimere, que la Posterité m’aura aussi beaucoup d’obligation d’un pareil soin.

Nos Neveux seront tous charmez de vos Ecrits,
 Les uns vous verront en peinture,
 D’autres vous verront en graveure,
Et vous satisferez leurs yeux & leurs esprits.

Le Sieur Bonnart l’aisné, qui a eu le premier l’avantage d’avoir gravé vostre Portrait, a aussi gravé au bas les quatre Vers, que j’ay faits à vostre gloire, & où assurément je ne suis pas flateur.

Si Sapho chez les Grecs ne trouvant point d’égale,
Charma tous les esprits & ravit tous les cœurs,
La France en Scudery luy donne une Rivale,
Qui luy peut enlever bien des Admirateurs.

Je suis de ce grand nombre, Mademoiselle ; mais enfin, n’ay-je pas sujet de me plaindre de vostre silence ? En un mot, ce que j’ay dit de vous dans ma nouvelle Pandore, la place distinguée que je vous y ay donnée parmy les Femmes Illustres du Siecle de Louis le Grand ; & ce que je dis & fais aujourd’huy pour vous plaire, merite bien un petit remerciement de vôtre Plume éloquente, & un peu de part à l’honneur de vostre souvenir, car vous avez oublié celuy qui ne vous oubliera jamais, & qui sera toujours avec le même respect Vostre, &c.

[Reponse de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 64-67.

Mademoiselle de Scudery répondit à cette galanterie par une autre de son esprit, qui est toujours le même. Il y avoit pour suscription.

“Réponse à Mr de Vertron, Historiographe du Roy, &c. sur les Vers qu’il a faits au bas du Portrait qu’il m’a envoyé pour Bouquet.”

Vertron, vous me flatez d’une telle maniere,
Que j’en rougis de honte, au lieu d’en estre fiere.
Pour faire mon Portrait, sans perdre vostre temps,
 Il faudroit me peindre à vingt ans.

Voila, genereux Vertron, ce que je puis répondre aux Vers qui sont au bas de l’ingenieux Portrait que vous m’avez donné, mais pour l’obligeante & agreable Prose, & les Vers qui l’accompagnent.

 Vertron, ne trouvez pas étrange
Si je n’accepte au plus qu’une unique loüange.
J’ay le cœur tendre & bon, sans nulle vanité,
Qui ne manque jamais à qui l’a merité.
Croyez donc, s’il vous plaist, sans nulle défiance,
Que vous pouvez compter sur ma reconnoissance,
 Et qu’elle durera toujours,
 Jusques à la fin de mes jours.

Voila, Monsieur, ce qu’un grand rhume me permet de répondre à tant de belles choses, que vous me faites l’honneur de m’écrire. Je les montreray avec le Portrait, à des Personnes, dont les loüanges valent mieux que les miennes. Je suis, Monsieur, avec toute l’estime que vous meritez, vostre, &c.

Impromptu de Mr de Vertron. A l’Illustre Mademoiselle de Scudery §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 68-72.

IMPROMPTU
DE Mr DE VERTRON
A l’Illustre Mademoiselle
DE SCUDERY.

Voicy de ma Sapho le noble caractere ;
Avec un grand genie elle est humble, sincere,
Obligeante, & toujours pense ce qu’elle écrit.
C’est là le bel accord du cœur & de l’esprit.

Le même Mr de Vertron luy envoya dans l’Octave de Sainte Madeleine, la Lettre & les Vers qui suivent.

MADEMOISELLE,

Plusieurs Dames de qualité, d’esprit & de merite, qui me font l’honneur d’estre de mes Amies, ont exigé de moy, comme Protecteur du beau Sexe, de m’associer avec elles à differentes Lotteries, & d’y faire remplir leurs numero de leurs Anagrammes. Quelque ingrats que soient pour l’ordinaire ces petits Ouvrages, j’ay anagrammatisé toutes mes illustres Associées, soit Muses, Amazones, Vestales, ou Graces. Je suis nommé par les premieres leur Apollon ; par les secondes, leur Roy ; par les troisiémes, leur Gardien ; par les dernieres en nombre, mais qui sont les premieres en beauté, le nouveau Paris. Celles cy sont aussi associées à la Lotterie de Troye, où j’ay une belle Helene, & de charmantes Princesses, tant Grecques que Troyennes. J’ay choisi la Lotterie de Dijon, Ville fertile en beaux esprits, pour y faire une espece de Parnasse. Je n’ay osé, Mademoiselle, vous proposer cette association avec toutes ces Personnes choisies, qui vous honorent, & qui meritent toutes vostre estime, par la crainte du refus, & d’un sort contraire à mes intentions, vos interests m’estant aussi chers que vostre gloire & vostre santé, de laquelle je vous demande de sûres nouvelles. Enfin, mon incomparable Sapho, quoy que vous ne soyez d’aucune de ces associations, je n’ay pas laissé de faire vostre Anagramme. Je vous supplie de m’en dire vostre sentiment, & de la recevoir comme un nouveau Bouquet de fleurs immortelles, que prend la liberté de vous envoyer celuy qui a esté, & qui sera toute sa vie, Vostre, &c.

[Anagramme] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 72-73.

Magdeleine de Scudery.
ANAGRAMME.
Digne messagere du ciel.

Non, ce n’est pas icy que tu pris la naissance,
 Le Ciel ne t’a mise en ces lieux,
 Que comme un gage précieux,
 De l’amour qu’il porte à la France.
Est il rien icy bas de plus beau, de plus doux,
Que ces riches tresors que tu répans sur nous,
 Soit par les Vers, soit par la Prose ?
 Digne Messagere du Ciel,
 Tu possedes sur toute chose,
Et la beauté des fleurs, & la douceur du miel.

[Galanterie] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 73-75.

Mr de Vertron envoya dans le même temps à ses illustres Sœurs en Apollon Ricovrato, leurs Lettres patentes d’Academiciennes. Ce sont Madame la Comtesse d’Aulnoy ; Madame le Camus, Veuve du Conseiller d’Etat ; Madame la Comtesse de Murat ; Madame la Presidente de Bretonvilliers la Doüairiere, Mademoiselle de la Force ; Mademoiselle Cheron, qui est aussi de l’Academie Royale de Peinture ; Mademoiselle des Houlieres, & Mademoiselle Bernard, de Roüen. Leurs Patentes estoient accompagnées d’un compliment pour chacune, & toutes ces Dames illustres en ont envoyé un à ce galant Academicien, si zelé pour leur gloire, avec leurs remercîmens pour Messieurs les Ricovrati, à qui il doit les envoyer incessamment tous ensemble, pour estre lûs publiquement dans cette celebre Academie, avec toutes les ceremonies Italiennes.

[Traduction de deux Odes d’Anacreon] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 75-78.

Les Dames dont je vous parle, font avec Madame de Saliez, Viguiere d’Alby, le nombre des neuf Muses. Je vous envoye de nouvelles productions de cette derniere, qu’elle a adressées à Mr de Vertron. Ce sont des traductions d’Anacréon, l’un des plus difficiles Poëtes Grecs.

ODE XL.

 L’Amour voulant cueillir des fleurs,
 Ne s’apperçut pas qu’une Abeille
 Dormoit dans ces fleurs, il l’éveille ;
Elle le pique au doigt, luy fait verser des pleurs.
 Il s’agite, il se desespere,
Et courant se jetter dans les bras de sa Mere,
 “Je meurs, dit-il, je suis perdu,
 Un Serpent ailé m’a mordu,
 Et depuis j’endure sans cesse.
 Mon Fils, luy répond la Déesse,
Juge, si l’aiguillon d’un petit animal,
 Te fait souffrir un si grand mal,
 Quelles douleurs, quelles tristesses
Doivent souffrir ceux que tu blesses.

ODE XLV.

Aux forges de Lemnos l’Epoux de Citherée
Faisoit des traits d’acier pour en armer l’Amour.
La charmante Déesse en tous lieux reverée,
Les trempoit dans du miel ; Cupidon à son tour
Parmy cette douceur mesloit de l’amertume,
Lors qu’un jour le Dieu Mars, plus fier que de coutume,
Revenant du combat, s’arreste dans ce lieu.
 Son javelot estoit d’un poids extrême.
Que tes traits son legers, dit-il, à l’Amour même !
Celuy-cy pese assez, répond le petit Dieu,
Tenez-le, Mars le prend, Cypris se met à rire,
 Le Dieu de la guerre soupire,
Ah ! qu’il pese, dit-il, prens-le, tu m’as surpris.
Vraiment, dit Cupidon, le garde qui l’a pris.

[Madrigal] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 78-79.

Mr Moreau de Mautour, qui en tant d’occasions a marqué l’estime qu’il avoit pour Mademoiselle de Scudery, ne l’oublia pas le jour de sa Feste. Ce Madrigal qu’il luy envoya tint lieu de Bouquet.

Que les Amans versez dans les tendres misteres.
Pour consacrer les noms & d’Aminte & d’Iris,
Leur offrent des œillets, des roses & des lis ;
 Ces fleurs ne sont que passageres.
Mais celles que produit, par les soins d’Apollon,
Ou le docte Parnasse, ou le sacré Vallon,
Sont d’agreables fleurs de durée immortelle,
Qu’on destine à Sapho pour celebrer son nom,
 Et qui seules sont dignes d’elle.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 79-80.

Les paroles que vous allez lire, ont esté mises en Air par un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris oubliant sa rigueur, doit regarder la page 80.
Iris oubliant sa rigueur,
Dans un songe a flaté mon amoureuse ardeur.
Amour, que l'Univers révere,
Faut-il que le sommeil soit plus puissant que toy ?
Ne sçaurois-tu faire pour moy
Ce que le sommeil a pu faire ?
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[Nouveau Doge à Venise]* §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 80-91.

Les Nouvelles publiques vous doivent avoir appris la mort du Doge de Venise, arrivée le 5. du mois passé, aprés une attaque d’Apoplexie, dans sa soixante & douziéme année. Il s’appelloit Silvestre Vallier, & avoit esté élevé il a six ans & quelques mois à cette dignité, par les suffrages de la Republique, à laquelle il a laissé cinquante mille Ducats, & d’autres sommes à divers particuliers. Le 6. on porta son corps dans l’Eglise de Saint Jean & de Saint Paul, où il avoit choisi sa sepulture, & il y fut enterré avec les ceremonies ordinaires. Le Gentilhomme du Doge ayant esté le 9. au Senat, il y donna part de cette mort avec les formalitez que l’on a coutume d’observer, & aussi-tost on la publia par le son de toutes les Cloches de la Ville. Le Sceau où estoit son nom fut rompu, & l’interregne commença. En même temps, sa Statuë ou Representation fut exposée, & l’aprésdînée on la porta dans une autre Salle. Elle y demeura pendant trois jours sur un Catafalque fort élevé. Le 10. le grand Conseil s’assembla, & on élut les Correcteurs & Inquisiteurs d’Etat, pour examiner s’il s’estoit glissé quelques abus durant son Gouvernement. Si-tost qu’ils furent élus, ils prirent possession du Palais, & firent sçavoir par des Placards imprimez, le lieu & les jours ausquels ils s’assembleroient, pour entendre & recevoir les avis de tous ceux qui auroient à faire quelques propositions pour le bien public. Des dépêches furent envoyées ce même jour à tous les Ministres de la Republique dans les Pays Etrangers, afin qu’ils y fissent part de la mort du Doge, pour l’ame duquel il fut ordonné que l’on celebreroit tous les ans dans l’Eglise de Saint Marc une Messe solemnelle, à laquelle tous les Ministres Etrangers seroient invitez, en reconnoissance de la bonne & sage conduite qu’il avoit tenuë dans tout le temps qu’il avoit joüy du Gouvernement. On expedia aussi des dépêches à tous les Provediteurs des Pays de Terre-ferme, qui eurent ordre de redoubler leur vigilance dans l’exercice de leurs Charges, & de renforcer la garde des Places qui leur estoient confiées. Le 12. jour choisi pour les Funerailles du feu Doge, elles se firent avec beaucoup de magnificence. Huit Capitaines de Vaisseau portoient le Cercueil où estoit son Effigie. Ce Cercueil estoit précedé par toutes les Bannieres & par le Clergé des Paroisses de la Ville, par les Congregations des Hôpitaux, & autres lieux pieux, & par tout le Clergé Seculier ; par le Primicier & les Chanoines de Saint Marc, avec la Musique de la Chapelle. Ensuite parurent les Ecuyers du defunt Doge en habits de deüil, & quelques Nobles en robes rouges. La Seigneurie avec le Vice Doge & le Chancelier, accompagna le Nonce du Pape, seulement jusques à l’Escalier des Geans, aprés quoy elle s’en retourna. Le Nonce marcha à costé du Seigneur Giovanni. Delphino, Parent le plus proche, qui estoit vestu de deüil, & suivi d’un grand nombre d’autres Parens, aussi en habits de deüil. Ce fut dans cet ordre que le Convoy marcha jusqu’à l’Eglise de Saint Jean & de Saint Paul. Le Cercueil y fut placé sur un Mausolée superbe ; & le Pere Caro, de l’Ordre des Sommasques, qui prononça l’Oraison Funebre, receut un applaudissement general. Aprés que cette fonction funebre eut esté remplie, le Grand Conseil s’assembla, pour faire choix de quarante & un Nobles, qui devoient élire un nouveau Doge. Ils entrerent pour cela dans une chambre, dont on ferma les portes & les fenestres. Les Procurateurs Dona, Barbarigo & Diedo, & le Seigneur Aluise Mocenigo, furent ceux qui emporterent le plus de suffrages. L’Election demeura indécise jusqu’au 16. que le Procurateur Dona, qui avoit cinq voix, y renonça en faveur du Seigneur Mocenigo, qui fut élu aussitost d’un consentement unanime. Une action si genereuse luy attira de grandes loüanges. Le nouveau Doge fut d’abord conduit au Palais, où ayant esté placé sur le Trône, il jura en presence de tous ceux qui l’avoient élu, qu’il observeroit les Loix tres exactement. On le conduisit ensuite à son appartement, & les Gardes que l’on avoit mises au Palais, se retirerent. On publia la nouvelle de son élection au son de toutes les Cloches, des Trompettes & des Tambours, & elle fut receuë dans toute la Ville avec de fort grandes démonstrations de joye. Le 17. il fut couronné avec toutes les ceremonies qui s’observent dans une pareille occasion, & le Senat donna part le même jour de cette Election à tous les Princes Etrangers, & aux Ministres de la Republique. Le 18. le Doge accompagné du Senat, des quarante & un Electeurs & de ses Parens, tous un robes rouges, alla rendre graces à Dieu de son exaltation dans l’Eglise de S. Marc, où il assista à la grande Messe & au Te Deum, qui fut chanté par la Musique. Les trois jours suivans il y eut un grand Feu d’artifice dans la Place de Saint Marc, des Illuminations, & d’autres réjoüissances par toute la Ville. On tint toujours le Palais ouvert, & illuminé la nuit, & l’on donna des rafraîchissemens de toutes sortes aux Masques & aux Dames, dont le concours fut tres-grand. Le Doge fit distribuer beaucoup d’aumônes, & on ne cessa presque point de jetter des pieces d’argent au Peuple. Il alla pour la premiere fois au Grand Conseil le 22. revestu de ses habits de ceremonie. Là s’estant assis dans son Trône, il fit selon la coutume, un fort beau Discours, pour remercier l’Assemblée du choix qu’elle avoit bien voulu faire de sa personne.

[Elegie] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 91-100.

L’Elegie qui suit est de Mr Gally de Gaujac, de Nismes.

ELEGIE.

A l’ombre d’un rocher couché prés d’un ruisseau,
Je voyois mes moutons paistre sur un costeau.
Mille petits Oiseaux par leurs tendres ramages,
Faisoient de leurs amours retentir les bocages ;
Le Zephir exprimoit à Flore ses desirs,
L’air n’estoit agité que par leurs doux soupirs.
Les Bois estoient pour lors dans toute leurs parures,
Le Printemps succedoit aux cruelles froidures ;
Dans cet heureux sejour la Nature sans art,
Dans toute sa beauté brilloit de chaque part.
Enfin dans ce beau lieu rien n’estoit desirable,
Le calme & le repos le rendoit plus aimable.
Les tendres Rossignols celebroient tour à tour
Leurs feux, & du Printemps l’agréable retour ;
Un ruisseau qui fuyoit à travers la prairie,
Y flatoit des Amans la douce rêverie,
Et par de longs détours revenant sur ses pas,
Avoit peine à quitter un lieu si plein d’apas.
Là les Chantres des airs, d’une ardeur sans seconde,
Mesloient leurs doux accens au murmure de l’onde.
Les monts que l’on voyoit se perdre dans les Cieux,
Formoient un horizon pour le plaisir des yeux ;
Le Soleil commençoit du plus haut des montagnes,
De répandre son or sur les riches campagnes,
Et la plaintive Echo par sa dolente voix,
De ses feux méprisez se plaignoit dans les bois.
Sur les prez émaillez de cent mille fleuretes,
Les Bergers accordoient leurs voix à leurs Musetes,
Tout se réjoüissoit de la beauté du jour,
Quand Corinne parut dans ce charmant sejour.
 Au moment qu’à mes yeux s’offrirent tant de charmes,
Je me sentis forcé de leur rendre les armes.
L’amour de toutes parts entra dedans mon cœur,
Et la tranquillité fit place à la langueur.
Le Dieu qui fait aimer résolut ma défaite,
Son Empire s’étend du Sceptre à la Houlette.
Le plus sauvage lieu, la plus pompeuse Cour
Est soumise au pouvoir absolu de l’amour ;
De ce divin enfant on ne peut se défendre ;
D’un cœur le moins sensible, il en fait un cœur tendre,
Il triompha du mien, & ce fut de vos yeux
Que ce Dieu fit partir le trait victorieux,
Qui me tient asservi dans l’amoureux empire,
Et qui me fait sentir des Amans le martire.
 Depuis l’heureux moment que vous eustes ma foy,
De vous aimer toûjours je me fis une loy.
Je laissay mes moutons errer à l’avanture
Tant je sentois d’Amour la mortelle blessure.
Je voulus, mais trop tard, d’une tremblante main,
Tirer le trait fatal qui me perçoit le sein.
Je crus, mais vainement, que les sombres Boccages,
Que les Prez, les Ruisseaux, & les épais ombrages,
Calmeroient pour un temps la barbare rigueur,
Que ce Dieu trop cruel exerce sur mon cœur.
L’impitoyable Amour par vostre rude absence,
Redouble de mes maux toute la violence,
Le chagrin devorant, qui fait que tout me nuit,
Au Camp comme à la Ville, en tous lieux me poursuit.
Je prefere au plaisir la triste solitude,
Où j’erre loin du bruit & de la multitude,
Pour resver sans témoins au tresor précieux,
Que le Ciel épuisa quand il fit vos beaux yeux.
Là, sur un verd gazon auprés d’une onde pure,
Les pleurs que je répans expriment ma torture,
Et mes cris douloureux poussez au fond des bois,
Font redire aux échos vostre beau nom cent fois.
Dans ce desert affreux je raconte mes peines,
Aux Rochers, aux Forests, aux Vallons, aux Fontaines,
Ce sont les seuls témoins de mes tendres ardeurs,
Et les chers confidens de toutes mes douleurs.
Je leurs dis, Lieux sacrez, solitaires & sombres,
Redoublez, s’il se peut, l’épaisseur de vos ombres,
Pour cacher à l’Amour un Amant malheureux,
Qui fléchit sous le faix d’un sort trop rigoureux.
Flottant à tout moment de l’espoir à la crainte,
Je fais gemir les airs par une vaine plainte ;
Je suis plus agité que n’est le Matelot,
Quand il craint de perir sur l’infidelle flot.
Mes yeux intimidez par l’horreur du naufrage,
Ne découvrent par tout que rochers & qu’orage,
Et je tombe sans force aux pieds de mon vainqueur,
Qui par ses traits aigus perce mon foible cœur.
 C’est ainsi que parla dans l’excés de ses peines,
Le Berger Amintas expirant sous ses chaisnes.
Sa voix entrecoupée au travers des sanglots,
Se fit faire un passage en prononçant ces mots.
O vous ! aimables lieux, où prit son origine
L’amour que je ressens pour la belle Corinne,
Quand vous la reverrez contez-luy le tourment,
Que vous voyez souffrir au plus fidelle Amant.
A ces mots prononcez, tout à coup la lumiere
Disparut de ses yeux, & fermant la paupiere,
Roide, pâle & glacé, dans les bras de la mort,
Il finit ses tourmens & son malheureux sort.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 122-143.

L’Indépendance est un des plus grands avantages de la vie ; & quiconque a pû estre assez heureux pour se l’acquerir, ne merite guere d’estre plaint des malheurs qui luy arrivent, quand il s’oublie jusqu’au point de consentir à y renoncer. Ceux qui s’y résolvent, croyent avoir raison de le faire, & ils manquent rarement de s’en repentir. Un homme d’un esprit fort vif pour les affaires, & d’un travail assidu, s’estant mis en teste de s’affranchir de l’indigence où il estoit né, commença par des Emplois assez vils, qui luy firent peu de peine, parce qu’ils luy convenoient, & que n’ayant par luy-même aucune élevation, il ne trouvoit rien au dessous de luy, pourvû qu’il en tirast de l’utilité. Il parvint ainsi par divers degrez à une fortune fort considerable, & le peu de dépense qu’il faisoit au milieu de ses grands gains, contribuoit fort à l’augmenter. Le commerce qu’il entretenoit de tous costez, & toujours avec un bonheur extraordinaire, fit enfin connoistre l’amas des tresors qu’il vouloit tenir cachez. Comme il semble qu’il ne manque rien dans un homme riche, on oublia son peu de naissance. & on luy offrit en mariage de tres-jolies Filles, & qui estoient alliées à des Maisons fort considerables. Il y avoit lieu de croire qu’il seroit touché par la beauté, ou qu’ayant besoin d’appuy, il se feroit une gloire d’entrer dans quelque Famille distinguée, mais il écouta toutes les propositions qu’on luy fit sans en vouloir accepter aucune, & quoy qu’il fust dans la résolution de se marier, il crut ne devoir se rapporter qu’à luy-même du choix qu’il avoit à faire pour prendre une Femme. Ses veuës n’estoient pas moins justes sur un pareil choix, qu’elles l’avoient esté jusque là dans les affaires qui luy avoient donné les grands biens qu’on auroit esté bien-aise de partager avec luy. En prenant une Fille de naissance, il voyoit de la dépense inévitable pour luy, outre qu’il avoit à craindre d’estre regardé de haut en bas. S’il la prenoit belle, il ne doutoit point qu’elle ne devinst tout au moins Coquette, & qu’il n’en eust beaucoup à souffrir. Ainsi ce qu’il jugea le plus à propos de faire, ce fut de faire choix d’une Fille, qui ne fust ny belle ny laide, qui n’eust rien à luy reprocher du costé de l’alliance, & qui luy devant toute sa fortune, vivroit avec luy comme il l’entendroit. Cela n’estoit pas d’un mal habile homme. Il l’executa comme il l’avoit projetté, & sans en rien dire à ses Amis, il épousa la Fille d’un petit Marchand assez mal accommodé, qui ne luy porte en dot qu’une vertu que le peu d’agrément de sa personne n’avoit pû exposer à estre tentée, & à laquelle il prescrivit telles conditions qu’il luy plut. La fortune estoit si grande pour elle, qu’elle s’y soumit avec une joye tres grande. L’état où elle se vit par ce mariage luy parut délicieux. Quoy que les habits qu’il luy donna fussent fort simples, elle s’en trouvoit tellement parée qu’elle se croyoit une grosse Dame. Elle ne faisoit ny ne recevoit aucune visite, & la regularité de cette conduite qu’il avoit exigée d’elle, le charmoit si fort, que pour l’en récompenser il luy faisoit quelquefois d’assez forts presens d’argent, mais à la charge de le bien serrer, afin qu’elle eust son tresor à part. Cependant son bien grossissoit toujours, & les richesses immenses qu’il accumuloit par les nouvelles affaires qui se presentoient, luy faisant ouvrir les yeux, elle luy conseilloit quelquefois d’avoir de beaux meubles, comme on luy disoit qu’en avoient beaucoup de gens qui n’estoient pas si riches que luy. Sa réponse estoit qu’il ne falloit pas s’attirer l’envie, & qu’il estoit bon d’amasser toujours, parce que les temps pouvoient devenir mauvais. Elle n’alloit pas plus loin pour ne luy déplaire pas, mais s’il l’avoit voulu écouter, il auroit fait quelque usage de son bien, & se seroit tiré par des dépenses qui auroient paru, de la mediocrité où il s’obstinoit à demeurer. Quand il se plaignoit d’avoir fait de grandes courses à quoy ses affaires l’obligeoient, elle vouloit qu’il eust au moins une chaire à un cheval, & si elle avoit osé le faire, elle luy auroit proposé de se donner un Carosse, sauf ensuite à le doubler, un pour Monsieur & un pour Madame. C’estoit le seul sentiment qu’elle eust au dessus de son estat. Quoy que née tres-peu de chose, elle auroit aimé à dépenser, & pour peu qu’elle eust pû venir à bout de l’esprit de son Mary, elle se seroit fait un plaisir plus grand de paroistre par un équipage & par des habits, que d’amasser des tresors comme faisoit son Mary. Il fallut pourtant qu’elle passast vingt-cinq ans dans la sujétion qu’il luy avoit imposée, & enfin elle en sortit par sa mort, qui la rendit maîtresse d’un si gros bien, qu’elle même en fut surprise. Si-tost que ses droits furent reglez, elle se mit plus au large ; & comme elle n’avoit point d’enfans, elle résolut de se servir de ce que sa bonne fortune luy avoit donné. Il luy parut incommode d’aller à pied, & d’ailleurs quelques promenades écartées ne luy parurent pas incompatibles avec le Veuvage. Ainsi la premiere dépense qu’elle fit, ce fut celle d’un carosse. Cet avantage ne la laissa pas manquer d’Amies ; mais ces Amies estant de la même étoffe, n’estoient pas capables de luy apprendre les bienseances du monde, ny de trouver à redire qu’elle les eust toujours ignorées. Le temps du deüil expiré, elle joignit au carosse la beauté des meubles & la magnificence des habits. Elle donna dans les plus belles étoffes, & comme elle avoit moyen de payer, rien ne luy coustoit. Sa figure ne convenant pas à tant de riches parures, son ridicule sautoit aux yeux de tous ceux avec qui elle se trouvoit, & pour le voir dans son plus haut point, il ne falloit que l’entendre. Le manque d’éducation, le peu d’habitude qu’elle avoit eu avec des gens qui eussent pû la former, & son âge trop avancé pour la laisser encore susceptible des bonnes impressions que l’on prend quand on est jeune, tout cela estoit en elle un si grand obstacle à acquerir jamais le moindre merite, que si elle avoit esté capable de se connoistre, elle n’auroit osé s’en flater. Malgré de si grands défauts, elle estoit riche, & ce fut assez pour luy donner des Amans. Quelques jeunes gens assez bien faits essayérent de luy plaire, & comme son bien les auroit accommodez, ils feignirent un amour qu’ils ne sentoient pas, mais soit qu’elle n’eust point naturellement le cœur sensible, soit que la raison, qui luy manquoit en beaucoup de choses, l’éclairast en celle-cy, pour luy faire voir que l’on en vouloit à sa fortune, & non pas à sa personne, aucun ne put réüssir à luy faire prendre de l’engagement. Elle se trouvoit fort bien de n’avoir qu’elle seule à consulter sur sa maniére de vivre, & tout ce qui auroit pû contraindre sa liberté luy paroissoit incommode. Ainsi on eut beau luy proposer differens partis, on ne la put obliger à renoncer au veuvage, & il se passa plusieurs années sans qu’elle en marquast la moindre envie. Ce n’est pas que quand on luy disoit qu’elle estoit aimable, elle ne fust assez folle pour croire qu’on luy parloit tout de bon. Ses sottes réponses réjoüissoient ceux qui cherchoient à la tromper, & comme elle n’ignoroit pas qu’on cesse de plaire lors qu’on ne ne paroist plus jeune, elle mettoit en usage, pour cacher le nombre de ses années, tout ce qu’on peut emprunter du secours de l’art. Elle en devenoit plus desagreable tous les jours, & quand par hazard on parloit de l’âge, les impertinences qui luy échapoient pour faire croire qu’elle n’estoit pas fort avant dans sa carriere, alloient au de-là de tout ce qu’on peut se figurer. Ce fut vers ce declin si fâcheux pour toutes celles qui peuvent luy ressembler, que les Carosses dorez eurent une grande vogue. Elle en fit faire un des plus magnifiques, & quand l’usage en fut défendu, non seulement elle obéït avec un chagrin extraordinaire, mais elle fut presque la derniere à obéïr. Ce chagrin fut accompagné d’un autre beaucoup plus grand. Il parut un reglement touchant les conditions, & on ne permit ny l’or ny l’argent sur les habits des personnes qui n’estoient pas nobles. La Dame se trouvoit dans ce cas-là, & il ne luy restoit plus que fort peu de temps à pouvoir se montrer dans la parure dont elle estoit si charmée. La réforme à laquelle elle estoit forcée de s’assujettir, la mettoit au desespoir. Elle en soupira, elle en gemit, & il n’est rien qu’elle n’eust donné pour ne pas se soumettre à la défense. Dans une extrémité si fâcheuse, perdant tout repos, & parlant sans cesse de l’injustice qu’elle prétendoit qu’il y eust à ne laisser pas chacun dans la liberté de s’habiller à sa fantaisie, elle écouta avec une joye extrême quelqu’une de ses Amies, qui luy dit qu’elle sçavoit un moyen fort seur qui l’exempteroit du chagrin de la réforme. Ce moyen, qui selon elle ne luy pouvoit estre découvert assez promptement, la rendit d’abord un peu rêveuse. Il consistoit en un second mariage, qu’il luy devoit estre facile de faire avec quelque Gentilhomme, qui ne seroit point sujet à la loy. Les secondes Noces ne la tentoient pas, mais la repugnance qu’elle y sentoit ne put l’emporter sur le plaisir de pouvoir aller de pair avec celles qui se faisoient le plus remarquer par la dépense. Il ne fut plus question que de sçavoir sur qui tomberoit son choix. Elle l’arresta sur un Cavalier d’une figure assez agréable pour devoir faire pardonner une folie, si celle de prendre un jeune Mari estoit excusable dans une vieille personne. Le Cavalier estoit d’une Maison fort considerable ; & comme il avoit mangé le peu de bien qu’il avoit eu de son Pere, celuy de la Veuve estoit pour luy d’un fort grand secours. Il remedioit par là au desordre de ses affaires, & ce motif fut assez pressant pour l’obliger à fermer les yeux sur le desagrément de sa personne. La Dame, qui ne douta point qu’il ne se fist un honneur de la magnificence avec laquelle elle prétendoit soutenir son rang, prodigua une grosse somme pour se donner un plus grand éclat. Le mariage se fit, & la vanité qui enfla son cœur lors qu’elle se vit sa Femme ; porta ses extravagances jusques à l’excés. Il en rit d’abord comme les autres, mais le temps & son manque de raison les firent enfin aller si loin, que ne pouvant plus souffrir les contes qu’elle donnoit lieu de faire de tous côtez, il la relegua à la Campagne, où il luy accorde la triste consolation de porter de l’or & de l’argent comme elle veut, mais sans luy laisser la liberté de revenir à Paris, ce qu’elle demande inutilement. Vous jugez bien qu’il n’est pas fort empressé pour l’aller voir dans cette retraite. L’inégalité de l’âge le dispensant de l’aimer, il croit remplir ses devoirs en ordonnant que rien ne luy manque, mais il ne peut se resoudre à vivre avec elle, & elle a tout lieu de se repentir d’avoir voulu estre la Femme d’un Gentilhomme, qui se réjoüit à ses dépens, tandis qu’elle pleure dans sa solitude.

[Theses soutenuë au College du Plessis. Ode] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 143-150.

Le Mardy 10. de ce mois, jour de Saint Laurent, Mr l’Abbé de Coëtlogon soutint au College du Plessis une These de Philosophie dédiée à Monsieur le Comte de Toulouse. La Salle estoit magnifiquement tenduë, & on avoit mis le Portrait du Prince sous un fort beau Dais, avec une Estrade sur laquelle estoit un fauteüil. Ce Prince, qui vint à la These, ne s’y plaça pas, mais dans un autre fauteüil au milieu du quarré, ce qui fit admirer sa modestie. Mr l’Abbé de Coëtlogon est tres bien fait, & d’une famille fort distinguée, de laquelle sont Mrs les Evêques de Quimper & de Saint Brieux. Il est fils de Mr de Coëtlogon, Conseiller au Parlement de Rennes, & Sindic des Etats de Bretagne. Le compliment Latin qu’il fit d’abord à Monsieur le Comte de Toulouse, fut prononcé avec une grace qui prévint pour luy toute l’Assemblée. Il s’acquitta parfaitement bien de la dispute, & fit paroistre beaucoup de vivacité dans ses réponses. Je vous envoye la Traduction d’une Ode Latine de Mr Danchet, qui fut presentée à Mr le Comte de Toulouse, sur l’honneur qu’il fit à Mr l’Abbé de Coëtlogon de se trouver à sa These. Elle est du même Mr Danchet.

ODE.

 Pourquoy la Nymphe de ces lieux
Brille-t-elle en ce jour d’une nouvelle gloire.
 Quel spectacle s’offre à mes yeux ?
Je reconnois icy les Filles de Memoire.
 Apollon même en ce sejour
Mêle au son de sa voix les accords de sa Lyre,
 Et tous les Echos d’alentour
Attentifs à ses chants aiment à les redire.
 Animez des mêmes transports
Courons, où de leurs voix la douceur nous appelle ;
 Allons joindre aussi nos accords
Aux divines chansons d’une troupe immortelle.
 Dieux ! quel éclat ! quelle beauté !
Quel aimable Heros à mes yeux se presente !
 Il joint à l’auguste fierté
Tous les tendres attraits d’une douceur charmante.
 Sans doute il est du sang des Dieux ;
C’est le chef triomphant de l’Empire de l’Onde,
 Sous ses auspices glorieux
Nous courons sans peril de l’un à l’autre monde.
 Digne sang du plus grand des Rois,
Heros toûjours vaillant, Heros toûjours aimable,
 Ton nom seul reduit aux abois
Alger, dans ses remparts jadis si redoutable
 Le Pirate fuit sur les eaux,
Et Tunis, autrefois enrichi de nos pertes,
 Respecte nos heureux Vaisseaux,
Et laisse à nos desirs toutes les mers ouvertes.
 Tethys reconnoît ton pouvoir,
Son amour, ses transports ne peuvent trop paroistre ;
 Pour le seul plaisir de te voir,
Dans son humide Empire elle reçoit un Maistre.
 Parmy tant de soins éclatans,
Les beaux Arts à tes yeux offrent toûjours des charmes,
 Tu sçais, en partageant ton temps,
Joindre leur noble éclat à celuy de tes Armes.
 Viens nous animer dans ces lieux,
Nous portons la lumiere au sein de la nature,
 Et dévoilons ce qu’à nos yeux
Elle voudroit cacher dans une nuit obscure.
 Tel qu’un heritier empressé,
Suivant de son espoir l’ardeur impatiente,
 Va découvrir l’or entassé,
Dont son ayeul long-temps a frustré son attente.
 Si, comblant nos vœux les plus doux,
Prince, de nos efforts tu soûtiens la foiblesse,
 Nous verrons, sans être jaloux,
Les honneurs que Platon a reçûs de la Grece.
 Nous pourrons même l’emporter
Sur ce sublime Auteur, sur ce vaste Genie,
 Qui jadis se fit écouter
Du glorieux vainqueur des Peuples de l’Asie.

[Visite de la duchesse de bourgogone à Saint-Germain en Laye]* §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 150-152.

Au commencement de ce mois, Madame la Duchesse de Bourgogne alla voir Madame la Duchesse de Noailles dans sa belle maison de Saint Germain en Laye. Cette Princesse estoit en habit d’Amazone, accompagnée de ses Dames, qu’on nomme Dames du Palais, & de Madame la Marquise de Montlevrier, qui estoit dans le même ajustement. Elle trouva à Saint Germain Madame la Comtesse d’Estrées, & Madame la Marquise de la Valliere, vestuës de la même sorte. Ces Dames Amazones firent une Cavalcade dans la Forest, & aprés une magnifique colation, elles se divertirent quelque temps à jouer, & danserent jusques à minuit, qu’on leur servit un grand Medianoche ; ensuite de quoy le jeu & la danse recommencerent ; en sorte que Madame la D. de Bourgogne n’arriva qu’au jour à Versailles, fort contente de la bonne reception que luy avoit faite Madame la Maréchale de Noailles, & des plaisirs qu’elle luy avoit procurez, dont cette Princesse la remercia d’une maniere tres-obligeante.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 160-201.

La Lettre qui suit vous fera plaisir à lire. L’Auteur qui ne se fait connoistre que sous le nom de Tamiriste, est le même qui fit une Pastorale sur le Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne, intitulée, Petit divertissement sur la Paix de Savoye. Elle commence par

Frapons, perçons, soyons impitoyables.

Il a fait aussi plusieurs petits Ouvrages, répandus en divers temps dans mes Lettres.

A MADEMOISELLE …
Illustre Academicienne.

UNE Fille de qualité a imaginé d’ériger une Societé de personnes de l’un & de l’autre Sexe, qui fassent profession d’une amitié parfaite & accomplie dans toutes ses circonstances, & qui jurent une guerre opiniâtre, & éternelle à l’Amour. Comme il y a long temps, Mademoiselle, que vous vous êtes déclarée l’ennemie irreconciliable de ce Dieu, j’ay cru, que pour perfectionner un pareil dessein, l’on ne pouvoit rien de mieux, que de s’adresser à vous pour vous supplier de vouloir bien lui donner la forme necessaire, & afin que vous n’ignoriez rien du caractere de cette genereuse Fille, qui est imitatrice de vos aspres & austeres résolutions, ny des conditions qu’elle demande dans les sujets qui doivent composer cette rare Compagnie, j’ay pris la liberté, Mademoiselle, de vous écrire la Lettre que vous allez voir. J’en iray prendre la réponse, s’il vous plaist, lorsque vous me l’ordonnerez, du moins si vous ne la jugez pas indigne de vostre attention.

Cette Lettre estoit accompagnée de cette autre, à la même Academicienne.

Me voicy enfin, Mademoiselle, dans un pays que je vous ay oüy tant vanter, & dont je croyois que vous seule aviez fait la premiere découverte. Vous entendez bien que je veux dire ce Pays, où le cœur joüit pleinement de sa liberté. Si l’on vous en croit, ce voyage vous a bien moins cousté qu’à un autre, puisque sans avoir couru les risques terribles des écueils dont la Mer d’Amour est herissée, vous avez surgy si heureusement au port de cette Isle fortunée, dans laquelle l’on trouve des douceurs, qu’ailleurs on n’éprouve point.

C’est donc pour justifier le choix que vous avez fait de la vie tranquille que l’on méne dans cette agreable contrée, que j’ay pris résolution d’en donner une idée à ceux qui ne vous ont point encore entendu parler des plaisirs que l’on y goûte, & qui errent à l’avanture sur le vaste & orageux ocean des passions, afin de les désabuser, & de leur faire naistre, s’il se peut, en même temps le desir de grossir le nombre des Habitans de cette Isle charmante.

Helas ! qu’il est aisé de faire une peinture
 D’un sejour plein de tant d’attraits !
Mais, au fond, quand l’Amour par ses dangereux traits
 A fait au cœur une blessure,
Que l’on desire peu d’en rechercher la Paix !

Pour quitter l’allegorie, je vous diray, Mademoiselle, qu’il est encore au monde une personne illustre, que je nommeray icy Leontine, dont l’humeur revient entierement à la vostre, & qui a formé le projet d’une societé de gens choisis, qui puissent fonder avec elle cet ouvrage merveilleux, qui paroist estre au dessus des forces de l’homme, c’est-à-dire, cet assemblage de plusieurs personnes de different Sexe, & de differens états, qui sçachent conserver entre eux l’union, la concorde, & une heureuse intelligence, qui ne doive son estre & son soutien qu’à la seule amitié, & rien du tout à l’amour.

Ce pays paroist beau, tout rit à son abord,
Mais comme je ne suis qu’au nombre des Novices,
Je conviens (car pourquoy ferois-je l’esprit fort ?)
Que je n’en connois pas encor tous les delices.
***
 Que la Vestale, & que l’Anachorete
 Soient tranquilles dans leur retraite
 Je n’en paroîtray pas surpris ;
Mais leur exemple icy n’a rien qui nous ressemble.
Le commerce peut-il se borner aux esprits.
 Quand on ramasse & qu’on rassemble
 Deux Sexes differens ensemble ?

J’entens la Critique, qui, par une prévention desavantageuse, rejette ordinairement & sans quartier sur un retour de passion usée, ou sur les disgraces de la nature, les idées d’un pareil établissement. Non, Mademoiselle, quand Leontine n’auroit pas tous les jours devant ses yeux pour modele & pour regle de sa conduite, les vertus éclatantes d’une grande Princesse, qu’elle a l’honneur d’approcher, & qui n’est pas moins souveraine sur ses propres passions, qu’elle l’est d’un des plus grands Etats de l’Europe, la naissance de Leontine, qui est des plus considerables, son port majestueux, les agréemens infinis de toute sa personne, la sublimité de son genie, & plus que tout cela, une noble fierté, qui l’a toûjours mise au dessus des foiblesses qu’on attribuë à cette Divinité imperieuse, Amour, qui se rend par tout si redoutable, la mettent entierement hors de la portée des atteintes de cette censure. En est-ce assez pour imposer silence à l’envie ? J’ay beau vouloir chercher à persuader, Mademoiselle,

Non, on croira toûjours, que malgré vos sermens,
 Malgré vos discours ordinaires,
 Vous n’avez point manqué d’Amans,
Et si vous n’aimiez pas, qu’il ne s’en falloit gueres.
***
 Point de dissimulation.
 Avoüez le, trop charmante cruelle,
 Dés qu’on n’a point d’aversion
 Pour un cœur que l’on croit fidelle,
Le plaisir que l’on prend à voir sa passion
 Fait qu’on s’apprivoise avec elle.
 Comment s’en fait aprés la separation ?

Mon Heroïne veut, comme vous, Mademoiselle, que l’on ait pour la Religion un culte plein d’une vraye Pieté, sans ostentation, & sans faste, & qu’on en remplisse les devoirs dans toute leur étenduë & sans y faire de ces reserves licencieuses de la pluspart des gens du monde, qui croyent pouvoir à leur fantaisie, retrancher des pratiques pieuses de l’Eglise, tout ce qui ne regarde pas expressement le precepte. Elle suit pas à pas cette étoile qui la guide, & sans vivre en personne cloîtrée, elle satisfait pleinement à tous les engagemens de son état.

Sa soumission pour les ordres du Prince sous la domination duquel nous vivons, ne sçauroit estre plus entiere, & elle regarde comme l’un des grands bonheurs de sa vie, d’avoir vécu sous le regne de Louis le Grand. Ce sont les sentimens qu’elle inspire, & ce qu’elle recommande à ses Amis de conserver dans leur souvenir.

L’amitié faisant l’objet de ses desirs, & de son attention, elle voit, comme on l’a dit, que la difference du Sexe n’en doit point alterer la douceur, sous quelque prétexte que ce soit ; mais elle la veut droite, sincere, desinteressée, fidelle, & prévenante, & qui ne puisse jamais souffrir aucun déchet, soit par le caprice & les injustices de la Fortune, soit par les incommoditez personnelles. C’est dans cet esprit qu’elle donne une entiere exclusion à l’Amour, & c’est chez elle un crime de leze Majesté au premier chef, que d’oser seulement en prononcer le nom par rapport aux membres qui composent cette spirituelle Societé.

 Divinité que l’on offense,
Ignorez le projet qu’on forme contre vous ;
 N’allez pas par vostre vengeance
 Faire éclater vostre couroux.

On ne prétend pas dire néanmoins, Mademoiselle, que cette sage personne veüille bannir de la conversation les Ouvrages galans qui peuvent traiter de cette agréable manie. Ils y peuvent trouver place à leur tour & sans conséquence, comme tous les autres sujets qui regardent les divers événemens de la vie humaine.

Si l’amitié a tant de force chez elle pour ses Amis, vous concevrez aisément, Mademoiselle, quelle est sa tendresse pour ses proches. Elle ne regarde jamais, qui d’eux ou d’elle fait les premiers pas, & on la trouve plutost les prévenant par des devoirs, qu’attendant qu’ils les luy rendent. Enfin elle n’a rien à elle qui ne soit à eux, & l’un de ses principaux soins est d’entretenir la paix & la tranquillité dans sa famille.

Hors les matiéres de Religion, qu’elle veut que l’on n’agite que tres-sobrement, & avec le respect dû à nos Mysteres, la Philosophie, la Morale, la Politique, & les belles connoissances, tout cela est de son ressort ; mais elle ne sçauroit souffrir les disputes échauffées qui vont jusques à l’emportement & aux invectives, & elle y sçait mettre un juste temperament, en sorte que tout s’y passe sans ressentiment, & sans aigreur.

Voir brusquer nostre sentiment,
Entendre un mauvais argument,
Sans sentir échauffer sa bile,
N’est pas une chose facile.

La lecture a pour Leontine mille charmes. Elle desire que ses amis luy ressemblent en cette loüable occupation, & elle prétend, qu’un esprit vuide de lecture, est un bassin d’airain, qui ne rend qu’un son aigre, & fort desagreable.

Elle n’admet parmy ses amis, que les gens d’une condition libre. Elle leur veut des mœurs irreprochables & irreprehensibles d’aucune tâche ; souvent elle s’en explique elle même ainsi, & en propres termes. Je desire (dit-elle)

  Des mœurs pleines d’innocence,
Jamais de raillerie, & point de medisance,
Cependant de l’esprit, s’il se peut, du meilleur,
Qu’au défaut il soit doux, & de la bonne humeur,
 Sans jalousie, & sans envie,
N’est ce pas le secret de bien passer la vie ?

Elle entend qu’il regne entre ses amis une liberté honneste, meslée d’une bien-séance, qui neantmoins ne reconnoisse ny ces assujettissemens à certains habits de visite, ny ces visites à certaines heures plûtost qu’à d’autres, ny ces places affectées dans une compagnie, ou à table, ny ces complimens étudiez, ny ces grimaces exterieures qui dementent la sincerité, & la bonne foy, qui doivent se rencontrer entre des gens qui se piquent d’honneur, & de probité.

C’est à dire qu’il faut un air franc & sans feinte,
 Se défaire du ton flateur,
Et pour apprendre à vivre sans contrainte,
Sçavoir son Coulange par cœur.

Les meilleures choses peuvent estre converties en poison, quand on en veut faire un mauvais usage. Il est tres seur que cette liberté exercée avec une vraye cordialité fera toujours le charme des honnestes gens, mais il faut bien se donner de garde d’en abuser, car l’on ne manque point dans le monde de ces mauvais plaisans, qui sous ce voile specieux, & assaisonnant leur hardiesse de quelques petits contes froids & usez sur lesquels pourtant ils triomphent, se donnent la licence de prendre toutes leurs aises, ou de rebattre incessamment les oreilles de leurs infirmitez, ou de leurs appetits.

 A moins d’être d’un rang sublime,
 Croit on se bien mettre en estime,
 (A la faveur de cette liberté)
 De fatiguer la Compagnie,
Par l’ennuyeux recit de quelque maladie ?
Ou bien croit on pouvoir, avec honnesteté,
 Se donner un air pardonnable,
Quand en Carosse on est comme dans un cercüeil,
Qu’au cercle on prend le bon fauteüil,
Ou les meilleurs morceaux à table ?

Leontine est entierement opposée à un si grossier abus, qui renverse, & qui détruit tous les droits de l’Urbanité tant recommandée.

Cette franchise vous fait comprendre aisément, Mademoiselle, que Leontine ne respectera jamais davantage un Amy pour ses richesses & pour sa fortune, qu’un autre pour le vrai merite qu’elle lui reconnoîtra, & si par quelqu’un de ces affreux coups du sort qui changent souvent l’état des affaires des hommes, un de ses Amis tombe dans quelque besoin pressant, elle veut que l’on contribuë de ses soins & de ses sollicitations, & même de ses biens autant qu’on le peut, & sans incommoder sa famille, pour le soulager dans ses peines. C’est le precepte de sa religion, & selon elle, l’obligation indispensable d’un cœur qui se doit tout entier à l’amitié ; & si elle aime la commodité de la vie, ce n’est que pour avoir plus de moyen d’en aider raisonnablement ceux de ses amis qui en manquent.

Genereuse bonté, charité plus qu’humaine
Qui peut douter (suivant des chemins peu battus)
 Entre les plus rares vertus,
 Que tu ne sois la souveraine ?

La spiritualité n’exempte point des petites imperfections nées avec certaines personnes, & certains temperammens ; mais elle sert à les suporter avec douceur. Leontine pratique admirablement bien cette vertu, & c’est là le vrai moyen de serrer plus étroitement le lien de l’heureux accord, qui doit être dans la societé qu’elle propose.

On voit bien, qu’un caractere d’esprit aussi rare que celuy là ne convient point à la Cour, où, malgré l’integrité des Princes les plus vertueux & les plus accomplis, & les exemples qu’ils peuvent donner de leur candeur, & de leur droiture, la dissimulation & l’artifice sont en credit, & triomphent à tous momens de la facilité des credules, & de l’innocence des simples, & où, la contrainte des ceremonies, & des dehors composez, tient & les esprits & les corps dans une gêne continuelle. Cependant, qui le croira ? Leontine hante la Cour depuis un long temps ; elle y a des relations journalieres, & elle fait même un des principaux ornemens de celle de la grande Princesse, à laquelle elle est attachée ; & au milieu de tant de perils, cette admirable personne se conserve pure, & exempte de cette corruption generale ; mais il faut aussi avoüer, qu’elle n’en souffre pas moins, & que si au milieu de son cœur, elle se fait souvent une retraite, où elle renouvelle sans cesse ses forces ; pour resister aux vapeurs malignes de cet air empoisonné, ce n’est pas sans se déchaîner un peu contre les faux entestemens des grandeurs. Par-là, vous jugez facilement, qu’elle ne conseillera jamais à ses amis d’habiter un sejour, où elle est persuadée qu’il y a tant à craindre, & qu’il y a tout à souffrir.

Elle aime un logement propre & commode, & elle desire que les meubles en soient entre la magnificence & la simplicité. Elle demande la même chose pour les habits, & pour la parure, qui ne font la matiére de ses entretiens qu’autant que le besoin le peut exiger, car elle est exempte des défauts du sexe sur cet article.

Leontine fuit la cohuë, & ne fait élite que d’un petit nombre d’amis. L’inegalité de l’age ne la rebute point, si vous en exceptez toutefois celuy, qu’un trop grand feu, & trop de vivacité pourroient faire franchir les bornes qu’elle s’est prescrites.

Rarement un jeune courage
Suit une metode aussi sage.

Elle n’en aime pas moins tout ce qui peut contribuer à la joye. Elle philosophe avec les sçavans ; elle parle histoire avec les Politiques ; elle fait des vers avec les Poëtes, cependant elle voudroit bien, si l’amour propre pouvoir le souffrir, que quelque talent que l’on se trouvast au dessus des autres, on n’en prist point occasion de mesestime pour ceux qui nous sont inferieurs en esprit, & elle croit qu’il est de la bien séance que chacun parle & soit écouté à son tour.

 Un parleur impitoyable
Nous desole & nous accable.

La Musique est un de ses plus ordinaires amusemens, elle a l’oreille juste. Elle souffre que la danse entre dans ses plaisirs. Les spectacles pris d’une maniere reservée, & par intervales, sont assez de son goût.

La promenade a des agrémens infinis pour elle, & les sujets qui s’y presentent aux yeux, servent moins à exciter sa censure, qu’à exercer ses judicieuses reflexions.

Une table reglée, bien servie, & peu surchargée de mets, avec une compagnie choisie, & où l’entretien, & le chant quelque-fois, brillent tour à tour, est admise volontiers chez-elle.

De tous les jeux, celuy qui est le plus de commerce entre les plus honnestes gens, est celuy qui luy convient, & elle y veut toute la simplicité & la droiture qui l’accompagnent dans ses autres actions.

Les veilles outrées ne sont point de son caractere. Elle prend le plaisir avec moderation & seulement pour servir à la santé, & comme elle prendroit un aliment.

Mais il me semble que je l’entens, & vous aussi, Mademoiselle, murmurer un peu de ce que je n’ay encore rien dit de cette inclination que vous avez toutes deux, à ne pas vouloir languir les journées entieres, comme une infinité d’autres femmes, dans l’inaction, & dans l’inutilité d’une vie molle & oisive. Il faut vous rendre justice, je ne l’ay point oublié. Le bon employ du temps que recommande si fort la Sagesse Eternelle à toutes celles de Vôtre sexe, tient un grand rang parmy vos premiers devoirs, & l’on sçait que ny l’une ny l’autre, vous n’avez guere laissé passer de jour, sans laisser des marques de l’application que vous aviez donnée pendant quelques heures à ces sortes d’ouvrages où la main a souvent plus de part que d’esprit.

Au surplus, & pour donner la derniere main à nostre grand projet, comme les vocations de la plus belle apparence ne sont pas toûjours celles qui sont de plus longue durée, car,

Dans les engagemens, où l’on livre son cœur,
On ne doit pas toûjours compter sur sa ferveur ;

S’il arrivoit que quelqu’un de la societé succombast au foible amoureux, qui regne sur presque tous les hommes (ce qu’à Dieu ne plaise) on ne fera aucune tentative pour le ramener, persuadé que l’on est, que cette fureur ne se regle point par les conseils. Leontine accordera tous les congez & passeports necessaires au Relaps infortuné, qui renoncera à ses genereuses résolutions, pour se retirer où bon luy semblera, & on l’abandonnera à sa mauvaise destinée.

Ce plan est ravissant, mais je vous le confesse,
Quand on est revenu du pays de tendresse,
Rarement trouve-t-on à se laisser charmer
Dans un pays severe où l’amour est foiblesse,
Et d’où l’on bannit l’art d’aimer.
***
Telle que je dépeins, la sage Leontine,
Telle vous a-t-on veuë à la Ville, à la Cour,
 Avec une ardeur assassine,
Par mille traits sanglans insulter à l’amour.
Mais qui me répondra, peut-être je devine,
 Que cette humeur mutine,
Ne vous quittera pas un jour,
Et que vous n’aimiez pas peut-être à vostre tour ?

Quoyqu’il en soit, Mademoiselle, je reviens à vous dire, que pour peu que vous voulussiez bien vous mesler de l’établissement de cette respectable societé, il luy seroit bien avantageux d’avoir tous ses devoirs redigez en maximes ou en loix, par une main sçavante & habile comme la vostre. De la part de cette celebre Compagnie, car elle a déja pris quelque forme, & m’a fait l’honneur de m’élire pour son Secretaire, je viens vous en faire la tres-humble supplication, & vous demander en même temps vostre suffrage, pour luy donner un nom qui luy convienne, & pour la conseiller dans tout ce qui pourra la conserver dans la suite, me reservant à vous expliquer de vive voix, quel est le climat, & la region qu’elle habite.

A cela trouvez bon, s’il vous plaist, que je joigne l’assurance du profond respect avec lequel j’ay toujours l’honneur d’être, Mademoiselle, Vostre tres &c.

Tamiriste.

Cette Lettre étant tombée entre les mains de Leontine ; elle écrivit là dessus un billet tres spirituel à une Dame de ses amies, qui a grande part à cette societé, & adressa ces vers à Tamiriste.

 Vous peignez en beau Leontine,
Vostre pinceau flateur cache tous ses défauts ;
 Mais par malheur vostre Heroïne
Reconnoist, au travers de tant de jolis mots,
Que ce Portrait charmant ne luy ressemble guere.
 Tout ce qui peut la rassurer,
C’est que sur son Portrait on ne peut censurer,
Puisque son nom est un mystere.

La sçavante Academicienne répondit à l’Auteur tres ingenieusement & tres-delicatement, mais comme ce plan pourra avoir des suites, je vous parleray de ces autres ouvrages quand je les auray reçûs.

[Nouvelle enceinte faite à la Ville de Toul] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 201-210.

On fait une nouvelle enceinte à la Ville de Toul, & la premiere pierre y fut mise le 11. du mois passé, par Mr de Saint. Contest, Intendant au département de Mets, avec les Medailles, que S.M. a trouvé bon qu’on y envoyast. La ceremonie se fit avec beaucoup de solemnité, par rapport à ce dépost précieux, qui devoit estre enfermé pour toujours sous ces nouveaux Bastions. Tous les Corps se rendirent sur les sept heures du matin dans l’Eglise Cathedrale de Saint Estienne, où l’on celebra en Musique une Messe du Saint Esprit. Les Medailles y furent exposées aux yeux des Assistans, & ensuite on se mit en marche. Le Clergé, composé des Chanoines de la Cathedrale, de ceux de la Collegiale de Saint Gentgout, des Chanoines Reguliers de Saint Leon, des Religieux des Abbayes de Saint Eure & de Saint Mansuy, des Jacobins, Cordeliers & Capucins, estoit précedé d’un grand nombre de Tambours, & suivi de plusieurs sortes d’Instrumens. Mr l’Intendant marchoit ensuite, accompagné du Gouverneur & d’un Cortege nombreux. On portoit devant luy à découvert les Médailles de Louis le Grand. Le Presidial paroissoit ensuite, & cette marche, en ordre de procession, estoit terminée par les Magistrats de l’Hostel de Ville, par les Officiers, & par un fort grand concours de peuple. Lors que l’on fut parvenu au lieu destiné, où les Troupes de la Garnison s’estoient rangées en bataille, le Doyen de la Cathedrale y benit les Medailles & les pierres. La boëte de Cedre dans laquelle elles étoient, fut enfermée dans une autre de plomb, soudée, recouverte d’une plaque de cuivre, d’un pied en quarré, sur laquelle l’Epoque de cette fondation est marquée par une Inscription conceuë en ces termes, An. Æræ Xrianæ M. DCC. triennio postquam fortiss. Gens Franc. Germanis, Hispan. Angl. Batav. Allobrog. per Xnium multoties cæsis fusisque pac-dedit suo fel. genio, provid. q ; Ludovici Magni, qui hanc civit. Leucor. disjectis veterihus muris ampliavit, novis cinxit IX. sax. propugnac. firmavit, aliisque munition. obvallavit. Le tout fut encastré entre la premiere & la seconde pierre de taille, par Mr l’Intendant, revestu d’un tablier de drap d’argent, bordé d’un galon d’or, & armé d’une truelle & d’un marteau d’argent, au bruit de l’Artillerie, des Trompettes, Timbales, & des acclamations publiques qui furent continuées par les travailleurs, en reconnoissance de trente Louis d’or qu’il leur ordonna. Les Medailles que le Roy fit envoyer à Toul pour estre mises sous la premiere pierre de l’angle flanqué d’un Bastion de la nouvelle enceinte, estoient au nombre de cinq. La premiere fait voir le Portrait du Roy, & a pour legende aussi bien que les quatre autres, Ludovicus Magnus Rex Christianissimus. Le revers est charge des Bustes de Monseigneur & de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, d’Anjou & de Berri, avec leurs noms au dessus de chaque Buste. Pour legende, Felicitas Domus Augustæ 1693.

Le corps de la seconde Medaille est composé d’un costé du Buste du Roy. Au revers est la Déesse Minerve, s’appuyant de la gauche sur la Javeline, & soutenant de la droite conjointement avec sa Justice qui tient la Balance, une couronne de Laurier. Pour legende, Virtus & æquitas ; dans l’Exergue, Pacata Europa 1697.

Ce qui compose la troisiéme est encore le Buste du Roy, & au revers, on voit la même Minerve assise, & tenant de la main droite sa Javeline. De la gauche, elle est appuyée sur un piedestal, d’où pend un plan de places, au bas duquel sont plusieurs Instrumens d’Ouvriers & de Matematiques. Pour legende, Securitati perpetuæ ; dans l’Exergue, Urbes & arces munivit aut extruxit CL. ab anno 1661. ab annum 1692.

La quatriéme est semblable aux autres pour le Buste, & sur le revers est une representation de trophées d’Artillerie meslez agreablement, surmontez d’une couronne murale ou tourelée. Pour legende, Victori perpetuo ; dans l’Exergue, Ob expugnatas urbes CC.

La 5e represente le Buste du Roy, dont la teste en cheveux est couronnée de Lauriers. On voit au revers ce Prince assis sur son Trône, recevant pour le Duché de Bar, la foy & hommage de Charles IV. Duc de Loraine, qui est à genoux devant luy teste nuë, sans épée ny éperons. Pour legende, Carolus Lotharing. Dux Barren. Reg Francor Vassalus. Dans l’Exergue, Fidelitat. jurum. & hommagium præstat. 1661.

La ceremonie étant achevée, on alla chanter le Te Deum qui fut suivy d’un magnifique repas chez Mr l’Intendant.

[La nouvelle Mariée, Danse] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 212-213.

Mr Feuillet, Maistre de Danse, Auteur de la Chorégraphie, vend depuis peu chez luy, ruë de Bussy, la Nouvelle Mariée, Danse nouvelle, de la composition de Mr Pecour qui l’a inventée pour l’ajoûter au Ballet nommé La Mascarade. Le Public a donné de grands applaudissemens à cette Danse ; de sorte qu’il a souhaité de la voir gravée de la même maniere que Mr Feuillet en a fait graver plusieurs autres, dont il a esté content, & dont je vous ay parlé. Cette maniere de graver les Danses a esté beaucoup goûtée & les Etrangers sont ravis de cette heureuse invention, par laquelle on leur communique ce qui paroissoit ne pouvoir estre communiqué.

[Panegyrique de S. Louis, presché devant Mrs de l’Académie Françoise dans la Chapelle du Louvre] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 252-259.

Que ne devons-nous donc pas faire pour la conservation d’un Prince qui n’est sur la terre que pour y faire du bien, & si la ceremonie à laquelle j’ay l’honneur de vous inviter aujourd’huy, Messieurs, n’a pour objet que de continuer nos Prieres pour la conservation de Sa Majesté, il faut, à l’exemple de ce Saint Roy d’Israël, que nous nous tournions du costé du Temple, & que les mains élevées vers le Ciel nous épanchions nostre cœur devant Dieu, pour luy demander la prolongation d’une vie si utile à l’Eglise, dont ce Prince a rétably le culte, si avantageuse à ses Etats ausquels il a procuré la sureté & le repos, & si favorable à ses Sujets, au soulagement desquels il travaille, & dont il fait durant la Paix sa principale occupation.

Suivant l’Invitation faite à Messieurs de Ville, ils se trouvérent le jour de Saint Louis à la Procession que les Carmes firent de leur Convent à la Chapelle du Louvre, où la grande Messe fut chantée pour l’accomplissement du Vœu fait pour S. M. Le matin du même jour Mrs de l’Academie Françoise s’estoient acquittez de leurs devoirs ordinaires. On chanta un fort beau Motet pendant la Messe, qui fut celebrée dans la même Chapelle. Il estoit de la composition de Mr de Bousset, & acompagné d’un fort grand Chœur de Musique, composé de Voix & d’Instrumens. Le Pere de la Roche, de l’Oratoire, qui avoit esté invité par cette celebre Compagnie, prononça le Panegyrique du Saint, & prit pour son texte ces paroles de Saint Paul : Virga æquitatis virga regni tui. Il commença par dire, que si le Salut des Particuliers estoit un ouvrage de la Grace, le Salut des Rois en estoit le Chef d’œuvre. Ces seuls mots vous peuvent donner une grande idée de son Discours, qui roula entierement sur la Justice. De combien de traits de la plus vive Eloquence ce Discours fut-il rempli ? Ce seroit en affoiblir la beauté, que de tâcher à vous en rapporter quelques-uns. Il fit voir à quels desordres l’homme est ordinairement sujet par l’indépendance, & dit que parmy les grands obstacles que les Rois trouvoient à leur salut, il y en avoit trois principaux, l’Orgueil, la Volupté, & la Flaterie ; mais que Saint Louis les avoit heureusement surmontez ; en sorte qu’il avoit élevé trois Trônes à Dieu, le premier sur son propre cœur par son humilité & par son abaissement devant le souverain Estre ; le second sur le cœur de ses Sujets par l’équité de ses loix ; & le troisiéme sur le cœur des Ennemis du Seigneur, par la terreur de ses armes, lorsqu’il avoit entrepris la conqueste de la Terre Sainte. L’application qu’il fit sur la fin de ce Panegyrique des vertus du Roy à celles de Saint Louis, fut tres delicate. Il la finit en disant que quand la Copie se pouvoit confondre avec l’Original, il ne pouvoit plus rien manquer à cette Copie. Il loüa de même tres finement Mrs de l’Academie Françoise, & dit qu’ordinairement les Princes enrichissent leurs Palais, de Statuës & de Figures, & que Louis le Grand avoit pris soin d’embellir le sien d’hommes vivans, qui animez par ses bienfaits, & par l’honneur de son Auguste Protection, porteroient sa gloire dans les siecles à venir, & dont l’exemple n’estoit pas moins une regle pour les mœurs, que leurs decisions en estoient une pour la langue. Je ne vous dis rien que tres-imparfaitement. Tous les Auditeurs sortirent charmez, & il n’y eut jamais une approbation si universelle.

Le même jour, l’Academie des Sciences, fit celebrer aussi une Messe dans l’Eglise des Peres de l’Oratoire, & on y chanta un autre Motet, de la composition du même Mr de Bousset, avec le même Chœur de Musique. Mr l’Abbé de Beaujeu, qui prononça le Panegyrique de Saint Louis, prêcha avec beaucoup d’éloquence.

[Madrigaux] §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 259-262.

Mr l’Abbé de Poissi, qui ne fait rien qui ne soit de fort bon goust, a fait les deux Madrigaux que vous allez lire.

AU ROY.

Aprés les tourbillons d’une horrible tempeste,
 Enfin le calme est de retour.
Le Vainqueur aujourd’huy veut se vaincre à son tour,
Et Louis de Louis est la propre conqueste.
Ciel, qui fais ce miracle en faveur de la Paix,
Ciel, qui benis un Roy que le monde révere,
Un Roy, qui sur les cœurs de ses heureux Sujets
 Regne moins en Maistre qu’en Pere,
Je ne fais point pour luy mille vœux empruntez ;
 Qu’il vive, c’est assez.

A Monseigneur le Duc
DE BOURGOGNE.

 Prince, à quoy bon tant de Volumes ?
 Les Ecrivains
 Grecs & Romains,
Par le stile pompeux de leurs flateuses Plumes,
Ne sçauroient nous fournir que des Rois imparfaits.
Veux tu sçavoir ce que l’on fit jamais
 De plus sain, de plus politique,
 De plus prudent, de plus judicieux,
 De plus fort, de plus heroïque,
 De plus hardy, de plus prodigieux ?
 Un seul livre t’est necessaire.
C’est le livre où l’on voit les faits de ton Grand-pere.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1700 [tome 8], p. 270-271.

Les Connoisseurs ont approuvez l'Air nouveau, dont je vous envoye les notes gravées, les paroles en sont agréables & fort naturelles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Jeune Iris, chaque jour, doit regarder la page 271.
Jeune Iris, chaque jour,
Vous allumez une flame nouvelle,
Milles Amans empressez augmentent vostre cour ;
Mais sans être jaloux je verrois leur Amour,
Si vostre cœur étoit le prix du plus fidelle.
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