1701

Mercure galant, août 1701 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, août 1701 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1701 [tome 10]. §

Sonnets sur les Bouts-rimez proposez à Toulouse, pour estre remplis à la gloire de Sa Majesté §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 5-16.

Les Sonnets sur les Bouts-rimez qu’on propose tous les ans à Toulouse, estant à la gloire du Roy, & mes Lettres commençant toujours par quelque Article qui regarde ce Prince, ou par quelques Vers à sa gloire, je croy que vous ne serez pas fachée de voir quelques Vers de ceux qui ont esté composez pour le Prix de cette année.

SONNETS
Sur les Bouts-rimez proposez à Toulouse, pour estre remplis à la gloire de Sa Majesté.

I.

Quels pompeux appareils, quels étonnans spectacles !
L’Espagne par son choix rend l’Univers surpris,
De son jeune Heros cent Peuples sont épris :
À peine sur ces faits eust-on cru les Oracles.
***
Pour le Sang de Bourbon Dieu seul fait ces miracles,
Ces coups heureux du Ciel sont l’équitable Prix
De cent travaux pieux pour sa gloire entrepris,
Philippe est couronné malgré tous les obstacles.
***
Bellonne sans pouvoir dans ce siecle nouveau,
De rage sous ses pieds brise, éteint son flambeau,
Les querelles des Rois sont enfin terminées.
***
Et l’envie attachée aux grandes actions,
Pour changer deLouisles hautes tes destinées,
Tâche en vain de liguer de fieres Nations.

PRIERE.

O Seigneur, protegez & l’Espagne & la France ;
Que leurs peuples guerriers soient a jamais unis.
Daignez vous souvenir que Louis & son Fils
Ne regnent dans ces lieux que par vostre puissance.

II.

Sous ton regne, grand Roy, que d’augustes spectacles
Se découvrent aux yeux de l’Univers surpris !
De tes rares vertus tous les cœurs sont épris,
Il faut pour te louër la bouche des Oracles.
***
Ta vie est tous les jours un tissu de miracles,
Ta gloire ne peut pas aller à plus haut prix ;
C’est réussir pour toy que d’avoir entrepris,
Toute l’Europe en vain t’oppose des obstacles.
***
Lors qu’un de tes rayons par un éclat nouveau
Se répand sur l’Espagne, & luy sert de flambeau,
Là toutes tes grandeurs se trouvent terminées.
***
Tes Petits Fils sur toy reglant leurs actions,
Vont faire aller si loin leurs hautes destinées.
Qu’ils soumettront un jour toutes les Nations.

PRIERE.

Les Rois tiennent de toy leur puissance suprême,
Grand Dieu, reçois les vœux que je fais pour Louis ;
Tu l’as fait triompher de tous ses Ennemis ;
Qu’il triomphe longtemps encor de la mort même.

III.

Ton regne heureux sans cesse étale des spectacles,
Dont l’éclat a toujours tout l’Univers surpris,
Et l’Ibere à present pour toy d’amour épris,
Dans le choix de son Roy ne court qu’à tes Oracles.
***
Tes victoires, grand Prince, operent ces miracles.
La gloire est l’objet seul dont ton grand cœur est pris,
Ta valeur n’a jamais en vain rien entrepris ;
Aussi c’est vainement qu’on te fait des obstacles.
***
Ouy, vous luy préparez un triomphe nouveau,
Ennemis, qui voulez ralumer le flambeau
Des Guerres que son bras a cent fois terminées,
***
On verra vos efforts ceder aux actions
Du Heros, dont la main conduit les destinées
Des Maistres & des Rois qu’il donne aux Nations.

PRIERE.

 Dieu de la Paix, Dieu de la Guerre,
Qui rendez le grand nom des Bourbons immortel,
Daignez donner un jour un Trône dans le Ciel,
À Louis qui soutient le vostre sur la terre.

IV.

Sous ton regne, grand Roy, que d’étonnans spectacles !
Du bruit de tes Exploits l’Univers est surpris ;
De tes rares vertus tous les cœurs sont épris,
Tout cede à la voix de tes divins Oracles.
***
Ta pieté solide est feconde en miracles,
Ta gloire de ton zele est le plus digne Prix,
De la ternir en vain cent Rois ont entrepris,
Ta valeur a toujours triomphé sans obstacles.
***
La Paix à ta bonté donne un lustre nouveau.
D’une funeste guerre elle éteint le flambeau,
L’Europe voit enfin ses peines terminées.
***
Le Ciel pour couronner tes grandes actions,
De la Seine & du Tage unit les destinées.
Quel présage, grands Dieux, pour les deux Nations !

PRIERE.

 D’une grace toujours nouvelle
À l’Auguste Louis accordez le secours.
Vostre gloire, Seigneur, est l’objet de son zele,
Et sa tendre bonté l’objet de nos amours.

Le premier de ces Sonnets est de Mr Cheron ; le second, de Mr Diéreville ; le troisiéme, de Mr Robert, Avocat à Saint Laurent de Mucidan en Perigord, & le quatriéme de Mr Simart de Sezane. Si on s’étonne que le dernier parle de la Paix lorsque la guerre semble estre preste à se rallumer de nouveau, tant toute l’Europe est en mouvement, on doit prendre garde que la Paix de Riswick estant le Chef-d’œuvre de la bonté, de la sagesse, & de la moderation du Roy, la pensée qui finit ce Sonnet se borne à l’Epoque glorieuse qui marque l’avenement de Philippe V. à la Couronne d’Espagne, de sorte que l’Auteur en a pû user ainsi, pour donner à Louis le Grand les justes loüanges que merite une des plus éclatantes & des plus heroïques actions de sa vie, sur tout dans un temps où il employe tous ses soins pour maintenir la tranquillité dont la France & les autres Nations luy sont redevables.

Eclaircissement de la Lettre venuë de Jerusalem §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 16-55.Entre juillet et octobre 1701, le Mercure galant publie une série de quatre articles évoquant les pratiques religieuses en Terre sainte. Le premier article est signé par le père Raphaël Ventajol, « Procureur Général de Terre-Sainte » qui est vraisemblablement l’auteur des articles suivants, non signés. Ce premier article (juillet 1701) évoque les célébrations réalisées en Terre-Sainte pour l’accession au trône du duc d’Anjou au trône d’Espagne. Le second article (août 1701) décrit les 24 couvents, missions et hospices de Terre Sainte et leurs coutumes. Le troisième (septembre 1701) décrit les coutumes religieuses et rituels pratiqués lors de différentes fêtes. Enfin, le dernier article (octobre 1701) évoque des cérémonies qui se sont déroulées au Couvent de Nazareth avant de décrire des pèlerinages en Terre sainte.

La Lettre que je vous envoyay le mois passé a excité de la curiosité pour les choses qui regardent les Saints lieux, & c’est ce qui a donné occasion à l’Article que vous allez lire.

ECLAIRCISSEMENT
de la Lettre venuë de Jerusalem.

Les Religieux qui gardent les Saints Lieux sont tous ceux qui sont soumis au General de l’Observance de toutes les Nations du Monde. Ceux qui y vont de France sont les Cordeliers, ou Observantins, les Recolets, & les Religieux du Tiers Ordre. Ils ont un Gardien qui est Custode de la Terre Sainte, Vicaire Apostolique dans les Royaumes d’Egipte, Chipre, Sirie, Palestine & Fungi. Il a les droits Episcopaux, donne la Confirmation & les quatre Mineurs, officie avec la Croce, la Mitre & autres Ornemens Episcopaux, & fait des Chevaliers du S. Sepulcre, qui ont de tres grands privileges par toute la Chrestienté, sur tout en Espagne, en Italie, en Portugal, & en Allemagne. Il y a sous sa conduite vingt-quatre Convents, Missions ou Hospices, qui sont.

1. S. Sauveur, Grand Convent de Jerusalem de soixante Religieux, Paroisse, & residence ordinaire du Gardien Custode de la Terre Sainte.

2. Le S. Sepulchre, où sont renfermez dans une vaste Eglise, quinze Religieux Latins, avec des Grecs, des Armeniens, & des Egiptiens.

3. Bethléem, où le Sauveur est né à deux lieues au midy de Jerusalem. Seize Religieux, Paroisse.

4. Ain Cairé, lieu de la Naissance de S. Jean Baptiste, à deux lieues de Jerusalem & autant de Bethléem, dans les Montagnes de Judée. Douze Religieux, Paroisse & Mission.

5. Nazareth à trente cinq lieues ou environ au Nord de Jerusalem, où le Verbe s’est Incarné. Paroisse & Mission. Il y a quinze Religieux lorsque les Arabes permettent d’y habiter, sinon, on n’y en trouve que quatre ou cinq.

6. Rama à dix lieux à l’Occident de Jerusalem, Hospice de six Religieux, & souvent de dix à douze. Paroisse, Mission, & commerce des François seuls.

7. Acre ou Ptolemaïde, Hospice, Paroisse, & Mission de six à sept Religieux. Il y en a souvent quinze & vingt qui attendent des embarquemens. Commerce de François.

8. Sayde, Hospice de douze à quinze Religieux, Paroisse, Commerce de François seuls. Le Superieur y est toujours François.

9. Damas, Hospice de douze Religieux, College de Langue Arabe, Paroisse & Mission.

10. Tripoli, Hospice de six Religieux ; commerce de diverses Nations.

11. Alexandrette, tres mauvais air, quatre Religieux. Il y en est mort un tres grand nombre de peste & autres maladies. Paroisse, Port de Mer, & commerce de diverses Nations.

12. Alep, Convent de deux Religieux, College de Langue Arabe, Paroisse & Mission, Commerce de diverses Nations.

13. Castrevant, sur le Mont-Liban, Hospice, Paroisse, College de Langue Arabe de neuf à dix Religieux.

14. Laonica, en Chypre, Convent de douze à quinze Religieux. College de Langue Grecque, Paroisse. Commerce de diverses Nations, & Port où la plus grande partie des Religieux de Terre Sainte arrivent. Mission Grecque.

15. Nicosie, Hospice de cinq à six Religieux, Paroisse, & Mission Grecque.

16. Constantinople, Hospice de six ou sept Religieux.

17. Alexandrie en Egipte, Hospice de six ou sept Religieux. Paroisse & commerce des François.

18. Rousset, Hospice de six Religieux, Paroisse & Chapellenie pour les François.

19. Le Caire neuf, ou Grand Caire. Hospice de quatorze ou quinze Religieux. College de Langue Arabe, Paroisse commune de toutes les Nations, & Paroisse particuliere des François.

20. Le Caire vieux, où Nôtre Seigneur a habité avec la Sainte Vierge & S. Joseph, lors qu’à cause de la persecution d’Herode ils fuïrent en Egipte, Hospice de cinq Religieux. Il y a une petite Eglise bastie par Sainte Héléne dans le même endroit, où la Sainte Vierge habita. On décend par quatre degrez, & les Peres de la Terre Sainte y disent tous les jours la Messe, moyennant soixante Ecus qu’ils donnent tous les ans au Patriarche des Cophtes à qui cette petite Eglise appartient.

21. Faïoume, ou Terre de Gessen, où habiterent les Freres de Joseph. Hospice de quatre Religieux, Paroisse, & Mission parmi les Chrétiens de la moyenne & haute Egipte, appellez Cophtes.

22. Akmim dans la haute Egipte, Paroisse, & Mission parmi les Chrétiens qui habitent la haute Egipte. Sept Religieux.

23. Fungi prés de l’Ethiopie ; Mission pour les Abissins de sept Religieux.

24. Damiette, Paroisse, Mission, & commerce de François, lieu tres difficile à habiter, parce que les Corsaires de Provence, de Malte, de Ligourne, de Génes, & autres lieux, croisant toûjours sur la Bouche du Fleuve du Nil qui passe à Damiette ; & enlevent nombre de Saïques, Turques, Londres, & autres Bastimens, le peuple se mutine, & souvent a rasé l’Eglise, & l’Hospice des Religieux, & plusieurs y ont esté massacrez.

Ces Religieux, qui depuis quatre cens soixante & deux ans gardent les Saints Lieux, y ont eu en divers temps prés de cent des leurs martirisez par les Turcs en differens Lieux, comme en Jerusalem, au Caire, à Damas, à Damiette, à Sayde & ailleurs. À la prise de Chypre, tous les Religieux de Jerusalem furent conduits prisonniers à Damas, & la plus part d’eux moururent dans les prisons. À trois lieuës de Jerusalem l’on voit un Convent détruit & une Eglise changée par les Turcs en Estable. Huit Religieux y ont esté massacrez par les Arabes il y a quelques années ; elle s’appelloit sainte Jeremie. On a esté obligé de l’abandonner.

Il se passe peu d’années que la peste ne soit en quelque endroit de la Turquie, & les Peres de la Terre Sainte s’exposent toujours, soit pour le service des commerces, ou pour les Chrétiens du païs. Les dernieres Lettres d’Egipte du 5. May de la presente année 1701. nous apprennent que le Pere Joseph de Montleon, Superieur du grand Hospice du Caire, Recolet de Valence en Espagne, y est mort de cette dangereuse maladie. Il s’estoit expose plusieurs fois au service des pestiferez pour les Marchands François, & pour les gens du païs. Son Compagnon est mort dans le même exercice de charité. Le Pere François Petrado est aussi mort en Alexandrie avec son Compagnon au service du commerce François, n’y ayant en cette Ville aucune Maison de Chrétiens Catholiques que celle des seuls Marchands François. Il est à craindre qu’avant le Notta, la Goutte, ou Rosée qui ne tombe que huit jours avant la S. Jean, il ne soit mort nombre d’autres Religieux depuis le mois de May jusqu’à l’arrivée de cette admirable rosée qui fait cesser presque toute sorte de maladies, & principalement la peste, purifiant l’air de telle maniere, qu’aussitost qu’on s’est aperçû qu’elle est tombée, les personnes saines peuvent embrasser les pestiferez & manger avec eux sans crainte. Comme il y a plusieurs Voyageurs d’Egipte qui parlent de cette Rosée, je ne m’estendray pas sur ce sujet.

Ceux des Religieux qui s’exposent au service des pestiferez doivent tous sçavoir l’Arabe, si c’est dans la Terre Sainte, Palestine, dans la Sirie, dans l’Egipte, dans la Grece à Larnica, à Nicosie en Chipre, & à Alexandrette, si ce n’est qu’ils s’exposent simplement pour le commerce. C’est une grande perte que celle d’un Religieux qui sçait bien l’Arabe, & le peut bien prononcer, parce que plusieurs entreprennent de l’aprendre, & tres peu en viennent à bout, à cause que la prononciation est extremement difficile.

Tous les Convents, Hospices, & Missions qu’on vient de nommer, vivent des aumônes de France, Espagne, Portugal, Italie, Allemagne, Pologne, Savoye, Venise, Génes, Ligourne & autres Royaumes & Republiques. De trois parties des aumônes il en faut du moins deux pour les Turcs, car outre les tributs, les presens, & la nourriture qu’il faut donner à tous les passans Turcs, Arabes, ou autres dans les Convents & Hospices des Campagnes, il faut encore, pour satisfaire à l’avarice de plusieurs Bachas, ou Gouverneurs, payer souvent de grosses avanies.

Les Religieux de la Terre-Sainte vivent tres-pauvrement, jeûnant plus des trois parties de l’année d’une maniere fort rigoureuse. Ils n’usent ny d’œufs, ny de beurre, ny de laitage, ou fromage, & font tous leurs voyages, soit par terre, soit par mer, sans serviteurs & sans argent, estant seulement recommandez à un Turc, ou à un Chrestien du Pays. qui leur fournit purement le necessaire, comme biscuit, eau, raisins secs, & autres fruits, estant infiniment difficile, & même dangereux aux Religieux, de porter du vin, on quelques autres provisions meilleures que celles qui viennent d’estre marquées.

Ils passent plus de la moitié du jour & de la nuit en prieres, se levant toujours à minuit dans tous les Convents, chantant Matines & Laudes, & faisant l’Oraison mentale, ce qui les occupe jusqu’à trois heures aprés minuit. Tous les jours ils chantent des grandes Messes en la même maniere que dans les Eglises Collegiales, avec les Orgues. & outre cela ils en chantent plusieurs autres par semaine pour les Princes Chrestiens. Tous les Vendredis au grand Convent de Saint Sauveur, l’on chante la grande Messe pour le Roy. L’on fait une Procession tous les soirs aux Convents de S. Sauveur, du S. Sepulcre de Bethléem, S. Jean & Nazareth, qui dure une heure & demie, visitant dans l’Eglise du Saint Sepulcre, le Calvaire, la Pierre d’onction, la Prison du Sauveur, le lieu où fut trouvée la vraye Croix, le saint Sepulcre, & autres saints lieux. En Bethléem on visite la sainte Grotte, où est né le Sauveur du monde, le lieu où il fut adoré des Mages, les Sepulcres des saints Innocens, de saint Jerôme, & son Ecole, celuy des Saintes Paule & Eustochium, de saint Eusebe, Abbé de Bethléem, & plusieurs autres lieux. Dans Saint Jean l’on visite le lieu où Saint Jean Baptiste est né ; à Nazareth, le lieu où estoit la chambre de la Sainte Vierge, qui est à Lorette, où l’on a fait deux Chapelles ; on visite ensuite une petite Cellule de la sainte Vierge, qui reste à costé du lieu où estoit la chambre que les Anges ont transportée à Lorette.

Comme dans les Hospices & dans les Colleges d’Arabie, à raison des Missions & de l’étude des Langues, qui occupent la meilleure partie du temps des Religieux, on ne peut faire les mêmes exercices que dans les Convents, l’on y recite en commun le grand Office. On y fait aussi l’Oraison mentale, & les examens en commun, & on se contente d’y chanter des grandes Messes les Dimanches, aux Festes d’obligation, & à celles de l’Ordre.

Quoy que les Religieux de la Terre sainte soient obligez de donner la plus grande partie de leurs aumônes aux Turcs en tribut pour les saints Lieux, & pour satisfaire aux avanies, ils ne laissent pas de partager le peu qui leur en reste entre eux & les Chrestiens du Pays. Il n’y a pas d’années qu’ils ne delivrent des Esclaves en plusieurs endroits de la Terre sainte. Ils payent dans presque tous les Convents & Hospices le Carrage ou tribut de plusieurs Maronites, qui sans cette aumône qui est de six Ecus par teste, pourriroient dans les Prisons, ou seroient obligez de se faire Turcs. Ils marient grand nombre de pauvres filles des Maronites, & des Grecs, & Armeniens convertis, entretiennent des Ecoles tres-nombreuses en Jerusalem, Bethléem, Nazareth, Saint Jean, au Caire, Alep, Chypre, & presque par tout ailleurs, où ils élevent des enfans avec un si grand zele pour la Religion Catholique, que tous mourroient volontiers pour la Foy. Les enfans de Jerusalem, Bethléem & Saint Jean sçavent si parfaitement le plein chant, & le chantent avec tant de modestie, qu’il y a peu de Pelerins, même Anglois & Hollandois, qui ne soient touchez à les entendre chanter, comme ils l’ont plusieurs fois avoüé eux-mêmes. Ils dépensent encore beaucoup de leurs aumônes à maintenir des Archevesques, Evesques, & Patriarches Armeniens, Grecs, Suriens, ou Jacobistes dans leurs Sieges lorsqu’ils sont Catholiques, ou à leur procurer les bons postes lorsqu’ils embrassent la veritable Religion, n’épargnant rien pour leur obtenir leur Barrat, ou Commandement à Constantinople. Presque continuellement ils ont des Evesques ou Archevesques qu’ils entretiennent & nourrissent avec leurs gens dans leurs Convens & Hospices, jusqu’à ce qu’ils soient venus à bout d’obtenir leur commandement de la Porte. La raison de ces dépenses, est que les Evesques ayant l’obligation de leur Evesché aux Peres de la Terre Sainte, ils sont plus fermes dans la Religion Catholique, la preschent à leur peuple, & donnent grande liberté à leurs Sujets de se faire Catholiques, les exhortant à recevoir les Missionnaires dans leurs maisons pour estre instruits. Athanase, Patriarche Grec d’Antioche, qui reside presentement à Alep, a demeuré plusieurs fois chez les Peres de la Terre-Sainte. Il demeura une année toute entiere dans l’Hospice de ces Peres il y a quelque temps, fuïant la persecution d’un méchant Evesque heretique ou Schismatique qui reside à Damas. Ils ont de même aidé le Patriarche des Siriens, appellé Botros, un autre nommé Saac, ou Jaac, un autre nommé Minas, & ainsi de plusieurs autres. Ils font de petites pensions selon leurs forces à divers pauvres Prélats Catholiques chassez & persecutez par les heretiques, dont on pourroit montrer les Lettres de reconnoissance. Pour restablir les Evesques, Archevesques, & Patriarches Catholiques chassez de leurs Sieges par les Heretiques, ils s’adressent à Mr l’Ambassadeur de Constantinople qui les favorise de tout son pouvoir & credit. Ces Prelats, la Terre Sainte, les Religieux, & generalement tous les Catholiques du Levant ont aussi d’infinies obligations à Messieurs les Chevalier, Maunier d’Alep, Agents & Procureurs de Terre Sainte. C’est une Famille de merite, & de distinction, & entierement dévoüée depuis fort long-temps au service de l’Eglise, du Roy, & du bien public. Si la Religion Catholique y a fait quelque progrés, sur tout à Alep, où sont plus de trois mille Catholiques, cela n’est venu que du zele & du soin qu’ont eu les Peres de la Terre-Sainte, d’establir des Patriarches d’Antioche Catholiques qui resident à Alep, ce qui a donné ensuitte le moyen aux Missionnaires de travailler utilement à la Vigne du Seigneur. Le zele d’un Consul tres pieux, nommé Mr Picquet qui est mort Evesque de Babilone, y a aussi beaucoup contribué.

S’ils tâchent d’avancer la Religion Catholique par leurs aumônes, ils le font encore plus par leurs prédications. Dans toutes ces Paroisses l’on presche tous les Dimanches de l’Avent, du Caresme, & aux principales Festes de l’année, dans la Langue qui convient au lieu. L’on presche en François aux commerces d’Alep, Sayde, Acre ou Ptolemaïde, au grand Caire, Alexandrie, & Chypre, lorsqu’il y a des Predicateurs François. Sinon on presche en Italien, Les Marchands de Provence habituez au Levant, entendant tous l’Italien. Ces Peres preschent en Arabe aux mêmes jours en Jerusalem, Bethléem, S. Jean, Nazareth, Damas, Alep, au Caire, au Faïoume, Akmim, Rama, Damiette & ailleurs ; & en Grec à Larnica en Chypre, à Nicosie, & Alexandrette. L’on fait le Cathéchisme en tous ces lieux l’apresdînée en toutes ces Langues. Le Jeudy Saint à la Procession qui se fait dans l’Eglise du S. Sepulchre, qui dure du moins sept heures, l’on presche en diverses Langues, à sçavoir, en François sur le Calvaire dans l’endroit où Jesus-Christ fut estendu & élevé sur la Croix, en Italien au lieu où la sainte Croix fut élevée & plantée, en Arabe au dessous du Calvaire à la Pierre d’Onction, & en Espagnol à la Porte du S. Sepulchre. Les neuf jours qui précedent la Feste de Noël, l’on presche aussi en Bethléem en diverses Langues. La Predication se fait sur l’attente de l’acouchement de la Sainte Vierge. On presche pour lors en François, Italien, Latin, Espagnol, Arabe, Grec, Armenien, Flaman & Alemand, & l’on chante tres solennellement les Antiennes qui commencent par O. Comme les Bethléemites n’entendent pas ces Langues, aprés la prédication on leur explique par le moyen du Pere Curé, ce que le Prédicateur a dit. Si dans ce temps-là il se trouve en Bethléem quelques Peres Jesuites, Carme, ou Capucin, on ne manque point de leur demander une prédication en la Langue qu’ils veulent.

Les Religieux de la Terre-Sainte logent en Jerusalem, Bethléem, Saint Jean & Nazareth, tous les Pelerins, Religieux, Ecclesiastiques & Seculiers, de quelque Nation qu’ils soient. Le lendemain de leur arrivée, aprés que le Pere Superieur leur a lavé humblement les pieds, on les conduit en Procession autour du Cloistre de S. Sauveur, en chantant le Te Deum, & leur donnant un cierge blanc benit sur le S. Sepulchre, aux Armes du Convent où ils arrivent pour la premiere fois, sçavoir aux Armes de Saint Sauveur lors qu’ils sont receus dans ce premier Convent ; aux Armes du Saint Sepulchre, de Bethléem & de Saint Jean lors qu’ils visitent ces saints Lieux, & ils gardent ces cierges, qu’ils emportent en leur Pays. Ils logent dans le Convent, & mangent au Refectoire avec les Religieux en silence, entendant les lectures de la sainte Bible, des Expositeurs, & de la Vie des Saints, soit qu’ils soient Catholiques, ou Heretiques, François, Italiens, Espagnols, Allemans, Hollandois ou Anglois. Ces derniers viennent en Jerusalem en plus grand nombre que toutes les autres Nations. On leur donne au Refectoire quelque chose de plus qu’aux Religieux. Un Religieux particulier a soin des Pelerins, & les accompagne, non seulement dans le Convent, mais aussi par la Ville, & aux environs de Jerusalem & Bethléem, Saint Jean, Nazareth, au Thabor, & à la Mer de Galilée, leur faisant voir tous les lieux où se sont operez nos saints Misteres. Quand les Pelerins s’en retournent, s’ils veulent donner quelque chose au Convent en reconnoissance, ou en aumône, on le reçoit, sinon, l’on ne le demande pas ; mais l’on ne reçoit jamais rien des Religieux, comme des Peres Jesuites, quand ils demeureroient six mois, ou même une année toute entiere dans les saints Lieux, non plus que des P. Carmes & des Capucins, qui envoyent tous les ans quelques uns de leurs Religieux aux Missions voisines, comme de Sayde, Tripoli, Alep, du Caire, de Chypre & d’ailleurs ; & bien loin de leur demander, on leur donne comme à chaque Religieux de la Terre-sainte, pour la valeur de trois Piastres de Croix & de Chapelets. Si quelqu’un des Pelerins tombe malade, soit Seculier ou Regulier, il est traité comme les Religieux de la Terre-sainte, c’est à dire, qu’on le met à l’Infirmerie, où le Medecin le visite tous les jours. Le Religieux Apoticaire ne le laisse manquer de rien ; les Freres Infirmiers l’assistent dans tous ses besoins ; le Superieur & les autres Religieux le viennent voir, pour l’entretenir de choses saintes, & le récréer. Voila une partie des saints exercices des Religieux de Terre sainte, que j’ay cru à propos de donner au public, pour l’intelligence plus parfaite de ma précedente Lettre.

Epitre sur la mort de Mademoiselle de Scuderi §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 55-71.

Comme la gloire que Mademoiselle de Scuderi s’est acquise par ses excellens Ouvrages, conservera sa memoire dans les siecles les plus reculez, il est juste que je vous en parle dans plus d’une Lettre. Je ne le puis mieux faire qu’en vous envoyant ce que Mr de Betoulaud a écrit aux Amis de cette illustre Personne.

EPITRE
SUR LA MORT
DE MADEMOISELLE
DE SCUDERI.

Venez, Esprits fameux, venez, Amis fidelles,
Partager ma douleur & mes peines mortelles ;
Sous le triste appareil des plus sombres couleurs,
Pour l’Illustre Sapho venez verser des pleurs.
Et vous, Sexe brillant, dont elle fut la gloire.
Suivez aussi mes pas au Temple de Memoire ;
De regrets éternels honorant son Convoi,
Acompagnez-moi tous, & venez avec moi,
Justes adorateurs des Ombres les plus grandes,
Mettre sur son Tombeau de nouvelles Guirlandes.
 Il vous souvient encor du Cercle renommé,
Et du Reduit heureux où l’Esprit estimé
S’étoit fait, en un tems aux Muses si propice,
Une celebre Cour du Palais d’Artenice 2
Ce fut là que Sapho commença, jeune encor,
D’étaler à la France une Ame toute d’Or,
Et les premiers rayons de la pure lumiere,
Qui de ce nouvel Astre ouvrirent la carriere,
On y lut aussi-tôt ses Vers d’un tour charmant,
Où le Cœur & l’Esprit parloient également,
Où l’on voyoit toûjours les Graces si naïves,
Semer de tous côtez les Roses les plus vives,
On vit bien-tôt aprés ses nobles fictions,
Ses recits attrayans, & ses descriptions,
Où l’Art sous son pinceau surpassant la Nature,
Fit de tant de Heros la fameuse peinture.
Rien n’égaloit alors ces tableaux, mais toûjours.
La charmante Pudeur y guidoit les Amours,
Et parmi tant de fleurs de sa main liberale,
Naissoient tous les fruits d’or d’une sage Morale.
C’est ainsi que l’on vit ces Heros renommez,
Dans l’Empire François par elle ranimez,
En depit de la Parque, en depit de l’Envie,
Y retrouver encor une plus belle vie ;
Mais préferant depuis, par un choix plus heureux,
Le Heros veritable aux Heros fabuleux,
Son Esprit nous ouvroit une plus noble Scene,
Et Louis en ses mains effaçoit Artamene.
Elle ne songea plus qu’à chanter ce Grand Roy,
Et d’abord la Valeur, la Sagesse, la Foy,
La Pieté qui porte une Palme si belle,
Soûtenoient de sa voix l’harmonie immortelle.
Ou soit que dans la Guerre, ou soit que dans la Paix,
La prompte Renommée annonçast ses hauts faits,
Aussi-tôt sous sa main gracieuse & legere,
Sa Lyre d’Or passoit la trompette d’Homere ;
Et le prudent Ulisse & le sage Nestor,
Et le vainqueur fameux du magnanime Hector,
En auroient soupiré dans les demeures sombres,
Si le nom de LOUIS n’eût fait taire leurs Ombres.
En vain le vieux Parnasse, & surpris & jaloux,
À des sons si charmans, à des accords si doux
Entreprit d’opposer la Sapho de la Grece ;
Bientôt son Ombre errante aux rives du Permesse,
Y vit malgré le bruit de ses chants immortels
Par la Sapho nouvelle enlever ses Autels,
Et ce brillant tribut de louange & de gloire,
Dont l’honoroient jadis les Filles de Memoire.
 Mais qui sçavant en l’Art qu’Apollon nous prescrit,
Peut bien peindre son Cœur plus grand que son Esprit,
Et qui de cent Vertus qu’elle eut pour son partage
Peut tracer à nos yeux une assez vive image ?
En vain sa Plume d’Or sur l’aîle de ses Vers,
Voloit des bords de Seine au bout de l’Univers,
Ou faisoit à l’envi dans sa Prose élegante.
Sentir de mille éclairs la foule ébloüissante.
Loin de s’enorgueillir de ce feu précieux
Que jadis Prometthée enleva dans les Cieux,
Ni de l’heureux tresor de sa rare Sagesse,
Ni de l’éclat flateur de l’antique Noblesse,
Ce n’étoit que douceur, qu’obligeante Bonté,
Qu’aimable Modestie, où la sombre fierté,
Les bizarres dégoûts, les caprices volages,
Ne mêlerent jamais leurs indignes nuages.
Mais sur tout qui jamais par des soins genereux,
De l’ardente Amitié serra si bien les nœuds ?
Ni disgrace du sort, ni tems, ni longue absence,
Sources de la Tiedeur, ou de l’Indifference,
Jamais dans une oisive & sinistre langueur,
De leurs tristes Pavots n’empoisonnoient son cœur.
Toujours pour ses Amis prompte active, fidelle,
Leur gloire ou leur fortune occuperent son zele.
 Vous qui vivez encor, vous en êtes témoins.
Et vous, Illustres Morts qu’elle n’aima pas moins,
Peut-être en avez-vous, jusqu’en la Tombe noire,
Sçu conserver encor la flateuse memoire.
 Mais si toujours son Cœur a si bien merité.
Les Myrthes glorieux de la Fidelité ;
Combien d’autres Vertus de leur main éclatante.
L’ornerent à leur tour d’immortelle Amarante !
Maîtresse d’elle-même & de tous ses desirs,
Jamais ni l’Interêt, ni l’Amour des Plaisirs,
Ni de l’Ambition l’orageuse esperance,
Ni Fiel, ni dure Aigreur, ni Couroux, ni Vangeance,
Dans le fond de son Cœur n’éleverent leurs flots ;
On eust fait de son Ame une Ame de Heros.
La solide Raison, l’aimable Politesse,
Couronnoient même encor son illustre vieillesse,
Rien ne s’y ressentoit du triste poids des ans,
Et son Hiver avoit les fleurs de son Printems.
Mais sur tout quelle gloire au bout de sa carriere,
Quand prête à voir fermer ses yeux à la lumiere,
Par tant de Pieté, tant de force à souffrir,
Elle nous aprenoit encor à bien mourir !
C’est ainsi qu’ayant sçu, presque dés sa naissance,
Honorer & son Sexe, & son Siecle, & la France,
L’estime & le respect des plus sages mortels
Sembloient par tout pour elle élever des autels ?
Mais que vais-je citer ? C’étoit Louis lui-même,
Cet Arbitre éclairé du merite supréme,
Qui daigna la parer de rayons plus brillans,
Qui lui-même loüa sa Vertu, ses Talens,
Ses veilles, son esprit si noble, si sublime ;
Et ses bienfaits suivoient son éclatante estime.
Mais à son tour sa main sensible à ces bontez,
Traçoit de ce grand Roy des tableaux enchantez.
Tantôt on l’y voyoit fier, terible, indomptable,
Lancer d’un bras vainqueur la foudre redoutable,
Tantôt sacrifier ses Lauriers les plus verds,
Et les fruits de sa Gloire, au bien de l’Univers ;
Tantôt livrer lui-même à l’Empire du Tage,
De toutes ses vertus une vivante Image,
Et ce Prince parfait 3 dont par un juste choix,
L’Espagne voit former le plus grand de ses Rois.
C’est ainsi que Sapho, cette rare Merveille,
Dans les siecles passez à jamais sans pareille,
Et sans pareille encor pour ce long cercle d’Ans,
Qui roulera sans fin sur les ailes du Tems,
De ce Heros fameux sçut aux races futures,
Transmetre si souvent ces durables peintures.
Mais helas, quel malheur ! nous ne la voyons plus,
Malgré tous nos regrets & nos vœux superflus,
Etaler ces atraits de sa voix immortelle.
Les Anges maintenant chantent seuls avec elle,
Ils ont voulu prés d’eux l’attirer loin de nous,
Et le Ciel de la terre est devenu jaloux.
Vous, Anne, & Vous, Terese, Augustes Souveraines,
Eternel Ornement des plus illustre Reines,
Vous qui de son Esprit si vif & si charmant
Sentîtes mille fois l’aimable enchantement,
Et vous Christine 4 aussi, qu’une ardeur si fidelle,
Jusqu’aux Glaces du Nort sçut embrazer pour elle,
Vous la voyez du moins au bien heureux sejour,
Augmenter à present vostre Celeste Cour.
Et Vous, si renommez par tant de politesse,
Et par tant de courage, & par tant de sagesse,
Montausier & Crequi 5 Cœurs jadis si vantez,
De cette illustre Fille Amis si respectez,
Et vous, Segrais, & vous, dont la Plume éloquente,
Pellisson, fit l’honneur de sa Cour si brillante,
La Parque en la plaçant dans le Ciel avec vous,
Rend & vôtre bonheur & vos plaisirs plus doux ;
Mais pour nous, étourdis de ce coup de Tonnerre,
Et regrettant encor ce Trésor de la Terre,
Helas, rien ne sçauroit, purs & divins Esprits,
Nous consoler du bien que vous nous avez pris,

[Madrigaux] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 71-75.

Voicy divers Madrigaux, dont quelques uns sont adressez à Mr l’Abbé Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons. Le premier est de Mademoiselle Masquiére ; le second, de Mr Moreau de Mautour, Auditeur de la Chambre des Comptes ; le troisiéme de Mr de Valois : le quatriéme de Mr de la Monnoye, Correcteur en la Chambre des Comptes de Dijon ; le cinquiéme de Mr de Monchamps, Doyen des Avocats du Grand Conseil, & le dernier d’un Anonime.

I.

Au trépas de Sapho donnons un nom plus doux.
Elle a fait un partage entre le Ciel & nous.
Si son cœur embrasé d’une divine flâme,
 Luy fit rendre à Dieu sa belle ame ;
 Dans plus d’un excellent écrit
Elle nous a laissé, Daphnis, tout son esprit.

II.

 Ami, mêlons nos pleurs, nostre perte est commune,
Scuderi ne vit plus. Quelle triste infortune
Vient accabler nos cœurs dans ce triste moment !
La Grece aura vanté ses Muses vainement ;
Le Parnasse en a neuf, & Paris n’en eut qu’une :
Elle seule en a fait la gloire & l’ornement.

III.

En vain, mon cher Daphnis, un Ami plein de zele,
Pense-t-il adoucir nostre langueur mortelle,
 Tous ses discours sont superflus.
  Cet admirable modele
  Des plus brillantes vertus,
L’illustre Scuderi n’est plus.
  Et cette perte cruelle,
 Dont nos esprits sont abbatus,
 Sera pour nous toujours nouvelle.

IV.

L’illustre Scuderi dans l’ombre du tombeau
 Est-elle donc ensevelie,
Elle de qui l’esprit fut si vif & si beau ?
Craignez pour vous, Clion, Melpone, Thalie.

V.

Seigneur, quand tu formas Sapho, ce grand Ouvrage,
Tu fis avec plaisir son ame à ton Image.
Ses rares qualitez m’en ont bien convaincu.
Ah ! que ne formois-tu son corps d’une matiere
Qui ne dust pas un jour se reduire en poussiere.
Son esprit meritoit qu’elle eust toûjours vécu.

VI.

Que l’on n’appelle plus cette Fille excellente,
De ton grand nom, Sapho, si vanté, si cheri !
Si tu ressuscitois pour paroistre sçavante,
Tu devrois emprunter celuy de Scuderi.

Défense de la Fable de la Pudeur §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 86-133.

Je suis bien aise de pouvoir satisfaire vostre curiosité en vous apprenant que celuy qui a fait la Fable de la Pudeur, que vous & vos Amis ont tant estimée. Il s’appelle Mr Cormouls de Castel-Sarraas. J’avois cru avec raison qu’ayant autant d’esprit qu’il en a, il ne manqueroit pas de répondre à ceux qui ont fait la Critique de cet Ouvrage. Il leur est peut-estre obligé, de luy avoir donné occasion de la faire. Le Public n’en doit pas estre faché, puis que la dispute n’enfermant aucune aigreur, il n’y a que l’esprit seul qui regne dans l’attaque & dans la réponse.

DEFENSE
DE LA FABLE
DE LA PUDEUR.

À MONSIEUR DE.…

Vous voulez donc, Monsieur, que je réponde à la Critique de la Fable d’Hebé. Je vous avouë que cette Critique, toute aisée qu’elle est, me paroist dangereuse. Aprés le soin qu’on a pris de rendre cet Ouvrage odieux aux Dames, puis-je m’obstiner à la défendre sans meriter leur indignation ? Je cours risque d’estre proscrit par le beau Sexe, comme un perturbateur du repos public, qui veut réveiller mal à propos la défiance des hommes. Rien ne m’engage d’ailleurs à justifier cette Fable, c’est un ouvrage de ma jeunesse, & je puis en avoüer les fautes sans confusion ; mais puisque l’Auteur de cette Critique n’a cherché dans ses reflexions que le plaisir gratuit de la Censure, puisqu’il laisse appercevoir qu’il est peu instruit des anciens usages ; qu’il s’attache tantost à fonder vainement une contradiction sur un jeu de mots, tantost à vouloit garder dans la Fable une scrupuleuse convenance, & quelquefois même à supposer dans la narration un sens nouveau pour ne perdre pas le merite d’une pensée mediocre ; cet Auteur, dis-je, qui reprend avec si peu de ménagement merite à son tour qu’on le censure.

La premiere chose qu’il n’approuve pas dans cette Fable, c’est qu’on ait choisi Hebé pour estre la Mere de la Pudeur. Peut-estre un peu plus d’attention sur cet ouvrage, luy auroit fait appercevoir qu’elle estoit seule digne de la faire naistre. En effet elle preside à la Jeunesse ; âge bien-heureux, ou l’ame peu instruite encore du desordre des passions, ne produit que des vertus sinceres. Qui pouvoit mieux que cette Déesse donner la naissance à la Pudeur. Cette vertu n’est elle pas l’ouvrage des tendres années ? Affranchie de la loy du temps, elle n’attend pas que la raison meurisse pour paroistre. Veritable Fille de la Jeunesse, ses charmes ne sont jamais si touchans que lors que l’Innocence la produit. Elle se défigure en quelque sorte dés qu’elle veut connoistre ; elle s’affoiblit sous de trop curieuses recherches, elle se perd, pour ainsi dire, à mesure qu’elle apprend à former des desirs, & la Pudeur que l’âge & l’experience ont éclairée, n’est plus cette même Pudeur qui tiroit naguéres de son heureuse ignorance tout ce qu’elle avoit d’agrémens. Il n’y avoit donc point de Divinité plus digne d’estre sa Mere. Une telle Fille ne convenoit gueres à Pallas, Déesse sage à la verité, mais fiere & nourrie dans le bruit des armes. Quant à Diane, il est difficile de comprendre par quel motif nostre Auteur veut luy donner la Pudeur pour Fille ; car s’il la croit sage & modeste, ses complaisances pour le Pasteur Endimion qu’il luy reproche, sont donc supposées, ou si ce reproche est veritable, c’est mal à propos qu’il la juge digne d’estre la Mere de la Pudeur, la contradiction est visible ; mais tel est dans le goust qu’ils ont pour la Censure & le desir de blâmer. Tantost du parti de la verité, les hommes autorisant le mensonge, ils reglent tous leurs sentimens par la passion de reprendre.

Il ne m’est pas moins aisé de justifier la maniere dont je fais naistre la Pudeur. Cette chute de la Déesse Hebé, n’est pas de mon invention, & la Fable m’en a fourni l’idée. Elle m’apprend que cette Divinité estant un jour tombée en versant du Nectar aux Dieux, elle fit voir par hazard une partie de sa cuisse. La confusion qu’elle en ressentit fut si vive, qu’elle n’osa plus paroistre devant les Dieux, du moins pour leur servir du Nectar, & ce fut pour lors que le jeune Ganimede fut mis en sa place. Il faut convenir que dans le dessein où j’estois de faire une Divinité de la Pudeur, l’occasion de la faire naistre ne pouvoit estre plus favorable. Representez vous pour un instant, une jeune Déesse belle, sage & modeste, surprise dans un desordre qui la couvre de confusion, qui s’enfuit les yeux baissez, la rougeur sur le front, & tâche d’échaper en fuyant aux regards curieux qui causent sa honte. C’estoit là sans doute le moment marqué pour donner la naissance à la Pudeur. Ce n’estoit pas à l’Amour à la faire naistre. Cette passion attache trop de honte à ses productions, & puisque je devois faire une Divinité d’une vertu si pure, il falloit au moins qu’elle reçust le jour d’une telle maniere qu’elle n’eust pas lieu de rougir de sa naissance.

Il auroit esté à souhaiter que l’Auteur de cette Critique eust borné ses reflexions, à censurer précisément ce qui regarde la Fable. J’avoüe que je serois encore dans l’erreur, & croirois de bonne foy qu’il estoit aussi instruit de l’Histoire, qu’il paroist l’estre de la Chronologie fabuleuse. Par malheur, il se découvre quand il nous parle du bouquet de Diamans que ce Grec qui avoit remporté le Prix aux Jeux Olimpiques, avoit offert à Jupiter. Ce present, dit-il, estoit digne de ce grand Dieu, mais il estoit trop considerable pour un simple Grec. Nostre Auteur a donc cru que dans ces Jeux si celebres, un bouquet de Diamans servoit de Prix & de récompense au Vainqueur, Comment se sauvera-t-il du reproche qu’on luy peut faire, d’avoir ignoré l’antiquité la plus connuë ? Quoy, cet homme, qui fait le Naturaliste avec tant d’emphase sur cette laituë que Junon mangea, ne sçait pas le Prix qu’on distribuoit aux Jeux Olimpiques ? Peut-estre a-t-il cru qu’il pouvoit juger des mœurs des anciens, par les mauvais usages introduits dans nostre siecle. Il voit de tous costez qu’on propose des Prix aux productions de l’esprit, & que les Muses devenuës venales, se font inviter par des récompenses ; mais que les coutumes des Grecs estoient differentes des nôtres ! Ils avoient dans leurs exercices un motif bien plus noble ; & l’on ne laissoit esperer au Vainqueur qu’une couronne de Laurier pour récompense. C’est ce qui donnoit lieu à leurs 6 Poëtes, dont la Satire impie ne pardonnoit pas même aux Dieux, de reprocher à Jupiter sur le Theatre d’Athenes, qu’il estoit bien pauvre, d’attirer à ces Jeux celebres une si grande multitude, pour ne donner au Vainqueur qu’une branche d’Olivier sauvage ; mais les Peuples passionnez pour la gloire, ne s’arrestoient pas à des considerations si basses. Celuy qui remportoit l’honneur de ces courses, mesuroit le prix de sa victoire par le nombre de ceux qui en étoient les témoins, & trop payé de ses travaux par les acclamations publiques, il n’aspiroit qu’à l’avantage glorieux de se voir couronner aux yeux de toute la Grece. Si ce Grec donne un bouquet de Diamans à Jupiter, ce n’est pas que les Diamans soient la récompense de sa course, comme nostre Censeur l’a cru. C’est une offrande qu’il fait au Dieu protecteur des Jeux, pour le remercier de ses bienfaits ; & s’il luy fait un don si considerable, c’est parce que la gloire estant le present le plus magnifique que les Dieux fassent aux hommes, ceux qu’ils honorent d’une maniere si digne de leur grandeur, ne sçauroient leur offrir des dons assez précieux pour leur témoigner leur reconnoissance.

Nostre Auteur continuant ses reflexions, paroist surpris de la maniere que je fais marcher Junon. À quoy bon cette pompe qui l’accompagne ? Les Poëtes, dit-il, n’ont jamais donné à cette Déesse une suite si nombreuse. J’avouë qu’ils se sont contentez de nous marquer que Junon dominoit sur les grandeurs & sur la puissance. Ils avoient leurs raisons pour n’en dire pas davantage ; sans doute dans leur siecle la vertu confondoit encore toutes les conditions, & l’on ne discernoit la fortune qu’au bon usage des biens, & au merite des bonnes actions. La grandeur douce, accessible, modeste, attentive à soulager les malheureux, se faisoit un plaisir de descendre pour prévenir leurs besoins ; mais depuis que les hommes se sont distinguez par le merite arrogant qu’ils tirent des richesses, depuis qu’ils ont attaché la felicité de la grandeur à la vanité des dehors, peut-estre m’a t-il esté permis d’augmenter la suite de Junon, & de la marquer par de nouveaux caracteres. L’occasion estoit trop favorable de décrier en passant les illusions de la Fortune, & de rabaisser en quelque sorte l’orgueil de l’homme, par la consideration de son estat.

Mais voici où l’Auteur de la Critique veut me convaincre d’une contradiction toute visible. À juger de la confiance qu’il fait voir en m’oposant le Sophisme, on diroit qu’il est presque sûr de m’embarasser Pallas, dit-il, n’a pas pu vendre la Pudeur sur le Mont Ida ; car si la Pudeur vient de naistre, comment a-t-elle esté venduë par le passé ? Oh, que nostre Censeur a dû s’applaudir de cette reflexion, & se sçavoir bon gré d’une si heureuse découverte !

Cette vaine subtilité roule sur une équivoque assez legere, & il paroist que l’Auteur a affecté de confondre le sentiment de Pudeur naturel à tous les hommes avec la Divinité que l’on appelle Pudeur, & qui preside à la modestie. L’Antiquité toûjours extravagante dans son culte, ne pouvoit pas s’imaginer que Jupiter n’eust esté fort embarassé s’il avoit esté seul chargé du soin des affaires du monde. C’est pour cela qu’elle assignoit à chaque Divinité son employ. Les unes presidoient à certaines vertus. Ce n’est pas que les vertus fussent inconnuës avant leur naissance ; mais c’est que par le caractere particulier de leur Divinité, elles estoient plus propres à les maintenir & à les fortifier dans le cœur de l’homme. Hebé presidoit à la Jeunesse ; mais avant sa naissance il y avoit de la jeunesse & de l’embonpoint parmi les Déesses. Pallas ne laissoit pas d’estre modeste avant que la Pudeur naquist, parce qu’il y avoit beaucoup de difference, entre le sentiment de pudeur que la sage Déesse avoit naturellement dans son cœur, & cette Divinité naissante qui presidoit à la modestie. C’est ainsi que l’homme entraîné par le plaisir de la Satire, se joüe quelquefois de la verité ; car enfin quoy qu’en dise nôtre Auteur, je ne puis me persuader qu’il ne soit pas entré luy-même dans une distinction si naturelle.

S’il falloit raisonner suivant son idée, nous devrions donc mépriser toutes les judicieuses allegories que les Anciens nous ont laissées. Que deviendra cette ingenieuse morale que nos Peres ont enveloppée du voile misterieux de la Fable ? Il est peu d’ouvrages de cette nature où l’on ne découvre aucune contradiction, & il m’est aisé de faire voir que je n’ay pas seulement la raison de mon parti ; mais que je puis encore me justifier par de grands exemples.

Un jour, dit un Ancien, 7 les Dieux celebroient une Feste pour la naissance de Venus. Porus, Dieu de l’Abondance, ayant bû du Nectar plus qu’à l’ordinaire, s’alla promener dans le jardin de Jupiter. Il y rencontra Penia, Déesse de la pauvreté, & il en devint éperduëment amoureux. La Déesse instruite de la maxime de la pluspart des Belles qui sçavent se radoucir à la vuë d’un Amant favorisé de la fortune, ne se trouva pas d’humeur à le rebuter. Bien tost s’estant trouvez contens l’un de l’autre, l’Amour naquit de leur bonne intelligence. Si nostre Censeur ne separe pas le penchant à l’amour, de la Divinité qui y preside, il court risque de se voir dans le même embarras. Quoy, dira-t-il, amoureux de cette Déesse avant la naissance de l’Amour ? Voila une contradiction manifeste. Je ne suis pas d’avis pourtant de condamner sur sa parole l’Auteur de cette ingenieuse Fable, & sans nous élever icy aux sublimes applications qu’il en a faites, apprenons du moins de cette fiction que l’amour est de tous les estats, & que sans avoir égard pour les conditions & pour les richesses, il sçait égaler tout ce qu’il assemble.

Mais que puis je répondre à la reflexion que fait nostre Auteur touchant la Déesse de la Beauté ? Puis que les Graces, dit-il, avoient pris soin de coiffer Venus, ses beaux cheveux ne flotoient pas sans art. De bonne foy, outre que la remarque est puerile, il connoist mal le caractere des Graces. Elles avoient à la verité coiffé Venus, mais elles n’avoient garde de mesler l’art à sa parure. Elles sont naturellement simples & naïves Les anciens les representoient toutes nuës, pour nous faire entendre qu’elles sont ennemies de l’artifice & de l’affectation. Une belle Femme en desordre en paroist beaucoup plus belle. Il est dans le beau Sexe une negligence heureuse, qui plaist mieux que tous les brillans dehors que le luxe introduit. Tandis que les ornemens nous attachent, la beauté nous échape, & nous perdons en faveur de la parure, ce que deux beaux yeux ont de plus touchant. Il est donc juste que la Déesse de la Beauté ne se confie qu’en la beauté même ; qu’elle soit simple dans ses habits, que ses cheveux flotent sans art sur ses épaules, que la nature se fasse sentir en tout ce qu’elle fait. Voila son veritable caractere ; il faut en écarter l’artifice, de peur de diminuer ses agrémens, & Venus ne doit marquer de l’affectation que dans le desir de paroistre belle.

Si l’Auteur de la Critique n’a pas trouvé la verité dans ses reflexions, au moins jusques icy il les a appuyées sur quelque vray-semblance ; mais que direz-vous de celle-cy ? Je ne suis nullement surpris, dit-il, si l’Amour épouvanta la Pudeur avec une suite si funeste. Il est bien surprenant qu’un homme qui lit un ouvrage avec cette exacte attention que l’esprit de la Censure exige, ne se soit pas apperçu qu’il y a tout le contraire de ce qu’il avance. Puisqu’il aime si peu la verité, n’ay-je pas lieu de m’écrier que cet Auteur peu juste dans ses reflexions merite d’être repris dans la maniere dont il veut reprendre ?

Il s’en faut bien que la Pudeur soit épouvantée. Au contraire, c’est l’Amour qui craint, qui s’allarme, qui s’agite ; c’est luy qui regrette les delices & la liberté de Paphos. Si nostre Auteur connoissoit un peu le cœur de l’homme, il auroit compris qu’il falloit en cette occasion representer l’Amour dans le trouble & dans l’embarras. En effet, n’est-ce pas le caractere du vice de pâlir aux approches de la Vertu, & n’est il pas vray que l’Amour, tout hardi qu’il est, se trouve embarassé devant des yeux modestes. La Pudeur luy imprime je ne sçay quel respect qui le rend tremblant & timide : tous les cœurs goûteroient sans doute une Paix profonde si cette vertu pouvoit tenir ferme sur les premieres démarches de cette passion.

Mais voicy à quelles ressources nostre Auteur est réduit. Diane, dit-il, ne peut souffrir qu’on luy parle d’Acteon sans se troubler ; il paroist qu’on n’entendoit guere raillerie dans le Ciel. Il est vray que cette sage Déesse se trouva piquée de colere & de honte. Ce reproche luy causa autant de confusion qu’elle en ressentit à la vuë du temeraire Chasseur. Pouvoit elle l’entendre sans en estre émuë. Ainsi se déconcerte la vertu modeste, quand elle se trouve exposée à soûtenir une raillerie injurieuse & piquante, & qu’elle ne peut y répondre sans rougir. Mais Diane, ajoûte-t-il, s’applique ensuite à traiter une question de Theologie. Quoy, nôtre Censeur voudra-t-il toujours nous éblouir par de fausses pensées ? Est-il possible qu’il appelle question de Theologie un raisonnement qui ne peut estre plus familier ? Est-il dans le monde un esprit assez borné pour ne sçavoir pas que l’Intention fait le mal ? N’est ce pas une de ces lumieres naturelles qui naissent avec la raison ? L’homme a beau quelquefois vouloir ignorer cette verité qu’il trouve en lui même. La conscience soigneuse de punir la mauvaise volonté comme le crime, luy fait assez sentir que c’est une connoissance de sentiment que la nature a gravée dans tous les cœurs.

Dés que la Pudeur fut grande Jupiter l’obligea de venir sur la terre, parce que sa presence avoit écarté la pluspart des Dieux ; c’est à quoy nôtre Auteur ne peut consentir. Il falloit, dit-il, que le desordre fust bien grand dans le Ciel. Il l’estoit en effet. Quelle horreur pour cette sage Déesse de voir tous les jours les Dieux qui se signaloient par des crimes ; Venus entre les bras du Dieu de la Guerre son Epoux peu touché de cet affront qui se servoit de son Art pour réjoüir les Dieux par le spectacle de son infamie, Mercure qui venoit sans cesse rendre compte de ses emplois honteux, Jupiter au dessus des autres Dieux autant par ses vices que par sa puissance, enflamé d’amour pour les filles des hommes ; tantost corrupteur de leur innocence, tantost infame ravisseur, il n’est point de moyens qu’il ne mist en usage pour les séduire. Ouy, sans doute, la prostitution & la débauche estoient extrêmes parmi les Immortels, & la Pudeur ne pouvoit plus vivre avec eux sans blesser la pureté de son caractere.

Cette illustre Bannie vient donc sur la terre dans le siecle heureux consacré par l’innocence des mœurs des hommes. Les suites de sa retraite fournissent à nostre Auteur cette grande reflexion. Dés que la Pudeur a paru, le monde s’est perverti, elle a esté une occasion de produire un torrent de vices. Ne vaudroit-il pas mieux, dit-il, qu’elle n’eust jamais paru sur la terre ? Tels sont les détours secrets de l’amour propre dans le cœur des hommes. Ils accusent toujours le Ciel de leurs malheurs, & le rendent garant de leurs foiblesses. Les Dieux sont donc coupables du mauvais usage que nous faisons de leurs presens. Quelle injustice de faire rougir leur providence des biens qu’elle nous a faits ! Quoy, parce que la Pudeur est venuë sur la terre, si les hommes ont méprisé ses inspirations, luy doit on imputer les desordres qui l’ont suivie ? S’ils ont esté plus attentifs à la voix des passions, representées par cet Auteur inquiet, qui les a introduites sur la terre, si les seditieux mouvemens qui se sont élevez du fond de leurs cœurs, les ont fait révolter contre cette sage Déesse, est-ce sa faute, si l’Univers s’est perverti ? Il n’est pas nouveau dans le monde que la vertu soit une occasion innocente du vice. L’envie s’occupe sans cesse à répandre du fiel sur les bonnes actions. La vertu florissante, & le merite récompensé, ne trouveront jamais grace devant ses yeux. Vice sans plaisir, passion insipide, seule elle se nourrit. de ses propres amertumes. C’est elle qui cause les divisions & qui suscite les querelles. Nostre Censeur dira-t-il que pour nous garantir des maux que cause l’envie, il vaudroit mieux que la vertu n’eust jamais paru dans le monde ?

Enfin l’Auteur de la Critique finit ses reflexions en me reprochant que ce que j’appelle Pudeur dans les enfans, n’est autre chose qu’une heureuse ignorance dans ce que cette vertu doit connoistre pour s’allarmer, & ne s’allarmer qu’avec raison. Mais de bonne foy, s’est-il apperçu que cette distinction ne peut estre plus injurieuse au beau Sexe, dont il se declare le défenseur ? Pour mieux entrer dans son idée, examinons un peu le veritable caractere de la Pudeur. C’est une vertu, si je ne me trompe, tremblante & timide, qui s’allarme sans déguisement de tout ce qui luy fait peur. Elle n’attend pas pour rougir les approches du vice, elle en craint encore l’ombre & l’apparence. Un de ses plus grands agrémens est de la voir quelquefois se troubler sans fondement & sans raison. Toujours innocente & naïve, elle n’est jamais si belle que quand elle consiste dans l’ignorance du mal. Je croy que c’est une peinture naturelle de cette vertu. Suivant nostre Auteur, la prudence des Femmes est d’un autre caractere. Elle doit connoistre avant que de s’allarmer, & ne s’allarmer qu’avec raison ; mais quel Portrait bons Dieux, veut-on nous faite icy d’une vertu si pure ? Quelle est cette Pudeur éclairée & curieuse, qui veut connoistre le vice avant que de s’en allarmer, qui tire hardiment le rideau qui le couvre, pour examiner si elle s’allarme avec raison ? Tranquille à la vûë du crime, elle tient les yeux ouverts sur les premieres démarches de la licence & du desordre, & délibere encore si elle doit en rougir. Voila sans doute une Pudeur d’un caractere bien étrange. Ne diroit on pas que nostre Censeur par ce raisonnement, tâche de justifier la Fable qu’il censure, puis qu’il ne donne en partage au beau Sexe que cette apparence de modestie, que la Pudeur laisse sur la terre aprés sa retraite.

Je ne sçaurois, Monsieur, finir ces remarques sans me plaindre de l’Auteur de la Critique, qui tâche de me rendre odieux, en voulant faire entendre que cette Fable est tout à fait injurieuse au beau Sexe. Il souhaite si bien de le voir vangé, qu’il m’abandonne en finissant aux rigueurs de quelque Belle, Tribunal terrible, dont il connoist sans doute toute la severité. Cette conduite doit d’autant plus me surprendre, que le dessein d’offenser les Femmes a toujours esté bien éloigné de ma pensée. Je ne suis pas d’humeur à signaler ma jeunesse par le merite d’une opinion bizarre, & tout à fait opposée à mon naturel. Je declare donc avec la même sincerité, que je n’ay pretendu faire qu’une Fable. J’ay voulu tenter jusqu’à quel point on pouvoit pousser une imposture, quand on donne une libre carriere à l’imagination. Enfin c’est une espece de Paradoxe que j’ay choisi. Vous sçavez que les hommes ont toujours tiré vanité de soutenir des sentimens qui se trouvent opposez aux veritez les plus connuës ; mais malgré cet usage pernicieux, qui nous enseigne à défendre gratuitement le mensonge, je sçay la justice que je dois rendre a des vertus, qui pour n’estre pas generales dans le Sexe, n’en doivent estre que plus pretieuses à nos yeux.

Une indiscrete malignité a porté de tout temps les hommes à censurer la conduite des femmes. On trouve de ces diffamations injustes dans les Annales de tous les siecles ; mais aprés tout, est-ce aux hommes à se plaindre de leur vertu, eux qui se font une malheureuse vanité de la détruire, qui regardent l’innocence dans le Sexe comme un attrait qui pique & qui réveille leur passion. Toûjours attentifs à le séduire, toûjours prests à forcer les retranchemens sacrez de l’honneur & de la modestie, ils ne trouvent plus du goust au crime, s’il n’en coûte fort cherement à la vertu.

Voilà, Monsieur, ce que j’avois à répondre à l’Auteur de la Critique de la Fable d’Hebé. Je sçay bien qu’il m’accuse de m’estre servi de quelques termes hors du bel usage. Quoy qu’il ne justifie pas cette remarque, je ne laisse pas de sentir avec douleur toute la confusion de ce reproche. Il est vray que je suis né pour mon malheur, dans une Province décriée par l’irregularité du stile, & par la rudesse des expressions ; mais j’avois cru qu’en prenant soin de faire connoistre ma Patrie, son nom m’avoit acquis en quelque sorte le droit de faillir, au moins à cet égard. Si je n’avois esperé par cet aveu de prévenir la censure, j’aurois imité nostre Auteur dans la précaution qu’il a prise de se cacher, qui me paroist si judicieuse. Je me serois dispensé de répondre à sa Critique, si je n’avois dû me justifier auprés du beau Sexe qu’on prétendoit que j’avois offensé. D’ailleurs, Monsieur, l’honneur que vous m’aviez fait d’approuver cette Fable, m’obligeoit à défendre le jugement avantageux que vous en aviez rendu. Je suis, &c.

Dialogue du Cœur et de la Beauté §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 133-139.

Mr de Vertron, pour soutenir la qualité de Protecteur du beau Sexe, fait toujours quelque nouvelle galanterie d’esprit à la gloire des Dames. Je vous ay entretenuë plusieurs fois des brillantes Societez qu’il avoit faites avec elles aux Lotteries de Beauvais, de Dijon, de Troyes & à celle de Tours, qui vient d’estre tirée. Comme il s’est encore associé avec des Dames de consideration, à la Loterie Royale, il en a rempli les Numero de divers noms, qui font l’éloge de ses illustres Associées, & son Portrait, ce qui luy a donné occasion de faire le Dialogue suivant, dans lequel le Cœur parle par sa bouche. Je ne doute point que vous n’y trouviez cet agrément delicat que vous cherchez dans les Ouvrages de cette nature.

DIALOGUE
DU CŒUR
ET DE LA BEAUTÉ.

La Beauté.

D’où vient que vous fuyez en me voyant paroistre ?

Le Cœur.

 C’est que j’aime ma liberté.
Je suis le Cœur, vous estes la Beauté,
 Et je crains de vous trop connoistre.

La Beauté.

Eh ; quoy, la Beauté vous fait peur ?
Est-ce là tout l’effet que produisent mes charmes ?

Le Cœur.

 Vous n’avez qu’un dehors trompeur ;
L’amour qu’on prend pour vous, n’est jamais sans allarmes,
 Vos attraits sont trop dangereux,
Et si-tost qu’on vous voit, on devient malheureux.

La Beauté.

 Vraiment j’admire la peinture
 Dont il vous plaist de m’honorer ;
Et si ce beau Portrait est fait d’aprés nature,
 Je n’ay plus qu’à me retirer
 Dans quelque affreuse solitude.
Quoy ! je ne causerois que de l’inquietude !
 Moy qui n’aspire qu’à charmer.
Je voudrois obliger tous les Cœurs à se plaindre !
Et je n’aurois des traits que pour me faire craindre,
Quand je cherche à me faire aimer !

Le Cœur.

Il ne tiendroit qu’à vous d’estre toujours aimable.

La Beauté.

De grace, apprenez-moy cet important secret ;
 Si je déplais, c’est à regret,
Et je ne sçache rien dont je ne sois capable,
 Pour me faire de tous les Cœurs
 De fidelles adorateurs.

Le Cœur.

Pour nous plaire toujours il faudroit vous défaire
De certaine Societé,
 Qui ne nous accommode guere ?
Sans cesse auprés de vous nous voyons la Fierté,
 Toujours dédaigneuse, inquiete,
 Et Dieu sçait comme elle nous traite !
 Dés qu’elle voit un pauvre cœur
 Réduit à vous demander grace,
 Elle vous arme de rigueur,
 Et la plus violente ardeur
 Ne vous donne que de la glace.

La Beauté.

Monsieur le Cœur, je vous entens,
 Ou du moins je vous crois entendre.
Vous craignez en amour de perdre vostre temps,
Et vous capitulez avant que de vous rendre.
Mais ce n’est pas à vous à m’imposer des Loix,
Et chacun à son tour doit soutenir ses droits ;
 Trop de douceur est dangereuse,
 Sur tout dans le commencement ;
 Et pour vous parler franchement,
Vostre ardeur s’affoiblit si-tost qu’elle est heureuse.

Le Cœur.

Prenez donc un temperament ;
Ne soyez pour un Cœur fidelle
Ny trop douce, ny trop cruelle.

La Beauté.

Je le veux bien ;

Le Cœur.

  Et je vous fais serment
De conserver pour vous une amour immortelle.
La Beauté & le Cœur ensemble.
Rien ne sied mieux à la Beauté
Que la Douceur & la Fierté.

[Ceremonie faite par les Religieux de la Charité de Poitiers] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 142-149.

Le 3 du mois passé les Religieux de la Charité de Poitiers, firent en leur Hôpital la Ceremonie de la Canonisation de leur Pere Saint Jean de Dieu, avec un si bel ordre, une devotion si generale & une joye si universelle de tout le Peuple de cette grande ville & des environs, que depuis longtemps on n’a vû ces choses concourir si également ensemble pour rendre une solemnité tres-celebre. Celle cy dura huit jours. Elle commença par une Procession generale, a laquelle assisterent toutes les Communautez Régulieres & Séculieres, & un grand nombre de personnes de merite & de distinction de l’un & de l’autre Sexe, de la ville & de la Province. Cette illustre Assemblée partit de l’Eglise Cathedrale, & passa au milieu de la Bourgeoisie, qui avoit esté rangée en double haye des deux costez des ruës jusques à l’Eglise de la Charité, où elle se rendit. Tout inspiroit un air de pieté & de veneration. Les personnes de tout âge paroissoient dans la modestie & dans le recueillement. Les Cloches de toute la ville faisoient par leurs carillons une agreable harmonie. Les voix concertées d’un grand nombre de Musiciens composoient une Simphonie ravissante, la multitude des Bannieres exposoit à la vuë un charmant spectacle. Mr Degerard, Evêque de cette Ville, augmenta encore par sa presence l’éclat de cette belle Assemblée. Il officia ce premier jour avec une pieté, une modestie, & une gravité qui donnoient également de la devotion & du respect pour les augustes Misteres qu’il celebroit. Il alla ensuite familierement au Refectoire, mangea avec les Religieux, y observa le silence regulier, fut attentif à la lecture pendant tout le repas, & ne voulut que la petite portion que l’on y donnoit à chaque Religieux. Ce Pasteur pieux & zelé auroit volontiers continué à donner les jours suivans, à tout ce grand Peuple des exemples de sa veneration pour un si grand Saint, si sa vigilance, qui le rend toujours attentif à la conduite de son Troupeau, ne l’en eust comme arraché, pour aller continuer la visite de son Diocese, laquelle il fait avec une exactitude vraiment pastorale. L’Eloge du Saint fut prononcé tous les jours de cette Octave, par differens Predicateurs, qui toucherent efficacement les cœurs par leur éloquence, & par les actions merveilleuses de charité & de penitence qu’ils rapporterent du Saint. La decoration de l’Eglise, & sur tout du grand Autel, fut tres-belle. La maniere ingenieuse dont les choses estoient disposées, fit avoüer à tout le monde que la beauté des ornemens peut estre de beaucoup augmentée par l’art de les placer avec industrie. Ensuite de l’Eglise, on voyoit les Pauvres malades couchez fort proprement dans leurs lits, que l’on remarqua estre entierement neufs, ce qui neanmoins ne peut passer que pour un des moindres effets des soins continuels que les charitables Religieux de ce saint Ordre prennent la nuit & le jour auprés des Malades, pour leur donner, ou pour leur procurer tout ce qui peut contribuer à la sanctification de leurs ames, & au soulagement des infirmitez de leurs corps. Les jours suivans, les Chapitres & les Communautez regulieres, officierent selon l’ordre dont ils estoient convenus, & firent paroistre entre eux une sainte émulation à se surpasser en pieté, en bel ordre, en Musique, & en magnifiques Ornemens. Enfin la clôture de cette solemnelle Octave fut faite par le celebre Chapitre de Saint Hilaire, que son origine, son antiquité & ses prérogatives rendent un des plus venerables du Monde Chrestien.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 149-150.

L'Air nouveau que vous trouverez icy, m'a esté envoyé de Toulose.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Iris fut, page 149.
Iris fut mon premier Amour,
Par mes soupirs je sceus toucher son ame ;
Mais je m'apperçoy chaque jour
Qu'elle brûle d'une autre flâme.
Helas ! dans mon sort malheureux
Faut il avoir tant de foiblesse,
Que l'infidelle encor puisse plaire à mes yeux,
Et qu'elle soit ma derniere foiblesse ?
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[Lettre sur la perfection du sens de l’Ouye] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 150-165.

Vous sçavez, Madame, combien on a perfectionné les Sciences & les Arts dans le dernier siecle. Je vous ay envoyé dans mes Lettres plusieurs nouveautez en ce genre. Voicy ce qu’a écrit Mr de Haute-feuille sur la perfection du sens de l’Oüye qu’il pretend avoir trouvée.

À MONSIEUR ***

Je me suis plusieurs fois étonné, comment on avoit si fort negligé les sons & le sens de l’Oüye, vû la perfection que l’on a donnée à celuy de la Vuë & les belles découvertes que l’on a faites sur la lumiere.

Je crus d’abord qu’il estoit impossible de perfectionner ce sens, mais ayant medité quelque temps sur ce sujet, je n’apperçus aucune raison qui empêchât que l’on ne pût perfectionner l’Ouye aussi-bien que la Vuë, puisqu’il ne s’agit que de rendre sensible ce qui ne l’est pas, ou ce qui ne l’est que tres peu, & que les Sons tres foibles & sensibles a nostre Oreille, ne laissent pas d’estre Sons, & de se faire entendre à des Animaux qui ont l’Ouye plus subtile.

J’ay remarqué qu’il n’y a que les sens de la Vuë & de l’Oüye, qui puissent estre perfectionnez par artifice, parce que leur sensation se fait par l’ébranlement d’une matiere liquide, interposée entre leurs organes & les corps qui produisent le son & la lumiere, & que la sensation de l’Odorat, du Goust & du Toucher se fait par l’application des corps mesme sur les organes de ces sens. Quoy que les Odeurs proviennent quelques fois des lieux fort éloignez, ce n’est que l’aplication des particules qui sortent des corps odorans, lesquelles ébranlent les nerfs olfactoires, de la mesme maniere que les liqueurs ébranlent les Nerfs de la langue, & que les corps se font sentir en touchant la peau.

On a rendu les choses sensibles à la Vuë, par le moyen des verres qui grossissent, ou par la differente capacité des tuyaux, comme dans le Thermometre ou dans le niveau que j’ay publié, composé de Mercure & d’huile de Tartre, & par plusieurs autres moyens. Pourquoy seroit-il impossible de trouver cette sensibilité dans le sens de l’Oüye ? Ne l’a-t-on pas déja trouvée dans la Trompette parlante, puis qu’elle n’est qu’un moyen de rendre la voix sensible à une grande distance où on ne la pouvoit entendre ? Il est vray que ce moyen n’est pas celuy que nous cherchons, parce que nous voulons entendre, & n’estre pas entendus, comme nous voyons avec les lunettes d’approche, & que nous ne sommes pas vus.

Les Anciens ont imaginé les Cornets dont la pluspart des Sourds se servent, & les Sçavans modernes ont cru, qu’en donnant à ces Cornets une figure Parabolique, Hyperbolique, Elliptique, ou quelque autre semblable, qui reünist les rayons de la lumiere en un point, ils reüniroient pareillement le Son en un point au fond de l’Oreille, & rendroient par consequent la sensation plus forte ; mais ils se sont trompez, & en plusieurs autres rencontres, où ils ont fait un parallele du Son & de la Lumiere. Les Cornets, de quelque figure qu’ils soient, ne produisent point d’autres effets que celuy des batardeaux, dont on se sert aux moulins à eau, pour en faire tomber une plus grande quantité sur leurs roues, qui n’iroient point plus viste, quoy que ces batardeaux eussent la figure d’Hyperbole, de Parabole ou d’Ellipse.

J’ay imaginé un autre instrument, en qui la figure & la reflexion n’ont aucun lieu, afin de rendre sensibles les plus petits bruits, lequel est fondé sur le mesme principe, que celuy dont je me suis servi pour l’explication des trompettes parlantes, & sur l’organe de quelques animaux qui ont l’Oüye tres subtile ; mais comme le raisonnement n’est rien sans l’experience, j’ay fait faire cet Instrument, & lors que je l’aplique à mon oreille, j’entens des bruits tres grands & tres confus. Les personnes qui marchent dans la ruë me paroissent exciter autant de bruit qu’une Armée entiere. Le froissement de leurs souliers sur le pavé ressemble au raclement violent qu’on fait sur les pierres, ou à une meule qui écraseroit des cailloux. Les voix me paroissent comme si elles estoient produites par des Trompettes parlantes, mais dans une telle confusion que je n’en puis distinguer aucune, ce qui me fait croire que l’utilité de cette invention ne sera pas aussi grande que celle des lunetes d’aproche, à cause de la destruction des sons les uns par les autres. On experimente tous les jours dans les compagnies, qu’on ne peut entendre sept ou huit personnes qui parlent en même temps, & on ne les entendroit pas mieux, quoy qu’ils prissent chacun une Trompette parlante, qui augmenteroit huit ou dix fois la force de leur voix. Il n’en est pas de mesme de la lumiere & du grand jour, qui empêchent à la verité l’effet des lunettes d’aproche, mais on les ôte facilement par le moyen des tuyaux.

Quelques experiences que j’ay encore à faire sur ce sujet, m’empeschent de declarer la construction de cet instrument, joint que n’estant point encore dans sa perfection, il seroit facheux de publier une Invention dont un autre s’atribueroit la gloire, en y ajoutant peu de chose, ou même en la perfectionnant. J’ay fait plusieurs remarques considerables avec cet Instrument, que je publieray quelque jour, & je parleray d’un phénomene, qui quoy que tres-simple & trivial, explique clairement, & fait appercevoir à l’oreille tout ce qui appartient au Son, de la mesme maniere que les vibrations des pendules font connoistre les vibrations invisibles des cordes qui sont tenduës sur ces sortes d’Instrumens.

Ce Phénomene n’est autre chose, que l’agitation que l’on donne avec la main, aux longues cordes qui pendent du haut des bâtimens élevez, laquelle produit des serpentemens & des ondulations, qui ont beaucoup de raport à celles qui se font dans l’air par les corps frapez, qui excitent du bruit, & qui expliquent beaucoup mieux à mon sens la propagation du Son, sa reflexion, &c. que les cercles qui se font sur la surface de l’Eau.

Ceux qui feront cette experience appercevront visiblement que ces ondulations sont toutes égales, & qu’aprés avoir couru tout le long de la corde & estre parvenües au haut, elles reviennent sur leurs pas, & la corde remonte plusieurs fois de suite, ce qui explique l’Echo & ses differences. Lors que l’on agite deux cordes égales en même temps avec la mesme force, elles representent l’unisson. Si elles sont inegales, & que les serpentemens ou les ondulations de l’une soient plus grandes ou plus lentes que celles de l’autre, ce sont les diverses consonnances, & elles ont rapport aux tons graves ; & les petites aux tons aigus. Enfin il n’arrive rien aux Sons, qui n’ait quelque analogie avec ces serpentemens ou ces ondulations, comme je le feray voir quand je répondray aux objection, que l’on a faites contre l’explication que j’ay donnée de l’effet des Trompettes parlantes, fondée sur ce fameux principe de l’Equilibre des liqueurs de Mr Paschal, qui est un des plus beaux & des plus grands principes qui soit dans la Nature, sans lequel il est impossible d’expliquer clairement la propagation du Son, le tremblement des vitres, des planchers, des murs, des maisons, & mille autres effets semblables.

[Chapitre des Recollets tenu à Valenciennes] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 170-177.

Le 7. de ce mois, la Province des Recollets de Saint André celebra le Chapitre à Valenciennes. Toutes les élections se firent au premier Scrutin, & le Pere Joseph Doyen fut élu Provincial. C’est un homme de capacité & de merite, fort connu dans l’Ordre par les Charges qu’il a dignement remplies. Aprés les élections, qui avoient esté précedées par une Messe du Saint Esprit, où assisterent plus de cent Religieux, on fit une Procession dans la Ville, le Pere Cherubin, qui presidoit au Chapitre estant à la teste. Comme le privilege de porter publiquement le Saint Sacrement est accordé à cet Ordre, le nouveau Provincial le porta. Un des Peres de cette même Province, fit à l’Hostel de Ville, tout le monde estant assemblé dans la Place, un fort beau Discours sur les merites de Saint François, & sur la grandeur du Roy. Il y fit entrer l’Eloge de Sa Majesté, & ceux du President du Chapitre, & du nouveau Provincial ne furent pas oubliez. On retourna dans le même ordre à l’Eglise des Recollets. La Procession y fut reçuë au bruit des Trompettes & des Timbales, que Mr de Magalotti, Gouverneur, avoit envoyées. Aprés Vespres on soutint dans la même Eglise une These de Theologie, dediée à ce même Gouverneur. Tous les Avocats du Chapitre y assisterent avec le Clergé Seculier & Regulier. La conclusion de la dispute fut assignée au Pere Eloy Huet, Recollet de Paris, qui se trouva au Chapitre. Il prit occasion de haranguer & de disputer en François, sur ce que la Ville de Valencienne, depuis qu’elle avoit esté conquise, estoit devenuë Françoise ; que l’attachement des Habitans pour leur Roy, les avoit rendus aussi polis, que s’ils estoient nez à Paris, & que l’Assemblée estant composée de personnes de l’un & de l’autre Sexe, il estoit juste que tout le monde fust instruit. La proposition qu’il attaqua, consistoit à sçavoir s’il estoit à propos d’admettre certains Penitens au Sacrement, ou d’en differer l’absolution. Tout se termina par un Te Deum, suivi d’un Exaudiat, & Mr le Gouverneur regala les Peres du Chapitre. Il y eut These chaque jour de la semaine.

Pendant que le Chapitre estoit assemblé, il se fit à Valenciennes une autre ceremonie qui n’est point en usage dans nos Provinces de France. Si tost qu’un Religieux a atteint cinquante ans de Religion, on celebre son Jubilé, & on l’appelle le Pere Jubilaire. Le Pere Gracis, qui l’est aujourd’huy, s’estant prosterné à genoux devant l’Autel, demanda la grace du Jubilé au Pere Cherubin le Bel, qui l’ayant fait relever, luy montra le Pere Eloy Huet, en luy disant que ce Pere luy expliqueroit quelle estoit la grace qu’il demandoit. Le Pere Eloy prit pour son Texte ces paroles de l’Ecclesiastique, Cum consummaverit homo, tunc incipiet. Aprés qu’il luy eut expliqué cette faveur, & les nouveaux engagemens où il étoit prest d’entrer, le Celebrant chanta quelques Oraisons marquées dans le Rituel, & le Jubilaire chanta à haute voix, Portio mea sit in terra viventium. Les Chantres ayant entonné Jubilate Deo omnis terra, le Chœur, qui à l’occasion du Chapitre estoit fort rempli, continua ce Pseaume. Le Pere Cherubin, President & Officiant, luy mit une couronne de fleurs sur la teste, avec un Sceptre tout environné de fleurs, & on pria à haute voix qu’il pust s’en servir pour passer le fleuve du Jourdain. On presenta à ses plus proches Parens une couronne pareille à la sienne. Toute la Ville se trouva à la ceremonie du Jubilaire, ainsi que ses Amis & ses Penitentes. Elle fut concluë par un Te Deum chanté sur l’Orgue. Le Celebrant & les Assistans le conduisirent ainsi couronné à la Sacristie ; aprés quoy on regala la Famille avec les Peres du Chapitre.

[Services faits pour feu Monsieur] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 177-181.

Les Officiers de Son Altesse Royale Monsieur, Frere unique du Roy, qui l’avoient servi pendant sa vie avec le plus d’attache & de desinteressement, sont encore ceux qui signalent aprés sa mort le respect dont ils estoient penetrez pour un si bon Prince. Mr l’Abbé de Longeville Harcoüet, qui avoit eu l’honneur de travailler long-temps sous ses ordres, & par le secours de ses lumieres, en qualité de son Historiographe, à la description du beau Palais de Saint Cloud, & à d’autres ouvrages, même à des affaires de consequence, qu’une si grande perte a laissées imparfaites ; fit faire le premier jour de ce mois un Service dans la grande Eglise de Conty, dont il est Prieur, pour le repos de l’ame de S.A.R. On avoit annoncé cette ceremonie funebre le Dimanche precedent, aux Prônes des Paroisses, afin que la Noblesse & le Peuple des lieux circonvoisins pussent s’y trouver.

Le mesme jour les Peres Barnabites du College de Montargis firent un Service solemnel pour le repos de l’Ame de ce même Prince. Le Clergé, la Noblesse, & tous les Corps de la Ville y assisterent. Le P. Guillemeau, Professeur de la Rhetorique, fit l’Oraison funebre avec beaucoup d’éloquence. Toute l’Eglise se trouva tenduë de noir, & le Mausolée estoit magnifique. Vous sçavez, Madame, que cette Eglise a esté bâtie des liberalitez de feu Monsieur, en action de graces de la victoire qu’il remporta à la Bataille du Montcassel le 11. Avril 1677. La premiere pierre fut posée en 1679. deux années aprés cette Bataille. Vos Amis seront bien aises de voir icy l’Inscription qui est au dessus de la porte de l’Eglise, & qui servira de monument éternel à la pieté de ce grand Prince.

D.O.M.
Sub invocatione Sancti Ludovici,
Philippus Dux Aureliæ,
Ludovici Magni Frater unicus,
Germanis, Hispanis, Batavis,
Apud Montem Casselium
Profligatis,
Publicum hoc Pietatis suæ
Monumentum
D.V.C.
M. DC. LXXIX.

Sur la mort de Monsieur §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 181-185.

Mr l’Abbé Nauguin est l’Auteur de l’Elegie que vous allez lire.

SUR LA MORT
DE MONSIEUR.

Philippe ne vit plus, la Parque impitoyable
Vient d’exercer sur luy sa fureur implacable ;
Nos vœux pour la fléchir ont esté superflus ;
Pleurez, François, pleurez, Philippe ne vit plus.
Toûjours preste à frapper si-tost que l’heure sonne,
La barbare qu’elle est ne respecte personne,
Et traîne en sacrifice aux pieds de ses Autels,
Comme un simple Berger les plus grands des Mortels.
Tout homme doit mourir, c’est un Arrest severe
Du sang même d’un Dieu signé sur le Calvaire ;
Mais les Princes fameux, les Heros éclatans,
Pour prix de leurs vertus devroient vivre longtemps.
Que dis-je ? si du Ciel la sagesse profonde,
Les laisse peu joüir des faux biens de ce monde,
Et si comme des fleurs ils ne font que passer,
C’est pour punir le Peuple & les recompenser.
Enfin, Philippe est mort, mais toûjours de sa gloire
Les François dans leurs cœurs garderont la memoire,
Et rappellans sans cesse un si cher souvenir
Traceront ses vertus aux peuples à venir.
L’on dira sa valeur & ses exploits de guerre,
Quand Louis luy permit de lancer son tonnerre,
Nassau mis en déroute & nos fiers ennemis.
Défaits à Mont-Cassel & S. Omer soumis.
L’on dira cette ardeur & si vive & si tendre,
Qui du haut des grandeurs l’a fait cent fois descendre,
Pour voir les affligez, leur rendre tous ses soins,
Et soulager le Peuple en ses pressans besoins.
Helas ! qu’un temps si court fit d’heureuses journées !
Nous ne les verrons plus, les voila terminées.
Occupez desormais à répandre des pleurs,
Louis sera témoin de nos vives douleurs,
Et nos tristes soupirs luy rediront sans cesse,
Pour luy, pour tout son Sang, nostre extrême tendresse.
Toy, qui fais le destin des Peuples & des Rois,
Seigneur, en ce moment daigne entendre ma voix.
Si ta Justice encore demande des victimes,
Et si pour meriter le pardon de nos crimes,
C’est peu d’avoir souffert des tourmens inoüis,
Frape sur nous, Grand Dieu, mais conserve Louis.

[Quatrain pour mettre au bas d’un Portrait] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 187-188.

Les Vers qui suivent sont de Mr Mallement de Messange. La modestie de celuy pour qui ils ont esté faits, empêche l’Auteur de le nommer. Il veut designer par le nom d’Apelle, un des plus fameux Peintres de nostre siecle.

À peindre les Heros la main d’Apelle instruite,
De Nicandre à vos yeux expose icy les traits.
Voulez vous voir son cœur, & sa sage conduite ?
Dans l’Histoire son bras les peint par ses beaux faits.

[Plainte de la Fauvette de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 188-194.

Vous serez bien aise, sans doute, d’entendre la plainte de la Fauvette de Mademoiselle de Scuderi sur la mort de cette illustre personne. C’est Mr Moreau de Mautour Auditeur de la Chambre des Comptes qui la fait parler. Il adresse cette plainte a Mr l’Abbé Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons.

PLAINTE
DE LA FAUVETTE.

Ma voix, qui par vos airs si doux, si ravissans,
Avez rendu Sapho tant de fois attentive,
Exprimez ma douleur par de tristes accens,
Sa mort vient de causer les maux que je ressens.
Ah ! soyez desormais languissante & plaintive,
Donnez à mes regrets les tons les plus touchans,
Vous ne pouvez former d’assez lugubres chans.
Vous, arbres, si jadis sous vos épais feüillages
Pour elle j’emploiay mes plus tendres ramages,
Pouvez-vous à mes yeux conserver vos attraits ?
Vostre ombre, ou j’ay cherché le silence & le frais,
Est une ombre pour moy d’horreur & de tristesse,
Et vous me paroissez de funestes Ciprés.
Depuis que j’ay perdu mon illustre Maistresse,
Moy qui fus des longtemps l’objet de ses amours,
Plus triste mille fois que n’est la Tourterelle,
Quand le sort luy ravit sa compagne fidelle,
De mes ennuis cruels rien n’arreste le cours,
Et je passe en langueur & les nuits & les jours.
En vain le doux Printemps ranimant la nature,
Ramenera les fleurs, les zephirs, la verdure ;
Au lever de l’Aurore on ne m’entendra plus
Annoncer leur retour par mes chants assidus.
Sapho fit mes plaisirs, mes beaux jours & ma gloire,
Par elle, par ses soins & ses vers si charmans,
Je fus chere en tous lieux aux Filles de memoire,
Et d’un vol empressé je revins tous les ans,
Favorable à ses vœux, fidelle à son attente,
Luy consacrer toûjours la douceur de mes chans.
Elle me consola de la perte d’Acante, 1
Cet amy genereux, Favori d’Apollon,
Qui comme elle exerçant sur sa lire touchante,
Les divines leçons d’une Muse sçavante,
Rendit mon nom fameux dans le sacré vallon.
Mais aujourd’huy pour moy tout est mort avec elle,
Verdure, ombrage, fleurs, zephirs, saison nouvelle,
Rien ne peut reparer le bonheur que je perds.
Que deviendray-je, helas en cet estat funeste :
L’espoir de ne plus vivre est le seul qui me reste :
Bientost je periray dons le fond des deserts,
Où j’iray dans les champs, Fauvette infortunée,
En des pieges cachez finir ma destinée,
Et m’exposant sans cesse au perfide Oiseleur,
Je mourray de sa main, ou bien de ma douleur.

ENVOY

O Toy, que les soins vifs d’une amitié constante
Ont rendu, cher Daphnis, le successeur d’Acante
 Dans l’estime de Sculery,
Pour te marquer l’excés de la douleur secrete,
Que sa mort fait sentir à mon cœur attendry,
J’emprunte les regrets de la triste Fauvette,
Cet oiseau renommé que sa Muse a chery.
 Si la tienne fut consacrée
À l’illustre Sapho par tout si reverée,
Tandis qu’on vit briller son esprit icy bas,
Il n’appartient qu’à toy pour celebrer sa gloire,
 D’élever aprés son trépas
 Un monument à sa memoire.

[Lettre sur la même personne] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 194-201.

Cette lettre merite bien d’estre ajoutée à ce que vous venez de lire à l’avantage de Mademoiselle de Scuderi.

À MONSIEUR ***

Il est arrivé, Monsieur, ce que j’avois dit de Mademoiselle de Scuderi, dans un vers latin.

Parnasso flebilis omni.

que tout le Parnasse seroit affligé de sa mort. En effet, les Muses, qui la trouvent fort à dire, ont déja beaucoup travaillé pour exprimer ce deüil universel. On a vû des Epigrammes, des Elegies, des Stances, & on dit que tout n’est pas fait, & qu’on en attend encore davantage pour achever le Mausolée. La Prose n’a pas voulu dans cette occasion si touchante, le ceder à la Poësie. Il paroist un Eloge de Mr Bosquillon pour Mademoiselle de Scuderi ; Eloge magnifique, qui vaut un Panegyrique éloquent, & une Oraison funebre ; Eloge qui dit d’elle, ce qu’on n’avoit point oüi dire d’une autre, & qui cependant ne ment point, qui fait voir son sujet dans un grand éclat, sans l’avoir toutefois fardé. Otez de cette Eloge le nom de Mademoiselle Scuderi, ce sera la Fille qui ne se trouve point, comme on ne trouve point la Femme de l’Eloge de Mr de Saint Evremont. Mais lorsqu’on y lit le nom de Magdelaine Scuderi, ce n’est plus une simple idée, ni un Portrait fait à plaisir ; c’est un caractere remply ; c’est un Portrait d’aprés nature. Quelque considerables qu’en soient les traits, ils conviennent tous a Mademoiselle Scuderi, & ils en marquent une ressemblance entiere.

Aussi y a-t-il eu pour elle dans son nom un glorieux présage de la distinction & de l’éclat qu’elle devoit avoir dans le monde. Son nom luy avoit designé le titre d’une Muse celebre par un merite éminent.

Magdalena Scuderi.
Anagramma,
De Musâ digne clarâ.

Il n’y manque aucune lettre, & il n’y en a aucune d’ajoutée ni de changée. Ainsi l’Anagramme ne scauroit estre plus juste & plus parfaite. Les qualitez incomparables de Mademoiselle Scuderi ont découvert le tresor qui étoit caché dans son nom.

On peut encore ajouter à sa gloire, une Anagramme Grecque, qui n’est pas moins heureuse que l’Anagramme latine. Les Amis de Mademoiselle Scuderi luy avoient donné de nom de Sapho, comme n’étant pas inferieure en bel esprit, en beaux vers, en sçavoir même, à Sapho, cette fameuse Lesbienne que les Grecs nommerent la dixiéme Muse. Sapho est un mot Grec, dont les lettres estant partagées & transposées pour une Anagramme, font a Phos. A, est un adverbe admiratif, & propre à l’exclamation, & Phos. signifie Lumiere. Ainsi Sapho, nom qui fut toujours conservé a Mademoiselle Scuderi, contient & explique l’admiration que l’on avoit pour cette illustre Fille. Le nom de Sapho dit pour elle, O grande & belle lumiere de nos jours ! O éclatante lumiere de son Sexe ! O astre favorable & merveilleux, dont les rayons brillerent dans le grand nombre des vertus de sa personne, & brillent encore dans le grand nombre de ses Ecrits, si admirables dans leur Prose & dans leurs Ver.

[Eloge de la Medecine, par Mr l’Abbé Deslandes] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 210-230.

Ne vous plaignez plus de n’avoir rien vu depuis longtemps dans mes Lettres, qui porte le nom de Mr l’Abbé Deslandes, premier Archidiacre de Treguier. L’Eloge qu’il a fait de la Medecine en faveur des Pauvres, est bien digne d’estre lû. Je vous en envoye une copie.

À MONSIEUR ***
Conseiller au Parlement
de Bretagne.

Il n’est pas de la Peinture comme de la Medecine, labor sine fructu. De tous les travaux le plus noble, le plus utile, & le plus agreable est celuy de la Medecine. Qu’y a-t-il de plus digne d’un honneste homme que d’estre le conservateur du Chef-d’œuvre de Dieu ? Tout l’Univers n’est occupé que pour l’homme. Si le Soleil est fixe, c’est pour l’éclairer ; si la Terre est dans le mouvement, c’est pour luy estre utile.

Puis-je me dispenser, Monsieur, de parler de vostre charité pour les Pauvres malades de la Campagne ? Je vous regarde avec le même respect que l’on regardoit le Sage Salomon, qui estoit le Juge, le Pere, l’azile, le Medecin des pauvres affligez. Lorsque je vois ce digne Magistrat d’un des plus augustes Parlemens de France, toûjours attentif à rendre justice, toûjours occupé au soulagement des malades, je me dis, que de tresors cet Illustre Senateur amasse pour l’Eternité ! Il sçait avec S. Chrisostome qu’il est plus utile de prendre soin des pauvres malades, que de ressusciter les morts. Il entre dans les desseins de Louis le Grand, qui donne exactement ses ordres pour le soulagement de ses pauvres Sujets.

Les Princes ne sont élevez au dessus des hommes que pour soutenir l’honneur de la Providence qui est insultée, dit Tertullien, lorsqu’on voit une creature raisonnable qui semble n’estre au monde que pour estre une victime infortunée de la misere : Scandalum divinitatis miser derelictus.

Auguste Cesar a esté le miracle de tous les siecles jusques à celuy de Louis le Grand, qui a réüni dans sa Personne sacrée toutes les heroïques vertus de tous les Empereurs.

Les Sujets d’Auguste celebroient sa naissance. Son nom fut donné à un mois de l’année. On éleva une Statuë proche celle d’Esculape à son Medecin Antonius Musa, en reconnoissance de ce qu’il avoit guery cet Empereur d’une maladie fâcheuse. Dans le temps de cette maladie, tous les ordres par un vœu public porterent des sommes dans un lieu Sacré, pour son heureuse prosperité & santé. Ces fonds furent destinez par Auguste en faveur des pauvres. Tout éloquent qu’estoit Philon le Juif, il se plaint de n’avoir pas des expressions assez fortes pour louër cet Empereur, qui fit fondre les statuës d’argent qui avoient esté élevées à son honneur, & en fit faire de la monnoye pour estre distribuée aux Pauvres de la Campagne. Il honora toûjours les Medecins, comme estant de tous les ordres le plus necessaire dans un Etat bien policé ; & c’est ce que l’on voit dans Joseph Scaliger, qui est si bien marqué dans les Tableaux des Hommes illustres du siecle.

Mr le Chevalier Boisle, la gloire de la Nation Angloise, & Mr Thomas Burnet, Ecossois, Medecin de deux Rois d’Angleterre, nous disent des merveilles sur ce sujet. Ces deux fameux Docteurs me serviront de guides dans la suite de nos Dissertations, en parlant des specifiques.

Je ne puis ouvrir aucun endroit de l’Histoire, que je n’y voye l’éloge des Medecins. Je me souviens toûjours avec plaisir, dit Tertullien, dans son beau Livre de la Couronne du Soldat, d’avoir lû que le Prophete Isaïe estoit un charitable Medecin. Memini & Isaïam Ezechiæ languenti aliquod medicinale mandasse. Il ordonna que l’on appliquast une masse de figues sur la playe de ce Prince.

L’Histoire du Sauveur nous apprend qu’il alla un jour dans sa Ville, venit in civitatem suam. On luy presenta d’abord un Malade, qu’il guerit, & à qui il dit, Mon enfant, vos pechez vous sont remis. Remarquez qu’il accorda cette grace au zele & à la priere des personnes charitables qui luy avoient presenté ce pauvre homme ; Videns autem Jesus fidem illorum. Quelques assistans surpris d’entendre parler du pouvoir de remettre les pechez, le Sauveur prit occasion de prouver la puissance qu’il avoit de guerir les playes de l’ame par celle qu’il avoir de guerir celles du corps. C’est donc une action divine à un homme de soulager son semblable.

Lors que les Apostres receurent l’ordre d’aller annoncer l’Evangile, le Sauveur leur ordonna particulierement de prendre soin des malades, & d’en estre les charitables Medecins, curate infirmos. Ce charitable Samaritain n’est il pas canonisé pour avoir secouru un voyageur blessé par des Voleurs, & ne voit on pas le sanglant reproche que l’on fait à un Levite & à un Prestre, qui n’estant occupez que des affaires du siecle, avoient abandonné cet homme ? Mr le Chevalier Boisle remarque fort à propos, qu’il n’est pas dit qu’aucune femme ait vû cet homme blessé ; & prend occasion de parler du zele des anciennes Diaconisses, dont tout l’employ estoit de se sanctifier en soulageant les malades.

S. Paul a fait l’éloge d’une charitable Diaconisse. Fortunat Evêque de Poitiers, a chanté les loüanges des Princesses qui se sont signalées par leur charité pour les pauvres malades. Je vous l’avouë, dit il en commençant son éloquent Poëme, qu’il dédie à Theodecilde, Imperatrice des François ; ouy, je vous l’avouë, mon ame est enlevée, mon cœur ne s’explique que par des larmes, vous voyant prosternée aux pieds de ces pauvres Malades, dont vous estes la bonne Mere, l’Autel, l’azile, & la consolation.

Pauperibus fessis, tua dextera seminat escas,
Ut segetes fructu fertiliore metas.

René Chopin, ce fameux Jurisconsulte Angevin, ayant lu aux Archives de Poitiers ce Poëme, qui n’estoit qu’en manuscrit, nous l’a traduit selon le stile de son siecle.

Aux pauvres fatiguez vous semez l’abondance,
Pour en avoir au Ciel la digne recompense.

Puis-je, estant Breton, me dispenser de parler icy de Jeanne de France, Duchesse de Bretagne ? Tous les Sçavans de son siecle firent son Eloge. Elle appella à sa Cour les plus habiles Medecins, non seulement de l’Europe, mais même de Constantinople. Elle sceut réunir une solide pieté avec l’éclat de la majesté ; l’on ne peut voyager en Bretagne, que l’on ne voye par tout des monumens sacrez de sa charité envers les pauvres. Les siecles auront peine à fournir une Souveraine plus accomplie. Elle fut cette Femme forte, si desirée de Salomon ; elle eut besoin de toute la force de son esprit dans la plus terrible épreuve qui ait jamais esté ressentie. Cette jeune, aimable & belle Princesse avoit esté voir son pere le Roy de France. À son retour, le Duc Jean V. dit le Sage, alla à Nantes, où le Comte de Pentlieure vint le saluër de la part de sa Mere Marguerite Clisson, qui estoit à son Chasteau de Chanteauceau en Anjou. Le Comte instruit par sa mere engagea le Duc d’aller à Chanteauceau se divertir. Le Sire de Beaumanoir supplia le Duc de ne se pas exposer à ce voyage. Le Medecin du Duc luy dit qu’il avoit eu un songe terrible, & que cette prétenduë partie de plaisir luy seroit funeste. Messire Jean de Lanion partit pour avertir la Duchesse qui estoit à Vanes Le 13 Février 1419. le Duc partit en équipage de chasse. Il n’eut pas passé le Loroux qu’il fut attaqué par une troupe de Cavaliers qui vinrent fondre sur luy. Le Sire de Beaumanoir presenta son corps pour servir de bouclier au Duc. Un nommé Lallemant s’approcha comme un furieux le sabre à la main pour couper le Duc, mais le Seigneur de Beaumanoir s’élança si à propos de dessus son cheval, que le coup tomba sur son épaule, & luy enleva le bras. Le Duc fut lié comme un criminel, conduit dans une obscure prison. Reduit dans un si pitoyable estat, il eut recours à son Patron Saint Yves, & fit vœu d’établir des Hôpitaux dans son Duché. Sa priere fut exaucée. La Duchesse donna des ordres si à propos que Marguerite de Clisson fut assiegée dans son Chasteau, & le Duc délivré. Le Duc & la Duchesse allerent à Treguier rendre leur vœu à Saint Yves. Le Duc y fonda une Messe solemnelle, que l’on continue d’y chanter tous les jours dans la Cathedrale. La Duchesse fit élever un tombeau où reposent les Reliques de Saint Yves, le plus beau qui soit dans toute l’Europe. Elle y donna de magnifiques presens ; un rubis que Mr Dargentré appelle le rubis de la Caille, qu’elle avoir eu de Monseigneur le Dauphin ; un Calice où il y avoit deux pierres qui croissent & diminuënt selon les mouvemens du Soleil & de la Lune. Jamais Prince n’a esté plus reconnoissant ; jamais Prince n’a eu plus d’affection pour les Medecins charitables.

L’homme aime naturellement la longue vie. Il est impossible de vivre longtemps sans le secours des Medecins. L’ancienne histoire d’Espagne nous parle du Roy Arganthon qui regna quatre vingt dix ans, & sa vie fut de cent douze ans, au rapport de Phlegon, qui dans son livre de Rebus Mirabilibus, nous rapporte la longue vie de plusieurs sages Princes. Ce Roy d’Espagne estoit sçavant dans la Medecine. Comme il avoit appris que l’Aimant conserve la vie & la santé, il buvoit & mangeoit dans des vases d’Aimant. Ce Prince estoit bon, charitable, agreable. Son grand plaisir estoit d’obliger. Il disoit que les vœux, les applaudissemens, les benedictions des Sujets étoient des Zephirs qui rafraîchissoient le Souverain. Que ce Monarque doit avoir de joye dans le Ciel, de voir son Trône possedé par un Prince du sang de Bourbon !

Si jamais on a dû appliquer ces divines paroles, Matrem filiorum lætantem, c’est dans cette éclatante occasion ou la France donne un Souverain à l’Espagne. Si c’est le comble de la gloire de l’Empire des François, de donner des Princes aux Royaumes étrangers, c’est le comble du bonheur pour l’Espagne de posseder un Roy nourry, élevé dans le sein de la sagesse, de la pieté & de la science, orné de toutes les vertus. Je suis, &c.

L’Heureux accord de la Nymphe de la Seine, & de la Nymphe du Tage. Ode. §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 246-250.

Je vous envoye une Ode, qui a eu l’approbation de tous ceux que l’ont oüi lire. Elle est de l’Auteur de l’Elegie qui a remporté le Prix aux Jeux Floraux de Toulouse.

L’HEUREUX ACCORD
de la Nymphe de la Seine,
& de la Nymphe du Tage.

ODE.

Quelle main secrete & puissante
Vient de former de nouveaux nœuds,
Et donne en cent climats heureux
Une paix solide & constante ?
Peut-on joüir d’un plus doux sort ?
La Seine & le Tage d’accord
Partagent enfin leur puissance,
Et l’amour dans leurs flots unis
A renouvellé l’alliance
Du vieux Pelée & de Thetis.
***
Ces Nymphes dont l’affreuse guerre
Causoit tant de maux autrefois
Coulent de concert sous les loix
Des deux plus grands Rois de la terre ;
L’une & l’autre d’un pas égal
Porte son tribut de cristal
Au vaste Empire de Neptune,
Et nous offre mille tresors
Que la Nature & la Fortune
Etalent sur leurs riches bords.
***
Quel spectacle rempli de charmes !
De l’une à l’autre tous les jours
Les Jeux, les Plaisirs, les Amours,
Volent sans trouble & sans allarmes.
On voit sur de vastes guerets
Triompher Pomone & Cerés.
Tout renaist ; quel heureux presage !
Le Soleil fait germer des fleurs,
Où jadis la Nymphe du Tage
Rouloit moins de flots que de pleurs.
***
Quels biens ne doit-on pas attendre
De ces nœuds si doux & si beaux ?
Déja mille petits ruisseaux
Dans ces deux canaux vont se rendre.
Riche de ces tributs pompeux
Le Tage d’un sort plus heureux
A donné d’éclatantes preuves,
Et la Seine dans l’Univers
Est autant sur les plus grands fleuves
Que Thetis sur les autres Mers.
***
Les Naïades de la Tamise
D’un secours inutile & vain
Ont flatté les Tritons du Rhin :
Un Dieu détruit leur entreprise.
Rien ne troublera le repos
Qui doit regner parmy les flots
De l’aimable Seine & du Tage.
De cent rivaux audacieux
Que peut la fureur & la rage
Contre le plus puissant des Dieux ?
***
C’est par luy que les destinées
Secondent les nobles desseins
D’un Roy qui porte dans ses mains
Plus de Sceptres qu’il n’a d’années :
Bien que la pourpre & les grandeurs
Ne soient qu’un écueil pour les cœurs
Dans le beau Printemps de la vie,
Ses yeux n’en sont point ébloüis,
Sa sagesse & sa modestie
En cedent la gloire àLouis.
***
Mais quoy, l’implacable Bellonne
Regarde d’un front courroucé
Les loix que Louis a tracé
Pour un Roy que le Ciel couronne.
Déja la rage dans le cœur
Elle entend ce fameux Vainqueur
L’instruire en sage Politique,
Et craint que cet enfant des Dieux
Ne prefere un calme heroïque
Aux exploits les plus glorieux.

[Bouts-rimez] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 250-253.

Voici un nouveau Sonnet sur les Bouts-rimez de Mrs les Lanternistes de Toulouse. Celuy qui ne se fait connoistre que sous le nom de Tamiriste en est l’Auteur.

SUR L’AVENEMENT
DE PHILIPPE V.
à la Couronne d’Espagne.

Quel siecle avant le nostre étala les spectacles
Qui rendent aujourd’huy tout l’univers surpris ?
Louis de ses vertus rend les Peuples épris,
Ses seules volontez deviennent leurs Oracles.
***
Espagne, tu le vois, l’un de ces grands miracles
Des Monarques François qui te montre le prix
Que le nostre pour toy n’a-t-il point entrepris
Malgré tes Ennemis & malgré tant d’obstacles ?
***
Philippe va briller comme un Astre nouveau ;
La cruelle Bellone éteignant son flambeau
Verra dans peu de temps nos haines terminées.
***
Nos Rois au gré du Ciel, forment leurs actions
Mais ils ne font servir leur grandes destinées
Qu’à faire le bonheur de mille Nations.

PRIERE.

Tu te sers de Louis pour donner un Empire,
Seigneur, contre ses droits, on le voit y souscrire.
Soûtiens donc ton ouvrage, & de ses envieux
Reforme enfin le cœur, & desille les yeux.

[Le faux Blond. Histoire] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 258-265.

Il y a dans la passion du Jeu une espece de fureur qu’il est malaisé de surmonter. Une Dame qui joüoit depuis long-temps en fut si fort possedée, qu’elle ne songeoit à autre chose. Elle eust bien voulu s’enrichir par là, mais elle avoit de l’aversion pour tout ce qui s’appelle tromperie, & en souhaitant de faire un grand gain, elle vouloit qu’il fust legitime. Aprés avoir roulé dans sa teste divers moyens de gagner beaucoup, elle n’en crut point de plus assuré, que de prendre pour moitié un jeune Cavalier fort riche, qui ne refusoit pas de s’associer avec les Dames qui estoient bien-aises de ne pas joüer gros jeu sur leur seule bourse. On crut qu’elle avoit choisi le Cavalier préferablement à d’autres, à cause que d’ordinaire la fortune favorise la jeunesse. Il se rendoit avec elle dans un lieu où il y avoit toujours une nombreuse assemblée, & où l’on faisoit souvent des parties de Jeu. Elle y joüa, & gagna beaucoup. Le Cavalier luy laissoit conduire la barque, voyant qu’elle estoit toujours heureuse. Les gros gains qu’elle faisoit la rendoient de bonne humeur ; & comme son enjoûment estoit un plaisir pour la Compagnie, elle avoit pour elle les souhaits des regardans. Son bonheur ne fut pas stable, & la fortune changea. Les premieres pertes ne firent que diminuer un peu sa belle humeur sans trop l’alarmer ; mais aprés qu’elle eut perdu tout ce qu’elle avoit gagné, on la vit déconcertée. Elle s’obstina pourtant à joüer encore, & fut saisie d’un chagrin si violent quand son fond fut épuisé, qu’elle s’emporta aux imprecations ordinaires aux Joüeurs qui perdent, ce qui fut suivi d’un profond silence. Aprés l’avoir gardé quelque temps, elle demanda au Cavalier qu’elle avoit pris de moitié, s’il avoit les cheveux blonds. Le Cavalier surpris de la question, en voulut sçavoir la cause. Elle répond qu’elle a de bonnes raisons pour tirer de luy l’éclaircissement qu’elle veut avoir. Il trouve cela extraordinaire, & ne parle point précisément. La Dame se fache, mais elle se fache en vain. Plus elle presse, plus il continue à refuser de la satisfaire. Cette dispute réjoüit la Compagnie, & divertit d’autant plus, que le sujet en paroist nouveau. La Dame éclate, brusque tout le monde, & personne n’est blessé de sa colère. On s’étonne, on rit, & on ne sçait que s’imaginer. La Dame se taist, se montre rêveuse, fait quelques tours dans la salle sans prononcer un seul mot, & ayant enfin gagné le derriere de la chaise du Cavalier, elle luy enleve sa perruque, & s’écrie en luy voyant une teste des plus noires. Elle luy reproche qu’il est cause de sa perte, luy fait un crime de porter une perruque entierement blonde quand il est tout noir, & prétend qu’il n’est pas permis de tromper ainsi le monde. Là-dessus elle sort en le menaçant de tirer raison du tort qu’il luy avoit fait. La chose ayant fait éclat, on ne sçavoit que penser de ce grand emportement, mais une de ses intimes Amies l’ayant pressée de luy découvrir quels sujets de plainte le Cavalier luy avoit donnez, elle luy avoüa en confidence qu’une Devineresse qui luy avoit dit vray en toutes choses, la regardant un jour attentivement, l’avoit assurée qu’elle feroit des gains immenses au Jeu, si elle estoit de moitié avec un homme blond ; que le Cavalier luy en avoit paru avoir toutes les marques, & qu’ainsi il l’avoit trompée avec sa perruque blonde, parce qu’il estoit indubitable qu’elle auroit gagné s’il eust esté blond. Son Amie eut beau tâcher de la détromper sur sa confiance aux Devineresses. Elle soûtint toûjours que celle qui luy avoit répondu d’un fort gros gain avoit des lumieres qui n’estoient point du commun, & qu’elle se seroit vuë riche ; si le Cavalier n’eust pas eu les cheveux noirs.

[Services faits pour Monsieur] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 273-276.

Le Vendredy 12. de ce mois, l’Evêque d’Avranches fit faire aussi un Service solemnel pour le repos de l’ame de S.A.R. Il commença le Jeudy par les premieres Vespres & par l’Office des Morts. Le lendemain, ce Prelat celebra Pontificalement la Messe, qui fut chantée par une excellente Musique. L’Eglise Cathedrale estoit toute tenduë de drap noir avec une grande multitude d’Ecussons aux Armes du Prince. Il y avoit une magnifique Representation au milieu du Chœur, éclairé d’un nombre infini de cierges. Tous les Corps de la Ville y assisterent, & rien ne fut oublié de ce qui pouvoit marquer le zele de ce Prelat.

Dame Marie de Verthamon, Prieure perpetuelle de Saint Michel de Crespy en Valois, a signalé son zele & sa reconnoissance pour Monsieur, qui l’a pourvuë de ce Prieuré, par un Service solemnel qu’elle a fait celebrer dans son Monastere, pour le repos de son ame. Le Presidial y a assisté, ainsi que tous les Officiers de la Ville, qu’elle y avoit invitez. La porte & l’Eglise depuis la voûte jusqu’en bas, estoient tenduës de drap noir, avec deux rangs de cartouches aux Armes du Prince. La Representation couverte d’un poile de velours, sur lequel il y avoit une couronne, estoit posée au milieu de cette Eglise sous un Dais de même étoffe, & placée sur une estrade élevée de cinq degrez, autour desquels il y avoit plus de cent chandeliers qui formoient une tres-belle chapelle ardente. Le grand Autel estoit décoré de riches Ornemens & d’un tres-beau luminaire. Tous les paremens, ainsi que le Dais & le poile, estoient chargez d’Armoiries. Les Religieuses qui composent la Communauté, & qui sont plus de cinquante, chanterent une Messe solemnelle, chacune un cierge à la main, & l’assemblée, qui estoit des plus nombreuses, s’en retourna tres satisfaite d’une si auguste ceremonie.

[Nouvel Acteur] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 278-280.

Quoy que je vous parle fort rarement des divertissemens publics, ils ne laissent pas de continuer à Paris de la même maniere qu’ils ont toujours fait. Aussi sont ils trouvez absolument necessaires dans une aussi grande Ville. Le Theatre a perdu depuis peu par la mort du Sieur de Villiers, un Acteur qui estoit universel. On vient d’en voir paroistre un nouveau qui ne l’est pas moins. Le nom de Salé qu’il porte va de plus en plus faire du bruit sur la Scene. Cet Acteur est encore jeune. On ne peut estre plus favorablement receu du Public, qu’il l’a esté. Il a plu si fort dans tous les rôles qu’il a joüez, soit serieux, soit comiques, qu’il s’est attiré les applaudissemens les plus éclatans. Tout Paris s’est empressé pour le voir joüer, sans que la chaleur incommode d’un Esté aussi ardent que celuy de cette année, ait empêché que la Salle de la Comedie ait esté remplie d’autant de monde qu’elle peut en contenir. Cet Acteur joüe fort naturellement. C’est ce qui est rare, & c’est ce qui plaist le plus.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 280-281.L'air, avec des variantes mélodiques et rythmiques mineures, figure dans la livraison de décembre 1699 du Recueil d'airs sérieux et à boire (Paris, Ballard, p. 234-235) sous le nom de MONSIEUR DE BOUSSET.

Les Vers que je vous envoye notez seront bien-tost de saison, puis qu'on nous promet une ample vandange.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Amis, page 280.
Amis de la Bouteille,
Buvons tour à tour,
A l'heureux retour
Du Dieu de la Treille.
La vandange a comblé nos vœux,
Noyons dans le Vin la memoire
Des temps malheureux
Que nous avons passez sans boire.
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[Feste de S. Louis celebrée par les trois Academies entretenues par le Roy, avec la distribution des Prix à l’Ac. Franc] §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 322-326.

Le Jeudy 25. de ce mois Mrs de l’Academie Françoise celebrerent à leur ordinaire la Feste de Saint Louis, dans la Chapelle du Louvre. Mr de Chapelas, ancien Curé de Saint Germain de l’Auxerrois, dit la Messe, pendant laquelle on chanta le Pseaume Lauda Jerusalem Dominum, de la composition de Mr de Bousset. Le Chœur de Musique estoit tres-rempli. Aprés la Messe, Mr l’Abbé Mongin prononça le Panegyrique de Saint Louis, & fit connoistre avec beaucoup d’éloquence, qu’il ne s’estoit pas montré moins grand dans les actions Chrestiennes que dans celles de Heros qu’il avoit toûjours accompagnées d’une égale pieté. L’apresdînée, cette même Academie tint une séance publique pour distribuer les Prix. Celuy de Prose fut remporté par le même Mr Mongin, qui avoit fait le matin l’Eloge du Saint. La lecture que l’on fit de cette piece luy attira d’autant plus d’applaudissemens, qu’on sçeut que c’est pour la troisiéme fois tout de suite qu’il a remporté le prix d’éloquence. Madame Durant a eu cette année celuy de Poësie. C’est une Ode d’une mesure fort agreable à l’oreille, & qui fut écoutée avec plaisir d’une nombreuse Assemblée.

Le même jours Mrs de l’Academie des Sciences celebrerent la même Feste dans l’Eglise des Peres de l’Oratoire. Ils y avoient invité Mrs de l’Academie des Inscriptions & des Medailles, avec laquelle ils ont établi une alliance particuliere. Cette Academie, instituée dés l’an 1663, entre huit personnes pour composer par Medailles l’Histoire du Roy, qu’ils feront paroistre au commencement de l’année prochaine, a esté considerablement augmentée depuis six semaines pour en faire une Compagnie tres-importante. Ainsi elle est composée presentement de dix Honoraires, de dix Pensionnaires, de dix Associez, & de dix Elêves, ce qui fait quarante personnes qui s’assemblent au Louvre tous les Mardis & les Vendredis. Je vous en entretiendray plus particulierement quand leurs Statuts auront esté publiez. Mr le Coadjuteur de Strasbourg, l’un des Honoraires, celebra la Messe, & on chanta pendant ce temps le Te Deum, composé par le même Mr de Bousset, avec un tres-grand chœur de Musique, auquel répondoient des Tambours & des Trompettes. Mr l’Abbé Bignon fit ensuite l’éloge du Saint avec un tres-grand succés.

[Te Deum pour le retour de la santé de Madame la Duchesse de Bourgogne ; Madrigal]* §

Mercure galant, août 1701 [tome 10], p. 367-368.

Le zele de Madame de Beuvron, Prieure des Benedictines de Moret, est trop grand pour Madame la Duchesse de Bourgogne, pour ne pas ajoûter ici avant que de fermer ma Lettre, qu’elle a fait chanter un Te Deum par sa Communauté, en action de graces du recouvrement de la santé de cette Princesse. Voici un Madrigal qu’on luy a adressé au sujet de sa maladie.

Aprés de mortelles allarmes
 Le Ciel sensible à nos douleurs,
Vient de faire cesser nos larmes,
Et de nous épargner un des plus grands malheurs.
Ce terrible danger, Princesse, vous convie
À bien ménager une vie
Precieuse à Louis, si chere à vostre Epoux,
Importante à toute la France
Qui met sa plus douce esperance
À tenir ses Maistres de Vous.