1701

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1701 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11]. §

Bouquet au Roy. Hymne à l’honneur de Saint Louis, Roy de France §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 5-10.

Quoy que les Vers que vous allez lire ayent esté faits en l’honneur de Saint Louis, toutes les vertus qu’ils renferment, estant celles que Louis le Grand fait le plus briller, j’ay cru les pouvoir placer au commencement de cette Lettre, pour servir d’Eloge à cet Auguste Monarque.

BOUQUET AU ROY.
HYMNE
À L’HONNEUR
DE SAINT LOUIS,
ROY DE FRANCE.

Habitans fortunez de la voûte azurée,
 Preparez vos plus doux accens ;
Unissez l’harmonie à vostre voix sacrée,
Louis est digne de vos chants.
***
Sa vie en ces bas lieux de crimes fut exempte,
 Le Ciel la mit en sureté ;
Telle au milieu des flots une perle éclatante
 Conserve toute sa beauté.
***
Peu touché de l’éclat de sa grandeur suprême,
 Il obéït au Roy des Rois ;
Et ployant sous son joug, & vainqueur de luy-même
 Suivit l’étendart de la Croix.
***
Son redoutable bras met l’Egipte en poussiere,
 Pour racheter des malheureux ?
Il va briser leurs fers ; & sa vive lumiere
 Brille dans leurs cachots affreux.
***
Ils joüissent du jour aprés la nuit obscure,
 Il en est Pere & Gardien ;
La Veuve, d’un Epoux pleurant la sepulture,
 Trouve en luy son dernier soûtien.
***
Couvrir la nudité, secourir l’indigence,
 C’est le partage de son cœur ;
Mais tout clement qu’il est, il s’arme de vangeance,
 Pour punir le blasphemateur.
***
Il n’est point abatu dans l’adverse fortune,
 Ny fier dans la prosperité ;
Dans l’un & l’autre sort, son ame peu commune
 Adore la Divinité.
***
Ses combats sont enfin suivis de la victoire,
 Le Ciel l’envie au genre humain ;
Il vole aprés sa mort au sejour de la gloire,
 Dont il prit si bien le chemin.
***
Loüange à l’Eternel, dont la sainte presence
Rend Louis à jamais heureux ;
Et pour nostre bonheur répand son assistance
 Sur le plus grand de ses Neveux.

Ces Vers sont de Mr de Vertron, dont la Plume feconde ne réussit pas moins dans les Ouvrages sérieux, que dans ceux où la galanterie a part.

[Suite de l’Article de la Terre-Sainte] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 10-73.Entre juillet et octobre 1701, le Mercure galant publie une série de quatre articles évoquant les pratiques religieuses en Terre sainte. Le premier article est signé par le père Raphaël Ventajol, « Procureur Général de Terre-Sainte » qui est vraisemblablement l’auteur des articles suivants, non signés. Ce premier article (juillet 1701) évoque les célébrations réalisées en Terre-Sainte pour l’accession au trône du duc d’Anjou au trône d’Espagne. Le second article (août 1701) décrit les 24 couvents, missions et hospices de Terre Sainte et leurs coutumes. Le troisième (septembre 1701) décrit les coutumes religieuses et rituels pratiqués lors de différentes fêtes. Enfin, le dernier article (octobre 1701) évoque des cérémonies qui se sont déroulées au Couvent de Nazareth avant de décrire des pèlerinages en Terre sainte.

Les deux Lettres que je vous ay déja envoyées sur beaucoup de choses qui regardent les Lieux Saints, doivent avoir satisfait vostre curiosité. J’y joins aujourd’huy un détail exact des Exercices de pieté que les Religieux de la Terre-Sainte pratiquent pendant le cours de l’année.

De la Feste de Noël & de l’Epiphanie.

La veille de Noël tous les Religieux, & Seculiers qui sont dans la Terre-Sainte, & qui ne se sont pas trouvez l’année précedente en Bethléem au jour de Noël, s’y rendent pour les premieres Vespres, que l’on chante avec toute la solemnité possible, le Superieur & ses Assistans estant revestus des plus beaux Ornemens qu’il y ait en ce lieu-là, par la liberalité des Princes Chrestiens. L’on va processionnellement de l’Eglise de Sainte Catherine, qui est celle du Convent, à la grande Eglise, bâtie par Ste Helene, dont la Nef est soutenuë par quarante deux colomnes de marbre. Sous le Chœur ou Maistre Autel de cette Eglise, se retrouve la Grotte ou Caverne dans laquelle est né Nostre Seigneur. L’on va à cette sainte Grotte, où l’on chante les Vespres tres solemnellement, & lors que dans l’Office qu’on y chante ou dans les Processions, l’on dit les versets Verbum caro factum est, ou bien, Notum fecit Dominus salutare suum, on ajoûte par concession des Papes, hîc, c’est à dire, icy, en disant hîc Verbum caro factum est, hîc notum fecit Dominus salutare suum. À quatre heures l’on dit Complies, qui sont suivies de la Procession ordinaire, qui ce jour-là est faite avec plus de solemnité. On chante avec toute la gravité & devotion possible les hymnes qui sont pour chaque Station, comme Christe Redemptor omnium, à la sainte Grotte, dans laquelle Jesus-Christ est né ; Cœlitum Joseph, à la Chapelle de Saint Joseph, Salvete flores Martyrum devant la Cave où ont esté enterrez les Saints Innocens par l’ordre d’Herode en Bethléem. Il y a une grille à une fenestre de cette Cave, & sur la grille un Autel. Iste Confessor à l’Ecole de Saint Jerôme, & ainsi des autres hymnes des autres Stations, qui sont accompagnées de leurs Versets, Oraisons & encensemens. La Procession se terminant à l’Eglise de Sainte Catherine, qui est celle du Convent, l’on chante l’Hymne Jesu corona Virginum, en montant des Caves, ou Grottes souterraines, où sont toutes les Chapelles dont on a parlé. L’on dit ensuite les Litanies de la Sainte Vierge, & on fait l’Oraison mentale, aprés laquelle on va faire colation, & se reposer un peu pour se lever à neuf heures. C’est le temps où commencent les Matines, qui avec la Messe de minuit, & Laudes, durent tout au moins huit heures, de sorte que les Religieux sont au Chœur depuis neuf heures du soit jusques à quatre du matin, chantant l’Office & la Messe avec l’Orgue. À minuit, Matines estant finies, les Religieux vont se revêtir à la Sacristie du Convent, & vont de l’Eglise de Ste Catherine processionnellement à celle qui a este bâtie par Sainte Helené, dont j’ay parle plus haut, & la traversant on arrive à la Grotte où le Sauveur est né, chantant l’Hymne Christe Redemptor omnium, tous les Prestres estant revêtus d’Aubes, & les Freres en Surplis, & tous ayant de grands flambeaux de cire blanche à leurs mains. Il n’y a qui que ce soit dans cette Procession qui ne fonde en larmes, chacun se representant qu’il a le bonheur d’aller à la Grotte du Sauveur à la même heure qu’il y naquit. L’on y chante ensuite la grande Messe, puis Laudes, qui ne finissent qu’à l’heure qu’on a marquée. La Messe de l’aube du jour, Prime, Tierce, la troisiéme Messe, qui se chante encore tres-solemnellement, occupent jusques à onze heures.

Du jour de Saint Estienne.

Le jour de Noël au soir aprés le souper, le Superieur qui est pour lors en Bethléem, propose à tous ses Religieux, & aux Pelerins, s’ils veulent aller au Monastere de Saint Sabas, suivant l’ancienne coutume. Il est éloigné de trois grandes lieuës de Bethléem, & à l’Orient. C’est un des plus anciens & des plus fameux Monasteres Grecs de l’antiquité, dans lequel il y a sept Eglises. Les Moines Grecs qui l’habitent, en designent une pour les Religieux de S. François pour le jour qu’ils y demeurent. Prés du Monastere il y a un fond entre deux montagnes escarpées appellé Laure, où autrefois plus de dix mille Religieux ont habité dans le même temps. Il y a encore aujourd’huy dans cette Laure grand nombre de cellulles creusées dans les Rochers, & sur quelques murailles qui ferment les Rochers, l’on observe encore des peintures en plusieurs endroits. L’entrée, ou la porte du Monastere, est fort basse, ce qui est fait exprés pour empêcher les Arabes & les Turcs d’y faire entrer leurs chevaux. À costé du Monastere il y a une haute Tour, où un Religieux reclus demeure perpetuellement, & fait sentinelle, afin d’avertir les Religieux du Convent avec une clochette qu’il tire avec une corde qui passe du Monastere à la Tour, s’il voit des Arabes ou des Lyons, afin que les Religieux se tiennent sur leurs gardes. L’on fait voir dans ce Monastere la cellulle de S. Jean Chrisostome, & celle de S. Jean Damascene. La plus belle Eglise du Convent est celle qui est dediée à ce Saint. La Fontaine que S. Sabas obtint de Dieu, est au dessous de ce Monastere. Les Religieux de S. François arrivant dans ce Monastere, visitent les Eglises, sçavoir celle de S. Jean Damascene, celle de S. Jean Chrisostome & sa cellule, l’Eglise dediée à S. George, celle des quarante Martirs mis à mort par les Sarasins huit jours avant que Cosroës prit Jerusalem, le Sepulcre de S. Sabas, l’Eglise de S. Nicolas, & la Chambre de S. Sabas changée en Eglise. Aprés le disner qui est de quelques provisions apportées par les Religieux de S. François, jointes à quelques olives, figues, raisins & dattes que les Religieux Grecs du Monastere presentent aux Religieux de saint François, l’on va visiter la Laure, où sont un grand nombre de cellules tres anciennes à moitié ruinées dans les Rochers entre deux montagnes. Le lendemain aprés la Messe, les Religieux repartent pour Bethléem, & ils passent par les montagnes d’Engadi, où on leur fait voir la Grotte dans laquelle David coupa un bout de la veste de Saul. Cette Grotte est basse & obscure, ne pouvant avoir plus de dix pas de profondeur sur sept de large. Elle est située sur un bout de montagne seche, & pierreuse. Le lendemain jour de S. Jean, les Religieux & les Pelerins vont visiter Fons signatus éloigné de Bethléem d’une lieuë au midy, & en même temps les trois Piscines de Salomon situées au dessus de ses Jardins. Ce sont trois grands bassins creusez dans le Rocher que je ne décris pas, parce que plusieurs Voyageurs en ont parlé. Ils vont aussi visiter la Fontaine de S. Philipe, le desert de saint Jean, la Maison de sainte Elisabeth où la sainte Vierge l’alla visiter, un Monastere des Grecs qu’on tient estre basti où le bois de la vraye Croix fut coupé, & autres lieux de devotion.

La Feste de l’Epiphanie se celebre avec presque autant de solemnité que celle de Noël. Tous les Pelerins & Religieux étrangers demeurant l’Octave de Noël en Bethléem, & les jours suivans le Gardien officie Pontificalement avec la Croce, la Mitre, & tous ses Officiers, comme a la Messe Episcopale en la même maniere que le jour de Noël, & dans la sainte Grotte où naquit le Sauveur & où il fut adoré des Mages. Je ne la décris point non plus par la raison que j’ay déja apportée.

Exercices de la Semaine Sainte

La Semaine Sainte se passe dans des exercices de pieté, & tels que l’exigent les Saints Lieux. On la commence par une longue, & rude discipline d’un quart d’heure que l’on va prendre au pied du Mont des Olives dans la Grotte même dans laquelle le Sauveur sua sang & eau, c’est dans la valée de Josaphat. Cette Grotte est encore aujourd’huy, selon toutes les apparences, dans le même état où elle estoit du temps de nostre Seigneur sans aucun bâtiment ou ornement, & on y descend par six ou sept degrez. Elle est voisine de la porte de l’Eglise du Sepulcre de la sainte Vierge. Quelques Turcs payez pour cela sont à quelques pas de la Grotte faisant sentinelle, pendant que les Religieux, en memoire de la Passion du Sauveur, prennent la discipline, de peur qu’ils ne soient troublez par d’autres Turcs, ou Arabes dans cet exercice de penitence que l’on fait aussi trois fois la semaine toute l’année. Sçavoir le Lundy, le Mercredy & le Vendredy aprés Matines, pendant l’espace d’un Miserere chanté fort posément, d’un De profundis, & d’un Salve Regina accompagné de plusieurs Oraisons. De la Grotte où le Sauveur sua sang & eau, l’on monte en Jerusalem, & l’on va prendre une autre discipline dans le lieu même où le Sauveur fut flagellé, lorsqu’on peut en obtenir la permission d’un Tisseran Turc qui y tient sa boutique. Le même jour, l’on chante les Tenebres dans toutes les Eglises de la Terre Sainte d’une maniere tres solemnelle ; mais specialement dans l’Eglise du Saint Sepulcre où le Gardien de Jerusalem s’enferme avec tous les Religieux qui n’ont pas vû les ceremonies de la Semaine Sainte.

Le Jeudy Saint aprés les Tenebres, l’on fait la procession la plus solemnelle qui se fasse en aucun temps dans l’Eglise du Saint Sepulcre. On la commence dans la Chapelle où les Peres de la Terre Sainte officient toute l’année. Cette Chapelle est dediée à l’apparition du Sauveur à la Sainte Vierge aprés sa Resurection. On y chante un Himne sur l’emprisonnement du Sauveur, & on va ensuite à la prison, où il fut mis pendant que l’on preparoit la Croix, & les autres Instrumens de son suplice. Là il y a deux Autels qu’on encense, disant à chacun un Verset & une Oraison, & l’on y fait une predication Arabe. De là l’on va à la Chapelle de Saint Longin, qui est le Soldat qui de sa lance ouvrit le costé du Sauveur. On encense l’Autel, & aprés y avoir dit un Verset & une Oraison, l’on va à la Chapelle appellée de la division des vestemens. On y fait les encensemens, & on y dit les Versets, & les Oraisons : ce qui est suivi d’une Predication Latine ou Françoise. De là chantant l’Himne Fortem virili pectore, l’on descend à la Chapelle de sainte Helene, bastie dans l’endroit où elle estoit, lors qu’elle fit creuser prés le Calvaire pour chercher la vraye Croix. Il y a quarante-six degrez à descendre. On encense avec l’Autel de sainte Helene un second Autel qui en est voisin. Ensuite on descend encore douze degrez pour arriver au lieu où furent trouvées les trois Croix. On y fait une predication en Espagnol, & de là aprés les Versets, Oraisons, & encensemens, on va au Calvaire, remontant les douze degrez, & les quarante-six qu’on vient de descendre, au bout desquels arrivant à l’Eglise du Saint Sepulcre on en monte encore dix neuf pour arriver sur le Calvaire, où l’on fait deux predications, une Françoise dans l’endroit où Nostre Seigneur fut attaché sur la Croix, & une autre Italienne dans l’endroit même où la Croix fut élevée aprés qu’il y eut esté cloué. Comme les Grecs ne mettent sur le Calvaire qu’une peinture de Jesus-Christ crucifié, ne se servant jamais de relief, les Religieux portent un Crucifix de relief parfaitement bien representé, dont les bras sont attachez & unis aux épaules par des viz & des ressors, de telle maniere qu’on peut les hausser, & baisser facilement aprés les avoir declouez, ce qui est l’office d’un Religieux qui represente Joseph d’Arimatie qui détache le Sauveur de la Croix ostant le Clou du bras droit qui tombe doucement sur le costé du Sauveur crucifié. Ensuite il détache le bras gauche qui tombe de même sur le costé gauche en la maniere que feroit celuy d’un homme mort. On desclouë ensuite les pieds, & pour lors deux Religieux assistans de Joseph d’Arimatie, & qui representent les Disciples du Sauveur, luy aident à mettre le Corps dans un grand Suaire fort propre, tenu par deux autres Religieux. Ensuite l’Himne de Vexilla, & celuy de Lustris sex, les deux predications, & les encensemens finis, l’on descend du Calvaire chantant un autre Himne de la Passion du Sauveur, & l’on arrive à la Pierre d’Onction. Là deux Religieux, qui representent les Maries, aportent deux vases pleins d’une huile precieuse, dont Joseph d’Arimatie, & les disciples ses assistans oignent le Corps du Sauveur, & on le laisse reposer sur cette Pierre d’Onction pendant une predication Arabe que le Pere Curé fait au bas du Calvaire. La predication finie, la procession va au Saint Sepulcre de Nostre Seigneur chantant un Himne, & le Religieux qui represente Joseph d’Arimatie va mettre avec ses assistans le Corps du Sauveur sur le Sepulcre, à la porte duquel on fait une predication Espagnole. Du Saint Sepulcre la procession va au lieu où le Sauveur apparut à la Madelaine aprés sa Resurection sous la forme d’un Jardinier, luy disant, noli me tangere nondum enim ascendi ad Patrem. Il y a en cet endroit une grande pierre de marbre blanc. L’on va ensuite à la Chapelle, d’où l’on est parti. Elle sert d’Eglise aux Peres de la Terre Sainte, & il y a une partie de la Colomne de la flagellation.

Le Vendredy & le Samedy Saint, on fait toutes les ceremonies en la même maniere qu’aux Eglises Collegiales. Au jour de Pâques, le Gardien de Jerusalem officie pontificalement avec la Croce, la Mitre & les autres ornemens Episcopaux, & avec les mêmes solemnitez & les mêmes Officiers que les Evesques. Le Samedy Saint, les Grecs, les Armeniens, Siriens, & autres Levantins font leur prétendu feu Saint sur le Saint Sepulcre que l’on peut appeller à bon droit feu profane, ou feu sacrilege, puisqu’ils ne le font que pour tromper leur peuple, auquel ils font croire que ce feu qu’ils tirent avec un petit fusil qu’ils portent dans leurs poches, sort du Saint Sepulcre. La raison de cette tromperie, est le grand interest qu’ils y ont, parce que par ce faux miracle ils attirent en Jerusalem grand nombre de peuple qui leur apporte des sommes tres-considerables avec lesquelles ils entretiennent leur Convent, & payent leurs Tributs aux Turcs. Comme plusieurs voyageurs ont décrit cette insigne fourberie, je ne crois pas necessaire d’en rien dire davantage.

Le Lundy de Pasques, tous les Religieux, & les Pelerins qui se trouvent en Jerusalem, vont au fleuve Jourdain, & y doivent aller ; s’ils n’y vont pas, ou par maladie, ou par quelque autre raison, ils ne laissent pas de payer dix Piastres au Bacha. Les Religieux de Saint François, & les Pelerins Européens s’assemblent au bas de la vallée de Josaphat, au delà du torrent de Cedron, prés le jardin de Jersemani, ou des Olives, à cinq heures du matin, & là ils trouvent des chevaux & des mulets avec les selles, par le soin des Truchemens du Convent. Chacun prend le sien, & on part quand le premier Truchement dit que tout est prest. Le Bacha de Jerusalem, moyennant l’argent qu’il reçoit, est obligé de donner escorte aux Pelerins pour les garantir des Arabes, Quand les soldats Turcs & Arabes, qui doivent garder la Caravane, sont arrivez, tous montent à cheval. & partent suivant la montagne des Olives premierement quelque temps du Nort au Midy, & ensuite tournant à l’Orient, la Caravane, qui quelquefois sera de plus de dix mille Chrestiens, va passer à la Fontaine nommée des Apostres, parce que les Apostres allant de Jerusalem à Jerico, passoient par là. De là on va passer, descendant toujours par derriere le mont des Olives, au Village où est le sepulcre du Lazare, qui est Betanie. On trouve ensuite une grande plaine suivie d’un chemin étroit, & renfermé entre deux rochers, où l’on ne va d’ordinaire qu’un à un, ou deux de front tout au plus. Quand on a fait environ trois lieuës de Jerusalem, on trouve un Caravansera, bâti entre deux montagnes, demi ruiné, qu’on assure estre le lieu où cet homme dont le Sauveur parle dans l’Evangile, qui descendoit de Jerusalem en Jerico, tomba entre les mains des Voleurs. C’est aussi un méchant passage, où des Voleurs ayant fait un mauvais coup, peuvent facilement se sauver parmi plusieurs montagnes & rochers, où l’on pourroit difficilement les aller chercher. De là on marche encore environ une lieuë entre des rochers, montant & descendant ; on descend neanmoins beaucoup plus que l’on ne monte. Environ une lieuë avant que d’arriver à la plaine de Jerico, on trouve deux chemins, l’un qui tire à l’Orient, & qui est large & facile ; l’autre au Nort, ou entre le Nort & l’Orient, qui est étroit & fort facheux, d’où l’on voit en bas de tres-profonds précipices entre des montagnes, & un ruisseau qui passe entre deux rochers, où il y a quantité de Cellules d’anciens Solitaires, creusées dans le rocher. L’on descend aprés cela dans la plaine de Jerico, tres-belle & tres-spacieuse. L’on tire du costé du Nort, & l’on arrive au pied de la montagne affreuse & tres-escarpée, sur laquelle le Sauveur jeûna quarante jours & quarante nuits. Au pied de cette montagne il y a un Caravansera ruiné. Les Religieux & les Pelerins montent sur cette montagne, si les Arabes le leur permettent, & visitent le lieu où le Sauveur jeûna, & plusieurs Chapelles & Cellules bâties dans ce saint lieu ; sinon, ils se contentent de prier au bas de la montagne, pour gagner l’Indulgence pleniere, accordée par plusieurs Souverains Pontifes à ceux qui visiteront ce saint lieu. De là, les Pelerins vont à la Fontaine de Saint Elie, qui traverse la plaine de Jerico, & s’arrestent sous de grands arbres de Geniets, ou Sicomores, pour prendre quelques rafraîchissemens. L’on remonte ensuite à cheval pour aller au Village bâti en l’endroit où estoit autrefois Jerico. L’on visite la maison de Zachée, où il y a aujourd’huy une grosse tour, fort vieille, qu’on voit de tres loin, parce que cette Ville estoit presque dans le milieu de la plaine. On y chante l’Evangile du dix-neuviéme Chapitre de S. Luc, dans lequel le Sauveur commande à Zachée de descendre du Sicomore, sur lequel il estoit monté pour le voir passer, parce qu’il devoit aller le même jour dans sa maison : Aprés cela, toute la Caravane va camper sous des Tentes au milieu de la plaine de Jerico, où les Religieux sous leur Tente disent les Vespres, ausquelles les Pelerins assistent. Ils récitent ensuite Complies, font l’Oraison mentale, le soir, l’examen, & les prieres, & aprés avoit reposé quelques heures, l’on part avant le jour pour le fleuve Jourdain. On y arrive sur les huit heures du matin ; & aprés avoir visité les ruines d’un ancien Monastere, dédié à Saint Jean-Baptiste, bâti prés du lieu où l’on tient que ce Saint baptisa Nostre-Seigneur, on va au bord du Fleuve. D’abord l’on dresse un Autel à quatre faces, sur lequel quatre Religieux disent la Messe en même temps ; sçavoir une pour le Pape, une pour le Roy, une pour l’Empereur. & une pour le Roy d’Espagne, & pour tous les Princes Chrestiens. Les Messessinies, chacun tâche de boire de l’eau du fleuve Jourdain, de s’y laver, & de prendre des bâtons qui croissent à son rivage. On remonte ensuite à cheval, & l’on revient à la plaine de Jerico sous les Tentes, où aprés avoir recité les Offices de Prime, Tierce, Sexte & None, & fait l’exercice du matin, on prend son repos, aprés quoy chacun a la liberté d’aller se promener dans la plaine de Jerico. L’on coupe des bâtons pour le Voyage, & l’on y cueille quantité de fruits sauvages, qui croissent dans cette plaine, sur tout des fruits de l’arbre appellé Zagon, dont on tire une huile admirable pour les playes. L’on reste dans cette plaine jusques à la nuit, disant les Vespres & les Complies, faisant l’Oraison, & recitant les prieres du soir à l’heure ordinaire sous la Tente, & l’on part le lendemain de bonne heure pour retourner en Jerusalem. Comme les gens de la Ville sont avertis de nostre retour, ils sortent tous, hommes, femmes & filles, mais sur tout les jeunes Turcs, qui se postent sur les avenuës pour nous charger de maledictions, & nous faire quelques insultes. Ils ne peuvent pas neanmoins faire grand mal, sur tout lors qu’on est avec les Truchemens ou avec les Conducteurs Turcs, qui empêchent l’insolence de cette Jeunesse Turque.

La troisiéme Feste de Pasques, on alloit anciennement à Emaüs, à l’Occident de Jerusalem, dont il est éloigné de trois lieuës ; mais quelques accidens arrivez dans ce voyage l’ont fait discontinuer.

Le jour des Rameaux, ou Dimanche des Palmes, le Gardien de Jerusalem faisoit aussi la ceremonie d’entrer dans Jerusalem sur un asne, les Chrestiens rompant des rameaux ou branches de Palme, & d’Olivier, & les jettant dans le chemin où il devoit passer ; mais cette ceremonie a cessé depuis longtemps ; il faut que les Turcs soient devenus plus facheux & moins complaisans que par le passé. Les Peres de la Terre-Sainte ont voulu la rétablir il y a quelques années, & offrirent quelque somme au Bacha, mais il répondit que cela ne se pouvoit faire, à cause que la populace est trop brutale, & qu’il ne pouvoit empescher les femmes & les enfans d’outrager les Religieux.

De la Feste de l’Ascension.

La veille de l’Ascension tous les Religieux qui l’année precedente ne se sont pas trouvez à l’Ascension en Jerusalem, vont à quatre heures aprés midy sur le mont des Olives en l’endroit même où le Sauveur monta aux Cieux. Il y a en cet endroit-là un petit dome basti, au milieu duquel on voit une pierre, sur laquelle est imprimée la figure du pied de Nostre-Seigneur, montant aux Cieux. Là, les Religieux recitent Vespres & Complies, aprés lesquelles ils font sur l’herbe une legere collation avec du pain, & des raisins secs. Aprés la collation ils se reposent un peu, & se levent à dix heures pour chanter Matines & Laudes, qui durent jusques à une heure aprés minuit. Ces Offices finis, l’on dit la Messe solemnelle, qui est suivie de celle de chaque Religieux, ce qui finit à la pointe du jour. Les Turcs qui ont fait de ce Sanctuaire une Mosquée, ne laissent pas de nous permettre d’y faire nos fonctions, avec toute liberté, moyennant quelque present en argent : mais comme cet argent leur fait reverer le Mistere de l’Ascension du Sauveur, toute la nuit pour l’honorer, ils chantent dans une Mosquée voisine, ce qui est de quelque consolation aux Chrétiens de voir que les Infidelles même prennent part à leurs Festes. Les Messes finies, les Religieux se retirent à Saint Sauveur, mais auparavant ils vont visiter tous les lieux de devotion, qui sont sur le Saint Mont des Olives, & au voisinage. Comme, 1. ce qu’ils appellent Viri Galilei, qui est le lieu d’où les Apostres virent le Sauveur monter au Ciel, marqué par une petite Tour & Bastiment. 2, Le lieu où le Sauveur pleura sur la Ville de Jerusalem, en la regardant ; on la voit de la toute entiere 3, Le lieu, où il composa le Pater Noster, marqué d’une colomne de marbre. 4, Le lieu où les Apostres composerent le Credo, marqué par une Voute à douze arcs. 5, La Grotte de sainte Pelagie, que les Turcs reverent, & où les Religieux ne peuvent entrer. 6, Le Jardin de Getsemani ou des Olives, où il y a aujourd’huy douze ou treize Oliviers, qu’on ne doute point estre les mêmes qu’on y voyoit du temps de Nostre Seigneur, parce qu’en ces pays tres chauds l’Olivier ne meurt jamais. Que si par la viellesse il meurt d’un costé, il repousse de l’autre, & par ce moyen subsiste toujours. Ce Jardin qui appartient aux Peres de la Terre Sainte peut avoir quinze ou seize pas en quarré, & est gardé par une famille Arabe, aussi bien que le terrain qui est autour du Sepulcre de la Sainte Vierge, acheté par les Peres de la Terre Sainte. Afin que les Grecs Schismatiques ne puissent avoir aucune prétention à ce Sanctuaire, ils payent la Famille Arabe, pour avoir soin de ces Campagnes ; autrement les Turcs & les Arabes par avarice, & les Chrétiens Schismatiques, par fausse devotion ruineroient tout, rompant les bois des Oliviers pour en faire des Chapelets, & cueillant les Olives, qu’on distribue tous les ans aux Religieux, pour faire des Chapelets du noyau. 7, Ils visitent encore la Grotte dans laquelle le Sauveur sua sang & eau. 8, Le Sepulcre de la Sainte Vierge. 9, Le lieu où Saint Estienne fut lapidé. Tout cela se trouve sur le chemin qui va du lieu de l’Ascension à la Ville de Jerusalem.

Le jour de la Pentecoste estant la propre Feste du Convent de Saint Sauveur qui a succedé à celuy que les Peres de la Terre Sainte avoient sur le Mont de Sion, dont l’Eglise estoit le Saint Cenacle, dans lequel estoient assemblez les Apostres & les Disciples au jour de la Pentecoste, au nombre de six vingt, lorsque le Saint Esprit descendit sur eux en forme de langue de feu, pour cette raison l’on celebre cette Feste avec toute la solemnité possible. Le Gardien de Jerusalem officie pontificalement, & tous les Offices sont chantez en ce jour, avec beaucoup de pompe & de majesté.

La Feste Dieu ne se fait pas avec moins de gravité, qu’en Chrétienté dans tous les Convens, & Hospices de la Terre Sainte, mais particulierement dans l’Eglise du saint Sepulcre de Nostre Seigneur. Aprés que la Messe solemnelle a esté chantée par le Pere Vicaire, les Religieux Prestres estant revêtus des plus belles chasubles données par les Princes Chrestiens, & par les Republiques, & les Freres avec des Surplis, l’on porte le saint Sacrement en faisant trois fois le tour du saint Sepulcre, & l’on chante les trois Himnes de Vespres, de Matines, & de Laudes de la Feste, avec toute la gravité, & devotion possible. La Procession est precedée de deux Janissaires portant de longs bastons avec lesquels il font retirer les Turcs, les Armeniens, les Grecs & autres, & font faire grand silence. Le Saint Sacrement est precedé de six Religieux avec des Encensoirs qui l’encensent pendant la Procession. Le Vicaire donne ensuite la Benediction, tous les Assistans étant dans un grand silence, quoy que Turcs, Heretiques Schismatiques.

Le jour de Saint Jacques qui arrive le 25. Juillet, les Espagnols invitent les autres Nations à leur Feste, qui se fait dans une grande Eglise des Armeniens, bastie au lieu où cet Apostre fut martirisé en Jerusalem. Là, le Pere Procureur qui est Espagnol chante la Messe. Le Patriarche & les autres Evêques Armeniens font toujours beaucoup d’accueil aux Religieux de Saint François, & ce jour là ils leur donnent à dîner d’une maniere fort obligeante. Aussi quand ils viennent dans les Convents de Saint François, on leur fait toujours accueil, & cette Nation est toujours de meilleure intelligence avec les Evêques que tous les autres Schismatiques.

Le 6. Aoust, jour de la Transfiguration, les Religieux qui sont a Nazareth vont au mont de Thabor qui en est éloigné de deux lieuës à l’Orient tirant au Midy, & là chantent la Messe, lors qu’il n’y a pas lieu de craindre quelque surprise des Arabes. On y va la veille, & on y chante Vespres & Complies. Aprés avoir reposé quelques heures dans la petite Eglise, qu’on appelle des saints Tabernacles, on y chante Matines & Laudes, puis la grande Messe avec les Offices, & ensuite les Religieux retournent à Nazareth.

Lors que pendant le Carême on dit à la Messe l’Evangile de la Resurrection du fils de la veuve de Naïn, les Religieux de Nazareth ne pouvant aller dans ce Village, qui est au delà du Champ d’Esdrelon, vont sur une montagne éloignée d’environ demi-lieuë de Nazareth, & au midy de cette Ville. De là ils regardent ce Village & revestus de Surplis & d’Etoles, ils chantent ce saint Evangile. L’on ne peut aller à Naïn, non plus qu’à Emaüs, par la crainte que l’on a d’y estre maltraité. Cette crainte vient de ce que l’on dit communement, que quelques chevaux fougueux de certains Anglois & Hollandois, y ont tué des Enfans, & que ceux qui habitent ces Villages ont juré de s’en vanger sur les premiers Européens qu’ils y trouveront. Cela peut estre vray de l’un de ces deux Villages, principalement pour celuy d’Emaüs ; mais pour celuy de Naïn, comme il est au delà du champ d’Esdrelon, & toujours rempli d’Arabes, il est difficile d’aller parmi eux sans estre dépoüillé, ny sans leur payer de grosses sommes. Le Lundy aprés le troisiéme Dimanche de Carême, auquel on chante l’Evangile qui parle de l’entreprise que firent ceux de Nazareth, de précipiter Nostre Seigneur de dessus une hauteur, l’on va sur ce rocher, dans lequel il y a encore aujourd’huy un reste de Chapelle, avec des Peintures, & là l’on chante l’Evangile du jour avec l’Etole & le Surplis. Ce rocher est à demi-lieuë de Nazareth, & au midy.

La veille de l’Assomption de la Sainte Vierge, tous les Religieux qui sont en Jerusalem, & qui ne s’y sont pas trouvez l’année precedente à pareille solemnité, descendent environ à trois heures aprés midy du Convent de Saint Sauveur en la vallée de Josaphat au sepulcre de la Vierge. C’est une Eglise assez spacieuse, presque entierement sous terre. Pour y arriver, l’on descend plus de quarante degrez d’une belle pierre dure, & luisante presque comme marbre. Ces degrez, qui sont fort larges, ont aux costez des Chapelles, de saint Joseph, de saint Joachim, & de sainte Anne. On tient que là estoient leurs sepulcres. Celuy de la sainte Vierge est au fond de la Grotte, ou de l’Eglise bastie dans un lieu profond, & qui peut bien avoir cinquante pieds de long, d’Orient en Occident. Au tour de ce sepulcre qui est couvert d’un petit dôme, il y a plusieurs petits Autels pour les Chrestiens du Levant, mais les seuls Latins officient sur le sepulcre de la Sainte Vierge. Là, les Religieux ont plus de liberté qu’à l’Eglise de l’Ascension sur le Mont des Olives, parce qu’ils sont les Maistres de cette Eglise. C’est pourquoy ils y chantent Matines & Laudes fort posément tout comme dans le Convent, & sans crainte d’estre incommodez des Turcs comme ailleurs. Aprés la grand’Messe, chacun dit aussi la Messe basse, & l’on chante Prime & Tierce, aprés quoy les Religieux vont visiter tous les Sanctuaires voisins, comme la sainte Grotte où le Sauveur sua sang & eau, le Jardin des Olives, le lieu où saint Estienne fut lapidé, le Torrent de Cedron, specialement l’endroit où le Sauveur en tombant imprima ses sacrées mains & ses genoux, la grotte des Apostres, celle où saint Pierre pleura amerement, le champ du Potier, appellé Haceldama, & autres saints Lieux. Ensuite chacun retourne à son Convent, sçavoir, de Saint Sauveur, de Bethléem, ou de S. Jean.

Le 8. Septembre, jour de la Nativité de la Vierge, les Religieux vont au petit Convent qui est encore aujourd’huy tout entier, bâsti au bas de Jerusalem, dans l’endroit où l’on tient que la Sainte Vierge est née, & où jamais aucune famille Turque n’a pu habiter, quoy que plusieurs l’ayent tenté souvent, mais ils ont toujours esté battus par des mains invisibles, & obligez d’en sortir presque aussi tost. Là l’on officie de la même maniere qu’au Sepulchre de la Ste Vierge le jour de l’Assomption, & l’on y chante Vespres, Matines & Laudes, le Celebrant & les Officiers estant revestus de Chapes & de Dalmatiques, & la grande Messe est celebrée à Diacre & Soudiacre, & autres Officiers. Voila à peu prés toutes les Festes principales que l’on solemnise, avec quelque distinction en Jerusalem. On pourroit encore y ajoûter la Feste de saint François, de saint Antoine de Pade, de l’Immaculée Conception, mais comme on celebre ces Festes dans chaque Convent, il ne me semble pas necessaire d’en rien dire de particulier.

Je vous envoyeray le mois prochain un détail des ceremonies qui se pratiquent au Convent de Nazareth ; des moyens de faire facilement le voyage de la Terre sainte, & des tributs ou des peages que les Turcs tirent des Pelerins, à quoy je joindray beaucoup de choses curieuses qui regardent l’Ordre des Chevaliers du saint Sepulchre que donne le Gardien de Jérusalem.

[Lettre de Mr Brossard de Montaney] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 74-79.

Les Ouvrages de Mr Brossard de Montanay, Conseiller au Presidial de Bourg en Bresse, ayant paru avec beaucoup de succez dans mes premieres Lettres, il y a long tems que vous me demandez pourquoy il ne s’y en trouve plus. Je ne pouvois vous en dire la raison. Vous la trouverez dans la Lettre suivante qui accompagne un de ses ouvrages que je vous envoye.

À Bourg le 17. Aoust 1701.

Il y a long-temps, Monsieur, que j’ay rompu tout commerce avec les Muses. Les differentes occupations que j’ay euës ne m’auroient guere permis de renoüer avec elles, si dans un évenement aussi extraordinaire, qu’est celuy de l’élevation de Monseigneur le Duc d’Anjou à la Couronne d’Espagne, j’avois pû me deffendre de contribuer à la joye publique. Un habile Musicien qui a fait un long séjour à Rome & à Venise s’est presenté pour travailler à un Concert. Il en a fait les avances à des gens de consideration : & l’envie de voir jusqu’où s’estendoit son habileté, les a portez à me solliciter de faire les Vers que je vous envoye. Comme ils ne sont pas nouveaux, je ne me serois point avisé de vous les communiquer, si diverses personnes qui en ont retenu quelque chose, n’en avoient fait un fort mauvais tout, que je n’ay pû retirer d’entre leurs mains, qu’en leur promettant de vous envoyer ce qu’ils avoient resolu de vous écrire. Ils ont poussé la chose, jusqu’à vouloir se charger du pacquet pour le remettre à la poste ; & il a fallu ceder, malgré toute la repugnance que j’avois à faire encore paroistre des Vers d’une Muse fort negligée. Si nostre Musicien avoit esté en Ville, je vous aurois envoyé quelques airs détachez de sa composition. Je le feray au premier jour, & si elle est goûtée, vous en aurez autant qu’il vous plaira. Quoi qu’il ait une facilité surprenante, il est laborieux jusqu’à l’excés. Il a depuis son premier ouvrage composé un nombre considerable de choses particulieres, qui ont l’approbation, non seulement des connoisseurs de nostre petite Ville, mais de tout ce qu’il y a de gens habiles à Dijon & à Lion. Je suis parfaitement Vostre &c.

[Concert] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 79-95.

VERS MIS EN CHANT
pour un concert fait à Bourg, sur l’élevation de Monseigneur le Duc d’Anjou à la Couronne d’Espagne.

Mars, Apollon, Minerve, l’Amour, Troupe de Plaisirs dançans & chantans, de la suite de l’Amour.

MARS.

Ce Heros que mon bras favorisa toûjours,
Louis m’oublie & m’abandonne,
Quand il donne à son Fils une illustre Couronne,
 Il la donne sans mon secours,
 Ce Fils, digne du diadéme,
Par un chemin plus noble y pouroit arriver,
Il est beau de monter à la grandeur supréme,
Mais c’est par la valeur qu’il s’y faut élever

Apollon & Minerve.

Tout ce que vous offrez part d’une main sanglante,
Vous mêlez à vos dons l’horreur & l’épouvante.
Deux Peuples genereux dés long-temps divisez,
N’ont que trop respiré la haine & le carnage,
Vos lauriers, vos faveurs sont un triste avantage
 Qui les eust enfin épuisez,
D’une paix favorable ils ont goûté les charmes,
 Et l’Espagne a fait choix
 Du Fils du plus puissant des Rois
 Pour se garantir de vos armes,
 Et pour joüir, à l’abri de ses loix,
 D’un repos sans alarmes.

MARS.

 Le plus redoutable des Dieux
 Ne souffrira point qu’on l’outrage.
Des peuples alarmez, des Princes envieux
 Je réveilleray le courage,
 Et je mettray tout en usage,
Pour confondre un projet qui m’est injurieux.
 Deux Rois, arbitres de la Terre,
 Disposeront tout à leur gré !
Tout leur sera soumis, & le Dieu de la guerre
 Ne sera plus consideré !
Non, non, que du bruyant, du terrible tonnere
Les plus mortels, les plus horribles coups
 Fassent éclater mon couroux.

Minerve.

Quand on suit les transports que le dépit suggere,
 On se met souvent en danger.
 Où vous allez-vous engager ?
Par l’effort impuissant d’une vaine colere,
On s’accable de honte au lieu de se vanger.
 Vous flattez vous assez pour croire
 Que vous obscurcirez la gloire
D’un Roy que Jupiter prend soin de proteger ?

Apollon.

Au Heros de la France il n’est rien d’impossible,
De cent peuples unis il fut victorieux.
 En vous opposant à ses vœux,
 Ce Guerrier toûjours invincible
 N’en sera que plus glorieux.

Amour.

Par ses vertus, par l’éclat de sa vie,
De ses ennemis même il s’est fait estimer :
Mais il n’est pas content de desarmer l’envie,
Par ses bien-faits il veut se faire aimer.

Mars

Quel changement ! non, je ne le puis croire.
 Dans une molle oisiveté.
L’Ibere & le François enterreront leur gloire ?
Ils pourront se resoudre à cette indignité ?
En vain de mille exploits ils ont rempli l’Histoire
 S’il faut que leur posterité,
Se ferme pour jamais le Temple de Memoire
 Pour languir dans l’obscurité.

Minerve & Appollon.

Sans vous on peut se faire un grand nom dans le monde,
On trouve dans la paix une source feconde
De projets éclatans, & de faits glorieux.
On se peut élever au rang des Demi-Dieux,
 Par les vertus tranquilles.
 Un Roy se rend fameux,
 Quand il rend ses Sujets heureux,
Il étend le commence, il embellit les Villes.
 Il rend les Campagnes fertiles,
 Et la justice de ses loix
 Produit des effets plus utiles,
 Que les plus rapides exploits.

Apollon.

 Par une heureuse intelligence
 Nous verrons fleurir les beaux Arts.

Minerve.

Les peuples empressez viendront de toutes parts
Rétablir à l’envi la joye & l’abondance.

Amour.

Puis qu’enfin l’Espagne & la France
Suivent les mêmes étendarts,
Nous verrons par cette alliance,
Les Mirthes que l’amour dispense
Préferez aux Lauriers de Mars.

Mars.

Puis-je voir sans chagrin le bien qui vous arrive,
 D’un accord si fatal pour moy !
 Verray-je ma douleur oisive,
 Et faut-il que la paix me prive
 De ma gloire & de mon employ ?

Amour.

 Quittez cet air sombre & terrible,
 Qui convient mal au regne des Amours.
À mes feux autrefois je vous ay vû sensible.
Pour goûter les douceurs, pour joüir des beaux jours
 Que promet un siecle paisible,
 Quittez cet air sombre & terrible
 Qui convient mal au regne des Amours.
 Je veux que l’un & l’autre Empire
Soit l’azile assuré des tranquilles plaisirs,
 Si desormais on y soupire,
On n’y formera plus d’inutiles desirs,
 On n’y verra plus de cruelles,
Je rempliray les cœurs des charmes les plus doux.
 Paris n’aura plus d’Infidelles,
  Ny Madrid de jaloux.
 Que dés ce moment on commence
 À celebrer ce succés glorieux.
 Vous qui me suivez en tous lieux,
 Plaisirs, venez, volez en diligence.
  Formez les plus aimables Jeux.
 Chantez la fameuse alliance
 Qui rendra l’Univers heureux.

Troupe de Plaisirs chantans & dansans.

Formons les plus aimables jeux,
Chantons, chantons la fameuse alliance
Qui rendra l’univers heureux.

Deux Plaisirs

Remplissons tous les cœurs d’une douceur tranquille,
C’est à nous d’y regner, la discorde est aux fers.
Forçons-les d’oublier les maux qu’ils ont soufferts.
L’Enfer fremit en vain, sa rage est inutile,
Le plus grand des Heros nous assure un azile
 Contre tous les revers.

Premier Chœur de Plaisirs

Remplissons tous les cœurs d’une douceur tranquille,
C’est à nous d’y regner, la discorde est aux fers.

Second Chœur de Plaisirs

Le plus grand des Heros nous assure un azile
  Contre tous les revers.

Apollon.

Ce Vainqueur genereux en quittant le tonnerre,
Veut calmer l’Univers, & reparer ses maux.
 Gardez-vous, impuissans Rivaux,
 D’exciter des troubles nouveaux,
N’attirez pas sur vous les malheurs de la guerre.
La naissante valeur de trois jeunes Heros
N’attend que le signal pour conquerir la terre,
  Laissez-les en repos.

Mars.

Pourquoy leur envier la gloire & l’avantage
De triompher par leur courage ?
Non, non, par ce projet je suis trop outragé.

Amour.

 Songerez-vous toujours aux armes ?
Venus pour vous toucher n’a-t-elle plus de charmes ?
Cet amas de lauriers dont vous estes chargé,
 Coute cher à vostre tendresse.
Ecoutez un Amour trop longtemps negligé :
 C’est par les mains d’une aimable Déesse
Qu’un Dieu victorieux doit estre couronné.
 La gloire où vous courez vaut-elle
 Le prix qui vous est destiné ?
 La gloire où vous courez vaut-elle
La douceur d’estre aimé d’un cœur tendre & fidelle ?

Un Plaisir,

 Un grand cœur qu’anime la gloire,
 Fuit la mollesse & le repos,
Mais le plaisir qu’amour offre aprés la victoire
 N’est pas indigne d’un Heros.

Mars.

Qu’il monte au Trône où sa grandeur l’appelle,
Le Fils charmant de tant de Demi-Dieux,
Qu’il regne, j’y consens, sur un peuple fidelle,
 Dont il fait l’amour & les vœux,
 Que son nom vole
 De l’un à l’autre Pole
 Avec celuy de ses Ayeux.
 Il en est la parfaite image,
En leur faveur je seray son appuy :
Que de l’une & l’autre Inde il reçoive l’hommage,
Qu’on revere ses loix sur l’Hebre & sur le Tage.
 Qui peut mieux y regner que luy ?

Apollon.

La majesté brille sur son visage.

Minerve.

La profonde sagesse a devancé son âge.

Mars.

Son air, ses yeux, tout marque son courage.

Tous trois.

Qui peut mieux y regner que luy ?

Deux Plaisirs.

En faveur de la paix enfin Mars se declare,
Mortels, ne craignez plus, vous allez estre heureux,
 Les biens que le Ciel vous prepare,
 Surpasseront vos vœux !
Vos ennuis, vos chagrins, sont prests à disparoistre,
Joüissez en repos du fruit de vos desirs.
Chaque jour, chaque instant fera naistre
 Mille nouveaux plaisirs.

Chœur de Plaisirs.

Chaque jour, chaque instant fera naistre
 Mille nouveaux plaisirs,

Premier Plaisir.

Les cœurs sans alarmes
Goûteront les charmes
Des tendres amours ;
Ils n’auront d’affaire,
Qu’à songer à plaire.
Puissent leurs beaux jours
S’embellir toujours.

Second Plaisir.

Cette heureuse vie
De la noire envie
Bravera les traits.
Les Guerriers paisibles
Seront tous sensibles.
Puissent-ils en paix
Aimer à jamais.

Mars, Apollon & Minerve.

 Une Race illustre & feconde
Donne aujourd’huy des Rois à cent Peuples divers,
Ce grand évenement remplit la terre & l’onde.
Formez pour le chanter les plus charmans concerts.

Amour.

Que vos chants remplissent les airs,
Que l’Echo fidelle y réponde.

Mars, Apollon, Minerve & l’Amour.

Le Sang du plus grand Roy du monde.
Regnera dans tout l’Univers.

Chœur de Plaisirs.

Que nos chants remplissent les airs,
Que l’Echo fidelle y réponde.
Le Sang du plus grand Roy du monde
Regnera dans tout l’Univers.

[Sonnet sur les quatorze Rois de France qui ont porté le nom de Louis] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 159-162.

Voicy un Sonnet ingenieux, qui marque les qualitez de chacun des Rois qui ont porté le nom de LOUIS en France. Il est de Mr Baucher de Rodez.

LE PRECIS
DE L’HISTOIRE,
OU
Le Catalogue Auguste des LOUIS.
SONNET.

Louis Premier du Nom fut un Roy Debonnaire,
Louis Second fut Sage, Heroïque & Clement.
Louis Trois, quoy que jeune, estoit Brave & Prudent.
Louis Quatre eut le Sort favorable & contraire.
***
Louis Cinq fut docile, & n’eut point d’Adversaire.
Louis Six pour l’Eglise eut un Zele éclatant.
Louis Sept sur les Flots fit pâlir le Croissant.
Louis Huit eut de Mars le parfait caractere.
***
Louis Neuf fut Vaillant, Sobre, Chaste & pieux.
Louis Dix fit punir un Ministre odieux.
Louis Onze fut grave & rusé Politique.
***
Louis Douze eut du Peuple & le Cœur & la Voix.
Louis Treize fut Juste, Integre & Magnifique.
Louis Quatorze seul vaut tous les autres Rois.

PRIERE POUR LE ROY.

Toy, qui fis en LOUIS le plus grand des Mortels,
Seigneur, conserve-nous son Auguste Personne,
Et si son bras soutient l’honneur de tes Autels,
Que le tien soit toujours l’appuy de sa Couronne.

[Galanteries] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 162-165.

Une Dame de merite ayant demandé quelques Lettres ou Poësies galantes à lire, Mr Alison luy envoya les Ouvrages de Voiture. La Dame trouva le tout fort beau, & en particulier, un Rondeau, qui commence par, Ma foy c’est fait ; & luy estant venu en pensée d’obliger Mr Alison d’en faire un à l’imitation de celuy-là, elle luy envoya ces Vers qu’elle fit sur le champ, & feignit que c’estoit une gageure.

Il faut, Damon, que sans murmure,
(Je l’ay gagé, comme l’a fait Voiture)
Vous m’ajustiez treize Vers au niveau
  En forme de Rondeau.
 Si vostre cœur par avanture,
Mal à propos alors & tendre & langoureux,
 Veut y faire briller ses feux,
 Faites-le taire, & je suis seure
 Que je gagneray ma gageure,

Mr Alison envoya presque aussitost le Rondeau suivant à cette Dame.

Comme Voiture, Iris, de mon cerveau
Vous m’ordonnez que je tire un Rondeau.
J’obeis donc, crainte de vous déplaire,
Et si mon cœur ne peut toujours s’y taire,
Accusez-en le Dieu porte-bandeau.
***
Poursuivons donc, & d’un peu du fardeau
Déchargeons-nous en invoquant Brodeau,
Et puis mettons pour nous tirer d’affaire,
  Comme Voiture.
***
Ce n’est pas tout ; à moins d’estre un Boileau,
Peut-on sur rien faire un rien qui soit beau ?
Mais quand on aime, Iris, on peut tout faire.
On y, par les soins du beau Fils de Cithere,
J’ajuste enfin treize Vers au niveau Comme Voiture.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 165-166.

Mr de Saint Liebaux a fait les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye gravé. Elles ont esté notées par Mr du Mesnil-Marchand.

AIR NOUVEAU.

L’air qui commence par, Sortez, tristes soupirs, page 165.
Sortez, tristes soupirs, coulez, coulez, mes larmes,
Je vais perdre l'objet de mes plus tendres vœux ;
Rien ne peut égaler mes cruelles alarmes.
Helas ! fut-il jamais un sort plus rigoureux ?
images/1701-09_165.JPG

[Modes des Dames d’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 222-231.

Je croy, que je vous feray plaisir de vous apprendre les nouvelles modes que les femmes de qualité ont introduites à Madrid, & la maniere galante dont elles s’habillent à present. Je vous ay déja parlé de ce Cordon bleu qu’elles prirent toutes si galamment à la magnifique cérémonie de l’entrée publique que fit à Madrid le Roy d’Espagne. Elles l’ont conservé ; & de leur propre autorité elles se sont faites Chevalieres de l’Ordre du Saint Esprit, pour porter toûjours sur elles, cette marque si brillante qui distingue sur ses habits Philippe Cinquiéme, de tous ses Predecesseurs. Elles portent donc le cordon bleu ; il n’est pas de la moitié aussi large que celuy des Chevaliers de l’Ordre. Il est bordé de diamans ou de perles, avec un Saint Esprit garni de riches diamans. Elles ne vont en visite, & ne sortent plus de leurs maisons sans cet ornement. Ce Saint Esprit, dans le temps qu’elles sont chez elles, ne tient au cordon bleu que par un crochet, & elles le mettent à leur costé gauche, vis-à-vis du cœur. La plûpart ont un Saint Esprit plus petit, mais toujours garni de diamans qu’elles mettent vis-à-vis du cœur, avec un petit ruban bleu, & elles l’appellent Picamicor.

Elles ont avec cela une Dragonne bien brodée sur l’épaule droite, & elles l’appellent la Rage. Au bras gauche au dessus du coude, elles noüent un Ruban de la couleur que chacune choisit pour la sienne, & elles appellent ce nœud la Fureur.

Dans l’endroit des cheveux, que nos Dames appellent le tignon, elles mettent une toufe de nompareille de la couleur qu’il leur plaist, & elles appellent ce petit ornement Escarapela.

Ce qu’il y a encore de plus singulier, pour témoigner le cas qu’elles font des Fleurs de Lys, elles ont inventé une maniere de coulant qui est un ornement bien riche. Au milieu de leur collier de perles, à la même place où les Dames de France mettent leur coulant, les Dames Espagnoles mettent une petite Couronne de diamans, d’où pend un petit cordon où sont enfilées trois Fleurs de Lis de diamans de la distance de deux travers de doigt de l’une à l’autre, & ce cordonnet est terminé par une belle croix de diamans qui brille sur leur poitrine. Elles appellent ce nouvel ornement un Miramelindo.

Au lieu de la barriere que portoient il y a quelques années nos Dames de France, les Espagnoles mettent un nœud de rubans qu’elles appellent l’Inflamacion.

Un bel esprit Espagnol a fait quelques couplets de chanson en sa Langue sur toutes ces nouvelles modes. Tant de Gens apprennent l’Espagnol à l’heure qu’il est, & tant d’honnestes Gens commencent à le parler icy, que j’ay cru devoir vous faire part de cette Chanson.

CHANSON ESPAGNOLE.

Para que las vozes digan
Lo que el adorno dictô,
Y lo que pronuncia el trage,
Vaya vistiendo la voz,
 Traygo conmigo
 Rabia furor,
 Escarapela, Inflamacion
 Mirame lindo,
 Y picami el cor.

Ces mots Rabia, furor & les autres, servent de refrain, ce que les Espagnols appellent Estribillo, & on les repete à la fin de chaque couplet, pour faire entendre. Je porte avec moy les ornemens appellez la Rage, la Fureur, &c.

COPLAS.

La Rabia de la Dragona
Al hombro derecho diô
Un laço que con dos borlas
No es cinta, sino pendon,
Y esto es en suma
 Rabia, furor, &c.
***
El Furor al codo izquierdo
Adorna en oposicion,
Y de dar de codo tiene
Vota su manga el amor,
Y esto es en suma
 Rabia, Furor, &c.
***
La Escarapela de cinta
Encaramando un monton
En el cogote es lechuga
En metafora de Flor ;
Y esto es en suma
 Rabia, furor, &c.
***
El mirame lindo pende
De la garganta y en pos
El Picami cor es bueno
Para el mal de coraçon ;
Y esto es en suma
 Rabia, furor,
Escarapela, Inflamacion,
Mirame lindo,
Y Picami el cor.

[Sonnet qui a remporté le Prix donné par Mrs les Lanternistes de Toulouse] §

Mercure Galant, septembre 1701 [tomme 11], p. 231-235.

Je n’aurois pas attendu jusqu’à aujourd’huy à vous faire part du Sonnet qui a remporté cette année le Prix de Mrs les Lanternistes de Toulouse, si je l’avois receu dans le temps qu’on a pris soin de me l’envoyer. Voicy ce que ces Mrs ont fait publier touchant ce Sonnet.

Le R.P. Courtier, Prestre de la Doctrine Chrestienne, Professeur de Rhetorique dans le College de Lesquille de Toulouse, est l’Auteur du Sonnet auquel on a adjugé le Prix. Cet Ouvrage donne bien dans le sujet qui avoit esté proposé. L’Eloge du Roy y est tracé finement. Le grand nombre des Victoires que ce Heros a remportées, & le fameux évenement qui réunit pour toujours les cœurs de deux fieres Nations, seront des monumens éternels de sa valeur & de sa prudence.

Il nous a esté envoyé plusieurs Sonnets, où la rime Prix est employée avec une s, au lieu d’une x finale. Il a fallu excuser ce changement, parce que cette faute ne vient que du Mercure qu’on imprime à Toulouse.

AU ROY.

Que de Sceptres brillans, que d’étonnans spectacles
Ebloüissent les yeux de l’Univers surpris !
D’un transport de plaisir, Peuples, soyez épris :
En faveur de Louis, Dieu remplit ses Oracles.
***
La Terre a vû, Grand Roy, parmi tous tes miracles,
Ses plus fameux Guerriers déconcertez ou pris,
Cent Sieges achevez, aussi-tost qu’entrepris ;
Fiers travaux, où ton bras força tous les obstacles.
***
Ta gloire étale encor un triomphe nouveau.
Du climat où le jour allume son flambeau,
Jusqu’aux lieux ou l’on voit ses clartez terminées.
***
Tu couronnes ainsi tes grandes actions ;
Ainsi dévelopant tes hautes destinées.
Le Ciel met à tes pieds toutes les Nations.

PRIERE POUR LE ROY.

Daigne prester l’oreille à nostre humble Priere,
Nous t’invoquons, Seigneur, pour un Roy glorieux :
Au gré de nos desirs prolonge sa carriere,
Et tel qu’il est icy, fais le grand dans les Cieux.

[Autres sur le même sujet] §

Mercure Galant, septembre 1701 [tomme 11], p. 235-243.

J’ajoute quatre Sonnets, du nombre de ceux qu’on a jugez les plus dignes de paroistre avec le Sonnet victorieux, & j’en garde quelques autres pour le mois prochain.

I.

Quels pompeux appareils, quels étonnans spectacles !
L’Espagne par son choix rend l’Univers surpris,
De son jeune Heros cent Peuples sont épris :
À peine sur ces faits eust on cru les Oracles.
***
Pour le sang de Bourbon Dieu seul fait ces miracles,
Ces coups heureux du Ciel sont l’équitable prix
De cent travaux divers pour sa gloire entrepris,
Philippe est couronné malgré tous les obstacles.
***
Bellonne sans pouvoir dans ce siecle nouveau,
De rage sous ses pieds brise, éteint son flambeau ;
Les querelles des Rois sont enfin terminées.
***
Et l’Envie attachée aux grandes actions,
Pour changer de Louis les hautes destinées,
Tâche en vain de liguer de fieres Nations.

PRIERE POUR LE ROY.

O Seigneur ! protegez & l’Espagne & la France,
Que leurs Peuples guerriers soient à jamais unis :
Daignez vous souvenir que Louis & son Fils
Ne regnent dans ces lieux que par vostre puissance.

II.

Que Louis à nos yeux étale de spectacles !
De ses faits éclatans l’Univers est surpris,
Dans les nobles transports dont son cœur est épris
Son bras fait tout trembler, sa voix rend des oracles,
***
Quel regne fut jamais si fertile en miracles !
Quel Heros de ses soins eut un plus digne prix ?
Ce que ses fiers Ayeux en vain ont entrepris,
Ce Monarque le fait à travers mille obstacles.
***
Sensible aux doux attraits d’un triomphe nouveau,
Il est d’un Prince heureux le guide & le flambeau
Par qui l’Espagne voit ses frayeurs terminées.
***
Philippe luy promet de grandes actions :
Il marche sur les pas & suit les destinées
D’un Roy qui regle seul toutes les Nations.

PRIERE POUR LE ROY.

Seigneur, du grand Louis soutenez la puissance,
De ses prosperitez éternisez le cours.
Benissez ses projets, conservez ses beaux jours,
 Et pour l’Espagne & pour la France.

III.

Que le Sang de Bourbon cause de beaux spectacles !
Louis de tes hauts faits l’Univers est surpris :
De ta gloire ébloüi, de tes vertus épris
Charles en ta faveur rend ses derniers oracles.
***
Philippe sur tes pas nous promet des miracles !
Des talens qu’il te doit sa Couronne est le prix :
Tout ce que contre luy vingt Rois ont entrepris,
N’oppose à ses projets que d’impuissans obstacles.
***
Bellone vainement s’efforce de nouveau,
Dans nos Etats unis d’allumer son flambeau,
Nous verrons par tes soins ses fureurs terminées.
***
Ta rare pieté, tes sages actions,
Sont le riche tissu des belles destinées,
L’exemple des Heros, l’amour des Nations.

PRIERE POUR LE ROY.

Arbitre souverain du cours de nos années,
 Prolonge les jours de Louis,
 Afin que de ses Petits-Fils
Ce Heros puisse voir les testes couronnées.

IV.

Bellone voit finir ses funestes spectacles,
D’un changement si prompt l’Univers est surpris,
Philippe a des vertus dont l’Ibere est épris,
Themis en leur faveur prononce ses oracles.
***
Ce rare événement enfante des miracles,
Dont la Posterité reconnoistra le prix,
Et de vastes projets vainement entrepris
N’y pourront opposer que de foibles obstacles.
***
L’heureux commencement de ce siecle nouveau,
Des mains de Tisiphone arrachant le flambeau,
Ses tragiques fureurs se trouvent terminées.
***
Un Heros tout brillant de belles actions,
D’un digne Petit-Fils regle les destinées,
En causant le bonheur de mille Nations.

PRIERE POUR LE ROY.

 Seigneur, soyez-nous favorable,
En faveur de Louis écoutez nostre voix,
Et qu’il puisse longtemps en Monarque équitable
 Faire, & proteger d’autres Rois.

[L’Amitié plus forte que l’Amour ; Envoy de l’Aile de l’Amour]* §

Mercure Galant, septembre 1701 [tomme 11], p. 243-248.

La Piece qui suit est de Mr Cheron. Il l’envoya à Mademoiselle Lheritier dans un Porte-lettre, le jour de sa Feste.

L’AMITIE
PLUS FORTE
QUE L’AMOUR.

 Estant en peine l’autre jour,
 De qui la chaisne est la plus forte,
De l’Amitié sincere, ou du parfait Amour,
L’Amitié qui prétend que son zele l’emporte,
Jalouse, attend l’Amour de pied ferme à ma porte,
 Et quand il vint me visiter,
Le poussa, le brusqua, luy fit une querelle,
Le saisit au colet, & voulut l’arrester.
Grand bruit. Il se défend, il prend la Demoiselle
 Par sa jupe, par son grand nez,
Carquois en cent morceaux, broderie & dentelle ;
 Cris aigus, coups sur coups donnez.
Le voila le plus fort, l’instant aprés c’est elle,
S’il faut quitter le nez, il la prend aux cheveux :
(L’Amour d’estre sans barbe alors se crut heureux)
 Mais au fort du combat la Belle,
(Car à son grand nez prés, marque de sa bonté,
Tout le monde la trouve telle)
Sentant ce petit Dieu luy mordre la mammelle,
Avec certains ciseaux pendus à son costé,
 Par derriere luy coupe une aîle.
Dieux ! quel coup ! Se voyant par tout ensanglanté
Il tremble, il quitte prise, il se trouble, il chancelle,
Il tombe (ô foible Amour ! trop legere cervelle,
 Par l’Amitié, sage femelle
C’est ainsi que tu fus dompté.)
 Aussi-tost la victorieuse,
 De son courage glorieuse,
 Me regarde d’un air hautain
Me montre son rare butin. *I
Tien, dit-elle, accourant, toy qui pour Telesille,
Dont l’éloquent sçavoir dans tous les cercles brille,
 Fais éclater tant d’amitié,
Sers-toy de ce present pour luy faire connoistre,
Que l’Amour (qu’elle croit ton Maître)
 Est plus foible de la moitié,
Qu’un penchant que l’estime en ton cœur a fait naître.

À MADEMOISELLE
LHERITIER.
Envoy de l’Aîle de l’Amour.

Servez-vous de cette Aîle en guise d’éventail,
Ses charmantes couleurs brillent plus que l’émail,
Agréez pour Bouquet ce petit Porte-lettre,
 Il est tissu des cheveux que l’Amour
 Et l’Amitié, qu’avant je devois mettre,
 Se sont arrachez tour à tour.
Les dorez sont du Dieu qui cause la tendresse,
Les bruns de l’Amitié ; voyez que de sa tresse
Malgré son peu d’éclat l’ouvrage est enrichi.
Tous les blancs sont des miens qu’une sombre tristesse
De me voir sans appuy sur les bords du Permesse,
 Depuis quelques jours a blanchi.

[Madrigal] §

Mercure Galant, septembre 1701 [tomme 11], p. 248-249.

Mr l’Abbé Arnaud de Laborie, qui honoroit particuliérement Mademoiselle de Scuderi, a fait ce Madrigal sur sa mort.

 Aprés un grand nombre de lustres,
La docte Scuderi vient de finir ses jours ;
Ses vertus l’ont placée au rang des plus illustres.
 Les Graces avec les Amours
 Se mesloient dans tous ses discours :
Aux plus cuisans regrets le Parnasse se livre ;
Mais pourquoy murmurer contre le sort jaloux ?
Vous n’avez rien perdu, Muses, consolez-vous,
 Lheritier la fera revivre.

[Détail de la Maladie, de la Mort, & du Convoy du Roy d’Angleterre] §

Mercure Galant, septembre 1701 [tomme 11], p. 369-385.

Vous attendez, sans doute, un détail de la maladie, de la mort, & du convoy de Jacques II. Roy d’Angleterre, il faut vous satisfaire sur tout cela.

Depuis un Anthrax que ce Prince eut il y a deux ans, qui suppura fort peu, & quelques legers mouvemens de goutte, sa santé parut fort ébranlée ; mais cela devint beaucoup plus sensible aprés une attaque d’apoplexie imparfaite, qui fut suivie de la foiblesse de tout un costé, & de la Paralysie de quelques doigts, arrivée au Carême dernier. Ses forces estoient fort diminuées ; il maigrissoit de jour en jour, & contre son ordinaire, il paroissoit plus pesant, & plus assoupi. À tous ces accidens il estoit survenu il y a quatre mois un crachement de sang fort leger dans son commencement, & qui devint par la suite plus sensible.

S.M.B. estoit dans cet estat le Vendredy 2 de Septembre, qu’il luy prit une grande foiblesse, dont elle revint par le secours des cordiaux, Dans ce moment la fiévre s’éveilla avec l’assoupissement, qui a conduit ce Prince jusques au tombeau.

Le Dimanche, troisiéme jour de son mal, une seconde foiblesse le mit dans un estat si pressant, que l’on eut d’abord recours aux derniers Sacremens. Le pouls luy revint un peu, aprés un vomissement d’un sang retenu depuis quelque temps dans l’estomac, comme il paroissoit à la couleur & à l’odorat. Le pouls neanmoins qui estoit resté embarassé, se trouva dégagé par une pareille évacuation procurée par le moyen d’un remede que Mr Fagon luy fit donner. Ce remede donné à propos le fit un peu reposer, & donna quelque esperance.

Le Lundy, quatriéme jour de son mal, & cinquiéme du mois, un leger purgatif luy fit rendre beaucoup de sang retenu.

Le même jour aprés midy, le Roy alla le voir. Sa Majesté Britannique le supplia de trouver bon qu’elle fust enterrée dans l’Eglise Paroissiale de Saint Germain en Laye. Le Roy en parla à la Reine d’Angleterre, & l’on ne jugea pas à propos de répondre à ce qu’une profonde humilité luy faisoit dire. Ce Prince recommanda ce jour-là au Roy, les Regimens Irlandois qui sont à son service.

Il demeura assez tranquille le Mardy.

Le Mercredy, aprés l’usage de quelques remedes propres à arrester l’hemorrogie, cet accident cessa absolument, & la fiévre diminua de beaucoup.

Le Jeudy se passa sans redoublement. Il survint un flux d’usine, ce qui fit concevoir quelque esperance.

Le Vendredy, huitiéme jour du mal de ce Prince, la fiévre augmenta ; sa langue devint seche, l’assoupissement ne diminua point, & l’on apperçut que le flux d’urine devenoit involontaire, & que la Paralysie gagnoit la vessie. Un purgatif qui luy fut donné alors, fit connoistre que cet engourdissement se communiquoit aux entrailles. On perdit dés ce moment toute esperance, les accidens allerent toujours en augmentant, & les remedes furent sans effet.

Ce Prince se trouva si mal la nuit du 12. au 13 qu’on craignit qu’il ne mourust avant qu’elle fust passée. Sa Majesté demanda le Viatique pour la seconde fois, & le reçut sur les cinq heures du matin avec une pieté exemplaire. On luy avoit donné l’Extrême-Onction le Dimanche 4 sur les trois heures aprés midy en même temps que le Viatique. Le Prieur-Curé de Saint Germain s’acquitta de toutes ces fonctions d’une maniere tres-édifiante.

Le même jour 13. aprés midy, le Roy alla voir pour la derniere fois ce Prince mourant, & déclara proche de son lit, & en presence de la Reine, & de plusieurs Seigneurs des deux Cours, que si Dieu disposoit de Sa Majesté Britannique, il reconnoitroit & traiteroit Monsieur le Prince de Galles comme Roy l’Angleterre, d’Ecosse & d’Irlande. Sa Majesté Britannique, qui estoit dans un grand assoupissement, n’en fut point tirée par les mouvemens que ces paroles causerent dans la Chambre, ou peut-estre, qu’estant toujours en meditation, en attendant le moment de la mort, elle ne voulut pas interompre, pour les choses de ce monde, le Sacrifice qu’elle faisoit alors de son ame à Dieu. Tous les Milords, en fondant en larmes, se jetterent aux genoux du Roy pour le remercier. Ils reconduisirent Sa Majesté en cet état, avec des acclamations qui témoignoient leur reconnoissance, & leur affliction ; & le mélange de joye & de tristesse qui paroissoit sur leur visage, ayant quelque chose d’aussi vif pour la joye que pour la douleur, on ne sçavoit si l’on devoit se réjoüir ou s’affliger avec cette Cour, qui pour trop sentir, ne pouvoit bien démesler elle même tout ce qu’elle sentoit. La nuit du 13. au 14. on crut que ce Prince alloit expirer, les redoublemens estant devenus plus frequens, & plus dangereux. On réïtera plusieurs fois la recommendation de l’Ame, ce qui fut fait alternativement par les Aumôniers de Sa Majesté Britanique, & par le Curé de S. Germain. Cependant Sa Majesté conservoit une connoissance parfaite qui continua jusques aux derniers momens.

Madame la Duchesse de Bourgogne alla le voir le 14. à trois heures aprés midy. Ce Prince la remercia avec beaucoup de presence d’esprit, & la pria de passer chez la Reine, à cause de la mauvaise odeur qui estoit dans sa Chambre.

Monseigneur le Duc de Bourgogne l’alla voir le 15. sur les dix heures & demie du matin. Lorsque ce Prince y arriva, on disoit pour la cinquiéme fois les Prieres des Agonisans. Sa Majesté Britannique, aprés l’avoir remercié de sa visite, le pria de trouver bon que l’on continuast les Prieres. Madame l’alla voir l’apresdînée du même jour à l’issuë de son dîner. Il entroit souvent dans une espece de létargie, & lorsqu’on le réveilloit de son assoupissement, il répondoit juste, & reconnoissoit tout le monde. Il avoit commencé le Jeudy au soir à prononcer avec peine.

Le même Vendredy 16 que ce Prince reçut tant de visites, & qu’il avoit oüy la Messe dans sa Chambre, ainsi que les jours precedens, il tomba dans une douce agonie sur les deux heures & demie aprés midy, & à trois heures & un quart, il expira sans aucun effort, ayant la bouche riante, ce qui continua d’une maniere sensible quelques momens aprés sa mort. On observa, comme une chose digne de remarque, & dont il y a peu d’exemples, qu’en quinze jours que ce Prince avoit passez dans le lit de la mort, aussi tourmenté des remedes qu’on luy donnoit que de sa maladie, il ne luy estoit pas échapé le moindre mouvement d’impatience, de repugnance, ny même d’inquietude, estant dans une meditation presque continuelle, & ne parlant qu’autant qu’il étoit absolument necessaire, & que la charité le demandoit. Sa pieté n’avoit rien ny d’austere ny de rude. Je n’entre point dans les choses touchantes, & plus édifiantes encore, qu’il a dites à la Reine pendant les quinze jours qu’à duré sa maladie ; elles sont au dessus de toutes sortes d’expressions. La maniere dont il a parlé à Monsieur le Prince de Galles, n’est pas moins digne d’admiration, & moins difficile à exprimer. Il luy a fait voir par des discours aussi touchans que Chrétiens, qu’il ne devoit point mettre la Couronne en parallele avec la Religion, & l’a conjuré de ne le faire jamais. Il a protesté tout haut, qu’il pardonnoit sincerement & de tout son cœur, à tous ceux qui luy avoient causé tant de mal, & qu’il prioit Dieu qu’il leur pardonnast, en ajoûtant qu’il leur avoit de grandes obligations, puisqu’ils estoient peut-estre la cause de son Salut qu’il esperoit. Il a tenu ces discours plus d’une fois, & les a renouvellez en recevant le Viatique. Ce n’est point l’état où il se trouvoit, & l’assurance d’une mort certaine qui l’ont fait parler ainsi, puisque depuis le commencement de ses malheurs, jusqu’au moment de sa mort, les chagrins qu’il ressentoit, peut-estre plus pour sa Famille que pour luy, n’ont jamais esté cause qu’il luy soit rien échapé contre les auteurs de tous ses maux. Il s’estoit mis pendant tout le cours de sa vie par une fermeté heroïque au dessus de toutes les disgraces qui luy estoient arrivées ; & toutes les fois qu’il s’estoit agy de la Religion, il avoit fait voir une constance digne des anciens Chrétiens. Il estoit d’une valeur intrepide, & il en a donné des preuves en plusieurs batailles, tant sur Terre que sur Mer, mais ce n’est pas icy le lieu de s’étendre sur des choses qui regardent ceux qui travailleront à son Histoire.

Lorsque ce Prince fut expiré, Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies de France, fit exposer son corps à la vûë du Peuple. Le Clergé de la Paroisse de Saint Germain, les Recolets qui sont dans le même lieu, & les Augustins des Loges, au nombre de douze qui se relevoient de temps en temps, formerent deux Chœurs, qui psalmodierent toute la nuit, & le matin on commença à celebrer des Messes sur deux Autels dressez dans la même chambre où estoit le Corps.

Le Samedy 17. sur les quatre heures aprés midy, on l’ouvrit, & on l’embauma. On luy trouva tres-peu de sang, & presque reduit en eau, tous les visceres, les entrailles, & même le cœur fletris & extenuez. À l’ouverture du crâne il sortit une tres-grande quantité de serositez, & les ventricules du cerveau étoient absolument pleins d’eau. Son Corps fut porté le soir, avec peu de ceremonie aux Benedictins Anglois du Fauxbourg S. Jacques, où il doit rester en dépost jusqu’à ce qu’on resolve où il sera inhumé. Son cœur a esté porté au Convent de Sainte Marie de Chaliot, où est celuy de la feuë Reine sa Mere. Son Convoy n’étoit composé que de trois carosses. Dans le premier, precedé de quatre Gardes du Corps qui portoient des flambeaux, étoient un Aumônier qui portoit le cœur du Roy, le Pere Sandun, Confesseur de Sa Majesté, son Compagnon, un autre Aumônier, deux Chapelains, & le Prieur de S. Germain. Dans le second, estoit le Corps de ce Prince, & Mr du Vinet, Exempt des Gardes du Corps de Sa Majesté Tres-Chrétienne. Vingt-six Gardes du Corps marchoient devant, & derriere, avec des flambeaux. Le Convoy estoit terminé par un troisiéme carosse, dans lequel estoient Mr le Duc de Barvvik, Mr Porter, Vice-Chambellan de Sa Majesté Britanique, Milord Midelton, Mr Desgranges, Mr Hamilton, Maistre de la Garderobe, & Mr Ploiden, Controlleur de la Maison de Sa Majesté. Mr d’Ingleton, Aumônier de Semaine, fit un discours en Latin, en remettant le corps du Roy entre les mains du Prieur des Benedictins, qui répondit en la même Langue, & ces discours furent trouvez fort touchans. Le corps couvert d’un poële fut mis sous un dais dans une Chapelle tenduë de noir. Le même cortege qui avoit esté aux Benedictins accompagna le cœur jusqu’à Sainte Marie de Challiot. Le même Mr Ingleton fit aussi un tres-beau discours en remettant le cœur entre les mains de la Superieure, qui y répondit avec beaucoup d’esprit.

[Mort de Mr Boursault]* §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 397-400.

Nous avons perdu Mr Boursault, estimé & connu de tout le monde par les beaux ouvrages qu’il a donné au public, & par l’heureux talent qu’il avoit pour toute sorte de Poësie. On voit des genies excellens pour le serieux qui ne sçauroient se rabaisser jusques au Comique ; d’autres merveilleux pour le Comique qui ne peuvent s’élever jusqu’au serieux ; mais Mr Boursault passoit aisément du serieux à l’enjoüé, du Comique à la Morale, de la Poësie sublime à la Poësie lyrique, sans estre étranger en aucun endroit ; & dans quelque genre qu’il écrivist, c’estoit toûjours celuy où il écrivoit le mieux. Il n’estoit pas moins poli dans sa Prose, que dans ses Vers, comme le fait voir le Recueil des Lettres qu’il nous a laissé, & il est assez surprenant qu’il ait possedé la Langue Françoise dans une si grande perfection, sans avoir aucune connoissance de la Latine. Ce qui auroit esté un deffaut dans une autre, estoit ce qu’il y avoit de plus estimable en luy. Il travailloit tout de son fond, & l’on ne pouvoit luy reprocher que son esprit fust celuy des Latins ou des Grecs. Ce fut pourtant un malheur bien grand pour luy. Feu Mr le Duc de Montausier luy fit faire un Livre en 1671. pour l’éducation de Monseigneur le Dauphin. Ce Livre a pour Titre, l’Etude des Souverains, & est rempli d’exemples illustres & necessaires aux jeunes Princes que l’on entreprend d’instruire, le Roy en fut tres-content, & Mr le Duc de Montausier persuadé que l’Auteur estoit capable de contribuer à former la jeunesse d’un grand Prince, le proposa à Sa Majesté pour estre Sous-Precepteur de Monseigneur, & il n’y eut que son seul défaut de Latinité qui fut un obstacle à un honneur & à une fortune si considerable. Il est mort avec des marques d’une Pieté tres-exemplaire, & a laissé pour Enfans un Théatin, un Capitaine d’Infanterie & une fille Religieuse. Quand il a esté surpris du mal qui l’a emporté. Il mettoit la derniere main a un excellent. Ouvrage qu’on croit qui paroistra cet Hiver. Il a pour Titre Esope à la Cour. C’est comme une suite de l’autre Esope qu’il a fait, & qui a eu un si grand succés.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 402-403.

Les paroles qui suivent ont esté mises en Air par le même Musicien qui a travaillé sur celles de la premiere Chanson que vous avez trouvée au commencement de cette Lettre.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Piarrot, mon cher voisin, page 402.
Piarrot, mon cher voisin,
Voicy l'Automne qui s'avance,
Pargué mocquons-nous du destin,
J'aurons du vin en abondance.
Beuvons soir & matin,
Où bouterions-nous la Vendange
J'ons plus de grappes de raisin,
Que de grains de bled dans la Grange.
images/1701-09_402.JPG

[Divertissemens de Fontainebleau] §

Mercure galant, septembre 1701 [tome 11], p. 416-417.

Depuis que la Cour est à Fontainebleau, le Roy a continué à se bien porter, malgré le travail excessif que luy cause la situation où se trouvent aujourd’huy les affaires de l’Europe. Ce Prince prend tous les jours le divertissement de la Chasse, pour se délasser de ses grandes occupations. Il va tirer deux jours de suite, & le troisiéme il donne à toute le Cour le divertissement de la Chasse du Cerf. Les Princes vont tous les jours à la Chasse avec le Roy, ou avec Monseigneur, & quelquefois avec Monsieur le Duc d’Orleans, ou avec les meuttes de Monsieur le Duc du Maine, & de Monsieur le Comte de Toulouse. Monseigneur va souvent à la chasse au Loup, où il méne quelquefois Messeigneurs les Princes. Il occupe le grand Appartement de la Reine Mere, où tous les soirs il y a Jeu. Ce divertissement est quelquefois mêlé de celuy de la Comedie.