1701

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1701 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13]. §

[Paroles d’un Concert mis en Musique par Mr Farinel] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 8-21.

Quoy que nous soyons en temps de guerre, les Connoisseurs en Musique n’ont pas laissé de goûter les Chants de la Paix, composez par Mr Farinel, Conseiller du Roy Controlleur des gages du Parlement de Grenoble, cy devant Pensionaire de Charles II. Roy d’Angleterre, & Surintendant de la Musique & des Balets de Marie Louise d’Orleans, Reine d’Espagne. Voicy les paroles de l’ouvrage dont je viens de vous parler, & qui a reçu de si grands applaudissemens.

LES CHANTS
DE LA PAIX
CONCERT.

La Scene represente la Vallée de Gresivodan, & l’ouverture s’en fait par une grande Simphonie.

LA NIMPHE DE L’ISERE.

Mes bords ont retenti du bruit affreux des armes,
Ils ne retentiront que des chants de la Paix ;
 Et nous goûterons desormais
Dans un heureux loisir la douceur de ses charmes.

LE DIEU DU DRAC.

Nos Heros par leurs soins & par leurs faits guerriers
Assurent le repos que nous n’osions prétendre,
 Ils reviendront couronnez de Lauriers,
Y mêler en ces lieux le myrthe le plus tendre ;
Préparons pour le prix de leurs travaux divers
Les Jeux les plus charmans & les plus doux Concerts.

Les Bergers & les Bergeres font entendre une petite Simphonie mêlée de divers Instrumens rustiques.

LE DIEU DU DRAC.

 Que tout réponde à nôtre envie
Empressez-vous Plaisirs, venez Jeux innocens ;
La Nimphe de ces lieux doit animer vos chants ;
 C’est elle qui vous y convie ;
 Dépêchez, hâtez-vous,
 De vous joindre avec nous.

Les Plaisirs & les Jeux se joignent aux Bergers & aux Bergeres, pour chanter ce qui suit.

CHŒUR,

 Celebrons l’heureux jour
 Qui bannit les allarmes
 De ce charmant séjour,
 Et mêlons tour à tour,
À tout ce que la gloire a d’éclat & de charmes,
 Les doux chants de l’Amour.

UNE BERGERE.

 Dans nos Bois
On suit les Loix
Qu’Amour inspire ;
 Les Amans
Ont des momens
Doux & charmans.
 Quand un cœur
Dit sa langueur
L’autre soupire
 Et tous deux
Font dans leurs feux
Les mêmes vœux.

Les hauts bois joüent un Menuet.

LA MESME BERGERE.

 Tout fleurit
Et tout nous rit
Sous ces feüillages ;
 Des Oiseaux
Les chants nouveaux
Charment nos maux.
 Qu’à jamais
Regne la Paix
Dans nos Boccages ;
 Et toûjours
Suivons le cours
De nos Amours

Les Flutes joüent une petite Ritournelle qu’elles repetent à la fin de chaque couplet.

UN DES PLAISIRS.

 Tendres Bergers rassurez-vous ;
 Ne craignez plus jeunes Bergeres :
Conduisez vos troupeaux le long de ces fougeres ;
Ils seront à couvert de la fureur des loups,
 Tendres Bergers rassurez-vous,
 Ne craignez plus jeunes Bergeres.
Engagez-vous, cessez d’estre severes,
Vous goûterez les plaisirs les plus doux ;
 Tendres Bergers rassurez-vous
 Ne craignez plus jeunes Bergeres.

UN DES JEUX.

 Venez Amours sous ces Ormeaux,
 L’heureuse Paix bannit la guerre.
Que les fleurs du Printemps paroissent sur la terre ;
Qu’on entende en ces lieux le chant de mille oiseaux,
 Venez, Amours, sous ces Ormeaux
 L’heureuse Paix bannit la Guerre.
Dans ces Hameaux qu’on ne songe qu’à plaire,
Qu’à chaque instant on ait des jeux nouveaux,
 Venez, Amours, sous ces Ormeaux
 L’heureuse Paix bannit la Guerre.

LA NIMPHE DE L’ISERE.

 Charmante Paix, qu’estiez-vous devenuë !
Nous vivions sous vos loix avec tranquillité,
Vous donniez à nos champs une fertillité
 Qu’en vous perdant ils ont perduë.
Vostre retour nous rend nostre felicité,
 Tout rit, tout plaist à vostre vûë,
 Que ces beaux lieux charmante Paix
 Ne vous perdent jamais.

Les Plaisirs, les Jeux, les Bergers & les Bergeres, font entendre diverses Simphonies.

UNE BERGERE.

Douce Paix regnez sur la terre ;
Les plaisirs ne sont rien sans vous.
Parmi les horreurs de la guerre
Que peuvent-ils avoir de doux,
Douce Paix regnez sur la terre ;
Les plaisirs ne sont rien sans vous.

Un des Plaisirs se joint à cette Bergere, & ils chantent ensemble.

L’Amour nous cause assez d’allarmes
Sans y joindre celuy des armes,
La Guerre s’éloigne de nous ;
Vostre retour tarit nos larmes ;
Regnez, regnez charmante Paix ;
Si vous nous rendez tous vos charmes,
Nous reprendront tous nos attraits.

LA BERGERE SEULE.

Cheres Brebis, petits Agneaux,
Paissez en paix sur nos costeaux
 L’herbe qui vient de naistre
Si vous n’estes point amoureux,
Helas ! vous estes plus heureux,
Que celle qui vous méne paître.

Les Hauts-bois, répondent à cette Chanson par un Menuet.

Un Berger se joint à cette Bergere, & ils chantent ensemble.

 Helas ! qu’à de rigueurs cruelles
S’expose un cœur qui se laisse enflamer.
 Que le fatal plaisir d’aimer
 Nous coûte de peines mortelles ;
Et quand on a charmé des infidelles,
Qu’on paye cher la douceur de charmer,
 Helas ! qu’à de rigueurs cruelles
S’expose un cœur qui se laisse enflamer.

LA NIMPHE DE L’ISERE.

 Malgré tous ses tourmens
 L’Amour a des momens
 Qui font aimer ses chaînes ;
 Il comble nos desirs ;
 La douceur de ses peines
 Passe tous ses plaisirs.

Les Plaisirs, les Jeux, les Bergers & les Bergeres s’unissent pour chanter ce qui suit.

CHOEUR.

La Paix nous assemble
Dans ce beau sejour ;
Chantons tour à tour,
Elle unit ensemble
La Gloire & l’Amour.

On entend icy un grand bruit de guerre mêlé de diverses fanfares, & c’est la marche de Mars qui arrive accompagné de la Victoire, de la Valeur, &c.

MARS.

J’entens avec regret qu’au retour de la Paix
Vous faites retentir des Concerts d’allegresse ;
 Peuples ingrats, pour les bien-faits
 Dont je vous ay comblé sans cesse,
 Vous deviez m’aimer à jamais.
***
Venez Valeur, venez Victoire,
 Vous qui des hommes & des Dieux,
Fîtes toûjours les plaisirs & la gloire,
Allons porter ailleurs nos presens précieux ;
Bannissons de nostre memoire
 Le souvenir injurieux
Des honneurs qu’à la Paix on destine en ces lieux.

Les mêmes instrumens qui ont joüé le bruit de Guerre, joüent ici une terrible Simphonie qui exprime la fureur de ce Dieu à son départ & ensuite les Hautsbois & les Flutes terminent le Concert par de petits airs rustiques.

Stances à une Maîistresse surannée §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 44-49.

La lecture des Vers suivans doit rendre sages celles qui se trouvent dans un pareil cas.

STANCES
À UNE MAISTRESSE
SURANNÉE.

En vain pour rallumer le feu de mes desirs
Vous empruntez, Iris, & des lis & des roses ;
Je suis trop jeune encore pour fixer mes plaisirs
En cultivant des fleurs sur la toilette écloses.
***
Ce n’est pas que souvent le tendre souvenir
De nos plaisirs passez, & de vostre constance
N’arrache de mon cœur quelque amoureux soupir,
Mais ce beau feu s’éteint même dans sa naissance.
***
Suivez donc mon exemple, & qu’enfin la raison
D’un triste égarement desormais vous raméne :
Vous n’estes déja plus dans la belle saison,
Et par malheur pour vous je la commence à peine.
***
Vous vous imaginez, sans doute, que mon cœur
De vos tendres regards redoute encor les charmes,
Qu’ils peuvent rallumer ses feux & son ardeur,
Et qu’encore une fois il leur rendra les armes ?
***
Ah ! ne vous flattez pas d’un triomphe si doux :
Vos appas sont déchus plus qu’on ne sçauroit dire.
Ny pensez plus, Iris, ç’en est assez pour vous
De m’avoir si longtemps tenu sous vôtre Empire.
***
Il est vray que jadis mon cœur ne pensoit pas
De s’affranchir un jour de vostre dépendance ;
Mais en ce temps heureux vous aviez plus d’appas,
Et moy plus de jeunesse, & moins d’experience.
***
Enfin ce temps n’est plus & mon tranquille cœur
N’entend plus de vos yeux le vieillissant langage :
Eteignez donc, Iris, une inutile ardeur ;
La saison de l’amour passe avec le bel âge.

Le Berger puny, Conte §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 48-49.

Le Conte que vous allez lire, & qui vous plaira sans doute, est de Mr Tesson.

LE BERGER PUNY,
CONTE.

 Un jour Iris dans un bois écarté
 Reposoit sur l’herbe fleurie,
 Lorsque Tircis d’un vain espoir flaté
S’en vint mal à propos troubler sa rêverie.
Quoy ! belle Iris, dit-il, est-ce vous que je vois ?
Il n’en faut pas douter, ouy, tous deux à la fois
À l’heure du Berger l’Amour nous a fait rendre
  Dans ce Bois,
 Profitons d’un moment si tendre.
Il dit : & tout rempli d’un espoir trop flateur,
Il voulut faire voir l’excés de son ardeur,
 Mais Iris qui ne l’aimoit guere
 Sçut bien se tirer du danger,
Et luy dit, en fuyant d’une course legere,
Adieu Tircis, apprens que l’heure du Berger,
 N’est pas toûjours l’heure de la Bergere.

[Sonnet sur ce que les Dames remportent souvent des Prix] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 50-52.

Les Dames remportant souvent des Prix en France, & Madame Durand ayant remporté le dernier Prix de Poësie donné par Mrs de l’Academie Françoise, Mr de la Granche, Secretaire du Roy & de l’Academie Royale de Nismes, a fait à cette occasion le Sonnet suivant à la gloire des Dames.

SONNET.

Beau Sexe, à qui nos cœurs rendent un pur hommage,
Vous triomphez encor des plus rares esprits ;
Les beaux Arts sont vivans dans vos doctes écrits ;
Et chaque Muse en vous retrace son image.
***
Nul ne peut exceller, s’il n’a vôtre suffrage :
D’Apollon, de Minerve, on voit les Favoris,
Moins que vous estimez, moins tendrement cheris,
Et l’Immortalité1 couronne vôtre ouvrage.
***
Pour nous à vôtre char attachez doublement,
Par l’attrait de l’amour & du discernement,
Nous mettons nostre gloire à vous rendre les armes :
***
Mais imitez du moins les vainqueurs genereux ;
Et lors qu’avec respect nous cédons à vos charmes ;
Ne les faites regner que pour nous rendre heureux.

À Monsiegneur le Dauphin, sur le rétablissement de la santé de ce Prince §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 82-89.

L’Ouvrage que vous allez lire est la Traduction d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard.

À MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN,
Sur le rétablissement de la santé de ce Prince.
ODE.

Invincible, Dauphin, précieuse esperance
 Cheres delices de la France,
 Des Peuples le charme & l’Amour :
 Au moment que la mort traistresse
Parut vous accabler ; quelle affreuse tristesse
 Saisit & la Ville & la Cour !
***
Au bruit d’un si grand mal cette Ville étourdie
 Sentant la même maladie
 Remplit l’air de ses tristes cris :
 Comme une mere gemissante,
Qui se voit arracher par une fiévre ardente
 Un fils qui n’avoit point de prix.
***
Louis voyant perir la moitié de luy-même
 Fut glacé d’une crainte extrême :
 Intrepide aux plus grands combats
 Il trembla que la mort felonne
Renversant des Bourbons la seconde colomne
 Ne triomphast dans son trépas.
***
Vous-même triomphez de sa mortelle envie :
 Grace au Ciel qui vous rend la vie,
 Et nous fait un present si beau.
 Le Monarque & toute la France
Voyant revivre en vous leur plus ferme esperance,
 Sortent comme vous du tombeau.
***
Tel qu’un Soleil perçant les voiles de l’Aurore
 De ses rayons vient peindre Flore,
 Chassant les ombres de la nuit,
 Et par sa lumiere éclatante
Vient réjoüir le ciel & la terre pleurante
 L’absence du jour qui s’enfuit.
***
Déja d’hymnes sacrez les Temples retentissent :
 Déja leurs voûtes se noircissent
 De la vapeur d’un saint encens.
 Mille vœux offerts en memoire
Nous marquent sur la mort vostre heureuse victoire
 Par des tableaux reconnoissans.
Qui peut mettre en ce jour des bornes à sa joye.
 Jour auquel le ciel nous renvoye
 Le digne Fils du Grand Louis ?
 À l’envy du superbe Tage
La Seine fait au loin retentir son rivage
 Du bruit des Peuples réjoüis.
***
Le Laboureur oisif en celebre la feste :
 Sans craindre ny loups ny tempeste
 Les Troupeaux errent dans les champs ;
 Tandis qu’à l’ombrage d’un chesne
Le Berger affranchi du souci qui le gesne,
 Sur sa flute accorde ses chants.
***
Vous, Nymphes de Meudon, qui d’une eau cristalline
 Arrosez sa riche colline
 Aux cieux vous voûlutes jaillir
 Pour y répandre la nouvelle
Du merveilleux retour d’une santé si belle,
 De joye on vous vit tressaillir.
***
Nous habitans zelez de la Ville Royale,
 Par tout nôtre ardeur se signale
 À remplir l’air de cris joyeux.
 Le hautbois joint à la musette,
Les fifres aux tambours, la lyre à la trompette
 Font un tumulte harmonieux.
***
Les superbes Palais, les cabanes rustiques
 Les Temples, les vastes Portiques
 Retentissent de vostre nom.
 Jeunes & vieux, enfans & peres,
Font, ensemble mêlez, leurs delices plus cheres
 De chanter vostre guerison.
***
Le Peuple pour vous voir courant à flots rapides
 Fixe sur vous ses yeux avides,
 Sans pouvoir remplir son ardeur,
 De vous il s’approche, il vous touche ;
Et jusques à baiser vostre Royale bouche
 Porte l’attentat de son cœur.
***
Ces crimes innocens, sont le digne salaire
 De vostre bonté populaire,
 Plus charmante que tous les dons.
La douceur d’un discours affable
Retient tous ceux qu’attire à vostre aspect aimable
 L’air majestueux des Bourbons.
***
Ces tributs que vous offre un Peuple plein de zele
 Et vostre attachement fidelle
 Aux vœux du plus puissant des Rois,
 Grand Prince, vous plaist davantage
Que de regner sur l’Inde, & d’imposer au Tage
 Le joug de vos prudentes loix.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 89-90.

Les Vers suivans ont esté notez par un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Sombres deserts, page 89.
Sombres deserts qui cachez ma tristesse,
Si je pouvois dans vos détours secrets
Perdre le souvenir des maux qu'Amour m'a faits
Je troublerois sans cesse
Vostre tranquille Paix.
Mais helas, pour guerir de l'ardeur qui me presse,
L'insensible Philis a pour moy trop d'attraits
Et mon cœur a trop de foiblesse.
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[Traduction des Metamorphoses d’Ovide, faite en prose par Mr l’Abbé de Bellegarde] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 90-92.

Le Public s’estoit contenté depuis fort longtemps de la Traduction des Metamorphoses d’Ovide, faite en Prose par Mr du Rier. Il vient d’en paroistre une nouvelle, qui doit avoir un grand cours, puisqu’elle est d’un homme fameux par un grand nombre d’Ouvrages de chacun desquels on a fait trois ou quatre éditions. C’est dequoy s’estre formé un stile sur le bel usage, ce qui est sur tout à souhaiter quand il s’agit de traduire. Je parle de Mr l’Abbé de Bellegarde. On peut dire à l’avantage de ce livre tant vanté des Metamorphoses, qu’il n’y a point de lecture qui soit plus utile à tout le monde, la connoissance des Fables estant necessaire en plusieurs occasions. Cette nouvelle Traduction est en deux volumes tres-bien imprimez & enrichis de prés de deux cens Planches ou Figures, qui representent aux yeux ce que contient chaque Fable. Ces Fables sont accompagnées d’explications morales, & on trouve dans ces deux mêmes volumes quelques autres Ouvrages traduits par le même Auteur, & par consequent tres dignes d’estre lûs. Ils se debitent chez le sieur Brunet Libraire, dans la grande Salle du Palais.

[Reception faite au Roy d’Espagne à Barcelone, & ce qui s’est passé à la Ceremonie des Sermens pretez par ce Monarque] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 140-162.

Le Roy d’Espagne ayant resolu de se rendre à Barcelone, Capitale de Catalogne, le trentiéme de Septembre, les Magistrats de cette Ville s’assemblérent ce jour-là dans son Université, & la Musique commença aussi tost à se faire entendre, ce qui fut accompagné du bruit des Tambours & des Trompettes. Cette harmonie qui annonçoit la venuë du Prince, rendit les maisons desertes. Chacun fut impatient de voir son Maistre, & tous les chemins furent couverts d’une foule de Peuple extraordinaire. Les Officiers de l’Université precedez de leurs Massiers, prirent leur route vers la Porte Saint Antoine. Le Recteur alloit à leur teste, monté, ainsi qu’eux sur une Mule, au milieu des deux plus anciens Graduez, & les autres suivoient deux à deux par ordre d’ancienneté. Comme il y avoit differens Colleges, les couleurs qui les distinguoient estoient differentes, & formoient quelque chose d’agreable à la vuë. On voyoit ensuite l’illustre Chapitre de la Cathedrale avec son Evêque, dans un équipage tres-modeste. Il precedoit le Consistoire de la Députation, devant lequel alloient ses Messieurs avec leurs habits de Ceremonie. Les trois Députez estoient à la teste, le Militaire estant à la main droite, & l’Ecclesiastique, & le Royal, à la gauche. Les Conseillers suivoient avec le même ordre, & aprés eux les Assesseurs, tous sur des chevaux richement caparaçonnez, à la reserve des Ecclesiastiques qui alloient en Mules. Un nombre infini de Cavaliers & d’Artisans paroissoit ensuite, precedant le Corps de Ville, qui marchoient avec une grande pompe, ses Massiers vêtus de tafetas cramoisi, marchoient les premiers, & ensuite celuy qu’ils appellent el Conceller en cap, avec une robe enrichie de fleurs d’or, & ayant quatre Cavaliers qui l’accompagnoient. Les autres Conseillers marchoient derriere lui avec le même ornement, & la même suite. Il sembloit que la richesse des harnois inspirast de la fierté aux chevaux des Conseillers & des Cavaliers, & que s’ils n’alloient qu’au pas, c’estoit moins pour obéïr à ceux qu’ils portoient, que pour se faire admirer plus à loisir. Les deux Consuls de la Maison qu’on nomme la Lonja del Mar, alloient dans les deux dernieres files & se faisoient remarquer par leur propreté. Toutes les Communes en cet ordre, se rendirent aux pieds de Sa Majesté qui se trouvoit alors entre le petit Hôpital & la Croix couverte. Chacun luy rendit les profonds respects qui luy estoient dûs, & aprés luy avoir baisé la main, ils retournerent à Barcelone. Ces Conseillers ayant rencontré le Roy un peu en deçà de la Croix couverte, & luy ayant rendu leurs respects, en baisant sa main royale, eurent l’honneur de les accompagner. On s’avança jusqu’au Convent de Jesus des Franciscains, où Sa Majesté s’arresta. Là, le Conseiller en Cap, luy ayant de nouveau baisé la main, retourna à Barcelone. Sa Majesté descendit dans le Convent avec un air tout charmant, la Communauté des Religieux l’attendoit à la porte de l’Eglise, le Gardien tenant la vraye Croix qu’il luy donna à baiser, aprés quoy on entonna le Te Deum, qui fut precedé d’une grande acclamation de Viva, viva nuestro Rey de España. S.M.C. ayant fini ses prieres, sortit de l’Eglise & laissa baiser sa main à une partie de la Noblesse. Elle monta presque aussi-tost en Carosse accompagnée du Duc de Medina Sidonia, & du Comte de Benavente, Elle entra dans la Ville par la Porte Saint Antoine, & tourna vers le Palais. Une décharge de toute l’Artillerie annonça son arrivée, & le Roy ne fut pas plutost dans le Palais, que pour satisfaire l’empressement que le Peuple montroit de le voir, il parut dans un Balcon. Quoy que la Place soit d’une fort grande étenduë, il ne s’y trouva aucun endroit vuide, tant la foule fut extraordinaire. Les acclamations de Viva, viva, furent fort longtemps réiterées, & Sa Majesté s’estant retirée, tout ce grand Peuple se sépara en divers endroits.

Le Dimanche 2. d’Octobre jour destiné pour l’entrée publique de Sa Majesté, elle se rendit sur les deux heures aprés midy, à la Porte de Saint Antoine, où le Marquis de la Rosa, Gouverneur de la Place, luy en presenta les clefs. Le Roy répondit qu’il en auroit soin, & estant monté à cheval, il se plaça sous un Dais d’une riche toile d’or que luy avoient preparé les Conseillers de la Ville, ausquels ce Prince ordonna de se couvrir, il y eut deux files composées de vingt quatre personnes richement vêtuës. Elles formérent deux ailes, dont l’une étoit terminée par le Conseiller en Cap, qui tenoit la bride du cheval de Sa Majesté, les autres porterent le Dais, & ce fut ainsi que commença cette glorieuse entrée.

À la teste estoient des Trompettes, des Timbales, & plusieurs autres Instrumens, qui invitoient chacun à la joye. Ils estoient suivis des Trompettes des Gardes de Catalogne, dont toute la Compagnie, composée de cent Chevaux, avoit l’épée haute, & environnoit S.M. Quatre Trompettes du Roy, qui marchoient aprés cette Compagnie, redoublerent la joye publique par leurs fanfares. Tout cela precedoit le Marquis de Quintana, le Marquis de Ayvona, le Comte de Santistevan, le Duc de Seza, le Comte de Palma, le Duc de Ossuna, & le Duc de Medina Sidonia, tous Grands d’Espagne. Ce dernier alloit devant le Roy, tenant l’Epée Royale en sa main hors du foureau, au milieu des deux files dont on a parlé. Sa Majesté suivoit sous le riche dais. Dom Garcia de Guzman, Premier Ecuyer, estoit à l’estrier du Cheval, & derriere luy paroissoient les autres Ecuyers & les Pages de Sa Majesté. Les Gardes Allemande & Espagnole, & celle du Corps fermoient cette marche Toutes les ruës estoient ornées de riches tapisseries.

Au milieu de la Place del Padron, vis à vis de Saint Lazare, où Sainte Eulalie souffrit le martire, on découvrit une pyramide, au haut de laquelle estoit une Image de la Sainte, faire de marbre avec beaucoup d’art, & au milieu du corps de la même pyramide estoit un fort beau Portrait du Roy, avec quantité de Palmes d’espace en espace. Par tout où Sa Majesté passoit, on n’entendoit que des acclamations & mille cris redoublez de Viva el Rey Felipe. Rien ne paroissoit avec plus d’éclat que ce qui ornoit la Place de Saint François. Il y avoit un échafaut occupé par quantité de Musiciens, & au milieu de la Place, proche le Palais du Gouverneur estoit dressé le Trône de Sa Majesté, avec un siege où elle devoit s’asseoir pour le serment qu’elle alloit prester. Tout le bas estoit couvert de draps de differentes couleurs. La Cavalerie des Gardes se rangea devant le Trône, & comme la Musique se tenoit preste sur son échaffaut, elle fit entendre sa douce harmonie si tost que le Roy fut arrivé. Ce Prince alla prendre le siege qui luy avoit esté preparé, ayant à costé de luy le Duc de Medina Sidonia son grand Ecuyer. Les Conseillers & ceux qui composoient les deux files s’avancerent avec luy, les derniers demeurerent debout, & il commanda aux Conseillers de s’asseoir & de se couvrit, ce qu’ils firent sur un banc couvert de satin cramoisi. Aussitôt le Gardien des Franciscains, avec les Assistans, ses Acolytes & la vraye Croix alla vers le Roy, qui jura de conserver les droits & les Privileges de la Principauté de Catalogne. Ensuite le Conseiller en cap monta les trois degrez du Trône, & fit un discours au Roy en remerciment de cette grace, aprés quoy il luy baisa la main avec les mêmes ceremonies, ce que firent les autres Conseillers de la même sorte, cette fonction estant achevée, Sa Majesté alla à cheval dans le même ordre, vers la ruë appellé Calle hancha, c’est à dire, ruë étroite, où il y avoit un Soleil fort lumineux dans une grande niche. Elle s’avança par cette ruë jusqu’à un endroit, que l’on nomme El Born, où l’on voyoit un Autel tout composé de cristaux & d’une grande beauté. On passa de là par la Chapelle de Marcus, & l’on y trouva un Arc dressé en quarré, avec la plus juste simetrie de l’Architecture. De là on passa à la Place del Angel, où estoit une Pyramide fort ornée, & chargée d’un nombre presque infini de lumieres. On alla en suite dans la ruë des Libraires, qui ne cedoit point aux autres, en propreté & en ornemens, & lorsqu’on passa devant les Prisons publiques, les Prisonniers élevérent un fort grand cri, qui faisoit entendre, Misericorde & Liberté. Le Roy ayant esté informé par le Conseiller en Cap de ce que demandoient ces malheureux, accorda aussi-tost la grace à tous ceux qui n’avoient point de Parties. La ruë des Libraires le conduisit jusqu’à un lieu qu’on appelle La Sée, dont les murailles estoient ornées de riches tentures, & de quantité de beaux tapis. Sa Majesté estant arrivée devant le Palais Episcopal, descendit de cheval, & se mit à genoux pour baiser la vraye Croix que luy presenta l’Evêque à la teste de son Chapitre. Alors le Chantre, le Sous Chantre, & deux Chanoines entonnérent Elegit cum Dominus, & on alla ainsi en chantant jusqu’à la grande porte de la Cathedrale. Là, Sa Majesté à genoux reçut l’Eau benite de l’Evêque, & jura de faire observer l’Immunité Ecclesiastique & les Privileges de l’Eglise. Ensuite elle visita Sainte Eulalie, & on y chanta plusieurs beaux Motets, aprés quoy ayant reçu la Benediction solemnelle de l’Evêque, elle sortit de l’Eglise, & se rendit au Palais, une salve de toute l’Artillerie s’estant fait entendre dans le temps qu’elle descendit de cheval. Toutes les Confrairies avec les Bannieres l’attendoient dans la grande Place. Il n’y en avoit aucune qui n’eust cherché à se distinguer par quelque invention particuliere. L’une entre-autres avoit un fort grand Navire, qui sans eau ny vent ne laissoit pas de marcher, & d’avoir ses voiles enflées. Ce Navire enfermoit cinq Mariniers, & un Trompette qui faisoit retentir l’air de fanfares. La Machine tira son Artillerie & baissa les voiles en passant devant Sa Majesté. Le concours du Peuple estoit si grand, qu’on croyoit que la Place estoit remplie de plus de quarante mille personnes. Le soir on tira un tres-beau d’artifice. C’étoit un fort grand Chasteau qui fit paroître cette Place tout en feu. Tous les Balcons & toutes les Fenestres de la Ville, brilloient d’une infinité de flambeaux & de lumieres, & une excessive joye paroissoit de tous costez.

Les Catalans sçachant que le Roy aime fort la Chasse ont voulu que Sa Majesté prit ce divertissement autour de Barcelone, quoy qu’il n’y ait point de lieux pour chasser. Dans ce dessein ils ont formé un bois, avec de grand arbres qu’ils ont fait planter, & ont remply ce Bois de Cerfs & de Biches ; & afin que Sa Majesté n’eut pas seulement le plaisir de poursuivre ces animaux, mais qu’elle eust aussi celuy de tirer en l’air, ils ont aussi fait mettre beaucoup de Pigeons dans ce même Bois, en sorte que d’un seul coup de fusil ce Prince en a souvent tué plusieurs. Tout le Pays a admiré l’adresse de ce jeune Prince, & est charmé de ses bontez & de ces manieres.

[Suite du Journal de Fontainebleau] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 202-239.

Le Journal de Fontainebleau que je vous donnay dans ma derniere Lettre, alloit jusqu’au 20 d’Octobre, je vous en envoye la suite.

Le Vendredy 21, il n’y eut point le matin de Conseil chez le Roy. L’Envoyé extraordinaire d’Espagne presenta à S.M. le Marquis de Wisterloc, Seigneur Flamand, Chevalier de la Toison d’or, Gendre du Duc de Monteleon. Il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, à l’issuë de laquelle le même Marquis de Wisterloc luy fut aussi presenté par l’Envoyé d’Espagne. Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne coururent le loup, & en revinrent de bonne heure. Le Roy ne sortit point, & soupa dans sa Chambre à son petit couvert.

Le Samedy 22, il y eut le matin Conseil de Finances. L’apresdînée, Monseigneur & Messeigneurs les Princes coururent deux Chevreüils avec les Chiens de Monsieur le Comte de Toulouze. Le Roy courut un Cerf accompagné de Madame dans sa petite Caléche découverte. Monsieur le Duc d’Orleans fut de cette Chasse, & Madame la Duchesse suivit celle des Chevreüils dans une Caléche découverte, accompagnée de Madame la Duchesse de Humieres, de Madame de Courtenvaux, & de Mademoiselle de Melun. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Carosse & à pied dans la Forest, elle rencontra la chasse des Chevreüils, & alla ensuite au Salut aux basses Loges.

Le Dimanche 23, il y eut le matin Conseil de Ministres, où Monseigneur assista, Le Roy tira l’apresdînée. Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry ne sortirent point. Mr le Duc d’Orleans courut le Cerf avec sa Meute, & Monsieur le Comte de Toulouze l’accompagna. Madame la Duchesse de Bourgogne n’alla point à la promenade, & entendit le soir le Salut dans la Chapelle des Mathurins. Monseigneur le Duc de Bourgogne luy donna un grand souper à huit heures dans son appartement nouveau, où plusieurs Dames furent invitées. Le Roy entendit aprés son souper dans son Cabinet un concert exquis d’airs Italiens, executé par les Sieurs Forcroy pour la Viole, Couperin pour le Clavessin, & du jeune Baptiste qui est à Monsieur le Duc d’Orleans, pour le Violon. Le Roy parut surpris de l’excellence de ce dernier, qu’il n’avoit point encore entendu. Monseigneur s’étoit promené l’apresdisnée en Carosse autour du Canal avec Madame la Princesse de Conty.

Le Lundy 24 il y eut le matin Conseil de Dépêches, & l’apresdînée Chasse du cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne en habit d’Amazone, accompagna S.M. dans sa petite Caléche découverte. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette Chasse. Monseigneur donna au retour un grand souper dans son cabinet à Madame la Duchesse de Bourgogne, & à plusieurs Dames. Monsieur le Duc de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Berry furent de ce repas. Les Comediens representerent à huit heures le Menteur de Monsieur de Corneille.

Le Mardy 25, il y eut le matin chez le Roy Conseil de Finances, Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsieur le Duc d’Orleans, & Monsieur le Comte de Toulouze coururent un Loup. Il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, où se trouverent toutes les Duchesses qui étoient pour lors à la Cour, & les Ministres étrangers. L’apresdisnée, sur les trois heures, il y eut promenade en carosse autour du canal, & dans les plus belles allées du Parc. Madame la Duchesse de Bourgogne y accompagna S.M. Monseigneur, qui étoit revenu de la chasse, s’y trouva dans le carosse de Madame la Princesse de Conty. On y compta plus de soixante carosses à six chevaux. Il y eut pesche des Cormorans dans le bassin, où elle se fait tous les ans. Monseigneur le Duc de Berry alla tirer.

Le Mardy 26, il y eut le matin Conseil de Ministres. Le Roy alla tirer l’apresdisnée. Monseigneur ne sortit point, & se promena sur les trois heures en carosse autour du canal avec Madame la Princesse de Conty & d’autres Dames. Monseigneur le Duc de Bourgogne donna à disner dans son appartement nouveau à Madame la Duchesse de Bourgogne, & à quelques Dames de sa suite. Il y eut à sept heures du soir chez Monseigneur, des appartemens pour la premiere & unique fois, l’on y joüa au Lansquenet, au Brelan, & à l’Hombre à diverses tables.

Le Jeudy 27, il y eut Conseil de Ministres. L’Ambassadeur d’Espagne presenta au Roy le Duc d’Avray, Seigneur Flamand, Grand d’Espagne, & le conduisit ensuite chez Messeigneurs les Princes, puis chez Madame la Duchesse de Bourgogne qu’il salüa comme Grand d’Espagne. Plusieurs Officiers Generaux de l’Armée de Flandres nouvellement arrivez, salüerent S. M. & toute la Maison Royale. Il y eut l’apresdisnée chasse du cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne vêtuë en Amazone, accompagna le Roy dans sa petite Calléche découverte. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette chasse. Les Comediens representerent le soir Britanicus de Monsieur de Racine, & le Cocu Imaginaire de Mr de Moliere.

Le Vendredy 28. il n’y eut point de Conseil le matin. Monseigneur & Messeigneurs les Princes, aprés avoir entendu la Messe avec le Roy, allerent à la Chasse du Loup. Sa Majesté ne sortit point de la journée. Madame la Duchesse de Bourgogne monta en carosse à une heure, accompagnée de plusieurs Dames, & alla à l’Abbaye du Lys, prés de Melun, où elle fut reçuë par l’Abbesse, qui est Fille de Mr le Duc Mazarin. Cette Abbesse, ainsi que toutes les Religieuses, fit paroistre une extrême joye de l’honneur que leur faisoit cette Princesse pour la premiere fois. Madame la Duchesse de Bourgogne visita toute la Maison, qui est grande, belle, & les Jardins qui sont fort spacieux. On luy servit une collation fort propre, & elle en partit à cinq heures pour retourner à Fontainebleau.

Le Samedy 29. il y eut chez Le Roy Conseil de Finances. Monseigneur, aprés avoir entendu la Messe, avec le Roy partit pour la chasse du Loup. Le Duc de Claras Fuentes, Grand d’Espagne, rendit à Madame la Duchesse de Bourgogne une Lettre de la Reine Doüairiere d’Espagne, & la salua en qualité de Grand. Il y eut l’apresdînée chasse du cerf, où Madame accompagna Sa Majesté dans sa petite caléche découverte. Messeigneurs les Princes furent de la partie. Monsieur le Duc d’Orleans ne sortit point.

Le Dimanche 30. il y eut le matin chez le Roy Conseil de Ministres. Monseigneur donna à disner à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à Madame la Duchesse de Bourgogne, à Monseigneur le Duc de Berry, & à plusieurs Dames. Il n’entra personne pendant le repas que des gens absolument necessaires, pour mettre sur table, & pour desservir. L’on joua ensuite jusqu’à cinq heures. Le Roy alla tirer aprés son dîner. Mr le Duc d’Orleans courut le cerf avec sa meute, & Mr le Comte de Toulouse l’y accompagna.

Le Lundy 31. il y eut le matin chez le Roy Conseil de Ministres. Monseigneur alia à la chasse du Loup. Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui avoit esté incommodé la nuit, garda le lit toute le journée, & se trouva le soir absolument quitte de son indisposition. Le Roy suivi de toute la Cour alla entendre Vêpres à la Chapelle. Mr le Coadjuteur de Strasbourg y officia.

Le Mardy premier de ce mois le Roy fit ses devotions dans la Chapelle des Mathurins, & toucha ensuite un fort grand nombre de malades sous la terasse dans la Cour des Fontaines. Il retourna encore à la grande Messe dans la mesme Chapelle à midy, & toute la Cour y assista. Il y eut l’aprésdînée Sermon par le Pere Bonneau, Jesuite, qui doit prescher l’Avent prochain, & les Vespres furent chantées par la Musique du Roy : Le Coadjuteur de Strasbourg y officia. Il y eut le soir dans toutes les ruës de Fontainebleau des feux de joye, à cause du jour de la Naissance de Monseigneur.

Le Mecredi 2. il y eut chez le Roy Conseil de Ministres. Madame la Duchesse de Bourgogne fit ses devotions dans la petite Chapelle, qui est au bout de la Salle des Suisses. Le Roy alla tirer l’aprésdînée. Monseigneur se promena en carosse au bord Canal, & dans les belles routes du Parc, avec Madame la Princesse de Conty, & quelques autres Dames. Monseigneur le Duc de Bourgogne ne sortit point. Monsieur le Duc d’Orleans couru le cerf avec sa meute, & Monsieur le Comte de Toulouse fut de cette chasse.

Le Jeudy Feste de S. Hubert, il y eut le matin chez le Roy Conseil de Ministres, où Monseigneur assista. Le Roy partit à une heure & demie pour la chasse du Cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne l’accompagna vêtuë en Amazone. Plusieurs Dames de sa suite y parurent avec des habits semblables. Monseigneur & tous les Princes furent de cette chasse. L’on avoit proposé à Sa Majesté pour mieux celebrer cette Fête, de joindre toutes les Meutes qui estoient pour lors à Fontainebleau ; Mais le Roy ne le jugea pas à propos, & dit que cet assemblage ne causeroit que du desordre & de la confusion. Monseigneur donna au retour un grand repas à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à Madame la Duchesse de Bourgogne, à Monseigneur le Duc de Berry, & à plusieurs Dames. À huit heures les Comediens representerent le Misantrope de Moliere.

Le Vendredy 4. il n’y eut point de Conseil chez le Roy. Sa Majesté qui devoit aller à la chasse du Loup, & y estre accompagnée de Madame la Duchesse de Bourgogne, changea de dessein, ayant esté informée que le rendez vous estoit à quatre lieuës. Monseigneur y alla, & y fut suivi de Monseigneur le Duc d’Orleans, & de Monsieur le Comte de Toulouse. Le Roy alla tirer l’apresdînée. Madame la Duchesse de Bourgogne, qui s’estoit habillée en Amazone dés le matin pour la chasse du loup, se promena plus de trois heures dans une caléche découverte à quatre places, parcourut presque toute la Forest, & changea trois fois de relais. Enfin elle trouva le Roy, qui la fit monter dans sa petite caléche auprés de luy, & la ramena à Fontainebleau.

Le Samedy 5. il y eut le matin chez le Roy Conseil de Finances, & chasse de chevreüil avec les chiens de Monsieur le Comte de Toulouse. Madame y accompagna Sa Majesté dans sa petite caléche découverte. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Duc d’Orleans, furent de cette chasse. Madame la Duchesse de Bourgogne qui se promenoit en carosse dans la Forest, rencontra plusieurs fois la chasse, & la suivit.

Le Dimanche 6. il y eut chez le Roy Conseil de Ministres. Monseigneur le Duc de Bourgogne fit ses devotions, & donna à disner à Monseigneur le Duc de Berry. Le Roy alla tirer. Monseigneur ne sortit point. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en carosse & à pied dans la Forest, puis autour du Canal.

Le Lundy 7. le Roy prit medecine. Monseigneur alla à la chasse du Loup, & mena au rendez vous Monseigneur le Duc de Berry dans sa caléche. Monseigneur le Duc de Bourgogne alla tirer. Madame la Duchesse de Bourgogne dîna chez Madame la Duchesse du Lude, & y joüa l’apresdinée. Le soir les Comediens representérent Rodogune de Mr de Corneille, & le Medecin malgré luy de Mr de Moliere.

Le Mardi 8. il y eut le matin chez le Roy Conseil de Finances. L’apresdînée Sa Majesté courut le cerf. Madame l’y accompagna dans sa petite caléche découverte. Monseigneur & tous les Princes furent de cette chasse hors Monseigneur le Duc de Bourgogne qui ne sortit point. Madame la Duchesse de Bourgogne, alla aprés son dîner, à Melun voir les Religieuses de la Visitation, & en revint à sept heures.

Le Mercredy 9. il y eut le matin chez le Roy Conseil de Ministres, où Monseigneur se trouva. Sa Majesté alla tirer l’apresdînée, Monseigneur ne sortit point. Monseigneur le Duc de Bourgogne prit medecine, & Madame la Duchesse de Bourgogne luy tint compagnie presque tout le jour. Les Comediens representerent le soir l’Homme à bonne fortune, que Monseigneur le Duc de Bourgogne & Madame la Duchesse de Bourgogne virent de la Tribune.

Le Jeudy 10, il y eut le matin chez le Roy Conseil de Ministres, & l’aprésdîné chasse du Cerf dans la Forest, où Monseigneur se trouva, comme aussi Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Comte de Toulouze. Madame la Duchesse de Bourgogne & Madame ne furent point de cette chasse ; mais Madame la Duchesse d’Orleans & Madame la Duchesse y parurent dans une caléche découverte. Monseigneur au retour, donna sur les cinq heures & demie un grand repas dans la petite Chambre de son appartement à Madame la Duchesse de Bourgogne, à Madame la Princesse de Conty, & à plusieurs autres Dames. L’on joüa ensuite jusqu’après de onze heures.

Le Vendredy 11, il n’y eut point de Conseil chez le Roy. Il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, où le cercle fut fort beau. Le Roy dîna de bonne heure, & sortit avant une heure pour aller tirer. Monseigneur se promena en carosse autour du canal avec Madame la Princesse de Conty. Monseigneur le Duc de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Berry, s’amuserent une partie de l’apresdînée dans la galerie des Cerfs. Madame la Duchesse de Bourgogne qui ne sortit point, entendit les Complies à cinq heures & demie chez les Mathurins.

Le Samedy 12, il y eut Conseil de Finances. Le Roy partit à deux heures pour la chasse du Cerf, & Madame l’y accompagna dans sa petite caléche découverte. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette chasse, comme aussi Madame la Duchesse d’Orleans ; & Madame la Duchesse. Madame la Duchesse de Bourgogne ne sortit point à cause du froid. Le soir les Comediens representerent les Horaces de Monsieur de Corneille, & l’Ecole des Maris de Mr de Moliere.

Le Dimanche 13, il y eut le matin Conseil de Ministres. Le Roy avoit resolu de s’aller promener en carosse l’apresdînée, & Madame la Duchesse de Bourgogne devoit estre de cette promenade ; mais le froid fit changer de dessein à Sa Majesté qui ne sortit point. Monseigneur qui estoit parti pour une chasse de Chevreüil avec la Meute de Monsieur le Comte de Toulouze étant arrivé au rendez vous, revint au Château pour la même raison. Madame la Duchesse de Bourgogne assista aux Complies & au Salut dans la Chapelle des Mathurins.

Le Lundy 14, le Roy accompagné de Madame la Duchesse de Bourgogne & de Madame, entendit la Messe à neuf heures & un quart, puis dîna chez luy à son petit couvert. Madame la Duchesse de Bourgogne donna chez elle un grand déjeuner aux Dames de sa suite, & monta en carosse avec Sa Majesté à dix heures & demie. Madame, Madame la Duchesse d’Orleans, Madame la Duchesse, & Madame la Duchesse du Lude se mirent dans le mesme carosse. Le Roy changea de relais à Ponthieri & à Ris, & arriva à Sceaux sur les quatre heures. Le plaisir que Sa Majesté avoit pris dans cette delicieuse Maison en allant à Fontainebleau, fut cause qu’Elle voulut y coucher deux nuits à son retour. Le temps s’étant heureusement trouvé beau ; Elle a pris le plaisir de la promenade, & vû joüer les eaux qui y sont parfaitement belles. Monsieur Couperain a joüé deux fois de l’Orgue à sa Messe, & les Vingt-quatre Violons de Sa Majesté s’y sont fait entendre pendant ses repas. Enfin, Monsieur, & Madame la Duchesse du Maine ingenieux à luy fournir de nouveaux plaisirs, n’ont rien oublié de tout ce qui pouvoit luy faire passer agreablement les deux jours qu’elle a demeuré à Sceaux, où Monseigneur le Dauphin & Madame la Duchesse de Bourgogne se sont extrémement divertis. Deux jours aprés l’arrivée de cette Princesse à Versailles, Madame Hemskerke, Ambassadrice de Hollande, eut l’honneur de prendre congé d’elle à sa Toillette, & le Roy estant entré chez Madame la Duchesse de Bourgogne en sortant du Conseil, elle prit congé de Sa Majesté qui la salüa, & la baisa. Monsieur l’Ambassadeur de Hollande estant assez indisposé pour ne pouvoir prendre son Audiance de Congé, avoit envoyé à Monsieur le Marquis de Torcy à Fontainebleau le compliment qu’il auroit fait au Roy s’il avoit esté en estat d’en avoir Audiance, ce compliment portoit qu’il y avoit longtemps qu’il avoit l’honneur de servir Messeigneurs les Etats en des Cours Etrangeres ; mais qu’il y avoit aussi longtemps qu’il avoit souhaité avec ambition de les servir auprés de Sa Majesté ; que leurs Hautes Puissances à la fin, avoient bien voulu le satisfaire dans un desir si juste & si loüable, qu’Elles l’avoient choisi pour une Ambassade qui est la premiere de la Republique, & d’autant plus illustre, qu’elle estoit la confirmation de l’union rétablie entre Sa Majesté & leurs Hautes Puissances par une Paix à laquelle toute l’Europe s’étoit interessée, qu’il se voyoit au comble de ses souhaits, qu’il avoit l’honneur de s’approcher de temps en temps d’un Prince dont la Majesté pleine de douceur luy avoit fait la grace de luy faire toûjours un accüeil favorable, lors qu’il avoit plû à la Providence Divine, qui bien souvent ne veut pas que l’homme soit trop content, de l’affliger dans la force de son âge d’une maladie dangereuse, dont les restes languissans l’avoient tellement affoibly, qu’il s’estoit trouvé hors d’estat de soûtenir l’éclat de cette dignité ; qu’il en avoit donné avis à leurs Hautes Puissances, & qu’il leur avoit demandé la permission de retourner en sa Patrie, ce qu’on luy venoit d’accorder : Qu’il avoit resolu de s’en servir au plutost ; mais avec le regret sensible de se voir frustré par sa foiblesse, de l’avantage de remercier tres humblement Sa Majesté en personne, de l’honneur de sa bienveillance pendant le sejour qu’il avoit fait dans son Royaume, & de l’assurer de sa profonde veneration pour sa Personne sacrée, & pour son auguste Maison.

Cet Ambassadeur a laissé icy Mr Vroezen son Secretaire pour prendre soin en sa place des affaires de ses Maîtres.

[Journal de la marche de la Reine d’Espagne] §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 249-344.

Mr de la Motte Guerin, Lieutenant de Roy, Commandant des Isles de Lerins, ayant esté averty par Mr le Comte de Grignan, & par Mr le Comte du Luc, que la Reine d’Espagne pourroit venir moüiller à la rade de ces Isles, s’estoit preparé à l’y recevoir, & à luy donner une Feste, où la Musique, les Illuminations & les grandes réjoüissances auroient marqué à cette Princesse, la joye qu’on avoit de la voir, & la veneration que les François ont pour Elle, & pour son auguste Epoux. Il auroit eu cet honneur, mais la Reine s’estant trouvée incommodée de la mer, on fut obligé de faire entrer les Galeres dans le Port d’Antibes, qui n’est qu’à trois lieuës de Nice. Mr de la Motte qui recherchoit avec ardeur les occasions de faire paroistre son zele, ayant crû qu’elle continueroit sa navigation, le lendemain 28 Septembre, se mit en mer avec quatre chaloupes armées, chacune de dix matelots uniformes dans leurs ajustemens, avec des bonnets ornez de touffes de rubans rouge & bleu, pour aller au devant des galeres, que le mauvais temps empêcha de sortir du Port, ce qui l’obligea de les aller joindre à Antibes, où ayant esté presenté à la Reine par Madame la Princesse des Ursins, il en fut receu avec cette bonté & cette grace qui sont ordinaires à Sa Majesté, il la supplia de trouver bon qu’il luy fist entendre un concert qu’il luy avoit preparé, en cas qu’elle eust passé à Lerins, la Reine l’ayant agréé, on chanta devant Sa Majesté un Idille que vous allez lire, composé à sa loüange par Mr de Gourdon, & mis en musique par le Sieur Reybaud qui excelle en ce bel Art. Les Musiciens étoient proprement habillez, & leurs parties estoient portées par huit beaux enfans vêtus à la Turque, qui ornoient beaucoup le corps de la Musique. Celuy qui faisoit l’Amour, habillé en Amour, estoit plus beau que tous les autres, & sa voix convenoit parfaitement à son Rôlle, ainsi que celle de Neptune, d’Eole & des Tritons, qui estoient accompagnez d’un chœur de trente Musiciens, que Mr de la Motte s’estoit donné le soin de faire choisir, & rassembler de vingt lieuës à la ronde, avec des Violons, Basses de Violle, Flûtes & autres Instrumens.

IDYLLE
POUR LA REINE
D’ESPAGNE.
L’Amour, Neptune, Eole. Chœur.

L’Amour.

Puissant Dieu de la mer, donne le calme aux ondes,
Et laisse nous voguer au gré de nos desirs !
 Eole, en tes grottes profondes
Enferme tous les vents, excepté les Zephirs,

Neptune & Eole.

Qui me parle avec tant d’empire,

L’Amour.

C’est le Maistre absolu des hommes & des Dieux.
Qui conserve le monde, & par qui tout respire.

Le Chœur.

C’est le Maistre absolu des hommes & des Dieux,
Qui conserve le monde, & par qui tout respire.

Neptune.

C’est toy, charmant Amour,

Eole.

Qui t’ameine en ces lieux ?

L’Amour.

Je conduis aujourd’huy sur la liquide plaine
 Une nouvelle Reine,
Et je vais la remettre à son auguste Epoux,
Et les combler tous deux des plaisirs les plus doux.

Deux Amours.

Les Jeux les plus charmans
Suivent les grandes Reines,
Nous reservons les peines
Pour les autres Amans,
Les jeux, les plus charmans
Suivent les grandes Reines.

Neptune.

 Ah, je la vois cette Reine adorable,
Que de fleurs sur son sein, que d’éclat dans ses yeux,
Que son maintien est grand, que son air est aimable.
 Rien de si beau ne brille dans les cieux.

Chœur.

 Rien de si beau ne brille dans les cieux.
Que son maintien est grand, que son air est aimable,
Rien de si beau ne brille dans les cieux.

Neptune.

Dieu charmant, qui des Dieux regles la destinée,
 Pour ce double himenée,
Daigne me preferer à tous les autres Dieux.

L’Amour.

Non, l’Epoux que je destine
À cette beauté divine
Neptune, est au dessus de toy.

Neptune.

L’Ocean reconnoist ma loy,
J’ay mille tresors dans mes ondes.

L’Amour.

Ce Monarque puissant regne dans les deux Mondes,
Et sa douceur mêlée à ses attraits vainqueurs
Le fait encor regner sur tous les cœurs ?

Neptune.

Du Souverain des Dieux ne suis-je pas le Frere.

L’Amour.

L’Epoux de cette Reine à le Dauphin pour Pere,
 Dont la bonté tempere
L’éclat qui rejaillit de ses faits glorieux,
Et pour Ayeul Louis, plus grand que tous nos Dieux.

Deux Tritons.

 L’Amour est le Tiran du monde
 Neptune éprouve sa rigueur.
Comment ce Dieu pourra-t-il calmer l’onde
 Ayant le trouble dans le cœur ?

Chœur.

Comment ce Dieu pourra-t-il calmer l’onde
 Ayant le trouble dans le cœur ?

Eole.

Amour, apprens-nous l’origine
De cette Beauté divine.

L’Amour.

Elle est d’une Maison si fertile en Heros,
 Que la terre & les flots
 Sont remplis de leur gloire,
Son pere, dont le nom presage la victoire
Et dont le grand courage & les faits éclatans
 Ont devancé les ans,
Armé pour deux puissans Monarques,
 Porte leur glaive redouté.
 Qu’il va laisser d’illustres marques,
 De sa valeur à la Posterité !

Le Chœur.

Qu’il va laisser d’illustres marques
De sa valeur à la Posterité !

Eole.

Et la mere de la Reine
Dont nos yeux sont ébloüis.

L’Amour.

Digne Niece du grand Louis
Jamais on ne vit Souveraine,
Unir plus de douceur a plus de majesté
Et regner sur les cœurs avec tant de bonté.

Le Chœur.

 Jamais on ne vit Souveraine
Unir plus de douceur a plus de majesté,
Et regner sur les cœurs avec tant de bonté.

Eole.

 Que d’éclat ! que de grandeurs !
 Que de vertus ! que de gloire !
 Appaisez-vous, Vents grondeurs,
 Zephirs amoureux des fleurs,
 Celebrez-en la memoire,
Et faites repeter aux flutes des Pasteurs,
 Que d’éclat ! que de grandeurs !
 Que de vertus ! que de gloire !

Eole.

Cedez, cedez, Neptune, à ce Roy plein de gloire.

Neptune.

Je cede, helas, les Destins sont pour luy,

Eole.

Qu’il soit toûjours suivi de la Victoire,

Neptune.

Que du culte des Dieux il soit toûjours l’appuy.

Le Chœur.

Qu’il soit toûjours suivi de la Victoire
Que du culte des Dieux il soit toûjours l’appuy.

L’Amour.

Qu’avec son adorable Reine
Il contente tous ses desirs,
Et qu’ils goûtent tous deux sans peine
 La douceurs des plaisirs.

Neptune.

Voguez en liberté, trop heureux Matelots,
De mon ressentiment vous n’avez rien à craindre,
 Et content de me plaindre
Du Dieu malin qui trouble mon repos,
 Je ne troubleray point les flots.
De mon ressentiment vous n’avez rien à craindre,
 Vogues en liberté, trop heureux Matelots.

Eole.

Vents furieux, restez dans vos grottes profondes,
 Doux Zephirs, regnez sur les flots

Neptune

Nimphes, Tritons amis des Matelots,
 Entretenez le calme sous les ondes.

L’Amour.

Que cette Reine soit remise en peu de jours,
Dans le sein d’un grand Roy par les mains des Amours.

Le Chœur.

Que cette Reine soit remise en peu de jours,
Dans le sein d’un grand Roy par les mains des Amours.

La Reine eut la bonté d’écouter ce concert, & d’en témoigner sa satisfaction à Mr de la Motte, & quand elle se fut retirée, Mr le Marquis de Castel Rodrigo, Ambassadeur d’Espagne, donna au Maistre de Musique une Tabatiere d’argent assez grande, luy disant que Sa Majesté luy faisoit present de tabac d’Espagne pour ses petits enfans ; mais il fut agreablement surpris lors que Monsieur l’Ambassadeur fut rentré. En ouvrant la Tabatiere, au lieu de Tabac, il la trouva pleine ne de doubles Carolus d’or, ce qui luy fut d’autant plus avantageux, que Mr de la Motte l’avoit déja suffisamment satisfait, avec toute sa Troupe, outre la bonne chere qu’il leur avoit faite pendant quinze jours, ne les ayant regalez qu’en perdrix, & autres mets, qui avoient esté destinez pour le passage de la Reine.

Cette Princesse ayant témoigné qu’elle souhaittoit entendre le lendemain cette Musique à la Messe, Mr de la Motte donna ordre aux Musiciens de se rendre aux Cordeliers, où ils chanterent un Motet dont Sa Majesté fut fort satisfaite. Ensuite il prit congé de la Reine, & se retira aux Isles de Lerins pour se preparer à l’y recevoir, ou à luy rendre à son passage les honneurs qui sont dûs à Sa Majesté, dont le départ fut differé par le mauvais temps jusqu’au 3 d’Octobre. Ce jour-là les Galeres partirent avec un vent favorable, & allerent moüiller au Port d’Agay. Mr de la Motte les voyant passer devant sa Place, se mit dans une Felouque, & aborda la galere où estoit la Reine, & dit à Sa Majesté qu’il venoit luy offrir la maison que le Roy avoit dans ces Isles, & qu’il se croiroit heureux, si elle luy faisoit la grace de l’accepter : La Reine receut ses offres d’une maniere tres gratieuse, & voulut que Mr de la Motte restast tout le jour sur sa galere, où il eut l’honneur de dîner avec Mr l’Ambassadeur & autres Seigneurs, Sa Majesté voulut bien aussi prendre sa part de quelques rafraîchissemens que Mr de la Motte n’offroit par respect qu’aux Seigneurs de sa Cour qui luy firent toute sorte d’honnêteté, & ayant pris congé de Sa Majesté, il en revint comble d’honneur. La Reine s’estant aussi informée, qui estoit l’Auteur des Vers qu’on luy avoit chantez. Mr de Gourdon l’ayant sçû, crut estre estre obligé d’aller remercier Sa Majesté, il alla joindre les galeres à la veuë d’Hieres, où elles moüillerent le 4, & supplia Mr le Marquis de Gregorio, Seigneur Napolitain, de le presenter à Madame la Princesse des Ursins. Ce Marquis l’ayant mené au bord de la galere de la Reine, Madame la Princesse des Ursins les fit entrer sur les neuf heures du soir, Mr de Gourdon luy presenta une Ode qu’il avoit faite à la loüange de Sa Majesté, & Madame des Ursins estant entrée dans la Chambre de la Reine luy donna ce nouvel ouvrage, dont elle leut deux ou trois Stances, & ordonna qu’on fist entrer Mr de Gourdon dans sa Chambre, où il mit un genoüil à terre devant Sa Majesté, & luy dit qu’il venoit la remercier de la bonté qu’elle avoit eu d’agréer les Vers qu’il avoit faits à sa loüange. La Reine luy dit avec un air riant qu’elle avoit esté tres-contente du concert que Mr de la Motte luy avoit donné, & de ses Vers ; mais qu’elle n’osoit pas trop les loüer, parce qu’ils estoient faits à son avantage, à quoy Mr de Gourdon repliqua, qu’il s’estimeroit heureux d’avoir quelque facilité à faire des Vers, s’il pouvoit l’employer à celebrer les belles actions du Roy Catholique, & les grandes vertus de Sa Majesté, la Reine eut la bonté de le remercier encore ; & au sortir de sa Chambre, tous les Seigneurs Espagnols luy firent de grandes honnêtetez. Mr l’Ambassadeur luy dit même qu’il la remercioit au nom de toute sa Nation. Mr de la Motte qui a témoigné dans cette occasion tant de zele pour tout ce qui pouvoit faire plaisir au Roy, est un Gentilhomme des environs de Bordeaux originaire de Xaintonge, ancien Officier, qui s’est distingué dans le Regiment du Roy, où il a esté Capitaine & Commandant d’un Bataillon. Sa Maison a toûjours esté tres attachée au service de Sa Majesté, Mr de Moulin neuf son frere ayant esté tué à la deffense du du Chasteau de Namur, dont il estoit Commandant. L’Ode & Mr de Gourdon que je vous envoye, vous fera connoître que ce Gentilhomme n’a pas moins de talent pour les belles Lettres, que pour la Guerre, où il a donné de grandes marques de bravoure, à la prise du Comté de Nice. Il y servoit en qualité d’Aide de Camp de Monsieur le Mareschal de Catinat.

Voici l’Ode dont je viens de vous parler.

À LA REINE
D’ESPAGNE.
ODE.

Toy, qui d’un air doux & tendre
 À l’ombre des Orangers,
Chantois pour te faire entendre
À de rustiques Bergers ;
Il faut prendre la trompette,
Et ce n’est plus en cachette,
Muse, que tu dois chanter.
Ouy, tu peux faire la vaine,
Depuis qu’une grande Reine
A bien voulu t’écouter.
***
De cette Reine adorable
Celebre la majesté,
L’air doux, l’esprit admirable
Et l’éclatante beauté.
Voy, sur un sujet si rare
Quels lauriers on te prépare,
Et quel honneur pour tes vers,
S’ils paroissent dans l’histoire
Les premiers qui de sa gloire
Auront remply l’Univers.
***
Quand Dieu pour punir la Terre
Armoit tant de Potentats,
Avant la fin de la guerre
Qui désoloit tant d’Estats,
Les Sages disoient sans cesse
Que cette aimable Princesse.
Finiroit tous nos malheurs,
Voyant que la Providence
Luy donnoit dés son Enfance
L’Empire de tous les cœurs
***
Enfin cette Prophetie
A son accomplissement ;
Elle se trouve éclaircie
Par ce grand évenement.
L’Union de trois grands Princes
Le repos de cent Provinces
Depend de ses doux attraits.
Seule elle en a la louange,
Et portant le nom d’un Ange
Elle nous donne la Paix.
***
Cette Paix si désirée
Qu’affermit un nœud si doux
Ne sera pas alterée
Par quelques Peuples jaloux.
Reine, ton illustre Pere
De leur Troupe sanguinaire
Engraissera les Sillons,
Ou dans moins de deux Campagnes
Au delà de leurs montagnes
Chassera leurs Bataillons.
***
Que si ton Epoux auguste,
Aidé du Dieu des combats,
À leur entreprise injuste
Venoit opposer son bras ;
Loin que leur fiere vaillance
Pust soutenir sa presence
Je vois déja que ses mains
Ostent à ces temeraires
Les Etats hereditaires,
Et l’Empire des Germains.
***
Mais non, l’Autriche trompée
Par le conseil des flateurs
N’attendra pas son épée
Pour abjurer ses erreurs.
Son humilité profonde
Des deux plus grands Rois du monde
Ayant fléchi le courroux,
Le Ciel promet à Marie,
Une douce & longue vie,
Sans craindre pour son Epoux.
***
Non que ce Roy plein de gloire
Issu de tans de Heros,
Aux appas de la Victoire,
Prefere un lâche repos.
La Paix promet aux grands Princes
En gouvernant leurs Provinces
Un nom aussi respecté.
La justice & la clemence,
De même que la vaillance,
Vont à l’Immortalité.
***
Toute l’Espagne est charmée,
Philippe en est les amours.
Qu’est-ce que la renommée
Ne nous dit pas tous les jours ?
Il passe à peine trois lustres
Que des Rois les plus illustres
Il efface tous les traits.
O Ciel, quel nouveau merite !
Antonin, Auguste, Tite,
N’en approcherent jamais.
***
Ces beaux talens dont la France
Joüit dans le grand Louis,
Valeur, sagesse, clemence,
Brillent dans son Petit-Fils.
Il luy valent un Empire,
L’Ibere qui les admire
Se sent le cœur transporté,
Quand ce Monarque tempere
Par la douceur de son Pere
L’éclat de sa Majesté.
***
En son ame, en son courage,
On ne voit rien que de grand ;
L’esprit qu’il eut en partage
Est juste, vif, penetrant.
Quand il parle, la prudence
Se joignant à l’éloquence
Remporte de tous les cœurs
Une nouvelle victoire,
Et pour assurer sa gloire,
Il protege les neuf Sœurs.
***
Mais comme ce Prince aspire
À des lauriers immortels.
Tous les jours le ciel l’admire
Aux pieds de ses saints Autels.
Là, par son zele sincere
Par l’ardeur de la Priere
Il merite mille fois
Le beau nom de Catholique ;
Titre le plus magnifique
Qu’on puisse donner aux Rois.
***
Le Ciel a mis sur sa face
Un air doux, & gracieux ;
On lit sa guerriere audace
Sur son front, & dans ses yeux.
Dieu, d’une main admirable,
Voulant que ce Prince aimable
En tous lieux fust respecté,
Avant qu’il fust sur le Trône,
Imprima sur sa personne
Les Traits de la Royauté.
***
Va, Bien heureuse Compagne
De ce Monarque charmant,
Va pour enrichir l’Espagne
Joindre ton illustre Amant.
Joüis des destins prosperes
Qui des trois augustes Freres
Doivent étendre les noms,
Et que leur race feconde,
Sur tous les Trônes du monde
Place le sang des Bourbons.

Les Galeres d’Espagne & de France donnérent fond le 4. Octobre, sur les quatre heures aprés midy, à couvert de l’Isle de Porqueroles, & le 5. le temps estant fort gâté le matin le vent au Sud-ouest, avec de la pluye, elles allérent moüiller à Toulon, sur les neuf heures ; proche l’entrée de la vieille Darse. La Patrone Reale de Naples, salua l’Amiral de quatre coups de canon. Aussi tost la grosse Tour, la Tour Ballaguiere, les Forts de l’Eguillette & des Vignettes, commencérent le Salut Royal ordinaire de trois charges, aprés quoy l’Amiral fit trois décharges, de quinze coups chacun. Lorsque la Ville eut fait le sien, la Reine d’Espagne ordonna que la Patrone Reale rendist le salut fait à sa personne de quatre coups pour l’Amiral, & d’autant pour la Ville, ensuite dequoy elle salüa de quatre coups l’Amiral & de 4. autres la Ville, qui furent rendus de 3. coups à son Pavillon. Les saluts estant achevez, Mr l’Evêque de Toulon, Mr de Chalmazel, Gouverneur, & Mr de Vauvré, Intendant, allérent saluër la Reine, le premier à la Françoise, & les autres à l’Espagnole. La Reine ayant témoigné qu’elle iroit se promener l’apresdînée dans l’Arsenal, sa Galere vint sur les quatre heures aprés midy devant l’Hôtel de Ville, ou par ordre de Mr le Comte de Grignan on luy avoit preparé son logement, Elle fut portée en chaise à l’Arsenal, où elle fut pendant une demi-heure accablée de la multitude qui s’empressoit à la voir. Mr le Marquis de Castel Rodrigue, Madame la Princesse des Ursins, & le reste de sa Cour ayant esté d’avis qu’elle allast coucher à sa Galere, elle y fut reconduite. En entrant dans le Port elle fut saluée de quinze coups de canon de l’Amiral, & on a observé pour ne point interrompre son sommeil, de ne point faire battre la Diane dans le Corps de garde, de ne point tirer le coup de canon de la pointe du jour, & de ne point faire travailler les ouvriers de l’Arsenal dans le Port vieux, avant son lever. Le 6. la Reine descendit à terre. Elle alla dîner chez Mr de Vauvré, qui eut l’honneur de luy presenter la serviette. Madame la Princesse des Ursins, & Madame la Comtesse Dunoyer mangérent avec elle ; tous les Seigneurs de sa suite y dînérent pareillement. Elle alla ensuite revoir l’Arsenal, aprés quoy elle revint faire collation chez Mr de Vauvré, & retourna coucher à sa Galere, avec quelque répugnance, ayant marqué qu’elle auroit bien souhaité demeurer à terre.

Le 7. elle entendit la Messe au Seminaire des Jesuites, & alla chez Mr de Vauvré pour y dîner, mais peu de temps aprés s’estant trouvée incommodée de la migraine, & un peu assoupie, son Medecin ayant ordonné qu’elle ne mangeast point sans estre provoquée par la faim, comme elle avoit bien déjeuné le matin, elle se contenta de prendre du caffé. L’apresdînée on luy donna le plaisir de la danse du Rigodon par de jeunes Dames & Damoiselles de la Ville, où Mr Encoute de Salle, & le Marquis de Sevantes dansérent. La Reine se retira à sa Galere sur les sept heures du soir, & passa une partie de la soirée à voir un present de Madame la Comtesse de Grignan, qui luy fut presenté par le Capitaine des Gardes de Mr le Comte de Grignan. Il consistoit en de tres belles étoffes de la Manufacture de Marseille, de piqueures de cette Ville, un tres beau fichu, une tasse de porcelaine doublée d’or, son assiette bordée d’or, & une cueiller d’or avec l’étuy, plusieurs autres galanteries, & si petites caisses d’eau de la Reine de Hongrie, & autres eaux de Montpellier.

Le 8. la Reine entendit la Messe à sa Galere, se portant tres bien, elle déjeuna avec des œufs frais, & alla dîner chez Mr de Vauvré, aprés quoy sur les quatre heures, elle fut conduite à bord du Marquis, où Mr de la Boissiere, Capitaine, fit les honneurs. En entrant l’Amiral la salua de quinze coups, & d’autant en sortant, tous les Officiers de la Marine s’y trouvérent, Le Vaisseau estoit bordé de Soldats tout à l’entour, & ce qui restoit de Garde marine dans le Port gardérent la personne de la Reine. Comme elle n’avoit vû que des Galeres, le Vaisseau luy parut un Amiral. On ne put luy faire voir le Tonnant à cause des reparations qui s’y font. Elle alla ensuite se promener au Jardin du Roy, & à la Menagerie de Mr de Vauvré, aprés quoy elle fit collation dans l’Orangerie. Quand elle eut mangé, elle fit donner des eaux glacées, des fruits, & des confitures aux Dames qui s’y trouverent, & revint chez Mr de Vauvré, où elle vit danser de sa Chambre dans son Antichambre, & quelque temps aprés ayant fait tirer la portiere de sa Chambre, où elle estoit avec Mesdames des Ursins & Dunoyer, & Mr l’Ambassadeur, l’on y fit entrer Mrs de Salle, & de Serignan qui eurent l’honneur de danser avec elle, aussi bien que Mr l’Ambassadeur & Mr le Marquis de la Pierre. Sur la fin la Reine permit que quatre ou cinq Seigneurs de sa suite, & Mr & Madame de Vauvré la vissent danser. On remarqua qu’elle danse bien, en cadence juste & avec beaucoup de grace. Elle se retira sur les sept heures & demie à sa Galere. Tous les Seigneurs & toutes Dames de sa suite, & les Officiers de sa Maison furent traitez comme les jours precedens par Mr de Vauvré.

Les 9. 10. & 12. la Reine a passa le temps à peu prés de la même maniere, en visitant les Maisons Religieuses, & assistant aux Offices divins, mais la nuit du 11. s’estant trouvée un peu incommodée, on jugea à propos de la faire coucher à terre, chez Mr de Vauvré dans l’appartement de Monseigneur le Duc de Bourgogne, avec Mrs des Ursins & Dunoyer, & Mr l’Ambassadeur dans un autre, elle y reposa parfaitement, & le temps s’estant trouvé le 22. favorable pour la navigation, elle fut éveillée à sept heures du matin, & aprés avoir esté à la Messe aux Jesuites, elle s’embarqua avant neuf heures. L’Amiral la salua de quinze coups en sortant du Port, & ensuite la Ville, les Tours, & les Forts de toute leur Artillerie, & elle arriva sur les quatre à cinq heures du soir à la Cioutat.

Le Jeudy 13 du mois passé, sur les neuf heures du matin, le Fort de Nostre. Dame de la Garde, ayant fait signal de galere, on apprit que la Reine venoit à Marseille, pour y attendre la réponse du Roy Tres-Chrestien, parce qu’elle vouloit se rendre par terre en Catalogne. D’abord parurent quatre galeres de France, sous le commandement de Mr le Comte du Luc, qui faisoient l’avant-garde de celles de Naples. Cette Escadre ne fut pas plutost à la veuë des batteries de le rade, que ces batteries firent une décharge de tout leur canon pour salüer cette Princesse, qui estoit embarquée sur la Reale de Naples. Sa poupe au dehors estoit toute d’Architecture tres-bien travaillée, & toute dorée, le dedans estoit tapissé d’une étoffe à fond d’or sizelé d’argent, avec douze sieges plians, garnis de la mesme étoffe, aussi bien que les carreaux, le sofa & le fauteüil de la Reine. On avoit mis sur le plancher un grand tapis, qui tenoit le long & le large de toute la poupe, d’une tres-belle étoffe à fond d’argent, relevé de grandes fleurs veloutées de rouge. La tente de dessus la poupe estoit d’étoffe d’or de mesme que la tapisserie, garnie au dessus d’un damas cramoisi, orné de galons d’or. Au bas de cette poupe estoit le Portrait du Roy d’Espagne. Il y avoit devant la poupe une grande salle tapissée de damas cramoisi, garni de galons d’or, aussi bien que les carreaux des bancs qui estoient autour de la mesme Salle. La separation qu’il y avoit entre la poupe, & cette salle, estoit de grandes portes dorées, & garnies de tres belles glaces de Venise. Le Corps de cette galere estoit richement orné, les Forçats estoient habillez de damas rouge avec la toque de mesme, & les Esclaves de mesme, si ce n’est qu’il y avoit sur les coûtures de leur Jacquette un petit galon d’or, & qu’ils n’avoient point d’anneau au pied. Ils estoient en bas de soye, & la chaîne de tous les Forçats estoit garnie d’une étoffe rouge.

Cette Reale ou Capitane, portant Pavillon de Patrone, salüa les Isles & les Citadelles de Marseille chacun de quatre coups de canon, & il luy en fut rendu trois. Les Isles & les Citadelles ayant fait ensuite trois salves de mousqueterie, & trois décharges de canon pour salüer la Reine, la Reale de Naples quatre coups aux Isses, & un pareil nombre aux Citadelles. En entrant dans le Port sur le midy, toutes les Galeres de France & d’Espagne arborerent toutes leurs flames, bandieres, pavesades & autres ornemens. La Capitane de Naples salüa la Reale de France, de quatre coups de canon, & on luy en rendit trois, cela fait, toutes les Galeres de France ayant salüé Sa Majesté de trois salves de mousqueterie, & de trois décharges de canon, dont le coursier du calibre de trente-six livres de balle estoit du nombre, le General des Galeres de Naples rendit quatre coups de canon, & fit approcher la Galere sur laquelle estoit la Reine, d’un pont que l’on avoit fait construire pour faciliter son débarquement. Ce pont estoit à la droite de la Reale de France, & les troupes des Galeres y estoient rangées en haye sur deux lignes, leurs Officiers à leur teste. La Capitane de Naples, quoy que magnifique, ne diminua en rien la beauté de la Reale de France, qui estoit toute ornée de damas cramoisy, avec de grandes crespines & des galons d’or, brodée en plusieurs endroits. Quantité de Felouques l’entouroient ; elles estoient richement parées, & avoient des ornemens aussi magnifiques qu’estoient ceux de la Reale. Mr le Marquis de Forville, Chef d’Escadre, & Commandant des Galeres, & Mr le Chevalier de Rancé Chef d’Escadre, & Capitaine du Port, accompagné de la plus grande partie des Officiers des Galeres, estoient allez plus de six milles à la mer au devant de Sa Majesté, sur plusieurs Felouques magnifiquement parées, qui avoient esté suivies d’une infinité de petits bastimens, remplis de tout ce qu’il y avoit de plus distingué dans Marseille. Mr de Montmort Intendant General des Galeres, avoit déja eu l’honneur de salüer la Reine à la Mer.

Quoy que cette Princesse fust incognito, elle voulut bien à son arrivée au Port de Marseille, recevoir les hommages de Madame la Comtesse de Grignan, de Madame de Montmort & de Madame la Marquise de Brious, qui seules furent admises à son Audiance, & qui luy firent leur Cour dans la poupe de sa Galere. Elle y demeura jusqu’à quatre heures aprés midy que Mr le Comte de Grignan, Chevalier des Ordres du Roy, Lieutenant General & Commandant pour Sa Majesté en Provence, & plusieurs Officiers de terre qui l’accompagnoient, eurent l’honneur de luy rendre leurs respects, de mesme que tous les Officiers de la marine. Sa Majesté ayant débarqué ensuite avec Madame la Princesse des Ursins, & Madame la Comtesse du Noyer, elle se mit en chaise, suivie de Mr le Marquis de Castel Rodrigo, Ambassadeur & Grand d’Espagne, de Mr le Comte de Lemos aussi Grand d’Espagne, des Galeres de Naples, & de toute la Cour. Ils accompagnerent la chaise, à pied, & elle alla aux Carmes Déchaussez rendre graces à Dieu de son heureuse arrivée. Les Capitaines d’armes des Galeres de France, par les soins de Mr le Comte du Luc, qui depuis l’arrivée de la Reine à Nice, a fait tout ce que l’on peut attendre de l’homme du monde le plus magnifique & le plus zelé, ont eu l’honneur de servir de Gardes du Corps à cette Princesse, & pendant son sejour à Marseille, les Suisses du Roy l’ont toujours gardée & accompagnée, il n’y avoit eu jusques là que quatre de ces Capitaines qui eussent servy à sa garde ; mais Mr le Marquis de Castel Rodrigo ayant souhaité qu’en augmentant le nombre, on luy en donna douze, habillez des livrées du Roy, de mesme que les Suisses de l’Arsenal pour l’accompagner par tout où il luy plairoit d’aller. Sa Majesté ayant entendu le Salut aux Carmes, où elle reçut la benediction du Saint Sacrement, passa par la Maison du Roy en revenant, comme elle avoit fait en allant, & voulut la voir, Mr de Montmort eut l’honneur de l’y recevoir au bruit du canon, des boëtes, des tambours & des trompettes. Elle alla de là à l’Hostel de Mr le Bailly de Noailles qu’on luy avoit preparé pour son logement ; & aprés qu’elle se fut promenée dans le jardin, & qu’elle eust visité les appartemens, Mr le Comte du Luc qui en faisoit les honneurs, eut celuy de luy presenter la collation. Aprés quoy Sa Majesté alla faire un tour au Cours, où ce qu’il y avoit de considerable à Marseille, s’estoit rendu pour la voir. Elle fut conduite ensuite à sa Galere où elle soupa & coucha pour la derniere fois.

Le Vendredy 14, Sa Majesté entendit la Messe dans la poupe de sa Galere, comme elle avoit fait depuis son embarquement à Antibes, en vertu d’un Bref que Mr le Cardinal Archinto, Archevesque de Milan, & Legat à latere qui estoit venu à Nice pour luy apporter la Rose d’or de la part du Pape, luy avoit donné uniquement pour son passage ; sur quoy il faut remarquer qu’il n’y a que les Galeres de France qui ayent le pouvoir de faire dire la Messe dans leurs poupes, toutes les autres Galeres des Princes Chrestiens, & même celles du Pape, ne la pouvant faire dire qu’à terre sous des Pavillons, qu’ils mettent vis à vis de leurs Galeres. L’aprésmidy la Reine alla dans son Palais, & s’y arresta jusqu’à cinq heures du soir qu’elle vint chez Mr de Montmor, accompagnée de Madame la Princesse des Ursins, de Madame la Comtesse de Noyer, de Mr l’Ambassadeur, & de tous les Princes & Seigneurs de sa Cour ; À l’entrée de la Maison du Roy estoient deux cens Soldats des Galeres, avec leurs Officiers à la teste magnifiquement vêtus. Sa Majesté y fut reçuë au bruit du Canon, des Boëtes, des Tambours, des Trompettes, des Timbales, des Violons, & de toute sorte d’Instrumens. La façade estoit ornée d’un grand Soleil avec l’écusson des armes du Roy, plusieurs trophées sur des portiques dessinez avec leurs corniches & autres Instrumens. Il y avoit dans la Cour une grande Pyramide, au bas de laquelle estoient des lyons couronnez des armes d’Espagne, avec ces mots, ex utroque unum, & au dessus, une Renommée qui portoit les Portraits de Louis le Grand & du Roy d’Espagne couronnez d’une même Couronne, qui ensuite parut route en feu. Cette Pyramide & cette façade furent illuminées à l’entrée de la nuit, ainsi qu’un grand arbre qui est au bout de la Cour. Cet Arbre estoit tout couvert de lumieres, ce qui produisoit un tres bel effet. La Reine ayant esté reçuë à la porte par Mr & Madame de Montmort avec une infinité de personnes considerables, monta dans les Appartemens qui estant fort parez & bien éclairez, & trouva dans un grand cabinet, qui est tout au bout du grand Appartemens, un Trône fort élevé avec un Dais fort magnifique, sous lequel estoient son fauteüil & un grand tapis de pied, le tout en broderie d’or. Sous ce même Dais estoit le Portrait de Louis le Grand, avec ceux de Monseigneur, du Roy d’Espagne & de toute la Maison Royale. Peu de temps aprés, entrérent Mr l’Ambassadeur & Mr le Comte de Lemos, & ensuite Mr & Madame de Montmor. On apporta la Collation, & dans le temps que la Reine s’occupoit d’un petit concert, Elle fut tout d’un coup surprise, par une grande lueur qui paroissoit au travers des rideaux des fenestres, qui donnent sur le Jardin, ce qui l’obligea d’aller elle même voir ce que c’estoit. Elle apperçut un grand Soleil extrêmement éclairé, & vit le Jardin s’illuminer presque en un moment, ce qui luy fit découvrir tous les gazons qui estoient semez de fleurs, tous les berceaux & les Orangers couverts de fruits, & au bout de ce jardin un grand portique d’un magnifique Palais qui paroissoit estre celuy du Soleil. Les bassins & les berceaux du mesme jardin estoient dessinez avec des lampions, & il y avoit un grand nombre de Personnes distinguées de l’un & de l’autre Sexe que la curiosité avoit attirées. Les Portiques étoient ornez des armes de France, d’Espagne, & de Savoye, & les terrasses couvertes d’une infinité de lumieres qui formoient une illumination des plus galantes. On y entendoit par tout le bruit des Trompettes & des Timbales. Mr de Montmor qui avoit fait preparer un tres-joli feu d’artifice au bout du Jardin, demanda permission à la Reine de le faire tirer, ce que Sa Majesté luy ayant accordé, il mit luy même le feu à une petite corde, qui fit dans l’instant partir un Amour tenant un flambeau. Cet Amour alla embraser ce grand Palais, au haut duquel estoit le Soleil, avec un grand nombre d’artifices, qui amusérent agréablement cette Princesse pendant trois quarts d’heure. Ayant voulu voir ensuite tous les Appartemens de la Maison du Roy, qui estoit remplie de Dames, & de tout ce qu’il y avoit de plus considerable dans la Province, elle entra sur une grande terrasse fort illuminée, d’où elle découvrit l’entrée de la Sale d’armes qui estoit ornée tres-richement. L’éclat extraordinaire dont elle se trouvoit remplie par un nombre infini de lampions de cristal, tous dessinez en couronnes, en guirlandes, en festons, & sur tout en forme de Dais, sur les Portraits des Rois de France & d’Espagne, qui estoient ainsi que les Portraits de Monseigneur, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Berry, environnez de Soleils accompagnez de Trophées d’Armes, & d’autres ornemens, produisit un effet tres agreable, & la Reine, & toute sa Cour ne se pouvoient lasser d’admirer l’arrangement & la propreté qui se trouve dans ces Salles. D’abord en entrant Sa Majesté fut saluée par les Boestes & par le Canon de l’Arsenal. Les saluts finis, on n’entendit plus qu’une charmante harmonie de flutes, qui estoient cachées derriere les armes, & qui ne surprirent pas moins que tout le reste. Quelques jeunes Filles, habillées richement à l’Espagnole, & ornées de pierreries, voyant approcher la Reine vers le milieu de la Salle, se mirent à danser les Folies d’Espagne au son des Bassons, des Flutes, & des Hautsbois. Dans l’un des bouts de la Salle derriere un grand & magnifique Trophée, on entendit un Concert de voix & d’instrumens, & l’on chanta plusieurs vers à la loüange de Sa Majesté, qui se rendit ensuite dans son Appartement chez Mr de Montmor, où l’on luy fit servir à souper. Cette Princesse, à son ordinaire fit l’honneur à Madame la Princesse des Ursins & à Madame la Comtesse du Noyer de les faire mettre à table avec elle. Mr & Madame de Montmor eurent celuy de la servir seule, & aprés le soupé il y eut un Concert dans son Cabinet, ou peu de personnes entrérent. Dans le temps qu’elle soupoit, on servit dans les Appartemens d’en bas, six grandes tables, ou Mr le Marquis de Castel Rodrigo, Mr le Comte de Lemos, les Princes, Seigneurs & Dames de la suite de la Reine, soupérent avec un grand nombre de Dames & d’Officiers de la premiere distinction. Il n’y eut rien d’oublié, & la magnificence & l’abondance y furent égales à la propreté & au bon ordre. La Reine se retira dans son Palais où elle coucha. Toute sa Cour eut l’honneur de l’y accompagner, & Mr de Montmor qui estoit du nombre, fit porter devant la chaise de cette Princesse, vingt-quatre flambeaux par les Suisses de Sa Majesté,

Le Samedy 15. la Reine entendit la Messe aux Capucins, & demeura toute la journée chez elle. À l’entrée de la nuit, elle fit demander à Mr de Montmor le petit Concert qu’elle avoit entendu le jour précedent, dans la Salle d’armes. Elle s’en fit un nouveau plaisir. Il y eut plusieurs jeunes personnes, tant garçons que filles, qui au son des Tabourins, dansérent devant elle à la Provençale.

Le 16. la Reine entendit encore la Messe aux Capucins, & l’apresdînée elle se rendit chez Mr le Comte de Grignan, qui eut l’honneur de la recevoir au bruit des Boestes, de luy presenter une magnifique collation, & de luy donner la representation d’une Comedie, qui fut suivie d’un tres-beau feu d’artifice. Dans cet intervale, Sa Majesté ayant reçu un Courier du Cabinet, déclara qu’elle s’en iroit par terre jusqu’à Barcelone, où les Galeres devoient se rendre pour y embarquer des Troupes.

Le 17. Sa Majesté reçut un Courier du Roy d’Espagne sur les quatre heures du matin. Ce jour-là, elle entendit la Messe aux Jesuites dans une de leurs Eglises, appellé Saint Jaume, ou il y eut Musique. En sortant elle voulut passer sur le Port pour voir les Galeres de France & d’Espagne. Elles avoient tous leurs ornemens, & les Chiourmes saluérent de la voix. L’apresdînée elle demeura dans son Palais pour expedier les Couriers qu’elle avoit reçus. Ensuite elle entendit un Concert, & vit quelques danses du Pays.

Le 18. elle entendit la Messe dans son Appartement, & le mauvais temps l’obligea de ne point sortir. Ce jour-là, Mr le Bret, Premier President & Intendant en Provence, ayant reçu ordre de la Cour de fournir à Sa Majesté toutes les Voitures dont elle pourroit avoir besoin, pour aller par terre à Barcelone, arriva à Marseille, & alla luy faire sa Cour aussi-tost avec Madame le Bret. La Reine leur fit un accüeil favorable, & Mr le Bret la supplia de vouloir bien recevoir les honneurs que le Parlement en corps avoit dessein de luy rendre quand elle passeroit par Aix : Elle répondit qu’elle acceptoit volontiers les offres qui luy estoient faites de la part du Roy pour la continuation de son voyage, qu’elle estoit bien aise de ne pas faire par mer, mais elle refusa absolument les honneurs que le Parlement & les Peuples avoient envie de luy rendre, & pour éviter les harangues, les complimens, & autres ceremonies qu’elle auroit esté obligée d’essuyer pendant la route, elle resolut de passer incognito.

Le 19 Sa Majesté alla à la Messe à la Mission de France, & reçut à son retour les presens de Ville que le Maire & les Echevins eurent l’honneur de luy presenter. Ils firent ensuite les presens accoutumez à Madame la Princesse des Ursins, à Madame la Comtesse de Noyers, & à Mr l’Ambassadeur d’Espagne. L’apresdînée la Reine alla voir le Convent des Carmelites, & il y eut le soir un concert dans son apartement.

Le 20. elle entendit la Messe dans son Palais, d’ou elle ne sortit que l’apresmidi sur les quatre heures, pour se rendre dans la Maison du Roy qu’elle trouva bordée de Soldats de Galeres, leurs Officiers à leur teste Mr & Madame de Montmor eurent l’honneur de la recevoir au bruit du Canon, d’un fort grand nombre de Boestes, & de toutes sortes d’Instrumens. La collation luy ayant esté presentée, elle donna de sa main des confitures à quelques Dames de sa suite, & permit aux autres de profiter de cette collation. Sa Majesté traversa ensuite le Jardin, pour aller voir l’Arsenal nouveau. Elle entra d’abord dans les Ecoles Royales de Construction & de Canon, ou elle fit differentes questions, aprés quoy elle alla dans la Corderie, ou elle vit commettre quelques pieces de cordages, s’informant de l’usage particulier auquel chaque chose estoit destinée. Cela fait, elle passa le long du Canal, qui estoit rempli de plusieurs Bastimens tres-magnifiques, pour se rendre dans la Salle des Voiles, dans l’Attelier des Forges, dans quelques Magasins de desarmement, & dans tous les autres Atteliers, ou elle continua de se faire rendre compte de toutes choses. En sortant du nouvel Arsenal, ou elle alla toûjours à pied, elle vit des Galeres sur le Chantier, & des Bastimens que l’on jetta à la Mer. Il y eut plusieurs salves de Canon, de Pierriers, & de Boestes, avec de petites troupes de jeunes hommes & de jeunes filles qui dansoient à la Provençale au son des Fifres & des tabourins. La Reine vint ensuite dans l’ancien Arsenal, & aprés avoir visité l’Attelier des Rames, & le Magasin general, elle se rendit aux flambeaux avec toute sur sa Cour sur une terrasse, ou Mr de Montmor avoit fait faire une Loge magnifique, d’ou elle pust voir commodement l’Illumination des Galeres. Cette Loge estoit ornée de damas & de plusieurs lustres avec un Dais sous lequel estoit le Portrait du Roy, & autour de la Chambre ceux de toute la Famille Royale. Si-tost qu’elle fut placée sur le Trône qu’on luy avoit preparé, toutes les Galeres de France parurent en feu, & l’on admira la promptitude avec laquelle cette Illumination se fit, par rapport au nombre infini de lumieres qui en un instant brillerent de toutes parts. On fit dans ce moment une salve de plus de quatre cens boestes qui estoient placées aux milieu du Port sur des Ponts qu’on y avoit mis exprés, en sorte que le feu sembloit sortir du milieu de l’eau. Tout le Canon des Galeres ayant fait ensuite trois décharges chacune accompagnée d’un grand départ de fusées volantes, tout le monde demeura d’accord que ce n’estoit qu’à Marseille qu’on pouvoit voir de pareils spectacles. La Reine ayant fait paroistre combien elle en estoit satisfaire, demanda encore, à voir la Salle d’Armes des Galeres, & Sa Majesté s’y estant renduë suivie de toute sa Cour, on trouva cette Salle aussi magnifique & aussi brillante qu’elle avoit paru le premier jour. Cette Princesse se retira ensuite dans son Palais, ou tous les Officiers des Galeres d’Espagne luy ayant esté presentez par Madame la Princesse des Ursins, ils prirent tous congé de Sa Majesté, & luy baisérent la main, ce qui estant fait ils allerent tous souper dans l’Intendance des Galeres.

Le 21. à la pointe du jour, les sept Galeres de Naples ausquelles Mr de Montmor avoit fait donner par ordre du Roy des vivres pour deux mois, sortirent du Port de Marseille pour se rendre à Barcelone, & se mirent en Bataille hors la chaîne, ou elles firent trois décharges de toute leur Artillerie pour saluer la Reine d’Espagne. Sa Majesté, aprés avoir entendu la Messe aux Capucins, ou la Musique de la Cathedrale se trouva, accompagnée d’une belle Simphonie, reçut en arrivant dans son Palais le compliment que Mr le Marquis de Bonnaventure, Commandant les Troupes du Pape à Avignon, luy vint faire de la part de Mr le Vice-legat. Sur le soir, Mr l’Evêque de Marseille estant arrivé de la Cour eut l’honneur de la saluer. La Reine luy fit beaucoup d’accüeil, en luy marquant toutes les magnificences de Mr le Comte du Luc son Frere, & les soins qu’il avoit pris d’elle & de toute sa Maison.

Le 22. jour du départ, la Reine alla sur les sept heures entendre la Messe aux Capucins, & se mit à table à son retour, sur les dix heures elle monta en litiere avec Madame la Princesse des Ursins, pour aller coucher à Aix. Cette Littiere qui avoit esté faire eu deux jours par les ordres de Mr le Bret, estoit garnie au dedans & en dehors de velours cramoisi, chamarré de grands galons d’or, avec un bordé au dessous Les rideaux & les poches des portieres avec leurs glaces, estoient d’un tres-beau damas blanc, bordées de galons d’or. Les couvertures des Mulets estoient du même velours, avec le même petit & grand galon d’or. Les harnois des Mulets qui avoient de grands plumets, estoient dorez jusqu’aux sonettes. Toute la ferrure de la Litiere estoit dorée, aussi bien que le brancard. On avoit fait habiller les Muletiers d’un fort beau drap rouge, & leurs chapeaux estoient bordez d’un galon d’or, avec des cocardes. Les deux Litieres de Mr l’Ambassadeur, & de Madame la Comtesse de Noyers, estoient doublées d’un satin propre. Les Voitures que fit fournir Mr le Bret, pour la suite de la Reine consistoient en neuf Litieres, en vingt-cinq Chaises roulantes, en soixante & seize Chevaux de selle, en six charrettes, & en trente-deux Mulets de bats. Les Capitaines d’armes des Galeres, qui avoient toûjours servi de Gardes du Corps à la Reine, eurent l’honneur de l’accompagner pendant son voyage en la même qualité, & Mr le Chevalier des Pennes, Lieutenant de Galéres, les commanda. Dans tout le temps que cette Princesse a sejourné à Marseille, Mr le Comte de Grignan, Mr le Bret, Mr le Marquis de Forville, Mr de Montmor & Mr le Comte du Luc ont toujours tenu plusieurs grandes tables, où les Princes, les Seigneurs & les Dames de sa suite, avec un grand nombre de personnes considerables de la Ville & de la Province, ont esté traitez magnifiquement. Quand Sa Majesté sortit de Marseille, la foule du Peuple qui l’avoit toûjours suivie par tout, se trouva si grande que les Suisses qui la conduisirent jusqu’aux portes de la Ville, eurent beaucoup de peine à se faire jour pour son passage. Dans ce moment, les Citadelles & les Batteries de la rade, firent trois décharges de tout leur Canon, pour la saluer.

La Reine ayant pris la route d’Aix, le hasard voulut qu’elle rencontra la chaîne des Forçats. Ces malheureux s’estant jettez à genoux, elle demanda au Roy la grace pour trois Savoyards qui y estoient attachez. Estant arrivée à Aix, elle y fut regalée aussi magnifiquement par Mr le Bret, qu’elle l’avoit esté à Marseille. Elle se rendit de là à Arles, & fut logée dans l’Archevêché. Mr l’Archevêque l’y traita avec beaucoup de magnificence. Le lendemain cette Princesse passa le Rhône, & entra dans le Languedoc, où Mr le Comte de Grignan & Mr le Marquis de Forville qui l’avoient accompagnée la quitterent. Cette Princesse les remercia de la magnifique reception qu’ils luy avoient faite, & des soins qu’ils s’estoient donnez pour elle, Sa Majesté fut receuë à l’entrée du Languedoc par Mr le Comte de Broglio, Commandant de la Province, & ayant couché le 25 à Nismes, elle arriva le 26 à Montpellier sur les cinq heures du soir, au bruit du canon de la Citadelle, qui fut la seule ceremonie que l’on fit à son entrée, parce qu’elle estoit incognito. Mr le Comte de Broglio & Mr de Baville Intendant du Languedoc, qui avoient esté à sa rencontre, accompagnez de la Noblesse, la conduisirent jusques au Palais aux appartemens de Mr Bon, Premier President de la Chambre des Comptes & Cour des Aides de Montpellier, où cette Princesse logea, à quoy elle ajoûta la grace de vouloir bien estre servie par ses Officiers ; de sorte qu’il a eu l’avantage, non-seulement de loger Sa Majesté, & de luy donner à manger, pendant le sejour qu’elle a fait en cette Ville, mais encore de loger toute sa Cour & toute sa suite, à qui il a aussi toûjours donné à manger, ce qui les a d’autant plus surpris, qu’ils sçavoient que Mr le Premier President n’avoit esté averti de l’honneur qu’il devoit recevoir, que le jour mesme de l’arrivée de la Reine, puisque suivant le premier projet, sa Majesté devoit employer deux jours pour venir de Nismes à Montpellier, & n’arriver en cette derniere Ville que le Jeudy 27, jour maigre, à cause que c’étoit la Vigile de Saint Simon & Saint Jude. D’ailleurs, elle avoit resolu de ne point entrer dans la Ville, & de loger dans la Maison de Campagne de Mr le Premier President, comme celle des environs qui a le plus d’agrément, & qui estoit la plus propre à recevoir cet honneur. Mais il fut deliberé à Nismes le Mardy au soir fort tard que Sa Majesté viendroit le lendemain en un seul jour à Montpellier, & qu’elle logeroit dans la Ville à la Maison de Mr Bon, Il n’apprit cette nouvelle, que sur les neuf à dix heures du matin : & d’abord, sans consulter l’embarras où il se trouvoit, de satisfaire dans l’espace de quelques heures à tant de differentes obligations, il donna de si bons ordres, & usa d’une si grande diligence, que non-seulement sa Maison fust disposée à loger la Reine avec toute sa Cour, mais encore il fut en estat de faire servir en gras, Sa Majesté & toute sa suite, avec toute la magnificence, la propreté, & la delicatesse que l’on pouvoit souhaitter. Cette maison est composée de deux appartemens doubles de plein pied, de l’un à l’autre bout, faisant une tres-grande enfilade, & ayant aux deux extremitez deux moindres appartemens de chaque costé, détachez des autres. Celuy de la Reine estoit de huit grandes pieces superbement ornées de toutes sortes de meubles des plus riches & des mieux entendus. La chambre estoit tenduë d’une tres-belle tapisserie d’Angleterre antique. Le lit estoit de Velours cramoisy, galonné d’or, & doublé de satin aussi brodé d’or, avec les chaises de mesme. L’appartement de Madame la Princesse des Ursins estoit de six pieces aussi tres-proprement meublées. Il y avoit dans la Chambre un lit à la Duchesse, de damas vert, avec une crépine d’or fort riche, & quantité de grands miroirs sur une belle tapisserie de Flandre. Celuy de Mr le Marquis de Castel-Rodrigo estoit complet & tendu d’un beau meuble de damas, & generalement toutes les chambres étoient garnies de lits de damas & de tapisserie de haute-lisse ou de Flandre, qui sont les meubles ordinaires de la Maison. La Reine trouva en arrivant, son appartement éclairé par une infinité de bougies sur quantité de lustres de cristal & de girandoles. Tous les autres appartemens l’estoient aussi à peu prés de mesme. Les Dames les plus considerables se trouverent en fort grand nombre, & en en habit noir à l’arrivée de Sa Majesté, & au souper, avec tout ce qu’il y avoit de gens de qualité & de consideration dans la Ville, & une tres-grande affluence de peuple : mais malgré tout ce grand abord de monde, toutes choses estoient si bien concertées, que tout se passa sans desordre & sans confusion. La Reine fut servie sur les neuf heures, par les Officiers de Mr le Premier President, qui eut l’honneur de luy donner la serviette. L’on admira la propreté, la delicatesse & l’abondance de toutes sortes de mets les plus exquis. Il n’y avoit à table que la Reine, Madame la Princesse des Ursins, & Madame la Comtesse des Noyers, & tout ce qu’on y servit parut si bon à S.M. qu’elle voulut goûter presque de tout. Aprés le souper de la Reine, la table de Mr le Marquis de Castel Rodrigue, où estoient avec luy le Prince de Belvedere, le Comte Scoti, l’Abbé Scoti, son frere, & tous les autres Seigneurs de la Cour fut servie aussi avec toute la delicatesse & toute l’abondance qui convenoit à une grande chere. Il y eut ensuite la table des Dames & des Filles d’Honneur de la Reine, celle des Gentilshommes & des Officiers de Garde, celle des Pages, & plusieurs autres pour le reste des Officiers de sa Maison, pour les Capitaines d’armes faisant la fonction de Gardes du Corps, pour les Filles & les Officiers des Dames & des Seigneurs de la Cour, & pour tous les autres gens de la suite, toutes tres-bien servies, à proportion les unes des autres : ce qui a toûjours continué jusqu’au jour du départ. Tout s’est passé dans cette reception avec tant de magnificence, & en mesme-temps avec tant d’ordre, qu’on auroit peine à croire qu’un particulier eust pû si bien & en aussi peu de temps recevoir un pareil honneur avec un aussi grand succés, & avec l’approbation de tout le monde, si l’on ne sçavoit que Mr le Premier President est accoûtumé à se distinguer, non seulement par l’éclat de sa Charge qu’il remplit avec beaucoup de dignité, mais encore par un goût exquis qu’il fait remarquer pour toutes choses, & sur tout pour les bastimens, & pour les meubles. Aussi la Reine & toute sa Cour luy ont témoigné toute sorte de satisfaction par mille honnêtetez qu’il en a receuës. Sa Majesté avoit fait dessein d’aller l’apresdînée du Jeudy à la Maison de campagne de Mr le Premier President, où, soit pour la situation, soit pour les bastimens ou pour les jardins, on voit tout ce qui peut embellir une maison de plaisance : Mais elle fut empeschée d’y aller, par un Courrier qu’elle receut de la Cour de Savoye, & qu’il fallut depescher. La Reine a entendu tous les jours avec une pieté tres-exemplaire la Messe du Pere Ferreri Jesuite son Confesseur, dans la Chapelle du Palais, tres-richement ornée, & où l’on avoit fait preparer une tres-belle Musique. Elle partit le lendemain 28 au bruit du canon sur les huit heures du matin, aprés avoir reçû les presens que luy fit la Ville, ils consistoient en plusieurs corbeilles tres-propres, remplies de sachets, de Sultans & de poches de tissu d’or & de tissu d’argent, & de plusieurs caisses de liqueurs & d’eaux de la Reine de Hongrie. Je laisse cette Princesse poursuivre sa route, & à la fin de ma Lettre je vous feray part de ce que j’en auray appris.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1701 [tome 13], p. 361-362.

Voicy des Vers qui ont esté mis en Air par un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Ce n'est point, page 3[6]1.
Ce n'est point en parlant de ses peines cruelles,
Qu'on fait voir que l'on est un veritable amant :
Vouslez vous estre aimez, aimé fidellement,
C'est l'unique secret d'estre cheri des belles.
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