1702

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1702 [tome 1].
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Mercure galant, janvier 1702 [tome 1]. §

[Devises] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 5-9.

Le Pere Menestrier, Jesuite, celebre par tant de sçavans Ouvrages qu’il a donnez au Public, a presenté une fort belle Devise au Roy, comme Fondateur & Protecteur de l’Academie Royale des Medailles & des Inscriptions. Le corps de cette Devise est un Cabinet de Medailles antiques, rangées selon l’ordre des temps en differentes tablettes, & ce Vers tiré de la quatriéme Eglogue de Virgile luy sert d’ame.

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

Il l’a expliquée par ce Madrigal.

Ce précieux amas de Medailles antiques,
Dont les faces & les revers,
Sous des figures symboliques
Exposent à nos yeux l’ordre de l’Univers,
Nous va de siecle en siecle, en preuves authentiques
Donner un corps entier de mille faits divers.

Ce Madrigal est accompagné du Sonnet suivant, composé sur le même sujet par le même Pere.

AU ROY.

Auguste Instituteur d’une Troupe sçavante,
Qui tire du tombeau nos Rois ensevelis,
Et qui pour relever sous l’Empire des Lis
La gloire de leurs noms, va se rendre éclatante.
***
Protegez, ô grand Roy, la France renaissante
En cet heureux projet où les Arts embellis,
Sur tant de Nations vont luy donner le prix,
Et des temps à venir remplir toute l’attente.
***
L’or, l’argent & le bronze en œuvre par ses soins,
Seront de vos travaux les fidelles témoins,
Et nos Neveux un jour y verront vostre Histoire.
***
Ainsi Louis le Grand des ans victorieux,
Aura droit d’occuper des Filles de Memoire
Aux siecles qui suivront, & la langue & les yeux.

Il n’y a personne qui ne demeure d’accord que le Pere Menestrier a beaucoup d’invention, & qu’il la soutient par une érudition profonde, ce qui rend les choses qu’il invente utiles & agreables à l’esprit, aussi bien qu’aux yeux.

Tombeau de l'illustre Mademoiselle Scudery §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 59-74.

Il y a déja longtemps qu’on m’a envoyé la Piece que vous allez lire. Elle est de Mr de Vertron, & contient un abregé de la Vie de Mademoiselle de Scudery ; mais comme depuis la mort de cette admirable Fille, j’ay en quantité d’Ouvrages faits à sa gloire, que j’ay répandus dans la pluspart de mes Lettres, j’ay reservé celuy-cy pour en former son tombeau. On a remarqué une chose qui est bien à l’avantage du veritable merite & du bon esprit estimé de tout le monde. C’est qu’on n’a jamais composé plus d’Ouvrages à la gloire d’aucune personne, même des plus grandes Puissances & des Souverains, qu’il en a paru pour l’illustre Mademoiselle de Scudery, depuis sa mort. Il faut pour cela que l’esprit & le merite soient generalement reconnus, & sans contredit.

TOMBEAU DE L’ILLUSTRE MADEMOISELLE DE SCUDERY,
De l’Academie des Ricovrati de Padouë.
OU
APOTHEOSE DE SAPHO.

Qui pourra me fournir d’assez tristes couleurs,
Pour peindre le sujet des plus vives douleurs ?
Sapho n’est plus, helas ! la Parque inexorable
Cause d’un bien sans prix la perte irreparable.
Et plonge pour jamais dans la nuit du tombeau
Ce que les Immortels ont formé de plus beau.
O vous, sçavantes Sœurs, Hostesses du Parnasse,
Qui donnez à nos chants & la force & la grace,
Ne me refusez pas vostre puissant secours,
Eternisons sa gloire au defaut de ses jours.
Qu’à jamais parmy nous Sapho se renouvelle,
Faisons, malgré sa mort, qu’elle soit immortelle,
Que bravant le pouvoir de ses traits meurtriers,
Elle porte son cours jusqu’aux siecles derniers.
Et vous qui l’adorez, vous, augustes Licées,
Qui sous une forêt de palmes entassées,
L’avez par un beau choix receuë entre vos bras.
Au ravage des ans ne l’abandonnez pas.
C’est vostre Fille, il faut que vos soins, que vos veilles
Se consacrent sans cesse à chanter ses merveilles ;
Faites voir qu’à Sapho mille Ouvrages parfaits
Avoient acquis le droit de ne mourir jamais.
Mais quoy, Padouë icy ne m’offre que ses larmes,
C’est là l’unique soin qui pour elle a des charmes,
Arles n’ose à son tour répondre à mes desirs,
Et ses plus doux accens sont changez en soupirs.
Je ne reconnois plus ces Colleges celebres :
Ils n’offrent à mes yeux que des apprests funebres,
Et lorsque ma douleur y cherche du secours,
Un silence funeste y tient lieu de discours,
O silence éloquent ! il m’en dit davantage
Que ne fera jamais le plus pompeux langage,
Quand la douleur enfin arrive au plus haut point,
Elle se fait sentir, & ne s’exprime point.
Seray-je donc le seul à rompre le silence ?
Est-ce que ma douleur a moins de violence ?
Ah ! d’un tresor perdu connoissons mieux le prix,
Des regrets trop communs passeroient pour mépris.
Taisons-nous : c’est ainsi qu’un tel malheur s’exprime.
Mais luy refuseray-je un encens legitime ?
Non, faisons sur nous-même un genereux effort,
Oublions, s’il se peut, nostre peine, & sa mort.
Rejettons loin de nous une image si noire,
Et parlons seulement pour celebrer sa gloire,
Rome, tu me fournis un exemple si beau.
En vain tes Empereurs descendent au tombeau.
Tu sçais par un secret que ton amour t’inspire,
Elever ces Heros jusqu’au celeste Empire,
Et pour éterniser Sapho dans ces bas lieux,
Je prétens à mon tour la placer dans les Cieux.
Je sçay que c’est un soin qu’elle a pris elle-même,
Ses écrits sont garants de sa gloire suprême :
Je ne fais rien pour elle, & sa Prose & ses Vers
Volent sans mon secours aux bouts de l’Univers ;
Et quand de ses Vertus je retrace l’image,
C’est moins pour les chanter, que pour leur rendre hommage :
A qui pourrois-je mieux adresser mon encens ?
Mais quelle sainte horreur vient saisir tous mes sens !
Je ne voy plus Sapho que comme une immortelle,
Et dés le premier pas je sens que je chancelle :
Quel éclat tout à coup vient fraper mes regards ?
O Ciel ! que de rayons naissent de toutes parts !
Je ne puis soutenir cette splendeur divine,
Elle ébloüit mes yeux, lorsqu’elle m’illumine.
Ah ! c’est pour nous donner un jour cent fois plus beau,
Que Sapho se derobe à la nuit du tombeau.
Tel Phebus se cachant sous un nuage sombre,
Laisse pour quelque temps regner l’horreur & l’ombre,
Et dissipant enfin ce voile imperieux,
Remplit de sa lumiere & la terre & les Cieux.
Telle est mon Heroïne, & telle en sa lumiere :
J’envisage en tremblant sa brillante carriere,
Dans ce champ perilleux je crains de m’égarer,
Et ce n’est que de loin que j’ose l’admirer,
Que d’écrits immortels ! quelle moisson de gloire !
Les siecles à venir auront peine à le croire,
Et diront à l’aspect de ces riches tresors,
Que toutes les neuf Sœurs animerent son corps.
Qu’Apollon prit le soin de faire un tel miracle,
Qu’elle fut son Echo, qu’elle fut son Oracle.
Et que pour les beaux Arts nous prescrivant des loix,
Au reste des Mortels il parla par sa voix.
Elle a tous les talens de Rome & de la Grece.
Quelle solidité ! quel feu ! quelle justesse !
Quel brillant ! quel sublime ! elle n’ignore rien :
Quel Genie a-t-on vû plus vaste que le sien ?
Les Sciences, les Arts, & la Fable & l’Histoire
Occupent son esprit, remplissent sa memoire.
Tout cede à ses efforts, la Nature ny l’art
A ses regards perçans n’opposent nul rempart.
Quelle rapidité ! nos plus fertiles Plumes
Ont-elles mis au jour de plus nombreux volumes ?
Quels lieux ne brillent pas du nom de Scudery !
C’est un calme profond, qui jamais n’a tary,
Et quiconque le suit dans sa superbe course,
Admire également & sa fin & sa source.
Retraceray-je ici ces glorieux débats,
Où l’on ne voit germer, que palmes sous ses pas ?
La gloire de combattre une telle adversaire,
A ses fameux Rivaux tenoit lieu de salaire,
C’estoit vaincre pour lors, que d’oser resister,
Et meriter le prix, que de le disputer.
Mais voyons cette Muse en prodiges feconde
Attirer les bien-faits du plus grand Roy du monde :
Louis du vray mérite auguste Protecteur,
En découvre l’éclat du haut de sa grandeur,
Et se chargeant du soin de luy rendre justice,
Du sort ingenieux corrige le caprice,
Louis regne, il suffit : il protege en autruy,
Cette mesme vertu, que l’on révere en luy.
Tel jadis aux beaux Arts ouvrant un champ fertile,
Des Muses d’Ausonie Auguste fut l’azile,
Et pour les animer à d’illustres efforts,
Sur Maron & Flaccus répandit ses tresors.
Louis suit son exemple, & ses faveurs insignes,
Entre mille sujets choisissent les plus dignes ;
Les œuvres de Sapho sont comme autant de voix,
Qui d’un Heros si grand déterminent le choix ;
Il sçait ce qu’elle vaut, & son cœur magnanime
Ajoûte à ses presens sa precieuse estime :
Après de tels honneurs que peut-on desirer ?
Le Ciel est le seul bien, où l’on doive aspirer,
Toute affreuse qu’elle est, la mort nous paroist belle,
Qui nous ouvre un chemin à la gloire immortelle,
Sapho, sans balancer, en brave la rigueur,
Et la palme à la main, luy presente son cœur.
Mais que vois-je ? la Mort interdite, tremblante,
Laisse tomber Sapho de sa main chancelante,
Et dans un sang divin craignant de la tremper.
Jusqu’au vingtiéme lustre elle attend à fraper.
Ah ! sans doute la Parque autrefois implacable,
Au siecle renaissant veut estre favorable.
Deux siecles, de Sapho, devoient regler le sort,
L’un a vû sa naissance, & l’autre voit sa mort.
Et ceux qui les suivront, consacrant sa memoire,
Dresseront à jamais des autels à sa gloire.

Narcisse, ou le ridicule de l’amour-propre §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 99-107.

Voyez, Madame, si vous pourriez vous accommoder d’un Ami qui eut de sa personne tout le soin que fait remarquer cette Satire. Elle est de Mr de Villemont de Roüen.

NARCISSE, OU LE RIDICULE DE L’AMOUR PROPRE.

Narcisse l’autre jour estant à sa toilette
Je fus fort étonné qu’une odeur de Civette
Me saisit l’odorat en arrivant chez luy ;
Je le fus encor plus quand j’apperçus l’étuy
Qui sert toutes les nuits pendant que l’hiver dure
A garentir son nez de la moindre froidure.
Helas ! dis-je aussi-tost que ce secret est beau,
L’usage m’en paroît surprenant & nouveau ;
Cela s’appelle aimer, comme il faut sa personne ?
Peu de chose, Monsieur, reprit-il, vous étonne ?
Et pour me conserver j’ay bien d’autres secrets.
Par exemple, dit-il, pour avoir le teint frais,
Voici dans mes quarrez dix sortes de pommades,
Et lorsque j’ay les yeux échauffez ou malades,
J’ay des eaux dont l’effet est de les embellir,
Et qui servent encor à me faire dormir.
Je conserve mes dents avec un soin extrême.
Voicy d’une opiate, & je la fais moy-mesme
Rare par sa bonté, douce, par son odeur
J’ay pour les mains aussi des pastes de senteur ;
Essayez-en, Monsieur, & vous verrez sur l’heure
Qu’on ne sçauroit jamais en trouver de meilleure.
Ma main, dis-je au plustost, ne le mérite pas,
Je croy sans l’éprouver qu’on en doit faire cas.
Mais à quoy sert, Monsieur, cette poudre écarlate ?
Que je vois icy ? là, prés de vostre opiate ?
Est-ce quelque remede ? où ? dans ce papier fin ?
Un remede, Monsieur, comment ? c’est du carmin
Qui fait par sa beauté honte au rouge d’Espagne ;
Il faut estre, Monsieur, nourry dans la campagne
Où dans quelque autre lieu du moins aussi désert
Pour n’estre pas instruit à quoy le carmin sert ?
Etonné d’un discours si plein d’extravagance
J’en méprise l’auteur, en gardant le silence,
Et sans luy témoigner la moindre émotion
Je regarde & j’écoute avec attention
Tout ce que fait & dit cette teste legere.
Il appelle à l’instant Doris, sa ménagere.
Elle entre & luy presente un bouillon succulent
Qu’il avale aussi-tost, & qu’il trouvent excellent.
Il lave aprés ses mains, les essuye & se mouche,
Nettoye aussi ses dents, lave ses yeux, sa bouche
En grimassant tres-fort devant un grand miroir.
Ensuite se servant d’un coin de son mouchoir,
Il s’en frotte long-temps tout le bas du visage,
Et puis de ce carmin dont j’ignorois l’usage
Je le vois qu’il s’en peint en cinq ou six endroits
Sur les lévres, la jouë & jusqu’au bout des doits,
Quand cela fut finy, son Valet, nommé Basque,
Luy met au mesme instant sur le visage un masque
Et dépapillotant aprés tous ses cheveux
Il le peigne, l’essence & le poudre des mieux.
Narcisse met enfin un habit d’écarlate.
Dont la magnificence étonne, enleve, éclate
Par la quantité d’or dont on le voit couvert
Et prenant son chapeau garny d’un plumet verd,
Il faut bien-tost, dit-il, que j’aille à la toilette
Où je sçay que m’attend l’adorable Lysette.
Voicy l’heure à peu prés, Monsieur, que je m’y rens ;
Je suis chargé du soin de noüer ses rubans.
C’est moy tous les matins qui fait tout auprés d’elle,
Je la sers beaucoup mieux qu’aucune Demoiselle :
Je chauffe sa chemise & trousse son manteau,
Je luy donne moy-mesme un boüillon de gruau :
A mon intention je luy place une mouche,
J’accompagne le luth de quelque air qui la touche,
Et j’obtiens un baiser pour mon remerciment
Dont le seul souvenir cause un plaisir charmant,
Souvent en cet estat je ne me sens pas d’aise,
Pour m’y rendre au plûtost, je vais me mettre en chaise,
Adieu ? mais à propos j’oubliois mon mouchoir ?
Ay-je des curdents, des mouches, un miroir ?
Et mes gands, je les vois, là sur ce Canapée,
Je sortirois cent fois plustost sans mon épée,
Que de ne pas avoir avec moy tout cela.
Il va jusqu’à sa chaise en chantant la, la, la,
Et me laissant témoin de son ample folie,
Du moins pour m’en vanger faut-il qu’on la publie.

Conseil à la plus insensible des bergères §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 135-140.

La Piece qui suit contient un avis dont peu de jolies personnes paroissent avoir besoin.

CONSEIL
A la plus insensible des Bergeres.

Jeune & belle Aminte
Au cœur indolent,
Sans espoir ny crainte
Dans ce lieu charmant,
Voulez-vous sans cesse
Aux tristes plaisirs,
D’un cœur sans tendresse
Borner vos desirs ?
Quoy ! toujours rêveuse
Sans estre amoureuse,
Faudra-t-il vous voir ?
Et toujours severe,
Du Fils de Cithere
Braver le pouvoir ?
Ah ! craignez les armes
De ce Dieu vangeur ;
Le moins tendre cœur
En vain de ses charmes
Brave la douceur ;
Quand pour nous surprendre
Il marque le jour ;
Aucun vain détour
Ne peut nous défendre.
Le devoir se tait,
La raison s’égare,
Et d’un feu secret
Nostre ame s’empare.
C’est alors qu’en vain
On cache sa flâme,
Les regards soudain
Expliquent de l’ame
Les troubles naissans,
Qui flatent les sens.
Ouy, jeune Bergere,
Vous avez beau faire,
Malgré vous un jour
Viendra vostre tour.
Tost ou tard sensible
Aux soins amoureux,
Ce cœur inflexible,
Formera des vœux.
Que sera-ce, Aminte ;
Quand pendant le cours
De vos plus beaux jours,
Par force ou par feinte,
Vous éviterez
La charmante atteinte
Des amoureux traits ?
Sans inquietude,
Sans soins, sans soucy,
Sans plaisirs aussi,
Dans la solitude,
De vos jeunes ans
L’ennuyeux Printemps
Finira sa course.
Alors sans ressource,
De pouvoir charmer,
Vous voudrez aimer.
Ah ! puis que vos charmes
Regnent en ces lieux,
Et que vos beaux yeux
Font rendre les armes
A tous nos Bergers,
D’un retour funeste
Fuyez les dangers,
Et je vous proteste,
Que si vostre cœur
D’une tendre ardeur
Suit la douce pente ;
Vous éprouverez
Et vous conviendrez
Contre vostre attente.
Que si les desirs.
Que l’amour inspire
Coutent des soupirs,
Il ne les attire.
Que pour nos plaisirs.

[Rondeau] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 140-142.

Mr Alison est Autheur de ces Vers, aussi bien que du Rondeau que vous allez lire. Il le fit à l’occasion d’une Dame qui fuyoit le commerce des hommes, & qu’on accusoit cependant d’avoir beaucoup de penchant pour un Cavalier qui l’aimoit passionnément. Il fait parler la Dame.

RONDEAU.

Tendres Desirs naissent sans qu’on y pense ;
Ecoutât-on long-temps sans preference
De maints Amans les plaintes & douceurs :
L’Amour souvent se glisse dans les cœurs
Par le secours d’une telle indolence.
***
Aussi le mien, crainte de dépendance
De tels essais ne fait experience.
Ainsi ne craint, loin des hommes trompeurs,
Tendres Desirs.
***
Mais si Damon dont je plains la souffrance
Me surprenoit, malgré ma prévoyance,
Dans un lieu propre aux timides ardeurs ;
Au doux recit de ses tristes langueurs,
Pourrois-je bien vous faire resistance,
Tendres Desirs ?

[Ode] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 143-151.

Je ne puis vous dire qui est l’Autheur de la piece que vous allez lire. La Poësie en est aisée & fait plaisir au Lecteur Il y décrit agréablement les effets du Quinquina pour arrester la fiévre continuë, la fiévre tierce, la double tierce, & la quarte.

ODE.

O que de bon cœur je t’embrasse,
Dans cet embonpoint refleuri.
Si ta fiévre a quitté la place.
Amis c’est moi qui t’ai gueri.
Ton corps en proye à l’ordonnance,
Contre la manne & l’abstinence.
Par mes conseils se mutina,
Et de cent frissons homicides
Tu rendis tes planchers humides
Pour recourir au Quinquina.
***
Je me moque de la colere
De ces honnêtes assassins
Que l’ignorance populaire
Ose ériger en Medecins.
L’avarice qui les possede
Leur fait fronder ce grand remede,
Que je fais gloire de chanter.
De quel martire il nous délivre !
Estre malade, n’est pas vivre,
Mais vivre c’est se bien porter
***
Quel noble employ divine drogue,
Dans la France t’a donné cours ?
Quelle santé t’a mise en vogue ?
De qui te devons nous les jours ?
D’un Heros, l’amour de la terre,
Qui dans la Paix & dans la guerre
S’est fait un renom éclatant,
Du plus grand Roy, du plus grand homme.
Qu’est-il besoin que je le nomme ?
L’un & l’autre monde m’entend.
***
On vous quitte, Indes fortunées ;
De vos perles & de vostre or ;
Prolongez ses belles années
Autant que celles de Nestor.
Pour luy fournir cette antidote
Vous verrez courir nostre flote
Au dernier bout de l’Ocean,
Nostre zele pour son service.
Ira plus loin que l’avarice
Braver le fougueux ouragan.
***
Heureuses les rives du Gange.
Où, quand Jupiter l’ordonna,
Une Metamorphose étrange
Changea Pandore en Quinquina !
Il voulut que sa messagere
Pût sous cette écorce legere,
Guerir le mal qu’elle avoit fait,
Et que l’Esperance restée
Au fond de sa boeste empestée
Répondit le plus prompt effet.
***
Peut-on plaindre son aventure,
Qui luy fait recevoir du sort
Un tel pouvoir sur la nature
Un tel empire sur la mort ?
La fiévre ennemie échauffée,
Luy cede un glorieux trophée
En quittant prise à tous momens,
De son attaque continuë
Cette rebelle diminuë
A tout coups les redoublemens,
***
Soit que le combat & la Tréve,
S’entre-succédant tour-à-tour
En un jour le combat s’acheve,
Et la Tréve expire en un jour ;
Soit que la Guerre estant plus vive
Une Tréve courte & tardive
Suive deux assauts furieux ;
Un peu de poussiere avalée
De cette inconstance mêlée
Nous fait sortir victorieux.
***
Quand une frilleuse maudite
Trainant un incendie affreux
De deux en deux jours nous visite
Sous le scorpion dangereux ;
Contre elle est-il d’autre refuge
Qu’en ce souverain Febrifuge
Qui la chasse de nos maisons,
Bien qu’elle eut retenu sa place
Pour se chauffer durant la glace
A la braise de nos tisons ?
***
Que du tonnerre on nous réponde
Et du fil des glaives tranchans ;
Comme au premier âge du monde
Nous allons vivre neuf cens ans.
Pour peu que nostre sang s’altere
Sur cette poudre salutaire
Ses boüillons se viennent briser,
Comme les vagues que l’orage,
Pousse sur les grains du rivage,
L’applanissent pour les baiser.
***
Mais j’entens une injuste plainte
Au retour de quelques accés
Qui suivent une fiévre éteinte
Ou suspenduë avec succés.
La nourriture empêche-t-elle
Que la faim ne se renouvelle ?
Et l’usage en est-il mauvais ?
Heureux termes de nos allarmes
Par une suspension d’armes
Tu nous prépares à la Paix.
***
Ton instinct te porte à droiture
Au foyer ardent & glaçant
Où se ramasse la pâture
D’un feu mourant & renaissant.
Tu détruis les causes fatales
Qui vont reglant les intervalles
Des periodiques frissons,
Dont l’impenetrable mistere
Réduit Galien à se faire
Pour n’y pas perdre ses leçons.
***
De la lancette insatiable,
Que tu sauves de bras heureux !
Que ton amertume agreable
Bannit de poisons doucereux.
Avec elles tu congedies
Ceux qui flatent nos maladies :
Qui peut dire ce que tu vaux
Ta rare puissance extermine
Nos maux avec la Medecine
Qui fait le comble de nos maux
***
Mais ô l’agreable merveille !
Brave Alcandre, l’ignores-tu ?
Sans le nectar de la Bouteille
Ce remede a peu de vertu
Garde toy de paroistre indigne
Du jour que tu dois à le vigne ;
Son jus t’a tiré du tombeau :
Tiens-t-en à l’usage d’en boire,
Ton ombre eust passé l’onde noire
Si le sort t’eust fait beuveur d’eau.

Les désirs. Ode §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 151-158.

Voici une Ode qui ne vous plaira pas moins que la premiere. Elle est du même Auteur.

LES DESIRS.
ODE.

L’Heureux, s’il en estoit au monde,
Ce seroit l’homme sans desirs ;
Dans le sein d’une Paix profonde
Il goûteroit de vrais plaisirs.
Mais la cupidité sans cesse
L’aiguillon à la main nous presse,
Et nous met tous en mouvement,
En courant nous quittons la source
D’un bonheur qu’au bout de la course
Nous nous promettons vainement.
***
Pour un souhait que l’on contente
Quand on est cheri des destins,
On en sent éclore cinquante
Plus irritez & plus mutins.
Le mal s’aigrit par le remede,
On compte tout ce qu’on possede
Ou pour peu de chose ou pour rien,
Et les mortels toujours avides
Se trouvent toujours les mains vuides
Quand même ils regorgent de bien
***
Cent chimeres ébloüissantes
Enflâment un Ambitieux
Par des manieres attirantes
Propres à séduire ses yeux.
Dans leur beau cercle qui l’entoure
Il ne sçait à laquelle courre
Ni de laquelle s’éloigner,
Tour-à-tour elles le cajolent
Et tour-à tour elle s’envolent
Quand son cœur s’est laissé gagner,
***
Malheureux qui lâche la bride
A ses désirs immoderez
Qui vont à l’aveugle & sans guide
De la droite voye égarez
Ah qu’il seroit bien plus facile
D’empêcher leur foule indocile
D’ouvrir la porte & de sortir,
Que du milieu de la carriere
Les faire tourner en arriere
Quand on les a laissé partir !
***
Alors par mille intrigues vaines,
Par mille bizarres projets
Des plus réjouissantes Scenes
On aime à fournir les sujets.
Tel croit qu’enfoncé dans la bouë
La fortune au haut de sa rouë
Le va produire incessamment.
Tel fait des vœux, né sous le chaume,
Qui demanderoient un Royaume,
Pour estre assouvis pleinement,
***
Qu’as-tu pardessus tes semblables
Pour te tirer de leur niveau ?
Veux-tu d’aprés celuy des Fables
Nous peindre un Icare nouveau,
Je veux que ton aile assez forte
Jusqu’au sein des grandeurs te porte,
Plus grand, tu seras moins heureux.
L’honneur fastueux qui t’amorce,
Et le plaisir, ont fait divorce,
C’est à toy de choisir entre-eux.
***
La raison n’est guerre écoutée
Parmi les agitations
D’une multitude emportée
D’impétueuses passions.
Quand les vents débouchent leur grotte
A quoy te sert, triste Pilote,
Et ton genie & ton travail ?
L’effroyable orage qui gronde
A la violence de l’onde
Fait obéir ton gouvernail.
***
Alexandre, Foudre de guerre,
Quel soin vous déchire le cœur ?
Chaque Planete est une Terre,
M’a dit un celebre Docteur.
Et qui vous empêche d’en rire,
Grand Conquerant ? Ah ! j’en soupire,
Tant des terres ! malheur à moy !
A peine en ai-je conquis une ;
Quand verrai-je que ma Fortune
Les range toutes sous ma loi ?
***
Adieu, seul charme de la vie
Sacrifié mal à propos,
Adieu seul bien digne d’envie
Repos, souhaitable le repos.
En te cherchant on t’abandonne
Par les mouvemens qu’on se donne
Pour joüir d’un tranquille sort,
On t’a trouvé dés qu’on s’arrête :
Pour ne plus craindre de tempête
Que ne se tient-on dans le Port ?
***
Cleon, fais sonner la retraite,
Ramene au Camp tes Etendars
Avec la milice inquiéte
De tes bien faits trop loin épars.
Tant de tentatives les lassent
Et tant d’objets les embarassent ;
Rien ne contente en ce bas lieu.
Montre-leur hors de nôtre sphere
Tout ce qui peut les satisfaire :
Leur paisible centre est en Dieu.

[Service solemnel fait à S. Omer.]* §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 193-210.

On a fait depuis quelques jours aux Jesuites Anglois de saint Omer un Service solemnel pour le feu Roy Jacques II. qui surpasse en magnificence tout ce qu’on a encore vû en ce pays là. Il seroit difficile de vous exprimer toutes les beautez de cette lugubre ceremonie. L’Eglise estoit tenduë de noir depuis la voûte jusqu’au bas, & elle estoit éclairée que par la lumiere des Cierges, & des Flambeaux. Le grand Autel paroissoit orné de divers Ecussons, dont un soutenu de six Anges remplissoit toute la place du grand Tableau. Audessus de celuy-cy on voyoit trois autres Anges, dont le premier tenoit en sa main une bande dans laquelle estoit marqué l’année de la mort du Roy d’Angleterre. Deux autres Anges placez un peu au dessous, tenoient la Devise de ce Monarque, Dieu est mon droit. Il y avoit sur l’Autel huit grands Chandeliers d’argent, & sur le grand Tabernacle un grand Crucifix aussi d’argent. La Messe fut chantée Pontificalement par Mr l’Abbé de Saint Bertin assisté de ses Religieux. La Musique estoit composée des meilleures voix & des plus rares Instrumens qu’on pust trouver dans le pays, & l’Oraison funebre fut prononcée par un P. Jesuite du College Wallon. La ceremonie commença vers les neuf heures & ne finit qu’à midy. L’Auditoire estoit composée de tout ce qu’il y avoit de plus considerable dans le pays, & les Gardes qui estoient à la porte, ne permettoient qu’aux personnes invitées par billet d’entrer dans l’Eglise.

Le Mausolée estoit dressé sur trois marches au milieu de l’Eglise vis-à-vis la Chaire du Predicateur ; La premiere de ces marches avoit onze pieds de largeur, & dix sept de longueur. Le corps du Mausolée estoit long environ de quinze pieds & large de huit. Il avoit differens étages, dont le plus bas estoit élevé à huit pieds de terre & à trois des marches sur lesquelles il étoit posé. Le deuxiéme étage pouvoit avoir dix pieds de hauteur. Il estoit couvert d’un lit funebre soutenu par quatre piliers entrelassez. Le troisiéme avoit aussi dix pieds de hauteur avec une espece de Dôme par dessus. Au haut du Dôme un Lion d’un costé & une Licorne de l’autre soutenoient une Couronne de deux pieds de diametre. On voyoit sous la Couronne une touffe de Roses d’un costé, & de l’autre des Chardons, & des Devises des Maisons Royales d’Yorch & de Stuart.

La Couronne & les Supots pouvoient à voir cinq pieds de hauteur, & toute la machine estoit élevée de terre d’environ trente huit pieds. Je ne vous dis rien des embelissemens de chaque estage du Mausolée ; je vous diray cependant ce qui suffira pour en former une idée generale.

La Couronne estoit toute couverte de perles & de diamans qui brilloient admirablement par la lumiere des Cierges. Le Dôme au dessous estoit percé à jour & tres bien éclairé par quatre vingt seize flambeaux placez par estage les uns sur les autres.

Le troisiéme estage du Mausolée immediatement au dessous du Dôme, estoit soutenu de quatre grands pilliers quarrez avec leurs chapiteaux fort larges & bien travaillez. Devant chaque pillier on voyoit un squelette d’environ six pieds ; l’un montroit un Quadran qui marquoit l’heure de la mort du Roy ; l’autre tenoit à la main un sable, le troisiéme une faux, & le quatriéme avoit un carquois au costé, & tenoit en une main un Arc, & avoit la teste appuyée sur l’autre. Au dessus des chapiteaux on voyoit quantité de testes de mort, & au dessus il y avoit un grand & large, quadre si bien peint, que ceux mesmes qui sçavoient que ce n’estoit qu’une planche toute unie, avoient de la peine de se le persuader. A chaque coin de ce quadre on avoit placé une teste de mort. Dans cet estage on avoit placé une Urne où estoient les entrailles du Roy. L’Urne estoit couverte de velours noir & de drap d’argent en forme de croix. Il y avoit autour de cette Representation cinq grands chandeliers d’argent, deux de chaque costé, & un au bout vers l’Autel. A l’autre bout il y avoit trois cierges placez sur un grand cœur d’argent, d’où sortoient trois branches qui servoient de chandelier. Sur l’Urne immediatement au dessous du Dôme pendoit une belle Lampe d’argent, & dedans un cierge allumé.

Le second estage estoit soutenu aussi de quatre pilliers, mais d’un ouvrage tout different des premiers. Les deux bouts estoient frisez mêlez de noir & d’Hermine. Le milieu estoit d’un ouvrage plus commun, le fond estoit noir parsemé de roses rouges & blanches, & il estoit separé des frisures des piliers par une Couronne couleur d’or, comme aussi les piliers de leurs chapiteaux. Les Couronnes qui estoient chargées de diamans faisoient un tres-bel effet. Il y avoit sur les chapiteaux une pante couverte de palmes mises en sautoir, & de testes de Lions d’où pendoient des guirlandes de feüilles de chesne dont plusieurs estoient argentées & au haut de l’étage il y avoit un grand quadre aussi bien peint que celuy dont on a déja parlé. Au bas des piliers sur de grands piedestaux, il y avoit deux lions & deux licornes qui soulevoient l’étendart Royal avec les armes du Roy des deux costez. Dans cet estage sur un beau lit de parade on avoit placé la répresentation du Roy. Le lit estoit couvert de noir bordé d’hermine & un écusson de chaque costé. A la teste du lit il y avoit deux grands chandeliers d’argent bien dorez avec deux banquettes de velours noir de chaque costé couvert d’un carreau de velours sur l’un desquels étoit l’épée & le sceptre, & sur l’autre une belle & grande Couronne d’argent. Le corps étoit couché sur le lit habillé à l’antique d’un velours couleur de pourpre tout brillant d’or & de pierreries, sur le corps paroissoit le Manteau Royal, & la teste estoit couverte d’une perruque. Les deux mains estoient jointes & élevées un peu au dessus de sa poitrine. Six belles Lampes d’argent pendoient d’entre les guirlandes sur le corps. Le ciel du lit estoit orné de Couronnes d’hermine & de sceptres. Aux quatre coins on voyoit les chiffres du Roy & au milieu ses armes.

Le dernier & plus bas étage estoit une espece de table, d’Autel qui soutenoit le reste du Mausolée, les bords estoient de marbre blanc & au dessus il y avoit une large corniche, le fonds estoit noir, mais presque entierement caché par plusieurs grands tableaux qui pendoient des quatre costez. Au haut on voyoit la ville de Londres avec ses armées dans le coin d’embas, & au dessus des armes de tout le Royaume. Edimbourg étoit placé de la mesme maniere du costé de l’Evangile. Vers l’Autel il y avoit un grand Ecusson qui remplissoit toute cette face. Les marches aussi bien que les pavez estoient couvertes d’un drap noir, & sur les marches il y quarante-sept grands chandeliers d’argent.

Outre tout ce que je viens de vous dire on avoit élevé de chaque coin de la derniere marche un grand pilier de 28. pieds de hauteur. Les piédestaux estoient de forme triangulaire & pouvoient avoit quatre pieds de profondeur & deux de largeur. Ils estoient couverts d’un drap noir, & à chaque costé il y avoit un grand Ecusson des Armes entieres. Chaque pilier avoit huit branches entortillées à égales distances l’une de l’autre. Sur chaque branche il avoit cinq flambeaux placez en rond, de sorte que sur les quatre piliers il y avoit cent soixante flambeaux. Au haut de chaque pilier estoit un grand globe qui pouvoit avoir deux pieds de diametre. On voyoit sur les globes les principales parties d’Angleterre d’Ecosse, d’Irlande. Sur deux de ces globes il y avoit un lion, sur les deux autres une licorne qui supportoit l’étendart Royal avec les Armes.

Tout le long de l’Eglise on avoit posé des lustres de sorte qu’en tout il y avoit trois cens cinquante huit luminaires de cire, soixante deux chandeliers d’argent, sept lampes d’argent, & un grand cœur d’argent à trois branches. Il y avoit pour le moins cent Ecussons.

Le service estant achevé. Il fallut laisser entrer le peuple qui ne pouvoit se lasser d’admire la structure du Mausolée. On le laissa depuis le Jeudy jusqu’au Mardy suivant & on peut dire qu’il y avoit une procession continuelle des gens qui venoient le voir de tous costez.

[Etrennes] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 210-224.

Je vous envoye des Vers donnez pour Etrennes à Mademoiselle d’Elbeuf. Ils sont de Mademoiselle de la Force.

ETRENNES.

Je vous ay reçuë en naissant,
Et je vous aimois dans vos langes,
Je dois m’interesser à toutes les loüanges
 Dont on va vous applaudissant.
***
Mais je juge par moy ; plus je vous examine,
 Plus je vois que vous répondez
 Au noble sang à l’illustre origine
 Des Heros dont vous descendez.
***
Vous répondez encor aux soins dont vôtre Mere
 Vous façonne si prudemment,
De si bonnes leçons ne peuvent que vous faire
 Du monde l’entier ornement.
***
Je penetre, je sçay tout ce qu’elle desire.
Oserois-je entre nous vous parler librement ?
 Jeune Princesse, assurément,
Mes conseils seront tels que vous pourrez les lire.
***
La Cour est un pays qu’autrefois j’habité,
A mes propres perils j’en parle avec science ;
 Dans ces lieux glissans, l’innocence
Ne peut que rarement marcher en seureté.
***
Voicy comme à peu prés une fille bien née
 Devroit regler sa destinée.
***
Mais, oh ! me dira-t’on, de quoi vous mêlez vous ?
Est-ce à vous à tenir un austere langage ?
De preceptes, de mœurs, connoissez vous l’usage,
 Sans nous abuser pouvons nous
 Entendre vos avis, les suivre.
 Oüy, l’on le peut, je vais poursuivre.
***
Le Ciel gouverne tout, il a pû voir en moy
Les longs égaremens de la folle jeunesse ;
Mais dans tous ces dangers le secours de ma foy
A delié le joug plein d’horreur & d’effroy,
Qui me tenant captive sous sa loi
A mon cœur agité causoit tant de tristesse.
***
 Le Tout puissant par sa bonté,
Pour un humble pecheur est remply de tendresse,
 Et si-tôt qu’on l’a merité,
On goûte le doux fruit de sa sainte promesse.
***
Princesse, écoutez donc, écoutez mes avis,
Heureuse quelque jour de les avoir suivis !
 Heureuse en un âge si tendre !
 Si vous pouvez les bien comprendre.
***
Le monde est semblable à la mer,
 On y ressent d’impetueux orages,
Le fragile vaisseau, qui sur son flot amer,
 Vogue toûjours loin des rivages,
 Est sujet à perir, si le sage Nocher
Ne regarde le Ciel pour suivre sa carriere ;
 C’est-là qu’il puise une lumiere
Qui des bords desirez le peut faire approcher.
***
 Il faut ainsi que vôtre cœur s’éleve
Vers l’Etre tout-puissant qui gouverne icy bas,
Qu’il conduise vôtre ame, & qu’il guide vos pas ;
 Sa pieté sincere acheve
De rendre le Chrétien en tout tems, en tout lieu
 Digne des faveurs de son Dieu.
***
 Suivez cette regle certaine,
 Avec la pieté tout vous succedera,
Vous pourrez soutenir la plus cruelle peine
 Son secours la dissipera,
Je sçay par mon experience
Les biens que l’on reçoit de sa seure assistance.
***
 Lorsque vôtre premier réveil
A fait évanoüir les erreurs du sommeil,
Que de vos sens seduits vous reprenez l’usage,
Offrez vous entiere au Seigneur,
Avec le jour naissant rendez-lui vôtre hommage,
Que d’une bouche pure un sincere langage
 Luy presente tout vôtre cœur.
***
Quand vous ferez l’honneur des plus superbes Fêtes,
Ou que vous brillerez aux divertissemens,
Et que de tous les cœurs vous ferez des conquêtes,
Pour vous donner à Dieu prenez quelques momens.
***
 C’est ainsi que faisoit en France
 Une Dame dans la regence, *
Qui soumit un Heros à l’aspect de la Cour,
 Ses yeux allumerent l’amour,
 Sa vertu luy fit resistance.
***
Vous avez des attraits qui peuvent tout charmer ;
Princesse, on vous dira qu’il est bien doux d’aimer,
D’un discours suborneur évitez la poursuite,
Il enflâme les sens d’un dangereux poison :
Si l’on n’est soutenu de toute sa raison,
 Que l’on doit en craindre la suite.
***
Quels dégouts en amour ne sont point essuyez ?
Ses tourmens sont cachez sous un voile funeste.
  Fuyez,
 C’est le seule party qui vous reste.
***
Dans les jeux pleins d’esprit on s’amuse souvent,
 La jeune Cour de la Princesse,
 Faites voir de la politesse
 Dans un caractere brillant.
***
Imitez s’il se peut, cette Princesse aimable,
S’il se peut rendez-vous comme elle inimitable,
Dérobe de son feu quelque éclat precieux.
 Sans apprehender sa colere
La Fable nous apprend qu’un autre temeraire
 Fit un vol bien moins glorieux.
***
Egayez vos plaisirs jusques aux moindres choses ;
Que pourtant la pudeur en arrête le frein,
Cette aimable pudeur est sur un jeune tein,
 Ce que l’incarnat est aux roses.
***
N’enviez jamais rien, excusez les défauts
 Qui se rencontrent dans les autres,
 Pensez en même tems aux vôtres ;
Ayez des sentimens honnêtes, nobles, hauts ;
***
Modestement tâchez de plaire,
D’une exacte droiture observez bien la loy,
Il faut être pour tous comme l’on est pour soy,
Pesez sans preference au poids du Sanctuaire,
Et faites qu’en vos mains tout soit de bon aloy.
***
Vous avez devant vous le plus parfait modele ;
Mais qui peut imiter cette illustre mortelle ?
L’Eternel n’a formé qu’un Soleil pour les Cieux,
Et la terre n’a qu’elle à montrer à nos yeux.
***
Princesse, vous voyez de bien prés ces merveilles,
Vous pouvez vous former sur de grandes leçons.
 De ces recits les divins tons
 Frappent de bien loin mes oreilles,
Mais je ne vois pas moins d’icy vôtre bonheur,
 Vous commencez vôtre carriere
Sous le regne pieux d’un Roy plein de splendeur,
 De la vertu le digne possesseur ;
 Suivez ces traces de lumiere.
1

Comme vous aurez sans doute appris la mort de Mademoiselle d’Elbeuf, arrivée le mois passé au Convent des Filles de Sainte Marie, où elle estoit, vous serez peut-estre surprise de voir qu’on envoye des Etrennes ce mois cy à Mademoiselle d’Elbeuf. Pour faire cesser cet embarras, je vous diray que Mademoiselle d’Elbeuf à qui Mademoiselle de la Force donne des avis si judicieux & si dignes d’estre lus par toutes les jeunes personnes qui entrent à la Cour, est une jeune Princesse dont la beauté & l’esprit naissant promettent beaucoup, Fille de feu Mr le Duc d’Elbeuf. Pere de Mr le Duc d’Elbeuf d’aujourd’huy, qui avoit épousé Mademoiselle de Navailles, Fille du Maréchal de ce nom, en troisiémes Noces. Mademoiselle d’Elbeuf qui mourut le mois passé âgée seulement de dix-sept à dix-huit ans, estoit Fille de Mr le Duc d’Elbeuf d’aujourd’huy & de Mademoiselle de Vivonne, Fille de Mr le Maréchal Duc de Vivonne, & d’une Sœur de Mr le President de Mesme.

Epître §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 224-229.

L’Epistre suivante a esté adressée à Mademoiselle de la Force, sur les Vers qu’elle a faits pour Mademoiselle d’Elbeuf.

EPITRE.

Qu’on ne s’étonne plus dans le siècle où nous sommes,
De voir que le beau Sexe égale les grands hommes ;
Nous vante qui voudra les ouvrages nombreux
Qu’ont produit de nos jours les Poetes fameux ;
La Force & Scudery, Bernard & Deshoulieres
Approchent sans flatter des Boileaux, des Molieres ;
Les Vers, sçavante Iris, que tu viens de chanter,
Feront avec honneur le beau Sexe vanter.
Plus on lit ton ouvrage, & plus il force à dire
Que du Ciel en naissant tu reçus l’art d’écrire ;
Et qu’il rassemble en toy les dons & les faveurs
Dont il sçut enrichir chacune des neuf Sœurs,
La politesse & l’art, la force & l’énergie
Sont les graces qu’on voit dans cette Poesie ;
Il est vray que tu sçais par mille nouveaux traits
Exposer à nos yeux de fidelles portraits.
Rien n’égale ton tour, ton stile, tes maximes,
Tu connois les bons mots, tu possedes les rimes,
Ta lyre enfin, Iris, estant toûjours d’accord,
Fait que tu te soûtiens sans faire aucun effort.
Les preceptes choisis, qu’en habile maistresse,
Tu donnes pour former une jeune Princesse
Font bien voir que tu sçais ce que cause l’amour.
Et comme il faut agir pour bien vivre à la Cour.
Je sçay que la vertu, l’esprit & la prudence
Sont des dons naturels aux gens de sa naissance,
Qu’une Fille qui sort du sang des Demi-dieux
Ne peut jamais manquer en marchant aprés eux :
Cependant les conseils d’une sçavante Amie
La rendent plus parfaite & Princesse accomplie,
Ton cœur à découvert sçait luy tracer un plan
Pour soutenir par tout l’éclat d’un si haut rang,
Tes charmantes leçons font voir avec adresse
Que tu possedes l’art d’instruire une Princesse,
En suivant tes avis, en pratiquant tes loix
Elle est seure de plaire au plus parfait des Rois,
Mais pourquoy nous surprend un si noble genie ?
N’as-tu pas à la Cour passé toute ta vie,
Ne sçait-on pas quel est ton rang & ta maison !
Tes Ayeux n’ont-ils pas fait respecter leur nom ?
Nourrie auprés des Rois, tu dois bien être instruite
Des maximes de Cour & de toute sa suite,
Plus qu’aucune autre, enfin, penetrant ses secrets
Tu peux nous en instruire avec d’heureux succès,
Et par tes beaux avis qu’un Courtisan doit suivre
Nous tracer le chemin d’y briller & d’y vivre ;
Mais à present, Iris, hors de cet embaras
D’un estat plus heureux tu goûtes les appas.
Dans le Vallon sacré du Pere des neuf Muses
A luy faire ta Cour maintenant tu t’amuses.
C’est là que ton esprit sçait joüir des douceurs
Qu’on goûte à se mêler au chœur de ces neuf Sœurs,
Qu’en passant tes beaux jours aux charmes de l’Histoire
Tu fais graver ton nom au Temple de Memoire,
Et que par les beaux Vers que tu fais aujourd’huy,
Du Sexe, tu deviens l’ornement & l’appuy.

[Retour de la santé de Mr Fagon] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 237-245.

Les Vers qui suivent sont faits par Mr Diéreville, dans le temps que l’on se préparoit à tailler Mr Fagon.

Quel bruit ! quel triste bruit tout à coup se répand !
Quoy, du plus grand des Rois qui regnent sur la terre,
Le Premier Medecin est atteint de la pierre,
Et l’on va le tailler dans ce danger pressant !
Nous implorons ton assistance
Ah ! Seigneur, conduis bien la main de Maréchal,
Dans cette funeste occurrence,
Qu’il acheve par toy de guerir ce grand mal.
La santé de Fagon, Seigneur, t’est précieuse,
Il entretient celle d’un Roy
Qui fait suivre ta sainte loy
Malgré l’heresie odieuse
Qui cent fois à voulu s’élever contre toy.
En conservant l’Auteur d’une santé si chere,
De tes sacrez Autels tu soutiendras l’appuy,
Et tu feras enfin, exauçant ma priere,
Plus pour toy-mesme, que pour luy.

Quoy que Mr Fagon soit connu pour un des plus sçavans hommes qui ayent jusqu’icy professé la Medecine, & que cette verité ne puisse estre combattuë, puisqu’il est impossible que tout homme qui a infiniment de l’esprit & qui s’applique uniquement à une chose sans estre dissipé par aucuns plaisirs, & par aucune autre occupation, ne devienne pas le premier homme du monde dans les connoissances qu’il cherche à acquerir.

Quoy que son grand desinteressement l’eust fait admirer même dans le temps qu’il auroit dû estre plus interessé, ainsi que la prudence & la raison se demandent d’un homme qui n’épargnoit rien pour se rendre parfait dans son art.

Quoy qu’enfin il se fust distingué par toutes les qualitez qui peuvent faire estimer un homme d’une profonde érudition & d’un merite personnel generalement reconnu, la fermeté dont il estoit capable estoit encore inconnuë, & il l'a peut estre ignorée luy mesme jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion d’en faire paroistre des marques. On n’en peut donner de plus fortes que celles qu’il a fait voir tant qu’à duré l’operation de la taille. Cette operation est aussi perilleuse que douloureuse. Cependant le sens froid qu’il a conservé doit causer un étonnement qui ne luy peut estre que glorieux, s’estant entretenu avec Mr Marechal pendant tout ce temps sans laisser échaper le moindre mot qui marquast ce qu’il souffroit, ny donner mesme aucun signe qui le pust faire connoistre. Ceux qui refusent leur estime, & leur admiration à tout ce qui n’a point esté fait par les anciens, auroient de la peine à faire voir dans l’antiquité un exemple de fermeté plus remarquable dans toutes ses circonstances.

Quoy qu’on fust persuadé de l’estime, & mesme de la tendresse que le Roy avoit pour Mr Fagon, s’il peut m’être permis de me servir du mot de tendresse, l’estat où il s’est trouvé a fait voir qu’elle alloit au delà de tout ce qu’on peut s’imaginer, ce qui a paru par tout ce que ce Monarque a fait pour luy & pour sa famille, je ne le repete point, je diray seulement que Mr Maréchal ayant refusé trois cens louis d’or que Mr Fagon luy avoit envoyez, cet habile Chirurgien se trouvant trop recompensé du plaisir d’avoir servy l’Etat en contribuant au retour de la santé de Mr Fagon, le Roy qui le sceut, dit, que c’estoit son affaire & que Mr Maréchal ne le refuseroit pas, de sorte que Sa Majesté luy envoya quatre cens louis au lieu des trois cens qu’il n’avoit pas voulu accepter.

Enfin l’état où s’est trouvé Mr Fagon a fait voir dans quelle haute consideration il estoit à la Cour, & même dans toute la France, où chacun a donné des marques de la crainte qu’il avoit que le Roy ne perdist un homme si rare, qui estant utile à sa santé, estoit par consequent tres-necessaire à l’Etat.

Voicy des Vers faits par le mesme Mr Diéreville dont je vous ay parlé au commencement de cet article. Ils sont sur le rétablissement de la santé de Mr Fagon.

Ma Muse bannissons nostre douleur muete,
Chantons, nos veux sont accomplis,
Le premier Medecin du Monarque des Lys
N’a plus rien qui les inquiete
Le mal qui menaçoit ses jours,
Vient de se terminer au gré de nôtre envie ;
Le Ciel n’a pas voulu sitost finir le cours
D’une si precieuse vie.
Rendons luy des graces sans fin
De tant de bonté qu’il nous marque,
En conservant le Medecin,
Il nous assure le Monarque.

Ode §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 266-290.

Mr Mr l’Abbé Boutard faisant attention à toutes les occasions qui peuvent fournir à sa Muse Latine de favorables sujets de s’exercer, a fait une Ode en cette Langue qu’il a adressée au Roy : Elle est sur l’établissement de l’Academie Royale des Inscriptions, & des Medailles. Cette Ode a esté traduite par Mr Moreau de Mautour. Je vous ay parlé de luy tant de fois, que vous devez sçavoir son merite & ses qualitez sans que je vous les repete. Il a eu l’honneur de presenter sa traduction au Roy, & de la lire dans une Seance publique de l’Academie des Inscriptions, ayant l’avantage d’être de ce Corps. Voicy cette Traduction.

ODE

N’en doutez point, Races futures,
C’est la vertu des Conquerans
Qui les garentit des injures
Et de l’affreux oubli des ans.
Pour rendre leurs noms memorables.
Les monumens les plus durables
Ne sont pas les doctes écrits ;
Mais le marbre & le bronze antique,
Qui porte leur front heroïque,
Et dont le temps fait tout le prix.
***
Le rare métal de Corinte
Se conserve entier à nos yeux,
Lors que nous y voyons empreinte
L’image de ces demy-Dieux,
De la Grece, de la Syrie,
De l’Egipte, de l’Italie,
Restes sacrez des premiers temps :
Ou des Cesars la longue suite,
Dont Louis renferme l’élite
Parmi ses tresors éclatans.
***
De leurs vertus toute ame éprise
Grand Roy, par un loüable choix
Veut que le Bronze immortalise
Les vertus des Heros François.
Tu sçais recompenser les peines
De ceux qui de Rome & d’Athénes
Déterrent jusqu’aux fondemens :
Tu combles de biens & de gloire
Ceux qui consacrent nostre histoire
Par de celebres monumens.
***
Ta race en demy-Dieux fertile
Anime le marbre & l’airain,
Leur dureté devient docile
Par l’effort sçavant du burin.
Dans ce travail où l’Art se livre,
Chaque Heros se voit revivre,
Et passe à la posterité.
Par les chefs-d’œuvres metalliques,
A leurs faits, à leurs noms antiques
Tu donnes l’immortalité.
***
Quand tu consacres les Conquestes
De nos Rois pieux & guerriers :
On voit briller parmi leurs testes
La tienne ceinte de lauriers.
Tel avec cette noble audace
Qui tout autre Heros efface,
Te forment nos fidelles mains :
Nous gravons tes faits admirables.
Tes triomphes plus memorables
Que ceux des Grecs & des Romains.
***
Voy ce type qui represente
L’Heresie aux derniers abois,
Et la Verité triomphante
Par l’autorité de tes Loix.
Voy la Paix au rameau d’olive
Qui tient la Discorde captive :
Icy le Duel aboly,
Là l’Impieté reprimée,
Thémis par tes soins reformée,
Et l’honneur des Arts rétably.
***
Dans un autre brillant Ouvrage
Le Rhin dompté s’offre à tes yeux :
L’Escaut, que ta foudre ravage
Soumet ses flots imperieux,
La Meuse d’effroy se retire,
Le Doux rentre sous ton empire
Aprés avoir brisé ses fers :
La terre ouvre son sein aride ;
Par un travail digne d’Alcide
Tu sçais rejoindre les deux mers,
***
Il s’offre encore à nôtre veüe
Un digne objet de nos travaux :
Lors que tu reprens ta massuë
Pour vaincre des monstres nouveaux,
Tu domptes l’Hydre Batavique,
Tu braves l’Aigle Germanique
Qui du Pô menace les bords :
Et le Leopard infidelle
Auteur d’un ligue rebelle
Tant d’inutiles efforts.
***
Il faut de nouvelles guirlandes
Orner ton front majestueux,
Et par de pompeuses légendes
Exprimer tes faits Vertueux.
Que les Temples, que les Portiques
Sur leur façades magnifiques
Retracent tes fameux exploits
Qu’on lise sur les pyramides
Sur les métaux les plus solides
Louis est l’Hercule François.

Quoy que tout ce que fait Mr l’Abbé Boutard merite un applaudissement general, je croy qu’il voudra bien me permettre de luy dire, que la plus grande partie de ceux qui ont lû son Ode ne sont pas d’accord de ce qu’il avance dans sa premiere Strophe, que je crois devoir repeter icy.

N’en doutez point, Races futures,
C’est la vertu des Conquêrans,
Qui les garentit des injures
Et de l’affreux oubly des ans.
Pour rendre leurs noms memorables,
Les monumens les plus durables
Ne sont pas les doctes écrits ;
Mais le Bronze & le Marbre antique,
Qui porte leur front héroïque,
Et dont le temps fait tout le prix.

Je demeure d’accord que les Marbres, & les Bronzes sont de plus de durée que l’impression, mais lorsqu’une fois une Histoire, un Poëme ou quelques autres Ouvrages ont esté imprimés, l’impression en est si souvent renouvellée, & multipliée que l’Univers en fourmille, s’il est permis de parler ainsi, ce qui n’arrive pas des Medailles, qui ne sont point renouvellées, personne ne s’estant encore imaginé de faire des Coins nouveaux pour fraper des Medailles antiques. Ainsi supposé, comme on le dit affirmativement, que le temps détruise tout, il est hors de doute qu’on cessera avec le temps de trouver les plus anciennes Medailles, & qu’elles seront détruites les unes aprés les autres. Elles finiront de deux manieres, l’une parce qu’un grand nombre de siecles effacera ce qu’elles representent, & mesme que peu à peu les métaux dont on se sert pour les faire seront fondus, sans que le cuivre mesme, qui est celuy de ces métaux sur lequel l’avarice a le moins de prise soit épargné.

L’Impression ne peut jamais estre sujette au mesme sort puisque de siecle en siecle la beauté des Caracteres qui la forment, va en augmentant. On pourroit me dire qu’il en est de mesme de la beauté des Médailles, & qu’on en voit presentement que l’Art a renduë plus parfaites, mais il y a cette difference que ce ne sont point les anciennes Médailles qui jouissent de cette avantage, puisqu’elles ne sont point renouvellées ; au lieu que ce sont les livres les plus anciens qui se sentent de l’étude que chaque siecle a faite pour perfectionner les Arts. Ces faits sont incontestables & les Thucidides, les Xenophons, les Tacites, les Virgiles & les Horaces sont aujourduy d’une impression bien plus belle que cet ouvrages n’ont esté lorsqu’on en a fait les premieres éditions. On doit ajouter à cela que la terre est remplie d’un nombre innombrable d’exemplaires de ces Historiens & de ces Poetes & que l’on en trouve même en toutes sortes de langues, au lieu que l’on ne voit qu’à peine quelques Médailles de celles qui ont esté frapées dans le temps que ces Historiens, & ces Poëtes ont travaillé à leurs Ouvrages, de sorte qu’on ne peut douter que ce qui s’imprime ne dure plus que les Medailles. Il est constant d’ailleurs que le nombre des exemplaires augmente, & que l’on en trouve de traduits en plusieurs Langues, pendant que le temps anneantit les Medailles, & il est enfin encore plus constant que la beauté de l’impression augmente de jour en jour, & que les Editions que l’on a faites des Livres les plus anciens surpassent infiniment celles qui en ont esté faites dans les siecles precedens. J’ajouterai que pour un Curieux qui a des Medailles, il y a un nombre infini de gens qui ont des Histoires imprimées, parce que l’Histoire d’un Prince coûtera quelquefois moins qu’une seule Medaille de sa vie, dont il faudroit amasser deux ou trois cens pour en avoir une suite. Ainsi tout le monde peut avoir l’Histoire de la vie d’un Souverain, mais il n’y a que ceux qui sont extremement riches qui puissent avoit une longue suite de Medailles. Il ne reste plus qu’à faire voir le grand & entier avantage que les Histoires ont sur les Medailles. Il ne faut point perdre de temps en raisonnemens qui seroient inutiles pour une chose qui saute aux yeux, & qui prend d’abord l’esprit. Les plus belles Medailles sont les plus simples, parce que si elles estoient trop historiées, & par consequent trop remplies de figures elles jetteroient une confusion, & un embarras dans l’esprit, ce qui seroit cause qu’on auroit de la peine à demesler le sujet pour lequel elles auroient esté frapées, les Medailles n’estant point accompagnées d’un Discours qui les explique. Et mesme on ignore aujourd’huy le veritable sujet de la plûpart des Medailles antiques. Les uns les expliquent d’une maniere & les autres d’une autre ; & comme personne ne peut decider, & que les explications que chacun donne sont au hazard, & font plus voir l’érudition de ceux qui cherchent à les expliquer qu’une verité constante, on peut dire que le public en voyant tant de differens partis, demeure dans l’incertitude de ce qu’il en doit penser. Ainsi pour éviter ces inconveniens, il faut que les Medailles soient simples. Ce n’est pas que lorsqu’elles sont frapées dans le temps mesme que tout retentit du bruit des actions qui en font le sujet, ou du moins peu de temps aprés, on ne demeslast aisément tout ce qu’on auroit voulu faire entendre quand elles auroient esté un peu trop chargées ; mais à mesure que le temps fait perdre l’idée de ces actions l’explication en devient difficile, de maniere qu’aprés un siecle chacun explique à sa fantaisie & sans certitude les Medailles qui ne sont pas dans la plus grande simplicité. Cela fait que de toutes les differentes explications qu’on leur donne, il n’y en a souvent pas une de veritable. Il faut donc necessairement que les Medailles soient toutes simples pour passer à la posterité ; c’est à dire pour que dans les siecles avenir chacun en trouver d’abord le veritable sujet sans donner la torture à son esprit. Mais si les Medailles sont dans toute la simplicité où elles doivent estre, elles ne serviront qu’à marquer les dattes des actions qu’elles representeront sans en faire voir la beauté, qui ne peut estre connuë que par les circonstances qui ont accompagné ces actions, les conjonctures où elles ont esté faites, & une infinité d’autres parties qui en dépendent & qui n’apartiennent qu’à l’Histoire ; & comme avec tout cela il est bien difficile de faire passer les plus belles actions à la posterité, pour aussi belles qu’elles le sont en effet, parce que l’envie tâche toûjours à diminuer de la beauté de ce qu’elle trouve de trop parfait, il est bien mal-aisé, pour ne pas dire impossible, qu’une Medaille qui parle si peu qu’elle pourroit passer pour muette, fasse voir à fond toutes les veritez & toute la grandeur de certaines actions, dans lesquelles à mesure qu’on les develope on découvre tous les jours des beautez nouvelles. Ainsi tout fait voir & tout prouve que l’Histoire est plus durable que les Medailles, & peut penetrer dans plus de siecles, qu’elle peut se multiplier par des éditions toujours renouvellées dans tous les Etats où l’impression est en usage & mesme en plusieurs langues ce qui n’arrive point aux Médailles qui ne sont jamais multipliées, & qu’enfin toute la beauté d’une action se découvre dans l’Histoire au lieu qu’il faut la deviner dans une Médaille, & que cette Médaille ne peut subsister qu’un temps, au lieu que l’Impression subsistera toujours suivant les raisons de fait & incontestables qui viennent d’estre alleguées.

Je ne prétens pas que ce que je viens de dire à l’avantage de l’Histoire diminuë en rien de l’estime que l’on doit avoir pour les Medailles, on ne sçauroit trop les admirer, non seulement elles sont glorieuses pour le Prince en faveur de qui on les a frappées ; mais elles font paroistre l’esprit de ceux qui en deux ou trois paroles, & avec deux ou trois figures font comprendre toute une belle action & c’est par là que l’on est convaincu que les beaux Arts fleurissent dans l’estat où l’on s’est donné le soin de les faire cultiver.

Avoir pendant la paix le soin des Finances d’un aussi puissant Etat que celuy de France, c’est un travail immense, en avoir soin pendant la guerre en est un incomprehensible. Se mêler de tout ce qui regarde les Troupes pendant la Paix demande un détail, & une application qui ne laissent aucun repos, s’en mesler pendant la guerre quand on est chargé des Finances, c’est le comble de tous les travaux, & il est impossible d’avoir plus d’occupation. Mr de Chamillart est chargé de tous ces soins. Cependant au milieu des grandes & continuelles occupations que luy donnent tant d’affaires d’une si haute importance, il a trouvé le temps d’examiner avec toute l’attention & l’application possible les comptes de ce qu’il faut, pour l’entretien des Invalides, & de tout ce qui en dépend, de maniere qu’ayant trouvé quarante mille livres de revenant bon tous les ans, il l’a dit au Roy. Ce Prince destina aussi-tost cette somme pour donner des pensions aux Officiers de guerre qu’il en jugera les plus dignes.

Sonnet §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 291-293.

Voici un Sonnet que vous serez bien aise de voir. Il est adressé à Monsieur le Duc du Maine.

SONNET.

Prince sur qui les sens n’ont jamais eu d’empire
Qui tout jeune guidé par la droite raison
Vous estes preservé de ce subtil poison
Qu’on ne reçoit jamais que la vertu n’expire.
***
Que la posterité prendra plaisir à lire
Qu’un Heros plus fameux que ceux de la Toison,
Dans l’âge où les plaisirs sont toûjours de saison,
Ait suivi les conseils que la sagesse inspire.
***
Rigide observateur de la plus sainte loy,
L’on vous voit reverer les dogmes de la Foy
Avec un cœur soumis ainsi que Dieu l’ordonne,
***
Charitable & rempli de sentimens humains,
Chaque jour les bienfaits sont les fruits de vos mains
Sans que la gauche sçache à qui la droite donne.

[Rondeau] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 295-296.

Le Rondeau que vous trouverez icy a esté envoyé à Madame le Gendre, Intendante de Montauban sur un Sifflet qu’elle a envoyé le premier jour de l’année.

RONDEAU.

De mon Sifflet, belle Intendante
La voix jadis trop éclatante
Charme aujourd’huy tout le Hameau.
La Musette, le Chalumeau
Cedent à sa douceur naissante
D’Apollon la Lyre touchante,
Un Cigne prés de son tombeau
N’approchent point du son nouveau
  De mon Sifflet.
***
Pardonnez moy si je le vante
C’est vous, c’est vos attraits qu’il chante,
Eux qui troublent plus d’un cerveau
C’est ce qui rend son chant si beau,
Je croy que vous serez contente
  De mon Sifflet.

[Principaux évenemens de la vie du Roy marquez par autant de Medailles] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 314-325.

Vous ne serez pas fâché de sçavoir quelle a esté la veritable institution de l’Academie des Medailles. Le 3. Fév. 1663. feu Mr Colbert assembla Mr l’Abbé de Bourzey, Mr Chapelain, Mr Chassaigne & Mr Perraut, & leur dit que le Roy luy ayant fait l’honneur de le choisir pour Surintendant des Bastimens, ce qui ne seroit declaré que le 1r jour de Janvier de l’année suivante, il avoit songé qu’il ne suffiroit pas pour un Surintendant des Bastimens de mettre pierre sur pierre, qu’il falloit songer aux Arcs de triomphe, & à tous les Monumens qui pouvoient éterniser la gloire du Roy, chercher des desseins de Tapisserie, travailler à des Medailles & à des Inscriptions, & enfin ne rien oublier de tout ce que pourroit mettre la France dans un estat de perfection du costé des Arts & des Sciences, qu’il seroit bien aise d’avoir leurs avis sur toutes ces choses, & qu’il souhaitoit pour cela qu’ils s’assemblassent deux fois la Semaine, & qu’ils devoient commencer par une Medaille sur le renouvellement de l’Alliance que les Suisses qui arrivoient venoient faire avec le Roy. Ce fut là le premier établissement de l’Academie des Medailles. Elle n’estoit composée que de ces quatre personnes, qui travaillerent seules pendant quatre ou cinq années, & ce fut en ce temps là que se firent aux Gobelins les belles Tapisseries des quatre Saisons & des Elemens. Mr Charpentier, aujourd’huy Doyen de l’Academie Françoise y fut admis pour cinquiéme vers l’an 1667. & Mrs de Bourzey, Chapelain & Chassaigne estant morts, on choisit deux nouveaux Academiciens pour mettre en leur place, sçavoir Mr l’Abbé Tallement le jeune, & Mr Quinaut. Ils ont travaillé avec Mr Charpentier & Mr Perraut jusqu’à la mort de Mr Colbert arrivée en 1683. & Mr de Louvois ayant succedé à Mr Colbert dans la Charge de Surintendant des Bastimens, ne put estre persuadé que Mr Perraut fut de cette Academie à cause des autres Emplois qu’il avoit auprés de Mr Colbert, & Mr Felibien occupa sa place.

Mr de la Chapelle & Mr Raynssant, tous deux morts depuis peu d’années, furent ensuite admis dans la mesme Academie, & peu de temps aprés elle se trouva composée de huit personnes. Tous ceux qui eurent l’honneur d’estre nommez pour remplir les places eurent des pensions considerables. Mr Despreaux, & feu Mr Racine, eurent une espece d’ordre de se trouver aux Assemblées sans qu’on leur donnast d’autres pensions que celles qu’ils avoient déja, parce qu’elles se trouvoient plus fortes que celles qu’on donnoit aux Academiciens.

Aprés la mort de Mr de Louvois, l’inspection generale de cette Academie fut remise au Secretaire d’Etat de la Maison du Roy, & c’est par cette raison que Mr de Pont-chartrain aujourd’huy Chancelier de France, a remply cinq places vacantes qu’il a données à Mrs de Tourreil, Renaudot, de la Loubere, d’Acier & Pavillon ; de sorte que depuis le mois de Février 1663, il se trouve que dix-huit personnes ont remply les places de cette Academie, & que par consequent le Livre qui vient d’estre presenté au Roy sur les principaux évenemens de sa Vie des Marquez par autant de Medailles, a esté composé par dix huit personnes qui ont esté regardées comme les plus sçavans Hommes du Royaume.

Voicy de quelle maniere cet ouvrage a esté fait, chacun a pris le sujet, ou l’explication d’une Médaille à laquelle il a travaillé en son particulier. Tous les autres Academiciens ont eu Communication de son travail. Chacun l’a leu separement pour y faire des Annotations, & chaque sujet a esté approuvé de la Compagnie apres que les changemens ordonnez ont esté faits. Il seroit difficile de trouver un autre moyen pour faire un ouvrage accomply à la gloire duquel il fust permis à chacun de prendre part. Tous ceux qui ont contribué à l’embellissement de ce grand Ouvrage, par tout ce qui regarde les arts dont ils font profession non seulement ont fait voir leur profond sçavoir & leur zele pour la gloire de notre Auguste Monarque, mais ils ont aussi fait connoistre que la France ne cede point aujourd’huy à d’autres nations les avantages quelles avoient autrefois sur elle. Monsieur le Chancelier ayant choisy des personnes d’une érudition consommée, & reconnuë pour y travailler, & Mr le Comte de Pont-chartrain, animé du mesme zele qui faisoit agir Mr le Chancelier les ayant animez au travail aussi bien que Mr l’Abbé Bignon qui s’estoit chargé de tout le détail necessaire pour venir à bout de cette entreprise, ont réussi dans ce qu’ils avoient en vûë, puisque ce grand Ouvrage a paru. Le reste regarde ceux qui ont esté chargez du travail. Vous connoissez leur esprit, vous en jugerez quand vous l’aurez vû. Mais lorsque la matiere est belle, que les Ouvriers sont habiles, & qu’un Ouvrage est revû par differentes personnes, aussi éclairées que celles que je viens de vous le marquer ; il est difficile qu’il n’ait la perfection qu’on luy peut donner.

[Lettres curieuses & de littérature] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 345-348.

Je ne doute point que je ne vous fasse plaisir en vous parlant d’un livre nouveau de Mr l’Abbé de Bellegarde, & que vous ne vous disiez d’abord à vous-même que je vous annonce un ouvrage qui sera bien reçu du Public, cet Abbé n’en ayant fait aucun dont on n’ait fait trois ou quatre éditions. Ce grand succés vient sans doute de ce que connoissant parfaitement le monde, il imite parfaitement la nature dans tout ce qu’il fait, & ne choisit que des matieres qui divertissent en instruisant. Son dernier ouvrage qui est celuy qui vient de paroistre, a pour titre Lettres curieuses de Litterature & de Morale. Les Lettres qu’il contient sont,

Sur le bon goust.

Sur l’Histoire.

Sur la difference des mœurs des Anciens & des Modernes.

Si les femmes sont inferieures aux hommes pour le merite de l’esprit.

Sur les Pieces de Theatre.

Quoy que les sujets de ces lettres doive exciter beaucoup de curiosité, le nom de l’Auteur l’augmente encore parce qu’il ne laisse rien à desirer sur les matieres qu’il traite, & qu’il les enrichit toûjours de beaucoup d’érudition.

Ce livre est dedié à Madame la Duchesse du Maine. Cette Princesse ayant beaucoup de goust pour les ouvrages d’esprit, & donnant au milieu de la Cour beaucoup de temps à la lecture de tous ceux qui ont quelque reputation, Mr l’Abbé de Bellegarde a fait voir en mettant son nom à la teste de son Livre qu’il ne sçait pas faire un choix moins heureux des personnes à qui il dédie ses Ouvrages que des sujets sur lesquels il travaille. Ce livre se vend chez Jean & Michel Guignard ruë Saint Jacques devant la ruë du Plâtre à l’Image S. Jean.

[Critique contre la prevention] §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 349-351.

On a vû paroistre dans le mesme temps un autre livre intitulé Critique contre la prévention.

Cet ouvrage est de Madame de Pringy, & justifie ce que Mr l’Abbé de Bellegarde a dit d’avantageux pour les Femmes, dans sa Lettre où il répond à la demande que l’on luy a faite, Si les Femmes sont inferieures aux hommes par le merite de l’esprit. Les Ouvrages de Madame de Pringy font voir le contraire, elle n’en a point donné qui n’ayent esté favorablement reçus du public, & l’on peut dire sans aucune prevention qu’on y trouve autant de solidité que d’agrement, & qu’ils font honneur au Sexe. Elle commence celuy-cy par une description de la prevention & de l’esprit du monde. Elle fait connoistre neuf sortes de prevention qui sont celles d’Orgueil, d’Interest, de Sensualité, d’habitude, de malice d’humeur, d’esprit ; du cœur de justice, & de vertu. Cet Ouvrage est dedié à Mr le Duc du Mayne, de maniere que l’on a donné en mesme temps au Public deux Ouvrages dediez, l’un au Prince, & l’autre à la Princesse qui se font aujourd’huy le plus de plaisir d’aimer les Lettres & de les proteger. La Critique contre la prevention se vend chez Jean Musier, au bas de la ruë Saint Jacques vis-à-vis la ruë Galande à l’Image Saint Antoine.

Enigme §

Mercure galant, janvier 1702 [tome 1], p. 369-373.

Le vray mot de l’Enigme du mois passé estoit le Vif argent. Ceux qui l’ont trouvé sont : Mrs Linterel : de la Loge Commissaire des Grenadiers à cheval du Roy : Bardet & son amy du Plessis du Mans : Boury, Avocat en Parlement, de la ruë & devant l’Eglise de S. Honoré : D. de Blois : Guillaume Aymable Belard de Roüen : la Brie de la ruë de la Jussienne : Volhouse, Oculiste Anglois demeurant à S. Germain en Laye, & la spirituelle Angloise Galaera du même lieu : l’Abbé Neüillac : du Rey Buillon de l’Hostel des Vertus, cul de sac de la Porte S. Jacques proche le petit Marché : l’Ecuyer Regidoctal & sa Sœur : René Stolph Mandarin Chinois : Tamiriste & sa famille : le petit Acteon de la grande Barbe : le Phenix des Femmes de la ruë de la Chanverrerie : le seul indépendant de la Montagne d’or : l’heureux Cousin Lucidamor & son Ange d’or des Galleries du Louvre : les deux Freres F.M.D.C. du College de Boissy : les cinq justes Maistres des Requestes de la Bazoche du Parlement de Paris : les parjures du Jeu de l’Ombre de la ruë Saint Martin : Rigolet & son aimable Brune du grand Faubourg : & le Philosophe de Gerolle de la ruë des petits Champs : l’Intendant du petit Marquis d’Haraucourt & le petit Greffier : les Officiers de la Police de la Fere en Picardie : le Patriarche de l’Isle : Mademoiselle Cusset : la Princesse de Trebizonde : le beau Commandeur de Saint Loüis : la Triomphante & son Triomphant, & Mr Ligni, tous de l’Isle nostre-Dame : l’aimable Gogol de la ruë des Lombards, & l’Orfévre Gentilhomme de la ruë S. André. Mademoiselle Javotte Ogier, jeune Muse du coin de la ruë de Richelieu : Mesdemoiselles de la Mignonnerie & Mr de Bussi : la Princesse Jacobine : la plus genereuse des Amies ; la charmante de la ruë du Batoir, & son Voisin : la jolie femme de la ruë de Bussi & son Mary : la petite Gouvernante des Philosophes de la ruë Montmartre : la grande Doris : la charmante Maman de la ruë de l’Hirondelle & sa belle famille : la veritable Mademoiselle de Loucelles : la petite boëte à l’esprit de la ruë des Lombards.

L’Enigme suivante fera ce mois-cy le divertissement de vos Amies.

ENIGME.

Je suis fille de la terre ;
Ny semence, ny grain ne me produisent pas.
Un vil animal me déterre ;
Et l’on peut me porter aux plus lointains climats.
Je suis quelquefois blanche & souvent je suis noire,
Qui pourra cependant le croire.
Je suis toujours au goût des petits & des grands ;
Mais je ne puis pas naître en tous lieux, en tous temps,
On ne me trouve point dans les terroirs fertiles,
On me voit rarement dans les plus belles Villes :
Qu’on me fasse sécher aux rayons du soleil
Je n’en suis pas pourtant moins bonne ou moins aimable,
Et rien peut-estre n’est pareil,
Au plaisir que je fais dans la meilleure table.