1702

Mercure galant, mai 1702 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, mai 1702 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1702 [tome 6]. §

[Histoire de Jean de Vert] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 42-90.

L’Ouvrage qui suit est de Mademoiselle Lheritier. Il vous fera connoistre ce qui luy avoit donné lieu de faire celuy que je vous envoyay le mois passé de cette spirituelle Personne ; vous y trouverez l’Histoire de Jean de Vert, dont la lecture fera plaisir à ceux qui parlent souvent de ce grand Capitaine sans le connoistre.

A MADAME LA COMTESSE DU M***

Vous, que la brillante jeunesse
Les attraits, le vif agrément
L’esprit, l’aimable politesse
Rendent un objet tout charmant.
Je vais vous apprendre Comtesse,
Qu’Apollon & les Doctes Sœurs
Sentent une joye infinie,
De vous voir tant aimer les touchantes douceurs
De leur gracieuse Harmonie.
Moy, qui vous cheris fort, mon cœur est enchanté.
En vous voyant unir ce mérite à vos charmes,
Quand l’esprit & le goust soutiennent la beauté
Tout luy cede & luy rend les armes.
L’indolente insipidité
D’un esprit sans lumiere & sans vivacité
Eteint bien tost l’ardeur qu’allume un beau visage :
Mais sur tout, quand on veut perdre sa liberté.
Dans les nœuds où l’hymen engage,
Nœuds, ou le fol Amour, par sa malignité,
Reste rarement arresté,
Si de l’esprit souvent on ne fait grand usage
Le cœur est bien tost rebuté
Quoy qu’à plus d’un égard le siecle soit gasté.
La beauté sans l’esprit ne poura jamais plaire
Qu’aux ames d’un ordre vulguaire :
L’exemple chaque jour le prouve clairement,
Soit que l’amour affecte un ardeur heroïque
Ou que le fripon ne se pique,
Que de coqueter seulement,
Si l’esprit ne l’éveille avec rafinement,
Le tendre enfant s’endort d’un sommeil létargique.
Mais Comtesse, cessons de parler dans mes vers
De l’Amour & de ses travers.
Je ne veux pas icy médire
De ce Dieu ny de son Empire.
Ce n’est point du tout mon projet,
J’ajoute seulement que l’on en pourroit dire,
Ce que Voiture a dit sur un autre sujet.
Heureux qui ne le connoist guere
Plus heureux qui n’en a que faire.
Et qui passant de doux momens
Loin de ses vains amusemens
Ne prend que la raison pour guide,
Et cherche la vertu solide.

C’est la situation où vous estes, Comtesse charmante, aimant le nœud où la raison & la vertu vous ont engagée, vous vous faites une loy de remplir avec une délicate exactitude tous les soins divers qu’il prescrit, soins qui s’étendent loin, quand il plaist à la fortune de faire naître certains embaras, qui forcent d’avoir recours au Tribunal de Themis. Cependant les occupations importantes, où vous estes si souvent livrée, ne dérobent jamais rien à l’agrément de vôtre conversation & à l’enjoument de vostre humeur, c’est sur la foy de cette enjoüement que je vous envoye aujourd’huy les badines chansons que vous m’avez demandées. Il faut aimer autant la Poësie que vous faites, & estre d’une gayeté aussi indulgente que la vostre pour les souhaiter ; & estre aussi peu attentive que je le suis aux interests de ma Muse pour vous les envoyer. Si j’aimois sa gloire, je me garderois bien de laisser paroistre au jour des bagatelles qu’elle ne fait qu’en badinant & puis qu’elle a produit quelquefois des Odes ; des Idilles & des Elegies, qui ont eu le bonheur de ne pas déplaire aux Connoisseurs, je ne consentirois point qu’elle avouë quelle s’abaisse jusqu’au stile des Epistres en Chansons, mais comme dans ses productions Je cherche plus ce qui me peut divertir, que je ne regarde de quel genre elles doivent estre, quand des chansons me réjouissent, j’en fais si l’occasion s’en présente, & dans le mesme esprit qui m’a fait m’en amuser, je crois ensuite qu’elles peuvent amuser aussi qu'elqu’uns de mes amis d’un certain caractere, & sur cette croyance je leur donne ces bagatelles sans façon lors qu’ils me les demandent.

Quand on veut se piquer de n’aller au Parnasse,
Qu’en marchant sur les pas d’Horace,
Qu’on prétend ne former que de sublimes sons,
On se garde avec soin d’avouer des chansons.
Mais lorsque comme moy l’on n’écoute sa Muse,
Qu’aux momens qu’elle plaist, qu’aux moments qu’elle amuse ;
Et lorsque l’on ne cherche en pensant à rimer,
Qu’un plaisir innocent sans prétendre charmer,
On prend dans certains tems la bruyante trompette.
On se sert quelque fois de la douce Musette,
Et l’on se divertit à des tons variez
Tantost tous naturels, tantost étudiez.
Si du grand nom d’Auteur j’estois ambitieuse,
On ne me verroit pas si peu misterieuse :
A qui veut s’en parer, souvent il est fatal
De laisser échaper un joli Madrigal.
Quand vous auriez vingt fois dans la pompe d’une Ode,
Eut-elle de Malherbe & l’art & la methode,
Pour ternir vos talens, vos adroits envieux,
Diront parlant de vous d’un air tout gracieux,
Que dites vous d’un tel, il est joly Poëte.
Il fait tres galament Madrigal, Chansonnette,
Puis il disent aprés d’un enphatique ton,
L’enjoué Madrigal, la folâtre Chanson.
Et ne parlent jamais de l’heroïque ouvrage,
Qui du monde éclairé vous donna le suffrage.
Par l’artifice adroit d’un semblable dehors
Ils sçavent imposer à l’Ignorant vulgaire,
Qui croit que c’est là tout l’effort
Que l’Auteur qu’on nomme peut faire.
Car il ne comprend point qu’on ait divers talents :
Des exemples fameux prouvent bien le contraire.
Voiture & Sarrasin, ces homme excellens,
De qui l’élegant badinage,
Fait encor aujourd’huy l’ornement de nostre âge,
Après avoir charmé par les heureux accens,
Du vif enjoûment de leur rime,
Ne chantoient pas d’un ton moins grand ny moins sublime,
Le celebre vainqueur de Norlingue & de Lens.
Lorsque l’ingenieux & galant Benserade,
Aprés avoir dépeint aussi naïvement,
Que d’un tour rempli d’agrement,
Les illustres acteurs de quelque mascarade,
Venoit à celebrer les merveilleux exploits,
Les vertus, l’auguste puissance,
Du Heros glorieux qui gouverne la France,
Celebroit-il moins bien ce modele des Rois.
Quand un Poëte ne rafine
Qu’à faire une chanson badine.
Que ses talens les plus fameux,
Ne vont qu’à composer pour Iris ou Corine,
Quelque Madrigal doucereux,
Où quelque Epigrame mutine,
Pleine du noir chagrin d’un esprit dangereux,
Quoy que la pointe en paroisse assez fine,
Quoy que le tour en soit assez heureux.
De si foibles talens donnent fort peu de gloire,
Il faut produire au jour des ouvrages pompeux,
Dignes de plaire encor à nos derniers neveux,
Pour avoir quelque place au Temple de memoire.
Mais trop heureux l’Auteur, dont le stile charmant,
Ravit dans le sublime, & plaist dans l’enjoûment,
Comme les Sarrasins, ainsi que les Voitures,
Il brillera d’honneurs chez les races futures.

Quand il n’y auroit pas des exemples si grands, qui prouveroient qu’on voit quelquefois le pompeux sublime, & l’ingenieux badinage réünis dans un mesme esprit, je ne m’amuserois pas moins de mes Chansonnettes dans l’occasion. Comme je suis entierement éloignée d’avoir aucun des heureux talens des illustres Auteurs que je viens de nommer, je n’ay nul ménagement à avoir sur ce sujet ; & pourvû que mes bagatelles me divertissent, & quelques Amis avec moy, c’est tout ce que j’en pretends. Tout m’inspiroit la joye, quand j’écrivis celles que je vous envoye. Nous étions dans le Carnaval, & j’étois dans un magnifique Château auprés d’une grande Princesse, dont la charmante conversation donne tous les jours de nouveaux plaisirs ; & j’écrivois à l’agreable Mademoiselle de G… qui estoit alors à Or… auprés de Mr le Marquis d’Or… son pere, chez lequel il y avoit tres bonne Compagnie. Ainsi tout m’invitoit à prendre le ton enjoüé que vous remarquerez dans ces Chansons.

Telles qu’elles sont, elles firent alors tout l’effet que je voulois. Elles eurent le bonheur de divertir beaucoup l’éclairée Princesse chez qui j’avois l’honneur d’estre, & réjoüirent plus qu’elles ne le meritoient l’aimable Mademoiselle de G… vous m’assurez qu’elles auront le même sort auprés de vous. Jugez aprés cela si je ne seray pas fort consolée si j’apprens qu’elles ne sont pas du goust de certaines personnes, dont la gravité ne peut s’accommoder que du serieux le plus guindé. Aussi pour vous témoigner que je ne fais pas beaucoup d’attention au goût de ces sortes de Censeurs, & que je me feray toûjours un extrême plaisir de satisfaire le vôtre, comme j’ay remarqué qu’effectivement vous aimez ces petits Ouvrages enjoüez, je vous envoye d’autres Chansons que j’ay faites beaucoup de temps avant celles que j’ay écrites à Mademoiselle de G… elles sont sur l’Air de Jean de Vert, & c’est une espece de Critique de quelques manieres extraordinaires qu’on a prises dans ce siecle. Je vous assure que pour ces Chansons à refrain, je voulois qu’elles ne fussent vûës que de la seule Amie, à qui je les écrivois.

C’est une Dame d’une vertu peu commune, & qui a beaucoup d’esprit & de sçavoir. Fâchée un jour de ce que je ne luy avois pas fait part d’un de mes Ouvrages, dont on luy avoit parlé avantageusement, aprés m’avoir fait divers reproches fort tendres, elle finit en disant, qu’elle voyoit cependant qu’elle n’avoit pas raison de se plaindre, & qu’il n’estoit point étonnant qu’une personne de mon âge negligeast une bonne femme comme elle qui estoit du temps de Jean de Vert. Je répondis fort vivement à ces dernieres paroles, & luy dis, que quand il seroit vray qu’elle seroit du temps qu’elle venoit de citer, ce seroit une raison pour moy de l’aimer encore davantage. Ce temps heureux, poursuivis-je, estoit le temps de la bonne foy, de la probité exacte, de l’amitié fidele & genereuse, & même de l’amour constant, delicat & veritablement heroïque, au lieu que ce qu’on appelle aujourd’huy les personnes du temps, & les gens du bel air, sont fourbes dans le procedé, perfides dans l’amitié, & coquets dans l’amour. Je dis encore plusieurs choses sur la comparaison des deux temps dont il estoit question ; & puis j’ajoutay, Jugez donc, si je n’aimerois pas bien mieux avoir vescu dans le temps de Jean de Vert, que de vivre dans celuy cy, mais puisque cet inutile souhait ne peut estre satisfait, vous ne devez pas douter du moins que je n’aye une forte inclination pour les personnes, qui comme vous, suivent les maximes de ce temps plein de candeur. Voila bien d’agreables douceurs que vous me dites, me répondit mon Amie en riant. Mais cependant tout cela ne me donne point les Vers dont vous m’avez si impitoyablement esté avare, je les envoyray querir demain chez vous, mais si vous voulez que je sois persuadée de tout ce que vous venez de me dire de flateur pour moy, faites à ma consideration des Vers sur le chant de Jean de Vert, où vous ferez, comme vous venez de le faire en Prose, un paralelle de ce temps cy avec celuy de ce fameux prisonnier des François.

Il falut me rendre aux souhaits de ma spirituelle Amie, & je luy envoyay le lendemain les Couplets que je vous envoye-icy. Son amitié pour moy, les luy fit trouver mille fois plus remplis d’agrément, qu’ils ne sont en effet ; & en venant m’en faire cent remercimens flateurs, elle me dit qu’elle les avoit fait voir à un Amy illustre, qui les avoit beaucoup approuvez. Je me plaignis fort de ce qu’elle montroit des bagatelles, qui n’estoient bonnes que d’elle à moy, & j’exigeay qu’elle ne les feroit plus voir à personne. Elle me le promit & me tint exactement parole, quoy qu’elle grondast beaucoup de la reserve que je l’obligeois d’avoir à cet égard.

Comme Madame de P. & moy furent également exactes à ne point faire part de ces Chansonnettes à personne : elles demeurent dans l’oubly qu’elles me paroissoient meriter. Cependant par je ne sçay quel capricieux destin, plus d’une année aprés qu’elles ont esté composées, une jeune Demoiselle, qui a une fort belle voix, se trouvant à la campagne, chez une Dame d’un merite & d’une qualité distinguée, chanta ces Chansonnettes comme toutes nouvelles, & dit qu’elles estoient de moy. Elles eurent le bonheur de plaire beaucoup à toutes les Dames qui estoient presentes, & il s’en répandit en un moment quantité de Copies, sans que je sceusse rien de toute cette avanture.

Enfin une personne de mes Amies me dit un jour, qu’il estoit bien étrange, que lorsque je faisois des chansons qui amusoient tout Paris, il falloit que mes amis fussent reduits à les avoir par les mains du Public, & non pas par les miennes, moy qui depuis plus d’une année avoit parfaitement oublié mes bagatelles de Jean de Vert, je répondis tres-serieusement qu’on se méprenoit, en m’attribuant les chansons qu’elle m’annonçoit qui couroient dans le monde, parce qu’effectivement, je n’en avois point-fait depuis peu. Ah ! s’écria t’elle, c’est un peu trop vostre stile, pour qu’on puisse s’y méprendre, aprés ces mots elle me chanta les chansons dont il s’agissoit. J’avouë, luy dis-je alors, qu’elles sont de moy, mais comme elles ne sont pas nouvelles, ainsi qu’on vous l’a assuré ; & qu’au contraire, il y a long-temps qu’elles sont faites, je les avois oubliées, & je n’avois garde de penser que ce fût d’elles que vous me voulussiés parler. Mais puisqu’on les a mises au grand jour, & que le public les trouve bonnes, j’en ay bien de la joye, je n’aurois jamais osé esperer qu’elles eussent eu un destin si favorable, & c’est sur cette idée qu’à ma priere, la Dame à qui je les écrivis, ne les a jamais données qu’a une seule personne. C’est cependant assés ajoutais je pour les rendre aussi répanduës, que vous m’assurez qu’elles sont aujourd’huy mais ce qui me surprend est qu’on ne s’avise de les publier ainsi qu’aprés un si longtems.

Depuis ce jour beaucoup de gens fort éclairez me firent compliment sur cette bagatelle, & je ne pourois assés m’étonner de la voir approuvée de tant de personnes de bon goust, c’est sur leur parole aimable Comtesse, que je me hazarde à vous l’envoyer en vous contant par quelle destinée elle est devenuë publique. Mais comme le bel âge où vous estes vous rend étrangement éloignée de celuy de Jean de Vert, vous n’estes peut-estre guere informée du caractere & de la fortune de ce celebre Avanturier. Cependant il est vray que lorsqu’on a quelque connoissance de son sort, on trouve plus de plaisir à mes chansons. Comme j’ay envie qu’elles vous divertissent autant qu’elles sont capables de le faire, je vais vous raconter en peu de mots l’histoire du fameux Guerrier, dont il s’agit, qui doit se trouver fort glorieux de voir son nom employé à marquer une Epoque qu’on revere.

Jean de Vert estoit un Allemand d’une naissance obscure, qui se mit fort jeune au service de l’Empereur, en qualité de simple Soldat. Comme il estoit brave & entreprenant de degré en degré, il parvint au poste de Capitaine en assez peu de temps, & conserva son nom de Jean de Vert dans ce poste. Il en eut bien-tost de plus considerables, sans quiter jamais ce nom vulgaire, dans quelque place élevée qu’il parvint. Il brilla beaucoup dans celle de General des Troupes de l’Empereur, & estant aussi infatigable & aussi plein de conduite qu’il estoit brave, & ayant avec toutes ces qualitez un bonheur extrême, il fit beaucoup de mal à la France, quoy qu’elle fust gouvernée par le feu Roy, qui estoit un tres grand Prince, & qu’elle eust pour Ministre le Cardinal de Richelieu, qui a esté un des plus habiles Ministres qu’elle ait jamais eu. Elle se vit en proye aux ravages des Allemands. Il n’y a que sous le regne de Louis le Grand, où par la superiorité du genie de ce Monarque admirable, elle se voit toujours Victorieuse de tous les Ennemis qui osent se liguer contre elle. Comme dans le temps de Jean de Vert, elle ne jouissoit pas encor de cette glorieuse destinée, ce General fit des progrez étonnans & prit plusieurs Places dans la Picardie, qui le mirent en estat de venir porter la terreur jusqu’aux portes d’Amiens, par les troupes qu’il envoyoit en party. Cette terreur se répandit mesme jusques dans Paris, & comme le Peuple grossit toujours les objets, le seul nom de Jean de Vert, y inspiroit l’effroy, ce nom devint si terible, qu’il ne falloit que le prononcer pour épouvanter les enfans.

Mais enfin la fortune changea les armes du feu Roy, & l’habileté du Cardinal de Richelieu reprirent l’ascendant qui leur estoit ordinaire, non seulement on chassa les Ennemis de toutes les Places dont ils s’estoient emparez, mais encore le Duc de Veimar, qui servit si utilement la France en tant d’occasions, gagna une bataille auprés de Rhinsfels, dans laquelle Jean de Vert fut pris prisonnier : le Peuple de Paris eut à cette nouvelle des transports de joye qu’il seroit difficile d’exprimer. La Muse du Pont neuf celebra la sienne sur un air de Trompette qui couroit alors, elle y étaloit le triomphe des François, & disoit qu’ils avoient battu les Allemands & Jean de Vert. Elle contoit qu’ils avoient pris beaucoup de Drapeaux, beaucoup d’Etendarts, & Jean de Vert, qu’ils avoient pris un tel nombre de Prisonniers & Jean de Vert. Enfin tous ces couplets de cette Muse du Savoyart, couplets qui estoient tres nombreux, finissoient tous par ce refrain, & Jean de Vert. Comme il y avoit dans ces chansons une certaine naïveté grossiere, qui ne laissoit pas d’avoir quelque chose de réjouissant, la Cour & la Ville les chanterent, & Jean de Vert & ses chansons estoient si à la mode, qu’on ne parloit plus d’autre chose.

On logea ce fameux prisonnier au Chasteau de Vincennes, & dés qu’il eut donné sa parole, on se fit un plaisir de luy laisser une entiere liberté, il alla faire sa Cour au Roy, qui luy fit mille caresses, il fut regalé par les Seigneurs les plus considerables, & alla à tous les spectacles. Quand il restoit à Vincennes, on luy faisoit une chere magnifique & les Dames les plus qualifiées de Paris, se faisoient un divertissement de l’aller voir manger. Il leur faisoit à toutes mille honnestetez, qui cependant se ressentoient toujours de l’Allemand & du Soldat, mais du moins il avoit à leur égard, toutes les manieres polies dont il estoit capable.

Il buvoit admirablement bien, & n’excelloit pas moins à prendre du Tabac en poudre, en cordon & en fumée. Il estoit accompagné de plusieurs Officiers Allemands qui tous avoient les mesmes talents. Cet usage de Tabac donnoit beaucoup de dégoust à nos Dames, qui avoient toutes en ce temps là une aversion mortelle pour ce désagréable feuillage Indien. La politesse estoit si fort en regne au temps dont nous parlons, que si Jean de Vert eust resté quelques mois en France, tout Allemand qu’il estoit, il auroit quitté son Tabac, par la crainte de déplaire à un sexe pour qui il faisoit profession d’avoir une complaisance extrême. Mais s’il eut vescu de nos jours, il n’eust pas esté obligé de quiter cette habitude en faveur de toutes les Dames generalement. Quelques unes s’accommodent aujourd’huy assez du Tabac.

Enfin Jean de Vert s’en retourna en Allemagne charmé des bontez du Roy & extremement content de tous ses Peuples. Ce vaillant General, dont le nom avoit fait un bruit si éclatant, laissa en France une memoire immortelle de sa Prison, & l’on nomma le temps où elle estoit arrivée le temps de Jean de Vert. Je ne vous repete point tout ce que nos Grands-Meres nous racontent de la candeur & de la politesse de ce temps fameux, vous en trouverez une Idée dans mes chansons, je vous diray seulement qu’on nomma l’air de Trompette, dont je vous ay tantost parlé l’air de Jean de Vert : & que bien des gens d’esprit de la Cour & de la Ville, firent aprés le Pont-neuf diverses jolies chansons sur cet air, qui toutes avoient raport à Jean de Vert ; qui enfin a immortalisé son air aussi bien que luy, puisque depuis son temps il ne s’est point passé de dizaine d’années qu’on n’ait fait d’agréables chansons sur cet air.

Que ne pouvons-nous rapeller la politesse de ce temps heureux ! Aussi bien que nous en rapellons les airs ! Helas ! nous avons perdu la plus illustre image qui nous en fust restée. Quand la mort nous a enlevé la sçavante Mademoiselle de Scudery, Dés que je songe à la perte de cette incomparable fille, je sens tout mon enjoûment s’évanoüir, l’estime, l’admiration, & l’amitié, en me la rendant chere, m’avoient donné une connoissance si vive & si étenduë de son rare merite, que je pense que personne ne l’a jamais mieux senti que moy. Ainsi malgré tout ce que j’en ay dit dans la piece que ma tendresse m’a fait consacrer à la memoire de cette illustre Amie, il me semble que je n’ay pas encor énoncé la moitié de ses admirables qualitez. Mais du moins j’en rempliray éternellement mon souvenir, & m’écriray incessamment en parlant de cette heroïque personne, quelle grandeur d’ame, qu’elle probité exacte, quels talens merveilleux, & dans tout le temps de ma vie.

Je diray dans mes Vers, je diray dans ma Prose.
Ainsi que je l’ay dit dans mon Apotheose.
Que le grand nom de Scudery
Doit de tous les mortels estre à jamais chery.

Il est reveré aujourd’huy comme il merite de l’estre, & je ne doute pas que ce ne soit le nom fameux de cette admirable fille qui a fait répandre sur l’Apotheose que j’ay faite pour elle, l’approbation dont beaucoup d’illustres Sçavans l’ont honorée. Vous sçavez bien, belle Comtesse, que la vostre ne m’est pas des moins pretieuse, mais je sçay bien aussi que par rapport à Mademoiselle de Scudery, vous estes toujours disposée à approuver les ouvrages qui sont à sa loüange. L’estime infinie que vous aviez pour cette illustre Fille, & la tendre liaison que l’amitié avoit formée entre elle & vostre aimable Tante, toutes ces choses, dis je, vous ont donné pour elle de vifs sentimens de veneration qui vous font prendre un delicat interest à tous les ouvrages qui sont faits à sa gloire.

Elle a éternisé celle de vostre spirituelle Tante dans son beau Roman de Clelie. Tout le monde est charmé du Portrait que fait la sçavante main de Sapho de cette gracieuse fille, si devouée à l’amitié & si indifferente pour l’amour. L’agreable Sarrasin luy-même, peint dans Clelie sous le nom d’Amilcar, l’agreable Sarrasin, dis-je, tout galant qu’il estoit ne pourroit l’en blâmer, & estoit obligé de convenir qu’elle avoit beaucoup de prudence de conserver une heureuse tranquillité qui luy faisoit passer de si beaux jours.

Mademoiselle de F *** avoit bien raison de se deffendre de l’amour, c’est un veritable trouble feste. Si nous voulons vivre en repos il faut toujours éviter son Empire. Malgré tous les soins que vos charmes luy ont fait prendre pour vous assujettir à ses loix, vous avez sçû toujours vous garentir de sa puissance. Pour moy, je n’ay point d’affaire à démesler avec luy.

L’amour qui prend plaisir à causer de l’ennuy
Me laisse en paix jusqu’aujourd’huy.
Quelque destin que soit le nostre
Nous ne pensons point l’une à l’autre,
Et l’on doit s’en étonner peu.
Je ne court ni feste ni jeu.
Le folâtre Dieu de Cithere
A bien d’autres choses à faire
Que de songer à m’enchaîner.
Mais quand même son feu voudroit m’environner
J’espere toujours m’en deffendre
Je suis fort insensible à l’honneur d’en donner.
Et me garde beaucoup d’en prendre.
Minerve & les neuf Sœurs m’occupent tour à tour.
Qui s’occupe fait fuir l’Amour.

[Elegie] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 90-100.

Les Vers qui suivent sont de Mr Baratet de Seriniac qui a remporté le prix de l’Elegie à Toulouse à l’Academie, cy-devant connuë sous le nom des Jeux Floreaux. Le mesme a disputé le dernier prix de Vers qui a esté donné à l’Academie Françoise.

ISMENE ENDORMIE.
ELEGIE.

Delices de nos Prez, doux & tendres Zephirs,
Plaignez mon triste sort, redoublez vos soupirs,
Agreables Ruisseaux, confidens de ma peine,
Murmurez des douleurs que je sens pour Ismene :
Et vous, petits Oiseaux, par vos concerts charmans
Rappellez dans son cœur la foy de ses sermens
Dans ces rustiques lieux sans desirs, sans foiblesse,
Je passois les beaux jours d’une aimable jeunesse.
Des Belles de nos champs je méprisois les coups,
Je craignois moins l’Amour, que l’insulte des loups ;
Je voyois sans frayeur ce Dieu sur nos fougeres,
Blesser les Daims peureux, & les Chevres legeres,
Mon Troupeau quelquefois courir mêmes dangers,
Succomber tour à tour mille & mille Bergers.
Ma houlette, mon chien, mon troupeau, ma musette,
Estoient l’unique objet des soins de ma retraite ;
Desirable repos, que vous estiez charmant !
Mais helas ! pour vous perdre il ne faut qu’un moment,
Sur la fin d’un beau jour j’apperçus dans la Plaine
Ma plus chere Brebis dans le Troupeau d’Ismene ;
Je m’avance, & je voy sur le bord d’un Ruisseau
La Bergere endormie au murmure de l’eau :
Les Ris & les Amours qui dormoient avec elle
La rendoient à mes yeux si charmante & si belle,
Et mon cœur découvrit tant d’attraits inconnus,
Qu’il douta si c’estoit la Bergere ou Venus.
L’heure, le temps, le lieu, tout la rendoit aimable,
L’air n’estoit agité que d’un soufle agreable,
Qui faisoit à son gré floter de toutes parts
Sur un teint vif & frais de blonds cheveux épars
Que mon cœur ressentit de secrettes alarmes !
Ah ! qu’Ismene endormie avoit pour moy de charmes !
Agreable Sommeil, quand tu fermois ses yeux,
L’Amour ouvroit les miens dans ces aimables lieux
Mille transports nouveaux d’un cœur déja sensible
M’inspiroient de troubler un repos si paisible :
Mais bientost devenu plus sage & plus soumis,
Je craignois d’éveiller les Amours endormis,
Zephire s’arresta, l’onde fut attentive
Au divers mouvemens de mon ame craintive,
Et quand mon cœur se livre à ses flotans desirs,
La Bergere s’éveille au bruit de mes soupirs.
Que de coups imprévus ! qu’Ismene fut surprise !
Je tremblay des frayeurs dont elle estoit éprise,
Mais elle se rassure, & je vis sa pudeur
Combatre foiblement une douce langueur.
Je lisois dans ses yeux ce qu’elle n’osoit dire,
Ma bouche à mes transports avoit peine à suffire ;
Triste & cher souvenir des plus aimables nœuds ;
A peine suis-je Amant, qu’on répond à mes vœux,
Saules, Gason fleury, Canaux, Ondes brillantes,
Beaux lieux, sages témoins de nos flames naissantes.
Que ne vites vous point sous ces ombrages frais,
Quand l’Amour nous blessoit tous deux des mêmes traits ?
La nuit nous separant, je laisse à ma Bergere
Pour gage de ma foy, cette brebis si chere ;
Mais d’abord que l’Aurore éclaira nos hameaux,
On nous vit dans les champs conduire nos troupeaux,
Les mener sur ces bords & les garder ensemble,
Quel bonheur pour deux cœurs qu’un tendre amour assemble ?
Nous goûtions l’un & l’autre un bien delicieux
De nous voir, nous aimer, & nous suivre en tous lieux.
Des jeux les plus charmans la tranquille innocence
Nourrissoit de nos cœurs l’heureuse intelligence,
Que le passage est doux de l’amour aux plaisirs !
Mais qu’on passe aisément de la joye aux soupirs !
Je connois, tout me dit qu’Ismene se partage.
Elle vient dans les champs, elle monte au Village.
Ses desirs chancelans & ses vœux incertains
Ne m’assurent que trop du malheur que je crains ;
Je la voy tour à tour favorable & contraire,
Un jour me promet tout, l’autre me desespere,
Son Troupeau vient encor paistre avec mes brebis,
Je la voy, je l’entens, mais que je crains Daphnis !
Son chien vient tous les jours caresser ma Bergere
Tandis que ce Berger couché sur la fougere
Faisant des plus beaux airs retentir nos Valons
Mesle le nom d’Ismene à ses tendres chansons,
Que Daphnis est adroit ! que sa voix est touchante !
Ah ! qu’il exprime bien une flame naissante ;
Il aime, il sçait aimer. Que sçay je quelquefois,
S’il emprunte toûjours le secours de la voix ?
Si tandis que mon cœur loin d’Ismene soupire,
Il ne se livre pas au charme qui l’attire.
Tout m’en assure helas ! & je n’en doute plus,
Infortuné Damon, que de soins superflus !
Cette chere brebis qu’Ismene prit pour gage,
D’un retour amoureux doux, mais foible presage,
A quitté la Bergere & bêlant aprés moy
M’apprend à tous momens qu’elle a manqué de foy ;
En faut-il davantage ? Ismene est infidelle,
Elle sent pour Daphnis ce que je sens pour elle.
Amour, Transports jaloux, qui me faites souffrir,
Helas ! laissez-moy vivre ou faites moy mourir.

[Mort] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 163-170.

J’ay oublié de vous apprendre la mort de Messire Julien Brodeau, Seigneur de Moncharville, Oiseville, Fresne, & autres lieux, & Conseiller honoraire en la Grand’Chambre, arrivée le 26. Mars dernier. Il estoit Fils de Mr Brodeau, ce celebre Avocat au Parlement, qui preferant toûjours sa fonction aux plus élevées de la Robe, voulut y mourir, & de Dame Marie Merault, Tante de Mrs Merault, Conseillers au Parlement ; Petit-Fils de Messire Charles Brodeau, Avocat General de Henry le Grand, pour lors Roy de Navarre, & de Dame Ambroise le Pelletier, grande Tante de Mr le Pelletier, Ministre d’Etat, & de Mr le Pelletier, Conseiller d’Etat ordinaire, & Surintendant des Fortifications de France, arriere Petit-Fils de Messire François Brodeau, Conseiller d’Etat & Maistre des Requestes d’Antoine de Bourbon Roy de Navarre.

Cette Famille originaire de Touraine, a pour aîné Messire Jean Brodeau, Marquis de Chatres & de Cande, cy-devant Grand Maistre des Eaux & Forests de France, & dont les alliances avec plusieurs grandes Maisons du Royaume, sont considerables. Il garde les Titres originaires de sa Maison, dont le lustre a commencé par Victor Brodeau, ennobli par Philippe Auguste, au Camp devant Acre en Egypte, à cause des belles actions de son Pere & des siennes. Ce Titre original en latin, porte cecy.

PHILIPPES par la grace de Dieu, Roy de France, Salut. Le principal soin des Princes estant de récompenser le merite des Hommes illustres nous le faisons en accordant la Noblesse à Victor Brodeau, dont le Pere a fait des Actions éclatantes dans la guerre sacrée, & nous voulons qu’il porte sur son Ecu, trois palmes en chef sur la croix recroisetée. Donnée à Paris l’an 1191.

Ces Lettres en parchemin ont un petit Sceau de cire jaune pendant au bas. Il y a eu dans la Maison de Brodeau des Ministres d’Etat du nom, des Cardinaux & des Generaux de terre & de mer, dans les alliances les plus proches. Ceux de cette Maison ont depuis passé des Armes aux Lettres, dans lesquelles ils se sont particulierement distinguez. Victor Brodeau, mort sous le regne de François I. Jean Brodeau, celebre par les ouvrages qu’il a laissez, mort à Tours en 1563. & le celebre Julien Brodeau dont on a parlé. Le nom de Brodeau est aussi allié à celuy de Sainte-Marthe, dont il reste Messire Abel de Sainte-Marthe, Petit Fils de l’Illustre Scevole de Sainte-Marthe, chery d’Henry III. & recommandable par ses Eloges des Hommes illustres, & par sa Pœdotrophie.

La branche de feu Mr Brodeau a des alliances tres-considerables dans le Ministere, dans le Conseil d’Etat, & dans les Parlemens, principalement en celuy de Paris, trop étenduës pour les rapporter icy. Il avoit deux Sœurs, dont une a épousé Mr Lallemant, mort Maistre des Requestes, & Intendant de Roüen, & l’autre Mr de Montanglos, Seigneur de Francheville, mort Conseiller au Parlement.

Mr Brodeau laisse quatre enfans, sçavoir Pierre Julien Brodeau, Seigneur de Moncharville non marié ; Julien Brodeau, Seigneur d’Oiseville, Lieutenant General de Tours ; Madelaine Catherine Brodeau, mariée à François René de la Corbenaye, Comte de Bourgon, d’ancienne Chevalerie de Bretagne ; & qui compte des Souverains dans sa Maison Alliée presentement à beaucoup de grandes Maisons du Royaume. Le quatriéme est Claude Julien Brodeau, Seigneur de Fresne, Lieutenant de Vaisseau, & qui a depuis peu couru de grands risques sur le Vaisseau de Mr le Comte de Hautefort. Ils ont eu pour mere, feuë Dame Madelaine Bechfer, d’ancienne Noblesse de Champagne, & dont la Maison qui s’y est étenduë par beaucoup d’Alliances est originaire d’Allemagne.

[Nouveau sistesme de l’univers] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 170-191.

Mr Brodeau de Moncharville, dont il est parlé dans cet Article, a donné depuis peu au Public un nouveau Sisteme de l’Univers. Ce livre fait tant de bruit qu’il est bon de vous en donner une courte idée. Cette Piece est en Vers heroïques élevez, forts, naturels & pompeux, d’un stile net, tres-concis, & tout s’y soûtient également. Le projet n’est pas moins étonnant par son étenduë qu’il l’est par sa nouveauté. L’Auteur y renverse generalement toutes les opinions des Philosophes anciens & modernes. Le Plan de son Sisteme est en Estampe à la teste de son livre, & comprend six Propositions fondamentales.

Dans la premiere qu’il divise en deux parties, il nie dans l’une le plein corporel & contenu qu’établissent Platon, Aristote, Descartes, & leurs Sectateurs. Et dans l’autre, il nie le vuide inanimé qu’admettent Democrite, Epicure, Gassendi, & ceux de leur Secte. Il soûtient le Mouvement principe de toute generation, & de toute destruction. Que s’il se trouve dans la nature un plein corporel & contenu, le Mouvement ne peut avoir lieu ; donc plus de generation ny de corruption. Que si le vuide est inanimé, la Nature tombe dans la même privation, les atomes ne pouvant agir d’eux-mêmes, parce qu’ils sont matiere, & par consequent incapables d’un mouvement propre & naturel en eux. Il admet donc les atomes libres & vaguans dans l’Univers, non pas à l’aventure, mais déterminez par un mouvement tout animé, qui remplit tout, qui les traverse, qui les environne, & qui part du premier Principe, & de cette hypothese suit necessairement la rare découverte des operations infinies de la Nature.

La seconde admet la pluralité des Soleils & de leurs Mondes, qu’il établit dans un nombre indéfini, mais cependant terminé.

La troisiéme contre tous les Physiciens & autres anciens & modernes, établit la gloire celeste au lieu le plus bas, c’est-à-dire, au centre, principe de ce grand & general mouvement de la Nature, d’où dépendent tous les autres.

La quatriéme nie que les influences divines & le mouvement soient naturellement directs, & admet ces influences sous une idée spirale & le mouvement des corps naturellement circulaire. Ces deux dernieres propositions font la source & le fondement de son nouveau Sistême. Par cette idée spirale, tout passe du centre à la circonference, & tout retourne de la circonference au centre, & toûjours alternativement de même, par une viscissitude continuelle & déterminée. Il fait à l’occasion du mouvement une difference bien essentielle de mouvemens, toute naturelle, & qui cependant n’a jamais encore esté bien remarquée jusques-icy.

Il y a donc, dit-il, deux sortes de mouvemens bien differens, l’un est animé parcequ’il part d’un principe animé, c’est le mouvement general qui fait toutes les operations de la nature, c’est proprement elle même, d’où s’émanant du premier Estre, il suit sa détermination à circuler, & forme tous les corps visibles suivant cette détermination. De là on les voit naturellement portez à la figure ronde. L’autre mouvement est bien different, il est mort parce qu’il part d’un principe sans ame, c’est la matiere. Ainsi ce mouvement ne circule pas, mais il est direct ; par ce qu’il suit la matiere qui tend par son poids à se rejoindre à la matiere comme de même nature, & ce mouvement est proprement la pente des corps. Par ces deux mouvemens si differens il prétend clairement prouver generalement tout ce qui se passe dans la nature dans une Philosophie expliquée, mais concise, qu’il nous promet fondée sur son nouveau sisteme où les vertus distinctes & specifiques de chaque Estre different seront developées dans toute leur étenduë.

Sa cinquiéme proposition nie la matiere divisible à l’infini, d’où par consequent l’Univers materiel est terminé. Cette proposition n’est pas moins considerable que les quatre autres, ny moins contraire à celles qui ont paru jusqui-cy.

Enfin sa sixiéme prouve que tout corps est air condencé sous differentes formes par les circulations continuelles de la nature ; que chaques corps a son feu central, & que ce feu n’est autre qu’une émanation du mouvement general.

Telles sont ses opinions. Il les appuye par des raisons si precises, si naturelles & si convainquantes qu’il semble qu’il n'y a pas lieu de douter des nouveautez qu’il avance. Il confirme par la Sainte Ecriture tout ce qu’il dit, & les Passages sur chaque proposition sont raportez à la fin de la piece avec les renvois.

Cette premiere piece est suivie d’une autre qui n’est guerre moins considerable. C’est un Poëme sur Dieu, sur l’Ame, & sur l’Eternité. Les Vers sont du même genie, & par consequent également beaux. Ce Poëme finit par un abregé de toute la Religion Chrestienne, & les Passages de la Sainte Ecriture sur tout ce qu’il avance en ce Poëme, sont ensuite.

Ces deux Pieces sont suivies de Stances fort élevées, & qui partent d’un esprit penetré. Il y a de plus deux Plaintes des Muses, l’une d’un stile pompeux, où l’origine de la Societé est raportée aux Muses. L’autre est d’un stile fort enjoüé. Quelques petites Pieces détachées s’y trouvent aussi. Ensuite on voit les Lamentations du Prophete Jeremie en Elegies, & la destruction de Tyr du Prophete Ezechiel en Poëme Epique, dont la traduction fidele, le naturel, l’énergique, & l’élevation des Vers sont fort goûtez.

Aprés ces Ouvrages, il donne une Liste de ceux qu’il promet de donner encore, & qu’il dit fort avancez. La premiere Liste contient l’abregé de tous les Theologiens sacrez & profanes, de tous les Philosophes anciens & modernes, des Astronomes, des Geometres, des Mathematiciens, des Medecins & des Philosophes Hermetiques, où toutes leurs opinions & leurs principales raisons sont raportées dans le même ordre qu’ils ont suivi, & suivant les temps qu’ils ont écrit.

La seconde Liste comprend une Histoire d’une prodigieuse étenduë, & qui n’a jamais encore paru. C’est l’Histoire generale de la Mer, dont il établit six Divisions principales, & qui selon l’idée qu’il en donne pourra bien contenir douze à quatorze Volumes partie in quarto, partie in octavo, avec plus de quatre cens Planches en Tailles douces de tous les Vaisseaux anciens & modernes des Nations maritimes & des plus grandes Actions maritimes qui se sont passées depuis la premiere Antiquité jusqu’à present.

Les deux Avertissemens qui sont à la teste de chaque Liste, & tout ce Livre dont je vous donne le concis, marquent un Esprit d’une tres grande force, & d’une science & d’une lecture consommées. Cependant l’Auteur ne paroist pas passer trente cinq ans. Il en a employé douze ou treize à servir sur Mer, où il a fait autant de Campagnes en qualité de Commissaire Ordonnateur. Il s’est trouvé dans plusieurs actions differentes, & esté blessé dans quelques unes, entre autres dans le Combat que Mr le Maréchal de Tourville livra contre Papachin, Vice-Amiral d’Espagne, où Mr Brodeau se distingua particulierement. On le vit par tout. Il fut considerablement blessé dans le fort du Combat, & ne voulut jamais quitter que l’action ne fust finie, quoy que son Employ le dispensast de s’y trouver. Il y a quelques années qu’il a quitté la Marine pour s’adonner aux Lettres. Le premier dessein qu’il ait formé a été cette belle & grande Histoire generale de la Mer dont il parle à la fin de son Livre. Il y travailloit avec autant de dépense que d’aplication, lorsque la Fortune renversa ses desseins par une banqueroute qui luy enleva la plus grande partie de son bien, & qui l’ayant obligé de cesser ce grand & curieux travail, il en a fait un autre, dont la dépense sera beaucoup moins considerable, mais qui sera d’une égale ou plus grande utilité pour les Sçavans. C’est le prodigieux Abregé de tous les Philosophes, dont il donne la Liste dans le même Livre. La perte de son bien, loin de l’abattre, n’a servi qu’à l’élever davantage. Son esprit trouva de nouvelles forces. Il parut toûjours le même, & c’est dans le temps où il a fait de grandes pertes qu’il a le plus partagé sa vie entre les Sciences & le beau Monde. On l’a souvent pressé de le donner au Public, mais ça été toûjours inutilement. Cependant le dernier Ouvrage qu’il vient de faire, & qui part d’une Science infinie, je veux dire son nouveau Sisteme, a si fort surpris ceux qui l’ont lû qu’il n’a pû se deffendre de le faire paroistre, & ce premier debit est tout ce que l’on auroit pû attendre des Auteurs les plus consommez qui n’ont jamais produit une hypotese si sublime, si profonde, si suivie, ni si prouvée par des raisons si convainquantes. On croiroit, à voir la Liste de ses Ouvrages, qui sont effectivement presque faits, que la vie de quatre autres n’y suffiroit pas, ou du moins qu’il seroit dans une grande vieillesse. Cependant c’est un jeune homme qui jusques icy a passé une bonne partie de sa vie dans un Métier où l’on se pique beaucoup plus de bravoure que de Science, & dans lequel on ne peut s’appliquer à l’Etude, faute de Livres rares, & de temps pour les bien connoistre.

Ce n’est aussi que depuis sept ou huit ans qu’il a quitté la Marine, que tous ces prodiges sont partis de luy, lors même qu’on l’a vû le plus répandu dans le monde. Ceux qui le connoissent n’en sont pas surpris, rien n’étant égal à la vivacité avec laquelle il travaille, quoy que dans une justesse & une élegance bien prouvée dans le Livre qu’il vient de donner, où l’on voit, pour ainsi dire, plus de pensées que de mots, & toutes choses nouvelles, dans une Poësie sublime, aisée, noble & naturelle. Ses inclinations ne sont pas moins belles que son Genie. Il est dans une estime generale, & il vient à bout de tout ce qu’il a entrepris, il peut esperer d’estre mis au jour au nombre des Hommes illustres. Son Livre du nouveau Sisteme de l’Univers se vend chez Jacques Josse Libraire & Imprimeur, à la Colombe Royale, ruë S. Jaques prés Saint Yves.

Sur l’Espalier de Saint Gratien, planté et cultivé par Mr le Maréchal de Cantinat. Idylle §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 194-202.

Vous sçavez, Madame, que les anciens Romains, aprés avoir triomphé de leurs ennemis, venoient dans leurs Maisons de campagne se délasser de leurs glorieuses fatigues en cultivant leurs Jardins. Mr le Maréchal de Catinat les a imitez dans cette agréable occupation, & c’est ce qui a donné lieu à ces Vers qui ont esté extrêmement approuvez de tous ceux qui les ont lûs. Ils sont de Mr de Varenne, Frere du Pere Bernard Theatin, connu par divers ouvrages qu’il a donnez au Public, avec beaucoup de succés.

SUR L’ESPALIER DE S. GRATIEN, PLANTÉ ET CULTIVÉ PAR Mr LE MARÉCHAL DE CATINAT.
IDYLLE.

Jeunes Plans croissez à loisir,
Fleurissez sous d’heureux auspices ;
D’un Heros, insensible à tout autre plaisir,
Vous devez estre les delices.
Les soins où pour vos jours sa tendresse descend,
Attendent de vos dons le tribut innocent,
Croissez sous un Ciel salutaire ;
Et que vostre fecondité
Lui rende, pour l’honneur qu’il a daigné vous faire,
L’hommage qu’il a merité.
***
Voyez autour de vous ces Plaines fortunées,
De mille arbres feconds en tout temps couronnées,
Ces arbres si chargez de fruits,
Ne peuvent toutefois qu’étaller leur richesse :
Et la rustique main, qui nous les a produits,
De leur vile origine annonce la bassesse.
D’autres bois plus audacieux,
Portant leur cime jusqu’aux cieux
Steriles ornemens de quelque Forest sombre,
Semblent s’évanoüir dans leur propre hauteur,
Un épais feüillage, & de l’ombre,
C’est tout ce qu’on attend de leur vaine grandeur.
***
Arbrisseaux, vostre sort est plus digne d’envie.
D’un plus noble Artisan vous recevez la vie.
Sa main accoûtumée à cueillir des lauriers,
S’occupe de vostre culture ;
Et changez tout à coup en riches espaliers,
D’un lieu déja riant il vous rend la parure.
L’Aurore, & le Midi, redoutez des frimats,
Dérobent vostre enfance à leurs noirs attentats.
Ce Heros si terrible à Staffarde, à Marsaille,
Qui ne craignit jamais le choc des Bataillons ;
Fait voir, en vous couvrant d’une utile muraille
Qu’il craint pour vous les Aquilons.
***
Mais ce qu’on aura peine à croire,
Pour vous montrer son cœur, & combler vostre gloire,
Sans cesse il s’entretient de vous :
Et croit que des Couriers la lenteur importune
Retarde le plaisir si doux,
D’apprendre promptement qu’elle est vostre fortune.
S’il combat vaillamment pour des droits contestez :
Ou si le sort, jaloux de ses prosperitez,
A d’autres ennemis l’ose livrer en proye :
Dans ses momens heureux, dans ses tristes momens,
Vous estes son unique joye,
Vous faites ses amusemens.
***
Croissez donc, jeunes Plans, & que vostre abondance
Acquite auprés de luy vostre reconnoissance.
Que dans vos tendres rejettons
Il ait d’un fruit naissant les premices flateuses.
Vos tresors aujourd’huy l’honneur de ces cantons,
Enrichiront bientost ses tables somptueuses.
Entre les mets les plus exquis,
De sa main liberale on les verra servis
A ces Amis de choix, que son merite touche.
Oüi, de vostre bonheur les Arbres envieux,
Verront vos fruits divins, reservez pour la bouche
Des Cesars, & des demi-Dieux.
***
Que de motifs pour vous de croistre,
Et de faire les vains, s’il vous sied bien de l’estre,
Essais d’un modeste Heros !
Taisez-vous ; il sçaura, content de son ouvrage,
Le goûter à plaisir, le vanter à propos.
Alors dans ces beaux traits, où le repas l’engage,
Vos éloges mêlez, détournant le discours,
En suspendront souvent le cours.
Que les Bois les plus fiers abaissent donc leurs testes,
Et confessent icy, devenus moins altiers,
Que parmi leurs pareils vous estes,
Ce que vostre Heros est parmi les Guerriers.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 202-203.

Je vous envoye un Air nouveau de la composition de Mr Guilain, fameux Organiste.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, C’est à toy divin Bacchus, doit regarder la page 202.
C’est à toy divin Baccus.
Que nous devons nostre gloire.
Quand on est plein de ton Jus,
On est seur de la Victoire.
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[Plainte de la France aux femmes de ce siecle] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 246-268.

Vous ne ferez pas fâchée de lire la piece qui suit. Elle est d’un caractere à ne vous déplaira pas.

PLAINTE DE LA FRANCE AUX FEMMES DE CE SIECLE.

Dans un Temple consacré à la Paix, au milieu d’un boccage, dont le silence n’est jamais troublé, que par le bruit des Zephirs, ou par le doux ramage des oiseaux, la France fit un Discours au sujet des femmes de ce siecle, en presence d’une Compagnie composée d’une troupe de Déesses, & des plus rares Beautez de la Cour de Louis le Grand. La sage Minerve tenoit parmi ces Dames une des premieres places. Astrée dans le simple appareil où elle se fait voir aux hommes, venoit d’abord aprés elle. La Victoire & la Renommée, parées avec autant de soin que pour le jour de leur triomphe, occupoient ensuite les sieges éclatans qui leur estoient preparez. Plusieurs autres Divinitez estoient ainsi placées, selon leur rang, & selon la dignité de leurs fonctions. D’un autre costé la Paix qu’on avoit veuë descendre du Ciel, sur un char couvert de deüil estoit nonchalamment assise. Une tristesse majestueuse estoit imprimée sur son visage, & répanduë sur ses ajustemens. Elle n’estoit plus couronnée, ny des roses, ny des feüilles d’olivier, comme dans le temps de son regne. Cependant à la vuë de cette nombreuse Assemblée qui dans cette ceremonie n’avoit choisi son Temple, que pour la venir consoler de son exil, elle reprenoit de temps en temps un certain air de severité, qui temperoit au dehors le ressentiment qu’elle nourrissoit dans son cœur.

On voyoit à sa droite, une suite de ces Divinitez bienfaisantes, qui sont ses Compagnes inséparables. La tranquille Felicité s’y faisoit aisément remarquer à son air noble & modeste. L’abondance, la Liberté, & la Fortune, y tenoient aussi des places fort distinguées. Le reste enfin de cet auguste cercle estoit formé par ce qu’il y a de plus poli & de plus galant, parmi le beau Sexe de la premiere Cour du monde, comme j’ay déja dit. La France parla à ces Dames, & se servit de ces termes.

Je ne viens pas dans ce Temple, ô Déesse, Fille du Ciel, dit elle, en s’adressant à la Paix, pour exciter mal à propos, ny redoubler ses ennuis que mes nouvelles guerres vous ont déja causez. Vous pouvez juger au contraire par mes soins & par mes efforts, du desir sincere que j’ay de vous revoir dans mes Etats. J’ose même dire que le sujet qui nous rassemble icy est une preuve évidente, de la pureté de mes intentions ; puisque je ne viens que pour vous annoncer, & pour vous convaincre que je voudrois avoir dans mes Villes, ou dans mes Provinces, autant de Femmes genereuses, que je trouve par tout d’hommes prests à porter de l’un à l’autre bout du monde la gloire & la terreur de mes armes, pour vous faire regner éternellement avec moy.

Voyez, aimable Déesse, l’étenduë de mes souhaits, & l’excés de mon amour. Je ne doute pas que vous n’en soyez d’abord surprise, & que mon sexe n’en soit allarmé ; mais le Heros, que le Ciel m’a donné, & qui ne travaille qu’à vous maintenir, en vous sacrifiant mesme les plus beaux lauriers, demande de vous & de moy les justes plaintes que je fais en ce jour.

Je vous en fais les Arbitres, ô Puissantes Divinitez, qui m’honorez d’une attention si favorable. Au milieu des prodiges étonnans qui ont paru durant le regne de ce Heros ; parmi ces hommes extraordinaires, & ces Femmes illustres, qu’on n’a vû naistre, pour ainsi dire, que pour l’embelissement de son siecle, ne devois-je pas croire que le Ciel pourroit susciter en sa faveur, des Femmes Heroïques, qui eussent de la fermeté & du courage au delà de toutes celles de leur sexe, pour élever ma Nation au dernier comble de la gloire ? J’avois lieu sans doute de l’esperer, & tout sembloit me le promettre. Déja les beaux Arts & les Sciences les plus épineuses, cultivées par les Dames, déja le prix qu’elle ont remporté, dans mes plus florissantes Academies, tous ces nouveaux miracles, estoit pour moy d’heureux présages, & je pouvois me persuader que mon attente ne seroit pas inutile ; mais les Dieux m’ont refusé cette joye. Je n’ay fait au Ciel que des prieres perduës ; & s’il a souvent permis que le beau sexe triomphast de l’esprit comme il triomphe des cœurs des hommes, helas ! je n’ay jamais eu le plaisir de voir, qu’il imitast la valeur & l’intrepidité de mes Heros. Aussi avois je moins fondé mes esperances sur l’idée de ce premier bonheur que sur l’exemple des siecles passez. Une Femme guerriere ne me sembloit pas si difficile à trouver, lorsque j’en voyois quelqu’une, presque dans tous les temps. Combien de fois me suis-je representé cette fameuse Souveraine qui parut la premiere à la teste des Armées ? Qu’il m’étoit doux de la considerer, le fer à la main dans une Bataille, disposant de tout avec prudence, faisant front de toutes parts, & remportant une victoire qui fut d’autant plus belle que le General des Ennemis fut glorieusement mis à mort par les mains d’une autre Femme. Mais quelle foule de Reines, de Veuves, & de jeunes Filles, se presente tout à coup à mon souvenir, lesquelles ont donné des preuves de leur courage par des actions qui auroient fait honneur aux plus vaillans hommes ? Passons toutefois sous silence l’exemple de ces Femmes que l’Inde a vuës autrefois combatre, pour la conservation de ses interests, & de sa liberté. Dispensez moy de vous parler aussi de ces illustres Romaines, qui ont merité des Couronnes dignes des Cesars, & des Augustes. Arrestons nous, si vous voulez, sur ces rivages heureux, où cette nation choisie d’Amazones regne depuis si longtemps ; & dont la valeur fut toûjours regardée par les premiers Conquerans du monde, avec respect & avec étonnement. Je devrois icy vous retracer leur histoire, & vous faire la peinture de leur gouvernement, & de leurs mœurs, mais il faudroit pour cela, à la honte du sexe François, vous entretenir de leur éducation, de leur sagesse, & sur tout de leur indifference pour le plaisir & pour l’amour, tentation commune, attraits également invincibles pour le reste de toutes les Femmes.

Mais pourquoy remonter si haut ? Les Femmes ne peuvent elles avoir du courage que sous un Ciel étranger, & en des Climats barbares ? N’a-t-on pas vû des jeunes Heroïnes dans le sein même de mes Etats, se presenter à mes ennemis, repousser leurs assauts, & triompher de leur resistance ? Je n’aurois jamais fait, ô Saintes Divinitez, si je voulois étaler tous les exemples que je pourrois raporter à ce propos. Mais n’en doutons point. La Valeur, cette vertu magnanime, que le Ciel n’a ce semble accordé, qu’aux hommes, seroit propre aux Femmes de nos jours, si cette mollesse, & cette timidité affectée qu’elles font paroître ne les rendoient aussi foibles qu’elles veulent qu’on les croye, ou qu’elles le sont en effet. De là vient, qu’elles se bornent à de plus douces conquestes, qu’à celles des Villes & des guains des Batailles. La victoire d’un cœur qu’elles ont assujetti, ou par le pouvoir des yeux, ou par le charme de la parole, est le seul triomphe où elles aspirent ; ou pour mieux dire, elles n’aiment presque toujours qu’à briguer le fer d’un Vainqueur, & à voir leur propre défaite. C’est à vous, ô justes Dieux, à me vanger. Serez vous toûjours sourds à mes plaintes ? Que Mars & Bellone travaillent sans cesse à nous former des Heroïnes, comme Apollon & Minerve ont déja sçu nous donner des Muses ! Que l’un & l’autre sexe contribuë maintenant à ma felicité à la gloire de mon Héros.

A peine la France acheve ces dernieres paroles, d’un ton plein de confiance qu’un bruit harmonieux & ravissant se fait entendre de tous côtez. Les voûtes du Temple, & les Echos du bois en retentissent. Une lumiere vive & brillante se répand tout à coup, & les Divinitez enchantées, ne se ressouviennent plus des plaintes de la France ; les portes du Temple s’ouvrent d’elles mêmes. Venus enfin paroist ; on la reçoit d’abord, on la caresse, & on l’écoute. Elle parle avec éloge du Zele toujours nouveau que la France témoignoit pour son Invincible Monarque, & semble justifier l’ambitieux projet qu’elle venoit de former ; mais elle prend aussi à son tour le parti des Dames, & parle éloquemment en leur faveur. Elle se plaint qu’un tres grand nombre des Femmes considerables dans le monde par leur naissance & par leur esprit, avoit abandonné le culte de ses Autels, pour aller offrir leur encens uniquement à ce grand Roy ; que leurs voix ne chantoient plus que ses loüanges & celles du jeune Heros de son Sang ; que leurs mains ne sçavoient plus tracer que l’Image de ses Triomphes, & que les Villes & les Provinces seroient entierement dépoüillées de leurs plus beaux agrémens, si les Femmes qui seroient d’ailleurs d’inutiles fardeaux dans les Armées, devoient suivre la destinée des Hommes. Si la chose arrivoit, je jure par le nom de mon Fils, s’écrie-t-elle en finissant ; j’en jure par ses Armes victorieuses de vanger bientost la querelle des Dames, & de semer par tout le trouble, l’horreur & la confusion. La cause des Dames fut ainsi soutenuë avec tant de grace, & avec tant de vivacité, que cette Troupe de Déesses, donna sans une plus longue deliberation, dans les nouveaux sentimens de Venus ; & ce jour solennel alloit finir par une agréable Fête, si l’on eut permis l’entrée du Temple aux Graces, aux Plaisirs, & aux Amours ; mais tel fut l’ordre des Dieux ; quoique la Déesse fust partie de Cythere estant accompagnée de cette Cour, & que son Char attelé de Colombes, fust conduit ce jour là par son Adonis ; elle avoit expressement ordonné à la jeune & charmante Hebé de ne laisser pas avancer vers le Temple, ni les Ris, ni les Jeux, ni les Amours. Leurs tendres Concerts estoient hors de saison, en des lieux où l’on ne parloit que de la Guerre ; & leurs Divertissemens auroient sans doute déplu aux yeux de la Paix exilée, & aux yeux même de la France, dans un temps où cette aimable Divinité ne regnoit plus avec elle.

[Séance publique de l’Académie des Médailles & des Inscriptions] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 268-273.

Le Mardy 25. du mois passé l’Academie des Inscriptions, & des Medailles, recommença ses Seances d’aprés Pâques par une Assemblée publique dont Mr l’Abbé de Tilladet fit l’ouverture par un Discours rempli d’éloquence. Il fit voir que quoy que cette Academie ait pour objet principal l’Histoire des Rois de France, à commencer en retrogradant par le Regne du Feu Roy XIII. & qu’elle doive s’appliquer à la recherche des Inscriptions & des Monumens publics, elle ne laisse pas d’embrasser les belles Lettres & toute sorte d’érudition & de litterature, ce qu’il fit connoistre en parlant des differens ouvrages, que chaque particulier avoit entrepris selon son genie, sans que la Compagnie y doive avoir d’autre part que d’en dire son avis quand ils seront achevez. Les matieres sur lesquelles doivent rouler ces Ouvrages donnerent de grandes idées des excellens Ouvriers qui ont entrepris de les mettre en œuvre, & les Auditeurs en parurent fort contens.

Ensuite Mr l’Abbé Boutard, si celebre par les belles Odes Latines qu’il donne au Public de temps en temps en lut deux nouvelles qui le firent trouver digne de la réputation qu’il s’est acquise. L’une estoit sur le départ de Monseigneur le Duc de Bourgogne. L’autre s’adressoit au jeune Roy d’Angleterre Jacques III. pour l’exhorter à demeurer ferme dans la Religion Catholique, sur l’exemple du Feu Roy son Pere, & à profiter des sages & pieuses instructions de la Reine sa mere.

La lecture de ces deux Odes fut suivie de celle d’un tres beau & tres-curieux Traité du Pere Mabillon, Benedictin si connu dans toute l’Europe par un grand nombre de Sçavans Ouvrages qu’il nous a donnez. Ce Traité faisoit connoître quels ont été les tombeaux de nos premiers Rois. Comme de Pharamond, de Chilperic I. de Chilperic II. de Carloman, de Childeric & autres, & en quels lieux ont les a trouvez. Quantité de choses dignes d’estre sçuës estoient renfermés dans cette dissertation, & l’attention qu’on luy presta, marqua le plaisir que l’on prenoit à l’entendre.

Mr Couture, Professeur Royal en Eloquence, & cy-devant Recteur de l’Université de Paris, donna des preuves de sa profonde érudition par un excellent Traité qu’il lut sur les Loix Romaines, & sur les Ceremonies qui s’observoient pour les établir. Ce Traité reçut de grandes applaudissemens, & quoy qu’il fust long, Mr l’Abbé Bignon, President de l’Academie, en fit l’Analyse avec une justesse & une vivacité d’esprit admirable. Ce fut ce qui finit la Seance.

[Madrigal] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 278-279.

Le Madrigal qui suit est d’une Personne dont l’esprit brillant s’est souvent fait remarquer.

MADRIGAL.

Julie aux noirs cheveux, à l’air touchant & tendre,
Sur mille pots fleuris laissoit courir ses yeux
Lorsque voyant Licas elle voulut apprendre
Laquelle de ces fleurs luy reviendroit le mieux
Licas dit froidement qu’il aimoit la Jonquille
Et moy, je crois dit la charmante Fille
Qu’il en est de ces fleurs ainsi que de l’amour,
La plus durable est la plus belle,
Et s’il m’estoit permis de choisir à mon tour
Je voudrois choisir l’Immortelle.

[L’Eglise des Invalides, Poëme] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 306-311.

Vous m’avez souvent demandé des ouvrages de Mr de Belloc depuis que vous avez vû la Satire des petits Maistres qu’il fit il a quelques années. Le Succez de cette Satyre fut si grand à la Cour & à la Ville, dans les Provinces & dans les Pays Etrangers, qu’on ne se souvient point d’avoir vû d’Ouvrage qui en ait eu un plus grand. Vous avez eu raison de croire avec tous ceux qui ont admiré le beau genie de l’Auteur qu’il estoit capable de faire un Poeme achevé, s’il en entreprenoit en plus serieux. C’est ce qu’il vient de faire. Le sujet de ce Poesme qu’il a devisé en plusieurs chants est l’Eglise des Invalides. Cet ouvrage a fait un si grand bruit à la Cour, & a tellement charmé, ceux qui l’ont entendu lire avant que qu’il ait esté imprimé que les loüanges qu’on luy a données estant parvenuës jusqu’aux oreilles du Roy, Sa Majesté a voulu le voir, & l'a lû entier, ce Prince partageant si bien son temps que les grandes & importantes affaires qui l’occupent & ausquelles il donne la plus grande partie des journées, n’empêchent pas qu’il ne luy en reste encore pour donner aux choses pour lesquelles il juge à propos de l’employer. Rien ne marque plus la beauté du Poëme dont je vous parle que le temps que Sa Majesté a bien voulu donner à le lire. Je dois ajouter qu’une des grandes preuves de sa beauté aprés celle que je viens de raporter, est la dépence qu’on a faite pour le donner au Public, puisqu’il paroistra accompagné d’onze figures en taille-douce, gravées par le fameux Mr le Pautre. Le frontispice represente le bâtiment des Invalides ainsi qu’il doit estre selon les nouveaux desseins qui furent montrez au Roy par Mr Mansard le jour que Sa Majesté alla voir cet Hôtel Royal qui fait l’admiration de tous ceux qui l’ont vû, & sur tout d’un grand nombre d’Etrangers qui en ont parlé dans toute l’Europe, d’une maniere qui marquoit leur étonnement, & sur tout de l’Eglise. On voit aussi dans ce frontispice l’arrivée du Roy la derniere fois que Sa Majesté alla visiter ce superbe édifice, qui marque sa magnificence, sa charité & sa religion, aussi bien que le profond sçavoir de Mr Mansard dans le grand Art de l’Architecture. Je ne vous dis rien des autres tailles douces. Elles conviennent à cet édifice & au sujet du Poëme. Il se débitera dans quelques jours, chez Michel Brunet, à l’Enseigne du Mercure Galant, dans la Grande Salle du Palais.

[Ballade] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 311-314.

La piece qui suit sur l’immaculée Conception de la Vierge, a remporté le prix de la Ballade, au Palinod de Caën. Elle a esté faite sur ce que les Dieux voulans punir la temerité de Promethée qui avoit derobé le feu du Ciel, il fut attaché à un Rocher sur le Mont Caucase, où un Vautour venoit tous les jours luy ronger le cœur sans pouvoir le faire mourir, & le sang qui couloit de ce cœur, arrosant la terre en faisoit sortir une fleur qui ne se pouvoit ternir.

BALLADE.

Pour avoir pris le feu des Cieux,
Ton supplice est insuportable :
Et de tes cris, ô miserable,
En vain tu fatigues les Dieux ;
Mais s’ils n’écoutent pas tes vœux,
Ils font dans ce tourment terrible,
Naistre de ton sang glorieux,
L’unique fleur incorruptible.
***
Si-tost que ce Vautour affreux,
Qui déchire ton cœur coupable,
En tire un sang inépuisable ;
Pour punir ton crime odieux,
Ne sort-il pas devant tes yeux,
O prodige incomprehensible !
Du lieu le plus infructueux
L’unique fleur incoruptible.
***
Qu’il fasse un vent impetueux,
Qu’il tombe une gresle effroyable,
Où que du Ciel même implacable ;
La foudre tombe dans ces lieux ;
Toûjours ce germe prétieux
Sans éprouver rien de nuisible
Sera malgré ces temps fâcheux
L’unique fleur incoruptible.
***

ALLUSION.

Ce Criminel audacieux
Dont le sort fut si déplorable
Nous montre aujourd’huy son semblable
Dans le premier de nos ayeux :
Mais ton portrait miraculeux
Vierge, en cette plainte est visible,
Tu sors d’entre les vicieux
L’unique fleur incoruptible.

[Suite de la Marche de Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 321-327.

L’impatiente ardeur qu’avoit Monseigneur le Duc de Bourgogne, l’ayant fait voler plutost que marcher, pour se rendre aux lieux où l’Armée étoit assemblée, cette diligence a esté cause qu’on a eu des nouvelles de son arrivée à la teste des Troupes aussitost que du lieu où ce Prince a couché en partant de Versailles. Ce fut à Peronne, il y arriva sur les six à sept heures du soir au bruit de toute l’Artillerie & des cloches. Il fut reçu à la Porte de la Ville par Mr de la Brouë, Lieutenant de Roy accompagné de l’Etat Major & de Mr Frasier Majeur aussi accompagné de l’Echevinage qui luy présenterent chacun les clefs de la Ville. Ce Prince passa entre deux Hayes de la Bourgeoisie qui estoit sous les armes en Corps de Regiment, avec un air propre & guerrier, ayant à sa teste Mr Aubé, son Colonel. Ce Prince fut reçu à la descente de sa chaise, à la porte de Mr Eude, Président de l’Election, où il coucha, par Mr Bignon, Intendant de la Province qui le traitta avec toute la magnificence possible, & le servit à table. Les plats furent portez par douze personnes choisies. Mr Aubé monta la Garde à la porte du lieu où logea Monseigneur le Duc de Bourgogne, avec un détachement de 120. hommes choisis, deux Capitaines, trois Lieutenans & deux Enseignes avec le Drapeau Colonel, dit, de la Pucelle, & tout se passa avec tant d’ordre que ce Prince témoigna en estre tres satisfait. Il parla de la fidelité de la Ville de Peronne au Colonel, qui répondit que les Habitans suivoient l’exemple de leurs peres & qu’ils estoient prests tous de répandre comme eux, jusqu’à la derniere goûte de leur sang pour le service du Roy.

Monseigneur le Duc de Bourgogne dîna à Pont saint Maxence, chez Mr Cristal, Receveur des Aides de ce lieu, qui eut l’honneur de luy présenter un Impromptu, que ce Prince reçut agréablement.

Monseigneur le Duc de Bourgogne fut reçu à l’armée avec les démonstrations de joye qu’il est aisé de s’imaginer. Sa Maison n’estant point encore arrivée, il fut regalé, ainsi que toute sa Cour, par Mr le Marechal de Bouflers. Ce Prince s’attacha d’abord à voir les Troupes. S’estant mis un jour à la tête de l’Aisle gauche, & le lendemain à la teste de l’Aisle droite. Il fit tout ce qu’il put pour attirer dans la Plaine les Ennemis qui estoient derriere Cleves, afin de les combatre. Il détacha Mr le Comte de Coignies, avec trois cent Gardes du Corps & deux mille sept cens chevaux pour les examiner, mais les mouvemens que firent les Ennemis marquerent plus de crainte que d’ardeur pour en venir aux mains. Monseigneur le Duc de Bourgogne a fait faire de grands Fourages, où il s’est trouvé en personne. J’espere vous parler encore de l’Armée qu’il commande, avant que de fermer cette Lettre.

[Tout ce qui s’est passé à Naples depuis l’arrivée du Roy d’Espagne] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 361-405.

Vous attendez que je vous parle de l’arrivée du Roy d’Espagne, à Naples, & ce que vous en avez ouy-dire d’avantageux pour ce Prince redouble vostre curiosité. Je vais tâcher de la satisfaire aprés vous avoir fait part des Vers suivans qui furent faits sur ce voyage par une jeune Muse de Tours.

En vain la Fable aussi bien que l’Histoire
Nous vante de l’Antiquité
L’Illustre & brillante memoire,
Les Heros de ces temps avec toute leur gloire
Manquoient pour leurs desseins souvent de fermeté,
Toujours ils attendoient, soit en Paix soit en Guerre,
Pour executer leurs projets,
Que la belle Saison de retour sur la terre
Fust favorable à leurs souhaits.
Les perils de la mer sembloient de leur courages
Ralentir la noble vigueur,
Et ces hommes fameux ne sentoient dans leur cœur
Pour la Gloire une vive ardeur
Que quand tout conspiroit à de seurs avantages.
Les lauriers que l’on ceüille au milieu du danger
Avoient pour eux bien moins de charmes
Qu’une victoire aisée & sans allarmes
Dont ils trouvoient à l’aise à se dédommager.
Il n’en est pas ainsi du second de nos Princes.
Faut-il dans Naples même aller donner des Loix,
Affermir son pouvoir dans toutes ses Provinces,
Ranimer son ardeur pour le sang de ses Rois
Et faire voir que la Couronne
Que le droit que le sang luy donne
Est un Prix également dû
A sa valeur, à sa vertu ;
Alors la mer, les vent, l’orage,
Ne font qu’irriter son courage
D’un trajet hazardeux les écueils les plus grands
Pour arrester ses pas ne sont pas suffisans
Quand il s’agit d’aller où la Gloire l’appelle
D’un perfide Element au milieu des hazards,
Ce genereux & nouveau Mars,
Guidé de cette ardeur à son sang naturelle,
Voit des chemins ouverts de toutes parts.

Je vous ay déja parlé dans ma derniere lettre de l’arrivée de Sa Majesté Catholique à Baya, & de l’Audience que ce Prince y donna à Mr le Comte de Marcin. Pour ne point interrompre le Journal que je vais vous donner presque entier de tout ce que ce Monarque a fait à Naples depuis son arrivée & de tout ce qui s’y est passé Je vous diray deux choses qui vous feront sans doute plaisir, par ce qu’elles continueront à faire voir combien le Sang de Bourbon est reconnoissant, & avec quelles bonté & quelle magnificence il récompense proportionnément au merite & à la qualité ceux qui luy rendent quelque service. Le Roy d’Espagne ne fut pas plutost arrivé à Naples qu’il dit à Mr le Comte d’Estrées qu’il estoit si satisfait de son prompt, & heureux passage, & de la magnificence de la table de ce Comte, ainsi que de tout ce qu’il avoit fait pour soutenir l’éclat de son Employ, qu’il le faisoit Grand d’Espagne. On s’estoit mépris en lisant qu’il avoit esté fait Chevalier de la Toison d’Or. Ce Prince fit en même temps présent de plusieurs beaux Diamans à tous les Capitaines des Vaisseaux qui l’avoient accompagné dans son passage à Naples. Voicy les noms de ces Capitaines, & la valeur des Diamans.

A Mr de Langeron un Diamant de 530 loüis.

A Mr de Lorraine un de 600.

A Mr Dherbaut un de 450.

A Mr de Château Moran, un de 400.

A Mr Phelippeaux un de 350.

A Mr de Bagneux, un de 300.

A Mr de la Varenne, un de 300.

A Mr Monnier, un de 200.

Sa Majesté Catholique fit distribuer un grand nombre de louis d’or, sçavoir au Capitaine du premier Brulot. 100

Au Capitaine du second 100.

Au Capitaine de la Corvette 50.

A celuy de la premiere Tartane 50.

Au Capitaine de la seconde. 50.

Au Marechal des Logis. 50.

Aux Brigadiers 25.

A l’Equipage du Foudroyant 400.

A celuy de l’Admirable. 200.

A celuy du Fortuné. 150.

A celuy de l’Hirondelle. 100.

A ceux des Brulots, & des Corvettes. 150.

Aux Domestiques. 450.

Total tant de la valeur des Diamans que des louis d’or delivrez en espece, monte à 5830. louis.

Sa Majesté Catholique écrivit outre cela au Roy en faveur de plusieurs Officiers dont elle estoit tres-contente & marqua à Sa Majesté Tres Chrestienne que sa recommandation n’estoit pas de Roy à Roy, mais d’un petit Fils qui prie son grand Pere. Le bruit fut à peine répandu à Naples que ce Prince estoit arrivé à Baïa, qu’on s’empressa à meubler le Palais où Sa Majesté devoit loger. Comme le temps pressoit fort les plus grands Seigneurs se chargerent du soin de meubler chacun une Chambre, & chacun y ayant fait porter ce qu’il avoit de plus prétieux soit pour meubler, soit pour orner la Chambre de l’ameublement de laquelle il s’estoit chargé, tous les Appartemens du Palais se trouverent superbement meublez en tres-peu de temps. On remarqua qu’il y avoit quelques chambres dans lesquelles il se trouvoit pour plus de dix mille écus de Tableaux, & pour de grosses sommes d’Argenterie, de maniere que tout cela joint à la richesse des meubles, avoit quelque chose de si brillant, & de si superbe, qu’on ne peut qu’à peine se l’imaginer.

Le 17. d’Avril, le Roy étant passé sur les Galeres de l’Escadre de Naples qui étoient venues audevant de luy entra dans la Ville sur les cinq heures aprés midy au bruit de l’Artillerie des Vaisseaux, & des Chasteaux, & aux acclamations d’une foule incroyable de Peuple. Le Cardinal Cantelmi, Archevesque de Naples, donna la main à Sa Majesté lorsqu’elle sortir de la Galere, & ce Prince la baisa selon qu’il se pratique en Espagne. Ce Cardinal se jetta à ses genoux pour luy faire compliment, mais ses larmes qui interompirent son discours, luy firent beaucoup plus entendre qu’il n’auroit fait par les termes les plus éloquens, & le persuaderent davantage. Le Roy s’estant rendu au Palais se mit à une des fenestres qui regardent sur la grande Place afin de se montrer au Peuple, dont les cris redoublez sembloient demander sa présence en marquant l’impatience qu’il avoit de le voir. Ce Prince ayant remarqué que la place n’estoit pas seulement remplie de Peuple mais aussi d’un grand nombre de Personnes de distinction de tous les Etats, & mesme de Dames, dont toutes les Fenestres estoient bordées, & paroissoient partir plus du cœur que de la voix, quoy qu’elles fussent fort éclatantes, osta trois fois son chapeau en saluant de trois costés, afin que toute l’assemblée eut part à ses remercimens. Ces manieres honnestes & engageantes dont tous les assistans furent penetrez acheverent de luy gagner les cœurs, que sa presence avoit commencé à toucher en leur donnant une admiration qui les préparoit au plus tendre amour que des Peuples puissent ressentir pour leur Souverain. Le Duc d’Escalona, Viceroy de Naples, presenta ensuite à Sa Majesté les Députez de la Ville qui luy en offrirent les Clefs, & qui furent si surpris de trouver tant de douceur & tant d’affabilité avec tant de marques de grandeur, qu’ils en parurent enchantez, ainsi que les Seigneurs Napolitains, qui vinrent baiser la main de Sa Majesté. Le soir, tout le Peuple remply de la joye qu’il avoit d’avoir vû son Roy & de l’avoir trouvé si charmant, & si bon qu’il avoit lieu d’esperer de jouir de tous les bonheurs qu’ils pouroient souhaiter sous son regne, fit des feux, & des illuminations, La façade de la pluspart des maisons fut embellie de divers ornemens & de portraits, & les bougies n’y furent pas oubliées.

Le 13. le Roy alla faire ses prieres à l’Eglise Metropolitaine, où l’on aprocha devant Sa Majesté, le sang de Saint Janvier qui est petrifié dans une phiole proche de la Teste de ce Saint qui est dans une Chasse. Ce sang se liquefie aprés qu’on a dit beaucoup de prieres. Il est vray que ce miracle ne se fit qu’une demy-heure, aprés le retour du Roy au Palais. Sa Majesté y retourna sur les quatre heures aprés midy, & baisa la phiole dans laquelle tout le monde vit le soir le sang liquefié lorsque le Roy fut retourné au Palais, il y eut apartement jusqu’à l’heure de son souper, & plusieurs Seigneurs Napolitains eurent l’honneur de jouer avec Sa Majesté.

Le 19. le Roy alla à la Messe aux Carmes, & visita l’Eglise de Saint Dominique, & la Cellule de Saint Thomas d’Aquin. Ce Prince prit le divertissement de la chasse aux lapins, & fit remarquer son adresse à tirer au fusil.

Le 20. la Secretairerie d’Etat & de la Guerre, & celle de Justice du Duc d’Escalona, Viceroy de Naples, qui avoient cessé de travailler depuis l’arrivée du Roy, reprirent leurs fonctions, & Sa Majesté aprés son Conseil alla à la Messe aux Jesuites, & de là visiter plusieurs Eglises. Ce Prince s’estant mis l’apresdinée sur son Balcon, tua des pigeons, des perdrix, & des hirondelles qu’on luy lâcha, & fit admirer son adresse par le grand nombre de ces oiseaux qu’il tua. Le vent estoit si grand ce jour là, qu’il ne put aller à la promenade. Il y eut le soir Apartement où les Seigneurs Napolitains eurent l’honneur de jouer avec Sa Majesté.

Le 21. ce Prince donna audience au Cardinal de Benavente, & au Cardinal de Cantelmi, Archevêque de Naples, & frere du Duc de Popoli. Sa Majesté tint Conseil aprés avoir donné ces audiences, & alla ensuite à la Messe aux Jesuites. Ce Prince trouva l’Eglise & ses peintures tres-belles.

L’Apresdinée il alla voir une grotte faite par les Anciens sous une montagne qu’ils ont percée pour aller de Naples à Poussoles. Cette Grotte a douze cens pas de long sur seize de large, & quarante pieds de haut. On prétend qu’elle a esté faite en quatre jours. Le dedans est pavé de quarreaux qui ressemblent fort à ceux de nos Jeux de Paulme. Il y eut le soir Musique aux Appartemens.

Le 22. le Roy alla à la Messe aux Theatins. Ces Peres remarquerent sa bonté, & toute la Ville la loüa & l’admira. Je ne croy pas en devoir dire davantage. L’apres dinée ce Prince alla à la chasse. Il trouva des cailles, des pigeons, des perdrix, des hirondelles, & des paons que les Bourgeois luy avoient portez. Il est si universelement, & si tendrement aimé, qu’ils apportent de chez eux ce qu’ils estiment le plus afin qu’il ait le plaisir de le tirer. Quelqu’un leur ayant parlé de la grande bonté du Roy, & en même temps de leur revolte, ils répondirent trois paroles Espagnoles qui fermerent la bouche à ceux qui leur en avoient parlé. Ces trois paroles sont, San Pedro renego y lloro ; c’est à dire, Saint Pierre renia, & pleura. Il y eut le soir appartement à l’ordinaire.

Le 23. qui estoit le Dimanche de Quasimodo, le Roy fit sa Communion Paschale par les mains du Cardinal Cantelmi dans l’Eglise Metropolitaine, & tous ceux qui furent témoins de la maniere humble & pieuse dont il s’acquita de ce devoir en furent tellement charmez, que plusieurs verserent des larmes de joye. Ce Prince alla l’apresdinée à Vespres dans la même Eglise. Les Napolitains ont lieu d’en estre charmez de plus d’une sorte. Sa Majesté voulant estre informée de tout ce qui se traite dans le Conseil collateral qui se tient devant le Viceroy, a formé une Jonte d’Etat, composée du Comte de San Estevan, qui a esté autrefois Viceroy de Naples, & qui a une parfaite connoissance des affaires de ce Royaume là ; du Duc d’Escalona, qui en est presentement Viceroy ; du Duc de Medina Sidonia, & du Comte de Marcin Ambassadeur de France, Dom Antonio d’Ubilla, Secretaire des Depesches universelles, en est Secretaire, & il a deux Officiers Majors sous luy. Le Roy estant informé par ce moyen de l’estat de la Nation, examinant les manieres de son gouvernement, & si les plaintes qu’elle a faites quelquefois contre ses Vicerois & qu’elle peut faire encore, sont bien fondées. Enfin connoissant par luy-même tous les grands Seigneurs de cet Etat & leur caractere, il sera difficile qu’on impose à l’avenir au Conseil de Madrid touchant les affaires de ce Royaume-là, & ce Monarque qui en aura une parfaite connoissance poura rendre justice aux oprimez & condamner ceux qui se plaindront mal à propos.

Le 24. ce Prince dîna à onze heures & alla à la Chasse à deux lieuës de la Ville dans la Garenne de Madame la Marquise de Fuscali. Sa Majesté estoit accompagnée de beaucoup de Seigneurs, & de deux Compagnies de Gardes du Corps à Cheval. Je ne dis point qu’elle fit admirer son adresse dans cette Chasse comme dans toutes les autres. Il n’est plus necessaire de parler d’une chose si connuë. Sa Majesté avoit tué deux Sangliers de sa main quelques jours auparavant, & fit l’honneur à Madame la Marquise de Fuscali de recevoir le rafraîchissement qu’elle luy avoit fait preparer. Il y eut le soir Apartement & l’on joüa au Pharaon. Ceux qui se trouvent à ces Apartemens sont ordinairement appelez au Palais par le Comte de San Estevan.

Le 25. le Roy donna Audience au Nonce du Pape. qui estoit accompagné de cent cinquante Eclesiastique. Sa Majesté la donna ensuite au Connestable Colonne comme Grand d’Espagne. Ce Connestable s’étoit rendu à Rome avec une livrée magnifique, & plusieurs Caisses remplies de Présens pour toute la Cour d’Espagne. Le Roy alla le même jour à la Messe aux Jesuites.

Il ne faut pas s’étonner si les Napolitains ont esté charmez de ce Monarque, puisqu’ils ont trouvé en luy toutes les qualitez d’un Prince accomply sans y avoir pû remarquer aucun défaut. Aussi Mr le Duc de Beauvilliers a-t-il souvent dit en parlant de ce Prince qu’il n’avoit jamais sçû trouver en luy où placer une réprimande. Ses manieres honnestes & engageantes, en conservant neanmoins ce qu’il doit à la Majesté Royale, les ont d’abord enchantez. Sa pieté & ce qu’ils luy ont vû pratiquer toutes les fois qu’il s’est acquité des devoirs d’un veritable Chrestien ont redoublé aussi tost aprés leur amour & leur admiration, tant de sagesse & tant de vertu n’estant pas ordinairement le partage d’une si grande jeunesse. La maniere dont il s’est communiqué aux Seigneurs Napolitains, & à la Noblesse a esté un enchantement pour eux. Il a fait asseoir sur des Tabourets tous ceux qui ont eu l’honneur de joüer avec luy sans aller de plus que d’une pistole chaque fois, afin que personne ne se piquant au jeu, les Joueurs ne pussent par là faire aucun tort à leurs affaires. Il a permis à la Noblesse d’assister à son coucher. Enfin il a gagné les cœurs de tout le monde, en donnant Audience aux Personnes de qualité, aux Particuliers, & aux Pauvres, en se montrant à toute heure, en écoutant à toute heure, & en parlant à toute heure Il a fait diminuer le prix du pain dans le même tems qui l’a fait grossir. Il a ordonné que pour soutenir les Banques dont le credit estoit prest à tomber on y appliquast les biens confisquez du Marquis del-Vasto & des autres condamnez pour la rebellion. Il a prolongé pour une vie les investitures des Fiefs qui devoient estre renouvellez à la quatriesme generation. Il a aboly le Cedulaire qui est le resultat contre les Feudataires pour toute l’année 1702. Il a remis trois millions sept cens quatre vingt trois mille ducas qui reste du détours des Provinces du Royaume, & a donné un pardon general de tout le passé. Il a fait mettre en liberté la pluspart de ceux qui estoient prisonniers pour dettes en faisant payer leurs Creanciers de ses propres deniers. Il mange en public matin, & soir, & plus les Peuples le voyent, plus ils font voir d’indignation contre ceux qui avoient voulu les surprendre en leur faisant des Portraits de leur Souverain entierement contraires à ce qu’ils remarquent eux-mêmes, ils ne voyent, disent-ils, que dignité, bonté, sagesse, douceur, prudence, majesté, grandeur d’ame. Enfin ce Prince estant devenu leur delices, ils promettent de sacrifier tous leurs biens & leurs vies pour Philippe V. Ce ne sont qu’acclamations de joye, que festes publiques qu’éloges, & que festins pour marquer leur joye.

Ce Prince ayant trouvé les dix Compagnies de cent Maistres chacune, & formées par les grands Seigneurs de Naples, parfaitement belles, & ayant sçeu que mesme les Officiers Subalternes estoient de la plus haute qualité, Sa Majesté aprés en avoir fait plusieurs fois la reveue, resolut d’en faire un Regiment de mille chevaux pour sa Garde. Le bruit se répand aussitost aprés que le Roy vouloit jetter les yeux sur un homme plus distingué par sa valeur, que par sa naissance, ce Prince sçeut que ce choix feroit de la peine à quelques Seigneurs Napolitains, quoy qu’ils fussent pourtant résolus d’obeir sans replique à ses volontez, il n’en témoigna rien ; mais ayant pris conseil de sa Sagesse il fit assembler les principaux Officiers de ce Corps, & leur dit que voulant leur confier la Garde de sa Personne, il avoit besoin d’un Colonel, d’un Lieutenant Colonel, & d’un Major, & qu’il leur en abandonnoit le choix. Ceux qui avoient murmuré, furent si surpris de cette bonté qu’ils prierent instamment le Roy de nommer luy même ces Officiers, à quoy Sa Majesté repliqua, aprés avoir esté long-temps pressée de faire tels choix qu’il luy plairoit, que puisqu’elle se fioit à eux pour la conservation de sa vie, elle estoit persuadée que connoissant le merite des sujets de leur Nation, ils ne lui en donneroient que de capables, zelez & fidelles. Ils se deffendirent long temps d’en nommer ; mais enfin, le Roy leur ordonna de nommer trois Sujets du premier rang, autant du second, & autant du troisiéme, & ils obeïrent. La prudence, & la bonté de Sa Majesté furent admirées. Elle choisit Mr le Prince de Montefalcone pour Colonel, Mr le Duc de Sora pour Lieutenant Colonel, & Mr le Comte de Tito Caraccioli pour Major. Ce Corps doit suivre le Roy dans le Milanez. Sa Majesté fut à peine arrivée à Naples, que son premier soin fut d’écrire au Pape, pour luy en donner la nouvelle. Mr le Marquis de Louville fut chargé de porte sa lettre, & il fut reçu à Rome avec d’autant plus de distinction, que ce qui se passa à son égard ne se trouve point dans le Ceremonial. Il fut admis à l’Audience du Pape, avec l’épée au costé, ce qui ne se pratique point lorsqu’on n’a pas la qualité de Ministre representant. Il fut regalé le même jour de vingt bassins d’ouvrages de devotion, de quantité de confitures seches & d’autres choses à manger & de deux brancards chargés de vin. Tout cela porté par un grand nombre d’Estafiers. Ces presens vont beaucoup au de là de ce que l’on a accoutumé de faire en de pareilles occasions. Il y eut de grandes illuminations à Rome pour marquer la joye qu’on y ressentoit de l’arrivée du Roy Catholique à Naples, & les trois Cardinaux Chefs d’Ordre firent illuminer leurs Palais, ce qui est d’autant plus remarquable qu’ils representent tout le College des Cardinaux. Quoy que le Papé fust incertain si Sa Majesté Catholique viendroit à Rome, Sa Sainteté ne laissa pas de nommer le Cardinal Panciatici, pour donner les ordres de meubler l’Appartement dit de Borgia dans le Palais Vatican, & de faire divers autres preparatifs pour recevoir ce Monarque. Plusieurs Princes & Seigneurs qui ont des Fiefs dans le Royaume de Naples & qui en sont Feudataires, firent ôter les Armes de l’Empereur de dessus leur porte, & le Connestable Colonna, le Prince de Palestrina, de Piembino, de Rossanno, & Borghese, partirent pour Naples. Ils furent suivis d’un grand nombre de gens titrez, de Cavaliers, & de Dames, ainsi que de personnes de toutes sortes d’estats, de sorte que ceux qui furent les moins diligens à partir ne trouverent plus de Chevaux. Le Pape témoigna qu’il avoit dessein d’y envoyer le Cardinal Charles Barberin en qualité de Legat à Latere. Le Cardinal Grimani qui est dans les interests de l’Empereur, fit courir le bruit que si le Pape nommoit un Legat pour aller à Naples, il s’y opposeroit. Sa Sainteté l’ayant appris luy fit sçavoir que s’il avoit quelque chose à luy dire comme Ministre de l’Empereur, le Consistoire n’étoit pas le lieu de luy parler, & que s’il vouloit comme Cardinal luy faire des remontrances & des menaces, il eut à se taire. Le Pape fit connoistre en beaucoup moins de paroles ce que je viens de vous marquer, & dit. Si loqueris ut Minister, non est hic locus ; si ut Cardinalis, tace. Le Comte Lamberg, Ambassadeur de l’Empereur a déclaré que Sa Majesté Imperiale ayant sujet de se plaindre de la condamnation du Marquis del Vasto, elle de mandoit que S.S. demist de son employ de Secretaire d’Etat, le Cardinal Palousi, qu’elle cassast tous ceux qui ont jugé ce Marquis, & qu’elle luy envoyast à Vienne le Gouverneur de Rome pour luy faire satisfaction. Le Pape a refusé toutes ces demandes & a répondu qu’il n’avoit rien fait qu’il n’eust pû, & qu’il n’eust dû faire. L’Ambassadeur n’estant pas satisfait de cette réponse ny de la nomination du Cardinal Charles Barberin pour Legat à Latere, auprés du Roy d’Espagne, s’est retiré à San Quirico. Cependant tout est en mouvement en Italie pour les grands & superbes Equipages que font faire ceux qui sont sur le point de partir pour aller à Naples complimenter Sa Majesté Catholique de la part de Sa Sainteté, du grand Duc, de la Republique de Venise, & celle de Gennes. Le Grand Duc a envoyé le Cardinal de Medicis, son Frere & toutes les autres Puissances des gens distinguez, accompagnez des premieres personnes de l’Etat.

Enigme §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 418-420.

Le vray mot de l’Enigme du mois passé estoit l’Alleluya, qui se chante dans le temps de Pasques. Ceux qui l’ont trouvé sont,

Mrs Simon & François Presle, ruë Saint Julien des Menestriers : Jean Lainé, ruë Portefoin au Marais : l’infortuné Pigis : l’Absent mal vû de l’aimable Cathos, du quartier de la Guerche de Tours : le grand occupé du Palais : les Clercs de Mr du Pont, Notaire au Fauxbourg Saint Germain : La Dulcinée de Toulouse : Dom Grander Grillord, de la ruë de Condé, & la belle au beau teint de la même ruë, & Mademoiselle Baboulot, de la ruë des Massons : Mademoiselle Javotte Ogier, jeune Muse du coin de de la ruë de Richelieu : la petite Sœur de Saint François : l’Oiselette de la ruë de Saint Severin : la petite Niphine de la Bastille : la belle Babet de la ruë Saint Jacques, proche la ruë de la Parcheminerie.

L’enigme nouvelle que je vous envoye est de Mr Dansonville.

ENIGME.

Les humains de mes coups, presque toujours mortels,
N’ont aucun sujet de se plaindre,
Si je ne frapois plus, il seroit fort à craindre
Qu’on ne vist plus un jour de Temples ni d’Autels.
***
En coupant une teste ou tranchant mille bras
Je sçay l’art d’y donner la vie.
Les maisons où je sers n’attirent point l’envie,
Et je n’agis jamais sans faire un grand fracas
***
Je souffre volontiers qu’on me touche le dos
Mais quand il faut qu’un temeraire
Eprouve ce que je sçay faire,
Je ne respecte plus ny la chair ny les os,

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 421.

Voicy des paroles qui ont esté mises en air par Mr l’Abbé Masselin.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Convenons que l’Isle d’Amour, doit regarder la page 421.
Convenons que l’Isle d’Amour
Est un delicieux sejour,
Dans ces lieux enchantez l’incomparable Aminte
D’accord avec Baccus veut qu’il regne à son tour ;
Et pour nous engager à lui faire la cour,
Sa belle main se plaist à nous remplir la pinte.
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[Livres de Motets] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 421-423.

Le Sieur Claude Roussel donne avis au Public qu’il a mis au jour un Livre de Motets à une, deux, & trois parties, avec Simphonie & sans Simphonie. Ce Livre contient des Motets pour tous les Misteres de Nostre Seigneur, & de la Vierge, pour les Festes des Apôtres, Martyrs, Confesseurs, & Vierges. Il a aussi mis au jour un Livre de Pieces de Clavessin de Mr Clerambaud, Organiste, dedié à Monsieur le Duc d’Orleans. On trouve chez luy toute sorte de Musique Vocale & Instrumentale. Ceux qui en voudront faire graver, s’adresseront dans la ruë Saint Jacques au dessus des Mathurins.

Mr de Bousset, Maistre de Musique de l’Academie Françoise, & des Academies des Sciences & des Inscriptions, a donné au Public un recuëil d’airs serieux, & à boire, dedié à Madame la Duchesse de Bourgogne. Il contient trente deux Airs gravez par Claude Roussel. Le même Mr de Bousset continuera d’en donner au Public un pareil recuëil, qui se vendra chez le sieur Roussel, Marchand Graveur, ruë saint Jacques au dessus des Mathurins.

[Suite de l’Article de Naples] §

Mercure galant, mai 1702 [tome 6], p. 434-437.

Je ne puis m’empescher de vous parler de nouveau du Roy d’Espagne. J’ai encore mille choses à vous en dire que je reserve pour le mois prochain. Je vous diray seulement que la Noblesse du Royaume de Naples, voyant qu’il avoit la bonté de se communiquer souvent au Peuple, & en ayant temoigné du chagrin, parce que cette bonté estoit cause qu’elle joüissoit moins souvent du plaisir de le voir en particulier, ce Monarque l’ayant sçû, dit, qu’il estoit également Roy de la Noblesse & du Peuple. Comme on luy donne souvent la Musique pendant son dîner, il dit un jour en écoutant ceux qui chantoient sans les voir, qu’il y avoit parmy eux une voix plus claire qu’à l’ordinaire, & qu’il n’avoit pas accoutumé d’entendre. Ce Prince ne se trompoit pas, & il se trouva une fille seule parmy un grand nombre d’hommes. Il deffendit que cela arrivast à l’avenir, ce qui luy attira de grandes loüanges.

Le premier jour de ce mois on luy fit présent de fleurs & de fruits que l’on ne voit en plusieurs Etats que quelques mois plus tard, & il y avoit même des melons. Il dit en les considerant, qu’il auroit voulu les pouvoir envoyer au Roy son Grand-Pere, afin qu’il connust par là ce que c’est que Naples. Comme il marquoit par ces paroles qu’il estimoit beaucoup ce Royaume, elles reçurent de grands applaudissemens. Ce Prince dit chaque jour quelque chose de nouveau qui luy en attire, & sa reputation est tellement établie dans toute l’Italie, que les Etrangers ne peuvent plus trouver à Naples où se loger, & qu’on manque de voitures, quelque prix que l’on en veüille donner, pour s’y rendre de toutes les Villes d’Italie.