Relations diverses contenant la Journée de Nimègue, la Suite du journal de l’armée du roi en Italie, la Suite du Journal de tout ce qui s’est passé à Naples, [Mercure galant], juin 1702 [deuxième partie] [tome 8].
Relations diverses contenant la Journée de Nimègue, la Suite du journal de l’armée du roi en Italie, la Suite du Journal de tout ce qui s’est passé à Naples, [Mercure galant], juin 1702 [deuxième partie] [tome 8]. §
[Journal de Nimègue, Messe et marche militaire sans trompettes ni tambours]* §
Le même jour, ou plûtost le 10, car il estoit deux heures aprés minuit, Monseigneur le Duc de Bourgogne qui avoit ordonné qu’on l’éveillât à cette heure là, entendit la Messe, monta à cheval à une heure & demie, & fit marcher l’Armée sans aucun signal & sans tambours ny trompettes. Ce jour là, ce Prince demeura dix-heures à cheval. Il aprit à la petite pointe du jour que Mr d’Alegre avoit détaché Mr de Lisle Capitaine aux Gardes, la veille à sept heures du soir, avec deux cens Grenadiers seulement, pour aller forcer un defilé qui est proche d’une flaque d’eau entre deux moulins de papier à une lieuë & demie du Camp des ennemis. Ce defilé estoit gardé par six vingt hommes soûtenus par six cens autres qui occupoient des postes derriere ce même defilé, lequel s’ils avoient eu la précaution de se retrancher, n’auroit pû estre forcé par deux mille hommes. Le détachement des cent cinquante Grenadiers du Regiment des Gardes Françoises, Suisses & des cent Dragons, estant avancé, Mr de Clisson attaqua le defilé à la teste de quatre-vingt Grenadiers seulement, & s’en rendit maistre, quoy-que les ennemis fissent un assez grand feu. Il en tua huit ou dix, & fit quelques prisonniers.
Monseigneur le Duc de Bourgogne aprit à Norguena par Mr d’Alegre, qu’il n’estoit pas possible de penetrer au travers de la Forest avec l’Armée, pour arriver sur celle des ennemis.
Suite Du Journal de tout ce qui s’est passe à Naples pendant le sejour du Roy d’Espagne, & depuis son départ. §
SUITE
Du Journal de tout ce qui s’est passe à Naples pendant le sejour du Roy d’Espagne, & depuis son départ.
TROISIESME PARTIE.Quoy que je donne à cet article le titre de Journal, c’est plustôt une suite de ce que S.M.C. a dit, veu, & fait de considerable, qu’une Relation où l’on se soit assujetty à remplir chaque jour du mois de quelques unes de ces choses. Ce n’est pas qu’il n’y ait en quelques endroits plus de vingt jours de suitte où plusieurs choses qui regardent le Roy d’Espagne sont raportées. Mais il ne se peut que pendant plus de six semaines que ce Prince a demeuré à Naples, il ne se soit passé quelques jours dont on ne peut rien dire, quoique ce soient peut être ceux qui ont esté le plus remplis par un Monarque si laborieux : mais il y a des choses qui doivent estre consacrées au secret, quoi que souvent elles ne soient pas les moins considerables de la vie des Princes. Je vous ay parlé legerement dans ma derniere lettre de ce qui se passa le premier jour de May jour de la feste de S.M.C. Cet article merite bien que je vous en parle une seconde fois, ou plus-tôt que je vous raporte ce qu’en ont dit ceux qui ont écrit ce qui s’est passé ce jour là. En voicy une partie.
Il semble que le Roy ait une grace particuliere pour gagner les cœurs de ses sujets. Le jour de la Fête de S.M. les appartemens du Palais qui sont en grand nombre & tres-beaux, estoient si remplis de Princes, de Ducs, & de Noblesse Napolitaine, qu’on eut beaucoup de peine à y entrer, & encore plus à en sortir. On remarquoit sur le visage de ces Seigneurs leurs empressemens à voir leur Roy, & leur joye aprés lui avoir baisé la main. Aussi ce jour là Monsieur de Marcin luy dit, SIRE, aujourd’huy vos mains ne sont pas à vous. Tous les corps de ville, & de Justice luy presenterent un nombre infini de corbeilles de confitures seches & de fruits, avec des personnages simboliques qui representoient les vertus, toutes de pâtes de sucre & travaillées avec art, des arbres entiers chargez de leurs fruits déja meurs, & des piramides de fleurs qu’à peine six hommes pouvoient porter. Il y avoit même des Galeres & des vaisseaux entiers avec leurs voiles, le tout de fleurs. Aussi les Espagnols dirent-ils. Que ce pays estoit tout de fleurs & que le leur estoit tout d’or. Le Roy alla entendre la Messe à S. Janvier. L’Eglise estoit magnifiquement parée avec des devises tout à l’entour à la loüange de S.M. Il y avoit un nombre infini de peuple, non seulement de Naples, mais de plusieurs villes d’Italie. Le soir il y eut un grand concert au Palais, où tous les Seigneurs Napolitains eurent l’honneur de joüer avec S.M. Aprés le soupé il y eut un des plus beaux feux d’artifice qu’il soit possible de voir. Il dura demy heure, & finit par des perspectives, & par des fontaines de feu. Les forts le couronnerent par la decharge de toute leur artillerie, & les cris de joye de tous les spectateurs, nous donnerent encore plus de satisfaction que le feu ne nous avoit donné de plaisir. Le Roy a osté une taxe sur le pain, & remis au pays ce qui luy estoit dû. Cette marque de bonté a achevé de gagner les plus passionnez pour la maison d’Autriche. En voicy un exemple. Un Seigneur Napolitain avoüa hier ingenument à un François qu’il avoit esté le plus Zelé & le plus empressé partisan qu’eût cette Maison ; qu’il s’estoit resolu à ne point voir le Roy ; que neanmoins entendant parler tout le monde de la bonté & de la vertu de ce jeune Prince, il s’étoit resolu à le voir passer dans les ruës, le voyant, il en fut touché. Le lendemain il alla au Palais, & l’ayant veu de plus prés, il alla enfin luy baiser la main, son cœur & ses yeux ne purent resister aux graces de ce Monarque qui l’ont tellement touché & changé, qu’il est presentement aussi zelé pour luy, qu’il estoit passionné pour la maison d’Autriche : Il est presque arrivé la même chose à Rome, d’où l’on nous écrit que l’arrivée du Roy à Naples & tous les grands biens que l’on dit de luy, ont fait le mesme effet sur le cœur des Romains que sur celui des Napolitains ; que l’on n’y parle que du Roy d’Espagne & des graces dont il est accompagné. Je ne doute point que si nous estions encore dans le paganisme, ils n’en fissent une de leurs divinitez. Il ne faut pas s’étonner si les pauvres & les riches sont tous penettrez de sa bonté Royale, ce Prince ayant fait distribuer plus de vingt mille écus aux pauvres depuis son arrivée jusqu’au premier jour de May. La distribution s’en est faite dans tous les couvents de Naples. Les Jesuites distribüent tous les jours quatre pistoles, & les autres couvents à proportion.
Il y a ici une partie de la Noblesse Romaine. Le Chapitre de sainte Marie majeure, celui de saint Jean, & quelques autres ont envoyé complimenter S. M. Personne n’a paru ici avec plus d’éclat que le Cardinal de Medicis. On ne peut rien ajoûter à la magnificence de sa suite & de ses équipages. Le nombre, la richesse tout le faisoit distinguer, & marquoit le zele & le devouëment du grand Duc pour le Roy d’Espagne & combien la gloire de ce Monarque luy est chere.
Le 6. on fit ici une procession magnifique que l’on appelle de saint Gehnnard : Elle demeura trois quarts d’heures à passer. Le Roy vit le miracle qui se fait tous les ans de la maniere suivante. On a dans une phiole du sang de saint Janvier dur & figé que l’Archevêque porte en plusieurs quartiers de la ville. Quand il est arrivé à un reposoir preparé pour cette ceremonie, il fait quelques prieres, aproche la phiole proche du chef du Saint, & dans le moment ou quelque temps aprés le sang se liquefie, ce qui arriva ce jour-là environ aprés le tems qu’il faut pour reciter deux miserere. S. M. vit le miracle & alla de la avec la procession jusqu’à la Cathedrale. Les Napolitains qui le voyoient lui donnoient mille loüanges. Il y avoit à cette procession un nombre infini de Religieux de tous les Ordres differens, qui marchoient selon leur ancienneté. Les Collegiales, & les Chapitres venoient en suitte, puis les chasses des Protecteurs de la ville. Tous ces Saints sont faits au naturel d’or & d’argent & enrichis de beaucoup de Pierreries. Ceux des Ordres étoient portez par des Religieux de l’Ordre. On continua d’admirer le Roy qui garda une modestie d’Ange. Ce Prince avoit demandé au Pape qu’il declarât S. Janvier Patron d’Espagne. Sa Sainteté luy avoit envoyé le Bref, & le Cardinal Archevesque le lût avant que le miracle se fist.
Le 16. le Roy ne sortit point, ayant toûjours un peu mal à la gorge. Il y eut le soir appartement & jeu.
Le 17. Sa Majesté garda encore la chambre. Les vaisseaux de M. le Comte d’Estrées qui estoient à Baya vinrent moüiller à Naples devant les fenestres de ce Prince, & le saluerent de trois decharges de leur artillerie. Toute la ville les alla voir, & M. le Comte d’Estrées y regala magnifiquement toutes les Dames. Il y eut le soir appartement.
Le dix-huit le Roy se trouvant entierement gueri de son mal de gorge, entendit la Messe dans le Palais. Sur les trois heures il alla à la chasse, & tua seize cailles. Il y eut appartement à son retour.
Le dix-neuf le Roy entendit la Messe à sainte Gertrude, il alla à la chasse à l’issuë de son dîner, & tua quatre-vingt-dix-huit cailles.
Le vingt ce Prince fit son entrée solemnelle. Il est à propos que vous soyez informée de ce qui suit, avant que de voir le detail de cette entrée.
Description des Arcs de Triomphe, des machines et des decorations qui estoient dans la ville de Naples le jour de l’entrée solemnelle de Sa Majesté Catholique Philippe V. §
DESCRIPTION
Des Arcs de Triomphe, des machines, & des decorations qui estoient dans la ville de Naples le jour de l’entrée solemnelle de Sa Majesté Catholique PHILIPPE V.Ce Monarque devant faire son entrée publique par la porte Capoüane, auprés de laquelle on trouve la belle promenade de Poggio Reale, on avoit dressé la Tente ou le Pavillon Royal de Sa Majesté à la seconde des fontaines qui ornent cet endroit de Naples par lequel on devoit commencer la Cavalcade. Ce Pavillon avoit cent quatre-vingt palmes de longueur sur quarante-deux de largeur. On avoit eu soin de le fortifier avec de bonnes planches qui l’entouroient en dehors, & qui empêchoient que personne n’y pût entrer : Il estoit couvert d’une toile blanche tres-fine, semée d’un bout à l’autre de fleurs de lis d’or, entremeslées des armes ou blason de chaque Royaume de la Monarchie d’Espagne, aussi dépeintes & tracées d’or, le dedans étoit tapissé de riches pieces de soye, dont la variété recreoit la veuë, & l’on avoit sceu remedier à l’humidité du terrain par un plancher, tout couvert de beaux tapis. Il y avoit dans le plus interieur de ce Pavillon une espece de reduit ou retranchement, large environ de vingt-cinq palmes sur trente de long, qui estoit éclairé par quatre fenestres avec leurs vitres & leurs rideaux, & qui estoit revestu d’une tapisserie brochée d’or du prix environ de vingt-cinq mille écus : On y voyoit au fond un dais precieux sous lequel estoit le fauteüil de sa Majesté avec une petite table à l’un de ses costez.
En sortant de la porte Capoüane on apercevoit sur son frontispice un grand tableau où le Roy Philippe V. estoit representé à cheval sous un dais & faisant son entrée dans la ville.
Cette inscription estoit sous ce tableau.
Fidelissimam UrbemImperio Nominis, & Auspiciis TuisAddictissimamDeo duce, lætitiâ comite,Ad perennem subditorum tranquilitatem, & gloriam,Rex Augustissime.Felicitèr ingredere.Environ à cent pas de là s’élevoit un arc de triomphe ou portique couvert, & de figure quarrée orné de tres belles peintures, soutenu sur quatre grands pilastres, & sous lequel toute la cavalcade devoit passer. Voici les inscriptions qui étoient sur le frontispice de chacune des quatre arcades dont il estoit composé.
Sur la premiere arcade qui regardoit la cavalcade en arrivant.
PHILIPPO V.HISPANIARUM ET NEAPOLIS REGI,Quod mari, ventisque obsecundantibusAd Armorum gloriam, & Italiæ pacemAdvolaveritOrdo. P. Q. N.Sur l’arcade opposée qui regardoit la porte Capoüane.
PHILIPPO V.HISPANIARUM REGI,Quod fæderatis Hispanorum Gallorumque opibusÆternæ pacis fundamenta locaveritFidelissima Neapolis.Sur les deux collaterales.
Ingredere, ô presens rerum tutela, Philippe,Totius unde Orbis pendet amica salus,Pande coronatas studiosa Neapolis Arces,Nostra Philippus adest gloria, pands fores.Il y avoit de chaque costé de ce portique, & au milieu de leur frontispice d’autres semblables Epigrammes dont voicy quelques-unes.
Dum superos claris æquas virtutibus, O Rex,Tu potis es nostras sustinuisse vices.Omnis, Te Peragrante orbem, fert omnia TellusSponte sua, exultat Liber, & alma Ceres.Miro & enim Pater Omnipotens te lumine cinxitPerge, Philippe, meis nil opus est radiis.Hæc tibi debetur merito sedes, tua namqueLilia luce meâ candidiora micant.Aux quatre angles superieurs de ce portique il y avoit au pied de chaque pilastre quatre grandes statuës de relief doré ; & aux quatre angles inferieurs de ces arcades on voyoit quatre autres statuës pareillement dorées chacune sur leur base qui posoit en terre, dont l’une representoit le fleuve Sebet, l’autre la riviere de Pausilippe, la troisiéme estoit le simbole d’Antignano, qui est une bourgade aux environs de Naples ; & la derniere tenoit la place de l’agreable Mergelline, lieux les plus delicieux entre tous ceux qui sont aux environs de cette grande ville, la plus délicieuse elle même de toutes celles de l’Europe, & sur leur base on lisoit les Epigrammes suivantes.
Sur la premiere on voyoit écrit en lettres majuscules.
SEBETHUS
Riserunt Nymphæ, & lætas duxere choræas,Ut tua littoribus lilia visa meis.La seconde.
PAUSILYPUS.
O jucunda dies dum fulget in Æthere Titan,Clarior occiduo sol mihi ab orbe venit.La troisiéme.
MERGELLINA.
Actius, atque Maro hoc surgant in litore : dignusAltisonis numeris ecce Philippus adest.Et la derniere.
ANTINIANA.
Ver mihi perpetuum, & nullus sine floribus annus,Dum novus hanc Phæbus prospicit ore plagam.Il y avoit encore sur les bases des quatre grands pilastres, les inscriptions suivantes qui avec la majesté du stile dont elles étoient composées, repondoient admirablement à l’élegance des Epigrammes dont on vient de parler : Sçavoir,
Aux deux bases de devant.
PHILIPPO V.Inclito, strenuo,Magnanimo Principi,Nostræ Urbis Præsidio,Atque Ornamento.PHILIPPO V.Probitate, Justitia,Ac virtutibus omnibusInsigni,Qui Ludovici XIV.AviVestigiis inhærens,Perpetum sibi decusComparavit.Et à celle de la partie opposée.
PHILIPPO V.Domino Beneficentissimo,Ob levatos vectigalibus Populos,Regiasque opesin egenorum subsidiumprofusas.PHILIPPO V.Gemini Orbis MonarchæInvictissimo,ObFelicitatemNeapolitano RegnoRestitutam.Quatre autres medaillons étoient disposez aux quatre angles de ce Temple de maniere qu’ils regardoient le Soleil, étant comme lui dans l’interieur. Comme ce sont des qualitez ou attributs de cet Astre, l’aplication n’en est pas difficile à la gloire de Philippe V. Les deux premiers de ces medaillons portoient ces deux mots : Post nubila ; & l’autre : Micat inter omnes.
Toute cette pompeuse machine avoit esté peinte par une main sçavante sur une toile fine, & toute transparente, en sorte que durant les belles illuminations qui se firent par toute la ville ; mais sur tout aux sieges trois soirées de suite, étant illuminée en dedans par un tres-grand nombre de lampes, elle éclatoit d’une lumiere si grande, que depuis le faîte de sa piramide jusqu’au bas, il sembloit que ce fût en effet la veritable residence du lumineux Apollon, en sorte qu’au milieu des tenebres de la nuit, il paroissoit tant par ce Temple que par le grand nombre des flambeaux, dont l’interieur du siege étoit éclairé, que la presence d’un nouveau Soleil avoit ramené le plein midy dans nôtre hemisphere.
Comme la cavalcade devoit passer en suite par l’hostel de ville, qui tient à l’Eglise de saint Laurent le Majeur, on y avoit preparé un grand Arc de triomphe tres-richement orné de peintures, & d’excellentes tapisseries, sous lequel étoit la statuë équestre de S. M. élevée sur un magnifique piedestal revestu d’autres statuës de Syrenes & Nimphes à demy corps, & si bien orné de festons avec d’autres semblables enjolivemens, que les emblêmes disposées de part & d’autre, & toutes à la loüange du Roy sembloient y vouloir donner leurs applaudissemens. L’inscription qui étoit au dessus de la statuë du Roy étoit conceuë en ces termes.
PHILIPPO V.Hispaniarum, & Neapolis Regi,Solemnibus votisExpetito,Publicis gratulationibusExcepto,Certantibus hominum, SuperûmquestudiisSalutato,Fidelissima Neapolis,FelicitateCumulata,Beneficiis aucta,Triumphali ingressu FortunataPublicum cultûs, & lætitiæArgumentumD. D.Voici les deux Inscriptions du piedestal, qui ne cedent à la précedente ny en beauté, ny en pureté de stile.
PHILIPPO V.Hispaniarum Regi,Ob rem frumentariam vectigali levatam,Publicam tranquillitatemTerrâ, marique firmo præsidio communitam,Cumulatam solemni ingressu lætitiam,Civitas NeapolitanaGratias agit immortales.PHILIPPO V.Hispaniarum Regi,Clementiâ, & humanitatePopulis caro :Religione, & pietate Superis acceptissimCivitas NeapolitanaProsperos armorum successusAuguratur.Toute la grande place de l’hostel de ville étoit encore noblement ornée de part & d’autre d’une Architecture ou colonnade qui soûtenoit plusieurs portiques, ausquels on avoit suspendu autant de cartouches avec des emblêmes, & leurs devises. Dans l’une on voyoit deux belles fleurs de lys sortant d’une même tige ; l’ame étoit conceuë en ces termes. Par utrique decor. On voyoit dans une autre plusieurs Muses assises à l’ombre d’un lys assez exaucé, & joüant de leurs instrumens : elles sembloient chanter de nouveau ces vers du celebre Annibal Caro :
Venite all’ombra de’grand Gigli d’oro,Care Muse devote a’miei Giacinti.Il sembloit même en cette occasion, que le Peintre eût affecté de prendre part au reproche du Castelvetro sur ces deux vers ; car il avoit representé les Muses comme autant de Pygmées, selon que cet Auteur le dit expressement : & cela pour les pouvoir mettre toutes à la fois sous les fleurs de lys. La devise ou l’ame de cette emblême étoit : Hujus tutæ sub umbrâ. La troisiéme presentoit un champ semé de differentes fleurs, au milieu desquelles étoit un lys dont la tige surmontoit celles des autres : Supereminet omnes. Dans une autre on appercevoit l’Aurore qui alloit par tout semant des fleurs de lys, avec cette devise : Umbra recessit. Enfin dans la derniere étoit un lys assez altier pour resister à l’impetuosité d’un vent sans autre appuy, que celui de sa fermeté naturelle : c’est pourquoi ces paroles étoient écrites au dessus. Nec gelu, nec austro.
Pour remplir la signification du nom que porte le siege de Montagne, on avoit formé tout à l’entour un mont chargé de fleurs & de toutes sortes de fruits, qui étoient couverts de feüilles d’or ; afin de donner à concevoir que l’aspect riant & enjoüé de cette montagne, ne pouvoit être que l’effet de l’avenement du Roy à la couronne d’Espagne, & de son heureuse arrivée en cette ville, où il avoit fait renaître la joye dans le cœur des fideles sujets de ce Royaume. C’étoient aussi les idées qui se presentoient d’abord à l’esprit, à la premiere lecture des inscriptions & des distiques, qui étoient suspendus à chacune des arcades de plusieurs grands Arcs triomphaux qu’on avoit élevez le long de la ruë. Les principales de ces inscriptions étoient celles de la premiere & de la derniere arcade, de part & d’autre de ce siege. Voici comme elles s’expliquent.
Ne mireris, viator,Montem huncIn Hortum Hesperidum mutatum ;Philippus venit.Quod nobis aureumRedierit sæculumQuid stupes ?Philippus regnat.En voicy une troisiéme, qui n’est pas des moins bonnes.
Aggeribus jacuit niveis oppressus, & altâUndique constrictus mons riguit glacie.Adventu, Rex magne, tuo mutatus ab illeAuratos flores, aurea pomagerit.Au dedans de ce siege, & à costé d’un grand chœur de musique, s’élevoit la statuë du Roy toute argentée ; vis-à-vis de laquelle au dehors du siege, on apercevoit une belle & delicieuse fontaine avec un jet d’eau qui faisoit par son élevation un merveilleux effet à la vûë.
Le grand siege de Nido ou Nilo, estoit revestu depuis le haut jusqu’au bas de riches tapisseries ; & l’on y apercevoit sous un magnifique Dais le Portrait de S. M. suspendu au fond de ce siege, & dans une juste symetrie par rapport à tous les autres ornemens dont il estoit accompagné ; mais il faut avoüer, que les deux grands & superbes Arcs de triomphe qu’on avoit élevez à deux pas de ce siege sur le nouveau dessein du celebre Bibiena, faisoient encore un tout autre effet. On apercevoit donc sur leur frontispice deux étoiles d’une extrême grandeur qui dans un champ d’azur, semé de petites étoiles de toutes les trois grandeurs, & disposées chacune à l’endroit qui lui convenoit, renfermoient de l’un & de l’autre costé de la grande ruë, les constellations des deux Poles, c’est-à-dire la petite ourse avec la queuë du dragon, pour signifier le Pole arctique, & le vaisseau des Argonautes pour marquer l’Antarctique qui étoit de l’autre costé : On voyoit mesme au dessus de ces grands Arcs, que des Renommées avec des aîles sembloient former leur cimier, & faire comprendre que le nom de Sa Majesté Catholique s’étend aussi bien que ses Etats dans l’un & l’autre hemisphere & jusqu’à l’un & à l’autre Pole.
C’est effectivement pour faire donner dans cette idée qu’on avoit écrit sous les deux constellations dont on vient de parler ces deux beaux vers, tirez de deux Anciens Poëtes & qui ont un merveilleux raport avec elle. Voici le premier qui étoit audessus de la constellation du Pole Arctique & qu’on a tiré de Lucain
Te geminum Titan procedere vidit in Axem.Et sous le Pole Antarctique on avoit écrit ce pentametre du Poëte Rutilius Numatianus, qui joint à celuy de Lucain compose le plus beau distique, qu’on auroit pû faire exprés.
Eque tuis ortos in tua condit equos.Il y avoit de plus sur le frontispice de ces grands arcs à chacun deux statuës, & proprement à celui où le Pole Arctique étoit representé, & par lequel devoit entrer la cavalcade, on voyoit celles de la Vertu & de l’Honneur avec ces mots. Præmia virtutis, Honos. Sur l’arc du Pole Antarctique par où la même cavalcade devoit sortir pour passer devant ce siege, estoient disposées les deux autres statuës qui representoient la Clemence & la Liberalité, avec ces autres mots. Potentissima dos in Principe, Liberalitas, atque Clementia. Ce sont ceux-là mêmes qui furent autrefois trouvez gravez sur un marbre à la loüange de l’Empereur Trajan, & que Lucius Faunus a raportez dans son Traité des antiquitez de Rome Livre 4. Chap. 8.
Entre les colonnes du premier de ces arcs triomphaux, on voyoit à main droite une Dame appuyée sur une petite colonne qui portoit sous son bras droit une Urne pleine de monnoye & de chaînes d’or, avec des pierreries & d’autres semblables bijoux. Ces mots estoient écrits à ses pieds Securitas publica. A costé de cette Dame & en dehors des colonnes, on apercevoit un Mercure assis, tenant d’une main son Caducée, & une bourse de l’autre, avec cette devise écrite au dessous ; Mercurius Redux. Pour faire connoître que bientôt le commerce reprendroit son ancien lustre en ce Royaume.
A costé gauche, on voyoit au milieu de la colonnade une autre Dame qui tenoit d’une main une guirlande de roses, & qui s’apuyoit de l’autre sur un timon. Elle tenoit une balle sous le pied avec cette devise, Lætitia publica, conformement à ce qu’on voit dans l’ancienne medaille de Crispina Augusta. Il y avoit hors de la Colonade, & à costé de cette Dame, un jeune homme assis, ayant une tasse à la main & une corne d’abondance sous l’autre bras, avec cette inscription au dessous. Genius Urbis Neapolitanæ.
On avoit mis dans le vuide des piedestaux de ces colonnes, certains écussons pour y servir d’ornemens. Dans celui de la droite, étoit une guirlande de chesne au milieu de laquelle on lisoit ces mots Ob Cives servatos, & dans l’écusson à gauche, un foudre comme celuy qu’on met en main à Jupiter se voyoit depeint avec ces paroles, Providentia Philippi, tirées de la medaille de l’Empereur Antonin le Pieux où neanmoins on lisoit Providentia Deorum.
On voyoit encore dans l’épaisseur des piedestaux de ces Arcs, deux medaillons dans l’un desquels, sçavoir à droite, le Roy étoit representé comme parlant à ses soldats sur une petite hauteur avec cette Epigrafe : Expeditio Italica ; & dans le medaillon à main gauche, étoit un vaisseau à l’antique, ayant la Fortune sur sa pouppe qui manioit le gouvernail, avec ces mots dans l’exergue : Adventus maximi Principis : Comme si l’on eut eu en veue cette medaille d’Adrien où l’on voyoit ces mots Felicitati Aug. On y faisoit sans doute allusion à l’heureuse navigation de cet Empereur, quoi qu’on n’eut pas mis comme ici la Fortune sur la pouppe, d’où l’on voit aisément avec combien de justesse on avoit choisi cette medaille pour l’adapter au trajet infiniment heureux de Sa Majesté, qui en dix jours de navigation avoit sceu faire un aussi long canal qu’est celui de Barcelonne à Naples. Cela fait voir que le Ciel continuë de prendre un soin particulier pour la conservation d’un si pieux & si grand Monarque.
Sur la façade interieure de l’un de ces mesmes arcs, paroissoient deux statuës, l’une & l’autre au milieu des colonnes. Celle de la droite representoit une Cerés ayant un globe en main, qui au milieu de la ligne équinoxiale paroissoit entouré d’une couronne au dessous de laquelle étoit écrit : Corona Philippi. A main gauche il y avoit une Dame pressant avec sa main un serpent qui sembloit s’élever contre elle. Ces mots étoient écrits au dessous, Æternitas Hispana. A côté de ces deux statuës, paroissoient assises celles-là mesmes dont on a fait la description dans la façade exterieure, sçavoir un Mercure, & le genie de Naples ; & dans les écussons peints sur les piedestaux de la colonnade, on voyoit à droite une guirlande de laurier, autour de laquelle étoient écrits ces mots. Vota Publica. Et à gauche il y avoit une Dame montée sur un Lion qu’elle faisoit courir ayant de plus un foudre en main. On lisoit autour de l’écusson, Indulgentia Regis, paroles tirées d’une medaille de Severe.
La façade interieure de l’arc, où le Pole antarctique étoit representé, contenoit aussi deux statuës inferieures, disposées entre les colonnes. Celle de la main droite étoit une Dame ayant en main deux Labari, qui étoient des bannieres ou enseignes des Romains avec ces mots Concordia exercituum ; le tout conformement à une ancienne medaille d’Adrien Volusien & de quelques autres Empereurs. A main gauche paroissoit une autre Dame qui eut pû passer pour la Déesse Pallas si elle eût esté armée ; ces mots étoient à ses pieds Constantia Philippi, qui est une medaille de l’Empereur Claude. A costé de ces deux statuës, deux autres paroissoient assises hors les colonnes de la mesme maniere qu’à la façade exterieure. Celle du costé droit representoit la Justice ayant la balance en main avec ces mots sous elle, Æquitas Regis, Du costé gauche paroissoit la Religion sous laquelle on avoit écrit, Religio inconcussa, enfin dans les écussons des piedestaux, il y avoit à main droite un serpent dressé sur une base avec ces mots Salus publica ; & à main gauche on voyoit de petits enfans qui badinoient sous cette devise : Felicitas Temporum, le tout imité d’une medaille d’Alexandre Severe & de Julia Mammea.
De l’autre côté de cet Arc, c’est-à-dire sur sa façade exterieure, on voyoit peintes entre les colonnes deux autres statuës. Celle que l’on voyoit à main droite, étoit une Dame qui tenoit en main une poignée d’herbes appellée lavande, avec cette inscription : Spes publica, comme dans les medailles d’Adumene, d’Alexandre Severe, & de quelques autres Princes. Un autre paroissoit à main gauche tenant un Caducée avec ces mots, Felicitas Regni : le tout imité d’une medaille d’Antonin. On voyoit à droite & dans l’un des écussons des piedestaux, un Cupidon qui combattoit contre un Lion avec cette exergue, Doctus sufferre labores. Ce qui faisoit allusion au grand courage du Roy dans un âge encore si peu avancé ; & de l’autre côté paroissoient deux mains serrées étroitement l’une contre l’autre, avec ces mots : Fides Exercituum ; le tout imité d’une medaille de Nerva & de Vitellius.
Les medaillons peints sur le piedestal, & de la grosseur de l’Arc, representoient à main droite en entrant le Roy, qui du haut de son thrône paroissoit lancer un flambeau allumé contre un gros amas d’écritures autour desquelles on voyoit un grand nombre de Spectateurs, avec cette inscription : Reliqua vetera Provincialibus remissa ; parce qu’à l’exemple d’Adrien, en l’honneur duquel on frapa une semblable medaille, le Roy a remis par un effet de sa liberalité & de sa magnificence, tout le reste de ce que les villes de ce Royaume avoient à payer au Fisc jusqu’à la fin de l’année derniere. L’exergue de cette medaille d’Adrien portoit Reliqua vetera H S novies millies abolita S. C. Le second medaillon qui étoit à côté gauche, representoit une Dame qui offroit à une troupe de Soldats une poignée de lavande avec cette Epigrafe, Spes militum ; le tout imité encore de plusieurs medailles tres-anciennes.
Ces deux grands Arcs de triomphe renfermoient entre eux environ l’espace de quarante pas ; & comme il falloit que cette étenduë repondît à leur dessein, à cause des deux Poles qui y estoient depeints, on avoit eu soin de revêtir d’une toile azurée, semée d’étoiles & de fleurs de lys d’or, les murailles des maisons de l’un & de l’autre côté de la ruë qui s’élargit en cet endroit, en sorte que tout cet espace paroissoit un Ciel au milieu de ses Poles. C’étoit en cet endroit qu’auprès d’un grand chœur de musique, & à main droite en entrant, on appercevoit la statuë du Roy toute dorée sur un superbe piedestal. Elle étoit couronnée de laurier par une Victoire toute argentée, & l’on voyoit à ses pieds quatre grandes statuës assises, & toutes de draperie argentée. Ces quatre statuës, disposées aux quatre angles de ce piedestal, lui servoient d’un tres-bel ornement. L’une representoit un Neptune au dessous duquel on lisoit ces mots, Neptunus Conservator. L’autre estoit un Hercule portant deux colonnes sous ses bras, avec cette devise : Plus ultra. La troisiéme figuroit le Dieu Mars, sur le bouclier duquel estoient empreintes trois fleurs de lys avec ces mots, Quirinus Propugnator. La derniere estoit une Minerve, au dessous de laquelle on lisoit cette inscription : Sapientia Fortissimi Principis. On lisoit encore entre chacune de ces statuës trois inscriptions, dont la majesté, le stile concis, & la netteté faisoient assez voir qu’on avoit sceu imiter le bon goust de l’antiquité. On ne doute nullement que leur Auteur ne soit celui qui a composé avec tant d’art les beaux medaillons dont ce siege estoit orné. Voici l’inscription du milieu.
PHILIPPO V. REGI,Pio, Fel. Triumphatori. S. Aug.Ludovici Magni GermaniciBatav. N.Dulcissimæ spei Orbis terrarum,Ad Legiones Transpadanas profecturo,Plurimas de hoste perniciosissimoIncruentas VictoriasTrophæaque de Manubiis BarbaricisPulcherrima auspicaturRegio Nili Devota Numini,Majestatique ejus.Celle du côté droit de la statuë de S.M. estoit conceuë en ces termes.
PHILIPPO V. REGI,Bono Reip. ac Religionis Nato,Conservatori utriusque Orbis,Quod factis, consiliisqueJacentem, ac penè pessundatam Italiam,Maximis coactis copiisInsanas hostium minasFormidare vetuerit,Nili Porticus L. B. M. P.La troisiéme qu’on lisoit à main gauche avoit quelque chose de fort magnifique. En voicy les termes.
Magno, Invicto,Omnes retro Principes Virtute,Et Fortunâ supergresso,PHILIPPO V. REGI,Quòd Æternitati Nominis Hispani,Prospiciens, Fluctuantes,Ac longè, latèque dissitas ProvinciasLustraverit, munierit, confirmârit,Regio Nili grati animiMonimenL. P. E.Au dessus de ce piedestal, de grands festons argentez tenoient suspendus contre la muraille deux grands cartouches, qui faisoient un fort bel ornement en cet endroit. On y avoit placé les deux inscriptions suivantes, qui sont encore des productions ingenieuses du même Auteur. Celle qui se voyoit à la main droite du Roy couronné par la Victoire, portoit
ProvidentiæPHILIPPI V. BORBONIIQuâ cladibus amantissimæ UrbisDivino propè consilio subventum est,Dimidiâ vectigal. tritic.In perpetuum remissâ :Judæis etiam sensim irrepentibusAbire jussisRegio Nili L. M. P. C.L’autre à main gauche de Sa Majesté faisoit lire ce qui suit.
PHILIPPO V. REGI.Optimo, Maximoque Principi.Restitutori Reip.Quòd adventu suo trepidantes.Civium animos confirmaverit,Urbem terrâ, marique adversus hostilesImpetus egregiè munierit,Regio NiliArcum duplicem, & statuamTemporariam B. M. P.De l’autre costé de l’espace compris entre les deux grands arcs, paroissoient trois autres grands quadres suspendus également par des festons argentez, dans le vuide desquels on lisoit ces trois dernieres inscriptions. Celle du milieu étoit ainsi conceuë.
PHILIPPO V. REGIFundatori Pacis Æternæ,Quòd antiqua jura ord. Pop. Q. Neap :Firma, rataque esse voluerit :Summâ insuper indulgentia, atque liberalitateParvis hisce honoribusFuerit contentus,Fortunam suam infra sepositamNon suspiciens, non despiciensNisi porticus L. M. P. C.Celle qui estoit à main droite portoit.
PHILIPPO V. BORBONIOHispaniarum, atque utriusque SiciliæRegi potentissimo,Jure æquo fæderisConfirmatis sibiFortissimis Populis,Ac solà nominis MajestateImmitibus hostibus percusis,Nili porticus ad PosteritatisDocumentum. P.Voici celle qui se lisoit à main gauche.
PHILIPPO V. REGI,Publicarum calamitatum vindici.Ob cælestem, ac pene DivinamEjus liberalitatem, atque clementiam,Quibus difficillimis Reip.TemporibusReliqua vetera ProvincialibusRemisit,Regio Nili majora merito. P.Le siege du peuple, dont on a coûtume d’ériger les machines, & de celebrer les festes dans la ruë de la Sellerie, à cause qu’elle est tres-spacieuse, & que ce siege n’est pas comme ceux de la Noblesse exposé au public, mais seulement dans le Cloître des grands Augustins ; ce siege, dis-je, avoit quelque chose de si pompeux dans le dessein de sa machine, qu’il ne le cedoit en rien à tous les autres, s’il ne les surpassoit pas. On y voyoit d’abord, en descendant de la Monnoye à cette ruë de la Sellerie, une fontaine d’une eau la plus pure, & dont la source en lançoit en l’air une si grande quantité par plusieurs jets & cascades, qu’on ne sçavoit si l’on devoit plus admirer la nature, que l’art avec lequel un grand arc de triomphe, orné de colonnades en perspective avoit esté disposé. Il y avoit au milieu de ces colonnades, de grandes statuës, & d’autres ouvrages en relief, parmi lesquels on admiroit au dessus d’une piramide la statuë du Roy qui estoit de la mesme matiere & qui faisoit un tres-bel effet. Il y avoit aussi au dessus de cet arc, & sur son frontispice beaucoup de statuës peintes, qui representoient des Dieux, ayant au milieu d’eux leur Jupiter. Ces Dieux sembloient s’être empressez de venir honorer de leur presence cette grande feste, & former entre eux une espece de Conseil, dont le resultat paroissoit avoir esté que chacun d’eux s’efforceroit à l’envi de celebrer les loüanges de Sa Majesté Catholique ; en effet, les inscriptions qu’on avoit mises au dessous de chacune de ces Divinitez convenoient admirablement à la pensée qu’on s’en est formée.
On apercevoit ensuite au milieu de cette ruê, mais avec un grand étonnement, plustôt un Temple des plus achevez qu’un autre arc de triomphe. Aussi ne faut-il pas s’en étonner, puisque c’est un Tabernacle, que la devotion du peuple de cette Royale ville de Naples consacre tous les ans au vray Dieu, caché sous les apparences du Sacrement de nos Autels, lorsque l’Eglise en solemnise la feste. Ce peuple qui s’est toûjours montré si fidelle à ses Souverains, n’a pas crû pouvoir en cette occasion donner à son nouveau Monarque une preuve plus sensible de son respect & de son devouëment qu’en érigeant pour le recevoir la mesme machine, où tous les ans il reçoit le Roy du Ciel, dont ceux de la terre sont les plus vives images. Il est vray que les ornemens de ce nouvel Arc convenoient seulement à la fonction presente, & c’est ce qu’il faut décrire. Il estoit soûtenu par de hautes & superbes colonnes toutes de relief, sur lesquelles s’élevoit un magnifique Dome d’une hauteur si prodigieuse pour une machine de cette nature, qu’il passoit de beaucoup tous les édifices les plus exaucez de cette ville, où il y a un grand-nombre de Palais. Sous le portique de ce Temple (car c’est ainsi qu’on doit l’appeller plûtôt qu’un arc de triomphe) On avoit disposé de telle sorte un chœur de Musique des plus nombreux, qu’il n’y causoit aucun embaras ; il y servoit au contraire à celebrer avec une merveilleuse harmonie les vertus & les loüanges du Roy dont le portrait estoit placé vis-à-vis sous un magnifique Dais.
On voyoit plusieurs emblêmes autour de ce Dome avec des devises tres-ingenieuses, & des inscriptions dont voici les principales.
PHILIPPO BORBONIO.Duplicis mundi Regi :Magno in ortu, majori in Imperio, maximo in se ipso,Cui astra deserviunt :Quippe quiReligione, Prudentiâ, & fortitudineAstris dominatur :Nulli non timendo, cum nullum timeat,Nulli non timendo, cum subditorum nullumAmore non prosequatur,Fidelissimæ hujus CivitatisPopularis ordinis Platea.D. D. D.PHILIPPO V.Catholico Hispaniarum Regi Potentissimo.Delius auricomo Caput exuat igne, favillisEt tibi flammigeris induat inde Caput.Dumque tonans solium conscendis, fracta triformisLuna tuos subeat semirotunda pedes.Jupiter unius, gemini Tu Jupiter orbis,Bellica namque tibi fulmina præstat avus.Cernimus, Hispano Te nunc diademate cincto,Lilia sparsa solo, lilia, sparsa mari.Lactea Junonis sint lilia, lilia mundusEn colit Hesperio flava dicata Joui.HERCULI GALLICOPHILIPPO V.Qui,Virtute Duce, fortunâ comitante,Astris annuentibus,Ad Hesperidum hortos perveniensAureum Hibericæ Monarchiæ pomumDecerpsitFidelis. Pop. Neap.Au dessus de toutes on lisoit d’une part du Dome cet hemistiche écrit en tres-gros caractere :
SOLUS MERUITREGNARE ROGATUS.Verité qui convenoit d’autant mieux à un si grand Monarque, qu’on ne pouvoit rien imaginer, qui fût plus digne de lui, & qui fût mieux concerté ; outre qu’en soi-mesme la chose est si évidente, qu’on n’est pas obligé de s’arrêter à la faire entendre ; puisque le mot de Solus est non seulement une exclusion pour tout autre, mais mesme une declaration pure, & simple des sentimens du peuple. De l’autre côté, on lisoit cet autre vers, écrit en mesmes caracteres.
INGREDERE, ET VOTIS JAMNUNC ASSUESCE VOCARI.Ces paroles sont comme le sceau du precedent hemistiche, & une loüange fort ingenieuse pour Sa Majesté. Le siege de porte neuve estoit orné de tout ce qu’il y avoit de plus riches, & de plus magnifiques tapisseries de laine mêlée de soye brochées d’or, & d’argent à la moderne, c’est-à-dire de haute-lisse, & d’un travail exquis, & d’ailleurs les familles des Nobles, qui sont de ce siege, s’étoient extrêmement distinguées en faisant mettre chacune leurs armes peintes sur de grands cartouches de toile, pour faire connoître à tout le monde qu’elles se devoüoient absolument avec leurs descendans au service de Sa Majesté, dont un grand chœur de Musique s’efforça de faire retentir les loüanges à tous les passans, qui ne pouvoient assez admirer le bel arrangement d’architecture, faite en portique, & dont la place qui est vis-à-vis, étoit toute entourée.
Ce qui arrêtoit encore plus la curiosité des spectateurs, étoit de voir avec quelle magnificence on avoit sçû parer le siege mesme sous la voûte duquel, toute revêtuë qu’elle étoit d’un damas rouge, aussi bien que les murailles, on voyoit sous un Dais magnifique la statuë du Roy, toute de relief avec une drapperie d’or : à laquelle quatre autres Vertus, élevées sur leurs bases comme celle du Roy, & toutes argentées, sembloient vouloir faire un cortege, en se reconnoissant toutes renfermées dans les vertus de ce Monarque, dont elles portoient les noms, chacunes avec leurs attitudes, & leurs proprietez.
Sur les deux arcs triomphaux, qui estoient à l’entrée, & à la sortie de cette grande place, & qui faisoient un tres bel aspect, on apercevoit quelques inscriptions, parmi lesquelles on lisoit les deux qui suivent.
Diverte hùc, hospes,PHILIPPUM V.Hispaniarum MonarchamIntuere, admirare :Majestatem, & pompam.Decorem,Et humanitatemTotus emittit :Nos unicè amat,Ornat, & auget.PHILIPPO V.Caroli II. Hispaniarum RegisRelicto hærediMonarchiam, geminos orbes,Debitaque jure sanguinis RegnaFeliciter, humaniterqueRetinenti,Beneficiis devinctaStudiosa NeapolisD.A quelques trois cens pas de ce siege estoit celui qui est appellé le siege du Port, à cause que c’estoit autrefois jusque-là que la mer venoit former le port de Naples. On y voyoit par tout une magnificence, qui ne le cedoit en rien à celle des cinq dont on a parlé jusques ici, puisque les machines y estoient pour le moins aussi surprenantes par la rareté de leur invention. En effet, on y appercevoit d’abord au dessous du portique de ce siege, une mer, dont les ondes agitées & agreablement mêlées d’un bleu marin avec leur écume blanchâtre, formoient une perspective d’autant plus charmante, qu’on y voyoit nager dans un grand éloignement plusieurs Syrenes en relief, chacune avec quelque instrument de musique de toutes les especes. Il sembloit qu’elles voulussent enchanter quelque nouvel Ulysse, qui ne pouvoit être autre que Sa Majesté même, aprés le long trajet qu’elle venoit de faire.
On lisoit sur les deux arcades de ce siege, où cette mer estoit representée, les deux distiques suivans,
Per mare Syrenum tenuit mora nulla Philippum.Scilicet hic ventos, monstra, salumque regit.Syrenes ore, & cantu : solo ore PhilippusMollit Syrenes, corda virûmque fera.Vis-à-vis de ce sixiéme & dernier siege, paroissoit sous un autre portique une statuë en relief, & qui passoit le naturel ; c’estoit celle du fleuve Sebeth, couché nonchalamment sur une colline assez bien imaginée, puisqu’elle estoit feinte aprés nature. D’une Urne panchante, que ce fleuve tenoit sous son bras droit, sortoit en abondance une eau vive & tres-pure, qui ne pouvant passer avec assez d’impetuosité par un canal si resserré, se faisoit jour en murmurant, & jaillissoit de plusieurs ouvertures de cette colline ; en sorte que se réünissant à sa source principale, on voyoit couler un petit fleuve dans une plaine voisine, ornée d’une infinité de petites plantes & de fleurs, dont la fraîcheur invitoit les Spectateurs à se venir reposer auprés d’elles.
Les deux arcades de cette seconde machine estoient si fort embellies & si bien revêtues des riches tapisseries, des precieux ornemens dont on a fait la description dans celles des sieges precedens, qu’on ne pouvoit rien imaginer de plus riant, ou de plus noble. On appercevoit sur les deux arcades, qui faisoient les deux faces de cette machine, ces deux autres distiques :
Par vulus es, sed lambe pedes, Sebethe, Philippi ;Et tibi par tumidâ non erit Ister aquâ.Sebethe, in specie ni fallere, Nympha PhilippusNon tua formosa est, crede sed esse Jovem.Enfin l’on voyoit d’abord entre l’une & l’autre machine de ces deux portiques un bel arc de triomphe, qui sous un magnifique dais entouroit un portrait de Sa Majesté, à costé duquel estoit un chœur de musique. Ce distique servoit de couronnement à cet arc triomphal.
Sydera ni tangat, ni terras impleat omnesNon hæc effigies æqua, Philippe, tibi.
Cavalcade. §
CAVALCADE.
Je vous ay fait voir d’abord de quelle maniere estoient decorez les lieux par où la Calvacade devoit passer, afin de ne point interrompre l’attention que vous devez avoir à l’ordre de cette pompeuse marche par la description des Arcs de triomphe & des Machines. Il faut vous faire remarquer presentement avant que d’en commencer le recit, que les ruës qu’on avoit marquées pour ce passage estoient sablées, & bordées par neuf mille hommes d’Infanterie ; qu’il y avoit outre cela d’autre Infanterie & de la Cavalerie en bataille hors la Porte Capoüane, par laquelle S.M. devoit faire son entrée ; que rien n’estoit plus magnifiquement paré que les maisons ; qu’il n’y avoit point de boutiques où l’on n’eust fait des Amphiteatres, & que jamais on n’avoit vû dans Naples une si prodigieuse foule de monde, que celle que la presence du Roy Catholique y a attiré. Tous les preparatifs ayant esté achevez, & l’ordre ayant esté donné quelques jours auparavant qu’on ne laissast passer aucun Carosse passé midy le long de ces ruës, comme la Cavalcade devoit estre faite le 20. May, le Roy entendit ce jour-là la Messe à neuf heures. Sa Majesté dîna à onze, & monta en Carosse à une heure aprés midi, accompagnée du nouveau Regiment de Cavalerie Napolitaine qu’elle avoit depuis peu choisi pour sa Garde, & qui est commandé par D. François Gaëtan d’Arragon, fils du Duc de Laurenzano. Ce Monarque se rendit à un demi mille de la Porte Capoüane, où il estoit attendu par cent cinquante six Ducs ou Princes, par les Cardinaux de Medicis, de Janson & de Cantelmy, & par quarante-trois Evéques, qui le devoient tous accompagner avec des équipages magnifiques. Sa Majesté en descendant de Carosse, entra dans une Tente magnifique qui luy avoit esté preparée, & se plaça sur un Trône qu’on y avoit élevé. Ce Prince avoit un habit couleur de feu brodé d’or, avec une veste de toile d’argent, un gros Diamant en table d’où pendoit la fameuse Perle en poire, appellée Pellegrina Ce Monarque fut à peine arrivé que Dom Jean Batiste Minutolo, Sindic de la Ville de Naples, & qui en cette qualité representoit tout le Corps de cette grande Ville, se mit en marche. Il fut accompagné depuis son logis jusqu’à l’Hôtel de Ville, par le Prince Sancto Buono de la Famille des Carraccioli, & par le Prince de Castiglione qui estoient à ses costez, ainsi que plusieurs Chevaliers Napolitains. Il fut joint à l’Hôtel de Ville par les Elus, & par quatre vingt de leurs gens, dont l’équipage se trouvera décrit cy-aprés, aussi bien que celuy des Chevaliers qui l’accompagnerent jusqu’à la Tente de Sa Majesté. A peine y fut il entré, qu’il luy fit un Compliment en peu de mots, ensuite de quoy il eut l’honneur de luy baiser la main, ce que firent aussi Mr le Connestable Colonne, Mr le Prince de Satriano Ravaschieri, grand Sénéchal, Mr le Prince de l’Avellina, grand Chancelier, & Mr le Duc de Medina Sidonia grand Justicier. Sa Majesté prit ensuite quelques rafraîchissemens, & monta sur un genest d’Espagne bay obscur ou allezan brûlé. Je ne dis rien de la grace naturelle qui fait admirer ce Prince, & qui luy attire tous les cœurs, mais je ne dois pas oublier qu’il eut besoin de beaucoup d’adresse pour moderer les pas d’un cheval dont ceux qui ont plus de force mais moins d’adresse que ce Monarque, auroient eu de la peine à venir à bout, ce qui donna un nouvel éclat à la bonne grace avec laquelle ce Prince fait toutes choses. Le Sindic estoit à costé de Sa Majesté. Aussi-tost qu’elle fut arrivée hors la Porte Capouana, le Cardinal de Cantelmy, Archevêque de Naples, qui avoit esté accompagné à cet endroit depuis sa Cathedrale par une nombreuse Procession de tout son Clergé Seculier & Regulier, s’avança pour recevoir Sa Majesté, qui estant descenduë de cheval se mit à genoux & adora la vraie Croix que le Cardinal lui presenta. Ce Monarque remonta ensuite à cheval, & les Cardinaux de Medicis, de Janson, & Cantelmi, monterent sur des mules, & suivirent immediatement le Roy. Le Cardinal de Janson occupoit le milieu ayant le Cardinal de Medicis à sa droite, & le Cardinal Gantelmi à sa gauche. Il est à remarquer que les Cardinaux n’ont de rang entr’eux que celuy de leur reception. Tout le Clergé se retira sans aucune ceremonie pour éviter la confusion. Il n’eut plus de rang à la marche, & le Roy s’avança jusqu’à la Porte Capouane. Ce fut en cet endroit que les Elus ou Deputez, qui representoient le Corps de Ville, s’estant mis à genoux devant Sa Majesté, Dom Nicolas Coppola, Duc de Canzano, l’un d’entre-eux, fit le Compliment qui suit.
SIRE,
La joye & la consolation que donne à vostre fidelle Ville de Naples l’heureuse arrivée, de la personne sacrée de Vostre Majesté, est si grande, qu’il est impossible d’en pouvoir donner des preuves suffisantes. Nous supplions tres-humblement le Seigneur qu’il veüille bien par sa tres grande bonté, nous donner lieu de continuer nos actions de graces en conservant l’heureuse santé de Vostre Majesté, & luy fournissant des occasions d’augmenter la gloire de son Illustre Monarchie, & de nous donner des marques de vostre royale bienveillance à nous, vostres fidelles Sujets, qui sommes & serons toûjours prests de verser jusqu’à la derniere goutte de nostre sang pour la défense des droits & prerogatives de Vostre Majesté.
D. Dominique Crispano presenta ensuite à Sa Majesté dans un bassin les Clefs d’or de la Ville, & accompagna cette action d’un Compliment rempli de zele & de respect, & qui fut fort court. Le Roy luy répondit que ces Clefs là estoient tres seurement entre les mains de Sujets si fidelles.
Sa Majesté se mit ensuite sous le Dais, dont les huit colonnes furent portées d’abord par cinq Nobles Députez du Siege Capuano, tous les autres Sieges de la Noblesse, devant ainsi députer cinq Cavaliers chacun de leur Siege, à mesure que Sa Majesté avanceroit de l’un à l’autre. La sixiéme colonne de ce Dais que l’on fait porter toujours à celuy à qui le Roy en veut faire l’honneur, estoit portée par Mr le Marquis de Saint George de la Famille Milano Polestino. La septiéme qui estoit celle du corps des Barons du Royaume de Naples, fut portée d’abord par D. Gregoire Mercado Conseiller d’Etat, & aprés luy par d’autres Ministres revêtus de leurs Toges. La derniere, & huitiéme colonne du même Dais fut portée successivement par des Députez de la place du Peuple.
La marche de Sa Majesté estant commencée dans la Ville, on entendit aussi tost une décharge Generale des quatre Forteresses, de toutes les Galeres, & de tous les Vaisseaux qui estoient dans le Port. Cette Charge Royale émut les cœurs, & fit redoubler les acclamations du Peuple.
Voicy l’ordre & la suite de la marche.
Quinze Capitaines de Justice, qui sont les Officiers des Archers de la Ville, paroissoient d’abord. Ils estoient tres bien montez, & vêtus de noir à l’Espagnole. Ils avoient chacun une chaîne d’or au cou. Ils estoient suivis de quatre Trompettes, de la Ville vêtus de damas cramoisy galonné d’or. Et précedoient seize Capitaines des Quartiers. Les treize autres, car il y a vingt neuf Quartiers à Naples, estoient occupez aussi bien que les dix Consulteurs du Peuple à porter en son nom l’une des colonnes du Dais de Sa Majesté, comme il a esté marqué cy-dessus. Ces Capitaines estant aussi habillez à l’Espagnole, & suivis de deux Estafiers chacun, avec de tres belles livrées.
Six Trompettes de la Ville paroissoient ensuite avec des Trompettes de Sa Majesté. Ils précedoient cent quarante sept Cavaliers Napolitains avantageusement montez sur des Chevaux dressez exprés. Ils estoient à la Françoise, comme Sa Majesté, ces Cavaliers estoient tous tres magnifiquement vêtus, & l’on peut dire que toute cette troupe ne faisoit voir qu’un amas ébloüissant d’or, & d’argent qui laissoit à peine distinguer la diversité des étofes. Le brillant des Pierres precieuses qui servoient aussi à l’ornement de plusieurs de ces Cavaliers, ajoutoit encore un nouvel éclat au brillant des habits. Les housses & les harnois de leurs Chevaux répondoient à cette magnificence, & les crins de ces Chevaux étoient couverts de Rubans avec toute la galanterie Italienne. Tous ces Cavaliers estoient suivis de six Estafiers chacun. Leurs livrées estoient neuves, & de diverses couleurs. Cette agréable diversité avoit de l’air d’un Parterre émaillé : Elles auroient esté plus magnifiques si Sa Majesté n’eust fait une défense expresse à tous ceux qui devoient être de la Cavalcade, d’avoir plus de six Estafiers chacun, sans aucun galon d’or ny d’argent.
Cette défense fut cause que les Princes Romains qui ont des Terres dans le Royaume de Naples, n’assisterent pas à la Cavalcade, parce que ne prevoyant pas cette défense, ils avoient fait faire des livrées toutes couvertes de galons d’or, & d’argent. Cependant ils doivent estre loüez de leur dépence, de leur zele, & de leur soumission aux ordres de Sa Majesté Catolique.
Aprés cette brillante foule de Cavaliers Napolitains, on voyoit paroistre les quatre grands Officiers ou Magistrats du Corps de Ville. Ils estoient revestus de longues Robes noires à la maniere des Officiers Royaux, leurs bonnets estoient de velours & à l’antique. Ils estoient ronds, & applatis par dessus, de même, à peu prés, que ceux de nos Presidens à Mortier. Ils estoient suivis de vingt-quatre Valets ou Sergens de Ville, à pied, dont on a parlé cy-dessus. On leur donne à Naples le nom de Portiers. Ils avoient tous des habits d’écarlate ou pourpre, avec des Tocques de velours cramoisy, & portoient de la main droite une espece de Bourdon où les Armes de la Ville estoient attachées.
Le Maistre des Ceremonies de la Ville venoit ensuite. Il marchoit seul, & les sept Elus ou Deputez du Corps de Ville venoient aprés luy. Le premier à main droite estoit le Duc de Castelgrandine Elû du Peuple, & les six autres estoient les Deputez des Sieges de la Noblesse Napolitaine, qui bien que reduits presentement au nombre de cinq Sieges, ne laissent pas d’avoir un Député de celuy qu’on appeloit Seggio di forcella, qui est reuny à celuy de Montagne où l’on choisit toujours deux Deputez tous les ans par un Privilege qu’on luy accorda en supprimant le Siege de Forcella. Ceux là estoient Dom Dominique Crispano, D. Joseph Russo, le Duc de Canzano, D. Fabrice Spinelli, D. André Venato, & D. Matthée Capuano. Tous ces Elus avoient de longues Robes toutes chamarées de lames d’or doublées d’un riche brocard. Ces Robes, quoy que de figure antique avoient autant d’agrément que de majesté. Leurs bonnets étoient de velours cramoisy pareils à ceux qui viennent d’estre décrits.
Ces Elus estoient suivis de quatre Portiers du Palais Royal, dont les habits estoient d’une étofe de soye rouge, & de drap d’or mêlées ensemble.
Ils portoient des Masses d’argent, ce qui marque leur employ. Le Herault du même Royaume de Naples estoit au milieu d’eux. Le Syndic qui faisoit la fonction de grand Gonfalonnier marchoit derriere eux, & portoit l’Etandar ou Baniere Royale où estoient les Armes de Sa Majesté dans un champ d’azur avec trois Fleurs de Lys d’or. Le reste de l’Etendart estoit de brocard rouge. Ce grand Gonfalonnier estoit suivy de huit Pages vestus à la Françoise dont les habits estoient chamarez de galon d’or. Il estoit aussi suivi de six Gentilshommes qui avoient des habits d’écarlate fort magnifiques.
Dom Gregorio Pinto y Mendosa de la famille des Princes d’Ischitella suivoit immediatement, son pere dont le grand âge ne permettoit pas qu’il fit la fonction de sa Charge, luy avoit permis en cette occasion de remplir sa place. Il estoit accompagné de plusieurs Huissiers de la Chambre Royale qui portoient de grandes Bourses remplies des nouvelles Monnoyes, frappées au Coin du Roy, de la valeur d’un Carlin, d’un Tarin & d’un Ecu, c’est à dire de la valeur de cinq, de dix & de cinquante sols de France. Le grand Tresorier jettoit à pleines mains de ces Monnoyes au Peuple. Le Viceroy devoit préceder, mais on jugea plus à propos qu’il prit le devant, afin d’éloigner ainsi de Sa Majesté, cette foule de peuple que l’Infanterie en haye & la Garde Suisse ne pouvoient retenir lorsqu’elle se mit à ramasser cette Monnoye.
Quatre des sept grands Officiers du Royaume venoient ensuite revêtus de leurs Robes longues de couleur de pourpre doublées d’hermine blanche mouchetée de noir. Ils avoient des bonnets à l’antique. Ces quatre grands Officiers estoient le Connestable de l’ancienne famille des Collona. Le grand Justicier Duc de Medina Sidonia. Le grand Chancelier, Prince de l’Avellina de la famille des Carracoli, & le grand Sénéchal, Prince de Satriano de la famille Bavaschiro. Les trois autres grands Officiers estoient absens, sçavoir le grand Protonotaire de la Famille Doria Resident à Genes, le grand Chambellan qui estoit le Marquis Del Vasto, & le grand Amirante Duc de Sessa qui reside en Espagne.
D. Philippe Ferrero, Maître des Ceremonies du Palais, suivoit ces grands Officiers, & le Viceroy de Naples, Marquis de Vigilena, marchoit aprés luy, ayant à ses côtez deux Heraults d’Armes de la Cour de Sa Majesté. Ce Monarque paroissoit ensuite. Je ne répete point les noms de ceux qui portoient le Dais sous lequel ce Prince estoit. Jamais il n’a fait voir un air plus grand ny plus gracieux tout ensemble. Il saluoit du chapeau, mais d’un air qui ne luy faisoit rien perdre de son rang, toutes les Dames qui paroissoient à ses yeux de part & d’autre. On entendoit de tous côtez retentir les cris de Viva il RE, & quelque éclatans que fussent les concerts qui estoient à tous les Arcs de Triomphe même ceux qui estoient formez par des Instrumens de Guerre, ils estoient obligez de ceder aux acclamations publiques qui se faisoient encore mieux entendre. L’Ecuyer de Sa Majesté ou son Cavellerizzo. D. Garzia de Gusman marchoit à son côté droit à pied, & sous le Dais. Il estoit accompagné de deux Cavaliers Napolitains qui tenoient les renes du Cheval de Sa Majesté, & qui estoient relevez par deux autres Nobles à mesure qu’elle s’avançoit d’un Siege à l’autre.
Les trois Cardinaux venoient ensuite dans le même ordre qu’il a esté marqué. Ils estoient suivis d’un si grand nombre de Gentilshommes & de gens de livrées qu’il seroit tres malaisé de sçavoir à combien il se montoit. Le seul Cardinal de Medicis estoit venu à Naples avec deux cens personnes, parmy lesquelles il y avoit quatre vingt Gentilshommes.
Aprés ces Eminences paroissoient vingt-sept Prelats revêtus de Mantelets & du Rochet Episcopal en habits violets. Il y avoit entre eux beaucoup de Prelats venus de Rome, outre trois Auditeurs de la Rotte, sçavoir Mr de la Trimoüille pour la Nation Françoise, Mr Molinos & Mr Omagna, l’un & l’autre Espagnols de Nation ; aprés eux paroissoient Mr Vidania Chapelain majeur, ou grand Aumônier de Naples.
Enfin les Ministres des Tribunaux Souverains de Naples paroissoient revêtus de la Toque qui marquoit leurs dignitez. Le Régiment de la Noblesse Napolitaine de la Garde du Roy venoit ensuite. Tous les Officiers estoient magnifiques & bien montez & avoient le sabre haut ainsi que tous leurs Cavaliers. Ces dix Compagnies precedoient trois Carosses de Sa Majesté, un du Viceroy, & un cinquiéme qui estoit celuy du Sindic. Ils estoient vuides, & on les avoit fait suivre seulement pour la pompe. On voyoit immediatement aprés le Duc d’Ossuna dans un magnifique Carosse tout garni de velours cramoisi brodé d’or. Il estoit suivi de celui du Marquis d’Egrigny, Generalissime de toutes les Troupes qui sont dans le Royaume de Naples.
Ce fut en cet ordre que la Cavalcade passa devant la Vicairie, & de là au Siege Capoano, d’où elle se rendit à l’Eglise Cathedrale. Le Portail de cette Eglise estoit revêtu depuis le faiste jusqu’à terre, de riches tapisseries, & de broderies de soye entremêlées de Trophées d’armes avec un grand art, & semez de fleurs de lis d’or, ce qui faisoit un tres bel effet. Au dessus de la grande Porte du milieu, estoit un grand Tableau, qui representoit le Martyr Saint Janvier, Protecteur de la Ville de Naples, que Sa Majesté avoit reconnu quelques jours auparavant pour le Protecteur de toute la Monarchie d’Espagne ; voulant ainsi seconder la devotion que tous les Napolitains ont pour ce Saint. Il estoit dépeint tenant de la main droite un livre, sur lequel on voyoit representées les deux phioles, où l’on conserve son Sang miraculeux, avec cette Devise écrite audessus : In hoc signo vinces. De l’autre main ce même Saint soutenoit une Couronne au dessus de laquelle on lisoit ces mots : Gaudium & corona mea ; & au dessous de ce Tableau pendoit un grand Cartouche avec cette inscription :
PHILIPPO V.HISPANIARUM REGI.Ad perpetuam civium felicitatem,& pacandam armis, ac virtute Italiam,Inter effusas omnium ordinum gratulationes,Urbem Neapolim lustrantiSub auspiciis beati Januarii totius Monarchiæ tutelaris,Metropolitana Ecclesia conceptis votisImmortales optat Triumphos.Presque aussi tost que Sa Majesté fut arrivée en ce Royaume, l’Eglise Cathedrale avoit esté revêtuë d’un riche damas chamarré de galons d’or avec des Festons, & des Cartouches ou Medaillons, suspendus au milieu de toutes les arcades des basses aîles, outre de grands Tableaux peints d’un bleu turquin, qui representoient quantité d’actions d’éclat des plus grands Capitaines, & des Rois, les plus celebres dans l’Histoire Sainte ; on y voyoit quantité d’Inscriptions, toutes à la loüange de Sa Majesté Catholique, & dans lesquelles on faisoit le parallele entre ses actions, & ses vertus, & toutes celles de ces grands Personnages de l’antiquité.
Dés que Sa Majesté fut arrivée avec toute la Cavalcade dans la Place qui est vis-à-vis du grand-Portail, elle mit pied à terre, & estant entrée dans cette belle Eglise, bâtie par les Rois Angevins, du Sang de France, elle monta droit au maistre Autel, où s’estant mise à genoux, elle fit sa priere. Pendant ce temps le Cardinal Archevêque de Naples entonna le Te Deum, qui fut continué par la Musique. Ensuite cette Eminence recita quelques Collectes, tirées des Prieres de l’Eglise. Aprés quoy les Elus, ou Deputez de la Ville s’estant approchez, l’Elu du Peuple tenant entre ses mains le Livre des Constitutions de ce Royaume, & le Secretaire de la Ville portant aussi tout ouvert un Messel, Dom Matteo Capoano, Député du Siege de Porta nova, parla au Roy en cette maniere.
Sacrée Majesté Catholique. C’est un présent bien précieux de la fortune, que celuy de jouir, comme fait aujourd’huy la Ville de Naples, de la présence d’un aussi glorieux Monarque que l’est Vostre Majesté. Ce grand & rare avantage, dont nos Ayeux ont autre fois joui comme nous, n’a pas empêché les grands Monarques des Espagnes en pareilles occasions de jurer qu’il observeroient, & feroient observer toutes les Graces, les Constitutions, & les Privileges, accordez au Peuple de cette Capitale. Quoique personne ne doute que Vostre Majesté par un effet de sa tres grande Clemence, n’ait résolu non seulement d’observer toutes les graces, qui nous ont ci devant esté accordées, mais de nous en accorder même des nouvelles, neanmoins pour suivre les anciennes coutumes, je supplie tres humblement vostre Majesté au nom de toute cette Ville, de ne pas trouver mauvais si je luy demande son serment, d’observer, & de faire observer par ses Ministres, & Officiers, sans aucune interpretation sinistre, toutes les Graces, les Constitutions, & les Privileges accordez à cette fidelle Ville, & à tout le Royaume par les Serenissimes Rois ses Prédecesseurs, & en particulier par le Roy Ferdinand le Catholique de glorieuse memoire : aussi bien que toutes les graces, que nous esperons de la magnificence Royale de Vostre Majesté.
A quoy le Roy ayant répondu par ces trois mots Espagnols assi lo juro, aussi-tost Sa Majesté sortit de l’Eglise, & estant remontée à cheval, la Cavalcade continua de marcher dans le même ordre qu’auparavant, par la ruë de Saint Laurent jusqu’à l’Hôtel de Ville. Ensuite Sa Majesté passa devant le Siege de Montagne, & descendit par la Pietra Sancta, & par la Place de S. Dominique le grand, jusqu’au Siege de Nido.
De là Sa Majesté descendit par la ruë des Libraires, par celles de Forcella, & de Saint Augustin, jusqu’au Siege du Peuple, dont les Arcs Triomphaux estoient disposez, comme on a dit ci dessus, dans la ruë de la Sellerie. De là Sa Majesté continua sa marche par le Siege de Porta nova, jusqu’au dernier Siége, appellé le Siege du Port, pour la raison que nous avons dite, d’où la Cavalcade remonta une autre fois au Siege de Nil, pour s’aller rendre le long de la ruë de Sainte Claire, & par le Palais du Duc de Mataloni, dans la grande ruë de Tolede, jusqu’aux Prisons de Saint Jacques ; & de là Sa Majesté descendit en droiture jusqu’à la Porte du Chasteau-neuf.
On avoit eu soin de la tenir fermée jusqu’à l’arrivée du Roy, & quand Sa Majesté y fut en presence, le Gouverneur de cette Forteresse Royale, nommé Don Antonio Crux, ayant passé la teste par une petite fenestre qui donne sur la premiere Porte en deçà des Fossez, cria en Espagnol, Qui en biene alla ? A quoy Sa Majesté ayant répondu tout haut : Phelippe quinto Rey de Napoles, le Gouverneur reprit, Vienga en hora buena, & étant descendu aussi-tost de sa guerite, il fit ouvrit la Porte ; & s’estant mis à genoux avec les clefs du Château, qu’il presenta dans un bassin, il ajouta : A qui estan las Claves del Castillo, mando, y armas à los pies de V. Magestad que Dios guarde. Sa Majesté repartit : Lo tenga por mi. Ensuite elle se retira, tandis qu’on la saluoit de toute l’Artillerie, de quantité de Pierriers, & d’une infinité de Boëtes, qu’on appelle ici Moteretti ; dont le bruit confus, loin d’incommoder causoit du plaisir. Enfin la Cavalcade ayant continué sa route par la grande Place de ce Château, Sa Majesté rentra au Louvre vers les vingt-trois heures d’Italie, c’est à dire, une demie heure avant la nuit.
Aussi-tost que cette nuit fut devenuë un peu obscure, on peut dire sans exageration, que Naples ne perdit rien de sa splendeur par l’absence du Soleil, qui l’avoit si bien éclairée durant ce beau jour, toute cette soirée, jusque bien avant dans la nuit, aussi-bien que les deux suivantes, elle parut toute en feu par le nombre prodigieux des illuminations, qui s’y firent dans toutes les ruës, où l’on voyoit un nombre infini de flambeaux de cire blanche attachez à toutes les fenêtres, & aux balcons des Edifices de quelque consideration, outre quantité d’autres lumieres de toutes les sortes, par lesquelles chacun s’efforçoit de témoigner sa joye en cette occasion. Mais c’estoit une chose assez curieuse à voir que le grand nombre de ces lumieres, dont les Galeres de Naples, & celles du Grand Duc de Toscane, qui avoient conduit leur Cardinal en ce Port, estoient toutes couvertes d’un bout à l’autre, aussi-bien que celles de France, & les gros Vaisseaux de l’Escadre de Mr le Comte d’Etrées qui avoient apporté le Roy depuis Barcelonne jusqu’à Naples. Tous ces Bâtimens, dis-je, offroient à la veuë quelque chose de si riant au milieu des ombres de la nuit, qu’avec les trois salves de toute leur artillerie, ils attirerent à la marine un tres-grand nombre de Peuple qui s’empressoit de joüir d’une si charmante nouveauté. Il sembloit aussi que les Forteresses Royales fussent tout en feu, non seulement à cause de leurs décharges frequentes, mais aussi par le grand nombre de feux de joye & par les lampes ardentes, disposées le long de leurs murailles, dont on comptoit jusques à neuf mille sur celles du Château neuf. Il y en avoit quantité qui formoient en Espagnol les caracteres de Viva il Rey Phelippe quinto, & qui servoient de beaucoup à faire souvenir les spectateurs, que c’étoit uniquement pour un si glorieux Monarque, qu’ils devoient desormais ressentir au fond de leurs cœurs les mêmes effets de tendresse, dont il s’efforçoit de les prevenir. On passe icy legerement sur les illuminations qui se firent par tous les Sieges de la Noblesse, ainsi qu’à celuy du Peuple, où elles ne le cedoient en rien à celles de la Marine, & des Châteaux : mais sans repeter ce qui a esté dit comme en passant, lorsqu’on a fait la description du Siege Capoano ; j’ajouteray seulement qu’on ne pouvoit rien voir ni de mieux imaginé, ni même de plus pompeux, & de plus riant tout ensemble.
Le 21 Sa Majesté Catholique se trouva un peu indisposée, elle garda le lit, & fut saignée. Ce Prince voulant épargner à ses Sujets l’inquietude que cette saignée auroit pû leur causer, ne voulut pas qu’elle fût sceuë. Le même jour sur les trois heures aprés midy, quatre Galeres de Secile arriverent dans le Port de Naples : Elles estoient commandées par Dom Manuel de Silva, General des Galeres de ce Royaume là. Ce General suivy de ses Officiers eut l’honneur de baiser, dés le même jour, la main de Sa Majesté, nonobstant son indisposition.
Le 22 ce Prince ne se leva point, mais quoy qu’il eût un grand mal de tête, il ne laissa pas de se faire lire, & de travailler. Le soir du même jour Mr le Cardinal Legat arriva. Il estoit dans le premier Carosse de la Cour dans lequel Mr le Cardinal de Medicis avoit esté le prendre à Pozzolo avec Mr de Sobramante introducteur des Ambassadeurs. Il y avoit eu quelque difficulté sur le Ceremonial. Ce Legat avoit demandé, que selon l’usage, un Prince Parent du Roy vint le recevoir. Le Roy n’en avoit point à Naples, & le Conseil se trouva embarassé. Sa Majesté proposa d’elle-même un expediant, & dit que Mr le Cardinal de Medicis se trouvant à Naples, & estant son Parant, il falloit luy demander s’il vouloit bien aller recevoir Mr le Legat. La proposition du Roy fut applaudie. On parla à Mr le Cardinal de Medicis, qui y consentit de la meilleure grace du monde, & qui executa de même ce qu’il avoit promis. Mrs les Cardinaux de Janson, & de Cantelmi allerent à sa rencontre sur la route avec un tres-grand Cortege de Prelats & de Seigneurs. Les Galeres sur lesquelles il estoit venu allerent à Pussol à cause que les Galeres du Pape ne salüent jamais.
Le 23 le Roy prit medecine, & se trouva tout à fait guery.
Il se leva le 24, & entendit la Messe dans son Palais. Il tint Conseil l’aprésdinée, & les appartemens recommencerent le soir.
Le 25 le Roy tint Conseil à neuf heures du matin, & reçût ensuite Mr le Comte d’Estrées Grand d’Espagne de la premiere Classe. Ce Comte fit trois reverences à l’Espagnole en s’approchant de Sa Majesté qui estoit dans un fauteüil sous un Dais, & luy baisa la main. Le Roy luy dit en Espagnol, couvrez vous, Il se couvrit, & parla au Roy un moment couvert. Aprés que Sa Majesté luy eut répondu, il ôta son chapeau, luy baisa la main une seconde fois, & s’étant retiré à reculons, il se plaça prés de la muraille où plusieurs autres Grands estoient ayant leur chapeau sur la tête.
Sur les cinq heures du soir, des Seigneurs titrez du Royaume de Naples se rendirent avec de magnifiques équipages dans l’Eglise Metropolitaine, où le Roy assis dans son fauteüil élevé sous un riche Dais de brocard d’or, & assisté des Cardinaux de Medicis, de Cantelmi & de Janson, reçût les Sermens de fidelité, & de Vasselage sur le Livre de l’Evangile tenu par l’Archevêque de Salerne. Ces Sermens furent pretez entre les mains de Sa Majesté par tous les Seigneurs & Barons du Royaume qui estoient pour lors à Naples, & par tous les Deputez de divers Corps qui estoient absens. Sa Majesté promit de leur conserver leurs Privileges, & aprés avoir serré de ses deux mains celles de ceux qui venoient à mains jointes la salüer, elle leur donna l’accolade, & sa main à baiser. Cette Ceremonie ayant esté fort longue, & le Roy estant revenu fort tard, il n’y eut point ce jour-là d’apartement.
Le 26 au matin on vit paroistre le Decret du Conseil d’Etat, qui fixoit le départ de Sa Majesté au second de Juin, & qui portoit que les Galeres qui avoient amené Mr le Cardinal de Medicis, formeroient l’avantgarde ; qu’elle seroient suivies de l’Escadre de Sicile ; que la Capitane de Naples qui porteroit le Roy auroit à sa droite la Capitane de l’Escadre de France, & à sa gauche celle de l’Escadre de Sicile ; que les autres Galeres de France & de Naples, suivroient, & que l’Escadre du Duc de Tursis formeroit l’arrieregarde. Sa Majesté Catholique donna le même jour Audience aux Ambassadeurs de Lucques qui le complimenterent au nom de leur Republique.
Le 27. Mr le Cardinal de Janson prit congé du Roy & des Cardinaux de Medicis & Cantelmi. Le même jour Sa Majesté visita pour la premiere fois le Chasteau neuf, & donna la liberté à quatre-vingt-dix Prisonniers qu’on y detenoit pour la derniere rebellion. Il y en avoit plusieurs qui avoient esté condamnez à mort.
Le 27. le Bailly Spinola, nouvellement sorti du Generalat des Galeres de Malte, & Ambassadeur de la Religion auprés de Sa Majesté Catholique, eut sa premiere Audience publique. Il estoit suivi de quarante Estafiers couverts de livrées chamarrées d’or, de six Pages d’honneur, avec des livrées encore plus magnifiques, & des vestes brochées d’or, & de six Maures superbement vêtus à la Turque avec des colliers d’argent.
Le 28. à dix heures du soir, il y eut une Procession qui se fait ordinairement le Samedi Saint, mais les Peres Cordeliers chez qui est la Confrairie des Penitens qui la font, l’avoient fait differer à cause de Sa Majesté Catholique. Tous les Confreres estoient habillez comme le sont ordinairement les Penitens le Vendredy Saint. On y vit tous les Misteres de la Passion de nôtre Seigneur & de la Vierge, representez au naturel. Le premier estoit la Tour de David. Le second, la Cité de David. La Nativité, la Presentation au Temple, l’Annonciation, la Resurrection, les Pellerins d’Emaü, l’Ascension, & la Pentecoste. On voyoit ensuite une machine semblable à un Char de triomphe, au haut de laquelle paroissoit S. François. Il y avoit douze Musiciens sur ce Char, que quarante-huit hommes portoient. Il avoit environ quarante pieds de haut. Tous les Misteres estoient illuminez d’une infinité du lumieres. Chaque Mistere estoit precedé par vingt-cinq ou trente Musiciens, & il y avoit vingt-cinq de ces Misteres. Cette Confrairie renferme toutes sortes d’Etats. Cent de celuy des Marchands marchoient des premiers, cent du Bureau les suivoient, & precedoient ceux de la Noblesse qui estoient plus de cinq cens. La jeune Noblesse paroissoit ensuite, puis les Chevaliers de Calatrava & de S. Jacques, suivis des Cordeliers. Le Roy vit passer cette Procession pendant deux heures & demie qu’elle dura.
Le 29. Sa Majesté déclara Mr le Comte de Lemos Viceroy de Sardaigne, Mr le Prince de Montesarchio General des Galeres de Naples. Elle confera aussi à ce Prince l’ordre de la Toison d’or, & le fit Grand d’Espagne. Ce que le Roy fit en cette occasion pour reconnoistre les services d’un sujet si fidelle, & si zelé luy attira mille louanges & mille benedictions. D Carlo Carassa fut fait en même temps Gouverneur & Capitaine General d’Oran, Mr le Prince de Castiglinone Aquino General de la Cavalerie Napolitaine, & Mr le Prince Santo Buono Caraccioli fut nommé Ambassadeur à Venise, & Mr le Prince Borghese Ambassadeur extraordinaire à Rome pour remercier sa Sainteté du Legat à Latere qu’elle à envoyé à Naples pour faire compliment à Sa Majesté qui donna ordre le même jour à Mr le Duc d’Atry de retourner en Abbruse, avec le caractere de Vicaire. Sa Majesté le déclara aussi General de Bataille pour commander en chef les troupes réglées & les Milices.
Le mesme jour 29. le Cardinal Charles Barberin fit son entrée Publique en qualité de Legat à Latere, il se rendit hors la porte Chiaja où il monta sur un siege élevé de plusieurs degrez. Il reçeut les respects du Clergé qui alla en Procession au devant de luy & il donna à tous la Benediction, le Roy accompagné comme le jour de la Cavalcade solemnelle, & suivi du Regiment de ses Gardes, alla à une portée de mousquet de la Ville au devant du Cardinal Legat qui se découvrit le premier si-tost qu’il l’eut aperçu S.M. Aprés les compliments réciproques il se placea à la gauche de ce Monarque sous un Dais de Brocard d’Argent, le Roy à cheval & le Cardinal sur une Haquenée blanche. Tout le Clergé, tant des Eglises Collegiales que des Paroisses, & de la Catedrale commença la marche. Il étoit suivi d’une Compagnie des Gardes du Viceroy. Quarante Mulets paroissoient ensuite avec des couvertures de velours où estoient les armes du Legat brochées d’or & d’argent. Ils estoient suivis de ses Palfreniers, de ses Estafiers, de ses Pages, & de plusieurs de ses Officiers. La Noblesse Napolitaine & tous les Officiers de la Ville, & de Justice paroissoient aprés eux, & marchoient en même ordre qu’à l’entrée de Sa Majesté Catholique. On voyoit ensuite quelques Prelats & quelques Officiers. Les uns portoient la Croix, des Clefs d’or, des Masses, & une main de Justice. Les cinq premiers Officiers du Royaume venoient ensuite, puis Sa Majesté, & le Cardinal Legat donnant la benediction Apostolique à tous les spectateurs. Les Cardinaux de Medicis & Cantelmi suivoient immediatement, & aprés eux environ cinquante Prelats, avec le Cardinal qui va en la Chine. Les Carosses du Roy se faisoient remarquer ensuite aussi bien que douze du Legat, la pluspart remplis d’Ecclesiastiques de sa suite, puis les Carosses des Ambassadeurs & des Seigneurs, des Chevaux de main, & une Compagnie de Gardes qui fermoit la marche. Les ruës estoient bordées de Soldats. Les Napolitains ne pouvoient se lasser de voir nos Troupes. Ils admiroient sur tout une Compagnie de cent Gardes Marines, tous vêtus de rouge avec des plumets sur leur chapeaux & presque tous d’une mesme grandeur & marchant avec une grace meslée d’une noble fierté, qui faisoit plaisir à voir. Il n’y avoit pas même jusqu’aux Soldats François qui n’attirassent particulierement leurs regards, quoy qu’habillez uniment, & leurs cheveux dans des bourses, avec des cocardes à leurs chapeaux retroussez.
La marche se fit en cet ordre jusqu’à l’Eglise Metropolitaine, où le Roy & le Cardinal Legat mirent pied à terre. Sa Majesté prit congé du Legat. Elle monta ensuite en Carosse, & retourna au Palais accompagnée seulement de ses Gardes. Le Cardinal Legat entra dans l’Eglise, & aprés avoir fait les prieres devant le grand Autel, il se mit sur un Trône placé sur une Estrade où estoient deux Sieges pour les Cardinaux de Medicis & Cantelmi, & donna la benediction au Peuple. Il monta ensuite dans ses Carosses, & vint au Palais dans l’Appartement qui luy avoit esté preparé.
Le 30. le Cardinal Legat eut sa premiere Audience. Sa Majesté Catholique alla le recevoir à l’Antichambre de la Salle d’Audience, & le conduisit jusqu’au fauteüil qui luy estoit preparé à costé du sien, où il s’assit, se couvrit, & luy parla pendant plus d’un quart d’heure. Il lui fit ensuite le present du Pape qui consiste en une Croix d’argent garnie de pierres precieuses. Le Christ est d’or, & le tout travaillé avec une tres grande delicatesse. C’est un present qu’un Roy de France a fait autrefois à un Pape. L’Audience finie, le Cardinal Legat presenta à Sa Majesté Catholique plusieurs Prelats de ses Officiers qui eurent l’honneur de luy baiser la main. Sa Majesté conduisit Son Eminence jusqu’au lieu où elle l’avoit reçuë.
L’aprés dinée du même jour 29. les Seigneurs Napolitains donnerent au Roy le divertissement d’un Carousel magnifique dans la Place du Palais. Je vais vous en faire une description abregée, en attendant que je vous en donne une plus ample, n’ayant pas le temps d’entrer aujourd’hui dans un grand & exact détail, & n’estant pas d’ailleurs bien informé de beaucoup de choses que je souhaiterois sçavoir à fond.
Ce Carousel commença sur les 5. heures du soir. Un Prince Napolitain precedé de deux trompettes & de deux timbales de plusieurs Mulets chargez de fléches & de javelots, de trente Valets de pied, & de six Pages, dont les habits estoient tout chamarrez d’or & d’argent entra dans la Place qui estoit parfaitement bien ornée, & bien remplie. Ce Prince en fit le tour, & vint faire une profonde reverence au Roy, qui estoit à un Balcon du Palais. Il se mit ensuite à la teste des Quadrilles. Il y en avoit quatre qui estoient d’une tres-grande magnificence. Deux avoient choisi le rouge pour leur couleur, & les deux autres le bleu. Elles estoient composées de douze Cavaliers chacune. Les galons de leurs habits ne se faisoient pas seulement distinguer par leur richesse, mais encore par la maniere differente du travail, qui ne faisoit pas moins connoistre chaque Quadrille que les couleurs qu’elles portoient. Elles y entrerent chacune par une Porte differente, la Place en ayant quatre. Ces Quadrilles estoient precedées de leurs Timballes, Trompettes, Estafiers & Mulets, elles firent chacune le tour de la Place aprés avoir fait la reverence au Roy, puis s’étant toutes retirées par la même Porte par laquelle elles estoient entrées, elles parurent peu de temps aprés sur d’autres chevaux, & donnerent pendant une demy-heure un fort grand plaisir à toute l’Assemblée en courant tantost au grand galop, en se meslant les unes avec les autres, & en retournant à leurs Postes.
Tantost elles marchoient toutes de front, tantôt douze à douze, quatre à quatre, six à six, vingt quatre à vingt-quatre. Toutes les Quadrilles parurent encore montées sur de troisiémes Chevaux, & toutes ensemble donnerent de nouveaux divertissemens tout differens des premiers, ce qui dura encore une demie heure, aprés quoy elles se rangerent en ligne, ayant encore une fois quitté leurs chevaux pour en monter d’autres qui estoient exercez à la course des Testes. Il y en avoit quatre posées sur des poteaux de la hauteur du plus grand homme, & deux à terre. Quatre Seigneurs se rangerent auprés des Testes qui estoient aux quatre coins de la Place. Ils estoient armez d’une lance, d’un javelot, & de deux pistolets. Le signal estant donné, les Seigneurs qui estoient armez de lances firent quelques caracols, & coururent les Testes suivant l’usage ordinaire. Mr le Prince de Belveder en enleva trois de suite. Son pistolet manqua la quatriéme. Il tira son autre pistolet qui ne manqua pas son coup. Il estoit de la Quadrille bleuë, aussi bien que Mr le Duc de Popoli. On courut ensuite la bague ; mais la nuit ne donna pas le temps de finir cette course.
Le premier Juin, les Envoyez de Gennes se rendirent à l’Antichambre du Roy d’Espagne, accompagnez, sçavoir, Mr Grimaldi de cinq jeunes Gentilshommes, & Mr Brignolé de cinq autres ; les six premiers suivis de vingt Estafiers dont les habits d’écarlate estoient chamarez de galons d’argent, & de galons bleus veloutez, les six autres aussi de vingt Estafiers dont les habits d’écarlate estoient chamarez de galons d’or mêlez de galons vers veloutez. La porte de la Chambre du Roy leur fut ouverte à quatorze heures. Les deux Envoyez exposerent le sujet de leur Commission, & supplierent Sa Majesté d’honorer leur Republique de sa présence à son passage, & de vouloir bien loger dans le Palais qu’ils luy avoient fait preparer. Le Roy leur répondit avec sa bonté ordinaire, & les dix jeunes Gentilshommes eurent l’honneur de luy baiser la main.
Les Vaisseaux du Roy partirent le même jour pour retourner à Toulon ; mais comme le vent n’estoit pas favorable ils furent remorquez par les Galeres jusqu’à la hauteur de Pousol.
Le 2. les Envoyez de Gennes prirent congé de Sa Majesté, & mirent à la voile pour retourner rendre compte de leur Commission à leur Maistres. Sa Majesté communia le même jour, & alla à cinq heures à St Gehnnard demander à Dieu, par l’intercession de ce Saint, la grace dont tous les Souverains ont besoin pour bien gouverner ; aprés quoy elle s’embarqua sur les Galeres. Je vous ay déja marqué le rang que devoient avoir toutes les Galeres, & celle que devoit monter Sa Majesté. Le Pape envoya le même jour à Civitavechia un regale tres-magnifique de toutes sortes de rafraîchissemens pour estre presenté à ce Prince lorsqu’il passeroit à cause que l’on croyoit qu’il pouroit y toucher, ou du moins passer à la vûë de ce Port ; mais le vent ayant esté tres-favorable, Sa Majesté en profita ; de sorte que ses Galeres n’estant approchées de terre qu’à quinze milles de distance, le regale ne put luy estre presenté.
Le 8 sur les dix-huit heures d’Italie, ce Prince ayant passé la nuit à Porto Ferrario, arriva dans le Port de Livourne. A son arrivée, on fit trois salves generales de toute l’artillerie du Mole & des Châteaux & de toute la Mousqueterie. Chaque salve fut de 500 coups de Canon. Comme on avoit crû que le Roy debarqueroit, on avoit construit un Pont qui alloit de la Consigne jusqu’à l’Ecüeil qui est au milieu du port. On avoit aussi fait preparer le Palais qui est dans la grande Place, & les meubles qu’on y avoit mis étoient d’une si grande magnificence, qu’on est venu en foule de plusieurs endroits pour les voir. On parle sur tout de la richesse des Colomnes, & du fond du lit. Mr le Grand Duc s’estoit logé dans la Forteresse ancienne. Tous ces apprests qui ne servirent point ne laisserent pas de faire connoistre l’extrême desir que le Grand Duc avoit de recevoir Sa Majesté Catholique dans ses Etats avec tout l’éclat, & tous les honneurs qui sont dûs à un si grand Roy. Sa Majesté impatiente de se rendre à la teste de son Armée en Lombardie, avoit resolu de ne pas demeurer plus de trois heures devant Livourne. A peine fut elle arrivée à la pointe du Mole, où on jetta l’Ancre, qu’elle fut complimentée au nom du Grand Duc par Mr le Baron de Nero, Sergent General de Bataille. Le Grand Duc s’y rendit ensuite accompagné du Prince de Toscane, & de la Princesse Violante Beatrix de Baviere, sœur de feuë Madame la Dauphine, & Tante de Sa Majesté Catholique. Ce Prince les fit salüer de quatre coups de Canon de toutes les Galeres lorsqu’ils monterent sur la sienne, & les reçût avec toutes les demonstrations possibles de consideration, & d’amitié. La Princesse s’estant inclinée pour luy baiser la main, Sa Majesté la baisa à la jouë. Le Grand Duc estoit accompagné des principales personnes de la Cour qui eurent toutes l’honneur de saluer S. Majesté C. & de luy baiser la main. Le Grand Duc fit connoistre à ce Prince qu’il luy avoit fait preparer beaucoup de divertissemens en cas qu’il eust voulu mettre pied à terre. Sa Majesté parut sensible à tout ce que le Grand Duc avoit fait faire pour sa reception, & pour son divertissement, & luy marqua en mesme temps que la situation de ses affaires ne luy permettoit pas de prendre tous les plaisirs qu’il avoit voulu luy procurer. La séparation se fit avec toutes les marques d’une affection réciproque, & la Princesse s’attendrit si fort en ce moment que les larmes luy en vinrent aux yeux, en sorte qu’elle eut de la peine à prononcer les dernieres paroles qu’elle dit à Sa Majesté qui leur donna l’Altesse.
On ne peut rien ajouter à la magnificence du régale abondant que le Grand Duc envoya à Sa Majesté Catholique & à toute sa suite. Les Listes qui en ont couru ne se raportent pas. Il y a des articles dans les unes qui ne sont pas dans les autres, & le nombre des choses envoyées ne se trouve pas égal. Voicy ce que portent quelques unes de ces listes.
600. veaux monganes. Ce sont des veaux qui ont esté nourris de lait, & qui n’ont jamais mangé.
600. autres veaux.
200. bœufs.
500. moutons & autant d’agneaux.
1000 jambons cassantins.
1000. Chapons gras.
1000. pigeons patus.
Une fort grande quantité de faisans & de perdrix rouges & grises.
1000. fromages marsolins.
Plusieurs fromages de Parmesan.
400. mortadelles.
800. caisses de vins les plus exquis.
200 barils de vin du Pays pour les équipages, & la Chiourme.
10. cassettes de cire.
10. cassettes de fruits confits.
4. cassettes de chocolate.
4. d’essences.
14 d’huilles de baumes prétieux & quantité de remedes de la fonderie du grand Duc.
Il estoit venu à Livourne une si grande quantité de Noblesse, & de Peuple pour voir Sa Majesté Catholique que tout le Mole en estoit couvert. Ainsi dés que ce Prince se montroit à la poupe de sa Galere on entendoit de continuelles acclamations.
Sa Majesté Catholique n’ayant pû partir dans le temps quelle avoit crû eut le plaisir de voir le soir toute la Ville & le Port illuminez. Le lendemain neuviéme le Grand Duc alla souhaiter un heureux voyage à Sa Majesté qui luy témoigna beaucoup de satisfaction de ses présens, & sur tout d’un bouquet de Pierreries composé de pierres de diverses couleurs que les Princesses avoient envoyé pour la Reine d’Espagne. Il partit ensuite, & fut salué de trois salves Generales comme il l’avoit esté en arrivant. Lorsque Sa Majesté fut arrivée au Golphe de la Spessa, Elle y trouva deux Galeres de Gennes avec six nouveaux Envoyez de la Republique, du nombre desquels estoient Mr Augustin Centurion cy-devant Envoyé de la Republique à la Cour d’Espagne, & Mr Imperiale, son Neveu. Ils estoient accompagnez de plusieurs Gentilshommes, & avoient quarante Estafiers dont les habits estoient chamarez de galons d’or & d’argent. Ces Envoyez eurent l’honneur de salüer le Roy, & de supplier de nouveau Sa Majesté d’accepter un Logement que la Republique luy avoit fait preparer. Il estoit composé de trente Chambres dont les Ameublemens estoient plus magnifiques les uns que les autres. Comme ces Appartemens estoient composez de ceux de plusieurs Maisons, on avoit preparé des Ponts de communication d’une Maison à l’autre, & la maniere dont cela fut pratiqué estoit si industrieuse, qu’on ne pouvoit s’appercevoir que ce ne fust pas la même Maison. La Republique avoit aussi dépêché trois autres Galeres pour se joindre aux deux premieres, & accompagner Sa Majesté Catholique jusqu’à son débarquement.
Le Samedy 10. lorsque toute la Flore fut vis-à-vis de Savone, on fit trois salves Royales à boulets, au moins dans les endroits qui ne pouvoient causer de prejudice dans le Port, & elles furent suivies des hommages des Vaisseaux qui s’y trouverent. Il y en avoit un François qui portoit deux cens cinquante Deserteurs Allemans en France.
Madame la Marquise de Grillo, & Madame la Duchesse Doria sa fille, se servirent de l’occasion, & s’étant fait porter à quinze milles en mer pour arriver à la Galere qui portoit le Roy. Sa Majesté eut la bonté de faire lever les Rames, & de tourner la Prouë vers la Felouque de ces Dames, qui ayant monté à l’aide de plusieurs Grands d’Espagne, eurent l’honneur de baiser la main de Sa Majesté & luy présanterent le jeune Doria, âgé de huit ans, que le Roy trouva tres aimable. C’est luy qui a le Brevet de General des Galeres, Mr le Duc son Pere qui estoit présent ne faisant que celle de Lieutenant. Le Roy luy commanda de prendre les Dames dans sa Galere, & de les ramener à Gennes, à quoy il obeit. Il se présenta autour de la Galere du Roy quelques autres Felouques avec des Dames de cette République pour voir Sa Majesté. On les Sollicita d’y monter, mais n’étant pas vêtuës d’une maniere convenable, elles se contenterent de satisfaire leur curiosité, le Roy ayant eu la bonté de se laisser voir au Balcon de la Galere. Il y avoit parmy ces Dames, Madame Therese de Negroni, Femme d’un Senateur Neuveu du Cardinal de ce nom. La fille de cette Dame estoit avec elle : elle est Femme de Mr Sera, un des Envoyez de la République de Gennes qui estoit présent.
La Mere & la Fille de Mr Gravelli, Baron de l’Empire eurent la mesme curiosité. Quelques autres Dames eurent le chagrin de ne pouvoir arriver qu’environ à deux milles des Galeres, ce qui les mortifia infiniment. Sa Majesté fut complimentée dans le mesme lieu par quatre Deputez de la République de Lucques.
Ce Monarque alla dormir au delà de Savonne dans le Port de Vado, mais sans débarquer il en partit le Dimanche à dix sept heures pour aller à Final où il demeura jusqu’au lendemain 12. Quelques Officiers Allemands qui avoient esté faits Prisonniers à Castiglione, s’y estant trouvez, ce Prince leur dit qu’il ne falloit pas que sa présence leur fust inutile, & qu’il leur donnoit la liberté. En même temps, il leur ordonna de dire à Mr le Prince Eugene qu’il le veroit dans fort peu de temps.
Je vous envoyeray le mois prochain la suite de ce journal.