1702

Mercure galant, août 1702 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, août 1702 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1702 [tome 11]. §

Au Roy §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 5-12.

Les Sonnets sur les Rimes de Mrs les Lanternistes de Toulouse, ayant esté proposez à la gloire du Roy. Ils ont esté remplis par une infinité de Personnes, chacun se faisant un plaisir extrême de publier les loüanges de cet Auguste Monarque. Je vous en ay déja envoyé quelques uns, & j’espere que vous ne serez pas fâchée de voir encore ces trois autres.

AU ROY.

La Victoire pour toy tous ses charmes déploye ;
On n’entend en tous lieux que d’éclatans concerts,
Dans les Villes, aux champs, jusqu’aux sombres deserts,
De tes heureux succés, tout retentit de joye.
***
Cremoneeust essuyé le même sort que Troye
Si les fiers Allemans n’eussent eu du revers,
Mais se voyant vaincus & de honte couverts
Ils quittent aux François leur importante proye.
***
Tous tes travaux ainsi sont de gloire embellis,
Rien ne peut égaler la puissance des lis,
Tu l’as de l’Occident au Levant répanduë.
***
Aussi tes Ennemis transportez de fureur
Voudroient de ton pouvoir limiter l’étenduë,
Mais ta valeur,Grand Roy, les remplit de terreur.

PRIERE.

Protege cette Race en tant de Rois feconde,
Seigneur, declare-toy toûjours en sa faveur,
Et fais toûjours regner ton amour dans le cœur
DeLouis, que tu tens le plus grand Roy du monde.

Ce Sonnet est de Mr Robert, de Saint Laurent de Mussidan, en Perigord, & celui qui suit est de Madame de Regis, Dame d’un merite fort connu. Elle excelle dans tous les ouvrages d’esprit, & demeure à Mansouville en Gascogne.

PLAINTE DES HOLLANDOIS.

Mars herissé des traits que son bras nous déploye,
Fait retentir nos bords, de ces tristes concerts,
Qui répandant l’effroy jusqu’au fonds des deserts,
Font un climat de pleurs des climats de la joye.
***
Ce Dieu, tel qu’on le vit autrefois devant Troye,
Menaçant nos remparts de funestes revers,
Et par ces Escadrons dont nos champs sont couverts !
Bien-tost à nos malheurs nous va livrer en proye.
***
De mille & mille droits nos Etats embellis
Vont passer par ses mains à l’Empire des lis.
Jusqu’ici nostre gloire en tous lieux répanduë
***
Sembloit avoir des temps surmonté la fureur :
MaisLouisà ce point voit la sienne étenduë ;
Qu’à son éclat la nostre expire de terreur.

Ce troisiéme Sonnet sur les mêmes Rimes, m’a esté envoyé sous le nom de Tamiriste.

SUR LA RETRAITE
des Troupes Imperiales.

En vain contre un Milan vostre Aigle se déploye,
Changez vos cris vainqueurs en lugubres concerts,
Fiers Allemans, fuyez au fond de vos deserts,
Portez-y vôtre honte, annoncez nôtre joye.
***
Cremonealloit par vous subir le sort de Troye,
Mais le Cocq vigilant, par un triste revers,
Renverse vos desseins que la nuit a couverts,
Vous perdez un Etat, en perdant cette proye.
***
Par des charmes nouveaux ses champs sont embellis
L’abondance y renaist, à la faveur des lis,
La gloire dePhilippeest par tout répanduë
***
Il approche, & son bras, malgré vôtre fureur,
De vos vastes projets resserrant l’étenduë,
Va ramener le calme, où regnoit la terreur.

[Epitre à Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 36-46.

Je vous envoye une Epitre à Monseigneur le Duc de Bourgogne. Elle a esté faite avant le départ de ce Prince pour l’Armée.

DE QUELQUES FAITS D’ALEXANDRE.

Alexandre pleuroit, quand Philippe son pere.
Avoit de son costé la fortune prospere.
Il craignoit que ce Roy toujours Victorieux
Ne le rendist oisif avant que d’estre vieux.
Son grand cœur aspiroit à la grandeur supreme.
Il vouloit meriter un nouveau Diadême,
Il vouloit plus encor ; son courage naissant,
L’élevoit au dessus d’un Prince Adolescent,
Il languissoit par tout, éloigné de la gloire :
Il brusloit de voler où voloit la victoire ;
Le destin & le Temps d’accord en sa faveur.
Le mirent en estat d’avancer son bonheur.
Ce bonheur surprenant, difficile à comprendre,
Joignit le nom de Grand à celuy d’Alexandre,
Mais que n’a-t-il point fait pour conserver ce nom.
Qui ne soit audessous de celuy de Bourbon ;
Regardons-y de prés, & rendons luy justice,
Dés son commencement poussé par le caprice
Il a vaincu des Rois, ravage leurs Pays
Avant mesme qu’il eust connu des Ennemis.
Vouloit-il assieger ou surprendre une Place,
Ses coups précipitez prévenoient la menace.
Et les vaincus surpris voyoient tomber sur eux
Des fers dont les chargoit un imprudent heureux.
Comme d’un cours rapide, il poussoit ses conquestes
Sans se justifier, ses armes toujours prestes
Luy rendoient les chemins libres de tous costez
Tant qu’enfin ses progrez se virent arrestez.
Il rencontre Porus, grand Prince, redoutable,
Et sans le redouter, il l’attaque, il l’accable,
Mais voyant son pouvoir pleinement affermi,
Maistre de ses Etats, il le traite en Ami.
De son malheureux sort, il efface la honte
Le vaincu s’humilie, & le dompteur se dompte.
L’amitié les unit & l’honneur fait entre eux
Un concert de vertus qui plaist aux envieux ;
Darius plus puissant se fait voir en Campagne,
Ainsi que la valeur la fierté l’accompagne
Il cherche l’Ennemi flatté du doux espoir
De le remplir d’effroy dés qu’il se fera voir
Il voit autour de luy des cohortes armées
Par sa superbe voix au Combat animées.
Des chariots garnis de fers forts & tranchants
Des machines de guerre, escadrons d’Elephans.
Tout cela préparé pour combatre Alexandre.
Qui ne luy donne pas le loisir de l’attendre.
Le jeune Conquerant agit de son costé,
Et marchant sur les pas de l’intrepidité,
Il avertit ses gens, il dispose, il ordonne
Et commence un combat dont Darius s’estonne,
A peine peut-on voir d’où les coups sont partis
Que l’on voit terrassez des chefs des deux partis.
Les Soldats pour leurs Rois appellent la Victoire
Et du succez heureux chacun prétend la gloire
Cependant ces grands Rois, s’exposent aux dangers
De leur sang de leurs jours tous deux peu ménagers
Et dans l’instant fatal marqué pour les surprendre
La Victoire se rend dans les bras d’Alexandre.
Darius tombe mort, & le vainqueur luy rend
Tous les honneurs qu’on doit aux Prince de son rang.
Il répand ses bontez sur toute sa Famille.
Il appaise sa Mere, & sa femme, & sa fille,
Ils les traite si bien que leur adversité
Rend leur sort plus heureux que leur Prosperité.
C’est à lorsqu’il paroist plus grand, plus magnanime,
Et qu’on ne peut trop loin pousser pour luy l’estime
Comme il restoit encor quelque vuide en son cœur
L’amour pour le remplir, y jette son ardeur ;
D’une jeune Princesse, il adore les charmes
Il prend soin d’arrester, ses douleurs & ses larmes
Et pour mettre le comble à sa felicité,
Il partage avec elle un trône merité ;
Voilà des actions qu’on ne pouvoit attendre,
Que d’un cœur aussi grand que celuy d’Alexandre.
Ne fit il rien de plus ne s’écarta-t-il pas
Du chemin où l’honneur avoit porté ses pas,
Eut il toujours égal sans tache & sans foiblesse
Autant que de valeur eust-il de la sagesse
***
Il fut, me dira-t-on, le plus grand des Mortels
Digne de leur encens digne de leurs Autels
Mais n’en disons plus rien, épargnons sa mémoire
Et cherchons autre part, la veritable gloire.
Grand Prince vous scavez sans doute mieux que moy
Le bon & le mauvais de ce superbe Roy,
C’est à vous d’en juger ; & c’est à vous d’en prendre
Ce qui peut convenir à vostre âge encor tendre,
Prenez en dont le bon ; mais pour réussir mieux,
Imitez seulement, vos illustres Ayeuls,
Formez vous sur celuy, qui vous sert de modele,
A ces enseignemens appliquez vostre zele,
Car, quoy que du passé, l’on puisse concevoir :
Les exemples vivans ont bien plus de pouvoir.
Cette Maxime est juste autant qu’elle est heureuse,
Quand on peut s’en promettre une fin glorieuse ;
Il ne vous manque plus que les occasions
De remplir dignement vos inclinations,
Vous êtes déja prest, & vostre contenance,
Est un charmant témoin de vostre impatience.
Partez, Prince, partez, & revenez vainqueur
La Gloire vous attend au Temple de l’Honneur.

Sauf-conduit pour Monseigneur le Duc de Bourgogne §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 46-47.

Cette Epitre est de Mr Boucher, qui a fait aussi les deux petites Pieces suivantes.

SAUF-CONDUIT POUR MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE
dans le temps de son départ.

De la part du Tres haut, le grand Dieu des Armées,
Marche le jeune Prince au devant des Combats.
Que les Nations allarmées
Sentent bien-tost par luy ce que peut nostre bras ;
Qu’il travaille pour nostre gloire
Toûjours aidé de la Vertu ;
Et content d’avoir combatu,
Il revienne avec la Victoire.

Ouverture de la premiere Campagne de Monseigneur le Duc de Bourgogne §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 47-49.

OUVERTURE
de la premiere Campagne
DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE

D’une démarche fiere, & d’un air intrepide
Ayant à ses costez la victoire pour guide,
Pour la premiere fois entrer aux Champs de Mars
Au front d’une Bataille affronter les hazards
Vaincre des Nations au combat préparées
Les réduire à l’estroit dans des Villes murées
Maistre de la campagne en recueillir les fruits
Passer sous la Cuirasse, & les jours & les nuits,
Veiller incessamment, estre toujours en garde,
Prevoir, & prevenir, ce qui nuit ou retarde,
Agir avec justesse, & sans s’embarasser,
Trouver dans ses travaux de quoy se délasser,
C’est ce que vient de faire, & sans crainte, & sans peine
Nostre jeune héros déja grand Capitaine,
Heureux commencement, que nous promettez vous
D’un Prince que le Ciel a fait naître pour nous ?
Ah ! que vous marquez bien ce qu’on en doit attendre
Quoy qu’il n’ait fait encor, rien qui deust nous surprendre.
Nous le verrons aller, secondé de nos vœux,
Et nous ne verrons rien que de grand & d’heureux.

[Madrigaux] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 93-95.

Les Vers qui suivent sont de Mr Dader.

A MADAME
LA MARQUISE DE ***
MADRIGAL.

Ce Madrigal a esté fait pour mettre au bas du Portrait de cette Marquise ; elle est representée armée d’un carquois rempli de fléches.

Entre vous & l’Amour voici la difference ;
On luy resiste quelquefois
Iris, vous ne trouvez jamais de resistance :
Laissez donc à ce Dieu ses fléches son carquois
Il ne peut triompher sans le secours des armes
Tandis que par vos charmes
Vous rangez les cœurs sous vos loix.

MADRIGAL A IRIS.

Si vous m’aimiez, Iris, autant que je vous aime,
Vous n’auriez jamais d’autre Epoux ;
Et bientost mon bonheur extrême
Me feroit des jaloux.
Mon cœur vous sembleroit fait exprés pour le vostre
Et loin de refuser le present de ma foy
Vous trouveriez toûjours en moy
Bien plus d’amour que dans un autre.

[Ouvrages de Mr l’Abbé de Poissi, tant en Vers qu’en Prose] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 96-108.

Mr l’Abbé de Poissy dont les ouvrages reçoivent tous les jours de grands applaudissemens ayant esté nommé par Mrs de la compagnie des Lanternistes de Toulouse, pour remplir une place dans leurs Corps, aprés avoir remporté sept Prix en differentes Academies, je vous envoye ses Lettres de reception.

Pendant que l’Academie Françoise, l’ornement de la Capitale du premier Royaume du monde, employe ses fameux talens à perfectionner l’Eloquence & la Poësie, pendant qu’elle fait paroistre son zele pour son incomparable Monarque, la Compagnie des Lanternistes excitée par un si bel exemple, s’applaudit d’estre particulierement consacrée à l’honneur de Louis le Grand, Protecteur des Rois & de la Religion, luy par qui les Sciences & les beaux Arts fleurissent même dans le sein de la guerre, toûjours entreprise avec justice, soûtenuë avec succés, & finie avec gloire.

C’est dans cette vuë qu’on s’applique à assembler des Personnes capables de contribuër à l’execution d’un si glorieux dessein ; & comme on est trés-persuade que Mr l’Abbé de Poissy, natif de Caën & Academicien de la même Ville, possede toutes les qualitez necessaires, une droiture de cœur parfaite, une érudition profonde, une grande politesse, & plusieurs autres talens qui le distinguent dans les beaux Arts, cette Compagnie le reçoit aujourd’huy quatorziéme du mois de Novembre mil sept cens, pour estre reconnu du nombre de ceux qui la composent, esperant que le titre de Lanterniste acquerrera un jour dequoy mieux répondre à la dignité du sujet qui va remplir la place adjugée, en vertu des presentes Lettres données à Toulouse, l’an, jour, & mois qu’on vient de marquer.

Arnaud Laborie,

Secretaire.

Mr l’Abbé de Poissy ayant reçu cette Lettre envoya à Toulouse le Remerciment suivant.

MESSIEURS,

Si le remercîment doit estre proportionné à la faveur qu’on reçoit, je cherche en vain des termes pour exprimer la grandeur de ma reconnoissance.

Me taire dans cette glorieuse conjoncture, c’est m’exposer peut estre à passer pour insensible. Il faut parler : mais que dire qui ne soit au dessous de l’honneur que vous m’avez fait.

Je ne sçais par quel endroit j’occupe une place dans vostre illustre Corps : plus je m’étudie & moins je le découvre.

Auriez-vous conçu quelque idée avantageuse de mon peu de merite ? Non, je vous crois trop judicieux ; c’est donc à vos bontez que je dois le titre d’Academicien.

Heureux, si je pouvois assister à vos celebres assemblées ! j’y verrois de parfaits modeles de science & de vertu : mais puisque mon éloignement ne me permet pas de goûter les douceurs de vos doctes entretiens, je sçauray bien me dédommager par la lecture de vos belles productions. C’est là qu’on trouve ce caractere de perfection qui doit regner dans tous les ouvrages qu’on met au jour.

Ouy ; Messieurs, vous excellez en tous les genres d’écrire.

La matiere que vous traitez veut-elle de la grandeur ; tout frape, tout emporte, tout ravit. Le merveilleux est accompagné d’un ménagement d’esprit que regle le bon sens. Vous dites plus de choses que de mots, & sans rien outrer, vous vous renfermez dans les bornes de la nature.

Si vostre sujet n’exige point des pensées sublimes ; vous avez recours à l’agrément. Alors vous répandez par tout l’air du monde, vous tournez galamment les choses, on voit des petits traits de Satire & des Peintures de caractere. Quelle politesse ! quel sel ! quel enjoûment ! tout plaist, tout pique, tout divertit.

La délicatesse ne regne pas moins en vos ouvrages, point de raffinement. Vos pensées ne renferment un sens caché, que pour donner le plaisir de le developer aux Connoisseurs.

Que ne puis-je, Messieurs, vous caracteriser chacun en particulier & vous donner des portraits d’aprés nature !

Je l’avoüe, Messieurs, mes couleurs sont trop sombres & mon peinceau est trop grossier pour faire une peinture délicate de vos rares Qualitez.

Mais je deviens ennuyeux, je ne suis pas assez spirituel pour vous entretenir long-temps. Je finis, Messieurs, en vous disant que si mon respect est capable de me conserver vostre estime, je vous proteste que vous n’aurez jamais sujet de me désavoüer pour vostre &c.

Mr l’Abbé de Poissi envoya aussi à la mesme Compagnie le remerciement qui suit au sujet du Prix proposé à la gloire du Roy, que cet Abbé avoit remporté.

MESSIEURS,

La Couronne que je remporte a des charmes pour moy : mais la recevoir des mains d’une Academie celebre, c’est le comble de la gloire. Un Prix donné avec éclat exige un remercîment public.

Pour ne point démentir la legitime ardeur
 Qui regne dans mon cœur,
 Eclatez, ma reconnoissance ;
Et ne demeurez pas dans un honteux silence.

Il est bien juste, Messieurs, que l’on connoisse quel est l’illustre Corps dont je tiens l’honneur de mon triomphe.

En vain vostre modestie voudroit m’empêcher de parler, elle ne peut m’imposer le silence sur les vertus que vous possedez, qu’elle ne m’engage à faire uniquement son éloge.

Aprés tout, Messieurs, si vous estes modestes, faut-il que je sois méconnoissant.

Vous me deffendriez inutilement de vous rendre ce que je vous dois, je suivray l’exemple de ces Amans qui ne croyent pas estre rebelles aux ordres de leurs Maistresses, lorsqu’ils les aiment sans leur aveu.

Mais par où commencer, que de vertus ! que de talens ! que de perfections dans vostre fameuse Assemblée.

Parmi le nombre des grands hommes qui la composent,

Les uns montrent une Science reflechie, ils approfondissent les sujets qu’ils traitent, & capables d’une infinité de belles connoissances se rendent maistres de tous les esprits.

L’Histoire fait les delices des autres, ils semblent estre de tous les siecles.

La Philosophie & les Mathematiques occupent plusieurs de vos Illustres. Elles n’ont point d’Enigmes dont chacun ne soit l’Oedipe.

Ceux qui donnent dans la Poësie, font briller un genie qui plaist, ils joignent au bon sens une imagination claire & une intelligence lumineuse, & se joüent de leur matiere.

Il faut en fait d’écrits que la raison nous guide
On doit à la jeunesse allier le solide.
Outre la verité qui sert de fondement,
On veut du merveilleux, on veut de l’agrément,
  De la délicatesse,
  Et de la politesse,
 Du naturel, de la clarté,
 Un certain tour de nouveauté,
 Une aimable fecondité
 Qui coule d’une heureuse veine.
  Il faut tout à la fois
L’atticisme des Grecs, l’urbanité Romaine,
 Et l’élegance des François

Ces qualitez differentes regnent dans tous vos ouvrages.

Tant de perfections de l’esprit accompagnées de celles de l’ame, & l’on peut dire que vostre Academie est moins une Ecole de science, que de vertu.

Il ne me reste plus, Messieurs, qu’à vous témoigner que je suis vivement touché de vostre politesse.

Telescille, cette fameuse Academicienne, dont vous honorez particulierement le merite, m’a fait voir une Lettre que je loüerois davantage si elle ne me loüoit pas tant.

Quoy, Messieurs, non contens de me couronner, vous demandez encor mon Portrait pour estre placé dans la Salle de vos Assemblées.

Je m’étudieray à me rendre digne de la faveur que vous me faites, & si je suis assez heureux pour meriter quelque place dans vostre estime, je regarde cet honneur comme le plus solide & le plus éclatant dont ma vanité puisse estre flatée.

Je suis avec une respectueuse reconnoissance, Messieurs, vostre, &c.

A son altesse royale Madame la Duchesse de Savoye, reine de Cypre §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 108-111.

Les Vers qui suivent sont du même Auteur.

A SON ALTESSE ROYALE
MADAME
LA DUCHESSE
DE SAVOYE,
REINE DE CYPRE.

Vous qui plus grande par vous même
Que par le sacré Diadême
Qu’on voit sur vostre auguste front.
Vous dont la conduite répond
A vostre suprême puissance.
Vous en qui la vertu regle toûjours le cœur
Et qui mettez la bonté, la douceur
Au niveau de vostre naissance,
Belle Princesse, esprit charmant,
Permettez que ma Muse, en cet heureux moment,
Vous presente un encens & pur & legitime,
Que l’on ne doit offrir qu’au merite sublime.
Pourquoy ne sçaurois-je imiter
L’heureux & fertile genie
Du grand Chantre de Méonie !
Ou qu’Apollon ne veut-il me prêter
Les sons harmonieux de sa divine lyre,
Pleins de cette ardeur qu’elle inspire
Sur des tons plus pompeux on m’entendroit chanter.
***
Telle qu’on voit briller l’Aurore,
Lors qu’elle vient d’ouvrir d’un air frais & riant,
Les barrieres de l’Orient,
Pour annoncer le jour & pour caresser Flore :
Telle & cent fois plus adorable encore
Princesse on vous voit chaque jour
Briller dans vostre auguste Cour.
***
On nous fait croire en vain qu’il fut une Déesse
Qui dans Cypre fit son séjour
Pour inspirer l’amoureuse tendresse.
Tout ce qu’on dit de ses appas
Des jeux & des plaisirs qui marchent sur ses pas
  Est une Fable :
Mais chez vous tout est veritable.
Vostre sang est le sang des Dieux,
Vostre beauté charme les yeux,
Des cœurs de vos Sujets on vous voit Souveraine,
Et de Cypre vous estes Reine.

[Remarques Ingenieuses sur le Portrait de la Reine d’Espagne] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 113-116.

On a fait une remarque fort ingenieuse sur le Portrait de la Reine d’Espagne. Vous la trouverez dans ce billet.

A MONSIEUR ***

Je me trouvay dernierement dans une Maison, où l’on regardoit un beau Portrait de la Reine d’Espagne. Aprés avoir parlé de la Majesté charmante de cette Princesse ; je remarquay une singularité pour elle. C’est qu’elle est la seconde fille de Monsieur le Duc de Savoye ; que ce Prince son Pere se nomme Victor Amedée Second : & qu’elle a épousé le Roy d’Espagne, second fils de Monsieur le Dauphin. Une Muse peut donner du relief à cette remarque. Car en Latin, Secundus, secunda, secundare sont des termes d’un sens heureux & favorable. L’usage en est frequent dans Virgile. Tantum fortuna secunda, Æneid. 9. Dii incepta secundent. Æneid. 7. Spirate secundi. Æneid. 3. Et en François Seconder, se prend pour aider, favoriser. Voici l’observation mise en œuvre dans des Vers Latins ; & les Vers François qui les imitent autant que la Langue le peut souffrir.

PRO HISPANIÆ REGINA.

Illa secunda extat Victoris nata secundi,
Delphini natus, quamque secundus habet.
Augurium felix ! Expetit fata secunda
Nunc Iber : hæc Regis bellica gesta dabunt.

POUR LA REINE
d’Espagne.

Seconde Infante de Savoye,
Dont le Pere est Victor Second,
D’un second fils de France, & l’Epouse, & la joye.
Quel presage d’un nom de cet auguste front !
Philippe en Triomphant, va seconder l’augure,
Et former pour l’Espagne un sort heureux qui dure.

[Madrigaux sur les Statues equestres placées nouvellement à Marly] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 121-124.

Les Vers suivans qui ont été présentez au Roy, sont de Mr Leger. Ils ont été faits sur la Statuë qui a esté posée à Marly & qui represente Mercure sur le Cheval Pegase.

Que nous dis de Misterieux !
Ce Noble Messager des Dieux
Qu’on voit fendre les airs d’une ardeur sans seconde ;
N’est ce pas luy Grand Roy ; tandis que ta valeur
Sçait de tes Ennemis te rendre le Vainqueur,
Qui prend soin d’anoncer sur la terre & sur l’onde
Que tu n’est pas moins grand aux yeux de tout le monde,
Quand tu fais fleurir les beaux Arts,
Que redoutable au champ de Mars.

AUTRES.
Sur la Statuë représentant la Renommée sur le Cheval Pegase sans frein.

Quel Art ingenieux à l’aide du Ciseau
Peut nous rien offrir de plus beau
Que ce Pegase, & cette Renommée ?
Tout y parle de toy Louis ;
  Cette Déesse accoutumée
A porter en tous lieux tes exploits inoüis ;
A ce Cheval sans frein qui s’anime, & qui vole
Disent assez, combien on doit te redouter,
Et qu’ainsi que ton bras que l’on vit tout dompter,
Quand il faut en instruire & l’un, & l’autre Pole,
Rien ne sçauroit les arrêter.

Ces deux grands morceaux de sculpture qui sont faits chacun d’un seul bloc de marbre sont de Mr Coessevox fameux Sculpteur qui vient d’estre nommé Directeur de l’Academie de Peinture & de Sculpture, ce qu’il ne doit qu’à son grand sçavoir dans l’Art qu’il Professe. Jamais Sculpteur n’a manié le marbre avec plus de hardiesse ny travaillé avec plus de diligence.

[Ouvrage mêlé de Prose & de Vers, de Science & de Galanterie] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 125-134.

Le petit Ouvrage que vous allez lire, m’a esté envoyé de Riom. Il est de Mr de Granville.

A MADAME D. B. D. R.

MADAME,

Quelques épaisses que soient les tenebres des Philosophes Payens à l’égard de la souveraine felicité, on apperçoit dans leurs écrits des rayons de lumiere capables d’éclairer l’esprit, & de former le jugement. Ils regleroient même le cœur, si cette noble vertu qui agit efficacement en vous, pouvoit subsister sans la Foi, je veux dire, cette vertu qui est l’ame de toutes les vertus Chrétiennes. La voici peinte avec ses couleurs, sinon les plus vives, au moins les plus naturelles.

Nous assurons, que c’est la charité qui donne
Le merite à nos actions,
Et que toutes les fois que le Seigneur pardonne,
Il veut bien couronner ses dons.
Loin donc des Protestans l’Erreur folle & damnable
Que son prix obscurcit celui de Jesus-Christ.
Au contraire, il le rend aussi recommandable
Que l’est un Arbre par son fruit.

Parmi ces Sages du Paganisme, il n’y en a point qui ait jetté des rayons de lumiere plus vifs que Lucrece. C’est ce qu’on peut aisément remarquer dans les trente-trois premiers Vers de son quatriéme Livre, avec cette circonstance, que pour continuer l’antithese qui y regne, il m’a paru en les mettant en nostre Langue, devoir ajouter celui-cy.

Dum volucres mulcent ipsorum cantibus oves.

On ressent je ne sçai quelle douce & secrete joye à regarder du bord d’une côte Maritime, des Vaisseaux en pleine mer, batus de la tempête, non qu’on se rejoüisse de la triste & dangereuse situation d’autrui, mais parce qu’on se trouve hors du danger : C’est encore estre touché d’une pareille joye que d’observer sans courir aucun risque, deux grosses Armées rangées en bataille, se livrer le combat en rase campagne ; mais il n’en est point de comparable à celle de s’aplaudir en secret d’avoir en partage la sagesse par laquelle on voit comme de haut en bas & avec mépris les hommes errans dans le monde, agitez de differentes passions ; les uns dans un perpetuel mouvement à se procurer un genre de vie qui remplisse le vuide de leur cœur qu’ils ne doivent jamais remplir, les autres dans des efforts vains & fatigans à qui l’emportera en naissance, en noblesse, en esprit, en merite, en reputation ; ceux-là appliquez jour & nuit à rendre un Ouvrage achevé ; ceux-cy sans cesse attentifs à amasser de grands biens & des richesses immenses, pour s’élever aux Charges, aux dignitez, aux honneurs, pour se faire des établissemens considerables, pour contenter leur inclination, en un mot pour rassasier leur cupidité insatiable.

A considerer les hommes en cet état, leur aveuglement est d’autant plus digne de compassion qu’ils passent leur vie, toute courte qu’elle est, dans des égaremens continuels, & marchent au milieu des perils toujours inévitables, au lieu qu’ils devroient faire reflexion que la nature ne demande autre chose d’eux si ce n’est de ne rien souffrir dans le corps, d’user de ce qui peut luy plaire utilement, & de posseder leur ame toute entiere sans chagrin & sans crainte. De là il est visible que l’homme n’a pas besoin, par rapport à son corps, de beaucoup de choses pour l’exempter de la douleur, & que celles qui ne luy causent aucun plaisir sont en tres-petit nombre. Il luy est même quelquefois plus doux de gouster celuy qui se presente naturellement, que d’en rechercher d’étrangers ; en sorte que si ceux d’un âge à se divertir n’ont pas leur Sales ornées de Lustres magnifiques pour les éclairer pendant leur repas du soir, si l’or & l’argent n’y brillent point de toutes parts, & si elles ne retentissent point des Concerts de voix & de sons d’instrumens ; au moins ils sont mollement couchez sur un tapis vert formé par les mains de la nature, & là prenant le frais prés d’un Ruisseau sous les Chesnes toufus qui les défendent des coups du Soleil ; ils ont l’avantage de se regaler agreablement sans beaucoup de dépense, en même temps qu’ils ont celuy d’entendre le merveilleux chant de differens Oiseaux, sur tout dans la saison de l’année, où les fleurs dont les arbres sont embellis & les Prairies émaillées, semblent donner à la terre dans son renouvellement une face toute riante.

Vous la communiquez, Madame, cette face riante à tout ce qui est prés de vous. En effet, vivacité d’esprit, solidité de jugement, élevation d’ame, douceur de mœurs, charme de la beauté, agrément de la jeunesse, enjoûment, airs aisez & naturels, qualitez tres-rares mais heureusement reunies en vôtre personne, & soutenuës des graces du Ciel, composent ce riche fond de lumiere qui éclaire, égaye & embellit tous les endroits où vous paroissez. Ce sont aussi ces mêmes qualitez qui font naître dans ceux qui ont l’honneur de vous approcher, des sentimens d’estime, d’admiration, & de respect. Je suis, &c.

[Sonnet au Roy d’Espagne] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 176-182.

Le Sonnet suivant fut fait pour le Roy d’Espagne, dans le temps que ce Monarque passa de Naples dans le Milanez.

Les troubles sont finis, ton auguste présence
Grand Prince a répandu le calme en tes Etats
Les mutins sont rangez sous ton obeissance.
Sans avoir éprouvé la force de ton bras
***
Mais pour d’autres Exploits ta suprême vaillance
Au noble Champ de Mars precipite tes pas
Dans tes regards déja brille l’impatience
De pouvoir en personne animer tes Soldats.
***
Suivant de ton Ayeul les traces glorieuses,
Tu traverses des Mers, les routes perilleuses
Pour cueillir de Lauriers les penibles moissons.
***
Va ! cours ; tes Ennemis vont tomber dans tes chaînes
L’on attend tout d’un Roy qui mesle dans ses veines.
Le sang des Charlequins, à celuy des Bourbons

Ce Sonnet est de Mr de la Terrasse qui a donné au Public une Traduction en vers du Poëme de Catule sur les Nopces de Pelée, & de Thetis avec des remarques.

La Paraphrase qui suit est de Mr Maugard de Troye, elle est sur le Pseaume Exaudiat, & convient parfaitement bien au temps.

AU ROY D’ESPAGNE.

Que le Seigneur sous qui tremble la terre entiere
Exauce les désirs de vostre Majesté ;
Qu’il maintienne vos jours dans un regne prospere
Au plus fort de l’adversité.
***
Que le Dieu de Jacob qui couvre de ses aîles
Celuy qui sur son bras veut bien se confier
Que le nom de ce Dieu qui punit les rebelles
Vous soit un puissant bouclier.
***
Que de son Trône saint sans cesse il vous regarde ;
Qu’il dépêche vers vous le secours de Sion
Qu’il envoye icy bas pour vostre sure garde
Une invincible Legion.
***
Qu’il ait dans sa mémoire une image récente
Des biens que vous offrez aux pieds de sa grandeur ;
Que ce que vostre cœur par vos mains luy présente
Luy soit d’une agreable odeur.
***
Que sa bonté sur vous jette un œil favorable,
Que ses immenses dons surpassent vos souhaits.
Qu’il deffende vos droits : qu’un succez mémorable
Réponde à vos juste projets.
***
C’est alors que voyant nos guerres étouffées
Par des Himnes joyeux nous loüerons le Seigneur,
Alors dans mille endroits de celebres trofées
Seront dressez en son honneur.
***
Quels vœux ne feront point pour vous, pour vostre gloire
Tous ceux qui pour leur Roy ne vous avoüoient point ?
Ils verront éclairez des yeux de la Victoire.
Que Dieu vous choisit pour son oingt.
***
C’est son Dieu, diront-ils, sur luy seul il se fie :
Ce Dieu reçoit sa plainte au milieu de ses Saints,
Et sa dextre sur qui l’homme foible s’appuye
Est le salut des Souverains.
***
Qu’a servi, dirons nous, la folle confiance
Qu’ils fondoient sur leurs chars, & leurs chevaux nombreux :
Pour nous nous avons mis toute nostre esperance,
Sur le Protecteur des Hebreux !
***
Aussi nos Ennemis ont mordu la poussiere,
Sur les sillons fumans leurs corps sont étendus.
Leurs Chefs sont dans les fers ; une défaite entiere
Nous rend les Maistres des vaincus.
***
Nous prions le Seigneur qu’une heureuse carriere
Conserve vostre vie, en étende le cours.
Tant que vous régnerez cette ardente priere,
Dans nos cœurs régnera toujours.

[Ode sur la guerre présente] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 211-216.

Vous trouverez les Vers qui suivent assez naturellement placez aprés cette défaite. Ils sont de Mr l’Abbé Charlet, qui nous a déja donné divers Odes latines, que d’habiles Traducteurs ont renduës en Vers François : cet Abbé en a fait une nouvelle sur la guerre que les Allemans, les Anglois, & les Hollandois ont declarée à la France & à l’Espagne. La Traduction en a esté faite par Mr l’Abbé Mauguin, & je vous l’envoye.

SUR LA GUERRE PRESENTE.
ODE.

Où vous entraîne encore une ardeur insensée ?
Quoy ! Germains vous osez irriter les François,
De ces Peuples Vainqueurs de vous de tant de Rois
La memoire chez vous seroit-elle effacée.
***
La ruse est inutile, & la surprise est vaine
Contre de fiers Guerriers que la gloire conduit,
La nuit comme le jour la Victoire les suit,
Fuis, sage Eugene, fuis, ou ta perte est certaine.
***
Quand sans cesse à ruser ton esprit s’abandonne
Tu crains un Ennemi toûjours victorieux,
Mais si de tels moyens te semblent glorieux
Tu peux quand tu voudras retourner à Cremone.
***
Voy pour surcroist de trouble à ton ame allarmée
Philippe contre toy conduire les François.
Ce Heros glorieux sort du sang de nos Rois
Et luy seul en valeur égale son Armée.
***
Quoy les Villes, les Forts, tout cede sans deffense,
Fuis, Eugene, ou te rens ; Mars qui t’en fait la loy
Ne veut pas qu’elle ait rien qui soit honteux pour toy
Puisque tout doit ceder aux forces de la France.
***
Sarmates, & Danois, vous Bataves rebelles,
Accourez au secours des Germains vos amis ;
Plus contre les François vous serez d’ennemis,
Plus ils moissonneront de Palmes immortelles.
***
Couvrez de vos Vaisseaux la mer & le rivage,
Fiers Bretons, à vos Rois***** Sujets,
Mais n’attendez pour prix de vos vastes projets,
Que toutes les horreurs d’un funeste naufrage.
***
D’une valeur, François, à vous seuls naturelle,
Bravez comme autrefois ce guerrier appareil
C’est un nuage épais qui s’oppose au Soleil
Et qu’il dissipera d’une seule étincelle.
***
Ainsi, Brave François, arme-toy de la Foudre
Chez tous ces Rois jaloux, Va, cours porter l’effroy,
Que ces fiers ennemis se rangent sous ta loy
Ou qu’ils soient de nouveau par toy réduits en poudre.
***
C’est un Arrest rendu par le Dieu de la guerre
En faveur du plus sage & du plus grand des Rois ;
Que l’Univers, dit-il, soit soumis à ses loix ;
C’est à luy de calmer ou de troubler la terre.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 216-217.

L’Air qui a esté fait sur les paroles que je vous envoye, est de Mr de la Belliaire de Chartres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pourquoy me flatez vous d’une esperance vaine, doit regarder la page. 217.
Pourquoy me flatez-vous d’une esperance vaine,
Pour me faire éprouver de si cruels tourmens,
Ingrate, vous brisez une si belle chaîne,
Je voy que les Zephirs emportent vos sermens,
Vous craignez mes regards, ma presence vous gesne.
Lieux écartez, Deserts charmans
Faut-il que vous soyez les témoins de ma peine
Aprés l’avoir esté de mes contentemens.
images/1702-08_216.JPG

[Histoire de Philippe Auguste] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 259-264.

Enfin l’Histoire de Philippe auguste que vous souhaittez depuis si long temps & que le public demande avec tant d’empressement, vient d’estre imprimée. Ce Monarque qui a regné depuis l’année 1179, jusqu’en 1223 a été le Prince le plus heureux & le plus habile de son siecle. Il a jetté les fondemens de la grandeur où nous voyons aujourd’hui la France. Il a esté surnommé Dieu donné, le Conquerant & Auguste. Ce Royaume luy doit, soit par les alliances & les negotiations, soit par la force de ses Armes victorieuses une partie de la Flandres, les Provinces d’Artois, de Vermandois, de Valois, de Normandie, du Maine, du Perche, d’Anjou, de Touraine, de Poitou & d’Auvergne. Ce fut sous son Regne que les François conquirent l’Empire d’Orient. La France estoit en ce temps là, comme nous voyons aujourd’hui, l’Empire d’Allemagne. Une infinité de Princes y commandoient qui ne devoient au Roy que l’hommage, & leur contingent lorsqu’il s’agissoit d’une entreprise pour le service de l’Etat : en toute autre occasion ils agissoient indépendament, & si le Roy entreprenoit quelque guerre pour ses interests particuliers, ils les luy laissoient discuter avec ses forces seules. Les principaux de ces Princes, outre le Roy d’Angleterre qui possedoit sous l’hommage de la France les Duchez de Normandie & de Guyenne, & les Comtez du Maine, d’Anjou, de Touraine, & de Poitou, estoient les Ducs de Bourgogne, & de Bretagne, les Comtes de Flandres, de Champagne, & de Toulouse. Il est aisé de s’imaginer que tant de grandes Provinces n’ont pas esté unies à la Couronne de France, sans qu’il y ait eu beaucoup d’intrigues de Cabinet, de sanglantes guerres, & de grands mouvemens dans tout l’Etat. Enfin Philippe Auguste ayant eu trois femmes, ce qui fournit beaucoup de matiere à un Historien, & le long regne de ce Prince estant rempli d’un nombre infini de grands évenemens, il est constant que l’Histoire de ce Monarque doit estre aussi curieuse que belle, & sur tout estant traitée par un habile homme. C’est ce qui doit persuader que celle que Mr. Brunet debite au Palais, à l’Enseigne du Mercure galant, doit estre parfaitement belle, puisqu’elle est d’un Auteur qui a de grands talens pour ces sortes d’ouvrages, ce que l’on a remarqué dans l’Histoire de Charles VII. que cet Auteur donna au Public il y a quelques années. Le succés de cet Ouvrage fut si grand, qu’à peine eut-il paru, que tous les exemplaires furent vendus.

[Vers qui ont esté faits par Mr de Canaple à la gloire du Marquis de Crequy]* §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 331-332.

Mr le Marquis de Crequy voulut encore agir aprés avoir reçû deux blessures, & toutes les Lettres portent qu’il a beaucoup contribué à l’avantage que l’on a remporté. Voicy quatre Vers qui ont esté faits par Mr de Canaple à la gloire de ce Marquis.

Crequy meurt en Heros les armes à la main.
Et choisit pour Tombeau le sein de la Victoire,
Né dans le Champ de Mars il s’y couvre de gloire,
Seur que par cette mort, il doit vivre sans fin.

Enigme §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 337-341.

Le Mot de l’Enigme du mois passé estoit la Grenade : ceux qui l’ont trouvé sont ;

Mrs du Menil Ballan, Theologal de Mortain ; François Auguste Blanchard, Sieur de Marays, l’Abbé Guerinet de Vendôme ; Daniel le Chin, Procureur Fiscal à Egligny proche d’Auxerre, & le meilleur de ses Amis, le Sieur Trebuchet : Bardet & son Amy du Plessis du Mans ; Jean Maury Imprimeur de Roüen ; le jeune de Planchet qui n’a pas dix ans accomplis, du cul de sac de l’Hostel de Conty ; des Genets de la ruë Neuve Saint Mederic ; de Préel de la ruë Saint Julien des Menestriers, & la Maistresse de la mesme ruë, Tamiriste & sa Famille, l’Amant du bois de Vincenes & le Parisien Normanisé de la ruë Saint Julien, & sa charmante Commere, jeune Muse du Cloistre des Bernardins ; l’homme aux trois femmes de la ruë du Crucifix Saint Jacques, & l’associé de la grande Ligue de la ruë de Savoye. Mademoiselle Javote jeune Muse du coin de la ruë de Richelieu. Mademoiselle du Moustier de l’Arsenal, la fille ; des Cajeul de Hocquinghen de l’Hostel & ruë Serpente ; l’incomparable Tonton d’Amiens, les plus belles & les plus aimables Demoiselles de la ruë de l’arbre secq, & leur nouveau voisin.

L’Enigme que je vous envoye est de Mr Durey de Poligny.

ENIGME.

La Mere qui m’engendre, est transformée en moy,
Je fais changer son nom, sa forme, & sa figure,
Cependant elle garde en soy
Et sa premiere essence, & sa mesme Nature.
***
Je ne parois qu’un temps pour les goûts du Vulgaire,
Les plus riches Seigneurs me retirent chez eux ;
Mais dans le mesme instant, où je les rends heureux,
Mon sort fragile comme verre
Se dissippe à leurs yeux.
***
Lecteur ; qui te mets en cervelle
Pour apprendre ce que je suis,
Sans te dire ce que je puis,
Crains de trouver mon nom dans le cœur de ta Belle.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 342.

Je vous envoye des paroles dont l’Air a esté fait par Mr le Camus.

Sans y penser à Tircis j’ay sçeu plaire. Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Sans y penser à Tircis [j’ay] sçeu plaire, doit regarder la page. 342.
Sans y penser Tircis m’a sçeu charmer.
Amour prends soin de cette affaire
Il pouroit bien se dégager sans y penser.
images/1702-08_342a.JPG

[Second Article du Siege de Landlau] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 342-344.

Si l’on en croit les nouvelles du Camp de Landau, les Ennemis ont enfin pris le Chemin couvert, mais quoy que ce ne soit pas une chose impossible, aprés quatre mois de Siege, & les grandes pertes qu’ils ont faites, on doit convenir qu’ils s’attachent avec un soin extrême à déguiser la verité, puisqu’ils ont fait de grandes réjoüissances dans leur Camp, sur la Victoire remportée en Italie par Mr de Visconty sur l’Armée des deux Couronnes. On sçait assez qu’ils sont accoûtumez à perdre de la poudre. J’aurois beaucoup de choses à vous dire sur des affectations si grossieres ; mais comme la verité éclate trop aux yeux de tout le monde pour estre ignorée, il n’est pas besoin de raisonnemens pour détruire des choses si manifestement fausses. Ce qui suit regarde le Combat de Luzzara, & fait voir que l’on n’oublie rien pour déguiser la verité aux Alliez, & à leurs Sujets.

[Lettre du Prince Eugene touchant le combat de Luzzara] §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 345-353.

LETTRE
Du Prince Eugene au Comte de Goes, Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté Imperiale à la Haye, écrite du Camp de Luzzara le 16. Aoust 1702. & imprimée à la Haye.

Comme le dernier Journal que je vous ay envoyé portoit entre-autres, que le 13. de ce mois l’Ennemi avoit fait distribuer dans son Armée des munitions, & qu’il avoit même publie, que le lendemain il marcheroit infailliblement, & que j’avois jugé que par une telle marche on pourroit bien en venir à une action, cela s’est ensuivi en effet. Car ayant le quinziéme à dix heures du matin appris par mes Espions qu’il s’avançoit de ce costé ci, & qu’il estoit déja proche de Luzara, je fis aussi-tost mettre l’Armée sous les armes, & je m’avançay jusques ici, où je la rangeay en bataille, ensuite de quoy je disposay toutes choses pour faire une vigoureuse resistance ; mais comme nous avions eu peu de temps pour faire cette marche, pendant que je mettois l’Armée en bataille, l’Ennemi approcha toûjours de plus en plus, si bien que l’on en vint à un combat general qui ne se termina qu’à la confusion de l’Ennemi, à l’avantage de Sa Majesté Imperiale, & à la gloire de ses armes. La brieveté du temps m’empêche de vous faire une longue déduction de ce qui s’est passé, mais comme j’envoye le Comte de Vellen Adjudant General au Roy des Romains devant Landau, je l’ay chargé de vous la faire sçavoir par un Exprés, ou d’Inspruck, ou d’Ausbourg, & vous prie d’envoyer ma lettre au Comte de Wratislau, & à tous ceux qui sont aux environs ; vous assurant que par le premier ordinaire je vous envoyeray une ample relation de cette Victoire, qui est si glorieuse & si avantageuse aux armes de Sa Majesté Imperiale ; j’y insereray aussi ponctuellement les morts & les blessez que nous avons eu de nostre costé, entre les premiers desquels, outre plusieurs autres Officiers, se trouve Mr le Prince de Commercy, dont la perte est d’autant plus à regretter que sa bravoure & sa valeur estoient connuës à toute la terre ; & qu’en sa personne Sa Majesté Imperiale perd un General, qui avoit dans toutes les occasions donné des marques de sa fermeté & de son courage aux dépens de l’Ennemi. Cependant je vous dirai en substance, que cette grande & glorieuse action commença environ sur les cinq heures du soir par le canon ; que vers les six heures, c’est à dire environ une heure aprés, l’on se mêla, & qu’ensuite du costé de nostre aîle droite & au milieu d’un feu qui ne se peut exprimer, on attaqua l’Ennemi avec une telle furie, & une telle intrepidité, que sans flatter je suis obligé d’avoüer, & de dire en toute verité, que de ma vie je n’ay vu de Troupes, j’entens Officiers & simples Soldats, tant à pied qu’à cheval, combattre avec une si grande resolution, & une bravoure si extraordinaire, qu’ont fait celles de Sa Majesté Imperiale, qui sont ici sous mon commandement.

Tout le monde sçait les forces de l’Ennemi & combien nous leur sommes inferieurs : nonobstant cela nous n’avons pas laissé de l’attaquer dans son poste malgré l’avantage du lieu, & nous avons non-seulement gagné le Champ de Bataille avec tous ses morts & ses blessez, que l’on porte actuellement dans vostre Camp, & qui sont en nostre pouvoir, & n’avons pas seulement repoussé l’Ennemi à mille pas du lieu du Combat, premierement à nostre aîle droite, & ensuite de tous costez par quatre fois : mais ce qu’il y a de plus glorieux dans cette action, c’est que l’Ennemi avoit tout l’avantage du terrain, ayant devant luy un pays tout coupé : & que cependant ses Troupes au moyen desquelles il avoit jusques icy fait ses efforts, & sur lesquelles il s’appuyoit, ont esté chargées & batuës.

Mais sur tout on doit admirer la bravoure de nostre aîle gauche, où la Cavalerie de même que l’Infanterie a esté obligée de combatre avec l’Infanterie Ennemie ; & comme elle ne pouvoit se servir de l’épée, elle s’est servie de ses armes à feu avec un si heureux succés qu’elle a chassé l’Ennemi de ses retranchemens ; mais sur tout la Gendarmerie qui en a esté entierement renversée. Je continuë encore tout le jour à le canonner, attendu que nous ne sommes qu’à la portée de mousquet l’un de l’autre ; & l’on auroit encore pu venir à un second Combat, si la nuit, à la faveur de laquelle l’Ennemi s’est encore éloigné, & a abandonné plusieurs de ses Postes, en laissant tout ce qui y estoit, comme je l’ay déja dit, n’eust fini le Combat ; & que l’Ennemi ne se fust servi de cette occasion pour se retrancher, en sorte qu’il est impossible de l’attaquer.

J’ay resolu de faire chanter solemnellement le Te Deum, pour remercier Dieu d’une Victoire si signalée, & qui rend confus un Ennemi fier & fanfaron ; c’est à quoy je suis presentement occupé. Je finis & demeure, &c.

Il faut que ceux qui ajouteront foy à cette lettre n’ayent aucun commerce dans le monde, qu’ils ignorent absolument ce qui s’y passe, & qu’ils n’ayent pas la moindre teinture des affaires. Il ne faut que faire reflexion, sur le lieu dont cette lettre est dattée, pour estre persuadé que si le reste y répond on n’y lira rien de veritable. Nous estions maistres de Luzzara le jour que le Prince Eugene a daté sa lettre de ce lieu là, & le Camp des deux Couronnes s’étendoit par delà cette Place, c’est un fait si connu qu’au lieu de répondre à ceux qui croyent le contraire, on doit les regarder en pitié, puisqu’il faut estre imbecile, pour se laisser tromper si grossierement.

Suite du Journal de l’Armée de Monseigneur le Duc de Bourgogne §

Mercure galant, août 1702 [tome 11], p. 369-413.

SUITE DU JOURNAL
DE L’ARMÉE
DE MONSEIGNEUR
LE DUC DE BOURGOGNE

Elle décampa le 9 à deux heures du matin, & Monseigneur le Duc de Bourgogne alla coucher à un petit Hameau appellé Ballen. La Maison de ce Prince, & tous ses équipages demeurerent sur la Bruyere de Mool. Mr le Prince de Tserclas la commandoit. Il arriva à l’Armée trois Bataillons Suisses, qui venoient de Liege.

Le 10. les Equipages passerent à Mool, & ensuite par Berkay. L’Armée campa à Rithoven, la gauche prés d’Hindhoven, la droite à Ersell.

Le soir du même jour Mr le Marquis du Rosel qui avoit esté détaché avec trois cens Carabiniers & cinq cens Grenadiers, se saisit de la petite Ville d’Eindhoven à cinq lieuës de Boleduc, & à une pareille distance du Camp des Ennemis, dont il ne parut aucune Troupe pendant cette marche de deux jours. Ils estoient encore si surpris de la marche de Monseigneur le Duc de Bourgogne, qu’ils ne pouvoient revenir de leur étonnement. Il y a peu d’exemples d’une marche aussi belle, & aussi hardie, ce Prince ayant prêté le flanc à une Armée plus nombreuse que la sienne afin de leur faire naistre le désir de donner bataille, mais ils ont mieux aimé le laisser passer pour aller camper au dessus d’eux & qu’il leur coupast leurs vivres, & leur Pays que de risquer une bataille. Ainsi ils le virent tranquillement entre Bolduc & leur Camp dans un Pays qu’ils n’avoient point mangé, & par lequel ils faisoient venir leurs vivres. Ce Prince ne fut pas plustost dans le milieu de la Marie de Bolduc qu’il trouva des vivres, & des fourages avec d’autant plus d’abondance, que les Habitans ayant esté surpris par une marche si diligente, & à laquelle ils ne s’attendoient pas n’avoient pû sauver aucune chose. On ne put retenir les Maraudeurs qui se trouvant dans un si bon Pays se répandirent par tout. On amena au Camp dés le second jour plus de quarante mille bœufs, ou vaches, un grand nombre de Chevaux, des moutons & de toute sorte de butin, & les Bourguemestres vinrent de tous costez pour convenir & payer les contributions. On demeura dans ce Camp d’où l’on examina les mouvemens des Ennemis pour regler ceux que l’on jugeroit à propos de faire. Chacun resta dans son Camp. Les Ennemis firent beaucoup de mouvemens jusqu’au treize qui n’aboutirent à rien. Ce jour là Monseigneur le Duc de Bourgogne envoya à Eindoven Mr le Duc de Bervik avec deux Brigades d’Infanterie une Brigade de Cavalerie, & dix pieces de Canon. Le mesme jour treize les Ennemis vinrent camper à Hamont, ils étendirent leur droite le long du petit Aa qu’ils avoient derriere eux jusqu’à Heesen à deux lieues d’Eindhoven.

Le 14 Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval à une heure aprés midy pour aller à Eindhoven, visiter un poste que nous y avions du costé de nostre gauche. Ce Prince passa un peu au delà sur la bruyere qui est du costé du Petit Aa, il remarqua de l’autre côté à deux portées de Carabine une Colonne de Cavalerie & quelques Chariots qui paroissoient au de là. Il demanda à Mr le Maréchal ce que c’estoit qu’on voyoit, l’on fit un détachement pour en avoir des nouvelles, Monseigneur le Duc de Bourgogne, repassa à Eindhoven, & donna ordre qu’on refist des Ponts sur le Dommel, il fit dire à tous les Officiers Generaux de la gauche de ne se point escarter. Le bruit se répandit le 15. qu’il y avoit de l’autre côté du petit Aa à Tougeren six mille chevaux commandez par Mr de Tilly. Mr le Maréchal de Bouflers vint à quatre heures en donner avis à Monseigneur le Duc de Bourgogne qui se botta aussi tost, il entendit la Messe, fit ses devotions & monta à cheval. Il n’estoit pas six heures. L’on fit marcher toute la Cavalerie de l’aile gauche, & la Cavalerie de la seconde ligne de la droite passa pour remplacer les intervalles. L’on fit des détachemens de Grenadiers & d’Infanterie de la gauche qui marcherent aussi au de-là. Quand tout fut ainsi posté, Milord Berwik manda à Mr le Maréchal que tout estoit en bataille, & en estat de combatre ; mais Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui estoit près de Gueldorp, reçut des nouvelles par Mr le Maréchal de Bouflers qui firent connoistre l’impossibilité qu’il y avoit d’attaquer les Ennemis, on fit retirer les Troupes, & on donna l’ordre à Mr de la Motte un des Aides de Camp de Monseigneur le Duc de Bourgogne, d’aller du costé de Berkay, & même au delà, pour empêcher Mr de Tallard de donner ; car il devoit du costé de la droite attaquer l’Armée des Ennemis.

Le 16 Mr le Comte de Coignies qui avoit esté détaché du Camp de Rithoven avec deux mille chevaux ou Dragons, revint au Camp. Il avoit esté camper entre Bolduc & Breda, d’où il avoit envoyé des detachemens jusqu’à Gertrudenberg pour établir les contributions ausquelles tous les Pays d’en deçà de la Meuse s’estoient soumis, un seul Bourg ayant payé vingt sept mille écus, & outre cela sept mois d’avance de contribution. On avoit étably en mesme temps des contributions presque dans tout le Brabant Hollandois, qui estoit regardé comme la principale ressource des Ennemis pour leurs quartiers d’hiver. Pendant qu’on estoit ainsi dans le Camp de Monseigneur le Duc de Bourgogne, le pain coûtoit douze sols la livre dans l’Armée Ennemie, ce qui causoit une grande desertion.

Le 17. Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à dix heures à cheval & alla à la droite voir faire la revûë à Monsieur le Duc du Maine d’un Regiment Suisse.

Le 18 Monseigneur le Duc de Bourgogne donna la grace de deux Maraudeurs qu’on alloit pendre.

Le 19. ce Prince envoya cent Louis d’or à Mr de Curly à Nimegue, pour payer les Chirurgiens qui l’avoient pensé & gueri de ses blessures. Il luy envoya aussi un Cheval de son Ecurie, à cause que le sien avoit esté tué dans l’action dont je vous ay envoyé le détail.

Le 20. au soir l’ordre fut donné que l’on tinst les équipages prests, & que le lendemain avant cinq heures tous les Majors fussent à cheval pour recevoir l’ordre. Il vint ce jour là une bande de vingt cinq Deserteurs, & il en estoit venu jusqu’à soixante à la fois.

Un Parti revint l’apresdinée du 21. avec vingt-cinq chevaux & treize Maîtres. Le même jour on fit tirer dix-neuf Maraudeurs au billet, ceux qui eurent les deux billets noirs estoient sur le point d’estre pendus, lorsque le Capitaine à qui estoit l’un de ces Cavaliers vint demander sa grace, c’estoit un jeune homme du Régiment de Toulouse, qui paroissoit plus touché que le Cavalier mesme. Monseigneur le Duc de Bourgogne luy dit qu’il luy demandoit une chose d’autant plus difficile qu’il venoit de faire la grace à deux, qu’ils avoient tiré dix neuf & qu’il falloit de l’exemple, que cependant il la luy accordoit ; mais que puisque cela estoit il falloit donc aussi faire grace à l’autre. Un moment aprés Mr de Grignan vint demander aussi la grace de l’autre ; mais ce Prince le laissa quelque temps en suspends, en luy disant qu’il estoit venu trop tard, & qu’il ne pouvoit plus luy accorder ce qu’il luy demandoit. Monseigneur le Duc de Bourgogne avoit sur le champ envoyé Mr de la Motte, l’un de ses Aides de Camp, avec le Capitaine de Toulouse, leur porter leur grace.

Sur la nouvelle qu’eut Mr le Mareschal de Bouflers le 22. à huit heures du matin, que les Ennemis décampoient d’Achel, il fit marcher l’Armée qui vint de Rytoven coucher en bataille sur la Bruyere qui est entre Loëmen & Peer. Les Ennemis arriverent le mesme soir dans leur ancien Camp de Peer. Le 21. au matin on traversa tout le reste de la mesme Bruyere ; dans la marche on apprit que Mylord Marlboroug marchoit sur Hekteren & Beringhen, & qu’il paroissoit qu’il vouloit aller du côté d’Hasselt. Nostre Armée arriva à un quart de lieuë d’Echtel à dix heures du matin. Mr de Bouflers prit le party de faire mettre l’Armée en bataille, & de marcher aux Ennemis. On se mit en marche environ sur midy, & on arriva sur la Bruyere de Peer à une heure & demie. On rangea toute l’Armée, & tout fut disposé pour une bataille. Les Ennemis qui estoient restez au haut de la Bruyere firent paroistre quelques troupes dés qu’ils nous virent débouchez du Village d’Echtel, les hauteurs contre lesquelles ils estoient appuyez, empescherent de voir leurs tentes qui avoient déja esté tenduës. La maneuvre que l’on fit ne leur laissa plus lieu de douter qu’on ne voulut les attaquer, ils se rangerent en bataille auprés des petites éminences qui couvroient leur Camp. Ils se contenterent de faire défiler de l’Infanterie sur leur droite le long des hayes, comme s’ils avoient fait une contre marche vers Peer. Mr le Mareschal de Bouflers qui avoit reconnu toute la Bruyere fit avancer ses troupes, il appuya sa droite à trois ou quatre buttes sur le bord de de la Bruyere prés d’Echtel, il posta sa gauche au bord de la mesme Bruyere du costé de Peer.

Mr de Tallard étoit à la droite prés des buttes où estoit appuyé la droite. Il y a deux Cences où commence le Ruisseau de Beringhen, lequel forme, dans cet endroit, un Marais impraticable pour la Cavalerie, jusqu’au Village qui n’est qu’à la portée du Canon. On jugea à propos d’occuper ce Village, on detacha deux Regimens de Dragons, Mr d’Hautefort y trouva les Ennemis qui estoient allez fourager & qui firent feu. On songea à placer les batteries, on posta six pieces de canon de l’Armée de Mr de Tallard ausdites deux Censes, & vingt à la gauche, parce que celuy de nostre Armée n’estoit pas encore arrivé. Les Ennemis dresserent aussi une batterie, l’affaire commença de ce costé-là par la décharge qu’il nous firent ; la nostre ne tarda point à tirer, mais le feu des Ennemis estoit superieur, & leur canon parfaitement bien servi. Les batteries de la gauche ne furent pas sitost en estat, mais quand elles eurent commencé elles furent tres bien servies, & beaucoup mieux que celles des Ennemis. L’affaire commença à trois heures trois quarts, & dura jusqu’à la nuit. Il n’y eut que du Canon tiré, & pas un coup de mousquet. Les Ennemis ne bougerent point de l’endroit où ils avoient esté d’abord en bataille. S’ils avoient fait un peu de chemin l’affaire estoit engagée, il ne voulurent point perdre l’avantage de ce lieu. On les a fait reconnoistre cette nuit ou plustost à la pointe du jour, on a trouvé qu’il n’estoit pas possible de les attaquer, il falloit passer un chemin fort couppé & assez estroit, un grand ravin & ensuite un espece d’Etang qui rend le terrain fort marécageux. On a fait insensiblement retirer les troupes, & on a esté toute la journée sur la Bruyere. Les Ennemis ont tire quelques coups de canon & quelques bombes avec peu d’effet : Cependant Mr le Mareschal a couru grand danger, il s’est separé de la troupe de Monseigneur le Duc de Bourgogne & a esté reconnoistre le Marais de la droite ; les Ennemis ont fait une decharge 3 ou 4 boulets de canon & deux bombes l’ont couvert de terre, il est revenu sans avoir esté blessé.

Voici un autre détail de ce qui s’est passé pendant les quatre jours dont je viens de vous parler, sçavoir le 22. 23. 24 & 25 que vous trouverez fort curieux, & bien glorieux pour Monseigneur le Duc de Bourgogne. Vous y remarquerez avec combien d’attention il a cherché toutes les occasions de donner bataille, les fatigues qu’il a essuyées, l’amour des Troupes pour ce Prince, & leur zele pour la gloire du Roy.

Le 22. Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval à neuf heures du matin, & mena son Armée camper sur les Bruyeres de Péer. Il n’y ariva que tard & coucha sur cette Bruyere enveloppé de son manteau. Comme il survint un orage l’on mit audessus de ce Prince, une petite Canoniere qu’un Officier de ses Gardes du Corps avoit fait porter pour luy.

Le 23. Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval à la pointe du jour, & mena son Armée du costé de la source du Domel ayant Péer du costé de sa gauche, & la rangea en bataille, les Ennemis marchant le long du Dommel, estant à veuë, & côtoyant les hauteurs : Ils se mirent aussi en bataille, & on crut qu’il y auroit une affaire generale ; mais il se trouva que les Ennemis avoient un Marais sur leur gauche, qui regnoit jusque vers le centre de leur droite du costé de Péer. Nostre gauche estoit à l’opposite de leur droite & nostre droite vis-à-vis leur gauche ayant de grosses Cences qui l’appuyoient, & derriere, le Village d’Echtel. L’on fit beaucoup de batteries de canon dans ces Cences bordées de hayes, & à la gauche & l’on commença à tirer à trois heures trois quarts. Monseigneur le Duc de Bourgogne mangea pendant ce temps un morceau, & heureusement il ne fut pas long-temps à table ; car au mesme endroit où il estoit, un boulet de canon des batteries de la gauche des Ennemis emporta la teste d’un Valet de Chambre de Mr le Chevalier de Croissi qui estoit venu là, pour manger un morceau. Monseigneur le Duc de Bourgogne passant du même costé de nostre droite, un Garde eut à trois pas de luy son cheval tué d’un boulet de canon. Ce Prince courut de grands risques pendant cette journée. Les Ennemis furent bien heureux que nous ne pusmes les joindre ; car la joye que les Soldats montrerent ce jour là, en voyant Monseigneur le Duc de Bourgogne à leur teste, & allant de rang en rang pour les encourager, est une chose que l’on ne peut exprimer. On cessa la nuit de tirer, sur tout voyant les Ennemis se retirer à my-costé sur les montagnes qui estoient derriere eux. On ne desesperoit pas encore le 24. d’attaquer les Ennemis. Monseigneur le Duc de Bourgogne se confessa le matin aprés la Messe ; mais par tous les raports qui furent faits, on apprit que les Ennemis avoient à leur gauche un Marais impraticable, & à leur droite une flaque d’eau, de sorte que pour ne se point engager dans une affaire trop difficile, on résolut de prendre la route pour pouvoir recevoir un convoy qu’on attendoit à l’Armée. On fit donc partir vers les quatre heures du soir l’Artillerie & la seconde ligne de nostre gauche, & tout défila ensuite vers les sept heures. Monseigneur le Duc de Bourgogne fit l’arriere-garde. Il n’arriva sur la Bruyere de Mool qu’à minuit. Il ne voulut point manger & coucher autrement que ses Compagnons. Il fit son repas d’un peu de pain & de vin. Il coucha enveloppé de son manteau sur la bruyere qui luy servit de lit. Il décampa à la pointe du jour, ou plutost il fit marcher le 25 ses Troupes, & établit son Quartier general à Bassen. La canonnade coûte sept à huit cens hommes aux Ennemis. Le nombre de nos blessez se monte à quatre-vingt, & celuy des morts à soixante & dix.

L’Armée sejourna le 26 à Balen. Le 27 Monseigneur le Duc de Bourgogne ayant apris que les Ennemis marchoient, les côtoya, & vint camper à Melbeghe où il sejourna le 28. Mr de Cerclas eut ordre à midy de faire marcher son Armée du costé de Dixte pour couvrir les Convois.

On croyoit décamper le 29, mais l’ordre fut changé. Monseigneur le Duc de Bourgogne devoit monter à cheval à sept heures du matin pour aller visiter la gauche. Mais il reçût des nouvelles qui luy firent changer de dessein.

J’ay oublié de marquer que le 23 les Gardes avancées prirent un Milord, & que Monseigneur le Duc de Bourgogne luy fit l’honneur de le faire manger avec luy, & que le 25, un Cavalier amena à ce Prince un tres-beau cheval richement harnaché à la Turque, dont il avoit tué le Maistre estant en détachement.

Vous estes persuadée que je ne fermeray pas ma Lettre sans vous faire part de ce qui s’est passé en Italie depuis le grand avantage que nous y avons remporté. Tout ce qui s’y est fait & tout ce qui s’y fait actuellement prouve que les Ennemis y ont esté batus puisqu’ils ne sont occupez qu’à se défendre, au lieu que s’ils avoient tué sept mille hommes, fait quatre mille prisonniers, & pris tout nostre canon, ils nous feroient reculer presentement, au lieu que nous avançons tous les jours sur eux. La chose leur seroit bien facile, puisque nous n’aurions plus de canon, & que nous n’avons pas derriere nous des Postes aussi avantageux que ceux qu’ils occupent ; mais il est aussi faux qu’ils ayent renversé toute nostre Gendarmerie, ainsi que le Prince Eugene le marque dans sa Lettre, puisque cette Gendarmerie n’a pû combatre. Si ce redoutable Corps avoit pû estre de la partie, l’Armée de l’Empereur seroit presentement bien foible. Si elle estoit aussi victorieuse que le publient le Prince Eugene, & tous les imprimez de Hollande, elle ne devoit pas souffrir que Luzzara ouvrit ses portes, & livrer sa Garnison & ses Magazins, sans avoir souffert de Siege. Mais dés que le jour parut, & qu’elle eut reconnu le Vainqueur, elle perdit toute la fierté qu’elle avoit fait voir avant le combat. Elle connut bien que les choses n’estoient plus dans la même situation qu’elles estoient un jour auparavant, & qu’elle ne pourroit se défendre. Il n’y a pas d’apparence que le Prince Eugene eût souffert la perte d’une Place, d’une Garnison & de plusieurs Magasins, s’il avoit esté aussi triomphant qu’il le veut paroistre dans sa Lettre, & il n’auroit pas vû conduire à Cremone les six cens Prisonniers faits dans Luzzara. Jamais canon n’a tant incommodé une Armée que fait presentement celle du Prince Eugene, ce canon que l’on publie en Hollande que nous avons perdu, & qui nous est pourtant demeuré. C’est avec une batterie de ce canon que Monsieur le Duc de Vendosme a fait élever à la hauteur de Luzzara qu’on a tellement desolé les Ennemis dans leur Camp, & endommagé leur gauche qu’ils ont esté obligez de faire filer une partie de leur Infanterie pour se joindre à leur droite, ce qui les oblige à se tenir fort pressez & en peloton, pendant que Monsieur le Duc de Vendosme a étendu sa droite qui resserre leur gauche, & leur a osté la liberté de communiquer avec la Sechia le long du Zero. Ce General a aussi fait faire un second Pont sur le Pô qui a rendu la communication des deux Armées plus facile. Mr de Saint Fremont est campé, & retranché sur le bord du Pô, & bat en ruine le Pont de Borgoforte, pendant que Mr de Barbesieres attaque une redoute qui doit couper la communication de cette Forteresse avec le Pont. Il n’y a point à douter que tout cela ne soit fini avant que vous receviez ma Lettre. Monsieur de Vendosme reçût dés le 20. vingt Bataillons & huit Escadrons qui passerent le Pô sur le Pont que ce Prince y a fait faire.

Il s’est passé une assez grosse affaire dans un Fourage où nous avions quelques Gendarmes, & soixante Maistres. Ils furent poussez par trois cens chevaux qu’ils repousserent ensuite. L’affaire fut fort opiniâtrée, malgré la grande superiorité des Ennemis ; mais enfin le terrain nous demeura, & par consequent l’avantage du combat. Mr de la Messeliere y a esté blessé à la teste, d’un coup de sabre, trois Mareschaux des Logis, & deux Gendarmes y ont esté tuez. On ne trouva à la fin du combat que le cheval de Mr le Marquis de Flamarin, Guidon des Gendarmes Anglois, & ce Cheval estant tout ensanglanté, fit juger ou que son Maistre avoit esté tué, ou qu’il estoit prisonnier. Les Ennemis ont eu en cette occasion plus de quarante hommes tuez ou blessez ; mais comme ils continuent à déguiser leurs pertes, il n’y a que le temps qui en developpe la verité. Un Trompette qui avoit esté envoyé dans leur Camp, a rapporté qu’ils avoient perdu quatre Officiers Generaux au combat de Luzzara, & qu’ils avoient eu six à sept mille hommes tuez dans ce combat. Ceux d’entr’eux qui ont dit la verité, car les particuliers la disent ordinairement, & n’entrent point dans la politique des Generaux, & toutes les Relations qui sont venuës de nôtre Camp, ont tenu le mesme langage, & depuis vingt-cinq années que je vous écrits des Lettres remplies de Nouvelles, il ne s’est passé aucune action, dont toutes les Relations ayent esté aussi conformes, ayant presque toutes parlé également de la perte des Ennemis & de la nostre.

Le Roy a donné la direction generale de l’Infanterie qu’avoit feu Monsieur le Marquis de Crequi à Mr de Chartogne, qui s’est extrêmement distingué pendant tout le temps qu’a duré le Blocus de Mantouë, & ce choix a esté generalement applaudi. Sa Majesté a donné en même temps le Regiment des Vaisseaux qu’avoit Mr de Montendre à Mr du Guerchois, & Mr Denizas, Colonel reformé, a eu le Regiment de Thierarche, qu’avoit Mr du Guerchois : outre que le Roy leur rend justice en les faisant monter à leur tour, leur valeur avoit merité ce que l’on donne à la justice qu’il y avoit de les faire monter en leur rang.

Le Regiment de Renel a été donné à Mr Dubiez : Mr de Carpi Lieutenant Colonel du Regiment de Cavalerie de Vandeüil a obtenu ce Regiment. Mr le Comte de Chavigny Colonel d’Auvergne, a eu l’inspection qu’avoit Mr de Chartogne avant qu’il fut nommé à l’inspection generale.

Mr le Marquis de la Force, frere du Duc de ce nom, & Aide de Camp de Monsieur de Vendosme, a esté tué de la Bascule du Pont de Viadana, la chaîne qui le tenoit ayant esté rompuë.

Il y a prés d’un mois que les Ennemis se vantent qu’ils vont faire le Siege de Venlo, & l’on commence à dire que cette Place est investie. Nous n’avons point publié que nous ferions le Siege de Hulst, & le Siege de cette Place est fort avancé, puisque l’on a pris six Redoutes qui l’environnent, que l’on a jugé assez bien fortifiées pour leur donner le nom de Forts. La pluspart des Garnisons de ces Forts ont esté faites Prisonieres de guerre. C’est Mr le Marquis de Bedmar qui fait ce Siege. Les Officiers Generaux qui sont sous ce Marquis sont Mr le Comte de la Motte, Mr de Courtebonne, Mr de Vauban en qualité de Lieutenant general, & Mr le Marquis de Thouy. Mr de Laparat conduit les Travaux. Les Ennemis avoient resolu de faire entrer dans cette Place un Bataillon tiré de l’Ecluse ; mais ils n’ont pû executer ce dessein. Ils y ont de grands Magazins, parce qu’elle est fort avancée. Elle est à la hauteur du Sas de Gand, & au delà les lignes.

Mr le Chevalier de Forbin a brûlé tous les Bâtimens qui estoient dans le Port de Trieste. Il a bombardé tous les Magasins, & brûlé une partie de la Ville. Il s’est ensuite retiré pour aller faire la même chose à Fiumé. Ces Places appartenant à l’Empereur, ces actions sont de bonne guerre, & personne n’est en droit de s’en plaindre. Vous avez sçu que ce même Chevalier avoit brûlé quelques jours auparavant proche de Venise, un Vaisseau qui avoit chargé plusieurs fois des vivres & des munitions pour l’Armée Imperiale, malgré les défenses que les Venitiens disent qu’ils avoient souvent réïterées. S’il est ainsi, les Venitiens ont obligation à Mr le Chevalier de Forbin de les avoir vengez de cette desobeïssance, & luy en doivent un remerciment.

On écrit de Landau que Mr le Comte de Soissons ayant été blessé au bras & à la cuisse d’un éclat de bombe, on avoit esté obligé de luy couper le bras, & qu’il estoit mort le neuviéme jour de sa blessure. On mande du même lieu, que le 25. cinq mille hommes, soûtenus de cinq mille autres, avoient attaqué la grande Demie-lune qui est entre les deux Contrescarpes, & qu’aprés trois heures de combat ils avoient esté repoussez avec perte de deux mille hommes. Les mêmes Lettres portent, que le 26 six mille Imperiaux, soûtenus de six mille autres, avoient attaqué le même Ouvrage, & qu’ils avoient perdu trois mille hommes à cette attaque.

D’autres Lettres disent que les Ennemis estoient retournez à la charge le 27. pour la troisiéme fois, & que l’on avoit remarqué de dessus une hauteur qu’ils avoient encore esté repoussez. Mr de Catinat marche au secours de la Place avec quarante six Escadrons & quatre-vingt-seize. Bataillons ; l’affaire sera fort avancée avant que vous receviez ma Lettre. Je suis, &c.

A Paris, ce 1. Septembre 1702.