1703

Mercure galant, août 1703 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1703 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1703 [tome 8]. §

Au Roy. Poëme. §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 5-17.

L’ouvrage qui suit vous fera plaisir, puisqu’il regarde un Monarque que les jaloux de sa gloire ne peuvent s’empêcher d’admirer.

SUR LES GRANDES
choses que le Roy a faites pour la conservation de la Monarchie d’Espagne.
AU ROY.
POEME.

Quel éclat surprenant de gloire, & de puissance,
T’environne ou te suit, grand Roy, dés ta naissance ?
Treize lustres t’ont fait de puissans Ennemis,
Il est vray : mais toûjours ou vaincus ou soumis
Ils ont à leurs dépens senti de ta vaillance,
Et les mêmes effets, & la même constance.
Cependant animez d’un mouvement jaloux,
Ils redonnent l’essor à leur premier courroux.
Vainement leur fureur paroissoit appaisée,
De ses feux renaissans l’Europe est embrasée.
Ils ne peuvent souffrir, qu’en faveur de ses droits
Tu deffendes ton Fils, Toy ? qui deffens les Rois.
Le Batave orgueilleux, l’Albion infidelle,
Injustes Partisans d’une injuste querelle,
Contre luy, du Germain prenant les interests,
Pensent-ils arrester le cours de tes progrés ?
Non : cette Hydre, Grand Roy, tant de fois étoufée
Renouvelle à ta gloire un illustre Trophée.
Laisse, laisse à leur gré s’acharner ces ingrats ?
Ils n’ont pas oublié de quel poids est ton bras.
Ils le verront armé de la même puissance
Refuser à leurs cris ta premiere clemence
La Justice, appuyant tes desseins genereux,
Interesse le Ciel à répondre à tes vœux.
Sans rechercher l’appuy du perfide Heretique
Le cœur de tes Sujets est ton secours unique.
À leurs soins empressez, pour garder tes Etats,
Tu joins, quand il te plaist, la force de leurs bras.
Tu trouves dans leur zele une entiere assurance,
Une invincible ardeur, une ferme constance.
Et pour en seconder les valeureux travaux,
Ton sang, ton propre sang, t’offre plus d’un Heros.
Ouy : tes Fils imitant ton audace guerriere,
Comme toy de bonne heure entrent dans la Carriere,
L’un traverse les Mers, & quitte ses Etats ;
Sur le Pô, sa presence enhardit ses Soldats.
Oubliant les douceurs dont l’hymen le partage,
Méprisant les dangers d’un penible voyage,
Il vole à la Victoire, & le fer à la main
Il combat, il poursuit & deffait le Germain.
À le voir affronter les perils de Bellonne
La Vertu luy devoit, ce que le Sang luy donne :
Adoré de son Peuple, & cheri de sa Cour,
Il est né pour en estre & la gloire & l’amour.
L’autre expose ses jours dans les Plaine Belgiques,
Et son bras secondant ses transports heroïques,
Fait trembler le Batave & de crainte, & d’effroy,
Où jadis en Vainqueur tu luy donnas la Loy.
N’est-ce pas couronner les brillantes premices,
Du concours glorieux de tes heureux auspices !
Qu’il est beau de les voir, pleins d’une noble ardeur
À tes yeux retracer ta naissante valeur ;
Et par d’illustres faits ébauchant leur Histoire,
A l’Univers entier reproduire ta gloire :
Impatiens d’atteindre à ton fameux destin,
N’en ont-ils pas trouvé l’infaillible chemin ?
Ah ! qu’ils remplissent bien, Grand Roy, ton esperance !
Mais tandis que pour l’un tu conserves la France,
Tu sçais proteger l’autre, en ce superbe rang,
Où l’appelle le Ciel, où l’éleve son Sang.
L’Envie oppose en vain l’artifice & la brigue,
À ses lâches complots tu sçais mettre une digue ;
Elle a beau remuer mille ressors divers,
D’une Flote nombreuse allarmer l’Univers,
Dans sa haine engager & le Phare, & le Mole,
Répandre son venin de l’un à l’autre Pole ;
Attiser dans la Cour de ton auguste Fils,
Le feu, que dans leur sein cachoient ses Ennemis,
Et d’un torrent grossi de revolte & de rage,
S’empresser d’inonder de l’Ebre jusqu’au Tage.
Ta prudence, Grand Roy, passe au delà des Mers,
Et leur porte des coups qui forgeront leurs fers
De leurs traîtres desseins la trame découverte,
Est le tissu fatal de leur prochaine perte.
Ce presage est le fruit du sort de Luzarra.
Son funeste debris menaçant Guastalla,
Et frapant les Lombards d’une juste épouvente,
A déja penetré jusqu’aux Portes de Trente.
À tant de hauts projets formez par ton grand cœur,
On reconnoit le Pere, où le Fils est Vainqueur !
Cadiz doit s’en loüer ; cette importante Ville
Donne aux Tresors de l’Inde un favorable azile.
En vain pour les ravir, en Pyrates fameux
Les Alliez y font pleuvoir d’horribles feux ;
Mais trouvant dans ce Port, fierté vigueur, courage,
La fuite leur tient lieu d’un si riche pillage.
Ah ! que vois-je ajoûter à ces prosperitez !
Le Ciel sans doute agit pour toy de tous costez !
D’inaccessibles Monts, des reduits formidables,
Et toujours redoutez & toujours redoutables.
S’entrouvrant aux efforts de tes vaillans Guerriers,
Au milieu des Cyprez les couvrent de Lauriers.
Le Danube bientost verra sur son Rivage,
Les glorieux effets de ce hardy passage.
Et de tes Escadrons redoutant les regards,
N’aura comme le Rhin que de foibles Remparts.
Peut-on mieux soûtenir l’éclat du Diademe !
Un Heros, si long-temps peut-il estre le même !
Ouy : nous voyons, Grand Roy, que parmy tant d’exploits,
Tu n’est pas moins Louis, aujourd’huy, qu’autre fois.

PRIERE POUR LE ROY.

Renouvelle, Grand Dieu, ta faveur ordinaire
Pour un Roy, l’exemple des Rois.
Il combat pour son Fils, il en soutient les droits,
Cette Guerre, Seigneur, peut-elle te déplaire ?
  Soumis à ta divine Loy,
Il ne veut d’autre appuy que toy,
Et confie en tes mains le succés de ses Armes
  Dissipe ces complots jaloux,
Qui s’attaquant à luy, redoublent nos allarmes,
Et conserve ce Roy, pour nous conserver tous.

Je ne sçay point le nom de l’Auteur de cet Ouvrage, on m’a seulement assuré qu’il est établi à Arras. Il me paroist que ces Vers ont esté faits pour le Prix qui doit estre délivré à l’Academie Françoise le jour de la Feste de S. Louis. Je dis qui doit estre délivré, puisque les Lettres que je vous envoye à la fin de chaque mois sont commencées un mois avant que vous les receviez.

[Ode] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 45-49.

Les Vers qui suivent que vous trouverez tres-beaux, ont esté faits pour une jeune Veuve.

ODE.

Quel respect imaginaire
Pour les cendres d’un Epoux
Vous rend vous-même contraire
À vos desirs les plus doux ?
Quand sa course fut bornée
Par la fatale journée
Qui le mit dans le tombeau,
Pensez-vous que l’Hymenée
N’ait pas éteint son flambeau ?
***
Pourquoy ces sombres tenebres
Dans ce lugubre reduit
Pourquoy ces clartez funebres
Plus affreuses que la nuit ?
De ces noirs objets troublée,
Triste, & sans cesse immolée
À de frivoles égards,
Ferez-vous un Mausolée
Le plaisir de vos regards ?
***
Voyez les Graces fideles,
Malgré vous, suivre vos pas ;
Et voltiger aprés elles
L’Amour qui vous tend les bras.
Voyez ce Dieu plein de charmes,
Qui vous dit, les yeux en larmes
Pourquoy ces soins superflus ?
Pourquoy ces cris, ces allarmes ?
Ton Epoux ne t’entend plus.
***
À sa triste destinée
C’est trop donner de regrets,
Par les larmes d’une année
Ses Manes sont satisfaits,
De la fidele Matrone,
Que l’Antiquité nous prône,
On vous a vû le dégoût.
Mais pour l’honneur de Petrone,
Imitez-là jusqu’au bout :
***
Si vostre premiere flame
Eut jadis un cours si beau,
Il doit enhardir vôtre ame
À brûler d’un feu nouveau.
Plus d’un bonheur si paisible
La perte vous fut sensible,
Plus vous devez aspirer
Au seul remede infaillible
Qui la puisse reparer.
***
De la Veuve de Sichée
L’histoire vous a fait peur ;
Didon mourut attachée
Au char d’un Amant trompeur :
Mais l’imprudente mortelle
N’eut à se plaindre que d’elle ;
Ce fut sa faute en un mot.
À quoy songeoit cette Belle
De prendre un Amant devot ?
***
Pouvoit-elle mieux attendre
De ce pieux Voyageur,
Qui fuyant sa Ville en cendre
Et le fer du Grec vangeur,
Chargé des Dieux de Pergame,
Ravit son Pere à la flame
Tenant son fils par la main,
Sans prendre garde à sa femme
Qui se perdit en chemin,
***
Sous un plus heureux auspice
La Déesse des Amours
Veut qu’un nouveau sacrifice
Luy consacre vos beaux jours.
Venez donc. Qui vous arreste ?
Pour paroistre à cette Feste,
La Déesse s’embellit.
Je voy la Victime preste
Le mistere s’accomplit.
***
Tout conspire à l’allegresse
De cet instant solemnel
Une riante Jeunesse
Folâtre autour de l’Autel.
Les Graces à demi-nuës
À ces dances ingenuës
Mêlent de tendres accens,
Et sur un Trône de nuës
Venus reçoit vostre encens.

[Diarium historico litterarium] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 50-52.

Jamais on ne donna tant de culture à l’esprit, & on peut dire, que le regne du Roy ne le cede en rien à celuy d’Auguste, qui fut pourtant le plus florissant de tout l’Empire Romain. Puisque jamais on n’a tant cultivé les belles Lettres, que sous ce regne on voit tous les jours paroitre quelque Ouvrage nouveau, qui marque le goût declaré de nostre nation pour les Sciences : le P. Hommey Augustin vient d’en publier un qui ne sera pas renfermé dans l’enceinte du Royaume. La Langue Latine, dans laquelle il est écrit, luy donnera cours dans toute l’Europe ; les matieres d’ailleurs que ce sçavant Religieux y traitte avec tant d’habileté & tant de delicatesse luy assurent un grand succés. Le Diarium historico litterarium sera d’une grande utilité pour la Republique des Lettres ; si l’Auteur, comme il nous le fait esperer, veut bien continuer son dessein. La moitié de ce premier Volume contient l’Histoire de nostre temps, & les principaux évenemens arrivez de nos jours, le tout écrit dans une latinité pure, fleurie, & tres-exacte ; dans une latinité enfin tres-digne d’être comparée à celle du P. de l’Eloquence Romaine, on peut justement comparer cet Ouvrage en ce qui regarde l’Histoire journaliere de l’Europe au Mercurius gallo belgicus, au Mercure François & aux autres Ouvrages de cette nature.

Lettre sur la Bagatelle §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 59-71.

LETTRE SUR LA BAGATELLE.

 Ennuyé de ne jamais mettre
 Que redites dans une Lettre
Je viens de creuser mon cerveau
Pour te servir enfin de quelque fruit nouveau.

Car aprés tout, cher Amy, faut il toûjours écrire compliment sur compliment, te gronder sans cesse de ne recevoir jamais assez souvent de tes nouvelles, paroître inquiet d’une santé que je crois parfaitement bonne, passer de cette inquietude mal digerée à l’offre de services que tu sçais t’estre entierement acquis, & par une heureuse cascade tomber au tres-humble serviteur, ou serviteur tres humble. Belle conclusion ! Faut il ensuite digne imitateur de certaines gens me glorifier à demy-bas si je n’ay pas de grands talens d’avoir du moins celuy de bien écrire ? Non, mon Cher.

Quand je devrois chez toy passer pour ridicule,
Quand tu m’ordonnerois de suivre le grand train,
(C’est en dire beaucoup) tu le ferois en vain.
 Certain invincible scrupule
 M’empêcheroit de t’obeïr,
Et tu ne devrois pas (je pense) m’en haïr.

Ne t’en déplaise, je vais dans la suite m’émanciper dans mes Lettres. Tu y trouveras toûjours quelques morceaux de Dissertation, petits traits d’Histoire ; enfin quelque chose qui forme entre nous un commerce moitié Litteraire, moitié Badin, où regnent chacun à leur tour l’utile & l’agreable ; je prendray un sujet pour chaque Lettre, j’en choisis déja un pour celle-cy, & ce sujet (le devineras tu) est la Bagatelle. Voyons, examinons un peu ce que c’est : la Bagatelle, dira quelqu’un, est le contraire du serieux ... Et la vertu celuy du vice, ajouteray-je. C’est bien dit, mais ne peut on rien dire de mieux. Si nous soutenions que c’est ce qui n’est jamais utile ... Cela est faux, repliquera t-on, la Bagatelle fait faire fortune, fait vivre mille gens.

Dequoy vivent les foux chez tous nos grands Seigneurs
 Dites-moy, dequoy se repaissent
Les Mouches de la table, ou les Ecornifleurs ?
 Dequoy se nourrissent, s’engraissent
 Nouvellistes, Musiciens,
 Poëtes, & Comediens,
Et mille autres encor ? dequoy ? de Bagatelle,
Sans doute, & la remarque est tres-spirituelle.

Convenez donc du moins qu’une bagatelle est tout ce qui fait rire ou de luy même ou de pitié, Point du tout (me répond ce Pilier critique du Parterre) Je vais aux pieces ... ce sont de veritables bagatelles, & cependant elles ne me font rire d’aucune de ces deux manieres. Je ne sçay donc plus ce que c’est que la Bagatelle.

 Est-ce ce petit Gentilhomme
 Qui fier de sa noblesse, entêté de son nom,
 M’en parle à tout propos sans sujet, sans raison ;
 Est-ce cette beste de somme
Qui lit avec emphase un galimatias
Que toute la premiere elle ne comprend pas ?
 Est-ce ce moderne Dorante
Qui ne parle jamais sans qu’il feigne ou qu’il mente,
Que le stupide Afron, même Afron ne croit plus,
Qui si je le confonds, n’en est pas plus confus ?
Est-ce ce Manteau court, dont les galanteries
 Font tant de bruit aux Tuilleries ?
 Est-ce ... mais je t’en dirois tant
Que de ce long discours tu serois mécontent.
Est-ce (il faut decider, la question est belle)
 Qu’appellez-vous la Bagatelle ?
Les Falbalas, Pretintailles, Rubans,
L’attirail feminin, les superbes toilettes,
Les ajustemens des Coquettes,
Les mouches, dont on voit se parer les galans ;
 L’équipage d’un petit Maistre,
Les modes d’aujourd’huy, celles qui pour paroistre
 Esperent avoir leur tour ;
 Ce Courtisan inconnu dans Versailles
 Qui s’est vanté d’avoir au premier jour
 Un habit à la pretintaille ;
Tous les Diseurs de rien qui vaille,
En un mot les Jeux & l’Amour.

Vous m’avouerez que si j’étois de ces illustres Eleves de Bacchus je coudrois icy une jolie chanson à sa louange, en disant que tout est bagatelle, & qu’il n’est rien de solide que le vin. Mais à propos, ne puis-je pas mettre dans ma cathegorie de Bagatelles.

Ces faiseurs de chansons pour l’enfant de Silene
 Qui n’ont jamais bu que de l’eau ;
Eraste dans ses Vers épris pour une Helene
Qui n’a jamais connu l’Amour ny son flambeau ;
 Ce Cavalier qui se renomme
Des faveurs que toujours luy refusa Cloris.
 Faites mieux, me dira Damis,
Ostez-en ces Messieurs, & n’y mettez que l’homme.
***
J’entens, Damis, tu veux que je suive tes pas,
Que j’aille m’ériger en Rimeur satirique :
Mais aprés Despreaux ma tremblante critique
 En plein jour ne s’expose pas.

Je demeureray pourtant d’accord que la Bagatelle est un des grands ressorts qui fait jouer la machine du monde, que l’homme ce chef-d’œuvre de la nature, ne fait presque rien où elle n’ait part, qu’elle a souvent entré dans le dessein des actions les plus heroïques, & qu’elle n’a causé que trop de funestes effets. C’est elle qui a une fois mis la France & l’Angleterre à deux doigts de leur perte ; qui ne sçait la querelle que les fils des deux Rois prirent ensemble au jeu ; qui n’en a pas appris les terribles suites ? Qu’elle fit perir de braves gens ! Le Sage nous a dit que tout est vanité ; en considerant tout ce qui se passe aujourd’huy dans le monde, on peut s’écrier de même, tout est Bagatelle. Tu ne t’attendois pas à trouver icy de la Morale si serieuse. Je te jure ma foy que je ne songeois pas non plus à la mettre ; mais il en est du discours comme d’un tendre engagement, souvent il va plus loin qu’on ne pense.

On ne sçait pas lorsqu’il commence,
Par quel endroit il peut finir.

C’est assez t’entretenir de Bagatelle, Adieu, songe que Bagatelle à part je t’aimeray toûjours.

L’Auteur de cet Ouvrage fait voir en badinant qu’il connoit parfaitement le monde, qu’il a de l’enjouement, de la delicatesse, & beaucoup d’imagination ; s’il se donne la peine de faire tous les mois une Lettre pareille à celle que je vous envoye, & qu’elle tombe entre mes mains je ne manqueray pas de vous en faire part. On peut dire que les bagatelles de ce galant homme ne sont rien moins que bagatelles.

[Remercîment fait par le Pere Claudel, Jésuite.] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 71-77.

Les Vers suivans ont été faits par le P. Clausel, Jesuite, Missionnaire depuis 34. ans, en reconnoissance de l’operation qui luy a esté faite par Mr Raisin, Chirurgien & Pensionnaire de la Ville de Toulouse, pour les Operations de la Pierre, où il s’est acquis tant de reputation que le Pere dont je viens de vous parler, âgé de prés de soixante & six ans, ayant esté invité d’aller il y a quelques mois pour se faire tailler, se rendit & consentit à se faire faire l’operation suivant l’avis de ses Amis, qui luy vantoient la grande habileté & la grande experience de Mr Raisin : Elle parut dans l’operation qu’il luy fit pendant laquelle il tira vingt deux pierres à ce Pere. Il fut gueri en vingt-cinq jours, sa maniere d’operer estant tres-sure & presque sans peril ; aussi a-t-il travaillé sous le fameux Hierosme Collot & suivi pendant plus de quinze années les instructions de feu Mr Raisin son pere.

À quoy sert tout le bien du monde,
À quoy tous les Tresors de la terre & de l’onde
Lorsque l’on manque de santé ;
C’est des biens naturels le plus considerable,
Si precieux si souhaitable,
Qu’il ne sçauroit jamais estre assez acheté ;
Cependant aprés Dieu, cher Raisin, je confesse
Et je suis obligé de publier sans cesse
Que c’est à vous que je dois ce grand bien,
Sans quoy tout le reste n’est rien,
Et la vie est une mort lente :
  Je suis même tres convaincu
  Que ce n’est pas avoir vécu
Que de vivre & toujours avoir la mort presente ;
  C’est là l’estat où m’avoit mis
De vingt pierres & plus le cruel assemblage,
Dont je pouvois ! helas faire un si bon usage
  Si j’en avois connu le prix ;
  Mais vostre adresse non commune
  M’a dégagé par un rare bonheur
  De cette carriere importune
Qui faisoit le sujet de toute ma douleur.
C’est par vos soins que je goûte la vie
Dont beaucoup de Pierreux me porteront envie ;
Mais que leur ay-je fait ? il ne dépend que d’eux
Au lieu de m’envier le bien que je possede,
De prendre comme moy le souverain remede,
Et de n’estre plus malheureux.
Quand vous commençez quelque cure
  C’est d’une maniere si sure,
Que chacun dit d’abord vous voyant operer
  Qu’on a lieu de tout esperer,
Et ce qui vous rend plus aimable
C’est que vous ajoutez à cette habileté
Un air insinuant, un humeur agreable,
  Qui contribue à la santé
Et rend le mal plus supportable,
  Enfin tout ce qui part de vous
Malgré l’art de tailler dont le seul nom étonne
Bien loin de rebuter personne
Est d’un caractere fort doux ;
Mais vostre charité pour le pauvre est extrême,
Lorsque vous le traitez sans espoir d’aucun gain,
Honorant par là vostre main
Comme si vous pensiez alors I …
Je ne suis plus surpris, mon cher Liberateur,
Que tout vous reüssisse avec tant de bonheur
Dans la Ville & dans la Campagne ;
Par tout la grace du Seigneur
Vous prévient & vous accompagne.
Remerciez le Ciel d’une telle faveur
Pendant que par reconnoissance,
Je ne cesseray desormais
De le prier avec instance
Qu’il vous comble de ses bienfaits.

[Sonnets] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 88-93.

L’Ouvrage qui suit conviendra bien, aprés une espece de miracle, si la conversion d’une femme n’en est pas un encore plus grand : En effet celuy de la Conversion de la Madelaine est des plus considerables, vous la trouverez dans les Bouts rimez suivans remplis sur le changement de vie de cette Pecheresse, ils ont esté donnez pour Bouquet la veille de la feste d’une Madelaine. Il n’y a point de Bouts rimez, qui entre les mains d’un bon Ouvrier ne puissent être remplis sur toutes sortes de sujets.

SONNET.

Est-il dit qu’à changer Magdelaine balance ?
Non, c’en est fait, adieu ces grands airs de fierté,
Aprés avoir oüi ce Sermon concerté
Humble, on la vit rêver dans un profond silence.
***
Madelaine se fit beaucoup de violence,
Pour appaiser le Dieu qu’elle avoit irrité,
Et pour joüit enfin de la felicité,
Qu’elle s’est procurée avec tant de vaillance.
***
Dés lors qu’elle eut vaincu son cruel ennemi,
Et qu’en l’Amour divin son cœur fut affermi,
Elle versa de pleurs assez pour grossir l’ Ebre.
***
Qu’il soupira ce cœur, dans ces heureux momens !
Quand aux pieds du Sauveur, dans ce festin celebre,
Du luxe elle brisa tous les vains monumens.

Le Sonnet qui suit est bien different, l’Auteur ayant moins esté gêné par la rime en composant ce Sonnet, qu’on ne l’est ordinairement par des Bouts rimez, sa raison a pû agir avec moins de contrainte, vous en jugerez. On prétend que cet Ouvrage est de Mr le Comte Elzeard, & que la curiosité de ce Comte l’ayant conduit aux Areines de Nismes, il laissa ce Sonnet à un des Pilliers de ces Areines, qui contenant un monument éternel de son esprit & de sa tendresse, semble avoir encore rendu la memoire de ce lieu plus considerable.

SONNET.

Superbes Monumens des cruautez Romaines,
Fier Prodige de l’Art par les temps respecté,
Restes de la grandeur, & de la vanité,
Somptueux Bâtimens, effrayantes Areines.
***
Vous tant de fois témoins des plus tragiques Scenes,
Vous dont rien ne toucha l’insensibilité,
Pourrez-vous soutenir la même dureté,
Lors que je viens à vous me plaindre de mes peines ?
***
J’aime Iris, je l’adore, & par un doux retour,
Iris, l’aimable Iris, a pour moy de l’Amour ;
Mais un triste devoir aujourd’huy nous separe.
***
Theatre, où tout inspire & l’horreur & l’effroy,
On n’auroit pû rien voir de plus cruel que toy,
Si le sort que j’éprouve eust esté moins barbare !

[Conversation entre Spadille, Manille, & Baste] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 118-123.

L’ouvrage qui suit fait voir que l’Auteur a beaucoup d’esprit & d’imagination.

BOUQUET
à Mademoiselle Nanette ... qui aime desesperement le Jeu de l’Hombre, en luy envoyant un As de Pic, & un As de Trefle enchassez dans deux Cadres de Cedre, avec une Glace au devant.

CONVERSATION
entre Spadille, Manille, & Baste.

BASTE.

Ce jour, où mille cœurs viennent vous rendre hommage
Où tout s’efforce à seconder vos vœux,
Serois-je, helas ! assez heureux
De pouvoir recréer vos yeux
En leur presentant mon image ?
***
Si je n’ay pas ce titre si sublime
Qui fait primer Spadille parmy nous
En dois-je moins meriter vostre estime ?
Et ne vous ay-je pas servie en mille coups.
***
Ne dédaignez donc pas cette humble obeissance
Que je viens vous vouer avec tous les humains
J’espere que le Sort vous prouvant ma constance,
Me fera pour toûjours tomber entre vos mains.

SPADILLE.

Baste, on vous le permet ce fade compliment
Mais, quand vous me voyez, vous devez disparoistre,
À la belle Nanette, il faut un autre Amant
Et cet honneur n’est dû qu’à moy qui suis le maistre
En tous lieux, en tout temps, j’exerce mon Empire,
De cent mille Mortels je cause le bonheur,
Je desarme l’Amour malgré son trait vainqueur
Et tous les jours pour moy mainte belle soupire.
***
Qu’en dites-vous, belle Nanette,
Malgré cette noble fierté
Qui releve vostre beauté
Quoy ? ne m’avez-vous pas souvent conté fleurette ?

MANILLE.

Spadille, en verité vostre orgüeil est extrême,
On devroit bien le reprimer,
Sied-il bien pour se faire aimer
De reprocher que l’on nous aime ?
***
Avecque vostre couleur sombre
  Croyez-vous aprés tout,
  Tous deux plaire beaucoup ?
Me compte-t-on pour rien dans l’Empire de l’Hombre ?
***
Si j’ay quelquefois ma livrée
De la triste couleur que l’on vous voit porter,
Une autre fois plus bigarrée,
Pour le cœur & les yeux, j’ay dequoy l’emporter.
***
Mais que nous sert icy d’exalter nos talens,
Et de vanter nostre proüesse ?
Joignons-nous de concert pour plaire en tous les temps
À nostre charmante Maistresse,
Et rendons à jamais tous ses desirs contens.

[Détail nouveau & curieux touchant la mort de Mr le Cardinal de Bonzi] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 153-190.

L’onziéme Juillet un peu avant neuf heures du matin, mourut à Montpellier Son Eminence Monsieur le Cardinal de Bonzy, d’un accident de vapeurs, dont il estoit attaqué depuis douze à treize ans. Il avoit esté le jour precedent à la promenade & avoit soupé de bon appetit, & même passé la nuit fort tranquillement & dormy d’un bon sommeil, lors que cet accident le prit à cinq heures & un quart ou environ, avec tant de violence qu’il ne cessa qu’avec la vie, avec quatre redoublemens, au troisiéme desquels on luy administra l’Extrême Onction, il donna dans la force de son mal, par ses soupirs, & en serrant les mains à ses Aumôniers, toutes les marques de pieté & de Religion d’un veritable Chrestien qui meurt en cet estat dans le tourment & l’accablement d’un si violent mal. Il avoit communié dans sa Chapelle le jour de Saint Pierre son Patron, & depuis que son mal l’avoit mis hors d’estat de celebrer la Sainte Messe, il approchoit regulierement les Sacremens tous les huit jours, à moins que les vapeurs qui l’ont fait cruellement souffrir les quatre dernieres années de sa vie par leurs violens & frequens retours ne l’en empêchassent. Ayant eu à Narbone & à l’Abbaye de Valmagne, où il a demeuré longtemps, pour son Directeur, le Superieur de son seminaire qui ne le quitoit point, & à Montpellier le P. Moreau, Jesuite, & tres souvent le Curé de sa Paroisse, qui aussi tost aprés sa mort garderent son corps avec les Penitens blancs de Montpelier, & au pied de son lit dirent nuit & jour les Offices, se relevant de deux en deux heures, estans toûjours quatre à Psalmodier. Le même jour à midy le Juge. Mage & le Procureur du Roy se rendirent à l’Hôtel de feu Son Eminence, où Mr de Teyran leur remit un pacquet avec une envelope de papier blanc cachetée, qu’il leur dit estre un depost que Mr le President de Boucaud son frere luy avoit laissé en partant pour Paris, avec charge de le remettre, le decés dudit Seigneur Cardinal arrivant : ce pacquet fut ouvert avec toutes les formalitez accoûtumées, & on y trouva le Testament clos dudit Seigneur, son Codicile, un Memoire écrit de sa main, & un projet dudit Testament. On fit en la maniere accoûtumée l’ouverture & la publication du Testament & du Codicile, lesquels sont remplis de legs pieux, de legs à sa famille, & à ses domestiques. Il nomme son Executeur Testamentaire ledit Sr President Boucaud, & en second Mr Borzon Chanoine de l’Eglise de Narbonne, son Secretaire. Il instituë son heritier universel l’Hôpital de la Charité de la Ville de Narbonne qui profitera d’une somme considerable de cette heredité, ledit Seigneur Cardinal ayant toûjours eu tant d’ordre dans toutes les affaires de sa maison, qu’il ne laisse aucune creance que Mr le Marquis de Castries son neveu, auquel il doit encore vingt-quatre mil livres du reste de plus grande somme, dont il estoit déja entré en payement ; sa plus grande application depuis 12 à 13 années ayant esté à payer ses dettes indispensablement contractées pour fournir aux dépenses de ses grands emplois, & aujourd’huy ledit Hôpital trouve en meubles, Vaisselle & arrerages de revenus, autant qu’on le peut conjecturer par estimation, plus de soixante mil écus. Le lendemain douziéme, à cinq heures du matin, on fit l’ouverture du corps de S.E. en presence du Medecin de sa personne. On verra par la Relation qui suit la cause de son mal & celle de sa mort.

Monsieur le Cardinal de Bonzi fut attaqué l’onziéme du mois de Juillet à cinq heures & demi du matin des mouvemens convulsifs si violens qu’il n’y put resister, & mourut en quatre heures de temps. J’eus l’honneur d’estre appellé pour faire l’ouverture de son corps conjointement avec le sieur Castre Maistre Chirurgien Juré de Montpellier, nous la fismes le 12. à quatre heures du matin, en presence du sieur Brunel, Medecin ordinaire de S.E. le sieur Mandon son Chirurgien, n’ayant pû s’y trouver, nous commençâmes à ouvrir la poitrine, dans laquelle nous ne remarquasmes rien de particulier, son cœur & ses poulmons estant dans leur estat naturel autant qu’ils peuvent l’estre dans un corps qui a perdu le jour. Nous continuasmes par l’ouverture du bas ventre, & examinasmes avec toute l’attention possible tous ses visceres, nous n’y trouvasmes rien d’extraordinaire. Nous remarquasmes seulement que la vesicule du fiel estoit remplie de pierres en nombre de sept de couleur tannée, de differentes figures, & de la grosseur d’une noisette chacune ; cependant comme l’on en trouve dans presque toutes les sujets & sur tout dans ceux qui ont souffert longtemps, nous ne nous y arrestasmes pas ; mais comme la teste faisoit toute nôtre attention, nous demandâmes permission de l’ouvrir, ce que l’on nous accorda ; ayant donc scié son crasne à la maniere ordinaire, nous l’enlevasmes pour voir la Dure, mere qui nous parut estre assez dans son estat naturel, l’ayant emportée pour examiner la substance du cerveau que nous trouvasmes fort molasse, nous nous apperçûmes que le ventricule gauche s’élevoit beaucoup au dessus du droit, & qu’il se renversoit un peu sur luy, ce qui nous fit soupçonner qu’il y avoit quelque corps au dessous qui l’obligeoit à tenir cette situation ; pour nous en éclaircir tout à fait nous voulûmes emporter toute la substance du cerveau, & la tirer de place : pour cet effet ayant coupé la premiere paire de nerfs, & voulant continuer par la seconde, nous trouvasmes à l’apophise clinoïde gauche & superieure une resistance que nos ciseaux ne purent vaincre ; nous y portâmes nos doigts, & nous touchasmes un corps dur, assez gros que nous avions déja soupçonné ; ce qui fit que pour le découvrir entierement, nous prîmes un autre route, nous élevasmes le cerveau de costé, & en le soulevant, nous reconnûmes une adherence du fonds du ventricule gauche avec le corps duquel nous avons parlé, nous n’eûmes pas beaucoup de peine à rompre cette attache avec nos doigts, & dans cette separation ce corps laissa échaper de sa partie superieure une cuillerée d’une matiere purulente sans mauvaise odeur, nous emportasmes ensuite fort facilement toute la masse du cerveau hors du crasne, pour examiner le corps que nous avions laissé attaché à l’apophise clinoïde. Ce Corps glanduleux estoit fort dur d’une figure ronde, de couleur assez blanche, dont la base estoit fort étroite, & la teste de la grosseur d’un œuf de poule, qui penchoit du costé gauche, dans la fosse du crasne qui contient le ventricule gauche, & qui faisoit qu’il se trouvoit plus élevé que le droit ; ce corps estoit si fortement attaché à l’apophise clinoïde par sa base, que nous fûmes obligez d’emporter une piece de cet os pour l’en déraciner. La maladie de S.E. avoit commencé il y a environ neuf ou dix ans, par des accidens d’apoplexie qui revenoient de temps en temps, tantost plus forts tantost plus foibles, & suivant toutes apparences, estoient causez par la presence de ce corps glanduleux. On a exactement suivi les gonflemens & les affaissemens qui arrivoient à cette chair étrangere suivant les differentes dispositions de son sang. Il est à remarquer que comme ce corps glanduleux estoit attaché à l’apophise clinoïde & superieure du costé gauche, il comprimoit le nerf optique du même costé ; ce qui avoit causé à S.E. depuis environ 6 ans une foiblesse de vûë à l’œil gauche qui degenera bientost & successivement en paralysie de nerf optique : en sorte qu’il ne voyoit du tout plus du même costé long-temps avant sa mort, quoy que l’œil fust aussi beau que l’autre, ainsi qu’il arrive dans la goutte serene ; deffaut duquel peu de gens s’estoient apperçus, & que nous ignorerions encore si la situation de ce corps étranger ne nous eust obligé à demander aux personnes qui estoient toûjours auprés de S.E. si l’on ne l’avoit jamais entendu se plaindre de cette incommodité.

Le corps fut embaumé, ce qui occupa jusqu’aprés midy, qui fut transporté de sa Chambre dans une autre de son appartement, toute tenduë de noir avec deux litres de velours, une Chapelle ardente, & le lit de parade sur lequel il fut mis, le dehors de la cour & l’escalier de la maison tenduës de noir, & parsemées d’Armories. La porte fut ouverte aussi-tost aprés midy, & jusqu’à neuf heures du soir que le corps fut conduit en dépost dans l’Eglise de Nostre-Dame ; tous les Ordres Religieux vinrent processionnellement chanter les Offices à la Chapelle ardente. Il y eut un grand concours de tout le peuple, & on n’entendoit que pleurs, gemissemens, & regrets de la perte d’un Seigneur qui a toûjours eu l’amour & le cœur de toute la Province. Le lendemain il fut déposé dans la Chapelle de Saint Roch de l’Eglise Nostre Dame, toute tenduë de noir & parsemée d’Armories avec les litres de velours, la Chapelle ardente au grand Autel de sa Paroisse, où aussi bien qu’à toutes les autres Chapelles de l’Eglise, on n’a pas discontinué, en execution du Testament, de dire des Messes, ainsi que dans toutes les Eglises de la Ville, dans chacune desquelles le Lundy 16. Mr l’Abbé de Castries fit faire un Service solemnel, & depuis chacune de ces Eglises en particulier & de leur mouvement, en ont fait un second à leurs frais. Celuy de Mrs du Chapitre de S. Pierre de Montpellier, a esté d’une solemnité tres grande, & aux frais seuls de ce Chapitre, qui n’a rien oublié pour marquer sa douleur de la perte de ce grand Cardinal. Toutes les Compagnies de la Ville en Robes ayant esté invitées, y assisterent, ainsi que la famille de cette Eminence. Mr l’Evêque officia, l’Eglise estoit tenduë de noir, le Chœur à quatre rangs, & la representation ornée des marques de dignité de l’Illustre Deffunt, sous un lit de parade tres-riche. L’Eglise estoit toute remplie de la foule du Peuple qui y assista, & dans celle de Nôtre Dame, où est encore ce precieux depost, il y a une affluence de peuple qui va prier pour le repos de son ame. Messieurs les Directeurs de l’Hôpital de la Charité de la Ville de Narbonne, informez de l’institution de l’heredité en faveur dudit Hôpital, se rendirent à Montpellier deux jours aprés la mort, & trouverent que les Domestiques de ce Seigneur avoient aussi bien veillé pour la conservation de son hoirie que si elle les eust regardé eux seuls. Ils n’eurent rien plus à faire qu’à executer les ordres pour preparer la pompe funebre & le transport du corps à Narbonne, pour estre inhumé suivant la volonté du deffunt, dans son Eglise à la Chapelle designée. Mr l’Abbé de Castries neveu de ce grand Cardinal, Aumônier ordinaire de Madame la Duchesse de Bourgogne, avoit eu permission du Roy de venir voir S.E. qui le desiroit passionnement. Cet Abbé étoit arrivé à Montpellier le 23. Juin, on ne peut exprimer la joye & la tendresse avec laquelle l’Oncle embrassa le Neveu à son arrivée, & combien, pendant les dix huit jours qu’il survécut à cette arrivée, il s’efforçoit à luy marquer sa tendre amitié, & l’assiduité du neveu à rendre ses devoirs à ce precieux infirme ; on ne peut aussi exprimer la douleur avec laquelle ce digne neveu vit expirer son cher oncle, aussi-bien que Madame la Marquise de Villeneuve, & Mademoiselle sa fille, qui font leur residence à Montpellier auprés de Madame la Doüairiere Marquise de Castries sœur de S.E. qui indisposée depuis quelques jours, & dans un grand âge, ne vint qu’au moment du dernier soupir, dont on luy donna la funeste nouvelle sur l’Escalier de la maison. Il falut la porter dans l’appartement de Monsieur l’Abbé de Castries, où toute cette famille desolée se fondoit en pleurs. Madame la Marquise Donis apprit par un Courier que lui depécha à Avignon Mr l’Abbé de Castries son frere cette douloureuse nouvelle. Il est aisé de concevoir la consternation avec laquelle elle la receut, puisque jamais Niéce n’avoit esté plus tendrement aimée qu’elle de son cher Oncle, & que de même jamais Oncle n’avoit esté plus tendrement aimé de sa Niéce, qui aussi tost partit avec Monsieur le Marquis de Donis son Epoux, pour se rendre à Montpellier, où elle est venuë rendre le dernier devoir à son cher Oncle, & mesler ses pleurs avec ceux de toute sa famille.

Le Lundy 23. Juillet à neuf heures du soir le Deüil & le Domestique de S.E. se rendirent à la Place de Nostre Dame, pour y recevoir son corps à la porte de l’Eglise, qui aprés les absoutes ordinaires, fut mis sur un Chariot drapé ; & couvert d’un drap mortuaire de Velours noir avec une Croix de drap d’argent, & quatre Armoiries richement brodées d’or & d’argent, le drap bordé d’un gros galon d’argent, & quatre houpes aussi d’argent, une à chaque coin, le drap pendant à un pied de terre ; la marche de ce Convoy commença en cet ordre, le Suisse à cheval seul à la teste, portant un flambeau, dix Palefreniers à cheval deux à deux, portant chacun un flambeau, huit Valets de pied à cheval, portant un flambeau chacun, quatre Officiers à cheval portant aussi des flambeaux suivoient tout ce Domestique, le Chariot attellé de six chevaux caparassonnez, quatre Laquais à pied, portant chacun un flambeau aux quatre coins du drap mortuaire, & quatre Gentilshommes à cheval, leurs chevaux caparassonnez portoient les quatre houpes du drap mortuaire, suivoient immediatement le Chariot, deux Aumôniers de S.E. & le Maistre de Chambre à cheval, leurs chevaux caparassonnez, les Aumôniers en rochet, bonnet carré, & manteau noir : le premier portoit la Croix Archiepiscopale, couverte d’un crèpe ; le second, le Cordon & la Croix de l’Ordre du Saint Esprit, & le Maistre de Chambre en manteau long, le Chapeau de Cardinal, ensuite quatre Valets de Chambre à cheval, portant chacun un flambeau. La marche estoit fermée par un Carrosse drapé à six chevaux, dans lequel estoit Monsieur le Marquis de Donis neveu de feu S.E. & Messieurs les Directeurs de l’Hôpital de la Charité de la Ville de Narbonne, institué heritier par le Testament du feu Seigneur Cardinal. Toute la Bourgeoisie qui avoit pris les Armes, bordoit les deux costez de la place & des ruës jusques hors la porte, leur fusil sous le bras, le bout atterré, les Tambours couverts de crespe. Toutes les Boutiques de la Ville furent fermées l’aprés-dînée de ce jour : le Convoy en cet ordre, marcha de la place, à la grande ruë, & sortit par la Porte, qu’on appelle de la Sonnerie, au bruit de tout le canon de la Citadelle ; on n’a jamais vû un si grand concours de Peuple, qui bien rangé, & sans confusion accourut à ce grand & lugubre appareil. Il n’y avoit d’autre bruit que celuy des pleurs & des gemissemens de ce même Peuple affligé & consterné de la perte de celuy qu’il avoit toûjours regardé comme le pere & le protecteur de la Province, il ne pouvoit le quitter, l’ayant accompagné pendant plus d’une lieuë, & il l’auroit, sans la nuit, suivi plus loin encore. Sur les cinq heures du matin il arriva à l’Abbaye de Valmagne. Les Habitans du Village vinrent au devant, prés d’une lieuë, fondans en larmes ; leur douleur estoit d’autant plus juste, que ce Cardinal qui avoit possedé pendant plus de trente ans cette Abbaye, leur avoit toûjours fait des biens infinis ; ils le suivirent jusqu’à l’Eglise de l’Abbaye, où le Prieur & les Religieux le receurent en depost.

Monsieur l’Abbé Gaulier premier Aumônier de S.E. leur fit un discours fort touchant en le leur remettant ; ils y répondirent de même, ils chanterent les Offices, firent un Service fort solennel, & ne cesserent point leurs prieres auprés du corps jusqu’à six heures & demie du soir qu’il en partit dans le même ordre qu’il étoit sorty de Montpellier ; les chemins estoient bordez de tous les Habitans de Montagnac, Pezenas, Valros, & Bezin, & on ne s’arresta point, on marcha toute la nuit, & à sept heures & demie du matin on arriva à Nisse premiere Paroisse du Diocése de Narbonne, où le Prieur avec ses Secondaires le receurent à la Porte de l’Eglise ; la pluye qui estoit survenuë les ayant empêchez d’aller au devant. Mr l’Abbé Gaulier fit à Mr le Prieur en luy remettant ce precieux dépôt un Discours aussi touchant que celuy qu’il avoit fait le jour précedent au Prieur de l’Abbaye de Valmagne. La douleur & l’affliction dont ce tres-digne Ecclesiastique estoit penetré luy fournissant à ce sujet les expressions les plus tendres. On chanta les Offices on fit un Service des plus solennels, tout le Peuple qui y accourût assista à tout avec une modestie & une pieté exemplaire. On voyoit peintes sur leur visage les marques d’une vraye douleur de la perte de leur Archevêque. Le Convoy partit de Nisse à quatre heures du soir, & comme on marchoit fort lentement, il n’arriva à Narbonne qu’aprés huit heures, il y entra dans l’ordre marqué cy-dessus au bruit du Canon des Remparts. Les enfans de l’Hôpital, les Confreries des Penitens, & le Clergé Regulier allerent au devant à la Porte de la Ville processionellement, où s’estant reposez, ils marcherent en bon ordre jusqu’à l’Eglise Primatiale de Saint Just, à la Porte de laquelle estoient rangez le Chapitre de cette Eglise & celuy de Saint Sebastien, celuy de Saint Just à la teste avec leur Officiant, & Mr l’Abbé de Castries grand Archidiacre, neveu de l’illustre Deffunt, qui s’estoit rendu à Narbonne. Le Convoy continua sa marche jusqu’à la Porte de l’Eglise à laquelle le Chariot s’arresta, la teste & la suitte mirent pied à terre on descendit le corps du Chariot, Mr l’Abbé Gaulier en remettant enfin le precieux dépôt qui luy avoit esté confié à l’illustre Officiant luy fit un Discours latin auquel il répondit de même. Il n’y a point d’expressions assez fortes pour representer combien fut touchante la fonction & le dernier devoir du neveu envers son oncle. Le corps fut porté devant le grand Autel, précedé par quatre Beneficiers de l’Eglise suivant l’usage qui portoient le drap mortuaire, suivi de Mr le Marquis de Donis, de Mrs les Directeurs de l’Hôpital & du nombreux Domestique. Tout le Deüil mené par l’Etat Major & Mrs les Consuls. Jamais on ne vit tant de Peuple rassemblé. Les Absoûtes accoutumées achevées, le corps fut porté au Tombeau designé dans le Testament dudit Seigneur Cardinal, où il fut inhumé le lendemain Jeudy. Il y eut un Service des plus solennels, Mr le grand Archidiacre officia ; on en fit aussi le même jour dans toutes les Eglises, chacune en son particulier & on ne cesse point de dire les Messes ordonnées par les dernieres dispositions dudit Seigneur Cardinal.

Vous aurez le mois prochain un article curieux touchant la genealogie de cette Eminence.

[Discours touchant les Festes Galantes, qui sert de Prelude à la Feste de Chastenay, dont la Relation est ensuite] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 282-322.

Rien n’est plus ordinaire que de donner des Festes, rien n’est plus rare que d’en donner d’agreables ; la grande dépense, & le fracas, loin de leur donner de l’agrément, les rendent souvent ennuyeuses, sur tout lorsque la magnificence s’y trouve sans estre accompagnée d’une certaine nouveauté ingenieuse qui frappe & reveille le spectateur. La plus grande dépense de ce qui s’appelle Feste doit estre en esprit, & en invention, & la Feste la plus magnifique qui n’a point toutes ces parties doit estre regardée comme une belle femme qui, bien que reconnuë pour telle, ne plaît pas toujours quand elle manque de ce je ne sçay quoy qui prête à la beauté des agrémens qui font plus d’effet sur les cœurs que le visage le plus regulierement beau : Ainsi on peut admirer une belle femme sans en estre touché, & trouver de la magnificence dans une Feste magnifique sans en avoir esté diverty. Il parut un Spectacle en France il y a environ quarante ans, il avoit coûté des sommes immenses, & cependant jamais ennuy ne fut plus grand que celuy qui regna dans toute l’assemblée lorsque ce Spectacle parut pour la premiere fois, de sorte qu’il en falût retrancher plus de la moitié. Ceux qui ont vû la Feste de Chastenay que je vous envoye, auroient esté fâchez que l’on en eût rien retranché : l’esprit, l’invention, & les agreables surprises y brillent par tout, & l’on y voit quantité de choses qui conviennent aux Puissances ausquelles la Feste est donnée, ce qui est essentiel dans ces sortes de Festes, & ce qui cependant s’y trouve rarement. Quand les Festes que l’on donne ne seroient pas de la grande magnificence à laquelle les Particuliers ne peuvent atteindre, il faut que tout y soit executé par les personnes qui ont le plus de réputation dans les Arts dont ils se meslent, & que le bon goût y tienne lieu du fracas & de la grande dépense. Tout cela se trouve dans la Relation qui suit de la Feste de Chastenay, & qui peut servir de modele à tous ceux qui voudront donner de ces sortes de Fêtes. Elle commence sans que l’on s’en aperçoive, & l’esprit & l’invention y brillent d’abord, tout y est nouveau, tout y surprend, on n’y attend rien de ce qu’on y voit, tous les morceaux en sont choisis, ils sont bien executez, la Feste convient à ceux à qui elle est donnée, ils y sont loüez avec esprit & finesse, ils y sont divertis avec art & en quelques endroits par des choses dont ils ont eux seuls la clef. Enfin quoiqu’il y ait dans cette Feste dequoy satisfaire les yeux & les oreilles, l’esprit y trouve encore plus de quoy se contenter, on ne doit pas s’en étonner puisque cette Feste a esté donnée, inventée, & en partie executée par Mr de Malezieu : Ce n’est pas la premiere qu’il a donnée, & dont vous aïez pris plaisir à la lecture : j’ay souvent eu occasion de vous parler de cet homme universel. Quoiqu’il ait beaucoup d’érudition, & qu’il soit chargé d’affaires qui demandent de grands détails, rien ne l’empêche de penser galamment, lorsqu’il est question de divertir le Prince auquel il est attaché, & de faire executer ses pensées. Vous sçavez qu’il est de l’Academie Françoise, & que tous ceux de ce Corps reüssissent dans toutes les choses dont il leur plaît de se mesler, lors qu’elles regardent l’esprit.

RELATION DE LA FESTE DE CHASTENAY.

Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc, Madame la Duchesse du Maine, & Mademoiselle d’Enguyen, firent l’honneur à Mr de Malezieu de venir coucher dans sa Maison de Chastenay le 4. de ce mois, veille de la Feste du Lieu, dans la dessein d’y passer la journée suivante. Monsieur, Madame, & Mlle de Nevers, Madame la Duchesse de Lausun, Madame la Duchesse de Rohan, Mlle de Rohan, Me de Barbezieux, Me la Marquise d’Antin, Mr & Me de Lassay, Me & Mlle de Croissy, Me la Marquise de Bouzolles, Me la Comtesse de Chambonas, Mr le President de Mesmes, & plusieurs autres personnes distinguées par leur naissance & par leur merite, qui estoient venuës à Sceaux faire leur Cour aux Princes, suivirent leurs Altesses Serenissimes à Chastenay, & aprés y avoir soupé revinrent coucher à Seaux parce que la petite Maison de Chastenay ne pouvoit, à beaucoup prés, fournir des logemens suffisans à une Compagnie si illustre & si nombreuse. La matinée du Dimanche fut donnée toute entiere à une ceremonie de pieté. Mr l’Abbé de Malezieu chanta sa premiere Messe dans l’Eglise Paroissiale de Chastenay. Leurs A.S. y voulurent assister, & la Compagnie, qui avoit couché à Sceaux, eut la même devotion. Mr Mathaut, Ordinaire de la Musique du Roy, donna pendant l’Offertoire un Motet de sa composition, qui fut trouvé excellent, & parfaitement bien executé, aussi avoit-il eu soin de choisir dans la Musique du Roy des voix & des instrumens capables de seconder dans la derniere perfection les intentions du Compositeur. Au retour de la Messe, Madame la Duchesse du Maine donna un dîner magnifique, aprés lequel toute la Compagnie passa dans une gallerie, qui fait partie d’un appartement fort propre, dont Son Altesse Serenissime a bien voulu orner la maison de Mr de Malezieu, à qui S.A.S. Monsieur le Duc du Maine a donné depuis quelques années la Seigneurie du lieu. Ces particularitez, que la reconnoissance de Mr de Malezieu, a rendu publiques, autant qu’il est en son pouvoir, pourroient estre ignorées de plusieurs personnes ; & sont cependant necessaires, pour mieux comprendre l’intention du divertissement qu’il donna sur le soir à leurs Altesses Serenissimes. La Compagnie s’occupa à differens jeux, jusques sur les huit heures du soir. Alors Mr l’Abbé Genest, l’intime Amy de Mr de Malezieu, & qui a bien voulu l’aider à faire les honneurs de sa maison, entra dans la gallerie, & vint dire fort serieusement à Madame la Duchesse du Maine, qu’un Operateur estoit dans la cour avec toute sa Troupe, qu’il avoit appris, en passant au Bourg-la-Reine, que leurs Altesses Serenissimes estoient à Chastenay, & qu’il venoit leur offrir un plat de son mestier. La Princesse ayant ordonné qu’il entrast, l’on vit aussitost paroistre un homme dans un équipage fort extraordinaire : mais malgré sa coëffure bizarre, & sa longue barbe de crin, on reconnut bientost que c’estoit Mr de Malezieu, qui prononçoit fort gravement la harangue burlesque que voicy, ou du moins à peu prés ; car assurément elle ne fut pas fort meditée.

Monseigneur, Madame, Mademoiselle, Mademoiselle, Madame, Monseigneur, ou, Monseigneur, Mademoiselle, Madame ; car il n’importe gueres que Dame soit devant, ou qu’elle soit derriere. Vous voyez paroistre devant vous, l’ame d’Hippocrate, la quintessence d’Esculape, le Phœnix des Operateurs, aprés avoir fait tonner ma reputation dans les quatre parties du monde, & bien loin par delà ; je viens liberalement vous faire part des secrets incomparables que je dois à mon experience & à mes longs travaux. J’appris avant hier à Novogrode Kveliki, l’une des Capitales de Moscovie, où j’estois allé remettre la teste à un Grand du Pays, décapité depuis quatre années par ordre du Kzar ; que vous deviez vous trouver aujourd’huy à Chastenay, & y prendre quelques amusemens dans la maison du Seigneur du lieu, mon ancien Amy ; & je suis venu avec assez de diligence, comme vous voyez, pour l’aider à faire les honneurs de sa maison. Je voy bien que vous avez quelque peine à comprendre comment j’ay fait sept cens lieuës en moins de deux jours ; & comment j’ay pû sçavoir la partie que vous aviez faite ; mais un peu de patience, vostre surprise cessera, quand vous aurez vû une partie des merveilles qui sont renfermées dans ma cassette. N’allez pas vous imaginer que je sois de ces Operateurs de Bibus, qui peuvent tout au plus guerir quelques paralysies, quelques apoplexies, quelques pestes. Non, non, je ne m’amuse pas à ces bagatelles ; & je ne veux pas aussi vous rompre la teste du nombre infini d’hydropiques, de paralitiques, d’apoplectiques, d’icteriques, de melancoliques, de phrenetiques, de phtysiques, de pulmoniques, d’epileptiques, de cachectiques, de dissenteriques, de scorbutiques, & en un mot de tous les malades en iques que j’ay gueri. Je veux étaler de plus rares merveilles, aux yeux de personnes aussi merveilleuses que vous. Allons, ma Cassette, vîte, ma Cassette, Pantominas Pantomimas.

À cette belle semonce parut un Arlequin, portant une boëte remplie de plusieurs bouteilles, avec des écriteaux. C’estoit Mr de Dampierre, l’un des Gentilhommes de Mr le Duc du Maine, qui joint à toutes les qualitez essentielles de l’homme de condition, plusieurs talens propres à occuper agreablement une compagnie. Il sçait tres-bien la Musique, il jouë de la Flute d’Allemagne, & du Violon : il sonne du Cordans la derniere perfection, & aprés les grands Maistres, personne ne touche mieux la Viole. L’Operateur avertit la Compagnie que cet Arlequin estoit un jeune Chinois, qui ne sçavoit pas un mot de François, & qu’ainsi l’on ne devoit pas estre surpris s’ils parloient entr’eux une langue extraordinaire. En effet, l’Operateur & l’Arlequin lierent d’abord une conversation qui consistoit en grimaces, en sifflemens, & en mots barbares terminez enXin, Xu, Xa, l’effet en est plus aisé à imaginer qu’à décrire. L’Operateur demanda en ce beau langage une bouteille à son Arlequin, qui la luy presenta avec des ceremonies dignes de la gravité du sujet. Cette bouteille avoit pour écriteau, Eau Generale. Que pensez-vous, dit alors l’Operateur en s’adressant à Monsieur le Duc : que pensez-vous que renferme cette bouteille ? Vous croyez peut-estre que c’est un composé de méchante eau de vie & de quelques Plantes vulneraires, comme l’Eau generale ne debitent vos Apoticaires. Hô, vraiment vous n’y estes pas. Je la nomme Eau generale, parce que l’usage de cette eau miraculeuse forme en tres-peu de temps des Generaux d’Armée. Je veux bien, Monseigneur, vous en confier le secret. C’est un extrait de la cervelle de Cesar, du flegme de Fabius, du soulphre d’Alexandre, & de l’Ame du Grand Condé ; prenez-en ce soir un bon verre à la fin du repas, & qu’on vous donne demain une Armée à commander, je veux estre pendu en Gréve, si vous n’égalez vôtre Grand-Pere Aprés avoir presenté cette bouteille à Monsieur le Duc, l’Operateur recommença son beau jargon avec l’Arlequin qui luy presenta une seconde bouteille avec les mêmes ceremonies. Elle avoit pour Ecriteau, Esprit universel. Madame, dit l’Operateur, en s’adressant à Madame la Duchesse du Maine : Il n’est pas icy question de cet Esprit universel tant recherché par Vanhelmont & les autres Chymistes ; je vous ay déja dit que je ne m’arrestois pas à ces puerilitez, ma bouteille renferme un Tresor inestimable : C’est un admirable composé de penetration d’esprit, de finesse, de discernement, d’un goût exquis, d’une étenduë immense pour tout ce qu’il y a de plus sublime, de finesse de conversation, d’un tour admirable pour s’énoncer avec précision, d’un enjoûment, & d’un badinage qui sçait répandre la politesse & l’agrément, jusques dans les Rebus, d’une vivacité surprenante toûjours accompagnée de justesse : en un mot, c’est veritablement l’Esprit universel. Je sçais que vous pouvez tres-bien vous passer de ma bouteille, vous possedez naturellement toutes les merveilles qu’elle renferme ; mais ne laissez pas de l’accepter pour en faire part à quelques-unes de vos amies, qui sont bien éloignées de vous ressembler. Le baragoüin Chinois recommença incontinent aprés, & Arlequin presenta une troisiéme bouteille à son Maistre : C’est ma poudre de Sympatie, s’écria l’Operateur ; Mademoiselle, continuat-il en s’adressant à Mademoiselle d’Enguyen. Ne croïez pas, s’il vous plaît que ce soit icy une poudre de Sympathie ordinaire, composée de vitriol calciné, voila de belles fadaises ; ma poudre est un composé merveilleux, d’une humeur toûjours égale, d’une affabilité qui sçait gagner tous les cœurs, d’une complaisance naturelle, qui sans compromettre la dignité de la personne, fait qu’elle entre agreablement dans tout ce qui peut obliger les autres. D’une grace infuse jusque dans les moindres paroles, & d’une attention continuelle à faire toûjours précisement ce qu’il y a de plus raisonnable. Voila, Mademoiselle, la veritable poudre de Sympathie. Je sçay que personne dans le monde n’en a moins besoin que vous ; & que ma poudre ne peut aller plus loin que vostre heureux naturel. Agréez cependant le present que je vous fais pour vous en servir dans l’occasion sur les autres, si jamais l’envie vous prend de voir quelque personne qui vous ressemble. La quatriéme bouteille parut ensuite, elle estoit intitulée, Essence des Elus. la plaisanterie dont il est question ne peut estre expliquée ; elle se renferme entre quelques personnes qui en ont l’intelligence, & les autres trouveront bon qu’on ne s’explique pas plus clairement. C’est une liqueur, dit l’Operateur, qui guerit toutes les maladies de la peau, entre autres la galle la plus inveterée : J’en fis dernierement l’experience sur deux Elûs dont elle a tiré son nom. Un troisiéme fut incredule & ne voulut point estre gueri ; mais je sçauray bien le trouver & le guerir malgré luy. Après cela parut la cinquiéme bouteille dont l’écriteau estoit, Sirop violat. Vous croïez peut-estre, dit l’Operateur, que c’est pour adoucir la poitrine ; vous n’y estes pas : Son nom & ses effets sont bien plus misterieux. Je l’appelle Sirop violat, parce que dés que j’en ay versé une goutte dans la main de qui que ce soit, il devient sur le champ aussi excellent pour la Violle que Marets & Forcroy. En voulez vous voir l’experience sur mon Arlequin, je puis vous assurer en homme d’honneur qu’il n’a jamais vû cet instrument ny à la Chine ny depuis qu’il en est sorti. L’Operateur en disant ces mots presenta la Violle à Arlequin, qui s’enfuit en faisant mille grimaces & en marmottant son Chinois ; mais son Maistre luy ayant versé du Sirop dans la main, il parut à l’instant un autre homme, & joüa une des plus belles & des plus difficiles pieces de Marets. Un moment aprés l’Operateur demanda la sixiéme bouteille : elle avoit pour titre, Pillules Fistulaires. N’allez-pas vous persuader, dit l’Operateur, que ce soit pour guerir des fistules. Voila une plaisante cure. Je les nomme Fistulaires, à cause de fistula, qui signifie flûte. Vous allez voir la merveille qu’elles operent. J’en vais mettre une dans la bouche de mon Arlequin ; dés qu’elle aura touché ses levres, il joüera de la flûte comme Pan ou Descosteaux, & cependant je vous proteste en homme de bien, qu’il ne connoissoit pas plus la Flûte qu’il connoissoit la Violle quand je l’ay frotté de mon essence. Arlequin s’enfuit quand son Maistre luy presenta la Pillulle, mais aprés avoir bien gambadé & bien marmotté, il consentit à en avaller une, & dans le moment joüa sur la flute d’Allemagne un Prelude qui ravit la Compagnie. Vous croyez peut-estre, continua l’Operateur, que je vous en impose, & qu’Arlequin sçavoit joüer des instrumens ; il faut vous convaincre tout à fait. Qu’on me fasse venir quelques-uns de ces Paysans qui sont là bas. Alors on amena en effet deux Paysans qui se deffendirent longtemps contre le Sirop violat & les Pillulles fistulaires ; mais l’Operateur les persuada. L’un fut frotté de Sirop violat ; l’autre avala une Pillule, les secrets opererent sur le champ. On entendit des choses admirables sur la Violle & sur la Flûte : & l’on n’eut pas grande peine à comprendre ces miracles, quand on reconnut les deux Paysans pour être Mrs  Forcroy & Descosteaux. Enfin l’Operateur demanda la septiéme bouteille. Elle estoit intitulée Esprit de Contredanses. Voicy, continua l’Operateur, l’abregé des merveilles du monde. Preparez-vous à la plus grande des surprises. La liqueur que vous voyez a des vertus qu’on ne pourroit expliquer en un siecle. Qu’on me donne la Dame du monde la plus delicate, la plus posée, la plus sedentaire ; si elle se laisse tomber une seule goutte de cet esprit vers la region des reins, vous la verrez à l’instant plus agile qu’un lutin, tantost s’élancer pendant la moisson des Foins sur le haut d’une meule ; tantost voltiger comme un Balon, & danser la Furstemberg, la Forlane, le Pistolet, l’Amitié, la Chasse, la Derviche, la Sissonne, les Tricotets, Madame de la Mare : (cecy est comme l’Essence des Elûs, & c’est une plaisanterie qui ne peut estre entenduë que d’un petit nombre de gens qui sont au fait.) C’est avec quelques gouttes de cet Esprit, ajoûta l’Operateur, que toute ma Troupe a acquis assez de legereté pour faire en moins de deux jours le voyage de Moscovie. Mais venons à la preuve. Qu’on fasse monter icy le plus grossier Paysan qui soit dans le Village. Alors parut un Paysan qui se sentoit de la Feste, & qui pouvoit à peine se soutenir tant il avoit bû. Il acheva de vuider une grosse bouteille, en presence de la Compagnie, & tomba enfin tout de son long sur la place. Tant mieux, dit l’Operateur ; mon remede en paroistra plus admirable. En même temps il en versa quelques gouttes sur les reins de l’Ivrogne & luy en frotta la plante des pieds. Jamais effet ne fut plus subit ny plus surprenant l’ivrogne se releva avec une legereté d’oiseau ; & fit pendant une demie heure des tours de souplesse admirables & des sauts perilleux à faire trembler les Spectateurs. Tout le monde avoüa que l’Operateur avoit tenu parole & l’on vit bien qu’il estoit seur de son fait quand on eut reconnu que l’Ivrogne estoit le Sr Allard.

Aprés qu’Allard eût fait cent tours de son métier ; ce n’est pas tout, dit l’Operateur, je merite le nom d’Operateur par plus d’un endroit, puisque ce n’est pas seulement par les operations que je fais, mais encore par les Operas où j’excelle. Il est vray que je suis bien aidé ; j’ay dans ma Troupe un Bonze que j’ay amené des Indes, & qui est un des grands Poëtes du temps ; j’ay aussi pour la Musique un Compositeur excellent. Je l’ay ammené avec moy de Moscovie où il montre la Musique au Fils du Kzar, qui est presentement en Campagne, & c’est ce qui luy laisse le loisir de venir icy. Je vais dans le moment vous faire voir de quoi nostre Troupe est capable, & l’on va vous presenter un petit Opera qui a pour titre, Philemon et Baucis. C’est un Sujet tiré des Métamorphoses : Jupiter, Junon & Mercure, cherchant sur la Terre quelques vestiges de l’ancienne Innocence, aprés avoir visité les Palais des Princes & les grandes Villes arriverent enfin dans la Cabane de Philemon & de Baucis, qui exercerent envers eux l’hospitalité sans les connoistre, & les traitterent avec la frugalité que leur permettoit la mediocrité de leur condition. Ces grands Dieux touchez de leur innocence & de la simplicité de leurs mœurs, changerent leur Cabane en un Palais, les établirent Prestres de leurs Divinitez, & leur ordonnerent de celebrer tous les ans la Visite que les Dieux avoient daigné leur rendre. À peine l’Operateur eût-il cessé de parler que Mr Mataut parut à la teste d’une douzaine des meilleurs Musiciens du Roy, vêtus en Prestres & Prestresses couronnez de fleurs & ornez de guirlandes. Mademoiselle des Enclos & Mr Bastaron qui representoient Baucis & Philemon chanterent les paroles suivantes. Les Chœurs, & l’Accompagnement, étoient composez de Mrs Buterne, Visée, Forcroy, la Fontaine, le Peintre pere & fils, Desjardins, Pieche, Descosteaux, Mademoiselle le Peintre, &c.

SCENE I.
PHILEMON, BAUCIS.

BAUCIS.

O mon cher Philemon que mon ame est contente
Je rapelle sans cesse un charmant souvenir
Du moment fortuné qui nous vit obtenir
 Une faveur si rare & si constante.
Les jours les plus sereins, les Astres les plus doux
 Ne luisent que pour nous.

PHILEMON, BAUCIS.

Les jours les plus sereins, les Astres les plus doux
 Ne luisent que pour nous.

BAUCIS.

Jupiter & son Fils, par leur bonté suprême,
Ont visité les plus simples mortels,
Nostre Cabane estoit en ce lieu même
 Où l’on revere leurs Autels.
Nous déguisant leur divine presence
 Ils se sont offerts à nos yeux ;
Des soins remplis d’innocence,
Un cœur pur & sincere ont touché ces grands Dieux,
Et sur nous, tous les jours ils font tomber des Cieux
  De leurs biens l’heureuse abondance,
De leurs dons l’éclat precieux.

PHILEMON BAUCIS.

 Toujours quelque faveur nouvelle
Prévient nos vœux, honore nostre zele.

PHILEMON.

Je croy l’entendre encore cette puissante voix
 Du Dieu qui lance le Tonnere
Commander à ces Murs de sortir de la terre,
Je voy nostre Cabane obeïr à ses Loix,
Le chaume disparoistre, ma pauvre Bergerie
 Devient une ample Gallerie ;
Une vielle Mazure enfante en un moment
 Un magnifique appartement.
Vivez, dirent alors ces Deïtez propices,
Vivez heureux, vivez en paix ;
 Soyez nos Prestres desormais ;
Offrez nous en ces lieux de justes Sacrifices ;
Et vous & vos Enfans, celebrez à jamais,
Nostre puissance & nos bienfaits.

BAUCIS PHILEMON

Celebrons à jamais, celebrons à jamais,
Et leur puissance & leurs bienfaits.

SCENE II.
PRETRES, PRETRESSES, BAUCIS PHILEMON.

PRETRESSES.

Dans nos Vallons, sur nos Montagnes
Mille rayons s’élancent des Cieux,
Tout refleurit dans nos Campagnes :
Le vif éclat qui brille dans ces lieux,
Semble annoncer la presence des Dieux.

PHILEMON.

Voicy le jour de nostre grande Feste,
Voicy le jour pompeux & fortuné
 Au Sacrifice destiné.
Ministres de ces Dieux venez tous qu’on s’apprête,
Voicy le jour de cette grande Feste,
Où nous celebrons tous les ans,
La gloire & les bontez de ces
 Dieux bien-faisans.

Pretres et Pretresses.
Trio.

Toujours à nos vœux favorable
 Grand Dieu reçois l’encens,
Que t’offre un zele veritable.
Toûjours à nos vœux favorable
 Grand Dieu reçois l’encens
 Que t’offre un zele veritable,
 Que t’offrent des cœurs innocens.
Détourne loin de nous ton courroux redoutable,
 Grand Dieu reçois l’encens
 Que t’offrent des cœurs innocens.

BAUCIS.

Celle qui regne aussi sur ces voûtes brillantes,
 À l’envi de son Epoux,
 Se plaist à répandre sur nous
 Mille faveurs charmantes.
Par elle quelquefois ces lieux sont habitez :
Je sens à son aspect tous mes sens enchantez :
Toûjours à mon esprit ses bontez sont presentes
 Chantez, Junon, mes Compagnes, chantez,
 Chantez sa gloire & ses bontez.

Prestres, Prestresses.

O, souverain des Dieux, ô suprême Déesse
Que le nœud qui vous joint se resserre toûjours.
Que l’Olimpe avec nous marque son allegresse ;
 Que les Graces, que les Amours
 Redoublent tous les jours
 Vostre vive tendresse ;
Et recevez toûjours sur ces mêmes Autels
Les vœux que nous offrons à vos noms immortels.

GRAND CHOEUR.

Lieux fortunez, témoins de leur magnificence ;
 Retentissez, répondez à nos voix :
 Repetez mille & mille fois
 Nos vœux, nostre reconnoissance,
 Repetez mille & mille fois
 Nos vœux, nostre reconnoissance ;
 Retentissez, répondez à nos voix.

Il n’y eut pas deux avis sur la composition & sur l’execution de la Musique & tout le monde avoüa que Mr Mataut s’estoit surpassé tant pour l’expression des paroles & l’excellence de la Musique chantante, que par les airs admirables de Violon, dont la Musique chantante estoit entremeslée. Aprés ce petit Opera qui dura environ une heure, L’Operateur fit encor sauter son Paysan. Ensuite de quoy leurs Altesses Serenissimes allerent souper & les plaisirs de la soirée furent terminez par un Feu d’artifice que Mr de Malezieu avoit fait preparer dans son Jardin.

[Les deux fils de Milord Duc de Perth, s’attirent de grands applaudissemens dans une Tragedie joüée au College de Navarre] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 322-325.

En vous parlant de Spectacles, je ne dois pas oublier de vous dire que les deux fils de Mr le Duc de Perth, Gouverneur de Sa Majesté Britannique, ont joüé dans une Tragedie qui a esté representée au College de Navarre pour la distribution des Prix, & qu’ils y ont reçu des applaudissemens extraordinaires, l’un dans le rôle de l’Empereur Aurelian, l’autre dans celuy de Pallian, son Favory. Ces jeunes Seigneurs firent voir par la maniere dont ils entrerent dans les rôles qu’ils representoient, qu’il ne leur manqueroit rien pour joüer un jour avec esprit sur le Theatre du monde, les rôles qui conviennent à des personnes de leur rang. Ils n’y feront point de faux pas s’ils suivent l’exemple de Milord Duc de Perth, leur Pere, le merite & la sagesse de ce Duc sont connuës, & le choix qu’on a fait de luy pour luy confier l’éducation d’un jeune Monarque qui fait déja l’admiration de tous ceux qui ont eu l’honneur de l’aprocher ou d’en entendre parler, sont des preuves d’autant plus convaincantes du profond merite de ce Duc, de la bonté de son cœur, de la droiture de son esprit, ainsi que de sa grande sagesse, que toute l’Europe a d’autant plus les yeux ouverts sur le jeune Monarque qu’il a soin de former, qu’il paroist que c’est par ses vertus, & ses grandes qualitez qui sont déja au-dessus de son âge, qu’il doit monter sur son Trône. En effet tous les Anglois qui ont vû ce Prince ou qui ont entendu parler de son esprit, de sa douceur, & de ses manieres honnêtes, ont fait voir qu’ils en estoient charmez. Vous ne devez pas regarder ce que je vous dis de ce Monarque comme des paroles & des loüanges données sans fondement, puisque plusieurs articles de mes lettres en font foy, & que je n’ay rien avancé sans preuves.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 325-326.

En parlant d’un jeune Souverain, dont les vertus croissent avec les années & qui devient chaque jour les délices de tous ceux qui le voïent, je puis ajouter qu’il a souvent l’avantage d’avoir devant les yeux un si grand Monarque que les jaloux mesmes de sa gloire ne peuvent s’empêcher de l’admirer. Ses Sujets adressent souvent pour luy des vœux au Ciel : vous en trouverez dans les paroles suivantes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Arbitre Souverain du monde, doit regarder la page 326.
Arbitre Souverain du monde !
Toy qui formas Louis pour modelle des Rois
Rend le victorieux sur la terre & sur l’onde,
Tout sera soumis à tes loix.
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[Article concernant tout ce qui s’est passé tant à la Cour qu’à Paris, & en diverses Villes du Royaume, à l’occasion de la naissance de Monsieur le Duc de Chartres] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 337-366.

J’ay differé à vous parler de la naissance de Monsieur le Duc de Chartres, afin de pouvoir rassembler en un corps tous les articles qui regardent cette naissance. Madame la Duchesse d’Orleans accoucha heureusement à Versailles le 4. d’Aoust sur les 8. heures du soir, Monseigneur le Duc de Berry fut envoyé pour assister à cet accouchement où les Princes & les Princesses du Sang se trouverent. Le nouveau Prince fut aussitost ondoyé par Mr l’Abbé de Grancey ; premier Aumônier de Monsieur le Duc d’Orleans. Le bruit de la naissance de ce Prince se répandit aussitost dans tout Versailles. On fit des feux au Pavillon de Monsieur le Duc d’Orleans, & il y eut beaucoup de vin répandu. Il y avoit à peine deux heures que Mr le Duc de Chartres estoit au monde que l’on commença à faire des feux de joye dans beaucoup de quartiers de Paris & sur tout dans celuy du Palais Royal, dont toute la Corniche de la façade fut remplie de flambeaux de poing. Le Balcon fut remply de Trompettes, & de Timbales, il y eut deux grands feux dans la place & plusieurs pieces de vin y furent buës à la santé de Mr le Duc de Chartres. Toutes les fenestres du quartier S. Honoré furent illuminées, ainsi que le dedans du Palais Royal. Ces divertissemens durerent jusqu’à trois heures du matin.

Le lendemain le Te Deum fut chanté à Saint Cloud, au Convent des Urselines & à la Chapelle du Chasteau où les trois Princesses assisterent. Elles descendirent ensuite à la Cascade où l’on avoit dressé une grande collation, composée de quantité de Corbeilles remplies de toutes sortes de fruits, & de tout ce qui peut servir à une collation magnifique. On servit toutes sortes d’eaux en abondance & le vin de Champagne ne fut pas épargné. Cette collation estoit pour les personnes distinguées qui se trouverent alors à Saint Cloud. Il y avoit outre cela pour toutes sortes de personnes, quantité de grosse viande, sçavoir des gigots à la braise, des poitrines de veau en ragoust, & d’autres mets semblables & des pieces de vin que l’on tiroit par les deux bouts. On mangea au bruit des Timbales, & des Trompettes. On tira ensuite un Feu d’artifice dans le Château qui estoit toute illuminé, ainsi que toutes les grilles : tous les habitans du Bourg firent des feux, & rien ne peut égaler la vivacité de leur joye. Mr le Duc de Chartres ayant esté mené à Saint Cloud, y doit demeurer jusqu’aprés le voyage que la Cour doit faire à Fontainebleau, & doit ensuite estre amené à Paris. Monsieur le Duc d’Orleans reçut dés le lendemain de la naissance de ce Prince un Brevet de cinquante mille écus de pension pour Mr le Duc de Chartres, la foule de ceux qui ont esté voir ce Prince à Saint Cloud tant de Versailles que de Paris a esté grande. La joye de sa naissance a esté universelle, & Monsieur le Prince témoigna à Madame d’une maniere si vive & si touchante, celle qu’il ressentoit, que cette Princesse qui en fut charmée en eut une joye presque égale à celle qu’elle venoit de ressentir de la naissance de son petit fils.

Tous les Ambassadeurs, & Ministres Etrangers qui sont ici ont eu audiance au Palais Royal de Monsieur le Duc d’Orleans pour le feliciter sur la naissance de Monsieur le Duc de Chartres, ils ont esté conduits par Mr Aubert Introducteur des Ambassadeurs auprés de Son Altesse Royale. Toutes les Compagnies des villes de l’apanage de ce Prince, ont eu le même honneur, & ont esté à Versailles chez Madame la Duchesse d’Orleans. Le Lieutenant general, & les Officiers du Presidial d’Orleans ont fait leurs complimens au Palais Royal. Le Maire, les Echevins, & les Officiers de la Prevosté ont eu separément audiance & ont esté presentez par Mr Aubert. Ils ont aussi esté à Saint Cloud voir le jeune Prince, où ils ont donné des marques de leur profond respect & de leur attachement pour ce Prince. Mr Boilleve, Lieutenant de l’Election d’Orleans & Deputé de son Corps eut aussi l’honneur de faire compliment à Son Altesse Royale, au Palais Royal.

Pendant que tous ces Députez faisoient leurs complimens, le Maire & les Echevins d’Orleans ayant fait sonner le Beffroy, & donné l’ordre de fermer les Boutiques, tous les Tribunaux de la Ville vacquerent. Le Te Deum fut chanté dans l’Eglise Cathedrale, où tous les Corps de Justice, l’Université & la Ville assisterent, les Boëttes furent tirées sur les sept heures du soir, les dix Compagnies Bourgeoises composées de plus de dix mille hommes se mirent sous les armes, & s’assemblerent dans les Places publiques, lestement vêtus & bien armez. Le Maire & Echevins avoient fait preparer un Feu dans la grande Place du Martroy, dans laquelle se rendirent toutes les Compagnies Bourgeoises. Sur les neuf heures du soir, Mr de Bouville, Conseiller d’Etat & Intendant fut prié d’allumer le feu, & quoy qu’il soit incommodé, il se rendit sur la place à la teste du Corps de Ville, accompagné de la Noblesse, & des Officiers les plus considerables, & au bruit des acclamations du Peuple & des Tambours, Hautbois, & Trompettes, & d’une salve de toute la mousqueterie & des Boëttes, il fut allumé. De maniere que toute la Ville parut en feu, tant à cause des illuminations de toutes les fenestres, que des feux que les Bourgeois avoient allumez en particulier. Les clochers des Eglises furent illuminez, vingt douzaines de fusées volantes, & plusieurs autres sortes d’artifices firent paroistre l’air tout en feu. Il y avoit des Fontaines de vin dans les Places, où les Soldats & le Peuple burent à la santé du nouveau Prince. Les Compagnies défilerent devant Mr l’Intendant, ensuite de quoy il fut invité avec toute la Noblesse & les plus considerables de la Ville de venir à l’Hôtel de Ville, où on avoit préparé une collation magnifique, & toutes sortes de boissons & liqueurs. Les Dames s’y trouverent aussi, & ces divertissement durerent toute la nuit : de maniere que l’on peut dire qu’en general & en particulier, il ne s’est jamais vû de joye si complette & si universellement répanduë.

Monsieur le Duc d’Orleans avant fait sçavoir à la Ville de Chartres la naissance d’un Prince qui selon les plus ardens souhaits de cette Ville-là devoit porter le nom de Duc de Chartres, on députa Mr le President Nicole, ancien Lieutenant general, & Maire de la Ville, avec des Officiers du Presidial & de la Ville, pour en feliciter leurs Altesses Royales. Ils furent presentez à Versailles par Mr le Comte de Chastillon, Premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur le Duc d’Orleans. Ils dirent à ce Prince : Qu’il ne manquoit plus au bonheur de la Ville de Chartres, qui a l’honneur d’appartenir à Son Altesse Royale, que la naissance du jeune Prince qui fait aujourd’huy la joye de toute la France : mais plus particulierement celle de la Ville de Chartres, puisqu’elle luy renouvelle l’honneur qu’elle avoit déja eu de voir un Prince de son nom dans la Maison Royale. Qu’ils venoient en marquer leurs transports de joye & les acclamations des Peuples de toute la Province, & souhaiter à ce jeune Prince toutes les vertus heroïques dont le sang des Bourbons est la source feconde, & qu’il fust comme Son Altesse Royale, l’amour & les delices de la France.

Ils allerent ensuite chez Madame, à laquelle ils firent leurs complimens à peu prés en ces termes.

MADAME,

Nous venons reconnoistre que c’est à Vostre Altesse Royale que nous sommes redevables de l’honneur que nous avons de voir encore aujourd’huy dans la Famille Royale, un Prince du nom de nôtre Ville. C’est Vostre Altesse Royale qui a commencé à nous procurer ce glorieux avantage dont nous venons derechef vous rendre nos tres-humbles reconnoissances. Nous croyons ne pouvoir mieux nous en acquitter, qu’en faisant des vœux pour le jeune Prince & pour ses heureuses destinées. Nous souhaitons que le sang de nos Rois qui coule dans ses veines, meslé avec celuy de ces grands Empereurs vos illustres Ancestres, l’excite à devenir l’un des plus accomplis & des plus parfaits Princes de la terre.

Aprés on alla à Saint Cloud pour saluer le Prince nouveau né. Les Députez furent reçus au bas du grand Escalier par Mr Desbordes, Ecuyer de Mademoiselle, qui les a introduits par le grand Salon dans la Chambre du Prince. Madame la Comtesse de Maré le fit tirer de son berceau & presenter aux Députez, qui luy dirent ; qu’ils venoient à l’entrée de la belle carriere qu’il commençoit dans le monde, feliciter Son Altesse Royale, sur son heureuse naissance, à laquelle ils prenoient une tres-grande part, esperant qu’elle rendroit le nom de leur Ville tres recommandable, & qu’il la feroit connoistre un jour aux Peuples les plus éloignez, par le bruit de ses grandes actions, de sa valeur, & de ses rares vertus, qui s’augmenteront en croissant, par les soins de la sage & prudente Gouvernante, à laquelle son éducation estoit confiée. Madame de Maré répondit, Qu’elle informeroit Monsieur de Chartres quand il seroit plus avancé en âge, des respects que l’on luy rendoit.

Les Députez saluérent aussi Leurs Altesses Royales Mademoiselle, Mademoiselle de Chartres, & Mademoiselle de Valois, qui se trouverent toutes les trois dans la Chambre, & leurs souhaiterent chacune une Couronne qu’elles meritent par leur naissance & par leur beauté.

La Ville de Chartres prenoit trop de part à l’heureuse naissance du Prince qui porte son nom pour n’en donner pas de plus éclatantes marques que ces complimens : aussi si-tost qu’elle eût receu l’ordre qu’elle attendoit, elle fit annoncer le 18. d’Aoust au son des Hautbois, des Tambours, & des Trompettes, que le lendemain Dimanche on chanteroit un Te Deum dans l’Eglise Cathedrale. Toutes les Boutiques furent à l’instant fermées, & chacun par une loüable émulation se disposa à qui signaleroit le mieux son zele dans un si grand jour. Le Dimanche sur les quatre à cinq heures du soir, les Corps de Ville du Presidial, de l’Election, & les autres Corps de l’apanage de Monsieur le Duc d’Orleans se trouverent à l’Eglise. La Compagnie des cent Chevaliers du Vidame de Chartres proprement vêtus & armez, se rangerent des deux côtez de la nef pour arréter la grande affluence du peuple qui estoit accouru de toutes parts, & qui à peine y laissoit un vuide pour le Corps du Chapitre : on y entendit le Te Deum de la composition de Mr de Cabassolle Maistre de Musique de la Cathedrale, malgré le bruit qu’il est difficile d’empêcher dans une Ceremonie pareille. La Musique d’un si habile homme avoit toûjours esté trop bien goûtée pour n’attirer pas dans cette occasion toute l’attention qu’elle meritoit : elle fut écoutée avec plaisir, & generalement aplaudie ; le beau chant, le bon goût, la belle execution, tout enfin répondit à la dignité du sujet, & à la solemnité du jour ; le Te Deum chanté, & le Domine salvum, les cent Chevaliers accompagnerent le Corps de Ville dans la Place publique où le feu estoit dressé. Celui-cy fut comme le signal pour allumer ceux que chaque habitant avoit fait preparer à sa porte. Toute la Ville fut éclairée dans un moment, & toutes les maisons illuminées jusques aux toits ; on vit en plusieurs endroits couler des Fontaines de Vin ; un Particulier seul aussi galant que genereux, fit couler devant sa porte deux Fontaines toutes à la fois, une de Vin, & une de Cidre pour contenter les deux Sexes. La nuit, si on la peut nommer ainsi, tant elle estoit brillante, se passa dans la joye dont chacun marqua ses transports de diverses manieres ; les Tables où l’on soupa estoient placées entre les feux, dans toutes les ruës.

La santé du Roy, & celle de Monsieur le Duc de Chartres y furent souvent réïterées, & à plusieurs fois debout, tête nuë, au son des Hautbois, & au bruit des Boëttes, & ainsi se termina cette Feste.

Le Chapitre de Clery a été le premier qui a témoigné sa joye de la naissance de Monsieur le Duc de Chartres par un Te Deum, chanté solemnellement en Musique, où les Officiers de sa Justice assisterent en Robes ; ces actions de graces finies, on chanta un Motet pour remercier Dieu des benedictions qu’il luy a plû de verser sur la Famille Royale de Monsieur le Duc d’Orleans Fondateur & Patron de cette Eglise, ensuite de quoy le Clergé marcha en ordre, se rendit à la porte de l’Eglise, où le Feu estoit preparé ; il estoit suivy des Officiers de Justice d’une grande quantité de peuples, & des Compagnies sous les Armes, Tambours battans, & Drapeaux deployez ; ces Compagnies s’étant rangées, le Capitaine presenta le Flambeau à Mr le Doyen qui alluma le feu pendant que la Musique commença Exaudiat, lequel estant fini, le Clergé rentra en ordre dans l’Eglise, où il chanta devant l’Autel de la Vierge le Regina cœli lætare, invitant par ce salut la Patrone de cette Eglise, le Prince qui venoit de naître, les Compagnies joignant de leur part leurs vœux aux prieres du Clergé, firent plusieurs décharges pour marquer leur joye, & les peuples pour témoigner aussi la leur, accompagnerent cette ceremonie de cris de vive Monsieur le Duc de Chartres, & firent retentir tout le Bourg de leurs acclamations. Enfin le Chapitre voulant aussi contribuer à la voix publique, fit distribuer du Vin à tous ceux qui étoient dans la place : les Officiers qui estoient sous les Armes, trouverent aprés la ceremonie une collation preparée chez leur Capitaine par les ordres du Chapitre. Tous les Habitans firent allumer des feux, voulant à l’envy rendre des témoignages autentiques de leur joye.

Le Chapitre de Clery est tres-ancien ; sa premiere fondation fut faite en 1300. par Mr le Maréchal de Melun, Seigneur de la Sale, qui fonda cinq Prebendes, ausquelles le Roy Philippes le Bel en ajoûta cinq autres en 1303. temps auquel ce Roy se voüa à la Vierge : cette Eglise a esté rebâtie depuis, & augmentée par Loüis XI. en 1474. ce Monarque y fit plusieurs belles fondations, & établit cette Eglise ad instar de la Sainte Chapelle, accorda aux Chanoines les qualitez de ses Chapelains & Orateurs, il leur donna la Seigneurie de Clery qu’il erigea en leur faveur en Baronnie, leur accorda le franc salé, le droit de commitimus au grand & petit Sceau, & leur donna en tout droit de proprieté les cinq Vicomtez de Normandie en sorte, qu’ils se trouverent par ses largesses Chapelains du Roy, Barons de Clery, & Vicomtes de Normandie Charles VIII. les confirma dans tous leurs droits, dons & qualitez, à la reserve des cinq Vicomtez de Normandie qu’il retira ; laissant seulement au Chapitre le droit de Patronnage dans les Seigneuries dépendantes de ces cinq Vicomtez dont il jouit encor à present.

Ce Chapitre est composé de dix Chanoines, dont l’un est fait Doyen à la nomination de Monsieur l’Evêque d’Orleans, cinq de ces Canonicats dependent du Roy, & à present de Monsieur le Duc d’Orleans par droit d’appanage ; des cinq autres, quatre dependent de Mr le Duc de Beauvilliers, à cause de son Duché de Saint Aignan, la Seigneurie de la Sale estant confonduë dans ce Duché. Le cinquiéme dépend de Mr l’Abbé de Saint Mesmin à cause de la Cure qui est unie à ce Canonicat : tous prennent encor aujourd’huy la qualité de Chapelains d’honneur du Roy, & de Barons de Clery, ayant esté confirmez dans toutes leurs concessions par la liberalité de nos Rois : ce Chapitre a toûjours esté rempli de personnes de merite & de distinction, on y a vû des Evêques, des Abbez, & toûjours des Aumôniers ou Chapelains du Roy en des Maisons Royales.

Mr l’Abbé l’Archer a esté deputé de ce Chapitre pour faire compliment à Monsieur le Duc d’Orleans sur la naissance de Monsieur le Duc de Chartres, dont il s’est parfaitement bien acquité, il estoit à feu Monsieur, & il a l’honneur d’être à Monsieur le Duc d’Orleans. Je vous ay parlé plusieurs fois de cet Abbé, il est Licentié de la Faculté de Paris Prieur de Saint Felix, & Chanoine de Clery.

Les Interessez en l’exploitation des bois de la Forest de Retz, ont esté des plus zelez à marquer la part qu’ils prenoient à la naissance de Monsieur le Duc de Chartres : à peine en eurent-ils apris la nouvelle, qu’ils firent dresser devant le Bureau de leur Directeur, un grand Feu d’Artifice au milieu de deux feux de bois : ils firent mettre cent de leurs Ouvriers sous les Armes, conduits par leurs Commis de la Forest, & firent couler une Fontaine de Vin, afin qu’il ne leur manquât pas pour boire à la santé de Monsieur le Duc d’Orleans, & de Monsieur le Duc de Chartres.

Ces Messieurs dont je viens de vous parler firent faire des salves continuelles, & ils donnerent bal ; & une collation aux Dames : & afin que tous les Habitans du lieu pussent contribuer à la joye commune, ils accorderent tout le bois que l’on voulut pour faire un feu sur la Place publique, de sorte qu’une grande partie du jour & toute la nuit se passerent en rejouissances.

Mr le Duc d’Orleans aïant fait sçavoir la naissance de Mr le Duc de Chartres au Comté de Dommartin Diocése d’Avranches, on envoya aussi-tost des Lettres circulaires à tous les Curez de ce Comté, qui leur ordonnoient de faire des prieres publiques. Les Corps de la Ville de Dommartin donnerent des marques extraordinaires de leur joye. Les Chanoines du Chapitre de l’Eglise Collegiale de Mortain chanterent une Messe solennelle à laquelle tous les Officiers assisterent en Corps ; ils assisterent aussi aux Vespres & au Te Deum qui furent chantez solennellement, pour remercier Dieu de la grace qu’il venoit de leur faire en leur donnant un Prince, & de celle qu’il leur faisoit en conservant la santé de Son Altesse Royale. On alluma un Feu de joye, où les Officiers & les Chanoines assisterent, & le Chef de chaque Compagnie y mit le feu au bruit du Canon du Château, toute la Bougeoisie estant sous les Armes. Il y eut des illuminations à toutes les fenestres & des feux allumez devant toutes les maisons, on tira beaucoup d’Artifice, il y eut quantité de repas publics où l’on but à la santé de Son Altesse Royale au bruit de plusieurs décharges de Canon.

Enfin chaque particulier s’est empressé de donner des marques de la joye qui a esté vive & universelle dans tout ce Comté.

Le Clergé de Domfront a aussi fait chanter le Te Deum dans l’Eglise de S. Julien en action de graces de la naissance de Mr le Duc de Chartres, il y eut ensuite un Feu de joye où assisterent les Officiers de Justice & de Ville, avec la Bourgeoisie sous les Armes, chacun voulant marquer la joye que luy causoit cette agreable nouvelle.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 384-388.

L’Enigme du mois passé étoit une peinture des bouteilles de savon que les enfans font avec des chalumeaux ; on a pû en faire une Enigme, puisque l’on en a fait de fort belles pieces de Tapisseries, ceux qui en ont trouvé le mot sont, Messieurs Bardet & son amy du Plessis le fils de la ruë de la Verrerie, de Lechault le fils de la ruë Beautreillis, l’Abbé du Flot du quartier Saint André des Arts, le Marchand de Lyon, le plus petit des trois freres de la ruë de Savoye, Tamiriste & sa fille Angelique, le petit frere de la jeune Muse, qui a quitté le Parnasse, le Petit Mezetin, & son aimable Maîtresse, l’Infortuné Garnier vis-à-vis Sainte Croix de la Bretonnerie, Le Solitaire du Jardin de l’Hôtel de Soissons, & le Coureur Richar proche la Charité. Mesdemoiselles du Moutier de l’Arsenal la fille : La Presidente de l’Election de Chaumont & Magny : La plus belle de la Chambre des Comptes de Rouen : La Bergere Climene & son Berger Tircis de la Place Royale : L’aimable P. du quartier S. Leu, & son voisin sans nom, & Mademoiselle la Motte D.B. La belle Blonde infidelle de la ruë du Coq, & son Berger constant, Jean de Chalus : La Belle de la ruë du Plâtre, & le Beau Chevalier de la Perdrix : L’élite de clericature de la ruë Boudebrie, & son externe Perannois, La Poule menteuse de la ruë du Mail.

Quoique l’on n’observe gueres, ce qui est dépeint dans l’Enigme suivante, je crains pourtant qu’elle ne soit trop facile à deviner.

ENIGME.

Je regne en grand nombre de lieux,
Où mon regne est toûjours paisible :
Jamais qui que ce soit ne m’a vû de ses yeux,
Aussi suis-je tres-invisible.
Si je regne, ou plutost, si je ne regne point,
Par l’un des autres sens on peut bien le connoistre.
Je hais le monde jusqu’au point
Que l’on me trouvera bien plutost en un Cloistre.
Si, par l’antiquité, l’on doit estre estimé,
J’estois au monde avant que l’homme y fust formé,
Et si par une femme il perdit l’innocence,
Ce sexe me trahit tres-ordinairement ;
Car, souvent, sans se faire extrême violence,
Il semble qu’il ne peut me garder un moment.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 388-389.

Les paroles suivantes ont esté mises en Air par un Maistre dont la réputation est connuë.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Que je m’estime miserable, doit regarder la page 388.
Que je m’estime miserable
De ne pouvoir offrir qu’un cœur à vos appas.
Mille ne suffiroient pas,
Pour vous aimer autant que je vous trouve aimable.
images/1703-08_388.JPG

[Feste de Saint-Louis celebrée par l’Académie Françoise, & par celle des Sciences, des Inscriptions & Medailles] §

Mercure galant, août 1703 [tome 8], p. 389-392.

Le 25. de ce mois l’Academie Françoise celebra selon la coûtume, la Feste de Saint Louis Roy de France, dans la Chapelle du Louvre. On chanta pendant la Messe plusieurs Motets en Musique de la composition de Mr du Bousset, & le Panegirique de ce S. fut prononcé par Mr l’Abbé Miton. Il prit pour texte : Magnificus in sanctitate.

Il fit voir dans la premiere partie, les vertus heroïques sanctifiées par les vertus chrêtiennes ; & dans la seconde, les vertus chrestiennes élevées par les heroïques. Il fit plusieurs applications au Roy qui parurent tres justes, & tres naturelles au sujet, le cours de son discours fut tres-beau, l’éloquence y régna par tout, & les expressions en furent tres-nobles, & tres vives. Cet Abbé a infiniment d’esprit, & de cet esprit aisé & naturel qui plaist aux personnes de bon goust. Il est neveu de feu Mr Miton, connu d’une infinité de gens de qualité de son temps, & chez qui toutes les personnes de la Cour & de Paris, qui aimoient les belles Lettres, se rendoient souvent.

L’apresdinée l’Academie donna le Prix de l’Eloquence à Mr l’Abbé de Dromesnil, dont la Piece fut luë, & fort applaudie. L’Academie jugea à propos de remettre à l’année prochaine celuy de la Poësie, & Mr Toureil qui en est Directeur, en expliqua avec beaucoup d’esprit les raisons à l’Assemblée qui se trouva à cette distribution.

Le même jour, l’Academie des Sciences, & celle des Inscriptions & des Medailles, celebrerent la même Feste dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire, & le Pere Gaillard, Jesuite fit le Panegyrique du Saint avec son éloquence ordinaire. Il est des Predicateurs dont le nom seul suffit pour faire l’éloge de tout ce qu’il prononcent en Public, ainsi je ne vous diray rien d’avantage de ce Sermon. Les Motets qui furent chantez à l’Oratoire estoient aussi de Mr du Bousset.