1703

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1703 [tome 12].
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Mercure galant, décembre 1703 [tome 12]. §

[Landau au Roy] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 5-14.

Je ne doute point que le commencement de ma Lettre ne vous plaise, la gloire en est duë à l’Auteur des Vers que vous allez lire.

LANDAU AU ROY.

Grand Roy, dont la sagesse enchaînant la Victoire
Te couvre chaque jour d’une nouvelle gloire,
Dans les justes transports du plaisir le plus doux
Je viens avec respect embrasser tes genoux,
Et baiser mille fois cette main triomphante
Qui vient de rompre enfin ma chaîne trop pesante.
Quand on s’est vû soumis au plus sage des Rois,
Grand Prince, qu’il est dur de subir d’autres loix !
Je puis en rendre, helas ! un triste témoignage,
De tes augustes mains j’estois l’heureux ouvrage,
J’avois place en ton cœur, j’attirois tes regards,
Tes ennemis trembloient en voyant mes remparts,
Je benissois mon sort. On s’agite, on conspire,
Je vois prés de mes murs s’assembler tout l’Empire,
On marche, on me surprend, on m’entoure avec soin,
Soldats, munitions, tout me manque au besoin.
Ha ! que ne fis-je point pour écarter la foudre,
Qui mettoit chaque jour mes deffenses en poudre.
Trois fois l’Astre du jour fit changer les Saisons,
Et dans son cours brillant parcourut cinq maisons,
Mille fois de la nuit la celeste courriere
De son frere éclipsé recueillit la lumiere,
Et toûjours on me vit les armes à la main,
Rompre les vains efforts du superbe Germain.
Je ne ceday qu’au temps, & qu’aux loix de la guerre,
Le salpêtre manquant fit cesser mon tonnerre.
Qu’il m’en coûta, Grand Roy, de soupirs & de pleurs !
Je me flattois pourtant dans mes vives douleurs.
Quoy, disois-je en moy-même, un Roy si formidable,
Verroit sans s’ébranler le malheur qui m’accable ?
Sans doute il marchera, Germains soyez confus,
Mes liens tomberont, avant qu’on les ait vûs.
Le Printemps aux Guerriers entr’ouvrant la carriere
À peine aux grands exploits preparoit la matiere,
Qu’un Prince en qui ton Sang allume chaque jour
Pour la plus belle gloire un genereux amour,
Du plus grand des Heros vive & brillante image,
Remply de ta sagesse, armé de ton courage,
Qui courant sur tes pas se presse d’achever
Les exploits que ta main voulut luy reserver.
Ce jeune Conquerant s’avance par ton ordre,
Il marche, & son nom seul met l’Empire en desordre ;
L’ennemi plein d’effroy cherche où se retirer,
Le Rhin mis entre deux ne peut le rassurer.
Germain, criay-je alors, dans l’excés de ma joye,
Adieu, voici mon Maistre, il faut rendre ta proye.
Mais le moment, helas ! marqué par le Destin
Ne devoit pas encor à mes maux mettre fin.
Le Heros m’abandonne, & méprisant mes larmes
Porte loin de mes murs la terreur de ses armes.
J’apprens que de Brisac le Roc audacieux
Va servir de Theatre à ses faits glorieux.
Brisac oppose en vain ses deffenses si fortes,
À ce Vainqueur bientost il voit ouvrir ses portes.
Rocher trop fortuné d’où te vient cet honneur ?
Par où meritois-tu d’occuper sa valeur ?
Pourquoy n’estois-je pas les illustres premices
D’un bras qui m’eust vaincu sous les mêmes auspices,
J’estois son heritage, & dans mon triste ennuy
Accablé de mes fers je soupirois pour luy.
On n’eut pas vû le sang inonder mes campagnes,
Et de morts entassez s’élever des montagnes :
Mes murs à son aspect se seroient ébranlez,
Mes pâles deffenseurs auroient esté troublez,
Et l’Allemagne ouverte à ses nobles conquestes,
Eut offert de lauriers des moissons toutes prestes.
Mais oublions enfin le passé qui n’est plus,
Je rentre sous tes loix, & mes fers sont rompus.
Ha ! si jamais j’en sors, que le Rhin dans sa course
Fuyant loin de la mer remonte vers sa source.
Assemblez-vous, Germains, dans vos fougueux transports,
Que l’Empire irrité redouble ses efforts.
Batave amene icy cet horrible tonnerre
Qui fait gemir le ciel, qui fait trembler la terre,
Jusqu’au dernier soupir, jusqu’au dernier Soldat,
Je deffendray des murs, qui deffendent l’Etat,
Et las de tant d’assauts, & d’efforts inutiles
On vous verra confus retourner dans vos Villes.
Que dis-je ? quand je vois l’Empire consterné,
À ton juste courroux son peuple abandonné,
Tes ennemis vaincus, le Batave en allarmes,
L’élite des Germains expirant sous tes armes,
Le Rhin teint de leur sang, & ce fameux secours
Par ses milliers de morts l’arrestant dans son cours.
Quand je vois l’Univers trembler sous ta puissance,
Redouter ta valeur, admirer ta prudence,
Sous tes coups redoublez quand je vois tout pâlir,
Dois-je craindre, Grand Roy, qu’on ose m’assaillir ?

T****

[Relation envoyée de Namur] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 14-43.

Je vous envoye la Relation suivante de la même maniere qu’elle m’a esté donnée.

À Namur le 25. Novembre 1703.

Son Altesse Serenissime Electorale de Cologne ayant reçû la nouvelle de l’importante Victoire, que Son Altesse Electorale de Baviere, son Frere, a si glorieusement remportée à Hochstet le 20. du mois de Septembre dernier, sur l’Armée du Comte de Stirum, en voulut d’abord témoigner sa joye par des Feux d’Artifice, des Inscriptions, Devises, Illuminations, Fontaines de Vin, & d’autres marques publiques de réjoüissance, qui se donnent en pareille occasion : mais le temps n’ayant pas permis alors de faire assez-tôt tout ce qu’Elle avoit ordonné pour cela, on a differé cette Fête jusqu’à ce que les Armes des deux Rois, ses Alliez, eussent remporté quelqu’autre avantage, & fait quelque nouvelle Conquête, esperant bien que le Tout-Puissant ne manqueroit pas de continuer à benir de tous les côtez la juste cause qu’Elles soûtiennent.

La Victoire signalée que Monsieur le Maréchal de Tallard vient de remporter proche de la petite Hollande, vis à vis de Philisbourg, où il a battu le 15. de ce mois les Ennemis, qui venoient pour tenter le secours de Landau, & la nouvelle que l’on a reçûë, que cette importante Place avoit demandé à capituler le même jour, en ont fourni une trop belle occasion pour la négliger, & dés qu’on en a esté informé, on a disposé toutes choses en la maniere suivante ;

On éleva dans la Cour du Gouvernement de cette Ville, où loge S. A. S. E. trois Machines, ou Représentations differentes, dont on donne ici l’explication pour satisfaire la curiosité du Public.

L’une de ces trois Machines étoit destinée pour le feu d’Artifice, elle estoit placée du côté du Jardin, & faisoit face à la grande Gallerie. Elle representoit une fort grande Caisse fleur-délisée d’où sortoit un Laurier, au pied duquel estoit un Trophée, composé d’un assemblage confus de toutes sortes d’Armes, & d’un mélange agréable de Drapeaux & d’Etendarts des deux Rois, & des deux Electeurs leurs Alliez, avec ces mots.

Auget Vis Juncta Triumphos.
La force unie augmente les Triomphes.

Au haut de l’Arbre on voyoit le Buste de Louis le Grand couronné de Laurier par deux Renommées, qui au son des Trompettes annonçoient les Victoires & les Conquêtes de cet Invincible Monarque.

On ne vit dans les commencemens, que cet Arbre seul, sans qu’il y parut autre chose : Mais aprés un déluge de Fusées, & de Serpentaux imitant la foudre, qui tomberent sur lui de toutes parts, sans que le Laurier, qui brave la tempête, en pût être endommagé ; Ce même Arbre, dont les branches ne sont veritablement destinées, qu’à couronner les Heros, fit paroître tout d’un coup les glorieux fruits, qu’il porte, c’est à dire les divers avantages que les deux Couronnes & leurs Alliez ont remporté pendant le cours de cette année ; entre lesquels il y a quatre Batailles gagnées, & trois Places considerables prises, avec ces paroles en lettres de feu.

Fructus hi fulmina spernunt.
Ces Fruits bravent la Foudre.

Et au plus haut de cette Machine paroissoit le Soleil tout en feu, avec la Devise ordinaire de Sa Majesté Tres Chrétienne, qui est

NEC PLURIBUS IMPAR.

À l’opposite de ce feu d’Artifice, du côté de la grande Gallerie, étoit placée une espece d’Obelisque de quarante pieds de haut, de l’Ordre Ionique, dont les Colonnes estoient entourées de branches de Laurier, & qui avoit pour fondement un rocher inebranlable, pour marque de la solidité de l’Alliance des deux Rois avec les deux Electeurs, & de la fermeté de ces Augustes Alliez.

Au bas de l’Obelisque, & sur le haut du Rocher qui lui servoit comme de base, le Fleuve du Danube paroissoit, & sembloit admirer les beaux exploits, qui se sont faits depuis peu sur ses bords ; il estoit accoudé sur son Urne, d’où sortit une Fontaine de Vin, qui coula abondamment pour tous ceux generalement, qui en voulurent prendre. Au dessous estoit la Devise ordinaire de S. A. S. E. qui est un Rocher batu des vents & des ondes sans en estre ébranlé, avec ces mots à l’entour.

RECTE, CONSTANTER et Fortiter.

On sçait que la Bataille de Hochstet a esté donnée le 20. Septembre, c’est à dire dans le temps précisement que le Soleil entroit dans le signe de la balance. C’est ce qu’on avoit particulierement voulu marquer dans l’Illumination, qui estoit au haut de cet Obelisque où estoit representé partie du Zodiaque, avec le Soleil qui se joignoit à la balance, pour signifier que Sa Majesté Tres-Chrestienne, qui a ce bel Astre pour Devise, ne combat que pour la Justice, dont la balance est le Simbole, quand il soûtient les Droits incontestables du Roi Philippe V. son petit Fils, & que Dieu par consequent, qui est tout juste & tout bon, a bien voulu permettre, que cette grande Action se soit passée dans ce temps-là, pour annoncer par tout la Justice, qui accompagne leurs Armes triomphantes. C’est ce qui estoit marqué par l’œil de la Providence avec ces paroles du Pseaume 96. Vers. 6.

Annuntiaverunt Cæli Justitiam eius.
Les Cieux ont annoncé sa Justice.

Et par celles-ci du Pseaume 49. Vers. 6.

Quoniam deus Judex est.
Parce que Dieu est le Juge.

Au sommet de cette Machine estoit élevé le Buste de Sa Majesté Catholique, sur lequel la Justice & la Victoire mettoient la Couronne d’Espagne avec ces mots de Saint Paul dans un grand rouleau, qui voloit de l’une à l’autre.

Reposita est mihi Corona Justitiæ, quam reddet mihi dominus Deus iustus Judex. 2. Ad Tim. 2. c. 4, v. 8.

On m'a remis la Couronne de Justice, que le Seigneur, qui est un Juge équitable, me rend.

Mais l’intention de tous ces apprests, & le dessein de cette Machine estoit plus amplement exprimé dans la grande Inscription qui estoit au milieu des Colonnes, dont cet Obelisque étoit soutenu, & que l’on insere ici de mot à mot pour la satisfaction des Curieux.

LUDOVICO MAGNO
JUSTITIÆ VINDICI,
ADVERSUS USURPATORES INJUSTOS,
TUENTI
GLORIOSISSIMUM NEPOTEM SUUM
PHILIPPUM V.
IN MONARCHIA Hispanica
Justum CAROLI II. Successorem :
ADJUVANTE
MAXIMILIANO EMANUELE
ELECTORE UTRIUSQUE Bavariæ Duce,
PERICLITANTIS GERMANICÆ LIBERTATIS ASSERTORE,
Statis non procul Danubio Hostibus
IN VIGILIA ÆQUINOCTII.
SOLE LIBRAM PREHENSANTE
HOC
TRIUMPHANTIS JUSTITIÆ MONUMENTUM
Et quidem in terra aliena positum fuit.
A JUSTO
UTRIUSQUE REGIS & Electoris præfati
ÆSTIMATORE
PRESSO QUIDEM, ET NUNQUAM oppresso
QUIBUS ITA PORRO agentibus,
IN PROPRIIS PRINCIPATIBUS suis injuste ablatis
ACTUTUM RESTITUI sperat,
AUSPICE DEO,
Faventibus Superis,
ET
Assistente Justitiâ,
PRO QUA
UT CAUTES MARPESIA procellis & fulmine,
Ita princeps adamante Constantior
Ioseph Clemens asper Is Lœdi non potest.

L’autre Machine estoit directement au-dessus de la porte, en entrant dans la Cour, & representoit un Lion qui estoit assis au plus haut d’un Rocher, sous un Pavillon aux Armes de Baviere, tenant d’un côté une épée, & de l’autre un Etendart, où on lisoit ce Chronographe, aussi heureusement trouvé, qu’il est juste dans ce qu’il exprime.

Læsæ Libertatis germanicæ Defensor,

Plusieurs Quadrupedes, dont le Lion est le Roi, estoient au bas du Rocher, qui excitez par l’envie & animez par la jalousie, tâchoient de l’assaillir de toutes parts jusques sur son Trône : Mais le Lion Bavarois, aussi sage qu’intrepide, méprisoit leur vaine rage, & rompoit tous leurs efforts : Et comme effectivement dans l’occurrence presente la Serenissime Maison Electorale de Baviere est la seule, qui par des vûës dignes de son Sang, & de la Nation Germanique soûtienne ouvertement les Droits des Electeurs, Princes & Etats de l’Empire, que sous des pretextes chimeriques on veut fouler aux pieds, on fait avec justice à cette Auguste Maison aussi bien qu’à la liberté de l’Allemagne, dont il s’agit en cette rencontre, principalement de la part des deux Electeurs, l’acclamation tirée du Pseaume 109. Vers. 3.

DOMINARE IN MEDIO inimicorum tuorum.

Les Timbales & les Trompetes, pendant tout le feu d’Artifice, se firent entendre sur le Balcon, où cette Machine estoit posée, d’où l’on jetta au Peuple du pain, & des Medailles d’argent, qui representent d’un costé S. A. E. de Baviere en Buste, avec ces mots à l’entour :

MAX. EMANUEL. UTR. bav. dux S. R. I. Elector.

Et au revers le même Chronographe, dont on a déja parlé ;

Læsæ Libertatis germanIcæ Defensor.

Toutes les Arcades qui soûtiennent les Galeries du Gouvernement estoient ornées de verdure, avec un Cartouche à chacune, dans lequel par des Devises ingenieuses, on avoit voulu exprimer le zele sincere & le fidelle attachement que les deux Serenissimes Electeurs de Cologne & de Baviere auront toûjours pour les interêts des deux Couronnes maintenant heureusement attachées à la Maison Royale de Bourbon, à laquelle l’Empire doit le rétablissement de ses droits, prerogatives & libertez depuis la Paix de Westphalie.

Voicy les seize Devises ou Emblêmes, qui occupoient les seize Arcades de cette Cour.

1. Un Girasol, qui se tourne du côté du Soleil, avec ce mot,

SOLI.
Au Soleil.

2. Une Perle dans une coquille, que les rayons du Soleil blanchissent.

HINC LUSTRUM ET PRETIUM.
Elle en tire son lustre & sa valeur.

3. Un Soleil levant, qui chasse les astres de la nuit :

SOLUS SUFFICIT,
Luy seul suffit.

4. Un Soleil qui dissipe les nuës dont il étoit obscurci.

ILLUMINAT ET DISSIPAT.
Il éclaire & dissipe tout ce qui s’oppose à lui.

5. Un Lion qui en regardant le Soleil reçoit de nouvelles forces.

HINC CONCIPIT ÆSTUM.
C’est de là qu’il reçoit sa force & sa chaleur.

6. Un Icare, qui pour s’être trop approché du Soleil avec des aîles de cire, est puni par une prompte chûte de sa temerité.

PROPIOR ACCESSUS FIT CADENDO REGRESSUS.
Il tombe pour s’en être approché de trop prés.

7. Un Diamant que l’on brillante.

PERDENDO PRETIUM ACQUIRO.
En perdant je rehausse de prix.

8. Un Palmier sur lequel tombe une grêle de pierres.

PREMOR NON OPPRIMOR.
Je suis oppressé, mais non pas opprimé.

9. Une Autruche qui avale le fer.

QUOD MIHI CARUM, NON MIHI DURUM.
Ce qui m’est cher, ne me fait point de peine.

10. Un Roseau, que le vent fait plier.

FLECTIT NON RUMPIT.
Il plie, mais il ne rompt pas.

11. Un Ours blessé d’une flêche.

VULNERATUS FEROCIOR.
Sa blessure le rend encore plus feroce.

12. Un Ours qui léche une Ruche d’où plusieurs Mouches à miel sortent pour l’attaquer.

PATIOR UT POTIAR.
Je souffre pour parvenir à mon but.

13. Un Arbre verd en tout temps.

CITIUS MORI QUAM MUTARI.
Plutôt mourir que de changer.

14. Un Balon poussé en l’air avec un brassart.

MAGIS PERCUSSA, MAGIE LEVABOR.
Plus je suis frapé rudement, plus je m’éleve.

15. Un Flambeau renversé, dont la flame se releve avec plus de force.

DEPRESSA ELEVOR.
Quoique renversée, je m’éleve.

16. Un Flambeau que le vent veut éteindre.

CONSUMPTA PRIUS QUAM EXTINCTA.
Plutôt consumé qu’éteint.

Toute la Cour fut illuminée de Flambeaux & de Lampes, & l’on servit dans la grande Gallerie une Collation magnifique pour la Noblesse, où l’on joignit un Concert de Voix & d’Instrumens, qui succeda agréablement au bruit éclatant de l’Artillerie, de la Mousqueterie & des Feux d’Artifice, & à l’harmonie Guerriere des Trompêtes, des Timbales & des Tambours.

[Description de la maison de Meudon] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 69-87.

Je ne vous dis rien de l’ouvrage qui suit, vous sçavez qu’il s’étoit attiré de grandes loüanges avant la traduction qui vient d’en estre faite. Il n’a rien perdu de ses beautez dans cette traduction.

DESCRIPTION DE LA MAISON ROYALE DE MEUDON,
DEDIÉE
À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
Traduite d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, par Mr l’Abbé du Jary.

Une douce force m’attire
En de charmans & superbes jardins,
Où sur des Monts fleuris des Etoiles voisins
S’arreste le flateur Zephire.
Là, suivi par la fleur d’une brillante Cour,
NostreDauphin, des Peuples l’esperance,
Digne objet des vœux de la France,
Vient goûter les douceurs d’un champestre séjour
Dans un repos plein d’innocence.
Nymphes Hotesses de ces lieux,
Qui souvent d’un œil curieux
En avez admiré les beautez & les graces,
De vos plaisirs faites part à mes yeux,
Et laissez moy parcourir sur vos traces
Ce Palais si delicieux.
Guidez-moi dans Meudon, pour voir dans son enceinte
Tout ce qu’il renferme d’appas ;
Et parmi les détours d’un si beau labyrinthe,
Qu’en marchant avec vous je ne m’égare pas.
Prés des murs qu’arrose la Seine,
S’éleve un mont fameux qui domine la plaine :
Il est couvert d’un bois, dont les épais rameaux
Dérobent au Soleil leurs ombrages tranquilles,
Et dédaignant de rustiques hameaux,
Commande avec orgueil à la Reine des Villes.
Un travail, noble effort d’un million de mains,
Y rassembla de terre une superbe masse.
Ce prodige de l’art étonnant les humains,
Y fait régner une longue Terrasse,
Dont le sommet ambitieux
Dans mon esprit rappelle
L’orgueil de ce Geant à Jupiter rebelle,
Qui pour escalader les Cieux,
D’Ossa sur Pelion fit une énorme échelle.
C’est sur ce double mont qu’encor plus élevé
Par des colomnes magnifiques,
Un Palais soutenu de superbes portiques
Offre de la structure un modele achevé.
Sous ses lambris cet édifice étale
De l’Univers les plus riches thresors.
Je crois y voir tout l’or de Midas & d’Attale,
Et que l’Inde & le Tage ont appauvri leurs bords
Pour enrichir cette Maison Royale,
Où la Terre des Cieux semble estre la Rivale.
L’aiguille, qu’a conduit une sçavante main,
A retracé dans un lointain
De nos Augustes Rois les Palais magnifiques,
Qui parmi les forêts montrent leurs tours antiques.
L’heureux mélange des couleurs
Et de la laine & de la soye,
Y peint Diane avec ses Sœurs
Qui suit au son du cor une timide proye,
Et le Cerf effrayé des confuses clameurs,
Que mêlent au cri des Chasseurs
Les Chiens qui courent sur la voye,
Dont la meute nombreuse avec grand bruit abboye.
C’est là que le travail du delicat pinceau,
Et les chef-d’œuvres du cizeau
Forment le riche amas de tout ce que desire
Le Voyageur des beautez curieux,
Et l’esprit étonné doute si l’œil admire
Le Palais d’un mortel, ou le séjour des Dieux.
Un lambris de cristal, par de vives images,
Multiplie aux regards les rians païsages
De ces lieux enchantez :
Les bois & les vallons y sont représentez.
L’œil trompé de la Seine y croit voir les rivages.
Un portique à mes yeux offre de toutes parts
L’affreuse image de la guerre,
Le Monarque des Lys dans l’appareil de Mars,
Et des Citez les orgueilleux remparts.
Que mit en poudre son tonnerre.
Là, contemplant les exploits de LOUIS,
D’un Pere sans égal, incomparable Fils,
Dauphin, tu sens le poids d’une auguste naissance,
  Qui t’impose la loi
De faire admirer à la France
Le digne Sang de ce grand Roi,
Modele inimitable à tout autre qu’à toi.
J’apperçois les Dieux de la Fable
Sur le bronze gravez,
Et les traits des Heros sur le marbre sauvez
De ce naufrage inévitable
Des temps que leurs noms ont bravez.
Tant de riches objets ravissent moins encore
Que ces Jardins les delices de Flore,
Où tout enchante, & l’esprit & les yeux :
Ces monts couverts de fleurs, qui s’approchent des Cieux
Pour recüeillir les perles de l’Aurore,
Et les premiers rayons dont le Soleil les dore.
On nous décrit moins beaux ces jardins si vantez,
Dont l’art avoit dans l’air suspendu les beautez,
Où sortant autrefois des bras de la Victoire,
Semiramis cherchoit une nouvelle gloire.
Peindray-je dans ces lieux la Déesse des fleurs ?
Qui des vents parfume l’haleine,
Et porte le tribut des plus douces odeurs
À mon Prince qui se promene :
Les Orangers fleuris avec ordre rangez,
De pommes d’or toûjours chargez ?
Des berceaux enfoncez la retraite tranquille,
Où la vigne à ployer docile
Courbée en cent replis de feüillages couverts,
Contre l’Eté brûlant presente un sûr azile
Sous le rempart de ses ombrages verts ?
Pourray-je t’oublier, Grote obscure & profonde,
Antique maison du sommeil,
Où jamais la fraîcheur de l’onde
Ne craignit l’aspect du Soleil ?
Mais comment te marquer une assez digne place
Dans cette ébauche de mes vers,
Globe plus poli qu’une glace,
Où le marbre taillé, dans un étroit espace,
Rassemble les climats de ce vaste Univers ?
Divinitez amoureuses des ombres,
Que cache au fonds des bois ce merveilleux sejour,
Me sera-t-il permis de percer les lieux sombres,
Où vous fuyez la lumiere du jour ?
Ces Palais verdoyans, ces champêtres Portiques,
Ces Theatres rustiques,
Ces Côteaux ombragez d’arbres imperieux,
Dont flote au gré des vents la verte chevelure,
Et semble mêler sa verdure
Avec le vif azur des Cieux ?
Là les antiques troncs des venerables chesnes
Forment de spatieux enclos,
Aziles du silence & d’un profond repos
Que respectent des vents les captives haleines.
D’un tremblement religieux
La sainte horreur me saisit en ces lieux :
Le Druide jadis d’offrandes la main pleine,
Le front couronné de verveine
Y rendoit hommage à ses Dieux.
Non loin, s’offre aux regards la martiale plaine,
Où l’Atlete s’exerce à lutter sur l’arene ;
Et la lice, où l’adresse & la force du bras
Mêlent de nobles jeux à d’innocens combats.
Je laisse errer mes pas dans ces longues allées,
Par cent chemins divers en un point rassemblées,
Où l’art ingenieux à tout oser instruit,
S’efforça d’imiter les astres de la nuit
Qui brillent sur l’azur des voûtes étoillées.
Mais parcourons ces bois, dont les toufus rameaux
Doivent leur fraîcheur aux eaux vives,
Qui parmi les détours de cent confus ruisseaux,
Se dérobant sous d’agreables rives,
Joignent aux doux chants des oiseaux
Le murmure charmant des ondes fugitives.
Là mille objets rians se disputent le prix.
Promenez-vous, mes yeux, sur un vaste tapis
Tissu par la simple nature,
Qui de ses propres mains en a fait la parure.
L’If partage en quarré son verdoyant gazon
Dont le ciseau fait tomber la toison,
Pour luy rendre bientost sa plus vive peinture
Dans une nouvelle moisson.
O que j’aime à vous voir, Bois aux larges feüillages,
Dont l’Inde embellit ses rivages !
Vous n’étalez pas moins d’appas,
Ombrages cheris de Pallas !
Vous charmez plus encor reposoirs de verdure,
Bocages frais, aimables cabinets,
Dont la rustique architecture
De ces Monts orne les sommets.
C’est-là que l’œil qui se promene
Parmi les beautez de la plaine,
Et le confus amas de mille objets divers,
Dans de vastes lointains va se perdre sans guides,
Et repaist ses regards avides,
De l’aspect de tout l’univers.
Le bruit des eaux parmy tant de merveilles,
Joint au plaisir des yeux le charme des oreilles.
Naïades, dites nous quel favorable Dieu
Par cent conduits secrets rassemble dans ce lieu
Tant de pures & claires ondes,
Qui variant leurs courses vagabondes
Dans les bois, les vallons, les jardins & les prez,
Font boire à ces champs alterez
Les flots de leurs sources profondes ?
Dans un profond étang, dans un large canal,
Dans un lit émaillé d’une verte bordure
L’onde obéit à l’art ingenieux rival
Des caprices de la nature,
Et fait en mille jeux badiner son cristal.
Tantost dorée, & transparente
D’un pied leger toûjours courante
Elle bondit à gros boüillons
Ou sur de liquides sillons,
Retrace de Cerés les moissons blanchissantes
Par les nombreux tuyaux des gerbes jaillissantes.
Tantost elle fremit d’un aimable courroux
Entre le roc & les cailloux
Qui s’opposent à son passage ;
Mais dans cette rive sauvage,
La voyez-vous, qui de beautez changeant
Coule à flots déployez sur des nappes d’argent.
Quand du haut d’un Rocher son cours se precipite,
Par le bruit de sa chute au sommeil elle invite :
Et lors que dans les cieux ses flots sont élancez,
Les traits qui fendent l’air sont aux yeux retracez.
Dauphin, prête l’oreille à ce concert rustique,
Entens les Dieux des eaux, & les Nymphes des bois,
Qui sans troubler ton repos heroïque,
Semblent d’une nouvelle voix
Celebrer tes vertus, & chanter tes exploits.
Reçois dans ce muet langage
Comme un tribut de tous les cœurs,
Qui rendent un secret hommage
Au plus aimable des Vainqueurs.
Les Muses au son de la Lyre
Réjoüissent moins Apollon,
Quand ce Dieu des beaux Vers luy-même les inspire
Aux claires sources d’Helicon.
Une Musique & moins douce & moins belle
Charme aux Monts Phrygiens la Déesse Cybelle :
Et des sons moins harmonieux,
Se font entendre à la Troupe immortelle
Qu’assemble au Mont Ida le puissant Roy des Dieux.

[Ouverture du Parlement de Bordeaux] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 141-144.

Mr Dalon premier President au Parlement de Bordeaux en fit l’ouverture le lendemain de la S. Martin, avec toute la dignité d’un Magistrat de son rang.

On ne peut rien ajouter à la noblesse & à la beauté de son discours tant à l’égard du dessein, que de l’ordre des pensées & de l’expression. L’idée en estoit grande, elle embrassoit l’excellence de la Justice, par raport à son origine, à ses Ministres & à ses effets. Mais comme il n’est pas possible de renfermer une matiere si estenduë dans un seul discours, il se réduisit à traiter seulement de l’excellence de la Justice par raport à son origine. Il fit voir que son principe estoit en Dieu, & toutes ses preuves furent tirées de l’Ecriture Sainte.

Il a reservé pour d’autres ouvertures de Parlement, à parler de l’excellence de la Justice par raport à ses Ministres & à ses effets. Ce discours a donné lieu aux Vers suivans.

À Monsieur Dalon, premier President du Parlement de Guyenne.

Que de justesse & que de majesté
Dans vostre discours enchanté
De la Justice, & de son origine :
Vous nous avez prouvé qu’elle est toute divine
Et que l’on trouve en vous le Ministre parfait
Dont vous nous promettez quelque jour le portrait.
Il vous est bien aisé d’en tracer la peinture
En travaillant d’après nature ;
Et si de la Justice on veut voir les effets,
On n’a qu’à lire vos Arrests.

Stances sur l’arrivée de Son Excellence Madame la Duchesse d’Albe §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 201-207.

Les Vers suivans sont de Mr de Monfort. Ce Gentilhomme n’est pas moins connu par beaucoup d’endroits qui luy ont fait honneur dans le monde, que par les Ouvrages qu’il a bien voulu laisser échaper quelquefois à sa veine pour son divertissement, ou pour rendre justice au vrai merite, & à ses amis particuliers.

STANCES IRREGULIERES :
Sur l’arrivée de Son Excellence Madame la Duchesse
d’Albe.

Quelle Divinité vient dans ce beau sejour,
Nous faire sentir tour à tour,
Amour, respect, crainte, tendresse ?
Est-ce la mere de l’Amour ?
N’est-ce pas plutôt la Déesse,
Qui prévient le matin le bel astre du jour ?
***
À son nom, on la croit l’Aurore,
À son air, on la croit Venus,
À son éclat, on la croit Flore ;
Mais on la croit, à ses vertus,
Quelque chose de plus encore.
***
À ce magnifique appareil,
Qui par tout la prévient, la suit & l’environne
Elle vient, comparer l’éclat de sa Personne
À l’éclat même du Soleil.
***
Celle qui tous les jours l’annonce & le devance,
Ne brille plus dés qu’il paroît.
On ne la voit qu’en son absence.
Celle-cy cherche sa présence,
Et soutient, devant luy, la splendeur dont elle est.
***
Son dessein en ces lieux, n’est pas chose incertaine,
Que soit un mystere ou non,
On peut le démêler sans peine,
De Saba, c’est une autre Reine,
Qui cherche un autre Salomon.
***
Salomon, quoy qu’on dise & quoy qu’il faille croire,
Avec tout son pouvoir & ses dons inoüis,
Eût déferé comme à la gloire,
À la sagesse de LOUIS.
***
À quoy sert donc la Parabole,
Parlons avec simplicité,
Tous les détours d’un grand Symbole
Touchent moins que la verité.
***
Disons que le Duc d’Albe, honneur de la Castille,
Amour de la Navarre, & gloire de Leon,
Voit icy toute sa famille,
Dans tout l’éclat de son grand nom.
Sa digne épouse l’accompagne
C’est d’elle dont je parle icy
Elle est le charme de l’Espagne,
Elle devient le nôtre aussi.
***
N’est-elle qu’une Ambassadrice ?
À ce titre pompeux, elle joint d’autres droits.
On croit voir une Imperatrice,
Qui vient rendre visite au plus puissant des Rois.
***
Les graces, les plaisirs, la pompe, l’abondance,
Tout ce qui suit l’illustre & l’heureuse naissance,
Tout ce que le bonheur a de doux ici bas,
Les tresors de l’esprit, & du corps & de l’ame,
Honneur, gloire, vertu, tout marche sur ses pas.
Est-il des biens pour une femme
Dont elle ne joüisse pas.
***
Elle peut servir de modelle,
À toutes celles de son rang ;
Et rien ne contredit & ne dément en elle,
Son nom, ses devoirs, ny son sang.
***
Ce n’est là qu’une foible idée,
Qu’une ébauche de son portrait,
C’est aprés l’avoir regardée,
Le premier jugement, que la raison en fait.
***
Qui la peint ne sçauroit finir son entreprise,
Que toutes les vertus n’entrent dans son tableau
Il faut pour la bien peindre un delicat Pinceau,
Et qu’un Apelle le conduise.

Il ne faut pas s’étonner s’il a paru des Vers à la gloire de Madame la Duchesse d’Albe presque aussi-tost aprés son arrivée, puisque la Renommée avoit pris soin de faire connoistre cette Duchesse en France, avant qu’elle y arrivât.

Air à boire §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 234-235.

Voici une Recette pour les malheureux, dont beaucoup de gens qui n'en ont pas besoin se servent souvent.

AIR A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Bachus fait perdre la memoire, doit regarder la page 234.
Bachus fait perdre la memoire
Des chagrins les plus fâcheux.
Et quand on est malheureux
C’est manque de sçavoir bien boire.

Ces paroles ont esté mises en air par Mr de Montailly, dont vous me demandez souvent des ouvrages, parce qu’ils plaisent beaucoup dans vostre Province.

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[Stances à Mr l’Ambassadeur d’Espagne sur son Audiance de congé] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 235-244.

Les Vers que vous allez lire sont du même Mr de Monfort, dont je viens de vous parler, ils doivent estre beaux, puisque la grandeur de son zele pour le Ministre dont il parle, & la force de la verité l’ont engagé à les faire.

À SON EXCELLENCE
Monseigneur le Marquis
DE CASTEL DOS RIUS,
Grand d’Espagne,
Ambassadeur en France, du Conseil de Guerre de S.M.C. cy-devant Viceroy de Mayorque, & Ambassadeur en Portugal, nommé à la Viceroyauté du Perou.
STANCES IRREGULIERES.
Sur son Audience de Congé.

Illustre Ambassadeur tu finis ta carriere,
Et le cours le plus glorieux,
Qu’ait vû l’Autheur de la lumiere,
Depuis que des mortels il éblouit les yeux.
***
Ton merite te met hors de tout paralelle.
Tes succés éclatans ont consacré tes soins.
Le passé ne vit point d’Ambassade si belle,
Et si la gloire en est nouvelle,
La Couronne l’est-elle moins.
***
Si tes noms sont gravez au Temple de Memoire,
Ils sont encore mieux écrits,
Dans nos cœurs & dans nos esprits.
Ta memoire à jamais vivra dans nostre Histoire,
Que vas-tu meriter dans ces climats lointains,
Où te conduit encor ton zele ?
Quel chef-d’œuvre nouveau va partir de tes mains ?
A tu besoin encor que la gloire t’apelle ?
***
Tu viens de triompher & couvert de lauriers,
Tu pars, tu cours, rien ne t’arreste.
Ton cœur se livre entier au zele des Guerriers,
Medites-tu quelque conqueste,
Qui te consacre encor au milieu des hazards,
N’a-tu pas déja sur ta teste,
Ces lauriers immortels qu’on ne tient que de Mars.
***
Nous sçavons assez ton Histoire,
Et tes progrez dans chaque employ.
Tout jeune tu servis ton Roy ;
Et tu ne dûs qu’à la Victoire,
Le beau titre de Viceroy.
***
Tu voles cependant au bout d’un autre monde.
Ton zele de nouveau cherche à se contenter ;
Et tu vas traverser le vaste sein de l’onde,
Sans songer aux regrets, que tu vas nous couter.
Pour moi, saisi déja, je te vois encore prendre,
Ton Audiance de congé,
C’est un mal où j’ay dû m’attendre ;
Mais en suis-je moins affligé.
***
Depuis un an & plus, sur de telles allarmes,
Je rends publiques mes douleurs.
Tes yeux en sont témoins ; mon Elegie en pleurs,
A bien fait couler d’autres larmes.
***
Au moindre bruit de ton départ,
La France, qui t’honore, & qui t’ayme & t’admire,
Se plaint moins, qu’elle ne soupire,
Et te montre par là combien elle y prend part.
Accoutumée à ta présence,
Elle craint ton éloignement ;
On souffre toûjours de l’absence,
De ce qu’on aime tendrement.
***
Elle te perd & n’a nul reproche à te faire,
Elle sçait bien qu’elle t’est chere,
Et que ton cœur n’est pas ingrat,
Mais icy de quoy sert ce retour délicat,
Tu ne dois pas la satisfaire.
Le devoir fait ceder l’amour qui le combat,
Un homme de ton caractere,
N’est pas à luy n’est qu’à l’Etat.
***
L’Espagne attend la préference,
Elle la veut, & doit l’avoir.
Elle nous oste ta présence ;
Mais non pas du moins l’esperance,
Ny le desir de te revoir.
***
Ce Philippe que tu luy donnes,
T’apelle à partager le pouvoir souverain.
Il n’a pas oublié qu’il reçût de ta main,
Dans un jour vingt & deux Couronnes.
***
Dans sa fidélité, dans ses vœux pour son Roy,
L’Espagne fait assez paroistre,
Qu’elle songe au bonheur qu’elle a reçû de toy.
C’est toy qui l’offris à son Maître,
Et qui la soumis à sa Loy ;
Mais est-ce assez le reconnoistre,
Que de te faire Viceroy.
***
Le Perou tout entier, & l’or dont il abonde,
Ne récompensent pas ce service inoüi ;
Et des tresors du nouveau monde
Un homme comme toy ne peut estre ébloüi
***
Ce n’est pas sur l’espoir des richesses immenses
Que tu voles dans ces climats.
Pareils biens ne te flatent pas.
L’honneur & la vertu, je le sçay, tu le penses,
Sont tes biens & tes récompenses.
***
Tout esprit jaloux & blessé
De la felicité publique,
Te croira bien récompensé,
Par ton partage en Amerique,
Mais les vrais Sujets de ton Roy
Ces dignes Espagnols, qui dans leur noble audace,
De l’honneur le plus pur suivent toujours la Loy
Penseront, comme nous, quelque honneur qu’on te fasse,
Que c’est encore trop peu pour toy.
***
Suis la fortune qui t’invite
À fixer ton bonheur dans le rang le plus haut
Pars, quite nous, puisqu’il le faut ;
Et reviens avec nous joüir de ton merite,
Et d’un mérite sans défaut,
Hâte ce doux retour, viens finir nos allarmes,
Rends nous par ta présence un bien qui fait nos charmes,
Ce ne sera jamais trop tôt.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 383-385.

Je ne vous envoiyerai que le mois prochain les noms de ceux qui ont deviné l’Enigme du mois dernier ; cependant voicy une Enigme nouvelle que je vous envoye.

ENIGME.

J’ay, dans le Cabinet des Rois,
Part au plus secrettes affaires,
Et j’y couvre bien des mysteres
Qui sont, pour leurs Sujets, d’inviolables Loix.
***
Mon corps n’est rien qu’un composé
D’une infinité de parties
Qui, quoique sans rapport, & toutes desunies,
Reçoivent de la main un mouvement aisé.
***
Je n’ay jamais rien lû ny jamais rien écrit,
Ainsi je n’ay science, ny lumiere,
  Cependant le plus bel esprit
Me fait sur son travail, repasser la derniere.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1703 [tome 12], p. 385.

Je croi que vous serez satisfaite de l’Air suivant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Jeune Iris dans nostre querelle, doit regarder la page 385.
Jeune Iris dans nostre querelle,
Je n’examine point qui de nous deux a tort,
De tout ce qu’il vous plaît, je demeure d’accord,
Et vous avez raison puisque vous étes belle.
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