1704

Mercure galant, mai 1704 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1704 [tome 5].
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Mercure galant, mai 1704 [tome 5]. §

[Prelude. Ode & Epigramme pour le Roy] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 5-8.

Je ne doute point que vous ne soyez satisfaite des Ouvrages qui suivent, & qui servent de Prelude à ma Lettre. Les deux premiers regardent le Roy.

ODE POUR LE ROY.
Imitée de celle d’Horace,
Musis Amicus.

Tandis que les neuf Sœurs d’un regard favorable
Daigneront m’honorer,
Je banniray les soins dont la foule innombrable
Nous force à soupirer.
***
Heureux je passeray tout le temps de ma vie
Attendant le trépas,
Et sans m’inquieter si le Roy d’Armenie
Est Maistre en ses Etats.
***
Si le Parthe vainqueur étendant sa Frontiere
Va jusqu’au Tanaïs,
Et si dans les Combats son ame est aussi fiere
Qu’elle le fut jadis.
***
Naïades, de ces lieux à qui Neptune donne
L’Empire de ses eaux,
Pour couronner LOUIS, formez une couronne
De cent lauriers nouveaux.
***
Sans vous, sans le secours qui me vient du Parnasse,
Mes Vers sont languissans,
Et je ne puis jamais exprimer avec grace
  Des illustres talens.
***
Il est de vostre honneur de consacrer sa gloire
À la Posterité.
Jamais Prince ou Heros celebre dans l’Histoire
Ne l'a tant merité.

EPIGRAMME,
Imitée d’une Epigramme latine de Mr de Santeül, & qui regarde le Roy.

Posterité si tu refuses
De croire ses faits inoüis,
Rompt le charme dont tu t’abuses
Et jette les yeux sur LOUIS.

[Sonnet à la gloire de Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 9-10.

SONNET
À la gloire de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Quel est donc ce Heros, ou ce nouvel Alcide
Qui renverse déja les tours & les remparts.
Est-ce un des Scipions, ou du sang des Cesars
Un noble rejetton que la Victoire guide.
***
Non, ne nous trompons plus, son cœur que n’intimide
Ny l’aspect des combats, ny la gresle des dards,
Sort du Sang de LOUIS, dont parmy les hasards
Il imite de prés le courage intrepide.
***
Quel modele pour vous Guerriers ? Dieu des combats,
Preserves-le toûjours d’un funeste trépas
Pour revêtir son front d’une illustre Couronne.
***
Vous, Muses, preparez vos luths harmonieux,
S’il emporte Brisac au premier coup qu’il donne
Quels seront desormais ses exploits glorieux.

[Epigramme pour mettre au bas du portrait de Madame la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 11.

EPIGRAMME
Pour mettre au bas du Portrait de Madame la Duchesse de Bourgogne.

O Vous qui paroissez surpris
Des beaux traits qu’à vos yeux ce tableau dévelope,
Vous le prenez à tort pour celuy de Cypris 1
C’est celuy de Penelope.

[Explication des devises & Emblemes faites pour l’entrée de Mr l’Evêque d’Albi à Albi] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 14-41.

Il manquoit le mois dernier à la Relation de l’Entrée de Mr l’Evêque d’Albi, dans la Ville de ce nom, l’explication des Devises & des Emblêmes faites à ce sujet, je la reçûs trop tard ; je vous l’envoye avec l’extrait d’une Lettre, qui accompagnoit cette Explication.

Albi avoit sans doute perdu beaucoup en perdant Mr de la Berchere, à present Archevêque de Narbonne ; mais cette perte ne pouvoit estre plus avantageusement reparée que par un nouveau Pasteur, tel que Mr de Nesmond : car que ne doit point attendre de ce Prelat une Ville aussi catholique que l’est Albi, puisque même les nouveaux convertis de Montauban n’ont pû le voir sortir de la leur sans donner des marques de la plus sincere douleur qu’on puisse ressentir dans de pareilles occasions ? Quand une grande naissance, & une fortune brillante sont les moindres choses qu’on remarque dans un homme, quel merite ne doit-il pas avoir d’ailleurs ? C’est ce qu’on a dit de plusieurs grands Personnages, mais il n’en est peut être aucun de qui on l’ait dit avec plus de justice que de cet illustre Prelat.

Paris, la Cour & la Province tenans là dessus un même langage. Il ne faut donc pas être surpris si la Ville d’Albi a fait paroistre tant de transports de joye.

Comme ce qui suit a esté donné au public avant l’entrée de Mr l’Evêque d’Albi, je vous l’envoye de la même maniere qu’il a couru avant cette entrée.

Explication des Emblêmes & des Devises qui doivent orner les sept Arcs de Triomphe, élevez dans la Ville d’Albi, à l’entrée publique de Monsieur DE NESMOND son Archevêque.

PREMIERE EMBLEME.

Pour exprimer le desir qu’on a de voir ce Prelat, on a mis sur la porte de la Ville un assez grand Tableau, qui represente une troupe de ces Peuples de l’Orient, qui avant que le Soleil se leve, paroissent hors de leurs habitations, pour presser par des vœux & par des offrandes ce Pere du jour de vouloir commencer sa course. Vis-à-vis de ce groupe d’Orientaux le Soleil paroît commencer à sortir de derriere une haute Montagne, qui leur en deroboit les premiers regards, ce qui leur fait dire par une espece d’exclamation, Expectatus ades. Enfin nous vous voyons.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Long temps avant que sur nôtre hemisphere,
Phœbus ait tout rempli d’éclat & de chaleur,
De cent peuples divers l’empressement sincere ;
Sollicite ce Dieu d’entrer dans sa Carriere.
Leur ardeur cependant le cede à nôtre ardeur.
Aussi desirons nous un bien beaucoup meilleur.

Les deux Devises qui suivent aprés chaque Emblême ont toûjours quelque rapport avec l’Emblême à laquelle elles sont jointes.

DEVISE.

Pour exprimer que la Ville d’Albi va tirer de la presence de son Prelat son bien & sa gloire ; on a fait peindre une Montre Solaire, sur laquelle les Rayons du Soleil commencent à éclater, un petit zephire chassant le nuage qui coupoit la communication de cet Astre avec cette Montre ; Ce mot Italien sert d’ame à cette Dévise : Dal tuo conspetto, mio valore. Sans vous je ne suis rien.

DEVISE.

Pour marquer que la Ville d’Albi ne pouvoit se passer plus long-temps de ce Prelat, on represente d’un côté un Vaisseau fort maltraité de la tempête, & presque prest à faire naufrage, & de l’autre l’Etoile Polaire, un Aquilon dissipant les épais nuages qui la couvroient ; Cette Devise a pour Ame ce mot Espagnol. Estava perdido sin esto. Je dois mon Salut à cet Astre.

II. EMBLEME.

Pour exprimer sa translation de l’Evêché de Montauban à l’Archevêché d’Alby ; on a peint un Arbre chargé de beau fruit, lequel Arbre est tiré d’une petite Caisse pour estre mis dans une plus grande, le Jardinier disant par maniere d’Apostrophe, à la vûe de ce fruit. Dignus maiori est, et meliore solo. Ce fonds ne convient point à la beauté du fruit.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Assez & trop long temps cet Arbre incomparable,
Au tour de sa racine a vû pour son appuy,
Ce fonds trop peu considerable :
Qu’il passe dans cet autre un peu plus convenable ;
Jusqu’à ce qu’il s’en trouve un plus digne de luy.

DEVISE.

Pour representer qu’un homme qui est né avec toutes les qualitez, avec lesquelles nôtre Prelat est né, ne peut que voir croître son élevation à tous momens ; On a mis pour corps de cette Devise, un Fleuve qui sort d’une Montagne, & qui est joint & grossi, non loin de sa source par diverses rivieres ; Ce mot latin en est l’Ame. Crescit eundo. Plus il avance & plus il croît.

DEVISE.

Pour faire entendre qu’à toutes les dignitez dont il est déja revestu, seront bien tôt ajoûtées celles qui peuvent y mettre le comble ; On a representé une Lune presque pleine, avec ce mot, Accedet cumulus Dans peu de temps j’auray tout mon Eclat.

III. EMBLEME.

Pour donner une juste idée de la liberalité de nostre Archevêque, Nous n’avons rien vû de plus propre, que de faire peindre un Apollon sur un Char dans le Zodiaque, portant d’une main un Globe de feu, qui repand la lumiere de toutes parts, & qui tient de l’autre, de l’Or, de l’Argent, des Fruits, des Fleurs, &c. Qu’il jette de tous costez. Ce Vers latin sert comme d’Ame à cette Emblême.

Quisque Dei vario signatur munere gressus.

Mes dons surpasseront le nombre de mes pas.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Ce brillant Apollon, de l’un à l’autre Pole,
Repand tous les jours ses bien faits ;
D’un Astre plus charmant il n’est que le Symbole :
Dans nos murs trop heureux Nous avons son Palais.

DEVISE.

Pour exprimer cette même liberalité d’une maniere differente, on a peint une Fontaine à plusieurs Tuyaux, qui se déchargent dans un grand Bassin, d’où l’eau se répand de tous côtez, & fait sur la terre d’alentour divers Ruisseaux, avec ce mot. Quo plenior eo liberalior. Plus il en a, plus il en donne.

DEVISE.

Pour marquer que ses graces s’étendront sur tout le monde, on represente un Aigle qui porte à manger à ses petits. Cette Devise a pour Ame ce mot Latin. Urget amor, dum paverit omnes. Il n’en exclud aucun des soins de sa tendresse.

IV. EMBLEME.

Pour exprimer son éloquence & ses manieres charmantes, on a fait peindre un Amphion, qui attire aprés soi par les doux sons de sa Lyre, les Rochers, les Arbres, les Fleuves, les bestes feroces, &c. avec ce Vers Latin.

Saxa ferasque fonis quò vult & Flumina ducit.
Tout suit avec plaisir, tant sa voix a de charmes.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Les Lyons, les Rochers, les Fleuves & les Bois,
Dans le siecle aux Metamorphoses,
Sentirent le pouvoir d’une charmante voix,
Ce sont fables qu’on crut bonnement autrefois ;
Mais pour nous de nos yeux nous allons voir ces choses.

DEVISE.

Pour représenter les qualitez naturelles & acquises de ce grand Prelat, on a peint un beau Parterre, couvert de diverses fleurs, & rempli de toute sorte d’ornemens. L’Ame de cette Devise est ce mot Latin. Natura pulcher et Arte. La nature avec l’Art pour lui s’est épuisée.

DEVISE.

Pour marquer que l’Eglise d’Albi, & Mr de Nesmond étoient veritablement faits l’un pour l’autre ; on a représenté icy l’Orgue, avec laquelle on peint ordinairement Sainte Cecile, Patronne de l’Eglise Metropolitaine de ce Diocese, & l’on y a joint les Cors des Armes de la Maison de Nesmond ; ces mots servant d’Ame à cette Devise. quam bene conveniunt. Que leurs accords sont beaux !

V. EMBLEME.

Pour exprimer le zéle de cet Archevêque, on a peint dans un assez grand Tableau trois petits Genies, qui portent chacun dans un Cartouche separé un des Cors d’Armes de Nesmond, & une des pieces Archiepiscopales, avec ces mots.

Au premier, Animos imbellibus addit. Il donne du courage aux foibles.

Au second, Pectora fortium accendit. Il anime les forts.

Au troisiéme, Revocat errantes. Il ramene ceux qui s’égarent.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Pectora ne timeant sonitus audire tubarum,
Cernite, non Martis prælia sæva canunt.
Æs meliùs calamo numerosos pascua novit
Læta docere greges, atque fugare Lupos.

DEVISE.

Pour représenter qu’il instruira encore plus par ses exemples que par ses paroles, on a fait peindre un Lyon, qui met en pieces un Dragon en presence de ses Lyonceaux. Ce mot est l’Ame de cette Devise. Pugnas et præmia monstrat. Il instruit au Combat, & mene à la Victoire.

DEVISE.

Pour marquer qu’il est veritablement tout à tout, comme un bon Pasteur & un bon Pere ; on a donné pour corps à cette Devise un Soleil en son midy, & pour Ame ce mot Italien. Tutto a tutti. Plus il est élevé, plus il est tout à tout.

VI. EMBLEME.

Pour faire entendre combien est illustre la Maison de nostre Prelat, nous avons fait représenter dans ce Tableau une renommée tenant les trois Cors des Armes de la Maison de Nesmond, avec ce Vers.

Vix tuba claræ adeo genti par trina canendæ
Cent bouches en ce jour à peine me suffisent.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Tant de Héros dans les Armées,
Tant de Magistrats dans les Cours,
Tant de Prelats en diverses Contrées,
Sortis de même Sang d’où j’attends mes beaux jours,
Occuperoient plus de dix Renommées.

DEVISE.

Pour marquer qu’il y a, & qu’il y a eu dans la Maison de Nesmond beaucoup de grands Hommes de toute sorte, on a representé icy un Ciel parsemé d’Etoiles de differentes grandeurs, & l’on a joint à ce Corps ce mot Italien, pour lui servir d’Ame. Molti e diversi. J’en ay plusieurs & de fort differens.

DEVISE.

Pour exprimer que Mr de Nesmond, aujourd’hui Archevêque d’Alby, les égale, ou même les surpasse tous ; on a crû qu’un Soleil qui éclipse tous les autres Astres, d’abord qu’il paroist, seroit tres propre pour cela, son action estant expliquée par ce mot. Præstantior omnibus unus. Il les égale tous, ou même les surpasse.

VII. EMBLEME.

Pour exprimer que la perte que nous avons faite de Mr de la Berchere, est réparée par la nomination de Mr l’Evêque de Montauban à l’Archevêché d’Alby. On a fait peindre cet Arbre que les Poëtes ont feint porter le Rameau d’or, à la place duquel, lors qu’on l’avoit arraché, il en renaissoit aussi-tôt un autre, comme il arriva, selon Virgile, pendant le voyage d’Enée aux Enfers ; c’est cet enlevement du Rameau d’or qu’on a representé icy, accompagné de ce mot du même Poëte. Primoque avulso non deficit alter aureus. Si j’en perds un, j’en ay bien-tost un autre.

EXPLICATION DE L’EMBLEME.

Un voisin trop puissant m’enleve en vain mon or,
Car aussi-tôt le Ciel, sensible à ma disgrace,
M’enrichit d’un nouveau tresor,
Qui remplit du premier, parfaitement la place.

DEVISE.

Pour marquer qu’il est le digne Successeur d’un fort grand Prelat, on a peint une Ente sur un Tronc qui a perdu toutes ses branches. Ce mot lui sert d’Ame. Amissos reparabit honores. Tout ce que j’ay perdu, je le retrouve en vous.

DEVISE.

Pour exprimer combien il est aimable dans son Domestique, on a peint une Ruche à Miel, où un Essein va se rendre. Cette Devise a pour Ame ce mot Latin. Dulcem dabit incola sedem. Ce séjour sera doux sous cet aimable Maistre.

[Ode sur le Printemps] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 41-45.

L’Ouvrage qui suit convient à la Saison, sur une Traduction de la quatriéme Ode du premier Livre d’Horace, sur le Printemps. Elle est de Mr l’Abbé d’Elfaut, de l’Academie Royale de Soissons ; ce n’est pas d’aujourd’huy que son merite & son nom vous sont connus. Les Dames se consoleroient de n’entendre pas nos Poëtes Latins, s’il se trouvoit souvent de pareils Traducteurs.

Cette Ode fut faite pour le 13. Fevrier qu’on celebroit chez les Romains, par des Sacrifices au Dieu Faune, le retour du Printemps.

Enfin par le retour de l’aimable Zephire,
L’Hiver herissé de frimats
De nos Campagnes se retire
Et va glacer d’autres climats.
Déja pour traverser le vaste sein de l’Onde,
Et trafiquer au nouveau Monde,
L’intrepide Marchand lance en mer ses Vaisseaux ;
Déja mille & mille Troupeaux
Bondissent au sortir de leur obscure étable,
Et le Laboureur tout joyeux,
Abandonnant enfin son foyer, & sa table,
Court dans ses champs fleuris rendre graces aux Dieux.
À la brune déja la charmante Cythere,
Que les Graces suivent toûjours,
Danse legerement sur la tendre fougere
Avec les folâtres Amours ;
Tandis que dans sa forge ardente
Vulcain presse au travail ses Cyclopes hideux,
Et forme d’une main sçavante
En differens métaux mille ouvrages fameux.
Cher Ami, couronne ta teste
Des fleurs qu’en ce beau jour le doux Zephir produit,
Et dans des Bois où regne une éternelle nuit
Sacrifie au Dieu Faune, & passe cette Feste,
Quand tu le peux encor, dans le sein des plaisirs.
La Mort ne bornera que trop tost tes desirs.
Le pauvre au fond de sa masure
Subit ses inhumaines loix,
Et des vastes Palais la superbe structure
Contre ses traits perçans, n’assure pas les Rois.
Adieu tous les plaisirs sitost que la Barbare
T’aura fait passer l’Acheron,
Dans le sombre manoir du terrible Pluton
Il n’est plus de festins dont le sort te prepare
Une bachique Royauté,
Ny de Nimphes dont la jeunesse
L’esprit, l’enjoüement, la beauté,
Anime toute ta tendresse,
Et qui sensible à tes ardeurs
Te comble enfin de ses faveurs.

[Sonnet] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 45-47.

Le Sonnet que vous allez lire est du même Auteur, il ne paroist pas par son tour aisé qu’un Sonnet soit un Ouvrage aussi dangereux qu’il veut le persuader. Il adresse ce Sonnet à un de ses Amis, qui luy avoit envoyé des Sonnets qu’il avoit critiquez, & qui l’invitoit d’en faire.

SONNET.

Apollon, du Sonnet devroit bannir l’usage,
La Rime d’elle-même a d’assez dures loix,
Sans inventer encor un si bizarre ouvrage
Pour donner la torture aux Poëtes François.
***
Lorsque sur cette mer un bon Auteur s’engage,
Il ne differe guere à s’en mordre les doigts,
Dès le premier Quatrain il perd souvent courage,
Et le dernier Tercet le reduit aux abois.
***
Et tu voudrois, Damon, que prompt à me séduire,
Je m’efforçasse en vain comme toy, d’en produire,
Moy, qui le crois l’écüeil de tous les beaux esprits.
***
Ah, je connois ton but, & je vois ta finesse,
Pourquoy tant déguiser ! ma Critique te blesse,
Il faut qu’à mes dépens tu vanges tes écrits.

[Le Chimiste physicien] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 224-233.

Il paroist depuis peu un Livre nouveau, intitule, Le Chymiste Physicien, où l’on montre que les principes naturels de tous les corps, sont veritablement ceux que l’on découvre par la Chymie, & où par des experiences & des raisons fondées sur les Loix des Mechaniques, aprés avoir donné des moyens faciles pour les separer des Mixtes, on explique leurs proprietez, leurs visages & les principaux Phenomenes qu’on observe en travaillant en Chymie. Par J. Mongin, Docteur en Medecine.

Ceux qui s’appliquent à la connoissance de la Chymie, & qui aiment à connoistre les curiositez de la nature, seront tres-satisfaits de la lecture de cet ouvrage. L’Auteur, quoique jeune, raisonne sur des fondemens si solides, & tire de si justes consequences des faits qu’il raporte, qu’on peut dire qu’il s’est tres serieusement appliqué à la matiere qu’il traite.

Ce Livre est divisé en trois parties ; dans la premiere l’Auteur donne des moyens faciles pour separer le sel, le soufre, l’eau & la terre des Mixtes, & il apprend comment on peut connoitre leurs proprietez & leurs usages.

Mr Mongin raporte ensuite les principales obiections que l’on fait contre l’existence des Principes de Chymie, & il y répond tres clairement.

Il dit qu’une fausse apparence de raison est cause des jugemens precipitez que beaucoup de Philosophes ont porté là dessus. Il prouve que le sel alkali n’est point un ouvrage du feu, il insinuë que cet agent ne fait rien autre chose que desunir & diviser les principes des Mixtes en des tas plus petits. Il fait voir ce que c’est qu’acide & alkali, & l’idée que l’on doit en avoir.

Cet Auteur fait voir combien un Medecin est obligé de sçavoir la Chymie, qu’il lui est impossible de connoître ny le dérangement des liqueurs qui circulent dans nos corps par le chaud, & par le froid, ny les qualitez des anciens. Il explique les proprietez des remedes par les principes qu’ils contienent. On y voit comment le Quinquina guerit les fievres, comment le Senné est purgatif, comment l’Opium est sommifere, comment les Acides conservent les viandes, comment ils diminuent les fermentations du sang, comment ils arrestent les vomissemens, comment quelques fois ils sont sudorifiques, & aperitifs, comment les alkali dissoluent nos humeurs, comment ils affoiblissent la force des acides, & enfin on y trouve toutes les proprietez des principes.

Les fermentations, les dissolutions, les coagulations, & les precipitations y sont clairement expliquées, & je dois ajouter que ceux qui ne sont rien moins que Chymistes, estimeront les explications de l’Auteur d’autant plus justes, qu’elles sont plus sensibles.

Mr Mongin aprés avoir dit dans la premiere Partie, que tout ce qui est dans la nature est composé de sel, de soufre, d’eau & de terre, pousse son imagination dans les entrailles de la terre, & en suivant l’idée qu’il s’est faite de l’action de sels sur les soufres, il explique la production des Coreaux & des Mineraux, d’une maniere tout à fait ingenieuse & toute naturelle. Les sinus dans les Carieres, les diverses couches des pierres, les larmes cristalines que l’on trouve à la surface des Mineraux & en quoy consiste leur difference, tant par rapport à leur couleur qu’à leur differente solidité, tout y est Mechaniquement expliqué.

On y trouve la cause des houragans, des tremblemens de terre & des feux souterrains. On y voit comment le cerveau d’un bœuf a pû estre petrifié dans le corps vivant de cet animal, & comment la pierre de la vessie dans l’homme y est produite d’une maniere si sensible, qu’il ne faut estre ny Chymiste, ny Medecin pour le comprendre.

Dans la troisiéme Partie, Mr Mongin rapporte trois experiences tirées de Vanhelmont. Cet Auteur tres-celebre croyoit que l’eau estoit le seul & veritable principe de tous les corps ; les raisons que Mr Mongin donne pour réfuter ce sentiment & pour faire voir que le sel, l’huile & la terre ne sont pas moins anciens, ny moins principes que l’eau, sont si judicieuses & si solidement soûtenues que je craindrois de les affoiblir si je les répetois icy. Le Lecteur ne sera pas fâché de les voir dans son ouvrage. Ce Livre se vend chez Laurent d’Houry, ruë S. Severin, au S. Esprit ; & chez Pierre Augustin le Mercier, ruë S. Jacques, à Saint Ambroise.

[Mort du père Bourdaloue]* §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 268-282.

La mort vient de nous enlever un des plus grands Orateurs qui ait jamais été, en la personne du Reverend Pere Loüis Bourdalouë de la Compagnie de Jesus, & Predicateur ordinaire du Roy, qui mourut icy à la Maison Professe des Jesuites le 17. de ce mois, âgé de soixante douze ans, aprés avoir exercé le Ministere Evangelique à la Cour & dans cette grande Ville avec un succez merveilleux pendant trente-cinq années. C’est dans cet homme éloquent qu’on peut dire que cet art admirable qui faisoit regner autrefois Periclés & Demosthene sur l’esprit des hommes, ne s’étoit pas avili, puisque bien loin d’avoit été inferieur à ces grands hommes, on doit hardiment le leur associer : son éloquence aussi bien que la leur, n’étoit soûtenuë que de la grandeur des choses, & nullement de la pompe des mots : la verité, la raison & la clarté en étoient le but & la regle, comme elles l’étoient de celle de ces Orateurs Grecs : elle ne s’échapoit pas dans ces enthousiasmes qui transportent un Auditeur dans des païs perdus, & qui ne le ramenent au sujet qu’aprés avoir épuisé son attention. Son éloquence aussi bien que celle de ces illustres Grecs, n’avoit rien que de réel & de solide : sa grace n’éclatoit jamais par des couleurs chargées & empruntées : tous ses ornemens lui étoient propres, & c’est uniquement par les traits de sa beauté naturelle qu’elle charmoit autant qu’elle persuadoit. En effet, le Pere Bourdalouë sçavoit allier la sublimité de la pensée avec la simplicité de l’expression, persuadé que parce qu’une chose est grande, il n’est pas necessaire de l’exprimer par des grands mots : il avoit l’art de la rendre sensible & familiere sans luy rien ôter de sa grandeur ; de sorte qu’en sa bouche les veritez les plus abstraites & les plus élevées se laissoient comprendre aux intelligences les plus communes : tandis qu’il donnoit aux choses les plus simples, & aux veritez les plus familieres, un air de sublimité par la richesse & la pompe des expressions dans lesquelles il les enchassoit. Ce grand Orateur avoit naturellement en lui toutes les dispositions necessaires pour acquerir la perfection de l’éloquence, un fonds de bon sens & de bon esprit, l’imagination vive, la memoire fidelle, la presence & le son de la voix agréables, la prononciation belle, le geste noble, une assûrance honnête, & une grande facilité de parler. Je conviens que les quatre dernieres qualitez se peuvent acquerir parles preceptes de l’art & par un long exercice ; mais il est constant que les autres sont de purs dons de la nature que l’art peut à la verité polir, mais qu’il ne peut jamais donner, & l’on doit être persuadé que ces talens qui embrassent beaucoup de choses, n’achevent pas neanmoins un Orateur. Le Pere Bourdalouë avant que d’entreprendre de parler en public, avoit nourri son esprit par une longue étude, & l’avoit formé par la lecture assiduë des Auteurs qui ont le plus de réputation. La conversation des Sçavans, & les conseils de ses amis lui enseignerent d’abord l’usage, & lui aprirent ensuite à le regler sur la pureté de l’Evangile. C’est par la pratique de ces maximes, & avec de tels secours qu’il étoit devenu un des plus celebres Orateurs qui ait jamais été. En effet, personne n’a jamais rendu toutes sortes de sujets plus susceptibles d’ornemens, & n’a répandu plus d’ordre dans son dessein, ni plus de liaison dans ses pensées. Sa diction étoit toûjours pure & propre à son sujet, riche & ornée sans fard, forte & serrée sans secheresse, & toûjours convenable à un Orateur Chrétien, au lieu, au temps, & aux Auditeurs. On remarquoit dans ses discours plus de soin de se rendre intelligible, que de paroître docte ; cependant, en se laissant entendre au peuple, il se faisoit toûjours loüer par les Sçavans. Il évitoit avec adresse les expressions que trop de sublimité rendent obscures, aussi bien que celles qui s’échapent jusqu’aux licences de la Poësie : il ne fuioit pas moins l’enflure, ennemie du bon sens & de la verité. On remarquoit dans sa narration un caractere singulier de desinteressement & de bonne foy : elle couloit majestueusement comme les grands fleuves, & non pas avec rapidité comme les torrens : la grandeur des choses qu’il traitoit, & non pas la grandeur des mots, faisoit l’élevation de ses discours ; il en bannissoit scrupuleusement tout ce qui pouvoit blesser même la vrai-semblance. S’il s’écartoit quelque fois de son sujet, il ne s’égaroit jamais, & il revenoit aussi tost avec plus de force & d’agrément : ses comparaisons étoient ostes & courtes, ses metaphores suivies & naturelles, ses citations choisies & peu frequentes. On ne remarquoit jamais dans ses discours ces endroits froids, ces proverbes, ces équivoques, ces fausses pointes, ces jeux de mots qui sont ordinairement le fruit d’une éducation basse, & un ornement indigne de la veritable éloquence. Les figures y estoient disposées avec beaucoup de délicatesse, & l’Art y estoit toûjours caché avec beaucoup de discretion.

Voilà une legere ébauche du portrait & du caractere d’un des plus grands hommes que nôtre siecle ait produit. Il a paru quelques recuëils des Sermons de ce Pere, mais fort imparfaits & fort mutilés : on espere que ses amis n’estans plus retenus par la modestie qui l’avoit empêché jusqu’à present de les faire imprimer lui même, en donneront une edition exacte. On y verra surtout de tres-beaux Panegyriques, & de tres-belles Oraisons funebres : c’est dans les discours de ce genre, qu’il faut proprement chercher les chefs-d’œuvres de ce Pere ; il avoit encore un grand talent pour la direction : l’onction qu’il repandoit dans les voyes spirituelles, où tant d’autres ne sément que des épines, lui attiroit la conduite des consciences d’une multitude extraordinaire de personnes de tout sexe & de tout etat.

Le Pere Bourdalouë estoit d’une famille considerable de la Ville de Bourges où son pere estoit Tresorier de France. On assure que le Pere de la Ruë reparera dignement la perte de ce Pere. Tout le monde convient qu’il est un des plus grands Predicateurs du siecle, & l’on sçait que le Pere Bourdalouë a dit mille fois lorsqu’on lui parloit des Sermons de ce Pere, qu’il Preschoit mieux que luy. Quoique la modestie le fit parler ainsi, on doit neanmoins estre persuadé qu’il n’auroit pas poussé les choses si loin s’il n’avoit regardé le Pere de la Ruë comme un tres grand Predicateur. On a toûjours remarqué beaucoup de rapport entre ces deux Peres, ils ont toûjours esté également honorez & aimez des grands & du peuple & quoique leur reputation & leur esprit les fit souhaiter par tout, & qu’ils eussent pû estre répandus dans le monde, ainsi que quantité d’autres Reguliers qui y font briller leur esprit ; ils n’ont jamais abandonné leur étude & le lieu de leur retraite que pour des choses qui pouvoient estre utiles à leur Ordre, ainsi qu’au salut des ames, & qui regardoient leur profession.

[Lettre écrite à l’occasion d’un nouveau systeme de musique] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 297-311.

EXTRAIT
d’une Lettre, écrite à l’occasion d’un nouveau Système de Musique.

Le nouveau système de Musique, qui fait beaucoup de bruit à la Cour & à la ville, me donne une occasion agréable de continuer à vous faire part de ce qu’il y a de plus curieux dans la Republique des Lettres. Ce systême fait partie d’une acoustique, mot nouveau, que l’Auteur a donné à la science qui traite des sons en general ; ayant reserré celui de Musique, à la partie qui traite seulement des sons agréables à l’oüie, quoique jusqu’à present on eust donné le soin à la Musique Mathematique, de se charger de la connoissance de toute sorte de sons ; mais l’Auteur a jugé que c’étoit assés pour elle d’avoir soin des sons agréables à l’ouye. Quoiqu’il en soit, comme son acoustique demande trop d’application, je n’ay le temps que de vous parler de sa Musique, d’autant plus, que m’estant trouvé dans une compagnie, où il expliqua cette partie, je l’ay assés presente.

L’Auteur est Mr Sauveur, qui a eu l’honneur de montrer les Mathématiques au Roy d’Espagne, & à Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry : il est professeur au College Royal, & de l’Academie Royalle des Sciences : il est aussi Examinateur de ceux qui demandent à estre Ingenieurs du Roy : il est peu connu par ses écrits imprimez : mais il l’est beaucoup plus par ses manuscrits, qui sont communs dans le public. La netteté & la simplicité de ses écrits ont tenu lieu d’Eloquence pour mettre à la mode les Mathematiques à la Cour, chez les Princes & chez les personnes de la premiere qualité, cette science y ayant esté tres-peu connuë, avant qu’il l’eust montrée aux Princes : en sorte que on lui a obligation d’être l’occasion de l’état florissant où elle est, ayant donné lieu à l’inclination que les Princes ont euë pour cette science, & pour ceux qui s’y appliquent, & d’exciter par leur exemple, l’émulation des Particuliers : ce qui a ensuite donné occasion au Roy de les honorer de ses bienfaits, & d’achever de former la plus florissante Academie du monde.

Vous jugez bien, qu’une personne dans la scituation où il est n’hazardera pas de donner au public un systeme de Musique qui ne soit bien lié dans toutes ses parties : & c’est ce qui m’a engagé à l’apprendre, & à vous en écrire.

Il a d’abord changé les noms ordinaires.

UT, RE, MI, FA, SOL, LA, SI, UT.

En ceux-cy,

PA, RA, GA, SO, BO, LO, DO, PA.

Comme vous pouvez voir dans les noms & les notes du Système que je vous envoye. Vous sentirez la raison de ce changement, si vous prenez garde, qu’ayant mis trois noms en A, & quatre en O, il donne moyen de distinguer les intervalles majeurs d’avec les mineurs. En changeant, & ne changeant point de voyelles : car par exemple, PA, RA, est un ton aussi-bien que SO, BO, & GA, SO, aussi-bien que DO, PA, sont des demi-tons. De même PA, GA, & SO, LO, sont des tierces majeures : mais RA, SO, & LO, PA, sont des tierces mineures, & ainsi des autres. Vous n’avez point cet avantage avec les noms ordinaires : il faut y suppléer par un long usage. Les Musiciens accoûtumez aux anciens noms, auront de la peine à consentir qu’on les change : mais je crois qu’aprés avoir bataillé contre l’usage, on y viendra enfin comme on est venu au SI. C’est le sort ordinaire des bonnes choses qu’on vient d’établir.

Pour marquer les dieses & les B mols, il change les voyelles, sçavoir l’ A en I, & l’O en A, pour les dieses : ainsi PA diesé, fait PI, & SO fait SA. Et pour les B mols il change A en O, & O en E. Ainsi GA fait GO, & DO fait DE. Vous voyez que dans les Tablatures ordinaires de Musique, si on trouve une note sur la ligne sur laquelle est la clef de C SOL UT, on l’appellera PA, si elle est naturelle : P I, si elle est diesée, & PO : s’il y a un B mol. Ces nouvelles expressions ôtent les équivoques en donnant à chaque son un nom particulier : elles ostent les difficultez des transpositions, qui mettent à la gehenne ceux qui commencent la Musique : elles donnent les mêmes facilitez pour distinguer les intervalles majeurs des mineurs, que les noms des notes naturelles, pourveu qu’on se souvienne que l’E est l’équivalente de l’A : & l’I de l’O : en sorte que c’est comme si on ne changeoit point de voyelle, quand on dit DO, PI, ou quand on dit DE, PA. On fait là-dessus beaucoup de difficultez à M. Sauveur : mais il répond, que si on va pied-à-pied, on trouvera qu’il n’y auroit que fort peu de difficulté : & en effet, j’ay vû de jeunes gens, qui par curiosité ont appris sa Musique, qui ne sont point touchez de cette difficulté : ils trouvent commode d’être exempts des transpositions, & de prononcer les mêmes noms en solfiant, que pour les instrumens.

L’Auteur ne se contente pas de marquer les sons d’une octave, il a voulu distinguer les sons d’une octave d’avec ceux d’une autre, par des sillabes qu’il appelle Clefs des noms ; & pour bien entendre cecy, concevez que le C SOL UT, qui est au milieu du Clavecin, est le son moyen qui sert de fondement aux autres ; qu’il appelle octave moyenne, les sons compris entre ce C SOL UT, & son octave en montant ; il appelle de suite, premiere, deuxiéme, troisieme octaves, en montant. À l’égard des octaves qui vont en descendant, au dessous du même C SOL UT, il les appelle premiere, deuxiéme, troisiéme sous-octaves.

Cela supposé, il ne donne point de Clefs aux noms de l’octave moyenne, mais il met les sillabes sem, bis, ter, devant les noms aux octaves en montant ; & sub, subbis, subter, aux sous-octaves en descendant : de sorte que quand on prononcera PA, on marque UT de l’octave moyenne ; mais l’on dit sem PA, bis PA, ter PA, on marque UT de la premiere, deuxième, troisiéme octave. Au contraire, sub PA, subbis PA, subter PA, marquent UT de la premiere, deuxiéme, & troisiéme sous octave. On doit penser la même chose pour les autres noms des sons renfermez dans chaque octave.

Avec ces clefs, l’Auteur oste les équivoques, ou les periphrases des Musiciens ordinaires, qui pour signifier sem BO, disent l’octave de la clef de G RE SOL en montant, ou le SO en haut, en parlant d’un dessus.

À l’occasion de ces clefs, on dit à l’Auteur : Voulez-vous qu’en solfiant sur des Notes, j’aille dire LO DO sem PA, sem RA, ce qui allongeroit trop l’intonation ? Il répondit que comme en solfiant, on ne passoit que peu au delà d’une octave, il n’estoit point necessaire de chanter avec les clefs, puisque la note qui monte ou qui descend, suffit pour oster l’équivoque.

Je vous envoye un petit air connu, que j’ay noté à l’ordinaire, auquel j’ay ajoûté les noms des notes, selon ce nouveau systême ; j’y ay ajoûté les notes de son systême, que je vais vous expliquer.

Quoique les noms que Mr Sauveur a inventé pour exprimer les sons de la Musique, puissent s’appliquer aux notes ordinaires, comme je viens de vous marquer dans ce petit Air, il a neanmoins imaginé des notes particulieres, qui me paroissent fort simples & commodes ; elles empruntent leurs figures de quatre lettres, p. q. b. d. & comme il a besoin de sept notes, il a doublé ces lettres, en continuant un peu la queüe vers la partie opposée, qu’il appelle teste, comme l’on peut voit dans la figure des sons naturels.

Ces notes ne sont distinguées que par la situation de la queüe & de la teste : car les trois premieres ont la queüe en bas, & répondent aux noms en A ; & les trois autres ont la queüe en haut, & répondent aux noms en O : de sorte qu’on peut distinguer les intervales majeurs d’avec les mineurs par les notes, de la même maniere que par les noms. En second lieu, les premieres notes ont la queüe devant le corps de la note, & dans les dernieres la queuë est aprés ; enfin entre les notes qui ont la queuë vers un même costé, l’une a une teste, & l’autre est sans teste :

Ce qu’il y a de simple dans ces notes, c’est que sçachant entonner ces sept notes, l’on sçait toute la Musique, puisque chaque note porte son nom & son son, & que dans la Musique ordinaire, il faut des attentions aux clefs, aux lignes, & aux intervalles qui nous engagent aux transpositions : ce qui est encore facile, c’est que les dieses s’expriment en courbant la queuë vers la droite, & les b mols vers la gauche, comme vous pourrez voir dans la mesme figure.

Pour marquer les differentes octaves, il se sert de deux sortes de clefs ; sçavoir, de O, pour les octaves, & de D pour les sous octaves : dans ces clefs, il met les nombres 1. 2. 3. &c. pour marquer les differentes octaves. Voyez dans la premiere figure les clefs pour les Dessus & les Basses.

Les pauses, soupirs, ou silences se marquent par O, c’est à dire par une note sans queüe.

Les valeurs des notes & des pauses, se marquent ainsi : elles sont blanches & noires, comme dans nos notes ; pour marquer une croche, il met un trait dessus la note noire : les deux croches ont deux traits : les trois croches ont un c renversé : il met les semblables marques sur les notes blanches pour répondre à nos rondes, quarrées & à queues.

La mesure se marque devant la clef avec un chiffre & une note qui marque la valeur d’un temps : ainsi, O 2. signifie une mesure à deux, dont chaque temps vaut une blanche.

Enfin il marque la durée d’une note ou d’une mesure, par la longueur d’un pendule, qui est une balle attachée à un fil qui peut s’allonger & se racourcir, en faisant mouvoir de costé cette balle, elle fait des vibrations, qui sont lentes lorsque le pendule est long ; & elles se font en moins de temps, lorsque le pendule est plus court : ensuite il divise une regle en poulces. Ainsi O. P. 20. signifie qu’une blanche dure autant qu’une vibration d’un pendule qui a vingt poulces de long.

Vous voyez dans l’air noté à sa maniere, qu’il ne se sert que d’une ligne, dans laquelle il met les notes qui appartiennent à l’octave, marquée par la clef : les notes qui sont au dessus de la ligne, appartiennent à l’octave suivante, en montant : & s’il y avoit des notes qui fussent au dessous de la ligne, elles appartiendroient à l’octave suivante, en descendant.

[Arrivée de Mr le Duc de Mantouë, & la premiere entrevuë avec le Roy, &c.] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 321-331.

Vous sçavez que Monsieur le Duc de Mantoüe arriva à Paris le 9. de ce mois sous le nom de Mr le Marquis de San-Salvador, & qu’il est logé au Luxembourg, où il est deffrayé par le Roy. Je ne vous dis rien de ce qui s’est observé à son arrivée, parce que ce Prince étant icy incognito, ceux qui sont auprés de lui y sont plûtôt pour le conduire que pour faire aucune fonction qui regarde le Ceremonial.

Monsieur le Duc de Mantoüe fut conduit le 12. du même mois à Versailles, & introduit par un Escalier degagé dans le Cabinet du Roy, où S.M. l’attendoit au bout de sa table, Voicy ce que j’ay pû apprendre de ce qui se passa dans cette entreveuë. Mr le Duc de Mantoüe dit au Roy,

SIRE, je n’ay jamais rien tant souhaité en ma vie, que le bonheur dont je joüis aujourd’huy, je m’en trouve si penetré en ce moment, que si j’étois obligé de m’en retourner en Italie, tout à l’heure aprés avoir eu l’honneur de me presenter à V.M. je croirois encore mon voyage trop bien employé, & je serois ravi de l’avoir fait.

Monsieur, lui répondit le Roy, J’ay fort souhaité aussi de vous voir, pour vous remercier moi-même de toutes les obligations que je vous ay, vous avez exposé, pour me faire plaisir, & vos Etats, & vos interests, & j’en suis si reconnoissant, que je crains de ne pas vivre assés pour vous en témoigner à mon gré toute ma reconnoissance.

Sire, repliqua Mr de Mantoüe : je ne sçay pas de quel merite peut estre tout ce que j’ay fait : mais je puis assurer V. M. que je ne m’en suis jamais repenti, & que je ne voudrois estre à le faire que pour faire encore mieux.

Monsieur, repartit le Roy : J’y sçaurai répondre, & ma reconnoissance ne se borne pas à moy seul. Voila Monsieur le Dauphin, Monsieur le Duc de Bourgogne, & Monsieur le Duc de Berry, qui sçavent sur cela mes sentimens, & qui les partagent : ils vous temoigneront tous la même reconnoissance dans tous les temps.

Monsieur de Mantoüe repondit avec beaucoup d’esprit à tout ce que lui dit S.M. qui lui parla ensuite des mouvemens qui s’étoient faits du côté du Piedmont depuis son depart, & qui lui fit une belle peinture de la situation où estoient les Armées en ce païs là. Le Roy s’en expliqua avec tant d’ordre, de netteté & d’intelligence, que ceux qui sont le plus accoûtumez à l’admirer furent charmez de l’entendre.

Rien ne devant estre plus curieux que ce qui s’est passé dans cette entrevûë, plusieurs personnes de la Cour ont mis en usage plusieurs moïens pour le sçavoir, & voici ce que j’ay appris de ce qui leur a esté rapporté. Il estoit deux heures & demie lorsque Monsieur le Duc de Mantoüe entra dans le Cabinet du Roy, S.M. lui dit d’abord que toute l’Europe avoit vû ce qu’il avoit fait pour lui & pour le Roy son petit-fils, en soutenant la bonne cause, & ce qu’il avoit risqué. Ce Prince ajouta, qu’il n’en perdroit jamais la memoire, qu’il en conserveroit une reconnoissance dont il lui donneroit des marques en toutes les occasions, & qu’il avoit pû remarquer à l’empressement & à la foule du peuple, qu’il avoit trouvé à son arrivée, qu’on le regardoit icy comme un bon ami. Il ajoûta que dans la situation où étoient les affaires, il paroissoit devoir estre accablé, mais qu’il esperoit que Dieu qui connoissoit le fond de son cœur & ses intentions le protegeroit toûjours. S.M. presenta ensuite à ce Prince Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsieur le Duc d’Orleans, Monsieur le Duc, Monseigneur le Duc de Berry, Monsieur le Prince de de Conty, & Monsieur le Duc du Maine, & aprés lui avoir nommé tous ces Princes, il l’assura qu’ils seroient garands de sa parole, & qu’ils la tiendroient aprés luy. Le Roy dit ensuite à ce Prince, qu’il manquoit là Madame la Duchesse de Bourgogne, & il l’invita d’aller chez elle, S.M. l’y conduisit par le grand appartement. La Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne estoit remplie de Dames, & Monsieur le Duc de Mantoüe avoit beaucoup de Gentils hommes à sa suite. La conversation se passa debout, & dura un quart d’heure & plus. Le Roy nomma à Monsieur le Duc de Mantoüe la plûpart des Dames qui composoient le Cercle de Madame la Duchesse de Bourgogne, & ce Prince trouva que Madame de Maulevrier avoit beaucoup d’air de Mr le Maréchal de Tessé son pere. Le Roy le reconduisit ensuite dans son appartement, ce Prince en sortit un moment aprés par le même Escalier qu’il estoit venu, & alla dans l’apartement de Mr le Comte de Toulouse où il s’étoit reposé en arrivant.

On doit remarquer que Monsieur le Duc de Mantoüe n’ayant voulu voir personne jusques à ce qu’il eût vû le Roy : ce Prince ne commença à recevoir des visites qu’aprés son retour à Paris : il alla à l’Opera & à la Comedie de l’Inconnu qu’il avoit souhaité de voir, & où les Comediens eurent l’honneur de lui servir eux-mêmes une tres-belle collation.

Ce Prince a esté aussi à S. Germain en Laye rendre visite à leurs Majestez Britanniques qui se trouverent ensemble pour le recevoir, il en fut charmé, & marqua par des termes tres-energiques avec combien d’ardeur, il souhaitoit de les voir sur leur trône, & ce qu’il voudroit qu’il lui coutât pour avancer leur retablissement.

Mr le Marquis de Monteleon, Envoyé de Sa Majesté Catholique auprés de Mr le Duc de Mantoüe, & qui a suivi icy ce Prince, eut l’honneur de saluër le Roy dans son Cabinet le 13. de ce mois. Il fut presenté par Son Excellence Mr le Duc d’Albe. Sa Majesté le reçut avec beaucoup de bonté, & luy témoigna une veritable estime en consideration de la conduite judicieuse & délicate qu’il a tenuë en plusieurs occasions dans des affaires qui regardoient les deux Couronnes. Cet Envoyé fut si charmé de l’honneur que luy fit le Roy, & des manieres honnestes & obligeantes de ce Prince, qu’il dit à un de ses amis en sortant du Cabinet de Sa Majesté, que ce grand Monarque avoit le secret de s’attacher les cœurs & les esprits par des chaînes qui leur estoient bien douces. Mr le Marquis de Monteleon est Espagnol, il a toutes les bonnes qualités de ceux de sa nation & de sa naissance. Son air fait connoître tout ce qu’il est, il a l’esprit fort propre aux negociations. Il est Questor del Estado de Milan, qui est un employ fort considerable. Mr le Duc de Mantoüe a fait voir beaucoup d’estime & de consideration pour luy depuis qu’il est auprés de sa personne en qualité d’Envoyé d’Espagne.

[Détail de tout ce qui s’est passé en Italie pendant le mois de May] §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 352-375.

Il est temps de vous parler de ce qui s’est passé dans toutes les Armées du Roy depuis ma derniere Lettre. Je crois devoir commencer par l’Italie, parce que l’on peut dire que les Armées de Sa Majesté ont toûjours agi de ce côté-là, & que les troupes n’y ont presques point eu de quartier d’hyver. Cet Article des Armées d’Italie en contient trois, dans lesquels je dois parler de ce qui s’est fait ; sçavoir, sur la Secchia, en Piémont & en Savoye.

Les Allemans avoient laissé une partie de leurs troupes sur la Secchia, seulement pour faire diversion, & nous occuper une Armée pendant que Monsieur de Savoye agiroit avec le reste de leurs troupes & les siennes. Il fut prudemment resolu qu’on les pousseroit vivement du côté de la Secchia pendant tout l’hyver, afin de n’être point obligé de tenir une grosse Armée de ce côté-là pendant la campagne, & que pour cet effet Mr de Vendôme envoyeroit vingt compagnies de Grenadiers à Mr le Grand Prieur, que ce Prince lui renvoyeroit aprés avoir fait quelques expeditions. Tout cela s’est executé de la maniere qu’il avoit été projeté : Mr le Grand Prieur a pris Concordia & Revere, ainsi que plusieurs petits Postes qui environnoient ces Places, il n’a pas cru devoir étendre ses conquêtes sur la Mirandolle & sur Ostiglia, parce qu’il auroit fait plaisir aux Allemands, & que leurs troupes leur seroient demeurées saines & entieres aprés la prise de ces deux Places, au lieu qu’en y demeurant, elles y periront presque toutes sans qu’il en coûte un homme au Roy. La Mirandole devant tomber un jour comme a fait Bercelle, cette Place étant enfermée comme l’autre l’a été, & rien n’y pouvant entrer. Quant à Ostiglia, il y a si long-temps que les Ennemis y sont, & le lieu est si mauvais & si empesté, qu’ils n’y pourront rester encore longtemps sans perir presque tous. C’est ce qui obligea Mr Davia que l’infortune suit toûjours, d’en sortir avec 350. chevaux, afin de joindre Mr de Staremberg s’il lui étoit possible : cette Cavalerie a fait beaucoup de chemin, en ne prenant pas les voies ordinaires, & marchant souvent dans des lieux impraticables qui ruinent les chevaux. Il étoit impossible que passant par beaucoup d’endroits du Milanez où elle n’étoit pas attenduë, & où même on ne pouvoit prevoir qu’elle pourroit venir, elle ne fit quelque butin ; mais il y avoit de si bons ordres par tout pour empêcher qu’elle joignit Mr de Staremberg, qu’elle a été coupée & battuë en plusieurs endroits. Mr de Toralba en deffit une partie, fit beaucoup de prisonniers, & reprit tout le butin qu’elle avoit fait, & le bagage qu’elle avoit avec elle. Mr le Prince d’Elbeuf & Mr de Quelus qui commande les Dragons jaunes du Roy d’Espagne, eurent beaucoup de part à cette deffaite, & acquirent beaucoup gloire. Ce qui se sauva de cette Cavalerie fut encore coupé & battu par Mr de Vaudray, & la même chose étant arrivée au reste de ce Corps du côté Tirol, il fut entierement dissipé. Cependant Mr le Grand Prieur prit toutes les mesures necessaires pour boucher le passage aux troupes qui sont dans Ostiglia, & les empêcher de joindre Mr de Staremberg, & de se retirer par le Trentin. Les ennemis publient que ces troupes d’Ostiglia seront grossies par d’autres troupes qui viendront du Tirol ; mais on sçait que l’Empereur loin d’avoir eu dessein d’en envoyer en Italie, avoit resolu de retirer le Corps qu’il a du côté de la Secchia, & qu’il seroit repassé il a long-temps, si Mr de Savoye qui fatigue toûjours ses Alliez, qui se plaint & qui crie sans cesse, n’avoit fait faire des instances vigoureuses & souvent réïterées à la Cour de Vienne pour empêcher que ces troupes ne retournassent en Allemagne ; elles viennent de perdre Mr le Prince Thomas de Vaudemont leur General, qui n’a été malade que quatre jours d’une maladie causée par l’infection des lieux où ces troupes habitent. Il y a lieu de croire que si les Generaux s’en ressentent malgré toutes les précautions qu’ils prennent pour s’en garantir, les soldats s’en ressentent bien davantage, c’est ce qui avoit tellement affoibli la santé de Mr le Comte de Stratmandorf, que l’Empereur a esté obligé de lui accorder la permission de retourner en Allemagne. Je ne vous dis rien dans cet Article de Mr le Prince Thomas de Vaudemont, pour ne pas interrompre la suite de cette Relation par ce que j’aurois à vous en dire ; ainsi je remets au mois prochain à vous en parler.

Il ne me reste plus qu’à vous entretenir d’une action qui regarde les troupes commandées par Mr le Grand Prieur, aprés quoy je vous parleray de tout ce que Mr de Vendôme a fait depuis l’ouverture de la Campagne. Comme on a parlé fort differemment de l’action dont il s’agit, & que je ne pourrois vous en parler juste sur tout ce qu’on en a raporté, je vous envoye une Relation faite par Mr des Bournais Capitaine de Cavalerie dans le Regiment d’Estrades, qui fut detaché pour aller au secours de la Cassine qui étoit fort pressée par les ennemis. Voicy cette Relation.

Les Ennemis attaquérent Concordia le premier jour de May & surprirent même nos gens qui furent obligez de se retirer dans une maison entourée d’un petit fossé sec, où ils se deffendirent pendant plus de vingt-quatre heures. Les ennemis avoient mis une batterie de deux pieces de canon dans une Cassine voisine de celle là ; Mr le Comte d’Estrades partit de Reveré le soir avec son Regiment, cinq Compagnies de Grenadiers & cent chevaux. Nous marchâmes presque pendant toute la nuit, & nous arrivâmes au point du jour. Mr de Vaudray y marcha aussi avec mille hommes d’Infanterie, & trois cens chevaux, il prit la route de ce costé cy, & Mr de Vaudray qui estoit parti tard de Mantoüe & avec un plus gros Corps d’Infanterie ne pût marcher si diligemment que Mr d’Estrades. On auroit bien voulu surprendre les ennemis avant qu’ils eussent eu le temps de se retirer, mais Mr d’Estrades voyant que Mr de Vaudray estoit encore éloigné, & sçachant que nos gens estoient fort pressez, jugea qu’il valoit mieux laisser retirer ces gens là, que de laisser perdre deux Compagnies de Grenadiers ; c’est pourquoy il marcha toûjours & fit avancer un détachement avec tous les Tambours du Regiment que l’on fit battre, dés qu’on crut qu’ils pouvoient estre entendus, afin de faire connoistre que le secours venoit ; les ennemis se retirerent d’abord qu’ils les entendirent, & emporterent leurs blessez. Ces Troupes estoient de la garnison de la Mirandole, & elles n’avoient que quatre mille de chemin à faire pour s’y retirer. Nous revinsmes au Camp le même jour, aprés avoir donné cent hommes d’Infanterie de renfort aux deux Compagnies de Grenadiers que Mr de Crevecœur Capitaine des Grenadiers de Solre, commandoit dans Concordia. Nous n’avons eu dans cette occasion que quatre Grenadiers tuez, & dix sept ou dix huit blessez. L’on ne sçait point ce que les ennemis ont perdu, parce qu’ils avoient enterrez leurs morts avant que de partir : on leur a vû emporter plusieurs blessez, entr’autres un Lieutenant Colonel & quelques Capitaines.

On ne peut trop admirer la vigoureuse deffense que Mr de Crevecœur qui commandoit les deux Compagnies de Grenadiers de Solre, a fait dans la Cassine, où elles se sont si bien deffenduës, elles ont fait de frequentes sorties de six & de huit personnes, & grand feu par les fenestres. Elles avoient même resolu de se retirer dans la cave, lorsqu’elles se verroient sur le point d’estre forcées, & d’y attendre les ennemis la bayonnette au bout du fusil ; mais voyant qu’ils se retiroient precipitamment, ils sortirent sur eux & en tuérent un bon nombre. Le Roy qui ne laisse point d’actions si éclatantes & d’une intrepide valeur sans récompense, a donné des gratifications tant aux Officiers qu’aux Soldats.

Monsieur le Grand Prieur pour finir le Prelude de la Campagne, s’est aussi saisi de Monte-Alfonso & d’une autre Forteresse dans le païs de la Garfagnana, appartenant au Duc de Modene, & situées dans l’Appenin, entre le Modenois & l’Etat de la Republique de Luques, & a nommé pour commander dans cette Province, où il a mis deux cens hommes de garnison, Mr Gaffart Brigadier & Colonel de Dragons. La prise de ces Places empêche les ennemis de se joindre par les montagnes à Mr de Staremberg, & leur ôte aussi le moyen de recevoir des Troupes par mer.

Pendant tout le temps que Monsieur le Grand Prieur agissoit & mettoit toutes choses en estat pour les raisons qui ont esté marquées au commencement de cet article, Monsieur de Vendôme travailloit de son costé à couvrir le Milanez, il faisoit travailler à Casal, il resserroit chaque jour Mr de Savoye par les differens postes dont il se rendoit maistre, & cherchoit sur tout à s’emparer de tous les lieux par où de petits corps se pouvoient glisser pour grossir son Armée. Enfin il n’oublioit rien pour couper les passages à toutes les troupes qui auroient pû chercher à le secourir ; & lorsque tous les Magazins furent remplis, & que la plus grande partie de ses recruës fut arrivée, il resolut d’ouvrir la Campagne. Ce Prince monta au clocher de Casal, d’où il observa l’Armée ennemie qu’il vit en bataille, sa droite à Balzola, & sa gauche à Villanova. Il resolut dés lors de l’aller attaquer, & pour faire voir qu’il ne la craignoit pas, de passer le Pô sur trois ponts, tambours battans, enseignes deployées, & aux fanfares des trompettes ; pour cet effet il fit assembler son Armée à Casal le 3. le 4. & le 5. de ce mois, il y passa le Pô le 6. à la pointe du jour sur trois ponts de batteaux avec toutes les precautions necessaires pour se mettre en bataille de l’autre costé, personne ne doutant que Mr de Savoye qui avoit assemblé son Armée à Villanova, ne voulut risquer un combat pour empêcher nostre armée de passer le Pô, mais il ne jugea pas à propos de l’hazarder, il decampa le même jour de Villanova, & marcha à Trin. Mr de Vendôme se contenta ce jour-là de faire passer toute son armée, & le lendemain il se mit en marche sur Trin que les ennemis abandonnerent pour se retirer à Crescentin ; dans cette marche l’avant-garde composée de 400. chevaux, commandée par Mr de la Bretonniere, & soutenuë du Regiment de Lautrec, & de celui de Verac, poussa l’arriere garde des ennemis, commandée par Mr de Vaubonne, qui commença à faire ferme au village de Treno, où il avoit posté de l’Infanterie, sous le feu de laquelle il deploïa ses Escadrons, & vint vigoureusement charger les 400. chevaux, commandez par Mr de la Bretonniere, qui se trouverent d’abord obligez de se replier sur Mr de Lautrec qui les soutint avec six Escadrons, & leur donna le temps de se rallier, & de recharger ensuite Mr de Vaubonne qui fut pris, quoique ses Escadrons ne fussent point rompus, & se retirassent en assés bon ordre sous le feu de l’infanterie postée au village de Treno. Mr de Vendôme arriva en ce temps-là avec les Carabiniers & plusieurs brigades de Dragons & de Cavalerie, & aïant reconnu le Village, il resolut de l’attaquer, & il ordonna à Mr de Lautrec de faire cette attaque avec sa brigade, & celle du Dauphin, aïant donc mis pied à terre, & rempli le terrain, qui estoit occupé par des Escadrons de Cavalerie ; ces deux brigades marcherent au Village, la baïonnette au bout du fusil, & y entrerent sans resistance les ennemis l’aïant abandonné aprés leur premiere decharge, de laquelle plusieurs Dragons furent tuez ou blessez, parmi lesquels Mr de Lautrec Lieutenant Colonel des Dragons de Languedoc se trouva mort.

Aprés cette derniere action, les ennemis ne songerent qu’à se retirer, laissant Mr de Vendôme maistre du Village, & d’environ 60. prisonniers, de 3. Officiers, & de Mr de Vaubonne en charge de Brigadier parmi eux. Ils ont eu prés de 200 hommes tuez sur la place, & on leur prit deux Etendarts. Mr de Vendôme ramena ensuite les troupes dans le Camp marqué à Trin, d’où il partit le 8. au matin avec l’Armée pour s’avancer vers Crescentin, dans l’esperance que les ennemis l’abandonneroient pour passer la Doria Baltea, mais aïant appris par ses partis qu’ils s’y retranchoient, aïant leur gauche à la riviere de Doria, & leur droite à Crescentin, il fit faire alte à l’Armée à deux mille de Crescentin, où elle campa, la gauche au Pô, & la droite vers Naviglio de la Salutia.

Voici quelle estoit alors la disposition des Armées.

L’Armée de Mr de Vendôme avoit 42. bataillons & 75. Escadrons, & estoit campée à Sainte Marie à deux mille de Crescentin.

Mr d’Albergotti avoit un corps à Gabion de sept Escadrons, & de huit bataillons pour observer ce qui pourroit deboucher de Verruë, & pour couvrir le Montferrat.

Mr de las Torres avoit un autre Corps composé de Troupes de l’Etat de Milan vers le Bourg de Verceil, & pour couvrir le Milanez.

L’Armée de M. de Savoye, & de Mr de Staremberg estoit de 26. bataillons & de 52. Escadrons à Crescentin ; il y avoit 13. bataillons & 3. Escadrons à Verceil : les ennemis occupoient aussi des postes sous Verruë où ils estoient bien retranchez.

Je vous marquerai à la fin de ma Lettre, ce qui se sera passé depuis le jour où cette Relation finit : cependant vous pouvez vous assurer que celle que je vous envoye du passage du Pô est la seule qui ait esté renduë publique.

Quant à ce qui regarde la Savoye, il s’y est passé peu de choses depuis l’attaque de Chambery par Mr le Marquis de S. Remi ; la marche qu’il a fait de ce côté-là a coûté 1200. hommes à Mr de Savoye, qui ont pris parti dans nos troupes ; c’est un fait constant, & connu par les routes qu’on leur a expediées pour venir servir en Flandres, & en beaucoup d’autres endroits. Tout tremble du costé de Savoye, où il est constant qu’un terrible orage est sur le point de tomber, ainsi Mr de Savoye se va voir bien pressé du costé du Piedmont, & de celui de la Savoye. Je ne doute point qu’on n’aprenne avant que je ferme ma Lettre, la suite de quelques progrez faits de ces deux côtez, cependant je dois ajoûter ici que Mr le Marquis de Marsilli, qui commande au Blocus de Montmeillan s’étant emparé d’une contremine que les ennemis avoient faite, & aïant attaché la nuit du 13. au 14. le Mineur au Pont de cette Place, il en fit sauter une partie, nonobstant le grand feu de canon & de mousqueterie de la Ville & du Château.

[Article des Enigmes]* §

Mercure galant, mai 1704 [tome 5], p. 353-355 I.

Le mot de la derniere Enigme estoit la jarretiere, il a été trouvé par plusieurs personnes, mais peu ont donné leurs noms, aïant deviné la jarretiere sans croire avoir trouvé le veritable mot, ne s’imaginant pas qu’on donnât deux fois de suite une Enigme, dont le mot fût le même. Ceux qui ont donné leur nom sont, Messieurs Bardet & Duplessis son ami, Maistre Chirurgien au Mans, Charier, le Chevalier Romain grand Mathematicien, l’aimable voilée aux yeux bruns & blonds cheveux, & sa nouvelle conqueste de Chosel, Le nouveau devineur de la ruë des Maturins, & par l’aînée des neuf Muses de la Paroisse Saint Honoré.

Voicy une Enigme nouvelle, elle est de Mr d’Aubicourt.

ENIGME.

Du beau feu qui m’anime on prolonge le cours,
Lorsque l’on satisfait reglement son attente :
De deux alimens seuls mon besoin se contente,
À peu de frais ainsi, je puis vivre toûjours.
***
Si ma flâme paroît la nuit plus que le jour,
Ce n’est pas qu’au Soleil elle soit moins ardente :
L’Aurore anonce en vain sa victoire éclatante,
Je triomphe le soir, & je brille à mon tour,
***
Utile aux pauvres gens, en mepris chez le riche,
Je me trouve par tout, même au Louvre on me niche ;
L’on me plaçoit jadis jusques dans les tombeaux.
***
Dix-sept siecles passez fourniroient peu d’exemples,
Que sans moy on ait veu frequenter les saints Temples,
Comme il n’est point sans moy de chaumiere aux hameaux.