1704

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7].
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Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7]. §

[Prelude] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 5-6.

Le Madrigal qui suit servira de Prélude à ma Lettre.

AU ROY.
MADRIGAL.

LOUIS toûjours Vainqueur de tant de Nations,
Ayant sur l’équité reglé ses actions,
Voit aller sa famille auguste,
À quatre generations.
Le Ciel répand sur luy ses benedictions,
C’est la recompense du Juste.

Ce Madrigal est de Mr Baraton, qui a autrefois emporté des Prix de Poësie.

[Ode] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 6-16.

Enfin je vous envoye l’Ode dont vous me mandez que l’on vous a écrit tant de bien. Il ne m’a pas esté possible d’en avoir plûtost une Copie.

SUR LES HEUREUX COMMENCEMENS DE LA CAMPAGNE,
en 1704.
ODE.

As-tu-vû, docte Memoire,
Qui consacres les exploits,
Entreprendre à la Victoire
Tant d’affaires à la fois ?
Sur LOUIS fixant sa vûe,
Elle fremit dans la nuë,
Et pour se déterminer,
Elle examine, elle écoute,
Elle attend que de sa route
Son Maistre daigne ordonner.
***
Bien-tost l’Hydre des Cevennes
Puny de sa trahison,
Va vomir sur leurs Arênes
Les restes de son poison :
Déja l’Esprit Fanatique,
Que la disgrace publique
Arma de flame & de fer,
Etourdi de sa défaite,
N’envisage pour retraite
Que la Hollande, ou l’Enfer.
***
Mais, quel bruit, des Pyrenées
Perçant les Monts sourcilleux,
Rend nos ames étonnées
Par des progrés merveilleux ?
Devant le jeune Philipe
Le Portugais se dissipe,
Et va s’évanoüissant,
Tel qu’une vapeur obscure
Qui perd couleur & figure
Aux rayons du jour naissant.
***
Le Fils des Ducs deBragance,
Qui se compte au rang des morts,
De ce qu’il doit à la France
Se souvient avec remors :
Presque assiegé dans Lisbonne,
Il prévoit de sa Couronne
Le prochain enlevement ;
Il comprend dans sa misere
Que la main qui sçut le faire
Peut le défaire aisément.
***
Par le tumulte des armes
L’ Archiduc est allarmé ;
Il a recours à ses larmes,
Son refuge accoûtumé ;
Mal assuré dans la Ville,
Sur son Bord, son seul azile,
Il fuit son sort inhumain,
Et jette un œil de colere
Sur le Sceptre imaginaire
Dont on a paré sa main.
***
La bruyante Renommée
Jusqu’à l’Eridan soûmis
Vole, & conte à nostre Armée
Les Exploits de nos Amis :
Vendôme, à cette nouvelle
De sa valeur naturelle
Se promet même destin,
Et plein d’espoir & de joye
Presse le Duc de Savoye
Retranché sous Crescentin.
***
O Duc ! ma Muse timide
Hesite à parler de toy :
Qui nous donneAdelaïde,
Peut-il nous manquer de foy ?
Aprés un present si rare,
Faut il que ton cœur s’égare
Jusqu’au point de nous trahir ?
Tes dons, ton ingratitude
Nous causent l’incertitude
De t’aimer, ou te hayr.
***
Les debris de ces Cornettes
Sous qui la Thrace plia,
S’abîment dans les retraites
Du Marais d’ Ostiglia :
Les Soldats, les Capitaines
Y perissent par centaines,
Le Grand Prieur en gemit,
Et prend pour une injustice
Que la Peste luy ravisse
Les lauriers qu’il s’en promit.
***
Et vous, Prince de Baviere,
Cœur solide, Ami constant,
Inépuisable matiere
Pour un Eloge éclatant ;
Par quelle reconnoissance
Pourra s’acquitter la France ?
Par quel encens ? par quels vœux ?
Comment faut-il qu’on public
La fermeté qui vous lie
Au parti de vos Neveux ?
***
Vous executez sans peine
La fameuse Jonction
Qui de l’Europe incertaine
Attiroit l’attention :
Vostre valeur souveraine
Prepare une illustre chaîne
Pour le Danube conquis ;
Sous vos loix tout va se rendre,
Et Vienne, pour la deffendre
N’a plus de Sobieskis.
***
Des orgüeilleux Insulaires
Le rebelle aveuglement
Croit, en brouillant nos affaires,
Se soustraire au chastiment ;
Quoy que lent, le Ciel est juste,
Il fait croistre un Prince Auguste
Qu’on éleve au sein de Mars ;
Tremblez, coupables Victimes,
Le Vangeur de tant de crimes
Sort des cendres des Stuards.
***
Des Bataves en desordre
Le bonheur est échoué ;
Qu’ils se disposent à mordre
Le Frein qu’ils ont secoué :
Leurs forces sont languissantes,
Sous des lignes impuissantes,
Mastrick couvre son effroy,
Et leurs marches incertaines
Vont livrer leurs Capitaines
À Tallard & Villeroy.
***
Sur qui cependant repose
Nostre invincible destin ?
Sur le Dieu de Theodose,
Sur le Dieu de Constantin ;
Comme eux dans toute entreprise
Le Fils aîné de l’Eglise
Adore ses volontez ;
Comme eux, la celeste Grace
Comble son Regne & sa Race
D’immenses prosperitez.
***
Est-ce un esprit prophetique
Dont je sens le mouvement ?
Est-ce un objet fantastique
Qui séduit mon jugement ?
Je vois l’Ange de la France
Qui sur Versailles s’avance
Portant un nouveau Blason,
Où l’Hermine signalée
Se fait voir écartelée
Aux Lis d’or de la Maison.
***
Paroissez, Duc de Bretagne,
Répondez à nostre ardeur,
De la France & de l’Espagne
Affermissez la grandeur,
Que vostre heureuse naissance
Augmente la confiance
Des biens qui nous sont promis,
Et que nos cris d’allegresse
Aillent porter la tristesse
Au cœur de nos Ennemis.

Vous ne devez pas estre surprise des applaudissemens qui ont esté donnez à cette Ode, puisqu’elle est de Mr de Bellocq, dont les ouvrages ont toûjours eû l’avantage de plaire dans un lieu où regne le bon goust, & où l’on ne donne de loüanges qu’au vray merite.

Il est à propos que vous sçachiez que cette Ode a esté faite plus de quinze jours avant la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

[Tragedie representée au College de Loüis le Grand, avec plusieurs complimens en Vers, faits à S.M.B.] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 35-54.

Je croy devoir vous parler une seconde fois de l’article qui suit, quoy que vous en ayez déja trouvé quelque chose dans ma Lettre précedente.

Le 18. de Juin le Roy de la Grande Bretagne vint à Paris avec la Princesse sa sœur. Il alla au College des Jesuites, & assista à la representation d’une Piece de Theatre, dont je vous ay déja parlé. Il fut reçu à la porte par le P. Recteur accompagné de toute la Communauté. Il traversa la Cour au bruit des Trompettes, des Timbales, & des acclamations d’un grand nombre de personnes qui s’y estoient renduës pour voir ce Prince.

Mrs les Princes de Croy, de Nassau, de Ligne ; Mrs Mancini, de Solre, du Roure, de Monifuron de Valbelle, de Montholon, de Lanmary, de Chasteau renault, de Vilennes, d’Estin & de Bourbon Malause, tous Pensionnaires du College, complimenterent ce Monarque dans la grande Salle, aprés quoy Sa Majesté se rendit dans le lieu où la Tragedie fut representée ; elle commença & finit par un Compliment que fit à Sa Majesté le Prince de Pont, fils de Mr le Comte de Marsan. Le Prologue de cette Piece, qui estoit en Musique & que je vous envoye, estoit à la loüange du Roy & de la Princesse sa sœur.

PROLOGUE.
APOLLON, LES MUSES.

APOLLON.

Muses, preparez-vous à de nouveaux concerts ;
Un Roy que le Destin fit naistre
Pour rendre un jour le calme à l’univers
Dans ce double vallon a bien voulu paraistre.
Instruit depuis l’enfance à mes doctes leçons,
Il prend part à ma gloire,
Il vient estre en ces lieux témoin de la victoire
Que vont remporter mes chansons.
Et vous, mes tendres Nourrissons,
Par des cris, par des chants, honorez sa presence ;
Le sang l’éleve au rang des Rois :
Mais le droit de sa naissance
Est le moindre de ses droits.

Chœur des Muses.

Par des cris par des chants, honorons sa presence ;
Le sang l’éleve au rang des Rois :
Mais le droit de sa naissance
Est le moindre de ses droits.

APOLLON.

En vain de ses sujets l’aveugle destinée
Les force à rejetter ses loix :
Bien-tost par d’éclatans exploits
Ils verront de ses mains sa valeur couronnée.
Il est digne de vostre amour,
Peuples, que la fureur d’une ligue obstinée
Retient dans des liens qu’on sçaura rompre un jour ;
Il est digne de vostre amour.

UNE MUSE.

Du Heros qu’il eut pour Pere
Il imite les vertus :
Sa memoire est encor chere,
Le monde entier le revere
Au temps même qu’il n’est plus.
Le Ciel auquel il sçut plaire
Rendra d’une ligue fiere
Les attentats superflus.

UNE AUTRE MUSE.

Par les mains des Graces formée
Une Princesse de son sang.
Plus grande que sa renommée,
Est plus illustre que son rang :
Semblable à son auguste Mere,
Son cœur est droit & sincere ;
Son esprit a mille attraits.
Dans les emplois de Minerve
Elle a fait d’heureux progrés ;
Que le Ciel nous la conserve
Pour estre un gage de Paix !

APOLLON.

Jeunes Heros, qui celebrez la feste
Que par mes soins sur le Pinde on appreste :
Un jour vous irez sur ses pas
Vous signaler en de sanglans combats :
Alors la rebelle Tamise
Roulant ses eaux plus douce & plus soûmise
D’un Regne fortuné goûtera les appas.

CHOEUR D’APOLLON
& des Muses.

Par des cris, par des chants honorons sa presence :
Le sang l’éleve au rang des Rois :
Mais le droit de sa naissance
Est le moindre de ses droits.

Au milieu de l’action les Pensionnaires qui avoient complimenté Sa Majesté, luy servirent toutes sortes de rafraîchissemens, qui furent ensuite distribuez à toute l’Assemblée. La Piece finie la Roy fut reconduit à son Carosse par les Jesuites & par les plus distinguez de leurs Pensionnaires. Tous ceux qui eurent l’honneur d’approcher le Prince & la Princesse furent charmez de leurs manieres.

Les complimens qui ont esté faits à Sa Majesté Britannique & dont je vous ay parlé dans cet Article, estant tombez entre mes mains, je vous les envoye.

Digne Sang du Heros dont vous pristes naissance,
Sire, vostre auguste presence
Rappelle à nos esprits tout ce qu’il eut de grand :
Sa foy, sa pieté, sa valeur, sa clemence,
Vertus qu’on vit en luy plus grandes que son rang.
Il protegea comme vous faites
Ceux que le ciel engage à prendre soin de nous,
Enfin il fut ce que vous estes
Et nous le retrouvons en vous.
Le Salomon de l’Angleterre,
Ce Prince si fameux dans la Paix, dans la Guerre,
Eprouva comme vous les caprices du sort.
Comme luy sauvé du naufrage,
En France vous trouvez un Port.
Autant que luy tranquille & sage
Vous laissez dissiper l’orage,
Attendant qu’un heureux retour
Vous rappelle sur un rivage,
Où vous ne prétendez regner que par amour.
Sire, dès qu’on vous voit paroistre,
On ne peut s’empescher de s’écrier, eh quoy !
Des Sujets peuvent-ils refuser pour leur Roy
Un Prince si digne de l’estre.
S’ils pouvoient comme nous vous voir & vous connoistre,
Quand bien même le sang ne vous donneroit pas
De justes droits sur vos Etats,
Les Anglois enchantez vous choisiroient pour Maistre.
Noble sang des Stuarts, digne fils d’un grand Roy,
Heritier de son nom, heritier de sa foy,
Me sera-t-il permis de dire
Sans m’attirer vostre courroux,
Le vœu que malgré moy mon cœur forme pour vous ;
C’est l’amour seul qui me l’inspire.
Puisse le Ciel au premier jour
Vous faire abandonner la France,
Et nous oster toute esperance
D’y revoir jamais vostre Cour.
J’allois vous offrir mon bras
Pour conquerir des Etats,
Mais considerant les charmes
Qu’en vous la nature a mis,
Un tel Prince, ay-je dit, n’aura pas besoin d’armes ;
Qu’il paroisse, & d’abord tout luy sera soûmis.
Je viens vous faire icy mon compliment,
Tout simplement.
J’auray peut-estre un jour recours à l’éloquence
Quand vous m’accorderez une longue audience,
Hors de France
  S’entend.
Sire, vostre cause est trop bonne,
Le Ciel trop obligé de vous prester son bras
Pour craindre qu’il vous abandonne.
Quand le Roy vostre Pere en quittant ses Etats,
Voulut aux saints Autels immoler sa Couronne
Etre en les mains du Ciel il la mit en dépost.
Le Ciel est son garent, & sçaura vous la rendre
Et si nos vœux peuvent se faire entendre,
Sire, nous esperons qu’il la rendra bien-tost.
Monarque aimé du Ciel, admiré de la France,
Dont l’esprit, la sagesse égalent la naissance ;
Qui meritez le Trône où regnoient vos Ayeux
Et sçaurez imiter leurs exploits glorieux.
Tous ces jeunes François viennent vous rendre hommage ;
Ils apprendront de vous qu’on peut estre à vostre âge.
Fidele à ses Amis, genereux & vaillant,
Soutenir sans orgüeil l’éclat le plus brillant,
S’élever au-dessus de la grandeur suprême,
Estimer la vertu plus que le diadème,
Et pour tout dire enfin, renfermer seul en soy
Ce qui fait un Chrestien, ce qui fait un grand Roy.
J’ay sçu trouver un Maistre habile,
Qui par une route facile
Apprend l’art de bien gouverner,
Né pour le bonheur de la terre,
Un jeune Prince en Angleterre
Doit aller bien-tost l’enseigner.
Quiconque lira son Histoire,
Sans se charger tant la memoire,
Sçaura le grand Art de regner.
Je suis maintenant bon François,
Mais suivant la Metempsycose
Si je devois bien-tost devenir autre chose
Et que le changement fut permis à mon choix ;
Je n’hesiterois pas sur ce que je veux estre.
Sire, de mon destin vous fixeriez l’objet,
Je sens que d’un tel Roy, je sens que d’un tel Maistre
Je serois volontiers le fidelle sujet.
Gouverner des Peuples soûmis,
Vous attacher leurs cœurs, en conservant leur gloire,
Triompher de leurs ennemis,
Et leur asservir la Victoire,
Sans parler en gens inspirez
Ny vouloir faire les Prophetes,
Sire, en voyant ce que vous estes
C’est bien-tost ce que vous ferez.

SIRE,

Vous sçavez qu’à mon âge on est gueres en estat
De distinguer d’où peut venir l’éclat
Qui fait briller vostre auguste Personne,
Mais je puis du moins assurer
Que ce même éclat qui m’étonne,
Tout le monde a sçû l’admirer.
Ma Muse voudroit bien dans l’ardeur qui l’inspire
Celebrer en ce jour le bonheur de ces lieux.
Mais il vous est grand Roy, plus aisé de le lire
Sur nostre front & dans nos yeux.
On disoit que l’Amour & que la Majesté
Ne faisoient jamais d’alliance,
Sire, c’est une fausseté
Je le vois par vostre presence.
Eloigné du pays que le sang, la naissance
Doit soûmettre à vostre puissance,
On vous plaint de vous voir privé d’un bien si doux.
Moy je plains l’Angleterre ; elle y perd plus que vous.
Lorsque de leur presence autrefois Apollon
Et Diane sa sœur honoroient l’Helicon,
Sire, ce Dieu de l’Hypocrene
Banissant pour un temps le travail & la peine,
Donnoit quelque repos aux tendres nourrissons
Qui vivoient sous ses loix dans les sacrez vallons.
C’est peut-estre une Fable, eh bien ! je le veux croire.
Vous pouvez toutefois, Sire, en faire une Histoire.

Le Compliment qui suit fut fait au commencement de l’action.

N’est-ce point beaucoup entreprendre,
Sire, à des enfans comme nous,
Qui ne peuvent qu’à peine encor se faire entendre,
De vouloir divertir un grand Roy comme vous ?
L’entreprise sans doute est un peu temeraire,
Je ne puis le dissimuler :
Mais quand il s’agit de vous plaire,
Sire, les enfans même apprennent à parler.

L’Action finit par les Vers suivans.

Si nos Jeux ont pû plaire à Vostre Majesté,
Sire, nostre bonheur est bien digne d’envie,
Et ce jour doit estre compté
Pour le plus beau de nostre vie.
Mais quand l’âge & la force, en secondant nos vœux,
Nous mettront en estat de combattre pour elle,
C’est autrement que par des jeux,
Sire, que nous sçaurons luy marquer nostre zele.

[Galanterie d’une manière toute nouvelle] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 85-97.

Je vous envoye une galanterie d’une maniere nouvelle ; elle est de l’invention d’une Dame qui a infiniment d’esprit, qui au lieu de donner des rimes pour des Bouts-rimez, a donné des mots qui doivent entrer dans un ouvrage, dont elle a prescrit le sujet. On a suivy son intention, ainsi que vous verrez dans la piece suivante.

DISCOURS REMPLIS
sur trente mots donnez pour un Voyage.

Desir,

Conquerant,

Amour,

Maison,

Secret,

Rencontre,

Reine,

Magnifique,

Langueur,

Vaisseau,

Adorable,

Vivacité,

Heureux,

Diamans,

Giste,

Maistresse,

Toilette,

Soûmission,

Princesse,

Sable,

Etranger,

Folle,

Fragment,

Vigilance,

Esclavage,

Perte,

Infidelle,

Pescheur,

Visage,

Introducteur.

À URANIE.

Le desir de vous plaire, adorable Vranie, m’a fait entreprendre un voyage. Amour veüille le rendre heureux, & donne à mon esprit la vivacité qu’il inspire.

Je m’embarquay sur une mer dangereuse ; les vents favorisoient mes desirs ; j’entray dans un magnifique Vaisseau nommé le Conquerant. J’apperçus d’abord une bonne personne qu’on nommoit fidelité ; elle a le visage long & tres ennuyeux, elle ne sçait dire que la même chose, je m’en lassay bien tost, & j’entray dans une chambre, où je trouvay l’Inconstance. C’est un Folle sans raison ny jugement, si étourdie que je ne voulus faire aucune societé avec elle. Le Dépit vint à sa place ; ce petit homme est toûjours en colere, & ne dit que des choses inutiles, jurant, pestant contre ceux qui l’aiment le mieux ; je me serois jettée dans la mer pour l’éviter, mais le Capitaine le chassa, & l’Amour propre se presenta avec toutes le Graces qui l’accompagnent. Je le reçus à bras ouverts, comme une bonne compagnie que je ne veux jamais quitter ; il a des remedes à tous maux, il plaist dans tous les temps, un air d’assurance brille sur son visage & il l’inspire à ceux qui le regardent. C’est une aimable personne dont il ne faut jamais se separer pour estre heureuse. Inspirée par ses amis, j’arrivay tranquille dans le Royaume des Amours, & j’y trouvay en abordant une petite épreuve à ma pitié. Je vis les fragmens d’un Vaisseau brisé, & une belle Princesse évanoüie sur le sable ; je courus pour la secourir ; elle revint, & me fit present de plusieurs gros Diamans dont elle avoit une cassette pleine. Je fus ravie d’avoir fait un si bon rencontre. Il y avoit prés de là une jolie maison, quoy qu’elle n’appartinst qu’à un Pescheur, j’eus soin d’y faire coucher ma Princesse, qui aprés un leger repos me conta son Histoire, quoy qu’en langage étranger. J’entendis qu’elle poussoit des soupirs pour la perte d’un Infidele. Son Histoire que je passeray sous silence, me le confirma. Il fallut le lendemain continuer nostre chemin ; je dis nostre, parce que la Princesse eut même intention que moy d’aller voir la Mere d’amour. Son Isle est d’un tres difficile abord, quoy que les chemins soient semez de violettes & de fleurs qui naissent des pleurs des Amans. Voicy la route que nous tinsmes.

Amour.

Langueur.

Empressement.

Soûmission.

Vigilance.

Sincerité.

Fidelité.

Discretion & Secret.

Ce sont les gistes de cette penible route.

 L’Amour est facile à trouver,
 La marchandise n’est pas rare,
Qui n’en prend pas, doit passer pour bizare,
Lorsqu’à son but, il est sûr d’arriver.
***
La langueur est un mauvais giste,
On ne s’y trouve jamais bien,
La Maistresse n’est bonne à rien,
On n’y sçauroit passer trop vîte.
***
Celuy qui suit est plus charmant,
Il est tout des plus à la mode ;
Chacun aime l’empressement
Mais le giste n’est pas commode.
***
 La soumission est deserte,
 On n’habite plus ce Logis,
L’on passe à Vigilance, elle a de méchants lits,
 Et tient ses Hostes bien à l’erte.
***
 Le giste de Sincerité
N’a gardé que le nom, & n’est point habité,
 La Maistresse en est hagarde,
 Et quelque endroit qu’on y regarde
 On n’y voit point la verité.
***
À Fidelité l’on s’ennuye,
C’est pourtant un tres-beau séjour,
Mais ailleurs ainsi qu’en Amour,
Il est bon de mêler la vie.
***
Pour le Secret & la Discretion,
Je ne dis pas ce que j’en pense,
Heureux qui dans sa passion
En fait sa Maison de Plaisance.

Puisque j’ay fait ce chemin vous pouvez vous en tenir à mes Memoires, je vous assure qu’ils sont bons. Enfin nous arrivâmes à l’Isle de Cytere ; j’envoyay chercher des Introducteurs pour m’instruire & me presenter à la Reine. Ils me questionnerent beaucoup, & me deffendirent de vous nommer, & de me dire vostre amie, titre dont je me parois par tout, & qui me servit de Passeport devant l’Amour ; mais pour sa Mere, elle vous hait plus que Psyché, vous en sçavez la raison. Je fus presentée à sa Toilette, où je ne fus pas inutile à sa parure. J’eus l’adresse pour estre bien reçuë de luy donner un esclavage que j’avois fait des diamans de ma Princesse ; cet ornement parut nouveau, & plut si fort à Venus, que je fus employée à cet ouvrage tout le temps que je passay à cette Cour, & je n’y fis qu’enfiler des perles, tant il est vray que chaque chose a son temps : mais pour me consoler je fus nommée grande Maistresse de l’Esclavage, & suis revenuë en France pour en faire l’Ordre, & les Officiers que j’en croiray dignes. J’ay besoin de vostre secours, belle Uranie, pour faire des Esclaves qui soient bien appellez à l’Ordre ; choisissez des premiers emplois, & me croyez, &c.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 98-99.D'après le Mercure de juillet 1705, M. de Choisel serait l'auteur des paroles des airs de M. de Maiz. Tous deux sont de La Flèche.

Je vous envoye encore un Air de la composition de Mr de Metz de la Flêche en Anjou : les paroles sont à la gloire du Roy, ainsi que celles des Airs precedens du même Auteur, dont on a esté tres satisfait.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Grand Dieu ; &c. doit regarder la page 99.
Grand Dieu, dont les faveurs envers nous sont extrêmes,
Qui pour nôtre Monarque as voulu faire choix
De Louis, dont les justes loix
Sont l’image des tiennes mêmes.
Que ta main sur ce Roy, l’aîné des Rois Chrestiens,
Répande ses bienfaits suprêmes,
Comme il aime sur nous à répandre les siens.
images/1704-07a_098.JPG

[Traduction d’une lettre du maître de camp général le comte de La Rossa, gouverneur de la ville et place de Barcelone]* §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 119-131.

TRADUCTION
D’une Lette du Mestre de Camp general le Comte de la Rossa, Gouverneur de la Ville & Place de Barcelone, écrite à son Excellence Monseigneur le Duc d’Albe.

Excellentissime Seigneur,

Seigneur, si je ne repete pas souvent par de frequentes Lettres, comme je le devrois, les assurances du profond respect que j’ay pour vôtre Excellence, les occupations embarrassantes de mon employ peuvent me servir d’excuse. À l’heure qu’il est que j’ay un si juste motif de me donner l’honneur de luy écrire, je me mets aux pieds de V. E. la felicitant mille fois sur l’heureux succés, & sur les avantages que nous avons sur les ennemis de S. M. & de cette Couronne. Voicy le détail exact de ce qui s’est passé icy.

On commença le 26. du mois passé à découvrir de cette coste quelques Vaisseaux. Nous sçumes bien-tost que c’étoit des Vaisseaux ennemis par la prise qu’ils firent de quelques Barques Catalanes. Il arriva en même temps un Courrier du Viceroy de Valence, qui donnoit avis que l’Armée navale d’Angleterre & de Hollande avoit passé sur cette coste. Nous n’en pûmes découvrir qu’une partie jusqu’au jour suivant ; & le jour d’aprés nous les vîmes appliquez à sonder jusqu’à quelle distance ils pourroient approcher. Après s’en estre bien éclaircis, ils firent avancer quatre gros bâtimens avec quelques Navires pour les soûtenir, & pour embarrasser avec leur canon, tout ce qui s’assembloit de nos troupes pour s’opposer à leur debarquement. Estant dans cette disposition, ils envoyerent une Felouque au mole, où le Seigneur Dom Francisco Velasco la fit rester, & Son Excellence y envoya un Aide Royal & un Sergent major pour sçavoir ce qu’on demandoit, ceux qui estoient dans la Felouque répondirent, que c’étoit un Secretaire de l’Empereur, qui estoit chargé de communiquer une affaire au Seigneur Dom Francisco de Velasco, ou de lui remettre un Paquet de Lettres en cas qu’il ne pust lui parler. Monsieur le Viceroy répondit, que la Felouque n’avoit qu’à s’en retourner, puis qu’il ne seroit pas permis au Secretaire de l’Empereur d’executer aucunes de ses commissions, la Felouque changea aussi-tost sa Baniere blanche en banniere de guerre, & s’en retourna quelques-uns de leurs Vaisseaux s’approcherent de plus prés du costé de Vegos, & bien prés de terre, ils remplirent leurs Barques de troupes à une petite distance de Vegos même. Ils mirent cette Infanterie à terre, sans que ce debarquement pût estre empêché par la Cavalerie que nous y avions envoyé, & qui y avoit couru. Elle n’étoit composée que de trois Compagnies, l’une des Gardes, l’autre du General, & l’autre du Lieutenant General de la Cavalerie. De mon costé je pourvûs de mon mieux à tous les forts. Comme on vit leurs troupes à terre, & que le dernier Fort estoit dans un danger visible d’estre pris, Mr le Viceroy ordonna qu’on allât en retirer quatre bonnes pieces de bronze qui y estoient. Le Seigneur Dom Emanuel de Toledo, General de l’artillerie, n’en voulut pas ceder l’execution à un autre, & il s’en acquitta avec beaucoup de fermeté & de valeur. Il prit quatre attelages de mules, & il alla enlever ces quatre pieces de canon ; mais avant que de les deplacer, il les fit tirer à plusieurs reprises sur les ennemis qui estoient à terre. On ne luy vit d’autre inquietude que celle de n’avoir pas plus de Cavalerie pour entreprendre contr’eux quelque chose & plus considerable. Dans ce même temps ils envoyerent un tambour, qui raportoit les mêmes Lettres. Mr le Viceroy trouva à propos de les recevoir. Il y en avoit pour les differents corps de la Ville, & quoique ces Lettres ne tendissent qu’à leur persuader d’ouvrir les portes, & de rendre la Place, & la Province entiere, la confiance de Mr le Viceroy fut si grande à l’égard de tous ceux à qui elles s’adressoient, qu’il les leur rendit. Ils répondirent tous d’une maniere digne de la grande & de la juste confiance qu’on avoit en eux, & leur réponse fut qu’ils n’étoient pas maistres des portes, qui estoient au pouvoir des Officiers de guerre, & que s’ils en estoient les maistres ils n’en feroient rien, se piquant d’estre les plus fidelles sujets de leur Roy Philippe V. que d’ailleurs ils estoient surpris de la proposition, d’autant que le Prince d’Armstad devoit connoistre cette fidelité inviolable qui estoit née avec eux. On renvoya ainsi le Tambour, & dés qu’il eût rendu compte de son message, ils commencerent à jetter des bombes, ce qui dura depuis dix heures du matin jusques à midy qu’ils cesserent d’en jetter ; leur flote demeura tranquille le reste du jour, mais leurs troupes de terre firent des mouvemens continuels. Nous vîmes bien par là que nous devions nous attendre qu’ils feroient leurs derniers efforts la nuit suivante. En effet, dés que la nuit fut venuë ils firent avancer quatre Galiottes à bombes, & ils recommencerent à bombarder la place. Sur les neuf heures du soir le Viguier de cette ville vint parler à Mr le Viceroy, en pretextant qu’on luy avoit voulu donner quelques lettres de la part du Prince d’Armstad. Mr le Viceroy remarqua qu’il se coupoit dans ce qu’il disoit, & qu’il paroissoit un peu troublé. S.E. entra dans quelque soupçon sur les intentions de cet homme, elle ne le laissa pas sortir, & dans le même instant S.E. receut un avis secret de la part d’une femme de la ville, qui l’assuroit qu’il y avoit une conspiration. Sur cet avis Mr le Viceroy menaçant le Viguier de le faire pendre sur l’heure, s’il ne confessoit la verité, il declara tout, & il avoüa, qu’il estoit lui-même le chef de cette conspiration, & que l’on trouveroit les conjurez au Pla de Iluy, les uns s’étoient enfermez dans une maison, & les autres dans le College de l’Evêque. Dés que S.E. eust entendu cette declaration, elle alla à l’Université, & elle y assembla le Corps de ville, le Corps de la deputation, & celui du bras militaire, S.E. leur fit part de la conjuration & des circonstances qu’il en avoit apris, qui estoient, qu’au signal d’une cloche qui devoit sonner à minuit & demi, les conjurez devoient se jetter les uns à la porte de El Angel, & les autres à une autre porte où devoit se trouver le Prince d’Armstad avec ses troupes debarquées, & aprés avoir égorgé ceux qui les gardoient, ils devoient lui ouvrir les portes, & lui donner par là une entrée dans la place avec ses troupes. Mr le Viceroy monta à cheval, & il envoya le Seigneur Dom Emanuel de Toledo à la porte où j’étois, afin que je lui donnasse de la Cavalerie & de l’Infanterie, pour aller en diligence se saisir de tous ceux de la conspiration, qui se trouveroient assemblez ; mais ils avoient eu, ou quelque avis, ou quelque soupçon, que leur dessein estoit éventé, & ils s’étoient déja retirez, quelque diligence qu’on eust faite. Mr le Viceroy, accompagné de la Noblesse & des Conseillers de ville, alla à toutes les portes qui estoient menacées pour en renforcer la garde, il visita tous les postes, & disposa si bien toutes choses, qu’il paroissoit que les precautions qu’on prit venoient plutost de Dieu que des hommes. Le bombardement ne cessa point pendant toute la nuit, & ne finit qu’au point du jour, & alors les troupes qui estoient à terre s’embarquerent pour rejoindre les vaisseaux, & en trois heures de temps tous leurs Navires mirent à la voile & se retirerent. On ne peut assez bien exprimer la bonne & sage conduite de Mr le Viceroy dans ses ordres, dans son activité, & dans ses dispositions. Le zele & l’empressement de tous les corps de la ville sont aussi au dessus des expressions, ainsi que la valeur & la ferveur des Officiers & des Soldats de la garnison, pour assurer le succés le plus avantageux. Le Regiment de Napolitains de S. M. qui se trouvoit icy, fut destiné pour garder la breche & la porte nouvelle, où il travailla sans relache à se retrancher & à se fortifier, & il s’y attacha avec tant de soin & de zele, que l’on se trouva dans ce poste en toute sureté, & que l’on pouvoit souhaiter que l’ennemi l’attaquât dans la certitude où l’on estoit de le bien repousser. Pour moy je n’ai eu qu’à bien obeyr à Mr le Viceroi, & ma prompte obeyssance a esté mon seul succés. C’est où s’est renfermé tout l’excés de mon zele pour le service du Roy Je deffendois & je gardois la porte de la Mer, & j’y ay esté bien secondé par Mr le Marquis de la Floresta, & par Dom Geronimo Moxo qui y estoient avec moy, & qui ont donné beaucoup de preuves de leur zele & de leur application au service de S. M.

C’est tout ce que je puis dire à V.E. sur cet évenement. Esperant pour ma plus grande felicité que V. E. voudra bien m’honorer souvent de ses ordres, & desirant que Nôtre Seigneur la conserve comme j’en ay besoin,

Excellentissime Seigneur, aux pieds de V.E.

Le Comte de la Rossa.

À Barcelone le 2. Juin 1704.

[Suite tres-curieuse d’un Journal qui regarde l’Envoyé de Tripoli] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 134-178.

Je me doutois bien que ce que vous avez trouvé dans ma derniere Lettre, touchant l’Envoyé de Tripoli, vous feroit beaucoup de plaisir. Voicy la suite de ce Journal, qui ne doit pas vous paroistre moins agreable.

Le 12. Juin cet Envoyé alla rendre visite à Mr de Salaberry, premier Commis de Mr de Pontchartrain, & l’apresdiné il alla au Cours.

Le 13. il alla à la Comedie, & vit joüer le Bourgeois Gentilhomme. Il fut surpris de voir representer les manieres de son pays, & il y prit beaucoup de plaisir ; il trouva seulement deux choses à redire : La premiere, que le personnage du Mufti ne devoit jamais sortir de la gravité qu’il avoit affectée en entrant sur le Theatre, parce que les gambades & caracolles ne conviennent point à un Mufti. La seconde que l’on ne devoit pas bastonner Mr Jourdain de la maniere que l’on avoit fait. Voicy la maniere dont il dit qu’il falloit donner les bastonnades. Il falloit, dit-il, que deux personnes fissent deux grandes reverences à Mr Jourdain, & luy ostassent le Turban avec respect & gravité, qu’elles missent ce Turban sur un Buffet, & fissent encore une reverence à ce Turban ; qu’ensuite deux personnes levassent les deux pieds de Mr Jourdain, en luy faisant heurter les fesses contre terre, & missent ses deux pieds dans une corde attachée aux deux bouts du bâton, & tournant le bâton luy serrassent les pieds dans cette corde, en sorte que les plantes des pieds fussent tournées vers le Ciel, puis qu’un troisiéme homme s’avançant avec une baguette, frappast sur la plante des pieds de Mr Jourdain, disant en Musique, uno, dué, tré, quatro, cinque, sex, &c. que cela fait ils devoient délier les pieds de Mr Jourdain, l’asseoir sur un fauteüil, puis saluer le Turban avec une grande reverence, le luy remettre sur la teste, & luy faire encore deux reverences. Telle est, ajoûta-t’il, la Ceremonie de la Bastonade.

Il dit aussi que le Mufti ne devoit pas frapper sur le Livre. Il trouva tout le reste fort bien, excepté que la langue que l’on y parle, n’est ny Turque, ny Arabe, & qu’il n’y entendoit rien, horsmis Eyvallach, Eyvallach.

Il fut aussi fort charmé du petit Ballet que l’on dança à la fin de la Comedie, & sur tout des femmes habillées à l’Espagnole.

Le 14. il alla voir Mr Bardou au Bureau de la Gazette, qui le conduisit chez Mr Piraube, pour y voir les belles armes qui y sont, dont il fut fort satisfait, mais quand on luy dit qu’un fusil coûtoit deux mille livres, il dit que pour deux mille livres, l’on acheteroit une Barque à Tripoli, avec tout son attirail, & qu’il aimeroit mieux cinquante fusils qu’un.

De là il alla à l’Imprimerie du Louvre, où il vit arranger les Lettres, & ensuite imprimer plusieurs pages du Livre de Saint Gregoire le Grand, dont les R.P. Benedictins donnent une nouvelle édition revûë sur les anciens Manuscrits. C’est le R.P. Dom Barthelemy de la Croix, frere du Sr Pétis de la Croix, Secretaire Interprete de Sa Majesté, qui prend le soin de l’Impression. On luy expliqua sommairement le contenu de ce beau Livre, & des vertus de ce grand Pere de l’Eglise, ainsi que le merite des sçavans hommes de l’Ordre de Saint Benoist, qui sont les plus anciens Religieux de l’Eglise. L’Envoyé dit, ce sont ceux pour lesquels Mahomet recommande à ses Sectateurs d’avoir du respect, sous le nom de Rouhban.

Comme les Tripolins n’ont point d’Imprimerie chez eux, ils regarderent l’Invention de l’Imprimerie comme une chose admirable, & principalement la maniere d’imprimer sur les deux costez de la page des choses differentes.

Il passa ensuite à la Monnoye des Medailles, où Mr de Launay fit frapper en sa presence une Medaille d’argent & deux de bronze, il fut surpris de la facilité avec laquelle on achevoit les Medailles, il luy montra aussi plusieurs pieces d’orphévrerie dont l’ouvrage surpassoit l’excellence de la matiere ; il les trouva tres-belles, & fit de grands éloges de l’habileté & du bon goust de Mr de Launay ; il entra dans son Cabinet dont il admira les curiositez. De là il passa chez Mr Girardon, & prit un fort grand plaisir à voir les anciens Bustes, la Mumie, & autres curiositez, puis il alla voir l’Attelier où se font les grandes Statuës.

Le 15. il alla se promener au Bois de Boulogne, & ensuite il alla rendre visite à Mr Benoist, dont il considera avec attention les figures de cire, & les autres curiositez ; & ayant veu la teste de Madame la Duchesse de Bourgogne, il se récria, disant qu’il ne luy manquoit que la parole ; & comme Mr Benoist le pressa de dire son veritable sentiment. Il dit, que l’Enfer avoit quatre étages, que le premier estoit destiné aux Mahometans qui avoient mal vêcu : Le deuxiéme aux Chrêtiens Juifs & Idolâtres & autres sectateurs des Religions non Musulmanes ; Le troisiéme aux Peintres & Sculpteurs de figures humaines ou Angeliques. Et le quatrième & plus profond à Mr Benoist comme à l’un des plus habiles, que cette figure luy demanderoit son ame au jour du Jugement, & que ne pouvant la luy donner, il seroit aussi tost precipité dans l’abisme par un juste jugement de Dieu, qui luy reprocheroit son impudence d’avoir par son habileté & son art approché de si prés de l’œuvre de Dieu dans sa creature, & de l’avoir voulu contrefaire sans luy pouvoir donner l’ame.

Le 16. il alla à S. Denis, où aprés avoir salué le R. Pere Prieur des Benedictins, on luy fit voir le Trésor ; il fut surpris des grandes richesses & pierreries qui y sont, & mesme d’y trouver des vestemens & chaussures antiques qui ressemblent à celles de son Païs. Il satisfit aussi à la grande curiosité qu’il avoit de voir les Couronnes & les Sceptres des Empereurs de France & des Reines. On le conduisit ensuite aux Tombeaux des Rois, il fut ravi de voir celui de Charles Martel, qui défit les Sarazins auprés de Tours. Il se récria fort sur le Tombeau de François I. & sur celuy de Loüis XII. mais il admira la generosité du Roy d’y avoir fait mettre celui de Monsieur de Turenne en reconnoissance de ses services. Il dit à ce sujet qu’il ne falloit pas s’étonner si le Roy estoit toûjours victorieux ; puisque les François estant si bien recompensés, se trouvoient obligez à le servir comme il faut, & de s’exposer aux plus grands perils. Le même jour il alla à Montmorency, où les R.P. Mathurins l’avoient invité à souper, en reconnoissance des services que le R.P. Phylemon, Redempteur des Captifs, avoit receu de luy lors qu’il passa à Tripoli ; ce R. Pere est l’Auteur de la sçavante Relation qui a pour titre : Estat des Royaumes de Barbarie, Tripoli, Tunis & Alger, imprimée à Roüen en 1703. Les R. Peres n’oublierent rien de tout ce qui pouvoit contribuer à témoigner leur amitié à l’Envoyé. Ils le conduisirent à la promenade dans leur Jardin, ou la vûë est des plus belles des environs de Paris, il coucha dans cette Maison aprés y avoir esté magnifiquement regalé.

Le 17. il eut encore le plaisir de la promenade, & de voir le Cabinet du R. Pere Loüis d’Adolle, où il se divertit à voir les experiences d’Hydraulique, Optique & Phisique, & autres curiositez tres-rares & fort recherchées, qui font le sujet de la meditation des Curieux. Les R. Peres le firent ensuite disner en Public, & il s’y trouva un nombre infini de peuple qui accourut de toutes parts pour le voir. Il alla ensuite à la Maison des R. Peres de l’Oratoire, qui luy présenterent du Café, & le R. Pere Perdrigeon, Curé de la Paroisse de Montmorency le conduisit à l’Eglise, où il luy fit voir les Tombeaux des Ducs de Montmorency & les beautez de cette Eglise, il admira la belle veuë de la plate forme, & il partit pour revenir à Paris.

Le 18. il alla chez Mr Danet, celebre Bijoutier, dont il admira le beau Lustre estimé 20000. écus, que Mr Fabre Envoyé du Roy en Perse doit porter en ce Païs là ; ainsi que le Vase de cristal de roche haut d’un pied & de demy pied de diametre, & toutes les autres pieces rares & curieuses de ce riche Joüaillier. Mr Duran cy devant Vice Consul du Roy en Egypte, luy faisant remarquer toutes les particularitez des belles pierres qui s’y trouvent, ainsi que les Tableaux de coquillages tres-curieux faits de la main de Mr l’Abbé de Wély.

De là il alla rendre visite à Mr du Sault, celebre Negociant, & frere de Mr du Sault, Envoyé ordinaire du Roy vers les Republiques de Barbarie, ou Mr Bosc illustre Joüaillier luy fit voir un beau Rubis, estimé 20000. écus dont on trouve peu de semblables, & que Mr Fabre doit aussi porter en Perse. L’Envoyé dit, qu’il se trouvoit quelquefois en son Païs un grand nombre de belles pierres, que les Juifs achétoient à grand marché, à cause de la rareté des Joüalliers pour les revendre ensuite bien cher.

Le 19. il alla voir la Manufacture des Glaces, il admira sur tout celles de 114. pouces de hauteur, & il en vit travailler de toute sorte de grandeurs, & mettre l’étain & le vif argent pour faire les Miroirs.

Le 20. il alla voir les Invalides, où aprés avoir salué le Gouverneur qui luy monstra les beautez de la Sale du Conseil : Le Lieutenant de Roy & le Directeur general de ce superbe Hostel, le conduisirent par tout, & luy firent voir ce qu’il y a de curieux, & entr’autres les salles des malades ; il se récria en ce lieu, disant que s’ils avoient de semblables secours, ils feroient de grandes choses en Affrique, & qu’il ne faut pas s’étonner, si l’Empereur de France est invincible, ses Officiers & Soldats estant assurez s’ils estoient estropiez d’avoir une retraite, & même les vieillards hors de service, pour le reste de leur vie : Qu’il estoit impossible que Dieu ne benist les armes de Sa Majesté, en estant prié tous les jours par la bouche de tant de braves gens. Il vit ensuite l’Eglise, & dit que si le Roy vouloit y mettre quantité de grandes & belles Colonnes antiques de marbre verd, qui se trouvent à Lebde, ancienne Ville ruïnée dans leur Païs, & qui leur sont inutiles, Sa Majesté n’avoit qu’à ordonner, qu’il contribueroit de tout son credit pour en faciliter le transport en France, & qu’il se flattoit d’y reussir.

Il alla ensuite voir la Place de Loüis le Grand & la Statuë Equestre du Roy, qui est d’une seule piece de bronze, puis au sortir de cette Place il alla à celle des Victoires, & fit le le tour de la Statuë du Roy qu’il admira beaucoup : Le fils de l’Envoyé s’écria, disant que l’Empereur de France estoit grand en tout, que la haute reputation qu’il avoit dans leur Païs estoit bien fondée, mais que d’entendre à voir il y avoit bien de la difference.

Le 21. l’Envoyé alla à Ramboüillet, & de là à Vincennes où l’on luy fit voir les appartemens qu’il trouva tres-beaux, & principalement les peintures des voutes.

Le 22. il alla à l’Opera d’Armide, où aprés avoir tout regardé avec admiration, il dit que la puissance du Roy estoit bien extraordinaire, puis que dans un temps de guerre, ou il entre tient 500000. hommes, les Peuples de son Royaume s’en ressentoient si peu qu’ils ne se privoient pas de leurs divertissemens ordinaires, qui estoient les plus magnifiques du monde.

Le 23 il alla voir le Feu de la S. Jean, à la Greve.

Le 25. il alla à la Comedie de l’Inconnu & du Port de mer, il y prit beaucoup de plaisir, & dit comment les Dames de France ne seroient elles pas galantes ayant une telle Ecole ? Le soir ayant reçû nouvelle de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, l’Envoyé but une rasade de vin de Champagne, & cassa le verre disant, Ainsi soient brisées les testes de tous les ennemis du Roy, Vive le Duc de Bretagne ; ceux de sa suite en firent de même criant, Vive le Duc de Bretagne.

Le 27. il alla a Nostre Dame pour entendre chanter le Te Deum. Il fut fort surpris de la magnificence de l’assemblée, & de l’excellente Musique qu’il y entendit, il dit à son fils, j’ay bien de la peine à croire que des gens qui prient Dieu avec tant de zele & de magnificence soient damnez. N’est-ce pas une espece de Paradis en ce monde ? Cette Musique ressemble à celle des Anges, elle enleve le cœur vers Dieu. Ensuite il alla voir le Feu de la Greve, & dit qu’il esperoit que l’on feroit dans son Païs des réjoüissances publiques pour l’heureuse naissance du Duc de Bretagne.

Le 28. il alla se promener aux Tuilleries, au Cours, & sur les remparts.

Le 29. il alla voir le Combat des taureaux & des chiens.

Il ne sortit point pendant les 7. jours suivans.

Le 7. Juillet, à 9. du matin cet Envoyé alla à l’Audience de congé du Roy, Mr de Pontchartrain le fit entrer dans le Cabinet, & le presenta à Sa Majesté, il fit trois reverences à l’ordinaire, & s’étant approché du Roy, qui estoit debout, il fit son compliment en Langue Turque, qui fut expliqué par Mr Pétis de la Croix seul Secretaire Interprete de Sa Majesté, en ces termes.

Je viens, Grand Empereur, remercier V.M.I. de toutes les graces qu’elle a eu la bonté d’accorder à mes Maistres, & luy demander la permission de retourner auprés d’eux ; je leur feray part de l’heureuse nouvelle du present que V.M.I. vient de recevoir du Ciel, pour gage de la felicité de vos Peuples, du triomphe de vostre Regne & de l’éternelle durée de l’Empire François. Comme mes Maistres ont uny leurs vœux à ceux des François dans le temps du Mariage du grand Duc de Bourgogne, il leur sera bien agreable de déployer aussi leurs langues pour rendre graces au Ciel de l’heureuse naissance du Duc de Bretagne. Mais, Sire, ils n’en demeureront pas là, ils continueront de solliciter le Roy des Cieux & de la Terre, pour le prier que vostre posterité Imperiale ne cesse jamais de regner, qu’elle puisse voir le fils du Duc de Bretagne, qui sera une septiéme Planête dans le Ciel de son beau regne, & comme elle en est le Soleil, qu’elle leur communique le rayon de sa splendeur ; j’entends sa vertu incomparable qui estant une source de lumieres, est en mesme temps la cause du bonheur & de la victoire.

Le Roy répondit qu'à la joye qu’il luy témoignoit partager avec les François au sujet de la naissance du Duc de Bretagne, luy faisoit un fort grand plaisir, qu’il remerciast ses Maistres de sa part, & qu’il les assurast que tant qu’ils observeroient les conditions du Traité, il leur donneroit toûjours des marques de sa bienveillance.

L’Envoyé repliqua, que tant que le Prince Khalil Bey auroit en main les resnes du Gouvernement, Sa Majesté Imperiale n’auroit jamais sujet de se plaindre de sa conduite, mais qu’elle le trouveroit toûjours prest à luy rendre ses tres humbles services.

Le Roy luy dit qu’il luy sçavoit bon gré de l’attachement qu’il témoignoit avoir pour luy.

Ensuite, Sidy Mehemet, son fils, fit une profonde reverence au Roy, & presenta à Sa Majesté des Vers Arabes & Turcs écrits en Lettres d’or, qu’il avoit composez sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Le Roy les reçût de sa main avec bien de la bonté ; & ordonna à Mr de la Croix de les luy expliquer, ce qu’il fit en ces termes.

Je benis le Seigneur d’avoir exaucé la Priere du Roy,
Donne moy par ta Providence une lignée agreable :
Le Seigneur me donnera un Fils qui sera mon heritier :
Et qui heritera de la posterité de Jacob :
Dieu fait à ses serviteurs diverses graces,
Mais les plus excellentes sont celles des Enfans genereux :
Il a donné au Roy un Prince qui imitera les vertus de son Bisayeul :
Il donne les fils & les filles à qui il luy plaist :
Mais j’annonce un Fils, & quel Fils ?
Un Fils qui dés le berce au chante les vertus de ce grand Empereur,
Par les marques de Noblesse qu’il porte sur son front, & qu’il imitera :
On le verra grandir comme le Croissant, & donner sa lumiere comme la Pleine-Lune.
Certes, il honorera le Trône & la Couronne :
Les Peuples des sept climats luy payeront le Tribut :
Il fera la Conqueste de tous les Royaumes de la Terre,
Et sera l’Empereur Universel du monde.

Le Roy luy témoigna que ces Vers luy estoient fort agreables, & le remercia de la part qu’il prenoit à sa joye.

L’Envoyé fit encore ses reverences ordinaires, & se retira à reculons jusques hors le Cabinet du Roy. Ensuite il se tint sur le passage de Sa Majesté, lors qu’elle alla à la Messe, & lors qu’elle en revint.

L’aprés-disner, il eut une longue Conference sur ses affaires avec Mr de Pontchartrain.

Le même jour, il alla voir Trianon & la Menagerie ; il dit au sujet de la Civette qu’il y vit, que la maniere de tirer le Musc de cet animal, estoit de luy mettre la teste dans une cage, en sorte qu’il ne la pût retirer, & cependant luy serrer les testicules, à costé desquels l’on trouve le Musc que l’on tire avec une lame de fer ou de bois ; qu’il estoit tres-utile pour les tranchées tant des hommes que des femmes, & que dans le fiel de cet animal, il se trouvoit une liqueur souveraine pour fortifier les membres en les oignant par dehors.

Le 8. il alla voir le Château de Marly, où il prit beaucoup de plaisir, & dit que, si l’on luy donnoit le choix de Versailles ou de Marly, il prefereroit le délicieux séjour de Marly à la magnifique Maison de Versailles : Que Versailles remplissoit l’esprit de tout ce que les grands Rois peuvent imaginer de magnifique, mais que Marly charmoit le cœur & l’ame. Il se reposa dans l’un des Cabinets du Jardin, que les Turcs appellent Kioschk. Il y recita quelques Vers en sa Langue, qui marquoient que ce Palais enchanté ne pouvoit avoir esté bâti que par les Fées ; qu’eut il dit si les eaux eussent joüé ? Mr de la Croix luy fit entendre que les dernieres pluyes avoient si fort endommagé les Canaux que les Eaux ne pouvoient joüer ce jour-là.

Il alla ensuite à la Machine de Marly, & monta au haut de la tour de l’Aqueduc, puis il descendit à pied du haut de la montagne, & vit joüer la Machine, il dit au sujet des Pompes, qu’ils avoient chez eux des Pompes aspirantes, mais qu’ils n’en avoient point de refoulantes, qui poussent l’eau par compression. Il alla ensuite coucher à S. Germain en Laïe.

Le 9. il alla à l’Audiance du Roy de la Grande Bretagne, conduit & presenté par Mr le Duc de Perth Gouverneur de S.M.B. Ce Monarque le receut debout, & cet Envoyé ayant fait trois profondes reverences, il luy parla en ces termes, qui furent-expliquez par Mr Pétis de la Croix.

SIRE,

La reputation des grandes qualitez de Vostre Majesté m’a fait desirer d’avoir l’honneur de luy rendre mes profonds respects, comme au veritable & legitime Roy de la grande Bretagne. Je souhaite,Sire, de tout mon cœur, que les genereux Soldats, qui sont fideles à V.M. la puissent bien tost accompagner en ce beau Royaume. C’est avec le feu Roy Jacques II. d’heureuse memoire, que nous avons fait la paix, qui dure encore à present J’ay vûSire, dans l’Ambassade que j’ay faite en Angleterre, un nombre infini de braves gens, qui m’ont témoigné un grand desir de voir Vôtre Majesté sur son Trône ; je joins mes vœux aux leurs, & prie tres humblement V.M. de m’honorer de ses Ordres.

Le Roy répondit, qu’il luy estoit obligé de son honnesteté, & des vœux qu’il faisoit pour luy ; que si le ciel permettoit qu’il fust un jour en estat de luy en témoigner sa gratitude, il le feroit avec un fort grand plaisir.

Le Fils de l’Envoyé eût aussi l’honneur de saluer Sa Majesté Britannique. L’Envoyé passa ensuite chez la Reine, qu’il salua profondement, il luy fit à peu prés le même compliment qu’il avoit fait au Roy. La Reine répondit, qu’elle souhaitteroit d’estre un jour en Angleterre pour estre plus en estat de faire du bien à ses Maistres & à luy. Il repliqua, que tout voyageur arrive à bon port, qui a Noé pour Pilote, & qu’elle estoit en bonne main, ayant la protection de l’Empereur de France. Il eust en même temps l’honneur de saluer la Princesse : Il luy dit, qu’il luy souhaitoit bien tost un Roy qui en fist une grande Reine.

Le 10. il rendit visite à Mr de Salaberry, premier Commis de Mr de Pontchartrain. L’apresdiner, il alla voir Mr Bachelier, amy de Mr de la Lande, cy-devant Consul de France à Tripoli, son amy.

Le 11. il alla voir le Cabinet de Mr d’Alerville, logé à la place du Palais Royal, dont il admira le genie & le bon goust, il dit à son sujet, que les François venoient à bout de tout ce qu’ils entreprenoient, & qu’ils triomphoient de tout, excepté de la mort.

Il alla ensuite aux Porcherons où Mr Grandjean, graveur du Roy, luy fit voir un Clavecin organisé, qui le surprit fort, & auquel il prit grand plaisir : il luy fit voir les Poinçons & Matrices des beaux Caracteres d’Imprimerie Françoise, que cet habile Graveur fait par l’ordre du Roy, dont on a imprimé le beau Livre des Medailles de Sa Majesté, lequel a esté mis en langue Persienne par Mr Pétis de la Croix, pour estre presenté au Roy de Perse par Mr Fabre envoyé de S.M. dont on a parlé cy-devant. Il luy fit voir ensuite les nouveaux Poinçons & Caracteres d’Imprimerie Persienne & Arabe, dont il luy fit des Epreuves, puis il vit la Fonderie des Lettres & les Fourneaux. Sur quoy il s’écria, que rien n’échapoit à l’adresse des François, & que tout devoit ceder à la puissance & à la magnificence du Roy, que ceux qui entreprenoient de luy faire la guerre, entreprenoient d’escalader le Ciel, dont-ils ne pouvoient recevoir que de la confusion. Il revint par les Tuilleries, & estant à souper en compagnie, on le loüa de son esprit. Il dit, qu’il n’étoit qu’un atome en comparaison du Soleil, & de la politesse d’esprit des François, qu’il fit son apprentissage il y a sept ans, lors qu’il fut Envoyé en France. Puis voulant faire ressouvenir une personne de la Compagnie d’une chose qu’il luy avoit promise ; Il luy dit, que tout ce que l’on promettoit la nuit à sa Maistresse estoit effacé par le jour, & qu’apparemment il en estoit de même de luy.

Le 13 il alla dîner chez Mr du Montoy, ci devant Maire de Marseille, qui le traitta magnifiquement, & qui le mena ensuite à sa maison du Fauxbourg Saint Antoine, où il luy donna le Bal, & une superbe Collation.

[Relation de l’avantage remporté par les armes de S.M.C. contre les Anglois à Barcelone, traduite de l’Espagnol] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 228-237.

RELATION
De l’avantage remporté par les armes de Sa Majesté Catholique, contre les Anglois, à Barcelone.
Traduction de l’Espagnol.

Le Dimanche 25. May 1704. le bruit se répandit dans la Ville de Barcelone que l’Armée navale d’Angleterre & de Hollande estoit dans les Mers de Catalogne. Les plus sensez ne le crurent point, parce qu’on n’avoit pas eu avis qu’elle eust passé le Détroit ; cependant l’arrivée de quelques Courriers confirma ce bruit, & enfin la Flotte qui parut ne permit plus d’en douter.

On la découvrit le Mécredy du haut de nos murailles, & le Jeudy elle acheva de se ranger devant le Port de cette Ville.

Le même jour vers les onze heures du matin, le Prince d’Armstat envoya une Chaloupe avec une Banniere blanche, & un Passeport pour quiconque voudroit aller à Bord traiter avec eux, & ayant demandé sureté pour ceux de la chaloupe, sur laquelle venoient un Secretaire d’Estat de l’Empereur, & un ou deux Aides de Chambre du Prince d’Armstat : ils en donnerent avis à Don Francisco de Velasco, qui envoya ordre à nos Bâtimens de laisser retourner en sureté la chaloupe vers la Flotte. Ils demanderent permission de donner quelques lettres, & de traiter avec Son Excellence. À quoy nostre Gouverneur répondit : qu’il n’avoit rien à traiter avec les ennemis de son Roy Philippes V. Les envoyez repliquerent par une autre proposition : Son Excellence leur envoya dire qu’on avoit répondu à toutes les propositions qu’ils pouvoient faire, & qu’ils n’avoient qu’à s’en retourner.

Cependant, Son Excellence communiqua à la Ville & aux Communes, ce qui se passoit ; & tous unanimement se disposerent à prévenir le dessein qu’on avoit formé contre eux. Les discours de quelques mal-intentionnez, & le peu de Troupes qu’il y avoit en garnison dans la Ville, y avoient jetté quelque consternation.

La Ville offrit à Son Excellence de lever la Colonelle, qui est un Regiment de tous les Arts & Mêtiers, & il y consentit. La Ville offrit de plus tout son argent pour estre employé par nostre Gouverneur au service du Roy.

Le Vendredy, vers les dix heures du matin, les Ennemis ayant commencé leur débarquement, le nombre des mal-intentionnez augmenta considerablement. Ils publioient que cette Armée navale seroit suivie d’une autre plus forte, qui avoit déja fait un grand débarquement & s’estoit emparée de Tarragona, &c. Quoy que ces bruits fussent entierement faux, ils ne laissoient pas d’estre d’une dangereuse consequence : On sçavoit qu’il n’y avoit pas trois mille hommes de débarquement sur cette Flotte, & qu’ils n’avoient point de Cavalerie. On tira le soir quelques coups de canon, & on retira l’Artillerie d’un Fortin de terre trop éloigné de la Ville : on donna des armes à la Colonelle, & on prit toutes les précautions pour éviter les surprises.

Le Vendredy au soir le Prince d’Armstat envoya un Tambour, avec le billet suivant pour les Communes : L’amitié que j’ay pour la Ville de Barcelone & pour les Communes, me fait oublier l’injure que je reçus hier : c’est pourquoy je fais sçavoir à l’Excellentissime Ville & à ses Communes, que si dans quatre heures elles ne m’ouvrent ses Portes, je la reduiray en un monceau de cendres.

Toutes les Communes s’assemblerent separément, & delibérerent sur la réponse qu’elles devoient faire ; Voicy ce qu’elle contenoit : Vostre Excellence qui a esté si longtemps Capitaine general de cette Ville, sçait que nous ne sommes pas les maistres des Portes ; mais quand nous le serions, vous sçavez par experience avec combien d’affection nous avons toûjours sacrifié nos vies pour la deffense de nos Rois. Dieu vous garde.

À peine le Prince d’Armstat eut-il reçu cette Lettre, qu’il fit tirer des bombes depuis le Samedy matin jusqu’au Dimanche matin.

On ne peut exprimer les differens effets que ce Bombardement produisit. On publia par tout que les Ennemis devoient entrer la nuit, on menaçoit tous les gens de bien ; mais Dieu permit que nostre General découvrist la trahison d’une maniere extraordinaire. Un des Conjurez ordonna à sa femme de sortir de la Ville, mais elle refusa de le faire, parce qu’il ne luy paroissoit pas qu’il y eust rien à craindre ; son Mary pour la persuader luy découvrit qu’il y avoit une conspiration ; que les Conjurez devoient s’assembler en differentes maisons, & qu’à un certain signal, qui se donneroit à quatre heures du matin, ils devoient tous se rejoindre à la Porte de l’Ange ; qu’ils en égorgeroient la Garde ; qu’ils en ouvriroient la Porte au Prince d’Armstat, qui se trouveroit avec toutes se Troupes dans la ruë de Jesus ; qu’ils iroient ensuite égorger le Vice roy & tous ceux qui estoient affectionnez au party du Roy, dont ils brûleroient & saccageroient les maisons. La femme ayant entendu cela courut donner le même conseil à une de ses amies, pour ne la pas laisser perir ; & comme celle-cy refusa de la suivre, elle luy découvrit tout. Celle-cy alla aussi tost trouver un Ecclesiastique, homme de bien, à qui elle revela ce qu’elle venoit d’apprendre ; & l’Ecclesiastique en alla informer le Gouverneur, qui donna ordre aussi-tost à Dom Emanuel de Toledo, General de l’Artillerie, d’aller chercher le Veguer de Barcelone : il s’y transporta aussi-tost avec quatre Soldats à cheval, & quelques Fusiliers, & aussi-tôt qu’il le vit, il lui dit que son Excellence le demandoit, & qu’il entrast dans son Carrosse, pour aller plus commodement. Le Veguer estant entré de la sorte dans le Palais, le Gouverneur le tira à part, luy osta ses pistolets & son épée, & luy fit avoüer, qu’il y avoit une conspiration : on écrivit sa deposition, & S.E. alla en personne trouver les Conseillers, Deputez & bras militaire dans l’Université où ils estoient assemblez, il les instruisit de ce qui se passoit, fit ensuite la ronde, durant toute la nuit, dans les ruës & sur les murailles, & posta du monde aux endroits les plus dangereux. Toute la Noblesse accourut à la porte de l’Ange, & tout le monde se retrancha sur la muraille & sur le Boulevart. La nuit se passa en crainte, mais sans accident, & le lendemain au point du jour les Anglois se rembarquerent, & on les perdit de vûë bien-tost aprés.

Le Dimanche suivant, on chanta le Te Deum, & il y eût de grandes illuminations dans toute la Ville, & dans toute la Principauté, & on a publié un Decret, qui ordonne sous de tres-rigoureuses peines à tous ceux qui ont des portraits du Prince d’Armstatt, de les porter à la justice ; enfin la Providence a disposé les choses, de maniere que ce que les ennemis avoient machiné contre le Roy, a augmenté dans tous les cœurs de ses Vassaux, l’amour & l’attachement qu’ils avoient pour luy.

[Publication du Sonnet qui a remporté le prix des Lanternistes cette année 1704] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 237-249.

Ce que je vous envoye a esté distribué à Toulouse, de la même maniere, je n’y ay pas changé un seul mot.

PUBLICATION
du Sonnet qui a remporté le Prix des Lanternistes, cette année 1704.

On a adjugé le Prix à Mr Barrere l’aîné, de Toulouse, Docteur en Medecine de la Faculté de la même Ville. Il nous a paru que son Sonnet avoit beaucoup de regularité : le Roy y est loüé d’une maniere delicate & toute nouvelle ; n’est-ce pas en effet un tour singulier de dire que ses Ennemis se rendent fameux par ses triomphes, & qu’ils s’acquierent une réputation immortelle, par la temerité qu’ils ont d’attaquer un si grand Heros ? mais il faut avoüer aussi que la conduite de ce Heros est bien glorieuse, puis qu’aprés les avoir vaincus, il est toûjours prest à leur donner de veritables marques de sa douceur & de sa clemence.

AU ROY.
SONNET
Qui a remporté le Prix.

Les Exploits éclatans que ta valeur Etale
Vont rendre pour jamais nos Ennemis Fameux ;
Ils tombent sous tes coups, tu confonds tous leurs Vœux ;
Mais leur chûte est encor plus belle que Fatale.
***
Ils n’ont pas le destin qu’eut le fils de Dedale ;
Si de leurs noirs complots tu sçais rompre les Nœuds ;
Si dans le champ de Mars tous tes pas sont Heureux ;
Ta clemence triomphe où ton bras se Signale.
***
Faut-il que ta bonté soûtienne ces Jaloux ;
N’écoute plus, grand Roy, que ton juste Courroux,
Va, détruis des Guerriers plus fiers que ceux de Thrace.
***
Quoy ! n’est-ce pas assez que tes Rivaux Errans
Soient immortalisez pour avoir eu l’Audace
D’attaquer le Heros de tous les Conquerans.

PRIERE POUR LE ROY.

Toy, qui regles les destinées
Des peuples & des Souverains,
Seigneur, prolonge les années,
D’un Roy, le plus grand des humains.
Appropinquet deprecatio mea in conspectu tuo Domine. Ps. 2.

II. SONNET.

Heros pour qui le Ciel tant de tresors Etale ;
L’équité sert de regle à tes Exploits Fameux ;
Dans tes progrés divers, si dignes de nos Vœux,
Une ligue en fureur voit sa perte Fatale,
***
Le Germain orgüeilleux, nouveau fils de Dedale,
S’efforce vainement de rompre de beaux Nœuds ;
La Seine & l’Ebre unis par toy coulent Heureux ;
De l’Aurore au Couchant ton pouvoir se Signale.
***
Tu préviens, tu détruis mille complots Jaloux,
Tu fais à cent Rivaux ressentir ton Courroux,
Tel & plus foudroyant que le Dieu de la Thrace.
***
Tu vois de toutes parts leurs Bataillons Errans,
Le bruit de ton grand nom abat seul leur Audace,
Et t’éleve au dessus des plus fiers Conquerans.

PRIERE.

 Seigneur, couronne les hauts faits
 Du plus puissant Roy de la terre,
Sa valeur a toûjours triomphé dans la guerre,
Fais que lassé de vaincre il nous donne la paix.
Inquire pacem & persequere eam.

III. SONNET.

De l’Aigle ambitieux l’orgüeil en vain s’Etale
Que luy servent des coups autrefois si Fameux ;
Contre un pieux Vainqueur tout est sourd à ses Vœux,
Et la foudre qu’il porte à luy-même est Fatale.
***
Qu’il craigne le destin qu’eut le sang de Dedale :
De deux Peuples guerriers tout protege les Nœuds,
La justice rendra leurs Rois toûjours Heureux,
Leur valeur intrepide en tous lieux se Signale.
***
En tous lieux ces Heros de leur Gloire Jaloux,
S’enflament à l’envi de ce noble Courroux
Qui couvre de Lauriers le fier Dieu de la Thrace.
***
Leurs nombreux ennemis batus, troublez, Errans,
Sans cesse produiront par leur funeste Audace
Des triomphes nouveaux à ces grands Conquerans.

PRIERE.

 Souverain des Maîtres du monde,
Qui rends deux sages Rois par tout victorieux,
 Aprés mille exploits glorieux,
Fais les regner enfin dans une Paix profonde.
Te Deum laudamus, te dominum confitemur.

AU NOUVEL ICARE,
l’Archiduc d’Autriche.
IV. SONNET.

Quels sont ces vains projets que ton orgüeil Etale,
Trop indigne rival d’un Prince trop Fameux ;
Où vas-tu temeraire ? où portes-tu tes Vœux ?
Tu suis, à tes pareils une route Fatale.
***
En vain les soins jaloux d’un superbe Dedale,
De cent partis divers pour toy forment les Nœuds ;
Sur ces foibles appuis, tu crois ton vol Heureux ;
Mais par ton sort bien-tost sa honte se Signale.
***
Philippe est de ce sang, qui fait tant de Jaloux,
Reconnois, à ces feux que lance son Courroux,
Un fils d’un Dieu plus grand que le Dieu de la Thrace.
***
Voy, tes mâts foudroyez sur les ondes Errans,
Voy, tombe, & par ta chûte, accusant ton Audace,
Connois que Louis seul forme les Conquerans.

PRIERE.

Seigneur, protege un Roy que tout le monde admire
Rends-le maistre absolu de cent peuples divers,
 Que les bornes de l’Univers,
 Soient les bornes de son Empire.
Dominabitur à mari usque admare, & à flumine usque, &c.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 249-250.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par J’ay beau prier Philis, &c, doit regarder la page 249.
J’ay beau prier Philis d’adoucir mon martire,
L’Insensible remet toûjours au lendemain.
J’espere, & toutesfois mon foible cœur en vain
Aprés ce lendemain soupire.
Je reviens chaque jour adorer ses attraits,
Je la presse, je la conjure
Pour soulager le tourment que j’endure.
Cet heureux lendemain ne viendra-t-il jamais ?
images/1704-07a_249.JPG

[Repas donné à Messeigneurs les Princes par Mr le Marquis de Torcy] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 317-318.

Mr le Marquis de Torcy a donné un soupé magnifique à Monseigneur le Duc de Bourgogne, & à Monseigneur le Duc de Berry ; Ceux qui eurent l’honneur de souper avec ces Princes, sont Madame la Maréchale de Cœuvres Me de Mailly, Me de Torcy, Me de la Vrilliere, Me d’O, Me de Villacerf, & Mrs les Marquis de Razilly & de Torcy. La Compagnie se divertit tres-agréablement pendant le soupé, qui dura deux heures, pendant lesquelles la Musique se fit entendre à diverses reprises.

[Ode à Monsieur le Marquis de Chamillart soutenant les Thèses générales de Philosophie au Collège d’Harcourt]* §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 338-346.

Les Vers qui suivent vous doivent faire juger de la beauté de l’Original latin.

À MONSIEUR LE MARQUIS DE CHAMILLART,
Soûtenant ses Theses generales de Philosophie au College d’Harcour.
ODE,
À l’imitation des vers Latins de M. des Authieux, Professeur du même Collége.

O Vous ! de toute la Jeunesse
L’Ornement le plus achevé,
Qui, dans ces beaux lieux élevé,
Fites voir tant de politesse ;
Par quel miracle avez vous pû,
Sans jamais cesser d’être vû,
Parcourir toute la Nature ?
Au travers de l’épaisse nuit,
Qui couvre la verité pure,
Quel Dieu vous a si bien conduit ?
***
Ah ! c’est la Sagesse elle-même,
Qui vous a sans doute éclairé,
Qui vous a toûjours inspiré
L’amour de la Vertu suprême ;
C’est elle qui dans votre cœur,
Verse cette sainte liqueur,
Qui forme les ames bien nées,
Et qui vous destinant son prix,
Joint à la fleur de vos années,
La prudence des cheveux gris.
***
Votre esprit n’attend point l’Automne,
Pour voir tous ses beaux fruits meurir,
Lors qu’on voit les autres fleurir,
Le vôtre heureusement moissonne,
Le Temps qui cherche à nous tromper,
À beau vouloir vous échaper,
Vous sçavez fixer sa vitesse ;
Et malgré ses amusemens,
Par l’ordre de votre sagesse,
Mettre à profit tous ses momens.
***
Tout ce qu’ont pris le soin d’écrire,
Tant & de si fameux Auteurs,
Soit pour former les belles mœurs,
Soit sur le bel Art du bien dire ;
Tous ces beaux endroits à citer.
Ces faits qu’on devroit imiter,
Monumens sacrez de l’Histoire,
Ce sont-là vos rares tresors
Qu’une heureuse & prompte memoire
Produit, quand il faut, au dehors.
***
Cet amas de tant de lumière,
Prémices de tous vos travaux,
Jusques aux Postes les plus hauts,
Vous ouvroit un ample carriere ;
Poussé par votre propre Sang
Vous pouviez jusqu’au plus haut rang,
Aller joindre un illustre Pere,
Mais votre esprit mieux informé
N’ose approcher du Ministere
Qu’en Philosophe consommé.
***
Dans un an de Philosophie
Vous avez fait plus de progrés,
Plus developpé de secrets,
Que d’autres dans toute leur vie ;
Vous avez d’un vol curieux
Penetré la Terre & les Cieux,
Connu cette Machine entiére,
Tous ces tourbillons éclattans ;
Et dans Dieu, la Cause premiere,
Et du Mouvement & du Temps.
***
À ces connoissances sublimes,
Où vostre ame a sçû se porter,
L’on vous voit sans cesse ajoûter
Les plus importantes maximes.
La Morale n’a point de loix,
Dont vous n’ayez fait un beau choix,
Pour enrichir vôtre mémoire.
Un jour avec cet appareil
Vostre Pere se fera gloire
De trouver en vous son pareil.
***
Armé d’une audace héroïque,
Et plein de ce profond sçavoir,
Vous venez nous en faire voir
En ce jour la preuve publique.
Vous venez soûtenir les coups
De mille rivaux contre vous ;
Vos rèponses promptes & nettes,
Reduisent leurs efforts en vain,
Et font même à tous ces Athletes
Tomber les armes de la main.
***
Transporté d’amour & de zelle,
Aprés tant d’applaudissemens,
Allez goûter quelques momens
De la tendresse Paternelle :
Allez vous presenter aux yeux
De ce Ministre glorieux ;
Et soûmis dans vostre victoire,
Allez même dés aujourd’hui,
Lui rendre hommage d’une gloire,
Qui vous rend si digne de lui.
***
Dans ce Rang auguste & sublime,
Où son merite l’a porté,
Regardez moins sa Dignité,
Que cette Vertu qui l’anime.
Cette affabilité sans fard,
Cet Art qui n’affecte point l’Art
Dans ce qu’il dit, dans ce qu’il pense ;
Qui toûjours par un juste poids,
Sçait mesurer la recompense,
Et sçait déterminer son choix.
***
Cette prudence consommée,
Qui pourvoit à tous les besoins,
Et qui soûtient les deux grands soins,
Et de l’Epargne & de l’Armée ;
Qui gardant le calme au dedans,
Entretient les fruits abondans
En tant de Provinces entiéres,
Et qui, malgré cent Nations,
Porte au de-là de nos Frontiéres,
La terreur de nos légions.
***
C’est sur ces glorieuses marques,
Que vous devez enfin marcher,
Pour estre digne d’approcher
Du plus Grand de tous les Monarques :
De ce Roy, par tout admiré,
Aussi cheri que reveré ;
Grand dans la Paix, grand dans la Guerre,
L’appui du Trône & des Autels,
Qui seul merite sur la Terre
Un rang parmi les Immortels.
***
Contemplez cet auguste Maistre,
Si vous pouvez le voir de prés,
Vous en apprendrez les secrets
De l’Art que vous voulez connoitre ;
Cet esprit de bien projetter,
Celui de bien exécuter,
Et celui de sçavoir se taire.
Par là, dans ce suprême Emploi,
Vous pourrez imiter un Pere,
Et bien servir un si grand Roy.

[Article curieux touchant l’affaire des retranchemens de Donawert] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 346-374.

Je ne recommencerai point icy à vous donner un détail dans les formes de ce qui s’est passé à l’attaque des retranchemens de Donawert ; les parties conviennent de trois attaques données, & que Mr le Comte d’Arco ne resolut de se retirer qu’aprés la troisiéme ; je feray voir seulement par une infinité de circonstances, qui seront sensibles à tout le monde, le ridicule des Alliez en regardant ce qui s’est passé dans ces attaques, comme autant d’actions qui les couvrent de gloire, en s’attribuant une victoire, & la celebrant par des chants d’allegresse, lorsque tout est en pleurs & en deüil chez eux pour la perte d’un grand nombre de leurs troupes, & encore plus d’une grande quantité d’Officiers, dont plusieurs sont de Maisons Souveraines : mais on ne doit pas s’étonner s’ils tiennent ce langage, puis qu’il n’y a jamais eu d’actions dont ils ne se soient attribué l’avantage, & pour lesquelles ils n’ayent fait chanter le Te Deum, on doit se souvenir encore de ceux qu’ils ont fait chanter pour le gain de la Bataille de Luzzara, & pour celuy du Combat d’Eckeren. Il faut leur pardonner, ils n’en usent ainsi que pour empêcher que leurs peuples ne se soûlevent, ou ne se decouragent tellement qu’ils soient obligez à faire la paix, ce que craignent ceux qui sont en place, parce qu’ils profitent des desordres de la guerre ; ils ne laissent pas de demeurer d’accord de tout, lorsque l’orage est calmé, mais en l’avoüant ils repaissent les peuples de fumée, en leur faisant voir, pour en tirer de l’argent, que la France est sur le point d’être accablée, & qu’elle ne put resister à tant d’ennemis ; cependant la gloire que ces Alliez s’attribuoient pour avoir pris les retranchemens de Donawert, paroissoit si visiblement fausse, lors qu’on entendoit dire en même temps, & qu’on ne pouvoit cacher qu’une poignée d’hommes avoit battu un monde de troupes, tué prés de 6000. hommes, blessé environ 8000. tué ou blessé à mort plusieurs Officiers Generaux, huit Colonels, & 10. Lieutenans Colonels, tout cela, dis-je, frappoit tellement l’imagination, que le Pensionnaire de Hollande, oubliant la Politique ordinaire aux Alliez, ne put s’empêcher de dire, bon ! si Milord attaquoit encore deux autres retranchemens, avec un pareil succés, nous n’aurions plus d’Armée. Cependant, la politique reprenant le dessus, on trouva à propos de faire imprimer la Lettre de Milord Malborough, & d’en retrancher les endroits qui parloient des morts & des blessez. Rien de plus ridicule, & cependant rien de plus necessaire pour arrester les premiers mouvemens du peuple. Malborough n’avoit point deguisé la verité touchant le nombre des morts & des blessez, & on sçût quelque temps aprés, qu’il avoit écrit en Angleterre avec la même franchise, ayant mandé, qu’il y avoit eu cinq Bataillons Anglois entierement ruinez, entr’autres celui des Gardes & d’Ocknai, & qu’il n’étoit resté à chacun que trois ou quatre Officiers ; ce qui fut cause que quelques Anglois dirent, que les vainqueurs seroient jaloux de la gloire des vaincus. Et ce qui prouve la verité de cette perte est qu’on choisit 1500 hommes d’élite parmi les troupes Angloises, & autant parmi celles de Hollande pour remplacer les bonnes troupes que l’on a perduës ; ils publient neantmoins eux mêmes qu’ils ont attaqué les retranchemens de Donawert avec 186. Escadrons, & 76 Bataillons. Ostentation ridicule, & qui les doit couvrir de honte, lors qu’ils font monter les François & les Bavarois à une si petite poignée de monde, qu’ils auroient dû d’abord estre saisis de frayeur, & avoir pris la fuite sans avoir osé tirer un seul coup ; cependant avec tant de troupes il faut qu’ils ayent esté bien battus, puis qu’ils ont esté repoussez trois fois. Le nombre des Generaux, & des Colonels qu’ils ont perdus, est une seconde preuve de leur perte, ayant beaucoup moins de Colonels & d’Officiers subalternes que nous, quoy que leurs Regimens soient beaucoup plus forts que les nostres ; aussi assure-t-on que les Soldats rebutez, & ne voulant plus donner, les Officiers furent obligez de se mettre à leur tête, c’est ce qui a causé cette grande tuërie d’Officiers. Milord Marlborough ne voulut point luy même charger du costé des François, & la peur luy fit oublier qu’il avoit dit à Mayence, à la Table de l’Electeur, qu’il alloit apprendre aux Allemans à vaincre les François : Si la poudre n’eût point manqué à Mr d’Arco, il ne se seroit pas retiré ; on n’a point esté forcé puisque les ennemis ne sont entrez que le 3 dans les retranchemens, sçavoir le lendemain de l’attaque. Les ennemis n’ont pas pris un Drapeau ni un Etendart & on a fait cinq cent Prisonniers, sans qu’il nous ayent pris un seul homme. À propos de ces Prisonniers, je crois devoir mettre icy l’extrait d’une Lettre d’un Capitaine du Regiment de Navarre qui est dans l’armée de Monsieur le Maréchal de Tallard, elle est du 16. Juillet.

Monsieur l’Electeur de Baviere a envoyé un détachement de 800. Chevaux à nôtre General, ce détachement est resté à Ulm sur la nouvelle fausse que le Prince Eugene estoit campé dans le trajet de cette Ville à Nous. Le Commandant de cette Troupe a pris le parti là dessus de hazarder 50. Dragons sous les ordres d’un Capitaine de Listenois pour apporter les dépêches de Monsieur l’Electeur à nôtre General. Cet Officier nous a dit qu’il a laissé Monsieur l’Electeur de Baviere à 50. lieuës de nous, campé sous Ausbourg, dans le Camp où se posta le Prince Loüis, lorsqu’il s’empara de cette Ville, qui est un des plus forts de l’Allemagne : qu’il s’y estoit retiré aprés l’affaire de Donawert, plus en vuë de s’approcher de ses vivres, que par aucune contrainte de la part de l’ennemy qui a acheté cherement la Victoire qu’il dit avoir remportée aux retranchemens de Donawert, qui estoient gardez par 16. Bataillons, dont 11 Bavarois, & 5. François, sçavoir deux de Nettancourt, un de Toulouse, un de Bearn, & un de Nivernois sous les ordres du General, Comte d’Arco. Ce corps de troupes a soutenu, dans des retranchemens imparfaits, tout l’effort de l’élite des troupes Angloises & Imperiales animées par l’exemple intrepide de leurs Generaux, qui certainement ont fait des choses surprenantes pour les encourager ; ils n’ont cependant pû empescher qu’elles n’ayent esté repoussées trois fois & qu’on ne leur ait tué plus de 6000. hommes ; aprés quoy les nôtres se sont retirez de leurs retranchemens qui ont plustost esté abandonnez que forcez, pour se jetter en tres bon ordre dans Donawert, où ils ont mis le feu, aussi bien qu’au Pont sur le Danube, aprés avoir retiré de cette Ville le canon qui y estoit. Mr de Lée, Maréchal de Camp a acquis beaucoup de reputation dans cette retraite, & les Troupes beaucoup de gloire sans avoir fait presque de perte, puisque nous n’y avons perdu que 1200. hommes, parmy lesquels est le Frere du Comte d’Arco : Mr de Nettancourt a esté blessé dangereusement aussi bien que les deux Listenois. Il ne faut pas encore oublier un avantage considerable que nous y avons remporté, en faisant 500. Prisonniers, sans que les ennemis en ayent fait un seul sur nous ; Mr le Prince Louis a écrit une Lettre à Monsieur l’Electeur pour les repeter, il la finit en luy disant, qu’il ne luy est pas mal aisé d’acquerir de la gloire, estant à la teste d’aussi braves Troupes, mais qu’il ne peut s’empêcher de luy avoüer qu’il ne se seroit jamais attendu d’estre blessé par elles fondé sur l’amitié qui a toûjours esté entre luy & Son Altesse Electorale ; sa blessure est assez legere, quoy que d’un coup de feu au talon ; celles des Comtes de Thungen, de Frize, de Stirum & de beaucoup d’autres de leurs Officiers Generaux le sont d’avantage. Il y en a 11. blessez & 4. tuez, parmi lesquels sont le General Goor & le Frere de Milord Marlborough.

Je dois ajouter aux loüanges que le Prince de Bade, donne aux troupes qui ont deffendu les retranchemens de Donawert, ainsi que vous avez dû le remarquer dans ce que vous venez de lire, que tous les Generaux & tous les Officiers des ennemis leur ont rendu la même justice, & que leurs lettres sont toutes remplies des mêmes loüanges ; tant il est vray qu’une veritable valeur se fait toûjours remarquer & estimer, sur tout parmy les gens de guerre ; & si Vienne, Londres & la Haye, ne leur ont pas rendu la même justice, la politique a prévalu dans cette occasion. Cependant tout retentit des loüanges que l’on donne à Mr de Lée, ce Maréchal de Camp voyant que la retraite estoit resolue, fit un discours aussi court que vif à cinq Bataillons, dont trois estoient François, il leur representa la gloire immortelle, dont s’estoit couvert à Rocroy le Comte de Fontaine. Personne n’ignore que l’Infanterie qu’il commandoit & dont il avoit formé une espece de gros Bataillon perit, sans qu’aucun soldat eust quitté son rang, Mr de Lée forma de même un gros Bataillon des cinq, dont je viens de vous parler, il avança avec ce Bataillon à qui chacun sembloit porter respect sans oser l’attaquer ; ce Bataillon selon les termes de la Lettre qui en parle, paroissoit comme une montagne roulante, dont chacun s’écartoit, craignant d’en estre accablé, il fit 500. prisonniers, reprit trois pieces de canon & se retira à Neubourg. Quoy que toutes les lettres n’entrent pas dans le même détail, elles donnent de si grandes loüanges à Mr de Lée, qu’il n’y a point à douter que le fait que je viens de vous rapporter ne soit constant. Mr d’Arco fit aussi une tres-belle retraite dans Donawert, & l’on peut dire que les ennemis sont demeurez immobiles en voyant de si belles retraites. Ce n’est point ce qui s’appelle estre forcé, on n’est point forcé quand on n’est point poursuivi l’épée dans les reins, & qu’on prend le party de se retirer, parce qu’il faut que tost ou tard, la multitude l’emporte sur le petit nombre & que l’on manque des choses necessaires pour une plus longue deffense ; la poudre manquoit, ainsi que j’ay déja dit, on avoit assez tiré, tué & blessé d’ennemis, pour qu’elle fust épuisée. Les vainqueurs devoient en se retirant tomber de lassitude, à cause du grand nombre de coups qu’ils avoient portez ou tirez, de maniere qu’en laissant des montagnes de morts aux ennemis ; ils leur inspiroient encore de la frayeur & de l’admiration. Enfin, il est constant que bien que les ennemis se vantent à Vienne, à Londres & à la Haye d’avoir remporté un grand avantage ; ils ne voudroient pas en remporter souvent de pareils, qu’ils sont tres consternez de ce qui s’est passé, & qu’il faut bien des années pour reparer la perte des Generaux d’armée, des Officiers Generaux, des anciens Colonels & de l’élite de leurs vieilles troupes qui ont peri dans les trois attaques des retranchemens de Donnawert ; une Lettre écrite au Prince Eugene par le Major General des Allemands qui sont dans cette Place, & qui a esté interceptée, porte, qu’on a conduit à Nortlingue mille de leurs blessez, qu’on y a transporté les corps des Generaux Goor & Benheim, que le Comte de Stirum est mort de ses blessures, & que le Prince hereditaire de Hesse est fort en danger. Quant aux mille blessez, le nombre est grand pour une seule Ville, & l’on voit par là que les morts & les blessez peuvent estre en aussi grande quantité que l’on a dit ; & ce qu’il y a de fâcheux pour eux, est que les Allemands n’ayant jamais d’hôpitaux dans leurs armées ; il faut necessairement qu’il en meure la plûpart, lorsque ces blessez se trouvent en grande quantité à la fois, & c’est ce qui vient d’arriver. Ce qu’il y a de surprenant est que nous n’avons eu que 3. ou 4 personnes de distinction tuées ou blessées, quoy que toutes nos troupes ayent dû aller incessamment à la charge & demeurer exposées pendant tout le Combat, sans quoy un si petit nombre n’auroit pû resister à une armée formidable & dix fois plus nombreuse. On donne de grandes loüanges à Mr le Chevalier de Montendre, qui s’est fort distingué ; Mr de Nettancourt, Mrs de Listenois & Mr le Chevalier de Pugey, Lieutenant Colonel des Dragons de Fonboisard, qui a esté tué dans cette occasion se sont aussi fort distinguez. Mr l’Abbé de Listenois ayant demandé au Roy, le Regiment de Listenois pour le Cadet de ses neveux, qui n’a qu’une contusion, en cas que l’aîné mourust, ce Prince a repondu qu’il en seroit bien fâché, & que tant qu’il y auroit des Listenois en vie, ils auroient toujours ce Regiment.

Je vous envoye une Liste des morts & des blessés, tirée d’une Lettre écrite de l’armée du Prince de Bade, vous y trouverés peut-estre quelques noms estropiez parce que la Lettre n’estoit pas aisée à lire.

LISTE DES BLESSEZ.

Le Prince Loüis de Bade, au pied.

Le Prince Hereditaire de Cassel.

Le Prince Alexandre de Wirtemberg, au pied.

Le Comte de Furstemberg, au bas ventre.

Le Comte de Thungen, à la main.

Le Comte de Frize, à l’épaule.

Le General Woytvald.

Le Colonel Bettandorff, Commandant des Grenadiers, au corps.

Le Sieur Walt, Mestre de Camp.

Le Sieur Furnest, Lieutenant Colonel.

Le Sieur Wilkiert, General Major.

LISTE DES MORTS.

Le General Goor.

Le Comte de Stirum.

Le General Major Benheim.

Le Brigadier Fond.

Le General Wolfim.

Le Prince de Bevinrem, de la Maison de Wolfembutel.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 397-401.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit le Masque. Ceux qui l’ont trouvé, sont, Messieurs de Vaux, Avocat au Parlement de Bretagne ; Bardet & son amy du Plessis, Maître Chirurgien au Mans ; Guilbert de la Croix Garde au Bureau de St Victor ; Mr & Mlle de P. & leur bon Voisin P. G. de la rue Beaubourg ; Tamiriste & sa Fille Angelique ; l’heureux Amant de la belle Montade ; le credule Sallornet & son amy l’Effeminé de la rue des Noyers ; l’Infortuné de la rue du Plâtre, prés celle sainte Avoye ; le beau Portail de Mr Cartaud ; le petit Basset ou le bon amy du Controlleur des Porcherons ; l’Escadron d’ennemi coëffez ; du Brun de la ruë St. Severin ; les trois Precieuses & Mr Mouzard de Grimaudin de la même rue, & la charmante Etoile qui a brillé pendant 3. jours à la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; Madame la Vicomtesse de Livron ; Mad de la Puyade ; Mad la Baronne de Blais ; Mad de Segur : Mlle du Moustier la fille de la rue de l’écharpe ; Olimpe la blanche de la Barriere des Invalides & son aimable sœur la Parure d’Emeraudes de la rue de Richelieu ; la Fée gracieuses de la rue du Coq ; la petite Manon Blanchette ; la Maraine de la nouvelle Mariée qui a l’esprit toûjours égal ; Mr Fanchon ; Mad la Presidente de l’Election de Chaumont, & Magny : la belle compagnie du Coboreau.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Sans aîles, sans pieds & sans yeux,
Je vais, je viens, je roule, il semble que je vole,
Et que je vois bien clair, allant droit en cent lieux ;
Souvent je fais plaisir, quelque fois je desole,
Mes plus grands coups pourtant ne sont qu’en terre molle,
Car si l’on me resiste à la longue, un peu fort,
Me relâchant alors souvent de mon audace,
Sans perte de mes Gens, je defile, & je passe,
Ma plus grande vigueur, n’estant que dans l’abord.
Je suis aveuglément, les loix d’une Princesse
Qui tout comme il luy plaist, m’éleve ou me rabaisse ;
Ainsi l’on me voit grand, tour à tour, & petit,
Dans ce premier estat, rompant souvent mon lit,
Coucheur de dangereuse espece,
Et plus bruyant Ronfleur, plus je suis éveillé ;
À me comprendre aussi, toute raison s’éclipse,
  Car je suis un Apocalipse,
  Qu’il coûte cher d’avoir fouillé.

[Suite du siege de Verceil] §

Mercure galant, juillet 1704, première partie [tome 7], p. 401-432.

Je devrois reprendre icy le Journal du Siege de Verceil, & vous marquer ceux qui ont monté & descendu la tranchée chaque jour ; mais comme les Assiegez n’ont point fait de sorties, qu’il n’y a presque point eu de coups de main, & que l’on a emporté la Ville par mines & par sappes ; je me contenterai de vous marquer ce qui s’est passé dans les jours où il s’est fait quelque chose de considerable, & de vous donner un détail tres curieux de ce qui s’est passé pendant tout le temps que l’on a esté en pour parler pour convenir de la Capitulation.

Je commence suivant l’ordre que je viens de me prescrire. Il deserta la nuit du 30. un Sergent & dix Soldats qui rapporterent, que Mr des Hayes, Gouverneur de la Place, estoit preparé à voir attaquer cette nuit le chemin couvert ; qu’il s’étoit retranché derriere le Bastion de Saint Clair, & qu’il avoit fait transporter à la Porte de Milan des Pots à teste, des Cuirasses, & nombre de Grenades pour soûtenir l’assaut.

On apprit par une Lettre de Monsieur le Duc de Vendosme écrite du premier Juillet, que ce même jour on avoit embrassé l’angle de la contrescarpe ; que l’on avoit élevé des batteries de quarante canons, & de vingt mortiers sur le glacis, qui avoient imposé silence aux batteries des Assiegez ; qu’on ne cessoit point de battre la contrescarpe en brêche ; qu’on avoit découvert deux fourneaux ; qu’au depart au Courier on en avoit découvert un troisiéme, & qu’il y en avoit un quatriéme qu’on cherchoit.

Quelques jours aprés on marcha aux trois angles que l’on attaquoit ; mais comme on apprit que les ennemis y avoient chargé des mines, Monsieur de Vendosme ne voulut pas qu’on s’y logeast avant qu’on les eût éventées. On en découvrit une, & on en chargea une dessous qui fit sauter les deux mines des ennemis, on se logea dans le trou que la mine avoit fait, & on s’établit sur la palissade de l’angle du bastion de la droite : l’on en chassa d’abord les ennemis par un grand feu de Grenades, mais y estant revenus par dedans le chemin couvert, ils incommoderent fort nos travailleurs, ce qui obligea de faire sortir à droite & à gauche, deux Compagnies de Grenadiers des Regimens de Vendosme & de Beaujolois, qui ayant pris le dessus de la palissade, chasserent les ennemis à coups de fusil.

Mrs de Chemerault & de Chartogne se logerent le 6. sur les 2. angles flanquez, & en chasserent les ennemis, de maniere qu’on demeura maître du chemin couvert, que les ennemis abandonnerent. Ils se retirerent derriere leurs traverses. On trouva que Mr des Hayes auroit pû faire plus de chicanes qu’il n’avoit fait.

Le 9. on dressa une batterie de 13. pieces de canon sur le chemin couvert, où les ennemis firent grand feu, sans nous blesser que trois Soldats. On saigna le fossé du Bastion de la droite, la nuit du 10. au 11. n’y ayant point d’eau dans celuy de la gauche.

Les Mineurs passerent la nuit du 11. au 12. sous le fossé de la demi lune où ils se logerent, & où ils travaillerent à faire leur mine. Mr de Menestrel Colonel de Beaujolois, & beaufrere de Mr de Bezons, fut tué le 12. d’un coup de mousquet. Nous ouvrimes trois galeries qui entrerent dans le fossé, afin d’emporter plus aisément la demi-lune.

Ce qui suit vous fera connoitre ce qui s’est passé à la prise de la demi-lune.

EXTRAIT
D’une Lettre écrite du Camp de Verceil le 16. Juillet.

Mr le Comte de Chemerault s’est rendu maître de la demi lune, l’épée à la main cette nuit ; l’on y avoit attaché le Mineur cinq fois ; mais la quantité de feux d’Artifice que les ennemis jettoient, l’avoient obligé de l’abandonner. Ainsi, quoy qu’il n’y eût qu’une bréche à monter 10 hommes de front, Mr de Chemerault se determina à la forcer. Les ennemis ont esté si estonnez, qu’ils n’ont songé qu’à se sauver, sans se donner le temps de mettre le feu à leur mine ; l’on s’y est logé tres-bien, malgré le feu extraordinaire de bombes, de mousqueterie, & de canon à cartouche qu’ils ont fait, & les pierres qu’ils ont jettées pendant un temps fort considerable. L’Ecuyer de Mr de Chemerault a esté blessé à la jambe, mais ce ne sera rien ; il se nomme Mr de Belleroche, il est chez moy : pour Mr de Chemerault il se porte parfaitement bien. Nous avons perdu peu de monde, mais Mr le Comte Desmarais Colonel du Regiment de la Fere y a esté blessé à mort. Voila Mr l’expedition de cette nuit, cela nous met en estat d’être dans peu maîtres de la Ville ; car je ne puis croire que ces gens-là souffrent l’assaut, il y aura demain deux nouvelles batteries qui verront le pied des Bastions, & les bréches seront belles dans quatre jours : jamais Ville n’a fait plus de feu, nous n’avons pas cependant plus de 800. hommes tuez ou blessez.

Ce que vous allez lire renferme encore un plus grand détail.

La nuit du 15. au 16. la tranchée fut relevée par Mrs de Chemerault, de Chartogne & d’Estorce, avec le Bataillon de Lombardie, les trois de Piémont, ceux de la Saare & de Berwick. Mr de Chemerault ordonna à Mr de Moranval à onze heures du soir, de monter à la demi lune avec trente Grenadiers par la bréche, qui étoit suffisamment grande, pour que douze hommes pussent y passer de front, ce qu’il executa, en faisant marcher devant luy un Sergent, & cinq Grenadiers ; il entra dans la demi-lune, en criant tuë, tuë, & faisant tirer quelques coups de fusil sur quinze ou vingt soldats des ennemis qui la gardoient, lesquels prirent aussi tôt la fuite. Mr de Moranval les poursuivit jusqu’au pont de la gorge de la demi lune, qu’il fit lever en même temps, ce qui assura nostre logement ; on travailla ensuite à deux autres, l’un sur l’angle saillant en forme de nid de Pie, & l’autre sur la gauche où l’on s’établit fort bien. On fit une communication dans le fossé de la demi-lune à la contrescarpe. On travailla à élever une batterie sur la Place d’armes du chemin couvert pour battre en bréche la Courtine. Les Assiegez battirent au point du jour à coups de canon le pont de la demi-lune, & firent un tres-grand feu toute la nuit, qui tua ou blessa environ 60. hommes.

La nuit du 16. au 17. la tranchée fut relevée par Mrs de Langallerie d’Aubeterre & Caraccioli, avec le Bataillon de Caraccioli, les trois de Normandie, & ceux de Souches & de Croy. On acheva la batterie pour battre en breche la Courtine, & elle commença à tirer à huit heures du matin. On posa 80. Gabions dans le fossé pour faire un boyau, & pour communiquer à la face de la droite du Bastion gauche ; mais les Assiegez firent un si grand feu sur les travailleurs, qu’ils furent obligez de se retirer. On éleva, & on perfectionna nos logemens dans la demi lune. Nous eumes 25. hommes tuez, & 99. blessez. Mr Carré, Capitaine dans Croy, un Lieutenant, & deux Souslieutenans de Normandie furent tuez. Mrs de Marignac, Capitaine de Grenadiers & de Faussicourt, Aide-major du Regiment de Normandie furent blessez legerement. Mr Menu Brigadier des Ingenieurs eût la jambe cassée, & Mr d’Igati Ingenieur fut blessé legerement.

Mrs de Bouligneux, d’Arennes & d’Orgemont releverent la tranchée la nuit du 17. au 18. avec le Bataillon de Davezane, les trois de la Marine, & ceux de la Saare & de l’Isle de France. On embrassa tout le dedans de la demi-lune, & on y fit de bons épaulemens. Nous eumes six hommes tuez, & quinze blessez. On ne se servit pendant cette nuit que de l’Artillerie, & on receut une Lettre écrite de la Ville qui marquoit, qu’on devoit s’attacher à faire breche à la Courtine, & à diriger l’attaque de ce côté-là.

Vous ne douterez point de la verité de ce qui suit, puisque celuy qui écrit a eu part à tout ce qu’il mande ; je ne change rien à sa Lettre pour ne pas alterer la verité. Il ne croyoit pas qu’elle deviendroit si publique, mais elle est tres-curieuse, & fait trop bien voir tout ce qui s’est passé lors que l’on a capitulé, pour ne vous être pas envoyée.

À Verceille 23. Juillet.

Vous avez déja appris par l’arrivée de Mr le Prince d’Elbeuf la prise Verceil & la capitulation, qui est tout ce qu’il peut y avoir au monde de plus glorieux & de plus avantageux pour les Armes du Roy. Rien ne nous paroissoit plus éloigné que de voir une Garnison composée de 13. Bataillons & de 500. chevaux se rendre la corde au col, & même quand les Assiegez battirent la chamade, nous ne nous y attendions gueres estant embarassez comment nous pourrions attacher le Mineur : j’estois de tranchée avec Mr de Colmenero qui estoit le Lieutenant General de jour, & nous estions prests à nous mettre à table pour déjeuner, quand nous entendîmes battre la chamade & les ennemis demander ensuite à parler au Lieutenant General. Nous nous approchâmes de la Breche, sur laquelle estoit Mr de Prala qui commandoit dans la Ville au defaut de Mr Deshayes ; Il nous dit d’envoyer deux ostages & qu’il en alloit faire passer deux de sa Garnison. Ce fut Mr de Guerchy, Brigadier & Mr de Louvigny, Colonel Espagnol qui y allerent de notre part : Ils nous envoyerent Mr le Comte d’Harrach, Colonel Allemand & le Major de la Place. Mr le Duc de Vendosme que l’on avoit envoyé avertir, se rendit dans le moment à la tranchée ; ces Messieurs luy presenterent leur memoire qui commençoit par demander que la Garnison sortist par la brêche, tambour battant, mêche allumée & Drapeaux deployez, en un mot tous les honneurs que l’on a coutume d’accorder par capitulation, Son Altesse ne répondit autre chose sinon qu’il n’estoit pas besoin de continuer ; puisqu’il ne pouvoit entendre à ce premier article estant resolu de ne les recevoir que Prisonniers de guerre. Je n’ay jamais vû des gens si étonnés, & ceux qui estoient presens à la reponse de Son Altesse furent tres-surpris n’estant pas naturel que l’on fasse 6. ou 7000 hommes prisonniers de guerre dans une bonne Place ; ces Mrs le representerent de leur mieux, il ne pûrent avoir d’autre reponse de Monsieur le Duc de Vendôme, sinon qu’il nous y feroit plustost tous petit & luy aussi que de se départir de sa resolution. L’un des deux ostages s’en retourna, & Son Altesse alla atendre la reponse dans l’Abbaye où nous avions ouvert la Tranchée ; je l’y suivis avec Mr Dégrigny : la proposition de Son Altesse parut si fâcheuse à la Garnison que l’on demeura plus de 5. heures sans faire reponse, ce qui obligea Monsieur de Vendosme de leur envoyer dire qu’il commençoit à s’impatienter. Le Major de la Place revint avec les articles, & representa encore que cette capitulation ne convenoit point à des gens qui s’estoient deffendu avec honneur, & qui avoient fait leur possible pour meriter l’estime de Son Altesse ; ce Prince luy repondit avec beaucoup d’honnesteté, mais toûjours avec une égale fermeté, cela le determina à luy dire qu’il n’avoit qu’à signer ce qu’il vouloit accorder à la Garnison & que Mr Dehayes signeroit après. Son Altesse nous nomma pour aller avec eux faire signer Mr Deshayes, sçavoir Mr Desgrigny Intendant, Mr Duchy Secretaire de ses Commandemens & moy, & me dit d’y coucher, l’on nous conduisit au Château où Mr Deshayes estoit malade, mais nous trouvâmes tout le monde au desespoir, tant Allemans que Piémontois, & Mr Deshayes ne parlant d’autre chose que de se faire porter sur la brêche, & d’y perir avec toute la Garnison. Les contestations durerent jusqu’à 10. heures du soir que nous sortîmes fort en colere, les ostages estoient encore restez de part & d’autre, Mr de Prala se determina cependant à venir avec nous trouver Son Altesse pour tâcher de l’adoucir & d’avoir un party plus favorable, mais il connut par le discours de Son Altesse qu’il n’y avoit rien à esperer. Mr le Prince Pio, Colonel de Lombardie, y retourna avec Mr de Magnagny, l’un des Secretaires de Son Altesse. Monsieur de Vendosme n’ayant donné que 2. heures pour avoir reponse, & comme personne ne venoit au bout de 2. heures, Son Altesse me dit de monter à cheval & d’aller dire à Mr le Prince Pio de revenir, & de dire à Mr Deshayes qu’il n’estoit pas accoûtumé à attendre si long tems. J’allay faire mon compliment à ces Messieurs que je trouvay tres inquiets & comme ceux qui estoient chargez de faire signer Mr Deshayes, vouloient se retirer, ils me dirent d’aller assurer Son Altesse, qu’on alloit passer par où Elle souhaittoit, & demie heure aprés on aporta la capitulation signée. Les articles estoient, que la Garnison sortiroit par la brêche, & qu’elle seroit desarmée dans le chemin couvert, pour estre conduite où il plairoit à Son Altesse, qu’on auroit soin de leurs malades & blessez, qu’on ne desarmeroit point les Officiers & qu’ils seroient dans les Places du Milanés sur leur parole.

On demonta hier leur Cavalerie, il y avoit environ 400. Chevaux assez bons que l’on a distribuez à nostre Cavalerie. La Garnison sortira demain, 6. Bataillons iront à Allexandrie 4. à Milan avec la Cavalerie demontée, les Mineurs, les Canonniers & Bombardiers à Valence, à Saravalle & à Tortonne ; Voila la distribution de leurs Quartiers, on ne s’y attendoit point & je leur en portay hier l’ordre. Je crois que l’on est content à Paris de cette expedition rien n’a jamais esté plus glorieux & sur tout pour S.A. on ne s’y attendoit point & on croyoit d’abord qu’elle n’avoit dit qu’elle vouloit faire la Garnison prisonniere de guerre que pour l’intimider.

On a sçeu depuis que cette Capitulation a esté arrestée, qu’il y avoit eu un demeslé entre Mr des Hayes, & Mr le Marquis de Prala ; & que Mr des Hayes avoit voulu engager ce Marquis à signer la Capitulation pour luy, à cause qu’il estoit malade, & par là il le vouloit charger de l’indignation de Monsieur le Duc de Savoye, qui selon toutes les apparences ne devoit pas approuver cette capitulation. On a sçû aussi que Mr de Prala avoit répondu, que Monsieur de Savoye luy avoit confié la deffense de la Place, qu’il luy avoit rendu compte de l’estat où elle se trouvoit, & auquel estoient toutes choses, & qu’ainsi c’étoit à luy à signer, ou à ne pas signer, & à ordonner ce qu’il vouloit que l’on fist ; ce qui avoit fait prendre à Mr des Hayes le parti de signer. On dit qu’il est sorti de la Place 3600 hommes sous les armes.

1900 malades ou blessez.

Et 230. Officiers.

Il y avoit dans la Place,

250. milliers de poudre.

72. pieces de canon.

6. mortiers.

9. Pierriers.

2300. mousquets.

& 26. Drapeaux, dont dix sont aux Armes de l’Empereur.

Cette conqueste n’a pas coûté neuf cens hommes, tant tuez que blessez.

Voicy les noms des Bataillons faits prisonniers de guerre.

Premier & second Bataillon du Regiment des Gardes.

Deux de Savoye.

Deux d’Este.

Un de S. Damien.

Un de Trivier.

Un de Nice.

Un de Fritte.

Un de la Reine d’Angleterre.

Un de Berne,

Et deux d’Harrach, cy-devant Solari.