1704

Mercure galant, août 1704 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1704 [tome 9].
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Mercure galant, août 1704 [tome 9]. §

[Prélude] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 5-6.

Les Vers qui suivent serviront de Prelude à cette Lettre ; le nombre n’en est pas considerable, mais ils renferment beaucoup de choses en peu de paroles.

Aimer Dieu, se dompter soy-même :
Faire trembler ses ennemis :
Estre au dessus du Diademe :
C’est-là le Portrait de LOUIS.

[Pieces concernant le mauvais traitement qui a esté fait à 14 ou 15 personnes de la Compagnie de Mr le Chevalier de la Croix] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 6-16.

Vous sçavez avec quelle cruauté ont esté traitées quatorze ou quinze personnes de la Compagnie de Mr le Chevalier de la Croix, qui sont tombées entre les mains des ennemis. Quoy que cette affaire ne soit pas nouvelle, je croy vous devoir apprendre des choses qui regardent cet Article, & qui ne sont pas encore venuës à vostre connoissance. Mr de la Croix envoya un Trompette au Prince de Saxe Zeith, Evêque de Raab, pour porter une Lettre, par laquelle ce Partisan luy marquoit qu’il estoit faux qu’il eust ordonné à ses gens de le poignarder ; que le bruit qu’on en avoit debité estoit un effet de la malice de ses ennemis ; que si l’on faisoit tant soit peu d’attention à sa conduite, il seroit facile de découvrir qu’il n’est pas capable d’une si méchante action ; qu’il n’a jamais rien fait de contraire aux loix de la guerre ; qu’il a trop d’honneur, & de respect pour le sang d’un Prince & d’un Prelat de son merite, pour avoir voulu attenter à sa vie par une action si indigne d’un honneste homme ; que quand il en auroit esté capable, il ne voyoit pas qu’une pareille mort apportast aucun changement aux affaires ; qu’il avoüoit que son dessein estoit de le faire enlever, luy ou quelques-uns des principaux de Cologne ; qu’une marque qu’il n’avoit pas donné ordre d’offenser sa personne, c’est qu’il avoit à quelque distance de la Ville, un carosse & des relais tout prests pour le conduire luy ou ceux qu’on auroit pû enlever, sur les terres d’Espagne ; & qu’enfin celuy qui avoit inventé cette infame calomnie estoit plus digne de châtiment que de confiance, puisqu’il ne l’avoit fait sans doute que pour recevoir une plus forte recompense aux dépens de son honneur. Qu’il esperoit trouver un jour occasion de punir ceux qui, injustement & contre le droit des gens, ont ôté la vie à plusieurs innocens, sans vouloir seulement leur donner le temps de se justifier ; que leurs Juges injustes & sanguinaires debitoient presentement que ces morts avoient avoüé leur crime ; mais qu’outre qu’ils ne pouvoient pas avoüer une chose si contraire à la verité, il n’y avoit personne qui ne fust bien persuadé que s’il avoit été assez lâche pour concevoir un pareil dessein, il n’auroit pas au moins esté si imprudent que de le confier à quatorze ou quinze personnes.

Voicy l’extrait d’une Lettre écrite sur ce sujet par Monsieur l’Electeur de Cologne.

Vous avez vû par l’impertinente réponse, que le Magistrat de Cologne a faite à nostre Brigadier Mr le Chevalier de la Croix, & par un imprimé qui a pour titre, Relation veritable de la conspiration découverte, &c. que l’Evêque de Raab, pour se faire une fois un merite auprés de l’Empereur, & de ses Alliez, vient de faire passer nos Officiers & Soldats, qui y avoient esté envoyez pour prendre des ôtages pour la contribution, pour des espions, des traistres, & des assassins, qui, dit-on, selon leur propre confession, auroient dû se saisir de sa personne dans le temps qu’il seroit sorti du repas qu’il va faire tous les Vendredis & Samedis, aux Chartreux, & que sur cela on avoit executé ces pauvres gens, les Officiers ayant esté pendus, & les Soldats arquebusez.

On veut de plus par le même Imprimé faire accroire au public, que ce complot avoit esté tramé à Luxembourg, avec la participation de Monsieur le Maréchal de Villeroy & de Mr le Comte d’Autel, Gouverneur de cette Province, mais il faut que ce bon Evêque soit bien facile à prêter creance à toutes sortes de contes, ou qu’il ait furieusement une bonne opinion de luy-même, s’il s’est pû persuader que deux personnes de ce rang & doüées de tant de prudence, ayent esté capables de prendre aucun ombrage d’un homme de si peu de conduite, & qui, si veritablement il en avoit, en pourroit à present donner des marques en Pologne, où l’on veut détruire son propre ouvrage, & détrôner son proche Parent, qui par ses conseils & sa fausse politique s’y prétendoit ériger en Souverain, ou bien dans la Hongrie, où il devroit en bon Pasteur assister ses oüailles contre les Mécontens Protestans, au lieu de venir à Cologne comme il a fait, seconder l’Electeur Palatin & ses Alliez heretiques, & manger, par pure necessité, le pain de son Archevêque & Souverain. Si l’Officier, qui nous a trahis, a eu l’ame assez noire pour mener à cet horrible supplice tant de braves gens ; je ne m’étonne pas, que pour gagner une pension, il ait eu l’effronterie de representer à l’Evêque de Raab un danger chimerique, & peut-estre que s’ils ont avoüé, que le dessein estoit d’enlever le Prelat, celuy, qui l’a découvert, l’avoit proposé luy-même, dans la pensée de ne pouvoir jamais trouver un meilleur ôtage que celui-là pour les contributions ; & voyant d’ailleurs, qu’il n’y avoit rien de plus facile que de l’executer, quand l’Evêque de Raab sortiroit de la Chartreuse, qui se trouve dans un quartier éloigné des maisons où il n’y a presque personne, & qui est tout proche la Porte Saint Severin, par où on en auroit pû sortir en peu de momens, & sans beaucoup d’obstacles : mais quoy qu’il en soit, il est toûjours assuré que ce projet ne peut avoir esté formé par ces deux Generaux, puisque la personne en question est de si petite consideration envers nous, & envers ceux de son parti même, qu’on ne voit pas de quelle utilité pour les deux Rois, ny de quel desavantage pour les autres, il auroit esté de s’en saisir.

[Actions de graces renduës en Sorbonne] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 16-18.

Je vous ay promis la suite des rejoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, je vous tiens parole. J’oubliai de vous dire le mois passé, que le Jeudy 17. de Juillet Monsieur le Cardinal de Noailles alla chanter une grande Messe dans l’Eglise de Sorbonne, à la fin de laquelle on chanta le Te Deum, & l’Exaudiat, pour remercier Dieu, de nous avoit donné un Prince, toute la Faculté de Theologie y assista. Les Docteurs estoient dans le Chœur, & les Bacheliers dans la Nef, les uns & les autres avec leurs fourrures. Mr l’Archevêque de Narbonne, accompagné des Evêques de Rennes & de Bazas s’y trouva. Mr Pirot Chancelier de l’Université, & Mr Vivant Sindic, & tous deux Chanoines de Nôtre-Dame, firent les fonctions de Diacre & de Soûdiacre. Les Docteurs, & même les Evêques qui assisterent à la Messe receurent la retribution qui avoit esté ordonnée pour la Messe, ces Prelats se firent même honneur de la recevoir.

[Réjoüissances faites à Rochefort] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 18-48.

Le Dimanche 20. de Juillet, la Ville de Rochefort se distingua par des réjoüissances publiques qu’elle fit à ce sujet. Les troupes de la Marine se mirent sous les armes aussi-bien que les Milices de la Ville, composée des Carabiniers, Cavaliers, Dragons & Infanterie ; les Carabiniers avoient tous des Justaucorps d’écarlatte avec des chapeaux bordez d’or, les housses de leurs chevaux estoient aussi d’écarlatte avec des galons d’or ; les Cavaliers & les Dragons n’étoient pas moins propres, & toutes les troupes en general estoient fort lestes.

Le Te Deum fut chanté dans toutes les Eglises ; le matin au grand & au petit Hôpital ; l’aprés midy à l’Amiral, où tous les Officiers de la Marine accompagnerent Mr le Marquis de la Gallissonniere, Chef d’Escadre, & Commandant par mer & par terre ; de l’Amiral, les Prestres de la Mission, & les Capucins allerent en procession à l’Eglise de Saint Loüis ; les Officiers du Siége Royal, & ceux de l’Hôtel de Ville assisterent en corps au Te Deum, qui y fut chanté, & suivirent en procession les Capucins jusques dans leur Eglise où tous les Corps se rassemblerent. Mr le Marquis de la Gallissonniere à la teste des Officiers d’Epée, & Mr l’Intendant à la teste de ceux de Robe. Ces bons Religieux desirans donner des marques de leur zele avoient pris soin de tendre dans leur Eglise deux rangs de tapisseries jusques à la voute, d’où pendoient des lustres garnis de bougies ; il y avoit des Tableaux & d’autres ornemens qui attiroient la curiosité des spectateurs ; vis-à-vis de-la Chaire estoit un Trophée d’armes orné de tous les Portraits de la Famille Royale, & placez avec beaucoup d’ordre & de genie, tout tout y estoit d’un tres bon goût. Au dessous de chaque Portrait, on lisoit une devise à l’honneur du Prince qu’il representoit, & sous celuy du Roy estoit écrit ; Ecce sic benedicetur homo qui timet Dominum, & ce furent ces paroles qui servirent de texte au Pere Esprit de Blois, Gardien, & celebre Predicateur, qui fit l’Eloge du Roy avec son éloquence ordinaire, il fut extrêmement aplaudi ; on admira dans son discours, la finesse, l’arrangement & le choix des pensées ; l’Eglise estoit remplie des personnes les plus considerables de la Ville & des environs ; les Dames pour avoir part à l’honneur de la Feste avoient magnifiquement paré la Chaire du Predicateur.

Le Panegirique estant fini, on commença le Te Deum & l’Exaudiat, qui furent suivis de la benediction du saint Sacrement, & pendant qu’on chanta, toute l’Eglise fut illuminée d’une quantité prodigieuse de bougies.

Le Te Deum étant fini, Mr l’Intendant suivi des Officiers de la Maison de Ville, mit le feu au Bucher dressé dans la Place d’armes ; dans ce moment toute la Ville retentit de cris de Vive le Roy, & de mille autres acclamations de joye ; on entendit plusieurs décharges de Canons, de Boëtes, & de Mousqueterie, & toute la Ville fut illuminée.

Les illuminations commencerent par l’allée qui conduit de la place chez Mr l’Intendant, à l’entrée de laquelle étoit un Arc de triomphe de la hauteur de 25. pieds. Sur 4. grandes colonnes, s’élevoient autant de Piramides enrichies de Devises, au milieu de ces Piramides, une Pallas armée, & sous l’Arc de triomphe, deux fontaines de vin qui coulerent bien avant dans la nuit, & dont le peuple eût de quoy se satisfaire, ainsi que des aumônes qui furent distribuées aux pauvres dans les differens quartiers de la Ville.

Les illuminations du clocher des Capucins donnerent un beau spectacle, on y decouvroit de fort loin les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Mais rien ne fut plus agreable que l’illumination qui se fit dans la Cour de Mr l’Intendant, où les lances à feu, les lampes, & les bougies formerent un seul corps de lumiere, dont l’arrangement faisoit plaisir à la belle compagnie qui s’y assembla pour prendre part à la joye publique.

Sur les neuf heures du soir on fit joüer un feu d’artifice sur les rempars de la Ville, les fusées volantes ne furent pas épargnées, & tout l’air en fut rempli, & on continua les illuminations, les dances, & la joye pendant la plus grande partie de la nuit dans les ruës & dans les maisons des Officiers & des principaux habitans, où l’on tint quantité de tables.

Voicy ce que porte une relation plus étenduë & dans laquelle on voit un tres-bel éloge du Roy.

L’Eglise des RR. PP. Capucins, dont le Roy est fondateur, étoit magnifiquement parée d’un double rang de tres-belles tapisseries. Au tour de cette Eglise, regnoit une ceinture de festons, de lustres, de tableaux, & d’écussons aux Armes du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne. On y avoit placé les portraits de Sa Majesté, & de toute la Famille Royale ; Monseigneur le Duc de Bretagne étoit representé sous la figure d’un jeune amour, qui joüe avec un arc & des fléches, au dessous de tous ces portraits, on avoit mis des passages de l’Ecriture, qui convenoient parfaitement aux Princes, ausquels ils étoient appliquez.

Pour le Roy.

Ecce sic benedicetur homo qui timet dominum.

C’est ainsi que sera beni l’homme qui craint le Seigneur.

Pour le Roy d’Espagne.

Dabo tibi gentes hæreditatem tuam et possessionem tuam terminos terræ.

Je vous donneray les nations pour vôtre heritage, & j’étendray vôtre possession jusqu’aux extremitez de la terre.

Pour la Reine d’Espagne.

Soror nostra es, crescas in mille millia.

Vous êtes nôtre sœur, croissez en mille & mille generations.

Pour Monseigneur le Dauphin.

Crescere te faciam Regesque ex te egredientur.

Je feray croître vôtre race à l’infini, & des Rois sortiront de vous.

Pour Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Dicetur benedictio super uxorem tuam et super parentes vestros.

Que la benediction se repande sur vôtre femme & sur ceux qui vous ont engendré.

Pour Madame la Duchesse de Bourgogne.

Gratia super gratiam mulier sancta et pudorata.

La femme sainte & pleine de pudeur, est une grace qui passe toute grace.

Pour Monseigneur le Duc de Bretagne.

Non interibit de David vir qui sedeat super thronum domus Israel.

On ne verra point la tige de David manquer d’un homme qui soit assis sur le throne de la maison d’Israël.

Pour Monseigneur le Duc de Berry.

Judicabit populum tuum sicut et alias tribus in Israel.

Il gouvernera son peuple aussi bien que les autres Tribus d’Israël.

On avoit placé vis-à-vis la Chaire du Predicateur un thrône, au haut duquel le portrait du Roy étoit sous un daiz élevé jusqu’à la voute de l’Eglise ; au dessous de Sa Majesté étoit un trophée de Drapeaux, de Casques, de Boucliers, d’Ecussons, de Lauriers & de toutes sortes d’Armes mêlées ensemble agreablement & sans confusion. Sur les degrés du thrône, on avoit placé toute la Famille Royale, dont les portraits en forme de Medailles étoient entre lassés de fleurs & de lustres qui faisoient un tres bel effet. Aux côtés & au dessous du thrône, on voyoit d’excellens tableaux, dont les uns representoient de magnifiques bâtimens, les autres de sanglans combats, pour exprimer les nobles occupations du Roy pendant la paix, & ses travaux pendant la guerre. La ceremonie commença par l’éloge du Roy que prononça le R.P. Esprit de Blois, Gardien des Capucins, où assisterent Monsieur Begon Intendant de la Generalité & de la Marine, Monsieur le Marquis de la Galissonniere, Chef d’Escadre & Commandant du Port, avec tous les Officiers de la Marine, & tous les corps qui y avoient esté invités. Il prit pour le texte de son discours ces paroles du Pseaume 127.

Ecce sic benedicetur homo qui timet Dominum.

C’est ainsi que sera beni l’homme qui craint le Seigneur.

Il fit connoistre que Louis le Grand est redevable de toutes ses prosperitez à la protection particuliere de Dieu, & que si Dieu le benit, c’est parce que ce Prince le craint veritablement : il prouva ces deux propositions, qui firent le partage de son discours, par la vie du Roy, qui est une suite de grands événemens & d’actions de pieté. Il dit que c’est une judicieuse remarque de la pluspart de ceux qui ont fait l’Eloge du Roy, que ses actions sont extraordinaires par leur grandeur, que pour rendre son Histoire vrai-semblable il faut entrer dans de grands détails, parce qu’on ne seroit pas croyable en ne rapportant que les évenemens. Pour moy, ajoûta-t-il, je ne trouve point de moyen plus sûr & plus infaillible d’aller au devant de tous les doutes que la Posterité pourra former au sujet de Louis le Grand, que de découvrir aux yeux de tout l’Univers la veritable source de sa grandeur ; c’est Dieu, dont la main le conduit dans les routes brillantes de la Gloire, parce qu’il marche à sa suite dans les voyes de la Justice & de la Pieté. Il a promis dans l’Ecriture de répandre les graces les plus abondantes & les plus éclatantes faveurs sur ceux qui le craignent, de combler de gloire ceux qui luy rendent la gloire qui luy est dûë ; il est infaillible dans ses promesses ; il est tout-puissant, nous disons qu’il l’a fait en Loüis le Grand, & il n’y a rien en cela d’incroyable pourvû qu’on ait soin d’ajoûter que c’est Dieu qui opere toutes ces merveilles. Aprés avoir fait le détail des grandes choses que le Roy a faites depuis qu’il est sur le Trône : il ajoûta, que ce n’estoit pas là où se terminoient les effets de la protection du Tout-puissant. Celuy qui craint le Seigneur, dit le Prophete, mangera le fruit des travaux de ses mains, & en fera part à ses enfans, qui rangez autour de sa table, comme de jeunes oliviers, feront sa joye & sa felicité. La benediction du Seigneur s’étendra dans sa famille jusqu’à la troisiéme & à la quatriéme generation ; il verra les enfans de ses enfans, qui pleins d’amour & de respect pour luy, feront que sa vie, quelque longue qu’elle puisse estre, ne sera point sujette aux chagrins & aux dégousts de la vieillesse. Louis le Grand est sans doute l’exemple de cette verité le plus illustre qui ait jamais paru sur la terre. Voit-on rien de semblable dans l’Histoire Ecclesiastique ou dans l’Histoire prophane ? La Fable même toute ingenieuse qu’elle est à feindre & à exagerer, a-t-elle rien imaginé qui approche de ce que Dieu fait en sa faveur ? Arrivé au faîte de la gloire, il voit son Trône affermi par une longue suite de Neveux qui assurent sa famille & l’estat contre les revolutions si funestes à la tranquillité des peuples. Ce n’est point une lente & debile vieillesse qui à pas chancelans a enfin conduit ce Monarque jusqu’à voir la troisiéme generation. Louis a tous les honneurs d’un âge avancé sans en ressentir les incomoditez ; sa vie n’est longue que par les grandes actions dont elle est remplie ; son âge doit moins se compter par sa durée que par la gloire de son regne ; dans un corps que la temperance met à couvert de toutes les maladies, brille un esprit du premier ordre, un genie superieur qui ne s’est jamais démenti ; un certain goust du vray que la flatterie ne pût jamais corrompre, & que l’experience a conduit à la derniere perfection ; un courage capable de tout entreprendre ; une fermeté que rien ne peut ébranler ; une prudence qui va au devant de tous les accidens de la fortune ; un fonds inépuisable de ressources qui le met en estat de parer tout ce qu’il n’a pû prévenir ; une égalité d’ame qui fait qu’il est toûjours le même, au milieu des embarras inséparables d’un Prince qui est le centre des mouvemens de toute l’Europe, & dont les vûës se portent même au de-là de nostre hemisphere, aussi tranquille lorsqu’il regle la destinée des Royaumes & des Provinces, que lorsqu’il veut bien entrer dans le détail des familles particulieres.

Telle est l’heureuse situation de Louis le Grand lorsque Dieu voulant ajoûter benediction sur benediction, luy donne un Fils, qui le troisiéme de masle en masle & d’aîné en aîné, reçoit sans interruption cet auguste Sang que nous devons deffendre aux dépens de tout le nostre. Monseigneur le Duc de Bretagne en venant au monde est reçu, pour ainsi dire, entre les bras de la Victoire. Celuy qui vient annoncer sa naissance est obligé de fendre la presse des Courriers qui de toutes parts apportent au Roy des nouvelles de l’heureux succés de ses armes ; présage certain des grandes choses ausquelles est destiné cet auguste Enfant. Que doit-on attendre d’un Prince dont le Pere a fait des Conquestes dans un âge où les autres ne sçavent pas encore ce que c’est que de combattre ; dont l’Ayeul a fait trembler tant de fois l’Allemagne, & a si bien rabatu la fierté de cette Nation guerriere ; & dont le Bisayeul est Louis le Grand ? Vous sçavez, Messieurs, quelles idées répondent à cet auguste Nom.

Dans le second Point, aprés avoir prouvé que le Roy craint veritablement le Seigneur, & que la Pieté n’est point en luy un effet de la Politique : il ajoûta, qu’il sembloit que Dieu se hâtoit de donner à Louis le Grand une nombreuse Posterité, afin que ses augustes enfans destinez à gouverner le monde puissent se former sur un si excellent modele. Ils apprendront, dit-il, en le voyant, à devenir des Princes religieux ; comme ils ne pourront s’empêcher de l’estimer, ils feront gloire de l’imiter ; son exemple leur fera connoistre que la crainte du Seigneur est le veritable Art de regner, que pour bien commander aux hommes il faut sçavoir bien servir Dieu. Il finit son discours par ces paroles : Pour nous qui avons le bonheur de vivre sous un regne si glorieux, élevons nos cœurs & nos voix vers le ciel, pour remercier le Tout-puissant des graces qu’il nous a faites, & pour en demander la continuation. Joignons nos vœux à ceux de tant de Nations differentes, qui dans toutes les parties du monde, s’interessent à la gloire de Louis le Grand, & disons avec cette pieté tendre qui rend les prieres efficaces. Seigneur, qui faites regner les Rois, & qui renversez le trône de leur gloire, lorsque vous le jugez à propos, conservez nous long-temps celuy que vous nous avez donné : prolongez des jours qui nous sont si chers aux dépens des nostres ; qu’il vive pour le bien de l’Eglise & de son Etat ; c’est à quoy se réduisent toutes nos demandes. Faites que l’auguste Enfant que vous venez de donner à la France, ressemble à son Bisayeul, c’est la plus grande grace que nous puissions luy desirer. Achevez, Seigneur, l’ouvrage que vous avez si heureusement commencé ; acquittez-vous promptement de la promesse que vous avez faite : Vous avez dit que celuy qui vous craint verra les enfans de ses enfans, mais vous avez ajoûté qu’il verra la paix en Israël : et videas filios filiorum tuorum pacem super Israel. C’est la seule chose qui nous reste maintenant à desirer pour voir l’entier accomplissement de vos promesses. C’est à quoy se bornent tous les vœux de Louis le Grand : il est las de remporter des Victoires, tant de Lauriers luy sont à charge, il n’ambitionne plus d’autre gloire que de rendre ses peuples heureux, en leur faisant goûter les fruits de la Paix. Exaucez-le, Seigneur, exaucez-nous !

Le soir il y eut de tres-belles illuminations dans le Clocher, dont toutes les fenestres estoient remplies d’écussons & de Devises, au travers desquelles quantité de flambeaux rendoient une lumiere tres-vive & tres agreable, ce qui a duré pendant trois jours.

[Autres faites à Cahors] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 49-67.

La naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ne fut pas plutost annoncée dans Cahors, que les R.P. Jesuites de cette Ville resolurent de faire dans leur College les réjoüissances publiques que cette heureuse nouvelle meritoit. Ils executerent leur dessein avec cette promptitude, qui fait presque tout l’agrément & toute la beauté de ces fortes de Festes. On n’employa que dix jours à preparer toutes choses, & à mettre en estat les Ecoliers de toutes les Classes, qui toûjours élevez par les soins de ces RR. PP. dans un amour & une obeïssance inviolable pour le Roy, aussi bien que dans la pieté & dans les sciences, firent éclater une joye universelle ; & s’acquitterent de leur devoir avec une vivacité, qui surpassoit leur âge & leur portée. Si la pompe & la magnificence n’éclatoient pas dans cette Feste ; on y voyoit du moins toutes les graces de la propreté & du bon ordre. Il seroit à souhaiter que ce silence modeste qu’ils gardent sur ce qu’ils ont fait dans cette occasion ne vous dérobast pas le plaisir d’en avoir par eux mêmes une Relation plus polie & plus exacte, que celle que je vous envoye. Voicy un détail court & fidelle de tout ce qui se passa pendant les deux jours, qui furent uniquement destinez à ces réjoüissances.

Toute la Ville informée du jour où l’on devoit commencer la Feste, se rendit avec empressement au College, & tout ce qu’il y avoit de plus distingué dans l’un & dans l’autre sexe, admira avec beaucoup de joye, la decoration pour laquelle on avoit eu si peu de temps à se preparer. Le Portail du College estoit tout environné de laurier ; il y avoit au dessus une belle Inscription qui renfermoit en peu de paroles le sujet de la réjoüissance, & une respectueuse felicitation au Roy, sur la naissance du nouveau Prince que le Ciel donnoit à son auguste Maison. Les armes des Sa Majesté, celles de Mr l’Evêque, & de la Ville, accompagnoient ce titre ; ces differens tableaux également ornez & placez avec ordre, rendoient l’entrée fort agréable & prévenoient favorablement pour le reste. On passoit ensuite sous trois Arcs de triomphe, dont une noble simplicité & une aimable verdure faisoient l’unique ornement ; ils estoient chargez de plusieurs Portraits de Louis le Grand & de toute la Famille Royale, avec un grand nombre de Devises, qui estoient tres-ingenieuses & qui convenoient toutes au sujet de la Feste.

Une cour quarrée, tres-spacieuse & fort riante, se presentoit d’abord aprés s’être montrée d’assez loin dans un large & agréable enfoncement ; vous jugerez de sa grandeur & de sa beauté, par le nombre des Tapisseries & par celuy des affiches dont on l’avoit parée. Les differentes & riches tentures, qui l’entouroient, avoient en tout plus de soixante-dix aulnes, sans compter d’autres pieces, qui servoient à embellir l’entrée. Toutes estoient environnées de verdure, couvertes de plus de cinq cens belles Affiches, dont les unes estoient pour le Roy & les autres pour Monseigneur ; il y en avoit un grand nombre pour Monseigneur le Duc de Bourgogne & pour Madame la Duchesse de Bourgogne. On celebroit de concert dans ces divers ouvrages, soit en Prose, soit en Vers latins, ou en grec, la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Plusieurs autres Portraits de la Maison Royale, & une infinité de belles Devises occupoient encore dans cette cour une place que l’on avoit ménagée malgré le grand nombre des Affiches dont nous avons déja parlé. Les Ecoliers de toutes les Classes, vêtus pendant ces jours fort proprement, ayant presque tous une coquarde de ruban, ou un Plumet sur leur chapeau, avec leur épée au costé, veilloient soigneusement auprés de leurs écrits, & mêlant aux marques de leur joye celle de leur capacité, ils soûtenoient de bonne grace ce qu’ils avoient exposé à la critique, ou pour mieux dire, à l’admiration du public. Si je vous traduisois en François quelques uns de leurs complimens, vous seriez convaincu de l’esprit & du bon goust de cette nombreuse Jeunesse.

On revint l’aprésdinée du même jour pour entendre une Oraison latine que le Professeur de Rhetorique devoit prononcer. Cette nouvelle Ceremonie attira chez eux l’assemblée la plus choisie & la plus belle qu’ils eussent vûë depuis longtemps Mr l’Evêque de Cahors, dont le zele particulier pour les interests du Roy & l’amour pour les belles Lettres, sont par tout assez connus, s’y rendit avec un empressement qui servit d’exemple à tout le monde ; Mrs les Chanoines de la Cathedrale, le Presidial, l’Université, les Consuls, tous les Chefs & les Principaux des Maisons Religieuses, avec ce qu’il y a de plus sçavans & de plus distingué d’ailleurs, composoient ce nombreux Auditoire. Le discours qui estoit consacré à la gloire de Monseigneur le Duc de Bretagne, reçut un applaudissement general. L’Orateur, qui avoit composé & appris par cœur son ouvrage dans l’espace de dix jours, fit voir que cette naissance estoit d’un costé le sujet d’une joye solide pour les François, & de l’autre, celuy d’une veritable crainte pour tous leurs ennemis. Il toucha dans la suite avec beaucoup de methode & de finesse, les vertus heroïques du Roy, & celles de Monseigneur. Il loüa aussi Monseigneur le Duc de Bourgogne, & la Princesse son Epouse, d’une maniere tres-delicate & tres-naturelle ; il dit fort ingenieusement en parlant de cette Princesse, qu’il ne manquoit rien à un Pere aussi illustre & aussi grand que le sien, que le titre d’Amy & d’Allié de la France. Il finit sa Piece en faisant mille tendres vœux pour la vie, la santé, la gloire, & le bonheur du Prince qui venoit de naistre. L’Assemblée tres-contente se retira au bruit des Tambours & des Trompettes, qui se mêloit aux acclamations que chacun donnoit à celui qui avoit parlé, & aux divers cris de joye que cette feste inspiroit à tout le monde. On ajoûta à ces Affiches generales & à cette Oraison Latine, des soins plus dignes d’un zele Chrestien, & plus conformes au précieux bienfait que la France avoit reçû. Une pieuse liberalité & une tres grosse aumône que l’on fit à l’Hôpital general commença les actions de graces. Ensuite on remercia le Seigneur par une grande Messe qui fut celebrée dans l’Eglise du College avec beaucoup de solemnité. Une excellente Musique avec une Symphonie charmante, chanta sur la fin de cette Messe un tres beau Te Deum. La foule qui assista à cette devotion fut grande, & tout fut executé avec beaucoup de succés, de pieté & de modestie.

Enfin on acheva la feste, & on couronna ces réjoüissances par de tres belles illuminations, qui s’étant faites en un instant, comme elles se font d’ordinaire, durerent depuis huit heures du soir, jusques à onze heures de la nuit. Elles plûrent infiniment aux yeux de toute la Ville, qui s’étoit renduë sur une grande esplanade pour prendre part à ce nouveau plaisir. Vous jugeriez de l’heureux effet que ces illuminations pouvoient faire si je vous traçois une figure exacte de l’endroit que l’on avoit choisi pour les pratiquer. C’étoit un beau Clocher, ouvrage octogone, à trois grands estages dont chacun a huit fenestres, qui sont soute nuës par une balustrade tres propre faite de pierre de taille blanche. Quatre cordons de la même pierre en ceignent les murailles ; il est enfin terminé par un Dôme & une lanterne. Quoique ce Clocher soit d’une hauteur tres-considerable, on le vit bien-tost tout en feu. Ces illuminations composées de certaines matieres qui formoient plusieurs lumieres ensemble dont chacune produisoit une flâme épaisse & ondoyante au gré du vent, sembloit faire un Soleil naissant, qui au milieu d’une nuit claire & tranquille brilloit jusques sur les côteaux qui environnent nostre Ville. On jetta pendant ce temps là plusieurs fusées volantes & courantes, à étoilles & à serpenteaux. Une tres bonne Mousqueterie les accompagnoit de fois à autre. Les tambours, les trompettes & le carillon de toutes les cloches faisoient à leur tout un concert qui soutenoit l’attention & la joye de tout le monde. On avoit en même temps éclairé l’appartement le plus beau & le plus agreable de la maison, lequel donne d’un costé sur le dehors de la Ville & de l’autre sur une longue étenduë ou de jardins, ou de maisons Religieuses. Ce grand nombre de bougies que l’on avoit artistement rangées sur toutes les fenestres, donnoit un nouveau jour à tous les environs, & finissoit d’une maniere tres noble cette réjoüissance publique. Toute la Ville demeura d’accord que l’on ne pouvoit s’acquiter mieux de ce devoir, & que ces Reverends Peres avoient fait autant que la commodité du lieu & la brieveté du temps avoient pû le permettre. Je suis avec respect.

Je dois ajoûter icy l’Idille qui suit afin de mêler les vers aux réjoüissances.

Les Graces. Idille pour madame la duchesse de Bourgogne §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 68-76.

LES GRACES.
IDILLE.
POUR MADAME LA DUCHESSE DE BOURGOGNE.

Prés de la Seine l’autre jour
Les Graces tristes, negligées,
Aussi confuses qu’affligées
Firent cette plainte à l’Amour :
Divin Enfant dont la puissance,
Nous fit dans ces beaux lieux élever tant d’Autels,
Que nous croyïons être éternels,
Nous venons vous crier vengeance
Contre le peuple de la France ;
Quoy qu’il ait pour son Roy, le plus grand des Mortels ;
Ce peuple dont la politesse,
Passe à certains égards celle qu’eut autrefois
Rome & l’ingenieuse Grece,
Ce peuple enfin soumis si long-temps à nos loix,
Aujourd’huy meprise nos charmes,
Se montre fierement rebelle à nos douceurs ;
Vainement contre luy nous employons nos armes ;
C’est Bacchus & Momus qui seuls sont ses vainqueurs.
La beauté, l’esprit, la jeunesse,
À qui nous prodiguons cent tresors precieux,
Dans ce sejour delicieux,
Etalent en vain leur richesse :
De brusques étourdis pleins d’une folle yvresse
Ne prennent jamais garde à ces presents des Cieux :
Sans discernement sans justesse,
Ils n’ont pour nos attraits ni d’oreilles, ni d’yeux.
Pour l’honneur de Paphos, pour l’honneur d’Amathonte
Daignez chez les François reparer nôtre honte.
Ils cueillent des Lauriers sans cesse au champ de Mars,
Ils couronnent tous les beaux Arts ;
Ne souffrez pas Dieu de Cithere,
Qu’avec le rare don d’enchanter les regards,
Nous seules cessions de leur plaire
Quand nous plaisons de toutes parts.
D’un souris gracieux, & d’un doux air de tête,
(Signes qui des mortels ne sont pas inconnus)
L’Amour approuva la Requête
Des favorites de Venus.
Puis d’un ton enchanteur & d’une voix touchante,
Dont il seduit l’oreille & le cœur à la fois,
Il leur dit : j’ay toûjours mon Arc & mon Carquois,
Il est juste, troupe charmante,
Que vous regniez sur les François.
J’ay vû plein de depit la coupable indolence
Qu’ils ont pour vos attraits, que tout doit reverer,
Mais par un coup de ma puissance
Plus qu’ils n’ont jamais fait, ils vont les adorer.
L’incomparable Adelaïde,
Que la beauté couronne & que la gloire guide,
Doit donner à la France un Prince plein d’appas.
Par un divin effet de mon pouvoir suprême
Ce doit être un autre moy-même,
Et les Jeux & les Ris suivront toûjours ses pas.
Les yeux seront charmez de son éclat extrême :
Ce Prince enfin sera si beau
Qu’on croira le voyant que c’est moy sans bandeau.
Et comme à Loüis sur la terre,
Jupiter prête son tonnerre,
À cet Enfant dés le berceau,
À cet Enfant un jour tel que Mars dans la guerre,
Je prêteray mon arc, mes traits & mon flambeau.
J’ay sçû des destins, qu’à ma gloire,
On verra ce nouvel Amour
À tous vos charmes chaque jour
Donner victoire sur victoire.
Lançant mes traits de toutes parts
Mieux que ma main ne pourroit faire,
Par luy vous recevrez un encens peu vulgaire
Des fameux éleves de Mars ;
Les doctes favoris des Muses, des beaux Arts,
Blessez aussi par luy feront tout pour vous plaire.
En attendant un temps si doux,
Si les beuveurs encor vous font quelques offenses,
Dans l’espoir d’en avoir d’agreables vangeances :
Belle troupe consolez-vous.
Chez un peuple galant vous reprendrez vos places,
Dés que la Princesse des lys,
Aura donné le jour à son Auguste Fils :
On verra cent Autels aux Graces.
Ainsi parla le Dieu des cœurs.
Les favorites de sa Mere
Bannirent leur douleur amere
Par ses discours pleins de douceurs ;
Et puis cette troupe divine,
Peu faite pour être chagrine,
Se livrant aux transports de leurs cœurs réjoüis,
Chanta sur des tons magnifiques
Les charmes enchanteurs, les vertus Heroïques
D’Adelaïde, de Loüis,
Et de toute la race Auguste
De ce Roy glorieux, aussi puissant que juste.

Cet ouvrage est de Mlle l’Heritier & fut presenté à Madame la Duchesse de Bourgogne, au commencement du mois d’Avril, il reçut de grands applaudissemens à la Cour, où l’on souhaittoit avec la plus vive ardeur de voir l’effet de la prediction qu’il contient. Si Mlle l’Heritier fut la premiere à prédire cette naissance, elle fut aussi la premiere à la chanter, puisqu’elle donna dés le lendemain la chanson suivante.

[Chanson] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 76-79.

CHANSON
Sur l’air de
L’autre jour m’allant promener.
Ah ! mon mal ne vient que d’aimer, &c.
Sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Vous qui suivez les douces Loix
De Loüis le plus grand des Rois.
Faites heureux peuples François,
Briller vôtre allegresse :
Vous qui suivez les douces loix
D’un Roy plein de sagesse.
***
Nôtre Princesse a mis au jour
Un Enfant beau comme l’amour ;
Mais il suivra Mars à son tour.
Tremblez Aigle superbe ?
Nôtre Princesse a mis au jour
Un Conquerant en herbe.
***
Ah ! qu’on voit un objet charmant
Dans la Mere de cet Enfant !
Que son aspect est triomphant !
Quelle grace la guide !
Ah ! qu’on voit un objet charmant
Voyant Adelaïde !
***
Elle a les charmes de Venus,
Mais ce qui vaut encore plus ;
Elle unit cent rares vertus
À sa beauté modeste,
Elle à les charmes de Venus
Et n’en a pas le reste.
***
Que je vois un brillant destin
Au Prince qui sort de son sein !
Mars le conduira par la main
Jusqu’aux bords du Scamandre.
Que je vois un brillant destin
Pour ce jeune Alexandre !
***
Qu’il a d’exemples glorieux
Dans son Pere & ses deux Ayeux !
De ces trois vaillans demi-dieux
Il doit suivre la trace.
Qu’il a d’exemples glorieux
Dans son auguste race.
***
Quand on sort du sang de Loüis,
On fait des exploits inoüis.
Vos faits nous rendront rejoüis
Charmant Duc de Bretagne ?
Quand on sort du sang de Loüis,
La victoire accompagne.

[À Lamballe] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 79-81.

Le vingtiéme Juillet on fit à Lamballe, capitale du Duché de Penthieure en Bretagne, appartenant à Monsieur le Comte de Toulouse, les rejoüissances publiques pour l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. On commença la ceremonie à quatre heures du matin par une double décharge du canon, suivie du carillon des Eglises paroissiales de Nôtre Dame, de Saint Jean, & de Saint Martin. On chanta à l’issuë de Vêpres le Te Deum dans la Paroissiale & Collegiale de Nôtre Dame, où assisterent le Clergé, tant seculier que regulier de la Ville & Fauxbourgs, les corps de Justice & de la Communauté au bruit des trompettes & du canon du Château. On mit ensuite le feu à un Bucher, orné des Armes du Roy, de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Bretagne, & de plusieurs autres convenables à ce sujet. Les Compagnies de la ville s’y trouverent sous les armes, & firent leurs décharges aux cris de Vivent le Roy, & Monseigneur le Duc de Bretagne. Le soir il y eût des illuminations à toutes les maisons, des Feux de joye en chaque ruë, & un d’artifice qui reüssit tres bien.

[À Bourges] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 81-87.

On s’est acquitté du même devoir à Bourges avec beaucoup de distinction. On avoit choisi parmi le peuple les hommes les mieux faits, & de la meilleure mine, & l’on en forma quatre Compagnies qu’on auroit pris à leur air martial pour des Soldats aguerris depuis long temps : ils estoient tous fort lestes, & bien armez. Sur les quatre heures aprés midy, cette Milice fut conduire par les Officiers des Quartiers dans l’Eglise Cathedrale où le Te Deum fut chanté en musique, & la Procession generale faire à la maniere accoûtumée, c’est à dire, que les Ordres Religieux precedoient le Clergé, aprés lequel marchoient le Corps du Presidial en robe à la droite, & celuy de Ville aussi en robe à la gauche. La Procession finie, on chanta dans le Chœur un Motet, qui fit juger que le Maistre de musique, & les Musiciens prenoient part à la joye publique, puisque on n’avoit jamais rien entendu à Bourges de mieux executé, ny d’un meilleur goust. Aprés qu’on eust rendu graces au Seigneur de l’heureuse naissance du nouveau Prince, les habitans allerent la celebrer dans leurs maisons, le verre à la main, ensuite de quoy les Troupes se rassemblerent dans la Maison de Ville pour prendre le Maire & les Echevins, & les conduire à la place de Bourbon au son des Trompettes, des Tambours & des Fiffres & à la lueur d’une grande quantité de flambeaux. On avoit dressé dans cette Place un Bucher d’une hauteur extraordinaire, où le Maire & les Echevins mirent le feu ensemble, & dans le même moment on entendit une salve de mousqueterie, qui fut recommencée à plusieurs fois, & qui dura pendant une partie de la nuit, mais le Feu d’artifice attira encore plus de curiosité.

Je ne dois pas oublier la magnificence de Milord Louvat, qui voulut témoigner à son tour la part qu’il prenoit à la joye publique, & l’attachement qu’il a pour la Maison Royale par une grande profusion d’excellent vin qu’il fit donner au peuple. Deux fontaines de cette liqueur coulerent dans la même Place durant une bonne partie du jour, & pendant toute la nuit, & sur le soir on defonça plusieurs tonneaux où les plus alterez trouverent bien au de-là de ce qu’il falloit pour apaiser leur soif, puis qu’il en resta beaucoup qu’on envoya le lendemain à l’Hôpital General. Je ne vous parle point des réjoüissances qui se sont faites par divers particuliers en differens endroits de la Ville, non plus que des ornemens, devises, & decorations que Mr Jean Baptiste Sabbatini, excellent Peintre Italien avoit faites pour la Maison de Ville, & pour la Place ; il me faudroit trop de temps pour les decrire.

[À Rennes] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 87-95.

Les Particuliers ne se sont pas moins distinguez que les Villes entieres, on le peut voir par l’illumination de Mr Vodié de Rennes. Il fit élever une Piramide de figure triangulaire de dix pieds de haut, sur sa baze de trois pieds de diametre, terminée par une Couronne de Prince.

On avoit choisi la Figure triangulaire, parce que la maison dudit sieur Vodié est située dans un carrefour de même figure.

Toutes les faces estoient ornées dans le bas d’un piédestal de marbre, enrichi de festons d’or qui tomboient sur les gorges, l’entablement & la corniche estoient aussi d’or.

Sur l’entablement étoient deux Dauphins acculez, dont les queuës étoient d’ornement qui soutenoient un piédestal au milieu, accompagné de deux tiges de Lys qui sortoient des mêmes ornemens ; le haut estoit orné d’un masque d’or auquel estoit attaché une grande couronne de feüilles de Laurier & de Chesne rehaussée d’or, dans laquelle il y avoit une Devise aussi-bien que dans les bas reliefs du piédestal.

Sur le piédestal de la face opposée à la ruë de la Cine, estoit une Renommée qui tenoit d’une main une trompette dont la banniere estoit semée de fleurs de Lys & d’Hermines sans nombre.

Elle sonnoit de la Trompette, comme pour annoncer la Naissance du DUC DE BRETAGNE, & de l’autre main elle tenoit un Ecusson des Armes de ce Prince, qui porte écartelé au premier & quatriéme quartier de France, & au second & troisiéme de Bretagne.

Au dessus estoit une devise qui representoit une mer, sur le rivage de laquelle estoit une grande coquille qui s’ouvroit par l’effet des rayons du Soleil, qui la regardoit en face ; dans le milieu de laquelle on entrevoyoit une grosse Perle, avec ces mots,

Solis munere divitior.

Et dans le bas relief du piédestal, estoit une autre devise dont le corps estoit un Soleil qui formoit dans un nuage épais, qui s’élevoit de la mer, trois Parelies qui alloient en diminuant vers le bord de l’horison, avec ces mots,

Hodie quod nunquam.

Sur le piédestal de la face qui regardé l’Eglise S. Germain, estoit une femme debout, representant la Province de Bretagne, elle estoit vestuë d’une robe rouge avec un manteau blanc, doublé d’Hermine, tenant de la main droite un Vaisseau, & de l’autre elle caressoit une Hermine qui estoit sur le Jas d’un Ancre ; à ses pieds étoit un Trophée maritime, composé de Canons, de Mats & de debris de Vaisseaux.

La devise d’en haut representoit un Nid d’Alcyon sur une mer dont le milieu où étoit le Nid étoit calme, pendant que ce qui paroissoit dans l’éloignement étoit fort agité & la mer fort grosse, avec ces mots,

Quod tango, tueor.

Et dans le bas Relief d’en bas étoit representé un gros Fleuve qui se separoit en trois & dont tous les bras paroissoient considerables, avec ces mots,

Divisus fit major.

Sur le piédestal de l’autre face étoit une femme debout, representant la Ville de Rennes, qui tenoit dans sa main droite une main de Justice avec quelques instrumens & attributs des Arts, elle étoit appuyée sur un écusson de la Ville de Rennes.

La premiere des deux devises de la mesme face, representoit quatre flambeaux, dont la grandeur étoit par gradation, ils étoient élevez l’un au dessus de l’autre, & le premier & le plus gros, produisoit une grosse flâme, qui en s’élevant en l’air allumoit les trois autres qui se communiquoient la lumiere l’un à l’autre, avec ces mots,

Lumen de lumine.

Et la seconde representoit quatre tiges de Lys, sortans de la mesme souche, dont le premier étoit fort élevé & les autres toujours en diminuant ; & au dessous du dernier étoit une ruche à miel, autour de laquelle étoient plusieurs Abeilles, avec ces mots,

Tute et jucunde.

[Mr le Commandeur de Fresnieres est nommé General des Galeres de Malthe] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 95-99.

L’on a eu avis de Malthe que Monsieur le Chevalier de Lorraine s’étant excusé du Commandement des Galeres parce qu’il est Chef d’Escadre, qu’il est presentement sur mer, qu’il sert dans la la Flotte de Monsieur le Comte de Toulouse, & qu’il ne peut quitter le service du Roy ; le Grand Maistre a nommé Frere Gabriel du Chastelet de Fresnieres, Grand Croix, Grand Prieur du Prieuré d’Aquitaine, & Commandeur de la Commanderie de Saint Estienne en Normandie, pour estre General des Galeres : il doit entrer en possession au mois de May 1705.

Frere Nicolas de Tavolas, de la Nation Portugaise, qui quitte le Commandement des Galeres, est d’une tres-ancienne Maison de Portugal, il y a eu un Grand Maistre de cette famille dans le quatriéme siecle.

Les Galeres de l’Ordre étoient commandées auparavant par Frere Jean Vainï, dont la famille tient rang de Prince en Italie, & avant ce dernier elles l’étoient par Frere Jacques Spinola, Genois, dont plusieurs de cette famille ont occupé les premieres dignitez de l’Ordre. Et enfin aprés ces Commandeurs, Frere Gabriel du Châtellet de Moyencourt, mort à Malthe, aprés avoir esté Grand Hospitalier, Grand Tresorier, Bailly de la Morée & avoir passé dans toutes les dignitez de l’Ordre, en a esté General. Il estoit grand oncle du Commandeur de Fresnieres qui vient d’estre choisi pour les commander.

La famille du Chastellet est originaire de Flandre ; un Claude du Chastellet s’étoit établi en Picardie par le mariage d’Antoinette de Moyencourt, devenuë heritiere de la terre & des autres biens situez dans la Province de Picardie, par la mort de deux Freres tuez à la bataille de S. Denis.

De cette famille sont issuës deux branches ; sçavoir, du Chastellet de Moyencourt, & du Chastellet de Fresnieres, dont les biens & les terres sont dans la Province de Picardie. Une troisiéme branche s’est établie en Lorraine, sous le nom du Chastellet de Ciray.

[Eloge funebre de Mr de Lucas, Fondateur du Prix donné tous les ans par la Compagnie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 100-120.

Je vous envoye l’éloge de Mr de Lucas, dont je vous ay parlé dans ma derniere Lettre. Ce sçavant homme excelloit également dans les Sciences & dans les Arts, & passoit pour un Juge d’une parfaite integrité. Il estoit Doyen des Conseillers Clercs du Parlement de Toulouse, Doyen de la Compagnie des Lanternistes qu’il avoit établie. Il faisoit tous les ans la depense d’une Medaille que cette Compagnie ajugeoit à la personne qui avoit le mieux rempli les Bouts rimez d’un Sonnet à la loüange du Roy. Cet éloge a esté composé par le Secretaire de la Compagnie des Lanternistes & prononcé dans l’Assemblée de la mesme Compagnie, dans laquelle on distribua le dernier Prix. Ce Secretaire est aussi bon Orateur, que bon Poëte.

MESSIEURS,

Quel triste spectacle se presente à nostre imagination ! Quelle sombre melancolie s’empare de nos sens & de nostre cœur ! dans le temps que nous allons entendre des chants d’allegresse & de triomphe pour les Victoires du plus grand de tous les Rois. Tant de sujets de joye devroient, ce semble, bannir la tristesse que nous cause la perte que nous venons de faire ; mais comment retenir nos larmes ! comment étoufer nos soupirs dans une conjoncture si douloureuse ! Quoy ! ne nous sera-t-il pas permis de répandre quelques fleurs sur le tombeau d’une personne qui nous estoit si chere ? de nostre illustre Doyen, que nous devons regarder comme le Fondateur de ces agreables exercices, comme le Pere & le Patron des Muses.

Vous le sçavez, Messieurs, il avoit un goust excellent, un esprit plein de vivacité & de penetration, une ame grande & genereuse, un naturel charmant, & une bonté de cœur qu’on ne sçauroit exprimer. Son genie aimoit toûjours à s’élever, il recherchoit ce qu’il y avoit de plus subtil & de plus curieux dans toutes les Sciences & dans tous les Arts, & joignant la Theorie à la Pratique, il executoit heureusement les idées que son imagination avoit conçuës. Quels applaudissemens, quelles loüanges ne luy ont point attiré divers ouvrages mécaniques que de sçavans Philosophes & d’habiles Ingenieurs ont trouvez dignes de leur admiration ? Cette Machine Hydraulique par le moyen de laquelle on peut porter l’abondance & la fertilité dans les campagnes les plus seches & les plus steriles ; ce Colimettre qui fait connoistre au juste l’estime des Vents, & qui fournit aux Pilotes dequoy prévenir les suites funestes qui arrivent ordinairement dans la Navigation. Quel bruit n’a point fait son Aiguille non-aimantée, qui aprés des mouvemens contraires, tourne vers le Nord, & s’y arreste ? Est-il rien mieux inventé que le Tombeau d’Attila, où paroist un grand nombre de Medailles antiques, & où est cachée une raillerie fine & ingenieuse, sous l’effigie des Divinitez supposées ? On n’a qu’à examiner l’Encensoir & l’Etendart de Mahomet pour y apprendre de beaux secrets de la Nature, les parfums les plus exquis, la qualité & la vertu des pierres precieuses les plus rares & les moins connuës. Quelle fecondité de genie ! quelle facilité à produire de nouvelles découvertes ! Ce bel Art qui est si necessaire pour la commodité des hommes, & qui sert à les rendre immortels, en faisant paroistre leur grandeur & leur magnificence par des édifices également superbes & durables. L’Architecture avec toutes ses regularitez & ses proportions, n’estoit pas ignorée de ce grand genie. Il a fait voir par un nouvel Ordre qu’il a inventé, & qu’on a appellé Borbonien, par rapport à l’illustre & glorieuse Famille des Bourbons, il a fait voir que la Nation Françoise ne cedoit en rien aux Grecs & aux Romains qui se vantent d’estre les premiers Auteurs de la belle Architecture. Je pourrois encore vous rapporter plusieurs autres talens, plusieurs autres belles connoissances où il excelloit ; & il n’y a point de doute qu’on auroit vû tous ces ouvrages dans leur derniere perfection, s’il avoit eu le loisir de s’y appliquer, & s’il n’avoit craint de dérober à l’exercice de la Justice des momens qu’il luy avoit consacrez. C’est icy, Messieurs, où je devrois vous le representer, assis sur les Fleurs-de-lis, à costé des premieres Dignitez, donner toute son attention au droit des Parties, souvent déguisé par l’éloquence artificieuse de l’Orateur, & former ensuite par son avis les Arrests qui decidoient de leur fortune.

L’integrité & le desinteressement sont le veritable caractere d’un Magistrat ; celuy-cy possedoit ces qualitez dans toute leur étenduë. Touché des impressions de la verité, & nullement sensible à la tentation de l’avarice, toûjours prest à soûtenir les interests des malheureux, il ne se détourna jamais des routes que l’honneur & la probité luy marquoient : les Puissances ne l’étonnoient pas, & l’amitié reünie & fortifiée n’avoit pas le moindre pouvoir sur son esprit. Plein de tendres sentimens pour son prochain, ennemi courageux de l’iniquité, il se declaroit hautement contre l’oppression & la tyrannie.

C’est ainsi qu’il a rempli les devoirs de son Ministere pendant un long espace d’années, & comme il avoit un esprit universel, & qu’il donnoit avidemment dans toutes les Sciences, il semble qu’il ne pouvoit suffire à celle des loix qui demande des soins particuliers & une application continuelle : cependant en jugeoit-il avec moins d’équité & n’avoit-il pas la reputation d’un bon Juge ? Sa penetration & sa droiture suppleoient assez à ce qui pouvoit luy manquer, & ce qu’il n’avoit pas eu tout le temps d’acquerir par l’étude, il l’avoit par l’experience.

Il est rare de trouver ailleurs plus de feu, & plus de vivacité d’esprit. Je vous atteste icy, Messieurs ? Combien de fois l’avez-vous entendu parler sans preparation sur des matieres differentes & données au hasard, jusqu’à soutenir même long-temps ses discours, & pousser fort loin ses promptes & heureuses saillies, quelquefois plus agreables que les discours étudiez & les meditations recherchées. Ses sentimens ne cedoient point à ses expressions, & s’il avoit de belles pensées, il avoit aussi des sentimens nobles & genereux.

Il falloit avoir une ame aussi élevée que l’estoit la sienne pour surmonter les adversitez qui le traverserent. Son illustre famille qui s’est toûjours soûtenuë dans le Ministere de la Justice, & que le digne heritier de nostre Magistrat rehausse beaucoup par sa bravoure dans l’Artillerie, & par des distinctions glorieuses dont il a plû au Roy de l’honorer ; son illustre famille, dis-je, estoit comblée de biens & dans l’opulence : il vit cette fortune s’evanoüir sans en estre émû, & ramassant, pour ainsi parler, les restes de son naufrage, il prit le parti de la Robe, & en même temps celuy de faire profession d’un honneste indigence. Il auroit pû dans les suites relever le debris de sa maison par un gain legitime ; mais il aima mieux s’en priver quelquefois, que d’estre soupçonné d’avoir la moindre passion, le moindre attachement pour ses propres interests ; semblable à nos premiers Peres, qui ne songeoient qu’à vivre dans la bonne foy & dans la simplicité.

Quoy que la fortune ne luy fust point favorable, & qu’il en ressentist souvent les caprices & la bizarrerie, elle ne luy ostoit rien du repos & du contentement qu’il s’estoit fait dans son ame. Il les faisoit paroistre au dehors, ce contentement & ce repos, par une humeur toûjours égale, par un naturel qui ne se dementoit point. Ingenieux à chercher de nouveaux divertissemens, de nouveaux tours, de nouvelles manieres à passer le temps agreablement, faisant tout avec esprit, disant sans cesse de bons mots, il estoit le charme des conversations, & les delices des compagnies. Un air de joye & de plaisir se répandoit d’abord dans tous les lieux où il se trouvoit : mais cet enjoüement & cette gayeté n’empêchoient pas qu’il ne fust grave & serieux quand il falloit ; ces airs libres & familiers ne faisoient rien perdre de la rectitude qu’il sçavoit garder, & de la dignité qu’il sçavoit maintenir dans l’administration de sa charge.

Le public est témoin du zele qu’il a fait paroître pour les interêts de la Religion. Les irreverences estoient comme autorisées dans la maison du Seigneur ; les Ministres de Jesus-Christ n’étoient pas assez forts, il falut avoir recours aux Ministres de la Justice pour reprimer cette licence scandaleuse ; Nôtre Magistrat Ecclesiastique s’y attacha avec une ardeur vrayment Chrêtienne : aprés avoir employé la douceur, & les remontrances civiles, il usoit de menaces & prenoit le foüet contre les profanateurs du Sanctuaire, & faisant ainsi religieusement observer le respect & la modestie dans nos saints Temples, il s’acquittoit en même-temps du double ministere où il estoit engagé.

Que diray-je de la charité qu’il exerçoit envers les pauvres ! pourray-je vous exprimer combien il estoit sensible à leur misere ! Outre qu’il choisissoit douze pauvres des plus agez, qu’il servoit luy-même dans un repas qu’il avoit accoûtumé de leur donner, comme pour étrenne, chaque premier jour de l’an, il en soulageoit encore beaucoup d’autres, dans le cours de l’année, du fruit de son travail & de sa propre subsistance.

Son bon cœur luy avoit attiré l’estime & la veneration de tout le peuple ; les grands & les petits, les Bourgeois & les Artisans le combloient de mille loüanges, doux fruit de son affabilité & de ses manieres obligeantes & populaires. Ses liberalitez n’estoient point du tout interessées, s’il faisoit du bien c’estoit dans l’esperance de n’en retirer aucun avantage ; il prévenoit même les besoins de ses amis, & vouloit bien leur épargner ces demarches fâcheuses, ces prieres serviles que la necessité fait faire. Quelle bonté, quelle complaisance, quelle tendresse n’avoit-il pas pour eux ! il disoit souvent dans l’épanchement de son cœur, qu’il estoit bien aise de menager le peu de fortune qui luy restoit, pour en faire un present à ses plus fidelles amis. Il a conservé ces sentimens jusqu’à la fin de sa vie, & cette inclination bienfaisante est gravée dans sa derniere volonté, avec des traits qui ne s’effaceront jamais, sur tout de la memoire de ceux qui sont obligez d’en avoir une reconnoissance toute particuliere.

Par tous ces caracteres brillans, par tous ces avantages que le Ciel & la nature avoient pris soin de reünir en sa personne, on doit necessairement conclure que le Magistrat que nous loüons avoit un merite singulier, qu’il estoit essentiellement & honneste-homme & homme de bien.

Vous n’ignorez pas, Messieurs, l’estime & la consideration qu’il avoit pour toutes les personnes qui composent cette Compagnie ; il les avoit choisies luy-même, persuadé que son institution auroit des suites heureuses & ne periroit pas entre leurs mains. Il a bien voulu nous faire part à tous de ses dons, & nous laisser en mourant des richesses qui ne sont pas sujettes aux injures du temps, ni aux caprices de la fortune ; il nous a confié les precieux tresors du Parnasse ; que dis-je, le Dieu même du Parnasse : Ce seroit une espece d’offense & d’irreligion que de repudier cette sorte d’heritage. C’est un dépost sacré que nous devons toûjours conserver, c’est un feu celeste qu’il ne faut jamais laisser éteindre.

[Réjoüissances faites à Beziers] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 120-137.

Je crois devoir commencer la Relation des rejoüissances qui ont esté faites à Beziers par la description des ornemens qui decoroient le feu d’artifice. On avoit dressé un grand Theatre dans la Place où estoit autrefois la Citadelle, fort élevé & soûtenu de huit colonnes d’ordre Ionique avec leurs Piedestaux & Socles formant quatre arceaux aux quatre faces, suivant le même ordre. Les chapiteaux des huit colonnes estoient faits chacun de deux Dauphins, dont les queuës formoient les volutes, & dans l’endroit où l’on met d’ordinaire des roses ou des fleurons, on avoit figuré des hermines ; l’entablement avoit autour de la frise ces paroles du Prophete Daniel, qu’on a toûjours expliquées en faveur de la France.

Suscitabit regnum magnum, quod in æternum non dissipabitur. Il portoit une balustrade terminée aux quatre coins par quatre piedestaux, où étoient posées des Satuës qui representoient les quatre Vertus principales qui font la durée des Empires, l’une estoit la Pieté, ayant en ses mains cette inscription,

Grata deo et populis.

L’autre estoit la Prudence, qui tenoit un Ecriteau, où étoient ces paroles,

Mens una sapiens plurium vincit manus.

La troisiéme figure estoit la valeur ou la force representée par une Pallas, tenant une pique d’une main, & cette inscription de l’autre,

Proprium decus in castris.

La Justice estoit la quatriéme qui d’une main tenoit une Couronne de Launer, & de l’autre, une épée nuë, ces mots estoient écrits sur son pied d’estal.

Justa retribuit.

Au milieu de l’entablement, & au dessus de chaque portique estoient figurés des Cartouches, contenant des devises qui avoient du raport à la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Sur cet ordre Ionique, & au dessus de l’entablement, dans le milieu de la balustrade estoient élevées quatre Colonnes d’ordre Corinthien, des plus vives couleurs de marbre, dont il y a des carrieres prés de Beziers ; leurs piedestaux, frises & corniches estoient de marbre blanc, & les chapitaux des Colonne, dorés, au milieu de chacune des faces estoit une table de marbre noir, ce second entablement à l’aide d’une plinthe, élevoit une grande Couronne fermée par quatre Dauphins, y ayant une fleur de Lys entre chacun d’eux, & au plus haut de la Couronne une fleur de Lys à quatre faces ; sur les Tables de marbre noir on lisoit cette inscription en Caracteres d’or,

His inconcussa manebit.

L’espace qui estoit entre les quatre colonnes estoit occupé par des festons de Lauriers qui descendoient de leurs chapiteaux, & estoient chargez chacun de cartouches, & ces cartouches de devises sur la naissance du Prince, & sur la Famille Royale ; voici quelques unes de ces devises avec l’explication.

La premiere avoit pour corps une Grenade ouverte, & ces mots Espagnols pour Ame,

Tanto granos tanto Reyes.
Autant que ce fruit a de grains,
Autant cette race divine
Que sans nommer chacun devine,
Nous donnera de Souverains.

La seconde, un Soleil levant, & ces mots d’Horace,

Alius que et idem nascitur.
Ce n’est pas ce Soleil dont la vive lumiere
Tient loin de nos climats les brouillars écartés,
Qui de son ciel voit tout par ses propres clartés,
Et ne cede icy bas qu’à la clarté premiere.
Celui-cy n’est pas moins Soleil,
Il sera son image, & sera sans pareil.

La troisiéme, un rejetton de palme, & ces mots de Virgile,

Seris factura nepotibus umbram.
Ce petit rejetton qui nous rend si contens,
De nos plus beaux palmiers vient augmenter le nombre,
Comme-eux, il couvrira les peuples de son ombre,
Mais non pas encor de long-temps.

La quatriéme, les Armes de France & de Bretagne accolées.

Quam bene conveniunt.
Que voit on qui convienne mieux.
À cet auguste enfant de celeste origine ?
Il n’est rien de plus pur que le lys que l’hermine,
Il n’est rien de plus pur que le sang de nos dieux.

La cinquiéme, un grand Lis & des petits Lis autour, avec ces paroles de Virgile,

Crescent illa, crescetis amores.
Bien que pour ce grand Lis nôtre amour soit extrême,
Que chacun le temoigne, & le sente de même ;
Nous n’en demeurerons pas là.
Ces jeunes lis croîtront, & nostre amour croîtra.

La sixiéme ; un Fleuve partagé en plusieurs bras, qui rentroient dans le Fleuve, l’un d’eux s’en separoit, ils representoient Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc de Bourgogne, le jeune Prince, & le Roy d’Espagne, avec ces mots Italiens,

Sui ruscelli gia sono
fiumi.
Ce fleuve incomparable est second en ruisseaux,
Ils n’en sortent que pour s’y rendre,
De leurs divers courants il augmente ses eaux,
Un seul en d’autres lieux se plaît à se répandre.
Que de palmes vont croître au bord de ce ruisseau
Qui dans les champs voisins se fait un cours nouveau,
Par tout il s’y promene avec tant d’avantage,
Qu’il va bien-tôt couler où s’écoule le Tage.

La septiéme, quatre Ecluses representant le Roy & les Princes, la plus basse Ecluse estoit toute pleine d’eau.

Colligit unus.
Quand un canal est plein de l’un à l’autre bout,
Et qu’il a dans son cours quatre Ecluses profondes,
Chacune se remplit à son tour de ses ondes ;
La plus basse recueille tout.

La huitiéme, une touffe d’arbres, parmi lesquels il y en avoit un plus grand que les autres, & ce vers d’Horace,

Umbram hospitalem
consociare amant.
Cet arbre est le plus glorieux
Que l’on ait vû en tous les âges,
C’est l’honneur des Forests, & l’amour de ces lieux ;
Il est avec tous ses feuillages :
On voit autour de luy de jeunes arbrisseaux,
Qui comme le Laurier craignent peu le tonnerre ;
Dans les champs de la gloire ils poussent des rameaux,
Et quelque vent qui leur fasse la guerre ;
Ils seront un jour assés beaux
Pour faire ombre à toute la terre.

La nuit du 3. Aoust estant survenuë la Ville fut pleine d’illuminations, Mr l’Evêque de Beziers en rochet & camail, suivant l’ancien usage, ayant à sa gauche le Maire revestu de sa Robe de velours cramoisi fourrée d’hermines, partit de l’Hôtel de Ville precedé d’un grand nombre de Violons & de Hautsbois, & de cinq Compagnies de Milice qui estoient sous les Armes ; suivi des Consuls, Assesseurs, & Officiers de Ville, chacun un flambeau de cire blanche à la main, arriva au lieu où le feu avoit esté dressé. Aussi-tost les cinq Compagnies ausquelles se joignit une Compagnie de Miquelets ou Fusilliers des Montagnes, qui passoient en cette Ville, & y étoient de sejour, firent plusieurs décharges. Le feu ayant esté allumé par Mr l’Evêque, Mr le Maire, Consuls & Conseillers de Ville, l’artifice joüa avec un succés, dont tout le monde fut satisfait. Il sortit de la Couronne du feu d’Artifice une girandole de fusées volantes qui formerent une Couronne de feu dans les airs, cependant la Couronne de l’artifice brilla long-temps d’une infinité de lances à feu qui éclairoient la place. Le tout fut conduit par Mr de Bourges Ingenieur du Roy, & executé par Mr Duval Sculpteur & Peintre. Ce ne furent que réjoüissances de toutes parts. Ceux qui ont fait éclater le plus leur joye ont esté Mr de Guibal, Lieutenant general, & President au Presidial. Mr Lepul Viguier pour le Roy, & Inventeur du Feu d’artifice, dont je viens de vous faire la description, & Mr Tinaray Procureur du Roy.

[À S. Martin de Tours] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 137-153.

Mrs de Saint Martin de Tours qui se sont signalez dans toutes les occasions où il s’est agi de marquer leur zele & leur attachement respectueux pour la Personne sacrée du Roy, pour la Famille Royalle & pour l’Etat, se sont distinguez dans celle de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; ils ont cru aussi qu’ils y étoient obligez parce que les Ducs de Bretagne sont Chanoines d’honneur de leur Eglise depuis Pierre II. qui fut admis avec ses Successeurs l’an 1455. du consentement du Roy Charles VII. ainsi qu’il se verra plus au long dans la fin de cette Relation.

Leur feste a esté des plus celebres & des plus magnifiques qui se soient vûës dans la Province depuis longtemps. Dés le Samedy 19. de Juillet, ils la firent annoncer sur les huit heures du soir par le son de toutes leurs Cloches & de celles des Chapitres, Communautez & Parroisses de leurs dépendances. Leur son harmonieux réjoüit extrêmement la Ville pendant plus d’une heure conformement au Mandement qu’ils avoient fait publier, suivant l’usage, dans les lieux qui leurs sont soûmis. Ils firent chanter le lendemain dans leur Eglise, à l’issuë de Vespres, le Te Deum par la Musique & un Motet tres propre au sujet de la feste ; ils y avoient invité Mr l’Intendant & les Corps du Presidial & de la Ville qui s’y trouverent à l’ordinaire ; Mr l’Intendant estoit en Robe à la teste du Presidial ; la Maison de Ville y fut conduite par plusieurs Compagnies de Bourgeois qui estoient sous les armes dés le matin. Toutes les personnes de distinction de la Ville & des environs s’y trouverent, & jamais on ne vit une plus grande affluence de Peuple, & cette Eglise, quoique des plus vastes du Royaume, se trouva trop petite pour contenir tous ceux qui voulurent prendre part à la feste.

Au sortir du Te Deum, les Corps & les Commissaires du Chapitre reconduisirent Mr l’Intendant dans son Hostes, qui est dans le Cloistre Saint Martin, le Peuple se retira dans la grande Place de Saint Martin, où quatre fontaines de Vin commencerent à couler & continuerent toute la nuit. Mrs de Saint Martin avoient fait orner de tapisserie & de festons, le Portail qui conduit de leur Cloistre à cette Place, le Portrait du Roy couronné de Lauriers estoit placé au frontispice, la renommée au dessus, un Hercule le soutenoit d’une main & une Minerve de l’autre. Au dessous estoient les Armes de Sa Majesté, un peu plus bas celles de Monseigneur le Dauphin & de Messeigneurs les Duc de Bourgogne & de Bretagne ; & encore plus bas étoit une Victoire accompagnée de ses trophées qui soutenoient le tout. Elle avoit à sa droite la Prudence, & à sa gauche la Vigilance : au dessous de ces figures étoient placées les Armes de Mr le Marquis de Dangeau Gouverneur de la Province & celle de Mr de Turgot, Intendant de la Generalité. Les Armes de l’Eglise de saint Martin terminoient la Decoration.

On avoit élevé vis à vis de ce Portail un bucher, au milieu de la Place, & sur une Tour du Cloistre qui est à l’extremité de cette Place & qui a prés de cent pieds d’élevation, ces Mrs avoient fait preparer un feu d’artifice d’une tres-belle structure. Une Piramide en forme d’Obelisque, soutenuë d’un grand piédestal s’élevoit de 25. à 30. pieds, elle estoit flanquée de quatre autres petites Piramides parsemées des Armes de France, de Dauphiné, de Bourgogne & de Bretagne, qui se faisoient apercevoir à la faveur des lumieres dont les Piramides étoient éclairées en dedans. La grande Piramide étoit parsemée de Lauriers & enrichie jusqu’à la cime de plusieurs ornemens de differentes couleurs & éclairée de deux cens pots à feu, & un pot à feu d’une prodigieuse grosseur faisoit son couronnement, une étoffe découpée & parsemée des mêmes Armes que les Piramides bordoit la circonference de la Tour. On appercevoit des prismes au travers qui formoient un tres-beau spectacle, & ces illuminations étoient accompagnées de differens artifices & d’un grand nombre de fusées volantes, les fenestres des maisons qui environnoient la Place étoient illuminées, nombre d’Amphiteatres y furent dressez, & tout étoit remply jusqu’aux toits des maisons.

Si-tost que l’illumination fut disposée, Mr l’Intendant qui avoit esté prié par le Chapitre d’allumer le feu, y vint en Robe, accompagné de six Commissaires du Chapitre, precedez & suivis de leurs Huissiers, tenant chacun en main un flambeau de cire blanche. Les Compagnies de Bourgeois qui étoient sous les armes marchoient devant en ordre de Bataille, & firent à leur arrivée une décharge de toute leur Mousqueterie ; on tira nombre de boëtes. Toutes les Cloches de l’Eglise & des dependances sonnerent en même temps, ainsi que le jour précedent. Mr le Chantre de l’Eglise, qui estoit à la teste des Commissaires, presenta un flambeau à Mr l’Intendant, qui luy fit l’honneur de luy en presenter un autre. Le feu fut ainsi allumé aux acclamations de tout le peuple & des cris de vive le Roy, &c.

Le feu allumé, Mr l’Intendant revint avec les Commissaires prendre les places qui leur avoient esté preparées sur un Amphiteatre & tous les artifices joüerent dans leur ordre avec tout le succés qu’on en pouvoit attendre. Dés l’entrée de la nuit, la grande Tour, dite de Charlemagne, dont l’Eglise Saint Martin est flanquée du costé du Septentrion, ainsi que celle de l’horloge qui est au Midy, furent illuminées de plus de deux cens fanaux qui durerent jusqu’au jour & qui se firent appercevoir de plus de dix lieuës à la ronde, il y en avoit aussi sur la haute Tour de l’Eglise de S. Pierre Puellier, qui est plus bas vers le Septentrion, prés de la Loire ; & de l’autre costé de l’Eglise S. Martin, on voyoit sur la Tour du Cloistre, qui est à l’Orient, & sur la même ligne Meridionale que celle où estoit le feu d’artifice, une haute piramide de feu qui s’élevoit en l’air, accompagnée de quantité de fanaux.

La Place de saint Pierre du Chardonnet sur laquelle donne cette Tour, tout le Cloistre de saint Martin en cette grande partie de la Ville appellée Château-neuf, qui étoit l’ancienne Ville de S. Martin, estoient toutes illuminées, de sorte qu’on peut dire que cette heureuse nuit fut changée en un grand jour.

Les Commissaires du Chapitre reconduisirent Mr l’Intendant à son Hostel, qu’ils trouverent aussi illuminé. Pendant le repas magnifique qu’il donna à plusieurs personnes de distinction, l’on fit encore partir de devant la porte de son Hostel plusieurs fusées volantes. Enfin l’on ne peut rien ajouter aux demonstrations de joye que tout le monde donna en cette occasion, ny aux applaudissements que le Chapitre de S. Martin reçût d’avoir si bien marqué son zele pour la gloire du Roy.

Les differens qui étoient de temps en temps entre la France & les Ducs de Bretagne, ayant esté pacifiez & Pierre II. ayant succedé à François I. son frere dans ce Duché ; ce Prince, afin de marquer davantage l’attachement des Ducs de Bretagne pour nos Rois, demanda en 1455. d’estre admis lui & ses Successeurs parmi les Princes Chanoines d’honneur de l’Eglise de S. Martin, dont on sçait que nos Rois sont les Abbez. Ce Prince estoit alors regardé comme étranger, c’est pourquoy le Chapitre de Saint Martin ne crut pas devoir lui accorder ce qu’il demandoit sans le consentement exprés du Roy ; la Cour estoit alors à Bourges ; le Chapitre deputa vers le Roy, c’estoit Charles VII. qui reçût avec joye les marques du nouvel engagement des Ducs de Bretagne, qui depuis ce temps-là sont inscripts parmi les Princes Chanoines de l’Eglise de Saint Martin. Cela se verifie par les Actes de l’Eglise de S. Martin qui sont du temps.… dans la Chambre des Comptes de Nantes, on en trouve même quelque monumens.

[À Strasbourg] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 154-155.

Quoique la Ville de Strasbourg soit des plus éloignées, elle ne laissa pas de donner des marques de sa joye pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, dés le 6. de Juillet. Ce jour-là toutes les Cloches de la Ville sonnerent pendant une heure, au soleil levant, aprés quoi il y eut de grandes fanfares de trompettes, de hautbois & de timballes sur la Plateforme du grand Clocher La même chose se fit à midy & au coucher du Soleil. On chanta à l’issuë de Vespres le Te Deum au bruit d’une triple décharge de Canon & de l’artillerie des remparts. Le Corps de Ville donna le soir un repas magnifique à l’Etat Major de la Place, où quantité d’Officiers Generaux de l’armée se trouverent, pendant lequel on tira un feu d’artifice devant l’Hostel de Ville, & le grand Clocher de la Cathedrale fut entierement illuminé de flambeaux, depuis le haut jusqu’au bas, ce qui marquoit une des plus belles piramides de feu que l’on puisse imaginer. Il y eut des feux dans toutes les ruës & des lanternes à toutes les fenestres ; enfin Mrs du Magistrat témoignerent autant de zele & de joye que les plus anciens Sujets de Sa Majesté.

[Lettre à une dame de qualité sur la reception de Monseigneur le Duc de Bretagne à la Confrairie du S. Rosaire] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 156-174.

LETTRE
À UNE DAME
de qualité.
Sur la reception de Monseigneur le Duc de Bretagne à la Confrairie du Saint Rosaire.

Ce que l’on vous a mandé Madame, est tres-veritable. Monseigneur le Duc de Bretagne a esté mis quelques jours aprés sa naissance sous la protection de la tres-sainte Mere de Dieu, & reçû dans la societé du Rosaire. Vous desirez sçavoir quelques particularitez de ce qui s’est passé dans cette ceremonie ; je vais vous dire ce que j’en sçay, je l’ay appris d’un Religieux de saint Dominique qui y estoit present & qui accompagnoit celuy de ses Confreres qui a fait cette devote fonction. Le jour où elle se fit n’avoit pas esté destiné plus qu’un autre, on n’y pensoit même pas. Cependant nous pouvons croire qu’il estoit choisi dans l’ordre de la Providence, pour nous donner lieu de presenter nos vœux avec plus de confiance au Pere des lumieres, & luy demander qu’il comblât ce Prince des benedictions que le Ciel semble nous promettre dans l’heureuse rencontre de la feste, où cette sainte ceremonie s’est passée. Ce fut, Madame, le premier de Juillet, jour de l’Octave de saint Jean-Baptiste, & le commencement de la solemnité de la Visitation de la Vierge. Cette visite fut pour le Precurseur, une source de graces, & la voix de Marie une voix de salut, puisqu’elle porta la sainteté dans l’ame de cet Enfant. C’est dans ce jour-même où le nom de Baptiste fut écrit, selon les Loix de la nation, dans les Registres du peuple choisi & encore fidelle, que l’on écrivit le nom Auguste de Monseigneur le Duc de Bretagne dans les Registres de ceux qui se consacrent au service de la sainte Vierge, dans la Confrairie du Rosaire. Ne doutons pas que cette Reine du Ciel n’employe sa voix toute-puissante pour luy obtenir comme au Precurseur d’être Grand devant le Seigneur & de porter le nom de Grand avec toute la gloire, tous les avantages & tout le bonheur qui ont rendu ce même nom si convenable, & si propre à nôtre incomparable Monarque, son bis-ayeul. N’en voyons-nous pas déja les préludes, dans le bruit que cette naissance a répandu, non pas seulement dans quelques pays voisins, comme celle de Jean-Baptiste, mais dans tous les Etats de la terre. On y est par tout saisi de crainte, comme on le fut dans le pays des Montagnes de la Judée, lorsque le Precurseur nâquit. Si cette crainte qui serre le cœur à nos ennemis, à la veüe de tant de merveilles que Dieu fait paroître dans la Famille Royale, pouvoit leur ouvrir les yeux, & leur faire tomber les armes des mains : aussi cette crainte est-elle comme un pronostic de la decadence de leurs affaires, & de l’infortune de leurs entreprises. Ils voyent dans cette naissance, par des caracteres plus visibles que les rayons du Soleil, que Dieu affermit les Princes de cette Auguste Maison sur les deux premiers Trônes de la Chrétienté.

On ne sçauroit vous exprimer Madame, la bonté avec laquelle Monseigneur le Duc de Bourgogne reçût les Jacobins du Noviciat, qui devoient faire la ceremonie, lors qu’on les luy presenta ; la pieuse attention qu’il leur donna sur les choses qu’ils avoient à luy dire là-dessus, & les marques de sa haute estime & de son profond respect qu’il fit paroître pour tout ce qui touche la Religion. Il s’informa plus particulierement de tous les devoirs attachez à ce devot engagement, & il apprit avec satisfaction que c’est une chose de pure devotion, qu’on y gagne toûjours beaucoup devant Dieu, mais qu’on ne s’y rend jamais coupable de la moindre faute, à moins qu’un mépris des choses saintes, qui est toûjours criminel en matiere de Religion, ne nous les fasse abandonner.

Monseigneur le Duc de Bretagne fut associé aux devots Confreres du saint Rosaire en presence des Dames de la Cour, qui veillent à la conservation de ce precieux tresor. On fit dans cette reception les mêmes ceremonies, qui furent observées le 6. de Novembre 1638. lors qu’on y reçût LOUIS LE GRAND Dieu-donné, en presence de Louis XIII. & de toute la Cour ; qui furent renouvellées dans la reception de Monseigneur le Dauphin, faite le 6. Novembre 1661. à Fontainebleau, où le Pere Lepul, Superieur du Noviciat general des Freres Prêcheurs du Faux-bourg saint Germain, fut appellé par les Ordres du Roy & de la Reine Mere : renouvellées enfin à Versailles, le 10. du mois d’Août 1682. où Monseigneur le Duc de Bourgogne fut reçû par le même Pere Lepul, avec les mêmes empressemens, & par les Ordres de la feuë Reine Marie Therese d’Autriche, son ayeule, de sainte memoire.

Voilà, Madame, le plus grand Roy de la terre, consacré dés sa naissance à la tres-sainte Mere de Dieu. Voilà trois Princes heritiers presomptifs de la Couronne, associez pour toûjours à ceux qui dans tout le monde Chrétien implorent la protection de la Vierge par les pieux exercices de cette Confrairie. On n’avoit point encore vû les Princes enfans des Rois, engagez d’aussi bonne heure que ceux-cy à la devotion du Rosaire. Henry le Grand devint devot à la Vierge dans le temps heureux où il monta sur le trône & rentra dans le sein de l’Eglise. Il consentit alors que le Pape Clement VIII. l’obligeât à dire tous les Samedis de sa vie le Rosaire, & le Chapelet quelque autre jour de la semaine. Louis XIII. Roy veritablement juste, se rendit cette devotion necessaire, lors qu’il eut connu par experience la Benediction qu’elle attiroit sur ses Armes dans le fameux siege de la Rochelle. Tant de Rois de France, dont les Religieux de saint Dominique ont dirigé la conscience depuis saint Loüis jusque vers la fin du seiziéme siecle : tous ces Rois, dis-je, furent, par le conseil de leurs Confesseurs, aggregez à la societé du Rosaire. Mais nul de ces Princes n’y avoit été reçû d’abord aprés sa naissance, comme le sont depuis LOUIS le Grand, ceux que le Ciel nous a donnez pour luy succeder & pour perpetuer la gloire de son Regne. LOUIS le Grand, donné au monde pour y porter la nouvelle forme d’un gouvernement parfait & heureux, & pour presenter à ses Successeurs des exemples de Grandeur qu’on n’y avoit point encore vûs, soit pour l’ordre de la justice, soit pour la conduite des Armées, soit pour conserver la discipline dans le Clergé & la pureté de la Religion ancienne : Oüy, ce Monarque veritablement Grand & distingué en tout, a dû par la disposition du Roy des Rois être dés sa naissance le premier consacré à la Vierge dans la societé du Rosaire.

Ainsi personne n’a mieux merité qu’un tel Prince, de voir entrer dans sa famille la Monarchie d’Espagne, & de mettre luy-même cette Couronne Royale sur la teste de son Petit-fils par ces mains par où passent tant de Chapelets qu’il dit tous les jours avec une rare pieté. Il a donné ce cher Fils pour Successeur à Charles II. & à ce grand nombre de Rois d’Espagne, dont les Religieux de Saint Dominique ont dirigé la conscience pendant cinq cens ans, & qu’ils ont entretenu dans une tendre devotion à la sainte Vierge & à son sacré Rosaire. Ainsi donc nostre grand Monarque, qui a esté consacré à la Reine du Ciel plutost que nul autre Roy, a merité de recevoir cette marque de distinction, qui fait l’admiration & l’étonnement de toute l’Europe, de voir de ses jours les deux premieres Couronnes du monde, unies dans sa Famille Royale. C’est un present qu’il a reçu, n’en doutons pas, de celle à qui les Saints Docteurs appliquent ces paroles de la Sagesse : C’est par moy que les Rois montent sur le Trône, & qu’ils regnent dans le monde.

Vous sçavez, Madame, qu’un degré de grace est d’un plus grand prix que tous les Royaumes de la terre. Et si Dieu prodigue, pour ainsi dire, ce precieux tresor ; s’il répand à pleines mains ces richesses de salut sur ceux qui honorent, comme ils le doivent, sa sainte Mere par leurs Rosaires, on ne doit pas trouver incroyable qu’il donne pour l’amour d’elle des Couronnes à un Prince favori, qui n’ignore pas qu’elles valent moins, toutes brillantes de gloire qu’elles sont, que la moindre grace de conversion & de perseverance.

Ainsi ce n’est point engager trop tost les Princes dans la Societé du Rosaire, que de les y recevoir dés le berceau. Ne doit-on pas cette distinction à l’élevation de leur naissance ? Ils peuvent regner dans cet âge ; & pourquoy ne peuvent-ils pas estre consacrez au service de la Mere de leur Sauveur ? Tout enfans qu’ils sont, ne reçoivent-ils pas les hommages de leurs Sujets, & tous les honneurs dus à leur souveraine dignité, quoy qu’ils ne puissent donner leurs ordres & commander leurs Etats & leurs Armées que par le ministere de leurs Officiers ? Les Princes capables de tels engagemens dans la vie civile, ne le seront-ils pas dans la vie chrestienne d’estre reçus dans les Societez où Dieu répand d’abord sur eux mille benedictions, pour la conservation de leurs Personnes sacrées, & où il leur prepare une infinité de graces qui luy sont demandées par sa sainte Mere, & par une multitude innombrable de Fideles devots au Rosaire, répandus dans toutes les Professions & Provinces du monde chrestien ? Qu’importe que ces Princes enfans ne soient pas en estat de s’acquitter par eux-mêmes des devoirs & des exercices de cette Societé ? La sainte Eglise, qui a approuvé cet établissement, & qui prie avec ceux qu’on y aggrege, prête à ces Princes & son esprit & sa bouche & ses mains pour dire les Chapelets & en mediter les mysteres, comme elle leur a prêté dans le Baptême son consentement & sa bouche pour recevoir la Foy, & en faire profession, & répondre aux Prêtres qui les interrogeoient en leur administrant ce Sacrement.

S’associer à des Chrestiens qui font profession de joindre à l’Oraison Dominicale, que les Peres appellent l’Abbregé de l’Evangile, & à la Salutation Angelique, dont les paroles renferment toute l’æconomie du grand Mystere de la Redemption, la Meditation des quinze principaux Mysteres de Jesus-Christ & de sa sainte Mere, & se former sur ces deux grands modeles de perfection, par l’imitation de leurs vertus ; voila l’essentiel de la devotion au Rosaire : Jugez vous-même qui estes d’un si bon goust pour toutes choses, si ce n’est pas une pratique de pieté conforme à l’Evangile. Je suis, &c.

[Plusieurs ouvrages en Vers sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 175-188.

SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE.
MADRIGAL.

Si par un coup heureux, qui sans doute est le seul,
Ce Heros nouveau né voit en même personne
Son Roy, son Bisayeul,
Il ne faut pas, François, que cela vous étonne.
Les Dieux qui l’ont formé du beau Sang de Loüis
Voulant aussi le faire heritier de sa gloire,
Sçavent qu’en lisant son histoire,
Il n’eût fait qu’admirer ce qu’il auroit appris ;
C’est trop peu d’en être surpris,
Il faut pour imiter ses Exploits inoüis
Les croire pour les suivre, & les voir pour les croire.

SUR LE MESME SUJET,
CAPRICE.

L’Amour jaloux de voir la gloire trop fidelle
Servir toûjours Loüis, & le suivre en tous lieux,
  Abandonna les cieux
Pour luy venir faire querelle.
Placée alors prés de Loüis,
Repandant sur son front l’éclat qui l’environne,
La gloire d’une main soutenoit sa Couronne,
Et de l’autre marquoit ses Exploits inoüis.
En vain d’un soin si beau l’amour veut la distraire,
Il apperçoit Loüis, à son auguste aspect,
Prets d’attaquer la gloire, un timide respect
Le force d’admirer, de craindre, & de se taire.
L’amour sent redoubler ses mouvements jaloux,
Ce triomphe nouveau rallume sa colere ;
Transporté d’un noble courroux,
Pour la vaincre à son tour le petit temeraire
Meditant sur le champ le plus beau de ses coups,
S’efforce de servir Loüis, & de luy plaire.
Les dieux sont attentifs sur ce qu’amour va faire.
L’Amour forme un Enfant chef-d’œuvre de sa main.
Les Dieux le virent : & soudain
Mars à son jeune cœur inspira le courage,
Minerve luy donna la sagesse en partage,
Themis luy donna l’équité,
Diane la douceur, Junon la Majesté,
Hercule de la force, Apollon la santé,
Mercure de l’esprit, Jupiter un long âge,
Et sur son auguste visage
Venus répandit la beauté.
Fier du secours des Dieux, charmé de son ouvrage,
L’amour d’un pas precipité
À Loüis Bisayeul courut en faire hommage.
Louis vit cet enfant, & sa joye éclata ;
Pour satisfaire à son impatience,
L’Amour l’offrit, & Louis l’accepta.
La Gloire qui connut lorsqu’Amour l’apporta
Que du sang de Louis il avoit pris naissance,
Jouit de ses droits, l’adopta,
Et luy marqua sa place au Temple de Memoire,
L’Amour s’envolant tout surpris ;
Voit qu’il vient de servir la Gloire
Lors qu’il a crû servir Louis.

SUR LE MESME SUJET
MADRIGAL.

LOUIS le plus heureux & le plus grand des Rois
Compte ses jours par ses Exploits.
Partout suivi de la victoire
Tout luy rit, tout le sert, & tandis qu’à jamais
Son nom se grave au Temple de Memoire,
La nature à son tour jalouse de la gloire,
Perpetuant son Sang, rend ses vœux satisfaits.
La gloire soutient sa couronne,
La nature le fait Pere, Ayeul, Bisayeul,
En même temps Louis luy seul
Reçoit ces dons unis dans la même personne,
Et par un effort surprenant,
La Gloire & la Nature
S’unissent, pour prouver à la race future,
Qu’on ne vit jamais Roy tel que Loüis le Grand.

SUR LE MESME SUJET.
VOEUX
à Monseigneur
LE DUC DE BOURGOGNE.

Un Heros nouveau né vient remplir vos souhaits ;
Pour rendre nos vœux satisfaits,
Qu’il soit comblé de plaisir & de Gloire ;
Qu’il regne dans nos cœurs, que son nom à jamais
Aprés le vôtre ait rang au Temple de memoire :
Né pour s’éternizer par ses faits inoüis,
Grand Prince, enfin, qu’il vous ressemble ?
Et pour luy souhaitter tous les bonheurs ensemble,
Que le Ciel comme à vous luy donne encore un fils,
Qui puisse voir regner Loüis.

Ces quatre pieces sont de Monsieur Bareau de la Rochelle. Il eût l’honneur le huitiéme du mois de Juillet de les presenter au Roy & à Monseigneur le Duc de Bourgogne, dont il fut tres-favorablement reçû.

Le Madrigal suivant est de Mr Guerin de Fontreven, de la Ville de Lamballe, capitale du Duché de Penthieure en Bretagne.

MADRIGAL.

Fiers ennemis du plus grand des Heros
Vous essaïez en vain de troubler son repos ;
Louis qui voit vos projets d’Eumenides
Sçait les déconcerter malgré tous vos efforts ;
La France féconde en Alcides,
Dont les bras sont nerveux & forts,
Demontera toûjours vos monstrueux ressorts.
Un nouvel Astre luit dessus nôtre hemisphere,
S’il suit son Bisayeul, son Ayeul, & son Pere,
N’en doutés pas superbes Allemans,
Infidéles Anglois, Bataves turbulens,
Aveugles Savoyards, Portugais mal-habiles
À l’abri de vos Forts vous serés peu tranquiles :
Les bouches de tous vos canons
N’épouvantent point les Bourbons.
C’est le nouveau Duc de Bretagne,
Digne fruit d’un beau nœud que le Ciel a formé,
Il ne fera point de Campagne,
Qu’il n’ait de ses exploits la Victoire compagne,
Elle obeït au sang dont il est animé.

Le Madrigal suivant est d’une Dame dont les Ouvrages sont fort applaudis.

MADRIGAL.

Nous voyons les Dieux en murmure,
Chacun veut presider à l’heureuse avanture
D’un petit Duc qui vient de naître en cette Cour ;
Mais ils ont beau se tourmenter ensemble,
Le triomphe sera pour Mars & pour l’Amour.
Car ce fut Mars qui lui donna le jour,
Et c’est à l’Amour qu’il ressemble.

Mlle Barbier qui a donné au Public les Tragedies d’Arrie & Pætus & de Cornelie, a fait les Vers suivans.

À MADAME LA DUCHESSE DE BOURGOGNE,
Sur le Feu de joye de Versailles.
MADRIGAL.

Incomparable Adelaïde,
Digne épouse d’un jeune Alcide
Veux-tu sçavoir de moy d’où viennent ces éclairs
Au milieu d’une nuit à ton fils consacrée ?
Quels sont ces traits de feu qui traversant les airs,
Montent vers la voute azurée,
Ce sont nos cœurs brûlans d’amour
Qui vont porter nos vœux au celeste sejour.
Le fruit de ton Hymen comble nostre esperance ;
Et par des transports éclatans,
Nous demandons au Ciel qu’il conserve long-temps
Un Prince si cher à la France.

Le Madrigal suivant est aussi adressé à Madame la Duchesse de Bourgogne.

Mille évenemens inouis
Ont toûjours distingué le regne de LOUIS,
Mais à pas un n’est comparable
Celuy donc aujourd’hui il vous est redevable.
Parmy nos Roys il est le seul
Qui se vit jamais Bisayeul.
Princesse, vous avez la gloire
Du trait le plus marqué qui soit dans son Histoire.

[Réjoüissances faites à Compiegne] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 188-203.

Mr de Gaye, Major de la Ville Royale de Compiegne ayant appris le 27. de Juin la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, donna ordre qu’on fermast les Boutiques & qu’on sonnast la Cloche de triomphe de l’Hôtel de Ville, il fit dresser plusieurs tables devant sa porte, il le fit ensuite sçavoir à Mr de Beauval, Maire perpetuel ; ce Maire fit faire plusieurs décharges de Canon, il tint aussi table ouverte, & fit distribuer beaucoup d’argent au Peuple. Le 9. de Juillet au soir on reçût ordre de faire chanter le Te Deum, Mr de Beauval le fit sçavoir aussi-tost au R. Pere Prieur de l’Abbaye Royale de Saint Corneille, & alla chez Mr le Major afin de prendre avec lui les mesures pour faire fermer les Boutiques pendant trois jours ; dans le moment l’ordre fut envoyé aux Capitaines des Quartiers de faire mettre la Bourgeoisie sous les armes, ce qui fut bien-tost aprés executé. On n’entendit plus que le bruit des tambours & des trompettes ; on fit aussi avertir le Bailliage, & les Prevôtez. Les Compagnies des Bourgeois s’étant renduës à deux heures aprés midy chacune à son Drapeau, firent le tour de la Ville, & vinrent se mettre en bataille sur la Place d’Armes qui est vis à vis l’Hostel de Ville, aux nombre de quinze cens bien armez, & formerent une double haye des deux côtez de la Place. Sur les 3. heures, les Chevaliers de l’Arquebuze au nombre de cent rangez sous leur étandart, à la porte de leur Capitaine ayant leurs Officiers & leur Roy à leur teste allerent former une haye sous la porte de l’Hostel de Ville ; sur les 4. heures les Paroisses & les Convens s’estant rendus à l’Abbaye Royale de Saint Corneille, où l’on devoit chanter le Te Deum, les Chevaliers de l’Arquebuze commencerent la marche, ayant leurs trompettes à leur teste, ils estoient precedez du Corps de Ville & des Officiers de Justice en Robes de Ceremonie ayant divers autres instrumens à leur teste, avec leurs Archers & Huissiers, les Compagnies Bourgeoises suivoient en bon ordre ; elles formerent une double haye depuis la porte de saint Corneille jusqu’à celle du Bailliage. Le Canon & la Mousqueterie tirerent pendant le reste du jour. Il y eut un grand feu de joye dans la Place de l’Hostel de Ville & un grand soupé, où furent conviez les Capitaines, Lieutenans, Sou-lieutenans & Enseignes, ainsi que les Arquebuziers ; aprés ce soupé il y eut un Bal pour les Dames & une grande collation ; il y eut aussi une magnifique collation au Bailliage avec un grand feu ; l’Hostel de Ville fut tout illuminé, & orné de tapis avec les Armes du Roy, de Monseigneur le Duc de Bretagne, de Monsieur le Duc d’Humieres, Gouverneur de la Ville, & de Mr le Marquis de Pomponne Lieutenant General pour le Roy de la Province de l’Isle de France. La Ville fit distribuer du vin à toute la Bourgeoisie, les Capitaines en firent autant, & ce vin fut confié aux Sergens des quartiers afin qu’il n’y eût point de confusion. Mr de Bauval tint pendant trois jours table ouverte, & donna bal aprés le soupé, & toute sa maison fut illuminée ; il donna à tout le peuple de son quartier du pain, du vin & de l’argent, en sorte que tout le costé de la ruë où est sa maison, estoit rempli de tables. On fit des feux dans toutes les ruës, plusieurs Portes cocheres & boutiques étoient tapissées & ornées en dedans de girandoles & de tableaux avec des tables, où l’on donnoit à boire à tous les passans. On remarqua, sur tout, l’Hostel des Prodigues, où l’on tint table jusqu’à deux heures aprés minuit, & aux environs de cet Hostel on avoit posé des Sentinelles qui arrêtoient les passans que l’on y faisoit boire à la santé du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne. Les Violons ne cesserent point de joüer à cette table. Le Vendredy, il eut des deguisemens de toutes façons, sans masques, ayant esté deffendu d’en porter. Ce jour-là, une Compagnie de Bourgeois de la ruë du Pont monta à cheval, & forma un Escadron de Cavalerie qui ayant ses Officiers & des trompettes en teste, alla en bon ordre salüer Madame la Maréchale d’Humieres, en son Chasteau de Mouchy, cette Maréchale la reçût avec beaucoup de magnificence ; cette compagnie revint le soir pour assister au feu d’artifice qui devoit se tirer sur la Place d’Armes. Le Samedy, Mrs de Ville firent avertir le Capitaine des Arquebuziers de faire monter les Chevaliers à cheval pour aller aussi à Mouchy.

Les Chevaliers étant arrivez à l’Hostel de Ville, & ayant fait leur décharge vis à vis le Portrait du Roy qui est sur la Porte, descendirent de cheval & entrerent dans l’Hostel de Ville, où il y eût un grand dîner, pendant lequel l’Etendart fut gardé par des Chevaliers. À l’issuë du dîner, Mrs de Ville monterent dans trois Carosses, ayant les Chevaliers à leur teste, avec des tambours, des trompettes & d’autres instrumens, precedez de leurs Huissiers, & de leurs Valets, & allerent faire les presens de Ville à Madame la Maréchale d’Humieres ; le soir en revenant ils trouverent les Bourgeois de la ruë du Pont sous les armes, lesquels furent regalez par Mr de Bauval ; il y eût ce soir-là colation à l’Hostel de Ville pour les Chevaliers. Les Habitans du fauxbourg de Saint Germain ayant choisi le Dimanche pour faire chanter le Te Deum dans leur Paroisse, ils parurent tous sous les armes. Ils vinrent devant l’Hostel de Ville, & aprés avoir fait trois fois le tour de la Place, & fait autant de fois leurs décharges devant le Portrait du Roy ; Ils allerent chez Mr Bauval, qui leur fit distribuer du vin & de l’argent ; aprés quoi ils firent chanter le Te Deum. Il y eut pendant toute la nuit des dances dans le fauxbourg.

Les Jesuites qui avoient fixé le jour de la feste qu’ils devoient faire au Vendredy 18. la commencerent par une Pastorale, intitulée Laodamas ; la Scene s’ouvrit par Mercure qui vint annoncer la naissance de Laodamas aux Bergers, & leur dire qu’il se faloit réjoüir, on entendit aussi-tôt le bruit des Boëtes, & de la Mousqueterie, tirée par tous les Ecoliers du College ; la Ville & la Justice y assisterent en Corps, ainsi qu’au Te Deum qui fut chanté en Musique. Le Theatre qui étoit dans la Cour, representoit un lieu champestre. La cour & le corps de l’Eglise étoient remplis de lamperons & de lanternes aux Armes de Monseigneur le Duc de Bretagne, ainsi que la face du College. Sur les huit heures du soir, le Recteur alluma un beau Feu d’artifice, la Maison parut toute illuminée, jusques sur les toits, où il y avoit des pots à feu qui en fournirent beaucoup pendant trois heures. Quatre gros Ormes qui sont à un des bouts de la cour, & qui fait face à la Chapelle de la Congregation, qui étoit aussi illuminée, parurent tout en feu ; mais d’un feu d’artifice qui surprit, & fit un tres-grand plaisir à tous les spectateurs. Pendant tout le temps que cet artifice se fit admirer les Trompettes, les Tambours, les Violons, & les Fifres joüerent continuellement, & les Ecoliers tirerent sans cesse. On fit aussi plusieurs décharges de boëtes, & pendant trois heures que dura le feu, on peut dire que le Ciel fut illuminé de fusées volantes que l’on tira du clocher du College sans discontinuer, qui faisoient en l’air un tres-bel effet : ce qui attira de ce côté-là toute la Ville sur les rempars.

Le jour que le Te Deum fut chanté, les Religieux de Saint Corneille mirent de Tables devant leur porte, qui furent bien servies, ils en avoient aussi dans leur Maison où leurs amis furent regalez. Les Jacobins, les Cordeliers, les Minimes, & les Capucins donnerent aussi des marques de leur joye, ayant chanté plusieurs Te Deum, fait des feux devant leurs portes, & fait distribuer du Vin. Les Religieuses Carmelites de la même Ville n’ont pas esté des dernieres à faire éclater leur zele, en consequence des bienfaits qu’elles ont reçûs de la Famille Roïale. Le lundy 14 de Juillet elles firent des Prieres de quarante heures à ce sujet, & il y eût Predication pendant les trois jours que durerent ces Prieres,

Mr l’Abbé Bouché d’Essonville, Aumônier du Roy, Docteur de la Maison de Navarre, & Curé de sa Parroisse Royale de Saint Jacques de cette Ville, ayant voulu faire la cloture de toutes les réjoüissances choisit le jour de Saint Jacques, afin de la faire avec plus de solemnité. Il fit venir des Musiciens de toutes parts pour faire chanter les premieres Vespres, la grande Messe, les Vespres & le Salut, à la fin duquel on chanta le Te Deum, & un Motet en Musique. L’Eglise estoit tenduë des belles Tapisseries de Madame la Maréchale d’Humieres. Le maître Autel estoit richement orné aussi-bien que le Chœur & les Chapelles des deux côtez de la Nef. L’Eglise estoit illuminée depuis les voutes jusques en bas, & les Armes du Roy, de Monseigneur le Duc de Bretagne, & de Mr l’Evêque de Soissons estoient au dessus du portail. Les Jacobins, les Cordeliers, les Minimes, & les Capucins assisterent au Salut & au Te Deum ; la grosse Tour fut illuminée, depuis le haut jusques en bas, le dessus estoit garni de pots à feu.

[À Dormans] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 203-227.

La Relation qui suit a esté envoyée par Mr Pillet, Principal du College de Dormans, à un Academicien de l’Academie Royale de Soissons.

Les réjoüissances qui ont esté faites à Dormans par les soins de Monsieur le Prince de Ligne Seigneur de ce lieu, ont fait paroître le zele & l’amour de ce Prince pour la Famille Royale. à peine eût-on appris la nouvelle de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, que Mr Pannier Maire & Capitaine du Château ordonna que l’on sonnât le carillon dans toutes les Paroisses des lieux dépendans du Marquisat, cela fut executé avec la même ponctualité qu’il avoit avoit esté ordonné ; mais nôtre Prince estant arrivé en cette Ville, & voulant correspondre à la joye publique, & animer ses sujets encore davantage par son exemple, il ordonna que le Dimanche sixiéme de Juillet on chantast le Te Deum dans l’Eglise Paroissiale en action de graces d’une si heureuse naissance, & que tous les habitans de la Ville & des Villages circonvoisins qui composent le Marquisat ou qui en relevent, eussent à prendre les armes ; ces ordres furent executez avec soin, & il s’y trouva prés de quinze cens hommes.

Cette Feste commença par trois salves de plusieurs Coulevrines, qui sont au Château, qui se firent au bruit du carillon de toutes les cloches, ce qui se continua encore le lendemain, & les trois jours suivans qu’elle a duré. Le Dimanche à trois heures aprés midy, Monsieur le Prince de Ligne ayant donné un Prix à tirer, pour marque de réjoüissance, à Messieurs de l’Arquebuse ; ils se mirent sous les armes, & vinrent au Château pour prendre ce Prince & le mener à leur Hôtel, afin qu’il leur fist l’honneur de tirer le coup du Seigneur ; ils souhaittoient tous avec une extrême passion, que leur Seigneur gagnast le prix, & fût leur Roy, aussi-bien que de la Compagnie de l’Arc, dont ce Prince avoit gagné le prix peu de jours auparavant. Tous les Chevaliers marquerent dans cette occasion leur addresse, mais principalement,

Messieurs les Chevaliers,

Bruet de Picou.

Deniset du Lohau, Capitaine de la Compagnie.

Aubert de S. Remy.

Jourdel de Collangi.

Geoffray de Champains, Procureur Fiscal,

Et Pannier d’Eurtebise, Capitaine du Château, & Maire de la Ville, ils gagnerent tous chacun un Prix.

Si-tost que le Prix, que les Chevaliers avoient partagé en six fut tiré, & que toutes les troupes se furent assemblées par Compagnies en tres-bon ordre dans la cour du Château, au son des Tambours, des Fifres, & des Violons ; on commença sur les six heures du soir à se mettre en marche pour aller à l’Eglise où le Te Deum fut chanté avec les Orgues.

La marche commença par la Compagnie de l’Arquebuze, ensuite Monsieur le Prince de Ligue parut, precedé de ses domestiques & de plusieurs Valets de pied : il estoit accompagné de plusieurs Gentilshommes de distinction, il marchoit à la teste du Corps de Ville & des Compagnies des Bourgeois ; la Compagnie de l’Arc de cette Ville suivoit. Celle de Trelon, lieu dépendant du Marquisat marchoit ensuite, & plusieurs autres Compagnies des environs fermoient la marche, suivie d’un nombre infini de peuple qui estoit venu de toutes parts pour voir un si beau spectacle.

Aprés que l’on eût rendu à Dieu de solennelles actions de graces, on alla au feu de Ville, à l’entour duquel on fit trois tours à la maniere accoûtumée, & on cria trois fois, Vivent le Roy & Monseigneur le Duc de Bretagne ; ensuite de quoy le Maire ayant pris le flambeau des mains d’un Valet de pied, il le presenta à Monsieur le Prince de Ligne, qui le prit & alluma le feu ; on fit trois décharges de Mousqueterie, aprés quoy on s’en retourna au Château dans le même ordre que j’ay eu l’honneur de vous marquer. Il estoit impossible de rien voir de plus beau, tout étoit illuminé de tous côtez, mais sur tout lors qu’on entroit dans l’avenuë, le Château paroissoit tout en feu, il estoit illuminé selon son ordre d’Architecture, c’est un grand Corps de logis bâti à la Mansarde flanqué de deux Pavillons. Dans le même ordre vis-à-vis regne une Terrasse fort longue, d’où l’on decouvre la riviere de Marne qui arrose une agreable Plaine, bornée par des côteaux de Vignes : Cette terrasse estoit ornée de quantité de lampes, de sorte que cela faisoit le plus bel aspect du monde ; mais ce que l’on admiroit le plus, estoit deux Croix de Lorraine toutes illuminées, qui estant placées au haut du frontispice du Dôme se faisoient appercevoir de fort loin ; elles estoient jointes au perron, qui estoit aussi fort éclairé ; il est scitué au milieu du bâtiment, & sert d’escalier à un magnifique Sallon à l’Italienne ; on avoit dressé dessus une espece d’estrade, au haut de laquelle il y avoit un Dais pour le Portrait du Roy qui estoit placé dessous ; & c’est de là que Monsieur le Prince de Ligne vit tirer le feu d’artifice avec plusieurs personnes de distinction : je ne vous parle point des Fontaines de vin, c’est une chose ordinaire dans ces sortes Festes ; il suffit de vous dire, qu’il y en eût deux qui coulerent une grande partie de la nuit, & qu’outre cela, l’on defonça plusieurs tonneaux, & que l’on en but sept. On avoit dressé dans la cour du Château, qui est fort spacieuse, trois tables, l’une de cinquante couverts, l’autre de trente-cinq, & une autre de vingt-deux, la premiere estoit pour les Chevaliers de l’Arquebuze, la seconde pour le Corps de Ville, & la troisiéme fut pour Monsieur le Prince de Ligne, qui y mangea avec toutes les Dames. Outre ces tables, il y en eût plusieurs autres dressées en même temps pour diverses personnes de distinction, qui mangeoient dans les appartemens du Château, elles furent toutes servies avec beaucoup de magnificence & de propreté, & ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il n’y eût pas la moindre confusion. Aprés le repas, on alluma le Feu d’artifice qu’on avoit preparé vers la grille du Château ; en voicy le dessein.

On avoit élevé à l’endroit que j’ay eu l’honneur de vous marquer, un échafaut fort haut, qui estoit posé sur quatre pilliers, sur lequel on avoit mis toutes sortes d’artifices, & un autre petit échafaut, élevé pareillement sur quatre autres petits pilliers, il servoit de baze à une piramide tres-élevée que l’on avoit fort illuminée, & qui estoit couronnée par une fleur de Lys ; on avoit voulu signifier par là, que la gloire du jeune Prince qui vient de naître brilleroit par dessus celle des autres Monarques, autant que cette Piramide brilloit par sa clarté au dessus des autres illuminations, & que la Maison de Bourbon dureroit éternellement, estant reservée pour donner des Rois à toute la terre ; au dessus de la Fleur de Lys, on avoit fait un espece de Dôme ou de Lanterne à cinq pans, qui estoit fort éclairée ; on y voyoit les Armes du Roy, de Monseigneur, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc de Bretagne, & celles de Monsieur le Prince de Ligne, Seigneur de cette Ville ; & au dessous estoit écrit Vivent le Roy, & Monseigneur le Duc de Bretagne ; aux 4. faces de la baze qui soûtenoit la Piramide, on avoit mis en latin & en François les quatre Inscriptions suivantes. La premiere estoit pour nostre invincible Monarque ; on y faisoit voir qu’on ne devoit pas estre surpris de cette longue suite de Princes issus de l’auguste sang de LOUIS LE GRAND, puis qu’il devoit donner des Rois & des Souverains à toute la terre.

In augustum Borbonidum genus.

Hispanis validum concessit Gallia Regem,
 Insuper armoricæ mox dedit ipsa Ducem.
Si sic Borbonidum fœcunda sit inclyta proles,
 Nil mirum leges omnibus illa dabit.

TRADUCTION.
Sur l’Auguste Sang de Bourbon.

L’Auguste sang de Bourbon, n’a pas seulement donné un grand Roy à l’Espagne, il vient de donner aussi à la Bretagne un nouveau Duc ; ne soyez point surpris, si la race du Grand Loüis est si feconde, elle doit donner des Rois & des Souverains à toute la terre.

La seconde, regardoit la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne : on y marquoit le bonheur qu’avoit cette Province d’avoir esté réünie à la Couronne de France, qui luy donnoit un Prince qui rendoit son nom immortel.

BRITANNIA LOQUITUR.

Nostra fuit quondam totum diffusa per orbem
 Fama, hæc eadem tempore fama ruit.
Hanc hodie Princeps nostro de nomine dictus
 Excitat, an post hæc amplius illa cadet ?

TRADUCTION.
La Bretagne parle.

Je suis cette Province, dont la reputation s’est autrefois repanduë par toute la terre, & qui pour ainsi dire, s’est évanoüie avec le temps : mais aujourd’huy un Prince sorti de l’Auguste sang de Loüis, & qui porte mon nom, la va faire revivre ; qui doute aprés cela que ma gloire ne soit immortelle ?

La troisiéme felicitoit la Ville de Dormans sur le bonheur qu’elle avoit d’être sous les loix d’un si grand Monarque, & sur ce que si elle avoit encore quelques souhaits à faire, ce ne devoit estre que pour la conservation de son auguste Personne.

IN URBEM DORMANAM.

Felix Urbs, nimium felix sub Principe tanto,
 Quæ sic tot nitidos cernit abire dies.
Hic dum magnanimam præstanti in corpore mentem
 Versabis, superos nil tua vota rogent.

TRADUCTION.
À la Ville de Dormans.

Que vous estes heureuse, aimable Ville de Dormans, de passer tant de si beaux jours sous un si grand Prince, vous estes au comble de la felicité, & si vous avez encore quelques vœux à former, ce ne doit estre que pour la conservation de son auguste Personne.

La derniere, enfin, felicitoit Monsieur le Prince de Ligne sur sa magnificence, & sur ce qu’il n’étoit pas moins passionné pour la gloire que sensible à la joye du Roy.

In excellentissimum Principem de Ligne.

Quæ nova conspicimus ? celebris quæ pompa refulget.
 Quisve oculos fulgor tangit ubique meos ?
Ipse dicat noster Ludovico hæc omnia Princeps,
 Quem velut hunc, multum gloria vera capit.

TRADUCTION.
Sur Monsieur le Prince de Ligne.

Que vois-je ? Quel agréable spectacle ? Quel éclat frappe aujourd’huy mes yeux ? ces feux, ces illuminations sont un effet de la magnificence de nôtre Prince, qui étant sensible à la joye du Roy, est aussi sensible à la veritable gloire.

Le feu dura une demie heure & on garda pour l’allumer les mêmes ceremonies qu’on avoit observées à celuy de la Ville, excepté que l’on fit quelques décharges de plusieurs petites coulevrines, qui sont dans la cour du Château.

Aprés cela, on donna la Comedie aux Dames sur un Theatre que l’on avoit dressé pour cet effet dans la même cour, & ensuite le bal dans le magnifique Sallon, à l’Italienne, dont j’ay déja parlé ; on l’avoit éclairé en dedans par quantité de flambeaux que l’on avoit attachez aux balcons ; Cette nombreuse assemblée ne se separa que sur les six heures du matin.

Le Lundy & le Mardy, la même chose fut observée, excepté pourtant qu’il n’y eût point de feu d’artifice, mais un brandon fut allumé avec les mêmes ceremonies que le jour precedent, & quelque artifice jetté en l’air, & la Comedie & le Bal qui durerent jusqu’au jour. On avoit deffendu, de la part de Monsieur le Prince de Ligne d’ouvrir aucune boutique, ni de travailler durant ces trois jours ; nôtre College fut aussi fermé pendant cet intervalle ; Les peuples n’eurent pas beaucoup de peine à se soumettre à un pareil commandement, étant assez portez d’eux-mêmes à se réjoüir dans une semblable occasion. Au reste chacun convient qu’on n’a jamais vû de fête ni plus celebre, ni plus magnifique dans cette Province.

[Au Château-Trompette] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 227-239.

La Relation qui suit, vient du Château-Trompette, & a esté envoyée à Madame la Duchesse du Lude.

Si le feu que j’ay fait icy, Madame, pour mêler ma joye avec le public, étoit aussi difficile à vous representer que mon respectueux attachement, je vous donnerois, contre mon intention, une idée bien confuse de ce qui s’y est passé, mais l’envie de bien faire, & la verité supléeront à mon peu d’éloquence. Je vous supplie tres-humblement, Madame, d’être persuadée que j’aurois souhaité que le bastion de la mer, dans lequel la fête s’est passée, eût été aussi grand que toute la terre, pour apprendre ma joye à tout l’Univers.

Pour vous donner une agréable idée du spectacle le plus beau, & le mieux imaginé qui ait jamais paru icy, j’auray l’honneur de vous dire, Madame, que la nature ingenieuse à plaire à l’homme, a formé le Port de Bordeaux en croissant, à l’un des bouts de ce croissant est la Ville, le Fauxbourg des Chartreux est à l’autre bout, & le Château-Trompette au milieu de la Ville & de ce Fauxbourg ; ce qui fait une symmetrie tres-agreable. Les fenêtres de la façade de la Ville étoient si bien illuminées, que toutes ensemble ne paroissoient être formées que d’un même feu : il y avoit deux batteries d’un grand nombre de pieces de Canon, sur le Quay, & vis-à-vis étoient deux bateaux illuminez, sans artifice, qui rendoient une lumiere d’un brillant surprenant ; les compositions artificielles de la Ville étoient au milieu de la Riviere. Les Maisons des Chartreux sont contiguës d’une demie lieuë, ce qui ne fait que le tiers du croissant ; elles étoient illuminées avec tant d’art, depuis le faîte jusques au bas, que cela surpassoit non seulement l’illumination de la Ville, mais surprenoit l’imagination humaine. Le Canon qui bordoit la riviere étoit en tres-grande quantité, & des tonneaux sans nombre, pleins de matieres combustibles, representoient le Mont-Vesuve. La façade du Château, du côté de la Mer, est composée de trois bastions. Celuy du milieu, qui contient le logement du Gouvernement est disposé de la maniere suivante. Le milieu est un parterre, cultivé par Mr le Gouverneur, de mille sortes de fleurs de toutes les saisons, avec quantité de caisses de lauriers-roses : au milieu est un cabinet que les Dieux choisiroient pour leur demeure, à cause de sa propreté, de sa construction, de son élevation, de la belle decouverte que l’on y fait de tout le païs circonvoisin, & qu’enfin ceux qui sont dans ce cabinet, croïent être sur la Mer, dans la chambre de poupe d’un Vaisseau de haut-bord. Ce cabinet étoit rempli de lumieres depuis le haut jusques au bas en dehors, & sur le toît étoit une lanterne d’une grosseur extraordinaire, où les Armes du Roy, celles de Bourgogne & de Bretagne étoient peintes, & audessus une Couronne fermée, garnie de petites lampes. Le parterre dont la broderie est à l’Angloise, étoit dessiné par de petites lampes aussi, qui paroissoient sortir de terre ; les bordures plus élevées, étoient remplies de lanternes, peintes de toutes couleurs, aux Armes du Roy ; les caisses d’arbustes-roses, avoient aux quatre coins de petites lampes, qui produisoient un tres agreable effet : aux deux extremitez de l’allée principale, étoient deux grandes piramides de feu, de vingt pieds de haut ; elles étoient terminées par un globe de feu aux Armes du Roy, audessus duquel étoit une Couronne fermée, dont les fleurons étoient formez par des lampes, plus brillantes que des Etoiles : le tour du parterre est bordé par une palissade de laurier d’Espagne, avec des boules taillées du même laurier, de distance en distance, sur lesquelles on avoit mis des lanternes, & le reste des palissades étoit bordé de lumieres : les trois guerites qui font face au parterre, étoient couronnées de lanternes, & tout le bord du bastion l’étoit aussi : trois globes de feu paroissoient audessus des fleurs de lys des guerites. Il n’y a point de fiction poëtique, Madame, qui pût vous rien representer d’aussi beau que ce spectacle, qui surprit tous ceux qui le virent. Monsieur le Maréchal de Montrevel avoüa n’avoir rien vû de plus galant. J’avois fait entrer audessous du bastion dans la riviere, trois bateaux vis-à-vis du cabinet, le mats du premier étoit tout de feu, douze petits enfans vetus de toille d’argent, couronnez de lauriers, crioient Vive le Roy, à chaque fusée que l’on tiroit du second, qui en étoit rempli, & dans lequel on avoit construit la figure d’un dragon, avec des yeux, d’où sortoit une lumiere qui le faisoit distinguer : les aîles, ausquelles étoient attachées quatorze rames, à moitié couvertes de toilles d’argent, jettoient du feu à chaque coup de rame, ainsi que la gueule du dragon, qui étoit plus avancée hors du bateau ; sur le dos duquel étoit élevée une machine, qui representoit une caverne remplie de verdure & de lumiere, dans laquelle étoient de petits enfans vetus de taffetas, couleur de feu, couronnez de lauriers, & qui chantoient ces vers suivans à la gloire du Roy, accompagnez d’une simphonie.

Que nos cœurs, nos esprits, nos voix
Parlent du Grand Loüis Pere de tant de Rois :
Est-il un mortel sur la terre
Et plus puissant & plus heureux ?
Il est au comble de ses vœux,
Il est deux fois Ayeul, Grand Prince & tendre Pere,
Et ne voit rien dessous les Cieux,
Au dessus de son rang, que le Dieu du tonnerre.

Les bords des bateaux étoient remplis de lumieres ; le troisiéme qui remorquoit les deux autres étoit rempli de feu d’artifice & de boules de feu, qui brûloient dans l’eau : le tout fut accompagné d’une prodigieuse quantité de belles fusées, tirées du bastion du milieu ; lesquelles alloient tomber dans la Garonne. Le signal du tonnerre artificiel commença par une décharge de toute la mousqueterie tres-bien suivie, aprés se fit entendre le Canon de nouvelle fabrique du Château, d’une maniere à faire peur au plus brave ; ensuite le Canon de la Ville tira, puis celuy des Chartreux, qui fut tres-bien servi ; il y eut trois décharges de chaque côté successivement les unes aprés les autres. Les illuminations de la Ville, des Chartreux, & les feux d’artifice qui étoient sur la Riviere, produisoient une clarté extraordinaire. Le temps fut d’une serenité admirable, les Etoiles encore d’un plus grand brillant, la Mer bonnace, si elle la fut jamais : enfin, Madame, la nature de concert avec les hommes, a glorieusement solemnisé la naissance du Prince qui cause tant de joye à toute la France.

LE GENIE DE LA FRANCE
AU ROY.

Grand Roy ! si seulement ton loz & ton renom
Des temps lointains affrontoient la durée,
Trop peu seroit ta vertu couronnée.
Maints Preux jadis ont eu même guerdon.
Le Ciel à tes hauts faits doit une destinée
Tout comme toy, sans Parangon.
Or la voicy : Du beau Prince Breton
Tes yeux verront la Royale lignée
S’éterniser comme ton nom.

[Mariage] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 240-244.

Mr le Marquis de Circé, Grand Seneschal en Poitou, a épousé Mlle Aubert, fille de Mr Aubert, Introducteur des Ambassadeurs & Princes, Etrangers auprés de S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans, petit fils de France.

Mr Aubert exerce cette Charge depuis vingt-cinq ans, avec autant de capacité que de politesse, ayant esté bien informé par feu S.A.R. Monsieur, de ce qui est dû à la grandeur des personnes Royales, & de ce qui regarde les fonctions de cette Charge, qui luy attire une estime & une approbation generale.

Leurs A.R. ont fait l’honneur aux nouveaux Epoux de signer leur Contrat de mariage, & Madame a eu la bonté d’en feliciter Mr de Circé, & de l’assurer que chacun convenoit des belles qualitez de Mlle Aubert, de sa bonne éducation & de sa vertu.

Mr l’Abbé du Tremblay, grand oncle de Mr de Circé, a fait à S. Eustache, la ceremonie de ce mariage, & un discours plein d’onction & de pieté, & d’une vivacité peu commune à l’âge de quatre-vingt onze ans, se trouvant le seul Beneficier du Royaume de la nomination du feu Roy Loüis XIII, qui l’avoit honoré de l’Abbaïe de Mondaye, & de celle de Beaulieu en Bretagne.

La famille de Mrs de Circé est tres-ancienne dans le Poitou, & s’est toûjours distinguée par une fidelité & un attachement inviolable au service des Rois, dans les temps orageux où cette Province étoit divisée par les differentes factions des Princes.

La Charge de grand Seneschal, qui luy est comme hereditaire, fut donnée à ses ancêtres par distinction ; ce fut aussi en consideration des services de Jacques, Vicomte de Foucher Circé, son ayeul, Baron de Mairé le Plessis, que la Terre & Seigneurie de Foucher Circé fut érigée en Marquisat en 1635.

Jacques de Foucher Circé, avoit épousé la fille du Marquis de la Lourie, Gouverneur de Juliers & de Groningue ; de ce mariage est sorti Abimelech, Marquis de Foucher Circé, grand Seneschal des Comtez de Civray & de Saint Maixant qui épousa Dame Marie d’Angennes, fille de Louis d’Angennes, Chevalier, Marquis de Maintenon, grand Bailly de Chartres & du païs Chartrain, Epoux de Dame Marie le Clerc du Tramblay : Il étoit fils du Marquis d’Angennes, septiéme Chevalier des Ordres du Roy de ce même nom, & peu de familles peuvent se prévaloir de cette prérogative.

Dame Marie du Tremblay étoit sœur du Marquis du Tremblay Maître des Requêtes, & de Mr l’Abbé du Tremblay, Chanoine de l’Eglise de Nôtre-Dame de Paris, dés l’année 1635 ; & tous deux enfans jumeaux de Charles le Clerc, Marquis du Tremblay, Ambassadeur en Angleterre, Gouverneur de la Bastille, frere puîné du fameux Pere Joseph, Capucin, qui possedoit toute la confiance du Cardinal de Richelieu, & partageoit avec son Eminence les soins du Ministere ; & avoit esté nommé au Cardinalat. Plusieurs choses singulieres lui procurerent l’estime de son Prince ; Mr l’Abbé Richard a donné au public la vie de ce Pere, & je vous en ay souvent parlé dans mes Lettres precedentes.

[Autres Ouvrages en Vers sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 245-250.

SONNET.
SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE,
AU ROY.

Quelle suite, grand Roy, d’augustes Successeurs !
On diroit que le Ciel avance leur naissance,
Afin que de ta main tu formes pour la France
De sages Souverains & de justes Vainqueurs.
***
Peut-être de ta vie incredules lecteurs,
S’ils étoient nez plus tard ils perdroient esperance
De pouvoir imiter ta valeur, ta clemence ;
Peut-être ils chercheroient des modelles ailleurs.
***
 Contens de surpasser ceux d’Athene & de Rome,
Ils croiroient qu’on t’a mis trop au dessus de l’homme,
Il faut qu’ils soient témoins de tes faits éclatans.
***
Nous l’avons, diront-ils, vû tout couvert de gloire,
Grand Heros, plus grand Roy, tel que le peint l’Histoire,
Il étoit tel encore à l’âge de cent ans.

AUTRE SONNET AU SUJET DE LA NAISSANCE
de Monseigneur le Duc
DE BRETAGNE,
Sur ces paroles du Pseaume 127.

Voici la bénédiction qui sera accordée à l’homme qui craint le Seigneur. Que le Seigneur vous bénisse de Sion : que vos enfans soient comme de jeunes Oliviers autour de votre table. Puissiez-vous voir les enfans de vos enfans, & la Paix dans Israël.

AU ROY.

Roy qui crains le Seigneur plus que bien d’autres Rois,
Seul contre l’Heresie en ce tems déplorable
Qu’elle trouve en Sion plus d’un bras secourable ;
Dieu t’a prêté sa foudre, il t’adresse sa voix.
***
Je bénirai celuy qui gardera mes loix :
Tels qu’Oliviers naissans, esperance agreable,
Les enfans de ses fils couronneront sa table,
Et la Paix d’Israël suivra ses grands Exploits.
***
 Le Ciel en ta faveur dégage ses Oracles ;
Tu te vois Bisayeul par un de ces miracles
Que les Fronts couronnez n’ont vû presque jamais.
***
 Et sur tant de soûtiens ta puissance affermie
Mettant au desespoir une Ligue ennemie,
Te met en droit de faire & d’ordonner la Paix.

Ce qui suit est de Mr de Villemont.

PRIERES ET VOEUX POUR LE ROY, SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE,

Louis se voit deux fois grand pere,
Et pour recompenser sa pieté sincere ;
Fasse le juste Ciel qu’il vive assez long-temps
Pour être de nos descendans
Les délices, l’amour, le modele & la gloire :
Qu’il ne vive en un mot au Temple de memoire
Et ne soit dans le Ciel au rang de saint Loüis,
Qu’il n’ait vû les enfans de ses arriere-fils
Triompher, comme lui, sur la terre & sur l’onde,
Et leur beau sang regner dans le reste du monde.

[Réjoüissances faites à Paris par les Religieux Penitens du Tiers Ordre de S. François] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 250-255.

Les Religieux Penitens du Tiers-Ordre de saint François de la Province de saint Yves, n’ont pas moins fait éclater leur zele & leur joye que les autres Ordres Reguliers du Royaume ; le Roy les honorant particulierement de sa protection & de ses bienfaits ; ils ont fait des Prieres, des feux & des illuminations dans toutes leurs maisons, & sur tout dans leur Convent de Nostre Dame de Nazareth, situé prés le Temple. Le Dimanche six Juillet, sur les huit heures du soir, aprés le Salut & la Benediction du tres-saint Sacrement, tous les Religieux furent en Procession devant le Portail de leur Eglise, où s’étant rangez autour d’un grand bucher qui fut allumé par le Superieur, revêtu d’une Chape ; ils chanterent le Te Deum & l’Exaudiat, qui furent suivis des acclamations d’un nombre presque infini de Peuple qui s’y étoit rendu de tout les quartiers de Paris. À l’entrée de la nuit, le dedans & le dehors de leur Eglise & de leur maison parurent illuminez, & le clocher de leur Dôme tout brillant tant il étoit couvert de lumieres. Il y avoit sur la premiere corniche du Portail de l’Eglise quantité de lanternes mêlees de terrines & de pots à feu, deux rangs de vingt-quatre pendoient devant la grande croisée aux vitres qui sembloient les multiplier. Au dessous, immediatement sur la porte de l’Eglise, on avoit placé un grand Portrait du Roy sur un tapis magnifique, & sous un Dais tres-riche ; au bas duquel on lisoit ces mots,

Potens in terra erit semen ejus.
Sa race sera puissante sur la terre.

Le tout estoit éclairé par un nombre infini de lamprons attachez sur des chassis & posez selon l’ordre de l’architecture du Portail ; la frise qui regne tout le long, en estoit couverte aussi-bien que les Pilastres des deux costez ; des terrines dont sortoient de grosses lumieres remplissoient tous les chapiteaux de ces pilastres. Les piédestaux des deux Images de saint François & de saint Yves, l’un des Patrons de la Bretagne, en estoient garnis : on voyoit à leur droite & à leur gauche quatre grands Obelisques de matiere diaphane, éclairez par derriere, ornez des Armes de France & de Bretagne, & separez les uns des autres par deux plaques qui estant composées de lumieres plus vives & plus pressées, l’emportoient par leur clarté ébloüissante sur toutes les autres lumieres du Portail ; les deux fenestres qui le terminent, en étoient aussi environnées ; toutes celles du Convent, qui donnent sur les ruës, se trouverent en même temps également éclairées, & devant la porte estoit attachée une couronne fermée & toute brillante dedans & dehors d’une multitude de lamprons. Ceux qui ont vû ces illuminations en ont admiré le bon goût, l’ordre & le bel effet. La foule fut si grande qu’il fût necessaire d’avoir une partie des Archers du Guet pour empêcher le desordre, ils ne s’en retournerent qu’au jour, & tout le peuple fut regalé pendant la nuit de plusieurs concerts de trompettes & de tambours.

[À Toulouse] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 255-270.

Le 15. de Juillet on chanta le Te Deum dans l’Eglise Metropolitaine de Toulouse, pour le même sujet, auquel assisterent le Parlement & les autres Compagnies de la Ville. Il y eut le soir un grand feu d’artifice, & l’on donna par toute la Ville des marques éclatantes d’une réjoüissance publique.

Monsieur de Riquet le plus ancien President du Parlement de Toulouse, & qui remplit depuis quelques années les fonctions de premier President en l’absence de Mr Morant, avec l’applaudissement de toute la Province, n’eût pas si-tôt appris la nouvelle de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, qu’il eut l’honneur d’en temoigner sa joye & celle de l’illustre Corps auquel il preside, par une Lettre qu’il écrivit à Monseigneur le Duc de Bourgogne ; il eût l’honneur de regaler ce Prince pendant huit jours, lorsqu’il passa par Toulouse, & il le fit avec tant de Splendeur qu’il depensa dans cette occasion prés de cent mille livres, pour marquer son zele pour la Maison Royale. Sa magnificence n’a pas moins paru dans la feste par laquelle il a signalé sa joye pour la naissance du nouveau Prince. Il fit couler deux fontaines de vin pendant prés d’un jour, & le soir il y eût une illumination dans son Hôtel, qui fut éclairé par plus de six mille lumieres ; cette clarté fut redoublée par un tres-beau feu d’artifice. Ce spectacle attira un concours infini de peuple qui a une extrême veneration pour ce Magistrat. La joye fut augmentée par le son des hautbois & des trompettes qui joüerent pendant presque toute la nuit, & le bruit de ces instrumens n’étoit interrompu que par le bruit de la Mousqueterie & par les acclamations redoublées du peuple. On connoist le merite & les alliances de Mr de Riquet. Il est frere de Mr de Caraman, Lieutenant General des Armées du Roy, & ces deux freres se signalent également, l’un par sa valeur & l’autre par sa Justice. Mr le President de Riquet a épousé la fille de Mr le Comte de Broglio, niece de Melle de Lamoignon & de Baville.

Les Jesuites du grand College de Toulouse ont commencé leurs réjoüissances par un Te Deum, un discours Latin, une illumination, & un feu d’artifice ; le tout s’étant executé en un même jour.

Le 18 Juillet Mrs les Ecclesiastiques du Seminaire de ce Diocese, dont ces Peres ont la conduite, se rendirent en surplis dans l’Eglise du College pour le Te Deum, qui y fut chanté aprés la grande Messe.

L’aprés dînée, sur les trois heures, le Pere Auguy, l’un des Professeurs de Rhetorique prononça un tres-beau discours Latin, au sujet de la naissance du nouveau Prince, devant une assemblée des plus augustes. Le Parlement, la Cour des Tresoriers, l’Université & Messieurs les Capitouls composoient l’assemblée avec tout ce qu’il y a de sçavans & de beaux esprits dans cette grande Ville, attirez par leur zele, pour tout ce qui regarde l’interêt public de l’Etat, & par la curiosité d’entendre traiter un grand sujet par un Orateur qui avoit eu tres-peu de temps pour se preparer. Le lieu de l’assemblée étoit orné de riches tapisseries, & l’on avoit eu soin d’y bien placer, selon leur rang les portraits de toute la Maison Royale, & même celuy de Monseigneur le Duc de Bretagne dans le berceau, audessous de ceux de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monseigneur le Dauphin & du Roy dans une même ligne, avec ces mots au bas de celuy de Monseigneur le Duc de Bretagne, sic ab Jove Tertius Ajax. Les portraits des autres Princes étoient aux côtez de cette ligne. L’Orateur fit voir dans la premiere partie de son discours, que la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne faisoit le bon heur de la Maison Roïale : Dans la seconde, il fit connoître que cette même naissance affermissoit pour toûjours la felicité du Roïaume. Les applaudissemens qu’on luy donna tres-souvent, pendant qu’il haranguoit furent une marque sensible de la joye que l’assemblée ressentoit de cette heureuse naissance, & furent une preuve convaincante que la piece ne se sentoit point de la précipitation avec laquelle elle avoit été composée. L’Orateur n’oublia pas la pieté du Roy, qui paroît avec tant d’éclat dans l’application de ce Monarque à détruire l’héresie dans ses Etats, & qui se trouve si bien marquée dans l’ordre qu’il a envoyé à toutes les Compagnies du Royaume, de prier le Seigneur qu’il fasse du Prince nouveau né, un Prince selon son cœur ; il fit voir le jeune Prince, comme une recompense que le Ciel accorde à la Religion de Sa Majesté ; & l’on jugea qu’il n’auroit pu mieux finir que de la maniere qu’il fit par ces paroles du Texte sacré appliquées au Roy ; Benedicat tibi Dominus ex Sion, & videas bona Jerusalem omnibus diebus vitæ tuæ, & videas filios filiorum tuorum, pacem super Israël.

Il y eut le soir du même jour une illumination qui a esté regardée comme une des mieux entenduës qui ayent jamais paru dans cette ville. En entrant dans le College on voit trois cours de suite, environnées de bâtimens ; & tellement separées que dés l’entrée on peut les voir toutes trois d’un coup d’œil. Ces trois cours parurent toutes en feu en moins d’un demy quart d’heure, & ce feu dura prés de trois heures. On vit la grande cour, qui est celle du milieu, extraordinairement éclairée par trois ceintures de lumieres sans nombre, également espacées dans l’étage superieur du corps en face & des aîles. La plus haute ceinture ornoit l’extremité des toits en forme de balustrade, formée par des fanaux peints aux Armes de Monseigneur le Duc de Bretagne, la plus basse, en la même forme sur la corniche du bas étage qui environne les trois corps de logis ; & la troisiéme, entre ces deux, disposée dans tout le fenêtrage qui est des plus reguliers : Celle-cy estoit de bougies à l’air, en quatre divisions sur autant de liteaux posez de champ, qui partageoient également les montans des fenêtres : ces lumieres disposées entre les deux rangs de fanaux, dont la lumiere étoit moins éclatante, étoient par cette opposition plus vives, & sembloient se multiplier sans fin par la reflexion du vitrage. Cette varieté des lumieres étoit augmentée par les matieres flammantes dans une infinité de lampes distribuées sur toute la couverture, sur le haut & le bas des fenêtres des trois corps bas qui forment la petite cour quarrée, à l’entrée du College, & dans plusieurs grands pots à feu, disposez avec symmetrie tant sur les pilliers de la Clair-voye qui fait la separation des deux premieres cours, que sur les pilastres, sur les cintres, sur la corniche, au tour du tympan, & sur les Acroteres de la grande porte. La troisiéme cour qui est celle des Pensionnaires, attiroit également la curiosité des spectateurs, & par son illumination particuliere qui étoit d’un grand goût, & par un jet d’eau artificiel, au milieu de la cour, preparé pour cette occasion, & par quantité de fusées & de serpenteaux qu’on ne cessoit de lancer de toutes parts. La porte qui fait la communication de leur cour avec celles du College, du côté de la grande entrée, avoit son ornement particulier qui marquoit le dessein de l’illumination. C’étoit une piece exquise de sculpture, que l’on a dans ce College, de l’ouvrage du fameux Bachelier, representant un Hercule, qui s’étant débarassé de ses langes, étouffe de chaque main un serpent, avec des attitudes si animées & si naturelles, que les Connoisseurs y trouvent quelque air du Laocoon du Vatican. Cette figure entourée de lauriers & de festons étoit placée au centre de tant de lumieres, audessus de cet écriteau qui est un des titres des tableaux de Philostrate. Hercules in cunis ; ce symbole ayant esté trouvé propre à faire naître les pensées les plus élevées sur la destinée de l’Auguste Prince que le Ciel vient de donner à la Maison Royale, & à representer la vigueur du corps extraordinaire, qu’on dit qu’il a fait paroître dés les premiers jours de sa naissance. Cette illumination étoit accompagnée de frequentes salves de mousqueterie, faites aux fanfares des Trompettes, au bruit des tambours & au son des fifres.

Le feu d’artifice tiré avec succés sur la haute tour du College, qui donne sur les trois cours où étoit l’illumination, & qui étoit d’un grand avantage pour le jet des fusées pour l’effet de la batterie, & pour la distinction de toutes les parties du dessein, termina ce spectacle, qui a esté generalement applaudi, & qui avoit attiré plusieurs personnes de distinction, & un nombre prodigieux d’autres spectateurs qui étoient, où dans les trois cours du College, ou sur les tours de la Ville, ou aux fenêtres, ou sur les toits des maisons voisines.

On eut soin d’annoncer la veille les rejoüissances que l’on devoit faire le lendemain, par des salves réïterées de mousqueterie, accompagnées des fanfares des trompettes, du bruit des tambours & du son des fifres, qui continuerent pendant prés de deux heures sur la tour.

Les Ecoliers du même College, representerent peu de jours aprés, comme une suite de ces premieres Rejoüissances, trois pieces de Theatre, les Rethoriciens une Tragedie, les Humanistes une autre, & les Pensionnaires une Comedie.

Le 22. Juillet les Reverends Peres Minimes de la Ville de Toulouse se distinguerent par une illumination d’une invention nouvelle, & qui se fit admirer de tous les spectateurs. La situation de leur clocher, d’où l’on fit des décharges pendant une bonne partie de la nuit étoit tres favorable. Ils avoient allumé sur le grand chemin de Paris, où ils sont scituez, un grand feu qui dura plus de trois heures, & pendant tout ce temps ils fournirent abondamment de leur meilleur vin à tous ceux qui passerent, ou qui vinrent exprés prendre part à leurs réjoüissances.

[À Toulon] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 270-275.

On fit à Toulon le Dimanche 20. de Juillet une réjoüissance publique pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. On avoit fait dresser pour cet effet un Arc de triomphe dans la traverse de l’Hôtel de Ville au Port, avec des Inscriptions en Latin, & en François, avec tous les ornemens que le temps pût permettre, & une Fontaine de vin qui coula pendant tout le jour. Les Consuls assisterent en robes de ceremonie avec Mr de Chalmazel Commandant de la Place au Te Deum, qui fut chanté à l’issuë de Vespres, Mr l’Evêque de Toulon officia pontificalement. Le soir le Feu de joye fut allumé dans la Place d’Armes ; on en fit de même dans toutes les ruës avec des illuminations à toutes les maisons ; & dés le matin du même jour, & le lendemain on fit des charitez à plus de trois mille personnes.

Voicy les Inscriptions de l’Arc de triomphe qui a esté dressé à ce sujet.

On lisoit sur la face droite,

Serenissimo Principi recens-nato, Duci Britanniæ.

Posuere Major & Consules, Progubernatores Urbis Toloni & civilis Consilii Senatores.

***

On voyoit sur la face opposée,

Dux Britanniæ,
Ducis Burgundiæ Filius,
Serenissimi Delphini Nepos,
Ludovici Magni Abnepos.

Hi patrii, hi sui & domestici tituli : his nusquam nobiliores invenias.

Si alios, si plures quæras ; ætas aliquando, & Virtus Borboniis innata, à devictis Hostibus, dabunt.

Quid faustum, quid prosperum, quid magnum non auspicatur tot Heroum series, Puellulo, inter Patris, Avi & abavi, triumphos nato ?

Nec imbellem
Progenerant Aquilæ Columbam.

On remarquoit sur la troisiéme face, le Prince dans son Berceau, & la Déesse Pallas qui le couvroit de son Bouclier ; ces Vers estoient au dessous.

Blande adolesce puer, quem protegit Ægide Pallas,
Te prompta, ausuros lædere, pœna manet.
***

On lisoit aussi les Vers suivans,

Le Ciel favorable à nos vœux,
Rend Adélaïde féconde ;
Du plus beau sang du monde,
Elle vient de former un Fils digne de ses Ayeux.

On voyoit encore sur la quatriéme face le Prince dans son Berceau, environné des Dieux & des Déesses de la Fable : avec ces Vers,

Regna tonans, animum Mavors, sophiamque Minerva,
Dîque, Deæque, novo munera ferte Duci.

Et au dessous, l’Ecusson des Armoiries du Prince, d’un côté, & le Globe du monde, de l’autre, avec ces mots :

Unus non sufficit Orbis.

Et les Vers suivans :

Pour un Prince pourvû de tant d’attraits divers,
Ce sera peu que la Bretagne.
Les destins ont promis au sang de Charlemagne,
L’Empire de tout l’Univers.

[À Livry sur Seine] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 275-277.

Ayant vû, Monsieur, que dans la seconde partie du mois de Juillet dernier vous n’avez fait mention que des réjouissances qui ont esté faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & que vous promettiez encore de faire un recit de plusieurs qui se sont faites à ce sujet ; m’étant trouvé à Melun par occasion le 25. dudit mois, & ayant vû de cette Ville, celle qu’à fait Mr Boucher, ci-devant grand Audiancier de France, dans son Château de Livry sur Seine ; j’ay crû devoir vous mander, connoissant sa modestie, & sçachant qu’il ne fait rien par ostentation, & que Monsieur le Chancelier Boucherat, en recevant le Saint Viatique voulut bien en presence de tous les assistans, rendre un témoignage public qu’on ne pouvoit avoir rempli ses devoirs avec plus de desinteressement d’honneur, de capacité, & d’assiduité qu’il avoit fait ; j’ay crû, dis-je, devoir vous mander, que Mr Boucher, aprés avoir fait chanter dans sa Paroisse un Te Deum, & l’Exaudiat, en presence d’une nombreuse compagnie, où assisterent les Reverends Peres Malbranche & Guibert de l’Oratoire, donna un soupé à beaucoup de Noblesse du voisinage, ensuite duquel, la Compagnie s’étant allé promener dans le jardin, le Château parut tout en feu par un tres-grand nombre de pots à feu qui y estoient placez avec beaucoup d’art, & fit allumer un feu, qui fut precedé de plusieurs décharges de mousqueterie, qui furent réiterées plusieurs fois, & tirer une grande quantité de fusées volantes, des plus belles qu’on puisse voir. Il avoit fait exposer une si grande abondance de vin, que les habitans de son Village, des lieux circonvoisins, & même de la Ville de Melun ne purent tout boire, & que même ils en laisserent beaucoup, il les fit tous danser au son des Violons jusques bien avant dans la nuit. Tous les Bourgeois de Melun étoient sur les Ponts, sur les Remparts, & dehors pour voir ce feu & cette illumination, dont le spectacle parut des plus beaux. On ne pouvoit moins attendre de Mr Boucher ; je ne vous dirai rien de sa Famille, puisque son nom se trouve dans le Parlement, & en d’autres Compagnies superieures de Paris, presque depuis leurs établissemens, & que ses ancestres ont rempli des places de distinction, Son fils-aîné, President en la Cour des Aides suit les traces de ses predecesseurs, & peut servir de modele à beaucoup de Magistrats, tant à cause de sa pieté, & de sa profonde capacité, que de la douceur & de l’honnesteté qui luy sont naturelles, ce qui luy attire une estime & une consideration toute particuliere, & le rend digne des plus grands emplois. La justice que je dois rendre à la verité m’a engagé à vous écrire cette Lettre. Je suis, &c.

[Mr Flachot de Lyon] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 277-281.

Les Particuliers ne se sont pas moins signalez, à proportion que les plus grands Seigneurs & les plus grands corps.

Mr Flachot, marchand de Lyon, & Recteur en exercice de la Charité de cette même Ville, a donné des marques éclatantes de la joye qu’il a ressentie de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, par des Feux d’artifice, & de grandes illuminations qu’il a faites à sa maison ; trois fontaines de vin coulerent trois jours de suite à sa porte, où l’on avoit dressé quatre Tables, remplies de tout ce que la Saison pût fournir d’exquis & de delicat : l’on invitoit tous les passans a y prendre place ; il donna en même temps un somptueux repas dans les Sales de la Charité, où il y avoit deux Tables de 24 couverts chacune ; son Epouse donna aussi une Feste magnifique, qui commença par un repas, où plus de 45. personnes furent invitées. Aprés le repas il y eût un bal qui dura jusqu’à six heures du matin, tout Lyon y alla en masque ; on avoit envoyé chercher une bande de violons à Grenoble pour grossir celle de Lyon, qui d’ailleurs estoit fort occupée.

[Mr Courten dans les Cevennes] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 281.

Ces réjoüissances ont éclaté jusques dans les Cevennes, où Mr Courten Brigadier des Armées du Roy, Lieutenant Colonel du Regiment Suisse du même nom, & qui se trouve dans l’Armée de Monsieur le Maréchal de Villars, fit tirer le 17. Juillet un Feu d’artifice des plus magnifiques ; les Fontaines de vin n’y furent pas épargnées, il y eût un bal qui dura jusqu’au lendemain quatre heures du matin ; cette feste reçut de grands applaudissemens.

[Premier article de morts] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 282-286.

Mr le Prince de Holstein-Ploën, Gouverneur de Mastricht, est mort dans ses Etats. Il estoit de l’illustre maison de Holstein ou Holsace, qui a produit les branches de Sunderburg, de Norburg, de Glukburg, d’Arnsbeck, de Sleswick, ou Gottorp, & Ottingen ou Oytin. Cette maison descend de la maison de Saxe, fondée par Witkind le Grand. Il fut cinquiéme Ayeul de Sigefroy I. Comte d’Oldembourg dans la Westphalie, dont la ligne droite finit à Frederic, qui s’exposa genereusement au supplice, auquel son pere Huno le glorieux avoit esté condamné, combattit, & tua un effroyable Lyon à la veuë du peuple de Goslar. Ce fut vers l’an 1140. Il laissa le Comté d’Oldembourg à Elimar son cousin germain paternel. La posterité de ce dernier, aprés huit generations, se reduisit à Theodoric le fortuné, qui recuëillit tous les biens de sa famille. Ce Theodoric épousa en premieres nôces Adelaïde, heritiere du Comté de Dolmenhorst, & en secondes Hedwige, fille de Gerard de Schawembourg, Comte d’Holsace. Les Rois de Dannemarck sont de cette maison, & descendent de ce Theodoric. La branche d’Holsace Sunderburg commença par Jean dit le jeune Duc de Sleswick fils de Christierne III. Roy de Dannemarck. Celle de Norburg a pour tige, Frederic fils puisné de Jean le jeune. Celle d’Arnsbeck a pour tige Joachim Ernest fils du même Jean le jeune, & de sa seconde femme, Agnes-Hedwige d’Anhalt. Celle de Sleswick ou Gottorp, commença en Adolphe heritier de Norwege, Duc de Sleswick, qui estoit frere de Christierne III Roy de Dannemarck, & fils de Frideric I. aussi Roy de Dannemarck. Celle d’Ottingen a commencé à Jean Administrateur de l’Evêché de Lubeck.

Le Prince qui donne lieu à cet Article avoit beaucoup de valeur, il en a donné plusieurs marques en sa vie ; les Etats Generaux avoient beaucoup de confiance en luy, & ils ont marqué un regret sensible de sa mort.

Le 23. Juillet dernier, mourut à Beziers, Jean Burgues, laboureur, de la Parroisse de S. Jacques, âgé de cent sept ans, sans avoir ressenti aucune des incommoditez de la vieillesse, ny avoir fait paroître aucune des foiblesses de cet âge ; on peut dire de luy, ce que l’Ecriture dit d’Abraham, & sepultus est in senectute bona.

Mr Irland, Lieutenant general Criminel de Poitiers, mourut le 8. de ce mois, âgé de 98. ans. Il fut reçû dans cette Charge en 1635. & honoré par sa Majesté de ses Lettres de Conseiller d’Etat, en 1652. Il étoit d’une tres-noble & tres ancienne famille d’Ecosse ; ainsi qu’il se voit par les lettres Patentes que le Roy de la Grande Bretagne a données pour la confirmation de la Noblesse de cette maison, & par celles du Roy données en consequence. Mr Irland, son petit-fils, Lieutenant dans le Regiment des Fuzilliers, eût une cuisse emportée d’un coup de canon, au siege de Landau.

[Nouvelle Carte de Portugal de Mr de Fer] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 286-287.

Mr de Fer, vient de mettre au jour une Carte, intitulée, le Théatre de la guerre en Portugal, où se trouve le Royaume de Portugal divisé en Provinces ou Gouvernements d’entre Douro & Minho, Traslosmontes, Beira, Estramadure, & Alentejo, avec le Royaume d’Algarve au Roy de Portugal ; dressé sur les memoires de Teixeira, & dedié à sa Majesté Catholique. Cette Carte est ornée de plusieurs cartouches, dans lesquels on voit la ville de Lisbonne, le Palais Royal de cette ville, le Château de Belem, la ville d’Elvas avec le fort de Ste Lucie ; les villes d’Evora, de Cadix, avec son port, sa rade & ses environs ; d’Estremos, de Villa-viciosa, d’Aronches, d’Olivença, de Setuval, la Forteresse de S. Julien ou S. Giao, & le fameux détroit de Gibraltar. Tous ces Plans font beaucoup de plaisir, & cette Carte semble rencherir sur toutes celles de Portugal qui ont paru jusqu’à present.

[Machine nouvelle du R. P. Figau, Augustin] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 287-288.

Le Reverend Pere Figau, Augustin, Inventeur des pieces d’Artillerie à trois cannes qu’on appelle cerberes, dont je vous ay déja parlé, a esté nouvellement gratifié d’un logement dans l’Arsenal ; dans lequel il a mis en pratique une nouvelle machine pour éteindre le feu quand il prend aux cheminées : elle merite d’être vûë, & d’être experimentée sur toutes les cheminées pour le bien & l’utilité publique ; il s’est d’autant plus appliqué au travail de cette machine, qu’il a cherché à reconnoître par-là les bien faits du Roy qui l’honore d’une pension considerable.

[Madrigal sur le systeme du cœur] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 288-289.

Mlle Barbier a fait les Vers suivans, à la gloire de l’Auteur du Système du cœur, dont je vous ay déja parlé.

L’Auteur de ce nouveau Système
Prend soin de se peindre luy-même ;
Par l’amour il est inspiré,
Il sent ce qu’il nous veut apprendre,
Et je crois son cœur aussi tendre
Que son esprit est éclairé.

[Theses soutenuës] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 289-290.

Le 10. de ce mois Mr de Guyonnet, fils Mr de Guyonnet, Conseiller au Parlement de Bordeaux, soutint dans le College de Guyenne une These de Geometrie & de Fortifications, dediée au Parlement ; l’Assemblée estoit tres-nombreuse. Le soutenant surprit d’autant plus l’Auditoire par la solidité de ses demonstrations & de ses réponses, que c’est un jeune homme de quatorze ans ; ce qui donne lieu de croire, que si son esprit continuë à faire d’aussi grands progrés, l’âge le rendra un jour, un des plus habiles hommes de son siécle.

[Lettre contenant une Relation de la derniere feste de Taureaux qui a esté faite à Madrid] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 290-304.

La Lettre qui suit est dattée de Madrid du premier Aoust, & contient une Relation d’une feste de Taureaux, donnée à Sa Majesté Catholique.

Il ne s’est rien passé depuis le dernier ordinaire digne de vostre attention, que la feste des Taureaux qui se fit Lundy 28. dans la Place Maïor de cette Ville. Le Roy & la Reine honorerent cette feste de leurs presences, & parurent à quatre heures du soir dans l’un des Balcons d’un Palais bâti dans cette Place, pour ces sortes de spectacles.

Les préparatifs de cette feste ont quelque chose de grand à cause de l’Amphiteatre qui regne autour de la Place, & qui renferme une populace innombrable, & des maisons également bâties & enrichies de Balcons à cinq étages richement ornez & remplis jusques aux toits de ce qu’il y a de plus considerable dans la Ville.

La Place dans laquelle se fait cette course de Taureaux n’est que d’un tiers plus grande que la Place Royale. Je ne suis pas trop instruit des regles de cette feste ; car il y a des étiquettes & des Loix pour & contre les Taureadores qui renferment leurs maximes, qui comblent de gloire ou couvrent de honte ceux qui les observent, ou qui s’en écartent. Voicy ce que j’en ay vû.

On tire des lieux les plus sauvages de cette terre 40. ou 50. Taureaux qu’on prend par le moyen des Vaches qu’on répand en nombre dans les bois où ils se tiennent. Ils suivent les Vaches jusqu’à Madrid, & cette ruse les ayant fait prendre, on les met dans des serres disposées pour cela. Le jour destiné pour la feste, on les conduit par le moyen des mêmes Vaches, dans des écuries qui sont dans les coins de la Place, & qui sont preparées pour les recevoir.

Les écuries repondent à la Place par deux grands batans de porte qu’on ouvre pour les y attirer, & derriere lesquels se cachent ceux qui les ouvrent ; c’est une ceremonie où les plus illustres assistent, que celle de conduire ces sortes d’animaux dans les écuries de la Place, qu’on appelle icy Insierros ; les Taureaux marchent au bruit d’une sorte de gens, qui tiennent des foüets, & claquent en ordre, & d’une maniere qui a quelque chose du bruit de plusieurs frondes tirées ensemble ; ces hommes ne sont cependant que des piqueurs de bœufs qui excitent & repoussent devant eux, de ce bruit & de la voix, ces animaux qui sont escortez aussi par les Seigneurs de cette Ville qui sont dans ce goust, qui marchent à costé de ces chasses-bœufs, montez sur les plus superbes Chevaux testez à l’Andaloux, avec un dard à la main, dont ils chassent les Taureaux qui s’écartent de la troupe. Monsieur le Duc de l’Infantado, l’un des plus grands Seigneurs de cette Cour, fut renversé de son cheval à cette Ceremonie sans estre blessé. Les bœufs & les vaches qui attirent les autres, s’appellent D’esin gagnadores, & ont tous une clochette au col, en sorte que lorsqu’ils sont dans les Insierros, on fait monter des hommes sur des traverses disposées, qui les piquent & les obligent à se presenter à la porte, d’où ils sortent les uns aprés les autres, la clochette les faisant distinguer à celuy qui tient l’un des batans de la porte.

Le peuple se tient en foule dans la Place toute sablée, jusques au moment qu’on lâche les Taureaux. Si tost que l’heure marquée est venuë, qui fut ce jour-là à dix heures au matin, le peuple entre dans les Amphiteatres, & il ne reste que les bayeurs dans la Place, & ceux qui se presentent pour berner & assaillir le Taureau ; car il faut remarquer que la feste du peuple, qui est le matin, est differente de celle des Nobles qui se fait le soir ; celle du peuple est de combattre à pied le Taureau, & celle des Nobles à cheval.

Si-tost que l’heure sonne, le Corregidor à cheval, avec la Justice, paroist dans la Place, dont il fait le tour avec les Algosils qui l’accompagnent, ensuite de quoi se rangeant dans l’une des extremitez de la Place, il prend sa course & vient à toutes jambes à la porte de l’Insierros, où sont les Taureaux, & s’en retourne avec la même diligence crainte d’estre attrapé par le Taureau, qu’on lâche aussi tost qu’il a paru, ce qui donne souvent un divertissement au public par la crainte des Algosils qui sont quelquefois courus par ces animaux qui sortent furieux, parce qu’ils sont animez par des hommes qui sont sur les traverses dont j’ay parlé & qui les picquent. La premiere sortie du Taureau a quelque chose d’effrayant ; mais les hommes faits à ce jeu font bien voir que le danger est mediocre par l’habitude, & le jugement qu’ils en font. Ils se presentent donc au Taureau trois ou quatre avec leur manteaux à la main, dans lesquels consistent tout le jeu de cette premiere feste ; ces hommes approchent le Taureau quelquefois ensemble, & quelquefois seuls, & lorsque le Taureau prend son élan pour se jetter sur celui qu’il choisit, l’homme l’attend de pied ferme, & en luy couvrant les yeux de son manteau se derobe à luy, se jette à costé & gagne la croupe, ce qui fatigue le taureau & l’anime, un autre se presente de la même sorte, avec la même adresse, & le même tour du manteau, ce qui émeut si fort cet animal qui s’élance toûjours sans succez, que souvent il se jette au travers des curieux de la place, qui n’y étant pas attentifs, se laissent surprendre, en sorte qu’il en cubulte quelquefois une grande quantité, & d’une maniere cependant si favorable que de deux cent que j’ay vû renversés, il n’en a pas esté tué deux.

Le grand art consiste, lors qu’on ne peut éviter l’animal, à se jetter ventre à terre, parce qu’étant dissipé par le reste de la populace, il se jette d’un autre côté ; voilà le seul danger qu’il y ait, & le seul divertissement consiste à voir quelques gens attaquer le taureau, avec un seul manteau, le berner, & le joüer, jusqu’à ce que des trompettes qui sonnent sa mort ayent donné le signal de la charge, qui fait avancer les gens destinez à cet employ, pour luy couper le jarret ; aprés quoy le taureau étant tombé, le peuple bayeur vient luy plonger l’épée dans le flanc, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors se presente un Algosil avec trois mules attelées ensemble, & parées de rubans, qui enlevent le taureau mort hors de la place. J’oubliois à dire que les premieres attaques qu’on fait au taureau, se font avec des petits dards garnis d’une espece de banderole, dont le peuple se fait honneur de le percer ce qui l’anime étrangement.

Le détail de cette premiere course, instruit de toutes les autres qui se font toûjours de la même sorte. On donna huit taureaux au peuple depuis dix heures jusqu’à midy, mais le huitiéme fut le beau ; En effet il y à un air de fermeté, & d’adresse dans celuy qui entreprend d’abbatre le taureau à ses pieds, en sortant de la serre, qui donne de l’admiration & du plaisir.

Un homme separé de tous les autres, va se poster à vingt pas de l’Insierros, d’où le taureau sort, & plante un dard à son pied qu’il enfonce un peu dans la terre afin d’être plus en force, & que le mouvement du taureau ne l’emporte pas. Il attend l’animal, qui sort furieux de sa prison, & voyant cet homme precisement à l’entrée de sa loge, il s’arréte un moment ; après quoy il s’élance avec une furie extrême, sur le personnage qui le choque, & l’homme attendant, & considerant ses mouvemens, conduit sa demy pique où son dard, avec tant d’adresse & de jugement, que le taureau venant fondre sur luy, je l’ay vû s’enferrer par le milieu de la tête, & se plongeant dans le corps tout le dard, j’en ay vû, dis-je, le fer sortir audessus de la croupe, & l’animal réellement embroché, comme s’il l’eût en effet esté aprés sa mort pour le faire rôtir, & enfin tomber aux pieds de celuy qui luy avoit presenté le fer.

La recompense du vainqueur est conforme à sa profession. C’est d’ordinaire un boucher qui fait cette tentative, & lors qu’il réussit, le Corrigidor luy donne le bœuf, ou le taureau, dont il fait son profit ; & les mouchoirs de tous les balcons portez en l’air avec les acclamations du peuple, annoncent son triomphe ; cette victoire fait la fin de la fête, & midy qui sonne alors, celle de l’assemblée qui se separe.

Je dois dire que la satisfaction de ce peuple ne consiste pas toute entiere au plaisir de ce spectacle, mais elle est plus réellement fondée sur l’abondance, & l’argent qu’il fait repandre dans la Ville par l’affluence du peuple étranger, que cette fête y attire, & par le don qui est fait aux Taureadores à pied, choisis d’entre le peuple, des taureaux qui se distribuent à leur profit.

La fête du soir, qui est celle du Roy, & de la Cour est en grand, ce que celle du matin est en petit, c’est le même spectacle, ce sont les mêmes taureaux. Ceux du matin combatent à pied, & ceux du soir à cheval, au nombre de sept Cavaliers ou Taureadores, montez sur les plus superbes chevaux, une lance à la main, bottez à la quinette, avec l’habit de la nation, & un tour de plumes sur un chapeau qui imite le casque, par la maniere dont il est retroussé ; Ils sont accompagnez, chacun de deux Creados, ou valets superbement vestus de livrée, qui agacent le taureau pour le porter à s’élancer sur leur maître, qui met son adresse à luy enfoncer sa lance dans le col, en le forçant à se detourner du cheval qu’il monte, & à passer à côté, faisant des voltes au tour du taureau pour l’empêcher de gagner la croupe, qui est aussi défendué par les Creados, qui poussent & conduisent le cheval du côté qu’il faut, afin qu’il fasse front au taureau ; les maîtres, les valets, & le cheval étant dressez à cet exercice, le Taurreador ne fait d’autre mouvement de sa lance que de la tenir ferme, pour que le taureau venant à s’élancer sur luy ou sur son cheval, luy presentant le fer, il s’enferre de luy-même, comme il arrive, & le Cavalier qui sent son fer enfoncé, par un tour de poignet est obligé, prenant la demy volte, de rompre la lance, laissant le fer dans le corps de l’animal, en jettant en l’air ce qui luy en reste à la main.

Ce qu’il y a de plus perilleux c’est la necessité & l’engagement d’honneur dans lequel sont les Cavaliers, que le taureau renverse, d’aller à luy de pied ferme, & de le fraper de l’épée entre les deux cornes, ce qui arriva à l’un des Taurreadores, qui aprés avoir esté renversé de son cheval, ce qu’ils appellent un impeigno, alla à l’animal, de la maniere que je viens de dire, à pied, & l’épée au poing : Il frapa le taureau selon son engagement, mais il le culbuta, & luy passa sur le ventre, il fut blessé au bras, & au genoux, & on fut obligé de le remporter. Le Roy accorde d’ordinaire des graces aux Taurreadores, pour prix de leur courage, & ils acquierent par là une grande renommée parmi le peuple.

[Réjoüissances faites par Me de Grancey, Abbesse de Gommerfontaine] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 304-305.

Me de Grancey, Abbesse de l’Abbaïe Royale de Gomer. Fontaine, dans le Vexin, âgée de cent sept ans, n’a pas esté moins sensible que les autres à la joye, qu’a causé par toute la France, la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Elle a fait chanter un Te Deum dans l’Eglise de son Abbaïe, où elle a assisté. Elle a donné toutes les autres marques d’une allegresse parfaite.

[À Desize] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 305-307.

Mr Bodin, Sieur Destouches, Conseiller du Roy, Commissaire aux Revûes de la ville de Desize, en Nivernois, fit chanter un Te Deum le 27. de Juillet dans l’Eglise des Minimes, les Officiers de Justice de la Ville y assisterent en Corps, ainsi que toute la Noblesse des environs ; il y avoit plus de 300 Habitans sous les armes, ornez de cocardes de ruban blanc, & ayant à leur tête des Haut-bois, & des Musettes. Aprés le Te Deum, il fit allumer un grand feu au bruit de trois décharges de mousqueterie, de canons, & de boëtes. Ensuite de quoy il donna un magnifique soupé à plus de 200. personnes. Toute sa maison fut illuminée ; il fit aussi éclairer celle des Minimes par un tres-grand nombre de lumieres ; ce qui parut si beau au Correcteur, que pour en témoigner sa joye, il donna à souper à tous ses Religieux dans le jardin du Couvent, au bruit du carillon de leurs Cloches, qui se firent entendre jusqu’au lendemain matin. La compagnie que Mr de Destouches regala, étant sortie de table, il fit allumer au son des Instrumens, un feu d’artifice qui eut beaucoup de succés, les fuzées ayant esté vûes de prés de cinq lieuës. Il y eut bal ensuite jusqu’à cinq heures du matin, le peuple dança dans la cour au son des Instrumens.

[À Saint Antonin, en Roüergue] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 307-321.

La Lettre qui suit, vient de S. Antonin, en Roüergue.

Puisque vous voulez sçavoir, Monsieur, ce qui s’est passé dans nôtre ville, au sujet de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; je vous diray qu’aussi-tost que nous eûmes reçu les ordres necessaires, Mr Brugiere, notre Maire, Conseiller du Roy, & Medecin ordinaire de S.A.R. Monsieur le Prince, s’appliqua à regler toutes choses, & qu’il le fit avec beaucoup de zele. Il forma d’abord quatre Compagnies d’Infanterie, chacune de plus de cinquante hommes, dont les Officiers ayant presque tous servy longtemps dans les troupes du Roy, faisoient de bonne grace tous les exercices, & donnoient un air de guerre à ces Bourgeois travestis en soldats.

On voyoit à la tête de chaque Compagnie plusieurs rangs de grenadiers, tous gens choisis, d’une taille au dessus du commun, vêtus uniformement avec des bonnets fort propres, & d’une figure, qui dans sa bizarrerie avoit beaucoup d’agrément. Ils étoient armez de faulx & de haches qu’ils portoient avec une fierté capable de faire peur en toute autre rencontre.

Les Compagnies étoient presque toutes composées de jeunesse, qui, comme vous sçavez, est en ce païs, fort alerte, & fort éveillée. Ce n’est pas qu’il n’y eust quelques personnes d’un âge avancé, qui pour se signaler dans cette journée, oublierent pour cette fois là leur âge, & reveillerent le feu de leur jeunesse. On vit entr’autres un Avocat, beau-frere de Mr le Maire, âgé d’environ quatre-vingt-ans, qui par un excés de zele s’étant fait guerrier, agit ce jour-là avec une grace, une vigueur & une gayeté, qui sembloient luy avoir ôté plus de la moitié de ses années.

Rien n’étoit mieux entendu que l’ajustement des Troupes. Le bon goût & la propreté recompensoient avec avantage ce qui pouvoit y manquer du côté de la magnificence. Elles estoient suivies d’un attirail de guerre, d’équipages, de bagages, de chevaux, de mulets, d’ustanciles, de vivandiers & de vivandieres, qui dans leurs manieres grotesque avoient quelque chose de fort divertissant.

On demeura sous les armes deux jours de suite. On ne quitta les Drapeaux, & on ne les reporta chez les Capitaines que lors qu’il fallut faire place aux exercices de pieté & de Religion ; à quoy les Officiers eurent toûjours une attention tres-particuliere.

Le Te Deum fut chanté en la maniere accoûtumée. Mrs les Chanoines du Chapitre, qui sont du Corps de Mrs de Ste Geneviéve de Paris, precedez de leurs Semi-prebendez, des Carmes, des Cordeliers, & des Capucins, & suivis de Mr le Gouverneur, & de Mrs les Magistrats, firent une Procession solennelle avec beaucoup de pompe & de magnificence.

Les devotions finies, on reprit les armes. Ce ne fut par tout que des cris de vive le Roy, & des décharges de Mousqueterie qui se mesloient agreablement avec le bruit des tambours, des fifres & des haut-bois : Cet agreable tumulte redoubloit, lorsque les Troupes passoient aux endroits où estoient exposez les portraits du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de la famille Royale.

Le soir du Dimanche, il y eut un grand feu de joye. Il fut allumé par Mr de Villetes, notre Gouverneur, par Mr le Maire & par Mrs les Consuls, au bruit des salves de toute la Mousqueterie ; ensuite de quoy Mr le Gouverneur donna un repas magnifique aux Dames, à la Noblesse, & aux principaux Officiers. Pour juger de son zele au Service du Roy, il suffit de sçavoir qu’il est neveu de Mr de Naves, Gouverneur de Longwy, & de Mr de la Vaisse, Gouverneur du Fort-Loüis du Rhin.

Dés l’entrée de la nuit, toutes les fenêtres furent éclairées ; on alluma par tout des feux de joye. Il y eut devant le logis de Mr le Maire & en d’autres endroits, des rafraîchissemens pour les Troupes. En quoy se distingua Mr Dionis, Abbé de Beaulieu, qui tint toute la nuit table ouverte, pendant que les violons & les haut-bois divertissoient la Compagnie.

Cette feste ayant esté ainsi achevée, Mr le Maire & Mrs les Consuls, crûrent devoir y ajoûter quelque chose ; & pour cet effet, ils prierent Mr le Prieur & Curé, & Mrs les Chanoines de vouloir chanter, le Dimanche suivant, une Messe solennelle pour Monseigneur le Duc de Bretagne. La chose ayant esté arrêtée de concert, & tout ayant esté preparé, sur les neuf heures Mr le Maire & Mrs les Consuls allerent prendre Mr le Gouverneur ; ils vinrent à l’Eglise, precedez de tambours & de trompettes, & suivis d’une grande foule de peuple. Ces Mrs assisterent à la Messe & vinrent à l’offrande, ayant en main des flambeaux de cire blanche, avec des Ecussons aux armes du Roy. Mr le Gouverneur y communia, à son ordinaire, avec cette rare pieté qui charme tout le monde. La Messe fut chantée par le Chapitre avec une Symphonie militaire, meslée de tambours & de trompettes.

L’Aprés dînée, le Te Deum fut chanté de même. Le soir il y eut un grand repas dans le jardin qui appartient aux Chanoines & qui est scitué sur le bord de la riviere. La Compagnie fut reconduite aprés le repas au bruit des tambours & aux fanfares des trompettes, jusqu’au devant du grand Portail de l’Eglise, où il y avoit un grand Arc de Triomphe, au haut duquel étoit le Portrait du Roy, surmonté d’une couronne qui couvroit tout l’ouvrage. Tout y étoit fort illuminé. Il y eut dans cet endroit un feu de joye qui fut allumé au bruit de plusieurs décharges, par Mrs dudit Chapitre, par Mr le Maire & par les Consuls. Il y avoit aussi un Arc de Triomphe devant la maison de Mrs les Chanoines. On voyoit sur l’un & sur l’autre de ces deux Arcs de Triomphe les Portraits du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Madame la Duchesse de Bourgogne, de Monseigneur le Duc de Bretagne porté par sa Gouvernante, de Monseigneur le Duc de Berry, & de la Famille Royale.

Ces Portraits étoient accompagnez de Trophées d’Armes, de Guidons, de Banderoles & d’Etendars tres-bien peints qui voltigeoient agréablement. Le tout étoit mêlé de feüillages verts, avec des cartouches & des inscriptions. Plusieurs de ces Guidons & de ces Etendars étoient chargez des Armes de France, de Dauphiné, de Bourgogne, de Bretagne, de Berry & de Savoye, selon les Portraits ausquels ils servoient d’ornement. D’autres Etendars étoient chargez de Vers écrits en gros caracteres de diverses couleurs.

Au reste ce ne sont pas icy des magnificences comme celles de Montauban. Il n’appartient qu’à Mr le Gendre, nôtre Intendant, de faire d’aussi grandes festes. Vous sçavez qu’il brille par tout, soit dans les affaires, soit dans les divertissemens ; mais il se surpasse luy-même quand il s’agit de la gloire du Roy. C’est au bruit des grandes choses qu’il a faites dans Montauban, que nos Muses champêtres se sont éveillées ; & nous avons appris de luy à avoir le cœur veritablement François.

Ne nous reprochez donc plus, Monsieur, que nôtre Ville de S. Antonin n’a rien de bon que ses Prunes, & que le fruit de bon Chrétien est un fruit qu’on n’y trouve pas. Peut-être a-t-on pû le dire autrefois. Nous étions bigarrez, nous avions de deux sortes d’Habitans & de deux sortes de Religions. Autre temps aujourd’huy, autre Gouvernement, autre Prince & autres Sujets. Tout est icy Catholique & tout y est François.

Nous avons à la verité plus de quinze cens nouveaux Réunis, ce qui fait prés de la moitié de la Ville ; mais ils font si bien leur devoir que nôtre principale Eglise se trouve trop petite, & que Sa Majesté a bien voulu nous en faire esperer l’agrandissement. Du reste, anciens & nouveaux Catholiques, tout brûle de zele pour le service du Roy. Je vois même bien des Villes tout à fait Catholiques, qui n’ont pas, sur ce chapitre, le sang plus chaud que nous. Je suis, &c.

[Au Port Louis] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 322.

Mr Desgravier qui commande au Port-Loüis en Bretagne, y a commencé les réjoüissances par un Feu qu’il fit faire dans la Place commune, il fit couler des Fontaines de vin ; toutes les ruës furent couvertes de feux, & toutes les fenestres étant remplies de lumieres, on y remarqua plusieurs de nos Drapeaux, avec quantité de ceux des ennemis. Il y eût même des Bourgeois qui firent tirer des feux d’artifice. Les troupes firent plusieurs décharges, & l’Artillerie de la Place & de la Citadelle en fit trois. Les ruës étoient remplies de Danceurs, de Hautbois, de Musettes & de Violons, & il y eût un grand nombre de bals dans la Ville.

[À Rome] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 323-324.

Monsieur le Cardinal de Janson a fait chanter à Rome le Te Deum, dans l’Eglise Nationale de Saint Loüis, il donna ensuite un magnifique repas à cinquante, tant Prelats que Cavaliers Romains, Monsieur le Cardinal Pignatelli, & Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne furent de ce repas. La Feste dura depuis midy jusques fort avant dans la nuit. Le vin que cette Eminence fit couler devant sa porte estoit de Lacryma, & par consequent du meilleur du pays. On tira un tres-beau feu d’artifice devant son Palais ; il estoit tout illuminé par un grand nombre de flambeaux de cire blanche. Cette feste continua les deux jours suivans, & pendant ces trois jours, toute la Ville de Rome parut en feu. Les Espagnols firent ensuite chanter le Te Deum dans leur Eglise Nationale, & leurs réjoüissances durerent autant que celles de Monsieur le Cardinal de Janson. Ce Cardinal donna le 30. de Juillet à dîner à tout ce qu’il y a d’Espagnols distinguez à Rome, & il fit tirer le soir un tres beau feu d’artifice devant la porte de son Palais, où se rendirent tous les Princes, & toutes les Princesses de Rome. On leur servit du Chocolate & des eaux fraîches en abondance. Toutes ces festes se sont passées avec beaucoup de tranquillité, & à la satisfaction du Pape, & de toute la Ville de Rome.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 325.D'après le Mercure de juillet 1705, M. de Choisel serait l'auteur des paroles des airs de M. de Maiz. Tous deux sont de La Flèche.

La Chanson qui suit est de Mr de Maiz de la Flêche en Anjou.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Grand Dieu, &c. doit regarder la page 324.
Grand Dieu ! si propice à la France,
Qui nous donnant un Roy l’honneur des Souverains,
As versé dans son ame, & mis entre ses mains
Et ta sagesse & ta puissance.
Dans ce comble de gloire où tu sceus l’élever,
T’importuner de vœux, ce seroit te déplaire,
Et pour nous, & pour luy tu n’as plus rien à faire,
Grand Dieu ! que de le conserver.
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[Lettre contenant le detail de l’entreprise manquée sur la Ville & le Château d’Entrevaux, en Provence] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 326-345.

Quoique la Relation que je vous envoye ne soit pas nouvelle, j’ay crû neantmoins que je vous la devois envoyer, puisque le Public n’a point esté informé de ce qu’elle contient, & que l’on y voit le détail de l’entreprise manquée par les troupes de Savoye sur la Ville & sur le Château d’Entrevaux. Cette Relation est de Mr de la Contardiere Gouverneur de cette Place.

La parfaite connoissance, Monsieur, que croyoit avoir Mr le Marquis de Carail, Gouverneur de Nice, de la Ville & du Château d’Entrevaux, par les Deserteurs ; celle qu’il avoit de la foiblesse de leur Garnison, ainsi que du peu de troupes qu’il y avoit en Provence, & l’offre que le Commandant du Puget, petite Ville qui n’en est qu’à une lieuë, lui avoit faite plusieurs fois de se rendre maistre de ce Poste avec cinq cens hommes, l’embarquerent à demander sur la fin du mois de May à Monsieur le Duc de Savoye la liberté de le faire attaquer ; il l’obtint facilement, ce Poste ayant toûjours donné de la jalousie à Son Altesse Royale, qui en avoit demandé l’échange avec empressement au dernier Traité de Paix.

Mr le Chevalier de Blagnac qui fut chargé de cette entreprise partit de Nice le cinquiéme Juin à l’entrée de la nuit avec mil hommes de troupes reglées, choisis dans trois bataillons qui y avoient leur trois Compagnies de Grenadiers, quelques Compagnies de Milice, & une grande quantité de vagabonds, attirez par l’espoir du pillage, qui faisoient passer ce Corps pour plus nombreux qu’il n’étoit.

Il marcha avec toute la diligence possible & toutes les precautions imaginables pour derober sa marche ; il fit en chemin un détachement de cent cinquante hommes pour attaquer le Château de Luëbris croyant qui luy resteroit assez de monde pour son entreprise d’Entrevaux, & arriva devant la Place le sept Juin à deux heures de nuit avec deux Fauconneaux, un Mortier & des bombes, quatre petards, un bon nombre d’échelles de bois & de corde, des galeries pour couvrir les Mineurs & toute sorte d’instrumens propres à miner & à ruïner des murailles.

Il prétendoit se rendre Maistre du Château par la Porte du Secours & par des accés derobez qui conduisoient à la Porte de communication ; deux cens cinquante hommes destinez à cette expedition s’en approcherent à la faveur d’une nuit tres-obscure & du bruit du Var toûjours superieur à celuy qu’on peut faire en marchant ; mais ayant trouvé les accés dont je viens de parler rompus, & le Pont dormant de la Porte du Secours démonté, précaution que j’avois jugé necessaire pour suppléer au peu de monde que j’avois ; aprés s’être fait tirer quelques coups, s’être fait tuer deux hommes & blesser un, les Ennemis se retirerent sur une hauteur à la portée du Mousquet, & s’y retrancherent.

Mr le Chevalier de Blagnac qui commandoit en personne l’attaque de la Porte de Savoye, étant venu la reconnoître à la faveur de l’obscurité, du bruit du Var plus grand à la Ville qu’au Château & de deux madriers qu’il faisoit porter devant luy, deux coups de fusil tirez par deux Sentinelles, dont l’Ingenieur qui avoit la conduite de cette attaque fut blessé au rapport des deserteurs, & quelques fagots de sarment godronez jettez dans le fossé, firent changer l’ordre qu’on avoit donné, & que les Sentinelles entendirent, de faire avancer l’artillerie, en celui de la faire reculer.

Le Lieutenant-Colonel du Regiment de Saluces qui devoit attaquer la Porte de France, se rebuta aussi facilement que les autres par quelques bales qu’il entendit siffler à ses oreilles, & dont il a dit depuis qu’il pensa estre tué.

Leur plus grande ressource étoit dans une muraille qui n’a que deux pieds d’épaisseur, & qui est si vieille qu’elle tombe presque d’elle-même, au pied de laquelle on vient en bataille, & qui est la seule défense de la communication de la Ville au Château de ce costé-là ; mais une pierre qui se détacha par hazard d’une montagne, que j’en avois fait assembler sur cette attaque, (car j’avois défendu qu’on n’en jettât aucune que l’attaque ne fut commencée) étourdit si fort la Compagnie des Grenadiers & le détachement qui devoit donner par cet endroit, qu’ils se retirerent aussi-brusquement que les autres & la partie fut remise au lendemain.

Ils établirent leurs deux Fauconneaux dans une Bastide à demi-portée de Mousquet de la Ville, le Var entre deux ; quoique la nuit fût fort obscure je ne laissois pas de les incommoder par mon feu, qui fut si superieur au leur tout le Dimanche suivant, que n’osant montrer le nez pour pointer leurs Fauconneaux, ils se retirerent la nuit suivante sur une hauteur à cinq cens pas derriere, où il y avoit 80. hommes retranchez qui l’ont occupée tout le temps qu’ils ont esté devant la Place.

Le detachement retranché sur la hauteur du Château, jugeant qu’il n’y avoit rien à faire du côté de la Porte du Secours, alla le Dimanche à cinq heures du soir repasser le Var au Puget, & vint joindre Mr le Chevalier de Blagnac à la Seds, maison de l’Evêque, qui est à une portée de Carabine de la Ville où il s’étoit retiré avec le plus gros Corps. Ils n’avoient point renoncé au dessein de nous attaquer dans les formes. J’ay sçû les raisonnemens qui s’étoient faits là-dessus à la Seds ; mais la vûë de nos Ramparts herissez de faulx emmanchées à revers, de fourches à deux brocs & de pertuisannes, les montagnes de pierres que j’avois fait amasser & le feu terrible que j’affectay de faire par réjoüissance, une fois seulement, leur imposa si fort qu’ils changerent ce dessein dans celui d’établir la contribution.

Quelque foible que fust ma garnison qui n’étoit composée que de quatre compagnies de nouvelles levées, & peu nombreuses, je ne laissois pas de dresser des embuscades à leurs détachemens, j’ay fait sortir jusqu’à cent hommes, dont la plus part étoient des Habitans, qui par des postes avantageux que je leur faisois occuper les ont si fort resserrez, qu’ils n’ont osé s’écarter & n’ont pû tirer qu’environ sept cent loüis de contribution.

On n’a point cessé de s’escarmoucher de part & d’autre jusqu’au Vendredy treiziéme, auquel jour croyant que Mr le Chevalier de Damas arriveroit avec le corps qu’il commandoit pour charger les ennemis ; je tins en bataille ce que je pus tirer de ma petite garnison, & de mes braves Habitans pour sortir à la tête de cette petite troupe, & faciliter leur défaite ; mais voyant sur les quatre heures aprés midy des bagages défiler du côté du Puget, escortez de quarante hommes ; Mr de Blagnac les suivre avec trois cent, cent cinquante marcher du côté de ce poste retranché à portée du mousquet de la place, pour faciliter la retraite des quatre-vingt hommes qui le gardoient, ainsi que celle de cent hommes qui estoient allez le matin occuper une hauteur sur le chemin, par où devoit arriver le secours, dont sans doute ils avoient eu avis, en ayant vû de plus cent cinquante marcher dés le matin du côté du Puget apparemment pour en garder le pont ; Ne doutant plus qu’ils ne se retirassent, je jugeay à propos d’enlever ce poste de quatre-vingt hommes, avant qu’il fust joint par ces deux détachemens, qui y marchoient, esperant que son attaque amuseroit tout ce qui restoit d’ennemis à nôtre vûë ; feroit retourner ceux qui marchoient du côté du Puget, & que je donnerois par-là le temps à Mr le Comte de Narbonne, & à Mr le Chevalier de Damas de les joindre & de les défaire.

Je fis donc mes detachemens, je fis faire un grand feu de ce qui me restoit d’arquebuzes à croc dans la ville, & je sortis croyant que les ordres que j’avois donné seroient regulierement observez ; mais l’ardeur que j’avois inspirée à cette petite troupe fut si impetueuse, qu’il fallust la laisser donner à la Turque ; les ennemis en furent si épouventez, qu’ils ne firent que tres-peu de feu & de resistance, & se retirerent en desordre ; mes soldats les vouloient suivre, mais craignant que les ennemis, au nombre de plus de trois cent, qui étoient assez prés de ce poste & qui étoient restez immobiles à ce spectacle, ne reprissent leurs esprits ; aprés y avoir demeuré quelque-temps je fis lentement ma retraite, bien triste de ce que Mr le Comte de Narbonne & Mr le Chevalier de Damas, qui avoient plus de passion que moy de charger les ennemis, trompez par les avis qu’ils eurent de leur marche & par leur retraite precipitée, ne purent les joindre.

Je n’ay eu à cette attaque que deux soldats blessez, c’est tout le sang qui a esté repandu de nôtre côté dans tout le temps que les ennemis ont esté devant la Place ; ils ont eu dans cette action quatre hommes tuez & douze à quinze blessez de l’aveu des deserteurs ; on y a pris un tres-joly équipage au Marquis de Senantes, fils du Marquis de Carail qui commandoit dans ce poste, deux mûles magnifiquement harnachées, les pistolets des plus beaux, une marmite d’argent, & plusieurs autres choses dont je n’ay pas demandé le détail, & qui ont mis ma petite troupe si fort en curée qu’elle voudroit toûjours donner. Les ennemis ne sçachant pas bien quel party prendre, se retirerent à la Rochette, à deux petites lieuës d’icy, où est un Château assez fort, appartenant au Baron de Laval, & ils y passerent la nuit.

Le jour suivant ayant eu avis que Mr le Chevalier de Damas m’avoit amené un renfort de sept Compagnies du Regiment d’Orleanois, ils se retirerent au Puget, où ils firent ôter tous les cloux des planches du pont que cette ville a sur le Var, de peur qu’on ne pût aller à eux par-là ; ils n’ont pas fait une seule course ni exigé une seule contribution dans tout le tems qu’ils y ont esté, jusques à leur entiere retraite à Nice, ce qui a abandonné cette Comté à la discretion des armes du Roy.

On a sçû par leur deserteurs qu’ils étoient retournez à Nice, ayant perdu plus de cent hommes qui sont morts où qui ont deserté.

Il faut bien vous dire quelque chose de la valeur de mes braves Habitans : ils passoient les jours & les nuits sous les armes dans l’attente d’un assaut general, ils se disputoient les postes d’honneur, comme des troupes reglées, & ne trouvaient rien de difficile de tout ce que je leur commandois ; les femmes non contentes de faire tout les travaux necessaires en pareille occasion, pour laisser les hommes tout entiers à la défense de la Place, se portoient encore aux endroits qu’on pouvoit défendre par des pierres.

Cela n’est pas sans exemple ; mais que des Bourgeois quittent leurs remparts pour aller attaquer un poste retranché où il falloit grimper, gardé par 80. hommes, qui en auroient deu défaire 100, n’étant aidez que d’une poignée de soldats de nouvelle levée, & n’étant pas en plus grand nombre que ce qui leur paroissoit d’ennemis, c’est ce qui ne s’est jamais vû.

[Regimens donnez par le Roy] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 345.

Mr de Mailly de la Houssaye a eu le Regiment de Nettancourt & celuy des Landes qu’il avoit, a esté donné à Mr de Midesbourg.

[Suite du ressentiment de Mr le Duc de Savoye touchant la prise de Verceil] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 345-347.

Monsieur le Duc de Savoye a fait mettre en prison le Maître-d’Hôtel de Mr des Hayes, cy-devant Gouverneur de Verceil, qui l’avoit envoyé à Turin pour y achetter les choses dont il avoit besoin dans sa prison. Ce Prince a aussi fait enlever & vendre à l’encan tous les effets de ce Gouverneur, & a nommé des Commissaires pour luy faire son procez, ainsi qu’à tous les Officiers de la garnison qui ont signé la Capitulation de cette place.

S.A.R. ne peut témoigner trop de chagrin de la prise de Verceil, qu’il avoit fait munir de toutes les choses necessaires pour soutenir un siege pendant six mois, dans la pensée que cette place feroit perir l’Armée de France, aïant 14. bastions, 10. demi-lunes, une Citadelle, une fausse-braye qui regne tout au tour, un bon & grand fossé, revetu de briques, une cuvette au milieu, où il y avoit trois pieds d’eau avec un bon chemin couvert bien palissadé ; ainsi il y avoit tout lieu de croire que cette place feroit une plus longue resistance, mais elle estoit attaquée par des François commandez par un General aussi intelligent que brave, & dont les Troupes se font un plaisir de suivre les Ordres. On n’a fait aucune perte considerable à ce Siege ; si l’on en excepte Mr le Comte des Marais, Colonel du Regiment de la Fere, qui est mort de ses blessures J’ay parlé amplement de ce Colonel, lorsqu’il fut pourvû de ce Regiment. Le Roy fit son éloge en apprenant qu’il avoit esté blessé à mort, & rapporta plusieurs choses à sa gloire, qui doivent faire un extrême plaisir à sa famille.

[Suite des 258. Questions & Réponses sur differens sujets] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 347-348.

Pendant que le bruit des armes se fait entendre, les Muses ne laissent pas de chanter & les Lettres de fleurir. On voit souvent des Livres nouveaux, dont les Journaux des Sçavants & de Trévoux, ont soin de vous entretenir, & l’Auteur du Livre Intitulé, deux cens cinquante-huit questions & reponses sur differents sujets, continuë à donner tous les mois cet ouvrage qui est fort souhaité & recherché.

[Reception de Mr l’Abbé de Polignac à l’Academie Françoise] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 348-364.

Enfin pendant que la guerre forme des soldats, les Lettres forment tous les jours des éleves pour les Academies, & je dois vous parler de deux qui ont esté reçûs depuis peu à l’Academie de Paris, nommée par excellence, Academie Françoise. Le premier est Mr l’Abbé de Polignac, qui a esté élû à la place de feu Mr Bossuet, Evêque de Meaux. Le compliment qu’il fit le 2. Août, jour de sa reception, reçût de grands applaudissements ; Il commença par un éloge de Mr de Meaux, mais si l’éloge fut beau, la matiere n’étoit pas moins belle. Mr l’Abbé de Polignac fit ensuite l’éloge de l’Academie, auquel succeda celuy du Cardinal de Richelieu, son Fondateur ; il passa de là à l’éloge du Roy, aujourd’huy Protecteur de l’Academie : Voicy par où il finit cet éloge. Aprés avoir fait une peinture de l’union de tous les Alliez, contre ce Monarque ; Il dit,

Loüis voit former l’orage & n’en est point émû. Il a passé sa vie à dissiper ces sortes de tempêtes, il sçaura bien encore dissiper celle-cy ; mais il ne rompra point la paix. Il a dans ses mains des troupes ennemies, il peut les retenir, c’est le parti le plus seur, mais il ne luy paroît pas assez noble : il peut entrer dans leur pays, mais ce seroit commencer la guerre & l’ombre d’une infraction luy fait horreur, assuré de la vengeance dés qu’elle sera legitime, il laisse à ses envieux toutes les injustices à faire, il à Dieu de son côté, il ne le perdra pas de vûe, c’est sa raison d’Etat. Enfin, ses Ennemis l’attaquent, Justice, Prudence, Mediations, rien ne peut les détourner. Alors il prend les Armes & quels sont ses premiers coups ? Cinq batailles gagnées, vingt places de tous côtez ou conquises ou sauvées, un Allié fidelle & magnanime trois fois secouru, tout cela, Messieurs, en moins de deux Campagnes.

Vous voulez donc la guerre, peuples insensez ; Hé bien ! vous l’aurez, cette guerre que vous avez tant desirée, mais vous ne la ferez pas où vous pensiez : dans le cœur de vos Etats, dans le fond de vos Provinces sera la desolation & le carnage. Vous menaciez nos frontieres & vous n’en avez déja plus : vous insultiez les moindres Villes de nos Alliez, & vous tremblez pour vos Capitales : vous formiez des seditions, & vos Royaumes sont soulevez contre vous. Les Hyvers entiers ne vous suffisent pas à fortifier vos Montagnes, à retrancher vos vallées & trois jours nous suffisent pour les passer. Vous portez à grands frais & à grand bruit un phantôme de Roy, qui n’a ni pays ni sujets & qui n’ose paroître. Vous allez de Ville en Ville mandier pour luy des Rebelles. & vous ne trouvez que des sujets zelés pour leur veritable Roy. Vous ne derobez des Alliez à la France que pour les associer à vos malheurs, les Thrones que vous soutenez chancelent, ceux que ce Roy protege par ses Armes sont affermis. Le desordre des passions qui vous agitent, regne dans tous vos projets, vos resolutions sont extrêmes, tous vos partis sont forcez & vos premiers efforts sont vos dernieres ressources. C’est donc pour cela que vous abusez de l’amour qu’il eut pour la paix, ce Heros qui ne vous offense que par sa gloire : il vous la donna triomphant, & si j’ose parler ainsi, rassasié de victoires, non en ennemy, non en vainqueur, mais comme s’il eût esté vôtre arbitre. Il sacrifia tout au bonheur de l’Europe, & au repos de ses sujets, & ses sujets vouloient encore luy sacrifier leur repos. Vengez, vengez la France de la moderation de son Roy, forcez-le à reprendre sur vous, ce que vous n’auriez pû le forcer à vous rendre, achevez d’aneantir devant luy vos plus formidables Armées, mettez-le en possession malgré luy de ce pouvoir sans bornes qui vous fait tant de peur, ou si vous y voulez mettre un obstacle, n’esperez plus de le trouver que dans sa Clemence, vous le chercheriez vainement dans vos forces.

Nos Ennemis sentent ces veritez, Messieurs, mais ils n’en voyent pas comme vous le principe. Cette haute intelligence qui prévoit tout, qui remedie à tout sans embarras, sans inquietude. Cette foy vive & pure, l’ame de ses actions, qui luy fit comme à Salomon demander la Sagesse & il l’obtint ; qui luy fit chercher avant toutes choses le Royaume de Dieu, & les autres y furent adjoutées. Cette égalité d’ame superieure aux évenemens, qui soutiendroit avec constance les adversitez les plus accablantes, si Dieu n’avoit resolu qu’il fût heureux. Diroit-on à voir la serenité de ce front auguste, que l’Univers est conjuré contre luy. On ne connoît qu’il fait la guerre que par le bruit de ses victoires, chez-luy tout est en paix : nul changement dans sa vie : mêmes heures pour ses Conseils, & pour ses delassements, même attention pour les moindres détails de son Royaume. Cette tranquillité laborieuse inspire la confiance à tout ce qui le sert, & de quoy ne deviendroit-on point capable sous ses yeux ? Les Princes apprennent à regner, les particuliers apprennent à vivre, tout s’instruit en le voyant. On trouve en luy comme dans Auguste & dans Trajan des exemples pour gouverner les hommes, & les hommes y trouvent comme dans Scipion & dans Marc-Aurele des exemples pour se gouverner eux-mêmes ; C’est ainsi qu’il a rendu son Clergé plus saint, sa Cour plus reglée, sa Noblesse plus active, ses Magistrats plus vigilants, ses Generaux plus habiles, ses Troupes plus invincibles, ses Peuples plus fidelles, & ses Enfants plus dignes de luy.

L’un pour se rendre parfait n’a point trouvé de voye plus sure que de l’imiter en tout & de le suivre pas à pas ; l’autre né comme eux pour la Guerre & pour les affaires, porte la Loy de Dieu dans son cœur. Que dirons-nous de celuy qu’une Auguste Princesse vient de luy donner ? C’est la joye des peuples, c’est la sureté de nos Alliez, c’est la consolation même de nos Ennemis, s’ils sçavent la connoître. Eh ! qui ne seroit touché de cette benediction du Ciel sur nôtre maître, inconnuë à tous les Princes de la terre, depuis que les jours de l’homme furent abregez. Que pouvons nous souhaitter davantage ? Qu’il vive, Messieurs, qu’il vive assez pour former de ses mains les Enfants du Prince qui vient de naître. Mr l’Abbé de Clerembault, Chancelier de l’Academie, répondit à Mr l’Abbé de Polignac, & aprés luy avoir marqué la joye que l’Academie avoit de l’avoir pour Confrere, il fit l’éloge de Mr l’Evêque de Meaux, & ensuite de Mr l’Abbé de Polignac ; il dit en parlant du Roy, qu’il augmentoit sans cesse d’une maniere si haute & si nouvelle que nos anciennes & justes loüanges ne se trouvent plus en aucune proportion avec luy ; & ainsi absolument reduits au silence, il ne nous reste plus que de sommer ses envieux & ses Ennemis, qui aveuglez par leur malignité, nous reprochoient souvent nôtre exageration excessive, de reconnoître au moins à present l’accomplissement de ce que promettoient ces vifs témoignages de nôtre admiration, leur voulant bien passer pour heureuses Propheties, les hommages solemnels rendus si legitimement à ses actions immortelles : & bien loin de pouvoir estre suspects de flatterie, pouvoient-ils dès lors honorer assez dignement un Prince, qui s’étant formé dés sa jeunesse à la noble habitude du travail, & parvenu par cette assiduité si constante & si rare à gouverner un grand Estat, avec la facilité & le détail dont on gouverneroit bien une simple famille, a commencé depuis prés de quarante années, par une suite d’évenements glorieux & non interrompus, à desabuser les hommes de cet absolu & tyrannique empire du hazard, même dans les choses de la guerre ; la droite raison leur faisant enfin appercevoir qu’une si longue durée de tant de succez heureux, ne peut avoir d’autres causes que les regles invariables de cette prudence suivie, toûjours maîtresse de la fortune ; qui a si peu reconnu le pouvoir de cette capricieuse que dans la guerre precedente, malgré les efforts redoublez de cette ligue generale, la plus formidable de celles dont les histoires fassent mention, exempte du seul deffaut capable de la pouvoir ruiner, par son étroite & durable union, il a sçû en l’humiliant, par des pertes continuelles, nous mettre dans le tranquille & glorieux état de ne plus craindre pour mauvais évenements, que des defaites éludées par nos Ennemis, ou des victoires peu importantes, remportées sur eux ; qui ayant toûjours deconcerté & rendu vaine par la sagesse & la vigueur de ses Conseils, cette pretenduë capacité qu’on croyoit remarquer dans les leurs, les a reduits le plus souvent à deliberer aprés l’occasion, à la mode des Phrygiens, comme il se faudroit conduire une autrefois ; & qui aprés avoir enfin convaincu ces perpetuels jaloux de sa grandeur, de la triste verité qu’ils se vouloient cacher ; que toutes les Puissances unies ne peuvent se maintenir que par la moderation d’une seule, leur accorda la paix qui leur fut si salutaire, & à laquelle, pour mieux assurer le repos du monde, il voulut bien sacrifier une partie de ses conquestes.

Que si nous ne pouvions refuser à tant de merveilles nostre veneration & nos éloges ; quel silence ne doit pas estre imposé à la terre devant celuy qui decide à present de son sort ? car le ciel équitable ne laissa pas long-temps sans recompense de si nobles & de si pures intentions, il luy rendit au double cette gloire qu’il avoit meprisée ; il voulut que ces sentimens de haine & de défiance que conservoit pour nous une genereuse nation toûjours émule de la nostre, fussent entierement éteints & dissipez par son habileté, & que le Roy qui la gouvernoit voyant la branche royale de sa Maison entierement finie en sa personne, en obeissant à la voix de justice (malgré tous les obstacles & les efforts de la rage envieuse d’une cabale opposée) appellast au Trône, qu’il luy falloit quitter, son auguste posterité, en la personne du grand Prince, qui travaille si heureusement à en rétablir la splendeur.

Loin d’estre ébloüi de ces nouvelles grandeurs, nostre Heros toûjours constant à preferer à toutes choses le bonheur du genre humain, mit tout en usage, même contre les regles apparentes de la politique, pour tâcher de l’affermir ; il aima mieux remporter des victoires moins faciles, que de manquer à faire éclater sa moderation, il donna le temps à ses anciens envieux, de bien reconnoître l’injustice de ses droits, & combien leur interest s’y trouvoit conforme ; mais aprés les avoir même reconnus, la noire & opiniâtré jalousie ayant fermé leurs yeux aux lumieres de la raison, ils travaillerent à rehausser sa gloire, en commençant malgré luy cette nouvelle & sanglante guerre, dans laquelle il paroist s’estre élevé au dessus de lui-même ; autrefois Louis le Grand tenant ses Troupes invincibles repanduës sur ses frontieres, étoit la terreur de son siecle, non seulement en faisant échoüer les desseins hardis de tant de peuples conjurez ; mais les épouvantant sans cesse par ses victoires, & par des conquestes faites sur eux ; maintenant il embrasse une grande partie de l’Univers par la puissance de ses Armes ; il attaque ses ennemis, non plus en se contentant de la deffaite de ceux qui défendent l’entrée de leurs Etats, ou de la prise des Places importantes qui paroissent les mettre en seureté ; mais les jettant à tout moment dans l’affreux peril d’une ruine entiere, en penetrant jusqu’au centre de leur païs. Le Danube, les bords de la Mer Adriatique, & les derniers rivages de l’Ocean, un nouveau monde, sont les lieux où s’executent si glorieusement les ordres qu’il donne, & l’on voit en les suivant les Generaux qu’il a formez, & qui conduisent si dignement ses redoutables armées renouveller en nos jours les manieres vives & audacieuses des plus grands personnages de l’antiquité, qui pour mieux assurer la perte de leurs adversaires, alloient si loin de leur patrie se faire un nom immortel ; nôtre siecle se trouvant par là detrompé de son incapacité pour de si hautes entreprises.

[Reception de Mr l’Abbé Abeille à la même Acedemie] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 364-369.

Mr l’Abbé de Choisi, cy-devant Ambassadeur à Siam, dont l’éloquence est connuë, & qui a donné de tres sçavants Ouvrages au public finit cette séance par un tres-bel Eloge de Mr l’Evêque de Meaux.

L’onziéme du même mois, Mr l’Abbé Abeille fut reçû à l’Academie, à la place de Mr l’Abbé Boyleau ; il commença son discours par l’honneur qu’on lui faisoit de le recevoir à l’Academie, & aprés avoir fait l’Eloge des Academiciens, il passa à celuy du Roy, & parla ensuite de la naissance du troisiéme Successeur que le Ciel venoit de donner à S.M. Il dit ensuite, en parlant de ce Monarque.

Il faut avouer, Messieurs, que c’est un regne merveilleux que celuy de Louis le Grand ! regne où l’on ne compte presque pour rien les Siéges, les prises des Villes, les Combats, & les Victoires, regne où tous ces évenemens sont accompagnez de circonstances plus surprenantes que ces évenemens mesme : regne enfin, où dans les plus grands efforts d’une guerre generale, toûjours à l’abry de ses fureurs, nous n’en voyons jamais que ce qui peut plaire.

Il s’étendit ensuite sur l’Eloge du Cardinal de Richelieu, & sur celuy de Mr l’Abbé Boileau, avec lequel il étoit lié d’une amitié particuliere, ce qui luy donna lieu de parler du caractere de son cœur & de son esprit, dont il avoit une parfaite connoissance. Mr l’Abbé Regnier des Marais, Secretaire de l’Academie, lui répondit. Il parla d’abord des deux pertes que l’Academie venoit de faire, & s’étendit ensuite sur les loüanges de Mr l’Abbé Abeille, & passant de là à l’éloge du Roy, il dit :

C’est à ses Etendars que la victoire est attachée, c’est luy qui remplissant ses Lieutenans de son esprit, leur communique en quelque maniere le don de vaincre, en mesme temps qu’il leur donne le pouvoir de commander, Present à tout par ses ordres, il est toûjours par ses ordres à la teste de toutes ses troupes, il atteint d’une extremité du monde à l’autre, & le mouvement qu’il donne de son cabinet aux. Armées victorieuses qui combattent en tant de lieux sous ses auspices, est la glorieuse source des avantages qu’elles remportent par tout sur tant d’ennemis.

Qu’ont fait jusqu’icy les prodigieux efforts de tant de Potentats, que la jalousie de sa grandeur & de sa gloire a de nouveau liguez contre luy, que faire mieux connoistre ses forces & leur foiblesse. Et cela, Messieurs, ne rappelle-t-il pas dans vostre esprit cet endroit d’Homere, où Jupiter dit aux autres Dieux, que s’ils veulent voir, combien leur puissance est au dessous de la sienne, ils n’ont qu’à se réunir tous ensemble contre luy seul.

Mais pourquoy chercher dans la Fable des comparaisons aux grands succés, que le zele & la pieté d’un si grand Prince attire tous les jours du ciel sur ses armes. Cessons même d’attribuer la celerité des expeditions, la prise des Places, le gain des batailles à sa Sagesse, qui prevoit, qui prepare, qui ordonne tout, & à l’ardeur qu’il inspire aux moindres Soldats pour executer ce qu’il ordonne. Et remontant à la premiere origine de tant de prosperitez, donnons-en comme luy, toute la gloire à celuy qui en est le Suprême Auteur, & qui pour en perpetuer le cours, vient de surpasser en sa faveur, & en faveur de toute la France, la plus grande des recompenses temporelles qu’il ait jamais promis de donner à ceux qui le craignent.

[Réjoüissances faites à Lyon] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 369-375.

À peine eut on appris à Lyon la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne qu’on l’annonça au peuple par la décharge de toute l’Artillerie de l’Arsenal, du Château de Pierre en Cize, & du Boulevart d’Alincourt ; on tira aussi quantité de Boëtes, & Mr l’Archevêque de Lyon envoya à toutes les Eglises, tant seculieres que regulieres, ordre de sonner toutes les cloches pendant trois jours, ce qui se fit chaque jour à plusieurs reprises. Le Dimanche qui suivit cette nouvelle fut destiné pour le Te Deum. On le chanta dans la Cathedrale ; & comme il n’y a ny Orgues, ny Musique, les Trompettes, les Tambours, les Fifres, & les Haut bois répondirent à la voix des Prestres ; le Présidial, le Bureau des Tresoriers, l’Election & le Consulat y assisterent en robes de ceremonie. Le troisiéme de Juillet on fit joüer sur le Pont de pierre un tres-beau feu d’artifice ; toutes les fenestres furent éclairées par un nombre infini de lanternes. Les deux Montagnes de Forviere & des Chartreux parurent toutes en feu. Celle de ces Solitaires attira particulierement les yeux des Spectateurs. Leur nouveau Superieur avoit donné de si bons ordres, que toute la Plate-forme de la maison fut pendant toute la nuit éclairée par une infinité de pots à feu, & de torches ardentes, dont il fut complimenté & remercié. La Maison de Ville & le Monastere des Dames de Saint Pierre furent tres-bien éclairez. Il y eût-des feux d’artifice dans tous les quartiers, sçavoir un pour chaque quartier. Les Officiers de chaque quartier étoient à la teste de leurs Troupes, & les uns & les autres étoient fort lestes. Ces feux ne furent tirez que fort tard ; on avoit ordonné qu’on n’y mettroit le feu que lors que celui de la Ville seroit tiré Mr le Prevost des Marchands alluma les feux des principaux Officiers qui l’en avoient prié ; il trouva dans toutes les ruës où il alla des tables chargées de toutes sortes de rafraîchissemens ; elles le furent pendant tout le jour, & tous les passans furent invitez à boire à la santé du Roy & du nouveau Prince. Il y avoit à tous ces feux des figures ou des ornemens peints, & même beaucoup d’artifices. Tous ces feux étoient d’une structure differente, & d’un dessein particulier, ils étoient accompagnez de devises & de vers, il y en eût trente-cinq, la Ville de Lyon avant autant de quartiers. Le vin fut abondamment répandu, la Ville en avoit fait porter dans toutes les Places, ce qui n’empêcha pas que beaucoup de particuliers n’en fissent couler des fontaines devant leurs logis. Mr de Guyet Intendant de Lyon estant à Paris, Me Guyet ne se contenta pas de faire couler une fontaine de vin devant son Hôtel, elle fit aussi faire un feu d’artifice, & distribua beaucoup d’argent, ainsi que Me la Comtesse de Chamillart sa fille. Le 16. le P. Gaucher Regent de Rhetorique du grand College des Jesuites recita le Genethiaque du jeune Prince, & le fit avec autant d’éloquence que de bonne grace ; ce Pere est fort consideré dans sa Province, il y enseigne la Rhetorique depuis plusieurs années, & il se fait admirer par les pieces qu’il compose, ou qu’il fait representer. Le discours qu’il prononça fut regardé comme un chef-d’œuvre, tant à cause des pensées que du tour & de la belle latinité. Mr l’Archevêque accompagné de plusieurs Comtes de S. Jean y assista le Consulat s’y trouva aussi, ainsi qu’une infinité de personnes distinguées par leurs emplois, ou par leur esprit. Le 21. du même mois Mrs les Comtes de Saint Jean signalerent leur zele pour la Maison Royale par un tres-beau feu d’artifice qu’ils firent tirer dans la place de leur Eglise. Le dessein en estoit fort ingenieux. Mrs du Consulat, pour leur faire honneur, firent éclairer la Maison de Ville, de la même maniere qu’elle l’étoit le jour de la feste generale. Enfin le second College des Jesuites, pour ne le point ceder au grand, fit aussi reciter une Harangue par le P. Raysonnet, qui s’en acquita parfaitement bien. Mr de Montezan Prevost des Marchands, & ancien premier President au Parlement de Dombes a témoigné tout le zele qu’on peut souhaiter d’un bon sujet en cette rencontre.

La plûpart des Divises & des Inscriptions qui parurent dans les ornemens des feux d’artifices qui furent tirez, sont de la composition de Dom de la Marez, Chartreux.

[Fête donnée par Mr le Cardinal d’Estrées]* §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 375-377.

Je ne vous diray rien de la feste qui a esté donnée par Monsieur le Cardinal d’Estrées & qui a fait icy tant de bruit, puisque vous en trouverrez la description dans un Livre intitulé Quatre Soleils vûs en France ; ce Livre est de la composition du Pere Menestrier Jesuite, qui par les recherches qu’il a faites avec grand soin de tous les spectacles anciens & modernes, s’est acquis une parfaite connoissance de tous les spectacles, dont il donne souvent des Leçons à ceux qui se veulent distinguer par des festes publiques. Il y a long temps qu’on n’en a donné en France d’aussi considerable que celle de Monsieur le Cardinal d’Estrées. On ne doit pas s’en étonner, ce Cardinal étant magnifique, de bon goût & zelé pour la Famille Royale. Sa magnificence a paru dans tous les lieux où la superiorité de son genie s’est fait voir pour le bien des affaires du Roy.

[Lettre écrite d’Evora le premier Juin 1704 par le General Fagel à Mr d’Ouverkerque, laquelle a esté interceptée ; cette Lettre est tres-curieuse] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 377-386.

Je ne doute point que la lecture de la Lettre qui suit ne vous fasse beaucoup de plaisir, elle peut passer pour un morceau d’Histoire, digne d’estre conservé ; enfin, quoique cette Lettre s’explique nettement, elle ne laisse pas de faire beaucoup plus concevoir qu’elle ne dit.

Lettre écrite d’Evora le premier Juin 1704. par le General Fagel à Mr d’Ouverkerque, laquelle a esté interceptée.

Je me suis réjoüi, Monsieur, de la justice que nos Seigneurs les Etats vous ont renduë, en vous préferant à vos Concurrens. J’aurois esté fort heureux si j’eusse pû profiter de cette digne élection pour servir auprés de la personne d’un General instruit & formé par le plus grand Capitaine de son siecle ; mais pour mon malheur j’ay esté destiné à une conqueste imaginaire, & à servir sous un Roy sans Royaume & sans aucune experience, & qui prétend avec tres-peu de troupes & sur la parole de l’Amirante, détrôner un Prince aimé de ses Sujets, favorisé de la fortune & à la teste d’une puissante armée. Si on n’avoit besoin d’autre chose que d’esprit pour faire la guerre, je confesse que l’Amirante seroit un grand Heros : mais ce vaste genie n’empêche pas que nous ne soyons dépourvûs de toutes les choses necessaires. On a dispersé nos soldats dans de mauvaises Places, qu’ils sont obligez d’abandonner sans combattre, s’ils ne veulent pas s’exposer à estre pris à discretion ; & nous avons le chagrin de sçavoir que nos troupes, bien qu’elles ne manquent pas de valeur, se retirent d’abord que les Ennemis paroissent. Nous perdons un grand nombre de soldats par les maladies & par la desertion, ou par les prisonniers que les Espagnols font dans les Places qu’ils prennent de force ; de sorte que nos troupes les pourvoyent de recruës & que nos magasins leurs servent de convois pour leur subsistance. Jugez, Monsieur de la situation d’un Officier qui a servi avec quelque reputation sous un Monarque dont le nom seul faisoit respecter & craindre une armée, & qui se trouve aujourd’hui sous les ordres de deux fantômes de Rois, qui n’ont jamais vû tirer un seul coup de Pistolet & qui se donnent seulement à connoistre par leurs craintes, & par les services qu’ils nous demandent, sans compter la ferocité naturelle des Portugais qui ne sont propres à rien, qui se defient de tout, & qui au milieu de tant de calamitez, ne veulent pas nous laisser la consolation d’en demander le remede à Dieu.

On nous flatte d’une nouvelle entreprise que l’on assure pouvoir retablir nos affaires, & c’est un debarquement que le Prince d’Armstad va faire sur les côtes de Catalogne, où il a des amis qui luy font esperer qu’il sera bien reçû d’abord qu’il y paroîtra, & que beaucoup de Provinces suivront l’exemple des Catalans. Je vous avoüe que j’ay peu de foy à cette tentative, & je crains aussi que l’Amiral de France, qui est déja en mer, n’interrompe ce projet. Je crains fort que toutes ces pretenduës intelligences ne soient fondées sur les promesses de quelques P…… ambitieux, ou de quelques M…… libertins, qui aiment toûjours le changement, parce que je ne vois point qu’aucun Gouverneur de Place ny autre personne d’autorité ait donné aucun signe de vie en nostre faveur. Il est vray qu’on nous promet qu’ils se declareront lorsque nous aurons des forces superieures, qui est la même chose que de dire, quand nous n’aurons pas besoin de leur secours. Nous sommes arrivez trop tard, le Roy de France a pris les devans, en envoyant de bonnes troupes en Espagne, & a donné des avis salutaires à son petit fils, pour se précautionner contre tous ceux qui lui pouvoient estre suspects. Ce grand Politique se mocque de nos projets, & rend par sa prevoyance toutes nos entreprises inutiles : tenez pour tres-certain que tant d’heureux succés ne l’humilieront point, comme nous l’avons projetté, principalement depuis que les Souverains vont en personne grossir sa Cour, comme ils faisoient celle du Sage Salomon. Il n’y avoit que le Roy Guillaume capable de faire teste à Louis ; aussi vous voyez comment vont nos affaires depuis que le Ciel nous a privé de ce fameux Protecteur. Pour le dire en un mot, je prevois que cet armement, qui a coûté des sommes prodigieuses à l’Etat, ne nous rendra pas plus glorieux que celuy que nous fîmes l’année passée. Dieu veüille que nous n’ayons pas tardé trop longtemps à retourner nous embarquer, & que nous ne trouvions point en cela de difficultez imprevuës. Le Roy de Portugal ne nous aime pas, il craint les François, il se defie de ses propres Sujets, & jamais il ne persevere deux heures dans la même situation ; enfin nous devons nous attendre à toute sorte d’extremitez. Je n’ay autre consolation que celle de retourner promptement pour aller servir à vos côtez en qualité de volontaire, parce qu’à l’égard de mon Regiment, je ne pourray pas le remettre sur pied en six mois de temps. Assuré de vostre bonne volonté, je me consoleray de toute ma disgrace, étant avec une veritable veneration & une affection tres-respectueuse, &c.

[Second article de morts] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 386-393.

Dame Marie Magdelaine Gabrielle de Rochechoüart-Mortemart, Abbesse de Fontevrault & Superieure Generale de l’Ordre, mourut à Fontevrault le 15. de ce mois, âgée de 59. ans, aprés avoir gouverné cette Abbaye & plus de soixante Monasteres qui en dépendent, avec autant de conduite que de pieté, pendant trente-quatre années. Elle avoit succedé en 1670. à Jeanne-Baptiste de Bourbon, Fille naturelle du Roy Henry IV. Cette Abbaye n’a jamais esté possedée que par des personnes de la plus haute distinction. Elle a eu quatorze Princesses pour Abbesses, entre lesquelles il y en a eu cinq de la branche Royale de Bourbon.

Fontevrault est un Ordre Religieux, fondé par le bien-heureux Robert d’Arbrisselles, l’an 1100. quelque temps aprés la celebration du Concile de Poitiers ; il est sous la Regle de S. Benoist. Robert fut d’abord Archidiacre de Rennes ; il eut une Mission particuliere d’Urbain II. pour prêcher aux peuples, & comme il se vit suivi d’une multitude considerable de gens de l’un & de l’autre sexe ; il leur bâtit des Cellules dans le bois de Fontevrault, à trois lieuës de Saumur, sur les confins du Poitou. Ayant ensuite renfermé les femmes à part ; il s’en forma depuis ce celebre Monastere, Chef-d’Ordre, dont l’Abbesse est General. Le Pape Paschal l’approuva, & les autres Pontifes luy accorderent ensuite de grands Privileges. L’Abbé Suger écrivant à Eugene III. cinquante ans aprés la fondation de cet Ordre, luy dit qu’il estoit déja fort augmenté, & qu’on y comptoit cinq ou six mille Religieuses. Les Peres Sirmond & Alexandre ont attaqué la conduite du bien-heureux Robert, sur le chapitre de la pureté ; mais un Religieux de cet Ordre l’a deffendu par une excellente Apologie.

Madame de Fontevrault, dont la mort donne lieu à cet Article, estoit Sœur de Monsieur le Maréchal de Vivonne, de Me de Montespan, & de Me de Thianges. Elle estoit fille de feu Gabriel de Rochechoüart, Duc de Mortemart, Chevalier des Ordres du Roy, premier Gentilhomme de sa Chambre, & Gouverneur de Paris, & de Diane de Grandseigne, fille de Jean, Sr de Marsillac. Je vous ay parlé si souvent de la Maison de Rochechoüart, que je n’ay plus rien à vous en dire de nouveau, sinon que la branche de Mortemart, qui subsiste depuis plus de quatre cens ans, commença en la personne de Guillaume de Rochechoüart, second fils d’Aimery VIII. Vicomte de Rochechoüart, & de Marguerite de Limoges, au commencement du treiziéme siecle.

Messire André Colbert, Evêque d’Auxerre, mourut au mois de Juillet, dans sa Ville Episcopale, aprés une longue maladie. Il avoit eu cet Evêché aprés la mort de Messire N… Colbert, frere de feu Mr Colbert, Ministre & Secretaire d’Etat, & qui auparavant avoit esté Evêque de Luçon. Mr l’Evêque d’Auxerre qui vient de mourir, avoit un frere Jesuite, fort estimé dans cette Societé, & un autre President à Mortier au Parlement de Mets ; ce Prelat avoit esté nommé à l’Evêché d’Auxerre aprés sa Licence, dont il avoit esté Prieur. Il étoit parent dans un degré assez éloigné de feu Mr Colbert, dont je viens de parler, & cousin germain de feu Mr l’Abbé General de Premontré. Il estoit Chanoine de Reims, lorsqu’il fut élevé sur ce Siege. Il avoit paru en Sorbonne avec éclat, & il estoit sorti de sa licence avec beaucoup d’honneur. Le Prelat auquel il succeda a fait des biens infinis dans les deux Dioceses qu’il avoit gouvernez. Feu Mr Colbert eut toutes les peines du monde à le tirer de Luçon, & ce grand Evêque ne consentit enfin à ce changement, qu’aprés avoir obtenu pour son Successeur feu Mr de Barillon, du zele & de la capacité duquel il estoit bien instruit ; quand il eut eu l’agrément du Roy pour ce nouveau Prelat, il consentit sans peine à changer de Siege, persuadé que l’un & l’autre feroient de grands biens dans ces deux Dioceses ; mais Mr Colbert joüit peu de l’Evêché d’Auxerre, où il mourut aprés qu’il en eust pris possession, tout rempli de merites. Sa memoire est en benediction dans ces deux Dioceses. Celuy qui vient de mourir estoit fort zelé pour l’observation des Canons & de la discipline Ecclesiastique.

[Benefices donnez par le Roy] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 393-407.

Monsieur l’Abbé de Quelus, Aumônier du Roy, a esté nommé à l’Evêché d’Auxerre. Cet Abbé est Docteur de Sorbonne ; où il s’est fait resompter il n’y a que quelques mois. La Resompte est un Acte que l’on soutient six ans aprés avoir pris le bonnet de Docteur, & aprés lequel l’on a droit de suffrage dans les assemblées de Sorbonne. Il est fils de N… de Tubieres, fils de Henry de Tubieres de Pestel, & de Levi, Comte de Quelus en Roüergue, & de Dame Claude de Fabert, fille du Maréchal de ce nom, qui ne laissa que trois filles ; sçavoir, Me la Marquise de Beuvron, veuve en premieres nôces de Mr le Marquis de Genlis, dont elle a eu Mes la Maréchale d’Harcourt ; Me la Marquise de Trelon, veuve en premieres nôces de Mr le Marquis de Comminges ; & Me la Marquise de Quelus qui a eu de son mariage trois fils, & une fille mariée à Mr le Marquis de Lignerac, Gentilhomme des plus qualifiez de la Province d’Auvergne ; les fils sont Mr le Comte de Quelus, Lieutenant general des armées du Roy, Menin de Monseigneur, & Epoux de N… de Vilette fille de Mr le Marquis de Vilette, cousin germain de Me de Maintenon ; Mr l’Abbé de Quelus, nomma l’Evêché d’Auxerre, & Mr le Chevalier de Quelus, qui est au service du Roy d’Espagne, où il s’est fort distingué, il commande le Regiment des Dragons jaunes de S.M.C. La maison de Quelus est tres illustre ; elle est sortie de la province d’Auvergne où elle a toûjours tenu un rang tres-distingué. Le Prelat qui donne lieu à cet article, a appris les fonctions de l’Episcopat sous Monsieur le Cardinal de Noailles qui a beaucoup de confiance en lui, & qui l’a souvent employé dans la visite de son Diocese. On ne peut être plus charitable, les Prêtres Irlandois, dont il a la protection, pourroient en rendre témoignage, & il leur a souvent donné jusqu’au dernier sol de ses revenus.

Messire N… de Salettes Evêque d’Oleron, Abbé de Luc, Ordre de S. Benoist, est mort dans son Diocese, âgé d’environ 90. ans. Il estoit des plus anciens Evêques du Royaume ; & il avoit passé la plus grande partie de sa vie dans son Diocese, dont il n’étoit presque plus sorti depuis qu’il en avoit esté nommé Evêque ; sa memoire y sera longtemps en benediction à cause des grands biens qu’il y a fait. Il répandoit presque tous ses revenus dans le sein des pauvres, dont il sçavoit même prevenir les besoins. Il avoit une vigilance Pastorale dans l’exercice de son ministere dont rien n’étoit capable de le distraire. Feu Mr l’Evêque d’Oleron étoit de la province de Bearn, où sa maison a toûjours tenu les premiers rangs. Un Georges de Salettes se dististingua fort à la bataille de Jarnac, où il commandoit un corps considerable ; ce Seigneur s’étoit attaché au Roy de Navarre, qui le donna au Duc d’Anjou qu’il suivit même en Pologne aprés que ce Prince en eut esté élû Roy, aprés la mort de Sigismond Auguste, dernier Roy de la maison des Jagellons. Il y mourut, & y laissa des enfans qui se distinguerent sous le regne du Roy Battori.

Mr l’Abbé de Magny, Doyen de l’Eglise de S. Martin de Tours a esté nommé à l’Evêché d’Oleron. Cet Abbé a travaillé long-temps sous les yeux de Mr l’Evêque de Chartres, & c’est sous ce Prelat dont il a été Grand Vicaire, qu’il a appris tout ce qui regarde l’important ministere de l’Episcopat Mr l’Abbé de Magny quitte un des plus beaux benefices du Royaume, puisque le Doyenné de l’Eglise de S. Martin de Tours est tres-considerable. Celui qui est revêtu de cette dignité à l’honneur d’être Chef d’un Chapitre dont le Roy est Chanoine d’honneur ; ainsi que Mr l’Evêque de Poitiers. Le Chapitre est de fondation Royale. La maison de Mr l’Abbé de Magny est tres-qualifiée. Plusieurs Gentilhommes de ce nom se sont distinguez par les armes ; le pere & l’ayeul de ce nouveau Prelat les ont portées avec une tres-grande distinction, & pour remonter plus haut, Scipion de Magny commanda une partie du secours que le Roy Charles VII. accorda à Marguerite d’Anjou, pour l’aider à remettre sur le trône le Roy Henry VI son Epoux, que le Comte de Derby connu sous le nom d’Henry VI. en avoit dépoüillé.

Le Roy a donné l’Abbaïe de S. Vincent de Luc, Ordre de S. Benoist & Diocese d’Oleron, à Mr l’Evêque d’Acqs, elle étoit vacante par la mort de Mr l’Evêque d’Oleron. Mr l’Evêque d’Acqs est de la maison de Roquecave, une des plus considerables de la Guyenne. L’Abbaïe de Luc a produit d’excellens sujets, & elle a donné plusieurs Prelats aux Eglises du Royaume, sur tout à celle d’Oleron. Personne ne la meritoit mieux que le Prelat à qui le Roy vient de la donner ; il joint à une profonde erudition, une vigilance Pastorale, dont rien ne l’a jamais pû detourner.

L’Abbaye d’Eaucourt a esté donné à Dom Joachim d’Arlus. Cette Abbaïe est une des plus considerables de l’Ordre de S. Augustin, par rapport à son ancienneté, & aux grands personnages qu’elle a produit. Elle est située dans le Diocese d’Arras. Dom d’Arlus est un tres-sçavant Religieux & tres versé dans les antiquitez de l’Eglise ; c’est le témoignage que luy rendent tous les religieux de sa Congregation, qui est une des plus celebres de l’Eglise. Le grand Ordre de S. Augustin a donné plusieurs chefs à l’Eglise, un grand nombre de Cardinaux, & un nombre infini de Prelats à toutes les Eglises du monde. Alexandre IV. avoit esté de cet Ordre.

Le Roy a donné l’Abbaïe du Pin, Ordre de S. Benoist Diocese de Poitiers à Dom le Meignan. Ce religieux est un des ornemens de son Ordre ; il est grand Theologien, excellent predicateur, & ce qui le distingue encore plus, zelé observateur de sa Regle. L’Abbaye du Pin est fort ancienne, plusieurs de ses Abbez, se sont distinguez par leurs talens. Il y en eut un qui prêcha long-temps à la Cour d’Henry III. Rien ne pouvoit arrêter son zele, il attaquoit les vices jusques sur le trône, & le Roy même approuvoit sa liberté Evangelique. Ce Monarque lui fit plusieurs gratifications, & luy donna une pension.

L’Abbaye de Los a esté donnée à Dom de la Fosse. Ce benefice est de l’Ordre de Cîteaux, & dans le Diocese de Tournay. Ce nouvel Abbé est d’un merite distingué, recommandable par plusieurs talens qui l’ont fait considerer dans son Ordre, dés qu’il y est entré. Il est peu de personnes qui sçachent mieux que luy les antiquitez de l’Eglise, il s’y est appliqué dés sa plus grande jeunesse, & il a fait sur ce sujet important d’excellentes recherches. Il seroit à souhaiter qu’il en voulût faire part au public.

L’Abbaïe de saint Sulpice, Ordre de saint Benoît, Diocese de Rennes, a esté donnée à la Dame de la Forest d’Armaillé de Boisgelin ; cette Dame joint à une illustre naissance, toutes les vertus de son état & une grande intelligence dans les affaires. Elle est sortie d’une maison distinguée par les grandes alliances, & par les dignitez importantes qu’elle a possedées. Elle est connuë en Bretagne depuis les premiers Rois Bretons. Les Ducs de Bretagne qui succederent aux Rois, firent toûjours un grand cas de ceux qui portoient ce nom, & cette Maison est encore aujourd’huy au rang des plus qualifiées & des plus distinguées. La derniere Abbesse de saint Sulpice a esté fort regrettée ; c’étoit une Dame d’un merite & d’une vertu éprouvée en plusieurs occasions, & dont feu Monsieur le Duc de Chaunes, Gouverneur de la Province, faisoit un estime tres-particuliere.

L’Abbaïe de Brienne, Diocese de Lyon a été donnée à Me Mignot. Ce nom est fort connu dans le Beaujollois où Mrs Mignot exercent de Pere en Fils, depuis plusieurs années, la charge de Lieutenant-General de Ville-Franche : celuy qui en est aujourd’huy pourvû est Protecteur de l’Academie établie en cette même Ville, depuis quelques années. Me de Beauretour femme en premiere nôces de feu Mr de Maillac étoit sœur de feu Mr Mignot, Pere de celuy-cy.

Le Roy a donné une pension de 400. liv. sur l’Evêché d’Auxerre au Pere Courtaut, Cordelier, qui demeure à Auxerre. Il a passé par toutes les Charges de sa Province & a esté 2. ou 3. fois Provincial, c’est un tres habile homme, & qui aprés avoir travaillé à plusieurs grands Ouvrages, se dispose enfin à les donner au public, il est Docteur de Sorbonne & fameux Predicateur.

L’Abbaye de Moisevaux, scituée en Alsace, a esté donné à Me de Truxes. Cette Dame est sortie d’une tres ancienne Maison, connuë depuis plusieurs siecles en Allemagne, d’où elle est venuë s’établir en France, il n’y a pas long-temps. La Dame qui donne lieu à cet article, meriteroit un éloge particulier par les rares qualitez que la nature a pris plaisir de rassembler en elle ; mais celles qui sont necessaires pour le gouvernement d’une Maison Religieuse, sont aussi celles dont il semble qu’elle luy ait esté plus prodigue. Le choix que le Roy vient de faire de sa personne consolera cette Communauté de la perte qu’elle a faite de sa derniere Abbesse, qui estoit une fille d’un grand merite & d’une vertu qui luy attiroit la veneration de tous ceux qui la connoissoient. Elle est morte dans de grands sentimens de pieté.

[Service fait au College de Navarre] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 407-408.

Le Lundy 18. Août, on fit un service solemnel dans la Chapelle du College de Navarre, pour feu Mr l’Evêque de Meaux, Proviseur de cette Maison & Conservateur des Chartes de l’Université. Monsieur le Cardinal de Noailles qui luy a succedé en cette dignité, Officia & Mr l’Abbé de la Loubere, Docteur de Sorbonne prononça l’Oraison Funebre de ce Prelat. Elle fut trouvée fort éloquente. Aussi estoit-elle remplie de quantité de traits fort glorieux au deffunt. Cet Abbé s’étendit fort sur le zele que Mr de Meaux a fait paroître en défendant la pureté de la Doctrine de l’Eglise, ce qui luy donna lieu d’entrer dans une sçavante discussion des ouvrages de ce Prélat, sur tout de ceux qui regardoient les Protestans : il fit un magnifique éloge du celebre Livre des Variations, Livre en effet qui doit rendre le nom de Bossuet immortel. Il toucha avec delicatesse les derniers Ouvrages de Mr de Meaux.

[Nouveaux Intendans des Finances] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 408-411.

Le Roy vient de créer deux nouvelles Charges d’Intendans des Finances. Mr Guyet Maître des Requêtes, & Intendant à Lyon, a obtenu l’agrément de l’une de ces Charges. Jamais personne n’a mieux merité les graces du Roy ; c’est un Magistrat éclairé, rempli de probité, doux, gracieux & magnifique. Il est fils de Mr Guyet, ancien Conseiller au Parlement de Dijon ; il a une sœur mariée à un Conseiller de ce même Parlement & deux freres Abbez. Me Guyet son épouse, est de la maison des Carré de Bourgogne & de la branche établie à Châlons sur Saône. La maison de Mrs Guyet est ancienne dans le Parlement de Bourgogne, où elle est alliée à tout ce qu’il y à de plus considerable dans ce Parlement ; sçavoir, aux maisons de Berbizy, de Mongey, Boyer, le Compasseur, de Vernaux & plusieurs autres. La fille unique de Mr Guyet a épousé Mr le Comte de Chamillart, frere de Mr de Chamillart, Ministre & Secretaire d’Etat. Il s’étoit attiré à Lyon l’amour & l’estime de tout le peuple & de toute la Noblesse. Il a esté cy-devant Intendant à Pau, où il ne s’étoit pas moins attiré les cœurs de toute la Province.

L’agrement de l’autre Charge d’Intendant a esté donné à Mr le Rebours, fils de Mr le Rebours, ancien President du Grand Conseil ; Celuy dont je vous parle a esté Conseiller au Grand Conseil & a rempli la premiere commission des Finances d’une maniere qui luy a fait meriter l’agrément de la Charge qu’il vient d’acheter, & cet employ n’étant pas incompatible avec la Charge d’Intendant, il exercera l’un & l’autre. Il est cousin germain de Me de Chamillart. La maison de Rebours est tres-ancienne dans la Robe.

[Intendance de Lyon donnée à Mr Truden] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 411-412.

Mr Truden, Maistre des Requestes, a esté nommé Intendant de Lyon à la place de Mr Guyet. Il est fils de feu Mr Truden aussi Maistre des Requestes. Il a une sœur mariée à Mr Voisin Conseiller d’Etat. Il estoit fort estimé dans le Conseil, & feu Mr son pere, qui estoit tres bon Jurisconsulte, ne l’étoit pas moins. Il avoit fait voir ses lumieres dans des affaires tres-épineuses ; & feu Monsieur le Chancelier le Tellier, qui en faisoit un cas singulier & qui avoit en lui beaucoup de confiance, l’employoit dans les affaires de la plus difficile discussion, & lui en envoyoit souvent de tres-importantes. Feu Mr Truden avoit pris un soin particulier de donner une excellente éducation à ses enfans. Me Voisin en est une preuve sans replique. Cette Dame a beaucoup d’esprit & s’est toujours attachée à la lecture des Historiens, où l’on peut dire qu’elle a fait de grands progrés.

[Depart de Mr le Marquis de Castel dos Rius, Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 412-414.

Enfin Mr le Marquis de Castel dos Rius, Ambassadeur d’Espagne, est parti. La situation où estoient les affaires dans le commencement de son Ambassade, la sagesse & la delicatesse d’esprit qu’il falloit pour les manier, sa prudence, ses manieres galantes & magnifiques & mille autres choses qui l’ont fait admirer pendant tout le temps de son Ambassade, m’ont donné lieu de remplir mes Lettres de cent articles à sa gloire que je ne vous repete point. Cet Ambassadeur avoit conçû un si grand amour pour le Roy, & Sa Majesté avoit une si grande estime pour ce Ministre, qu’il ne pût s’empêcher de laisser paroître ses larmes lorsqu’il prit congé de ce Prince. Le Roy qui s’en apperçût & qui se sentit lui-même attendri, empêcha que cet adieu n’eût de plus longues suites, & dit à cet Ambassadeur qui partoit pour aller prendre possession de la Viceroyauté du Perou. Partez, Monsieur, vous reviendrez plus riche, mais non pas plus grand. Je ne croy pas devoir pousser cet article plus loin ; quand le Roy a parlé, rien de tout ce que l’on pourroit dire, ne seroit capable de toucher.

[Prise estimée douze cens mille livres] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 414-415.

Il ne se passe point de semaine que les Vaisseaux du Roy, ou les Armateurs ne fassent beaucoup de prises sur les Anglois, ou sur les Hollandois. Je ne vous en parle jamais, parce qu’elles se trouvent regulierement dans les Gazettes, toutes les semaines, & que je prétens qu’il y ait toujours quelque chose de nouveau dans ce que je vous mande, quoique le fond de la nouvelle soit generalement connu. Je vous envoye l’article suivant, parce qu’aucune nouvelle publique n’en a encore parlé.

Mr le Chevalier de Fontenay, commandant le Vaisseau le Maurepas, & Mr Monnier commandant le Pontichery, arriverent le 16. de ce mois au Port Louis richement chargez pour la Compagnie des Indes, d’où ils revenoient. Ils ont fait aux Indes une prise estimée douze cens mille livres, & sont revenus sans avoir esté inquietez par aucun Vaisseau Ennemi.

[Nomination de Me de Vivone à l’Abbaye de Fontevrault] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 416.

Le Roy vient de remplir la place de Me l’Abbesse de Fontevrault, dont je viens de vous apprendre la mort. Cette place a esté donnée à Me de Vivonne, fille du Maréchal de ce nom & niece de la défunte Abbesse & de Me de Montespan : elle étoit grande Prieure dans le même Monastere de Fontevrault. Il y a lieu de croire que la conduite de cette nouvelle Abbesse, la regularité de ses mœurs & le bon exemple de feuë Me sa Tante qu’elle a toujours eu devant les yeux & qu’elle a toujours suivi, sont cause du choix que le Roy vient de faire.

[Agrément du Gouvernement d’Ardres donné par le Roy] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 416-417.

Le Roy a accordé à Mr le Tellier de Montmor, ci-devant Lieutenant au Regiment des Gardes Françoises, l’agrément du gouvernement d’Ardres & Comté de Guisnes que possedoit auparavant Mr le Marquis de Bethune. Quand le Roy donne de pareils agrémens, & sur tout lors que les Gouvernemens sont scituez dans des lieux où la guerre se fait sentir, il faut que S.M. soit persuadée de la valeur & de la conduite de ceux à qui elle les donne.

[Declaration touchant la force de la Flotte des Alliez] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 417-418.

Deux prisonniers de Dunkerque, qui se sont sauvez dans le temps de la descente des ennemis à Gilbraltar, ont declaré suivant la connoissance qu’ils avoient, que la Flotte des ennemis n’étoit composée que de 66. Bâtimens, dont il n’y avoit que cinq Vaisseaux à trois ponts ; & six à deux ponts & demi, que tout le reste de cette Flote estoit composé de Vaisseaux & de Fregattes depuis 40. jusqu’à 82, & 86. canons ; que les équipages étoient foibles, & que le Vaisseau sur lequel ils estoient, nommé le Gros Flessingois de 52. pieces, n’avoit que 220. hommes, y compris les Officiers, Matelots, Soldats & Mousses.

Extrait d’une Lettre de Madrid du 19. Aoust §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 418-419.

Extrait d’une Lettre de Madrid du 19. Aoust.

Je profite d’un Courier depêché à Mr de Pontchartrain venant de Cadix, pour vous dire que nous entendrons bien-tôt parler d’une grande action, puisque par un exprés qui vient d’arriver de Malaga, nous apprenons que nostre Armée navale étoit à la vûë de cette Place-là, le 15. au matin, & que Monsieur l’Amiral a envoyé deux petits Bâtimens à rames pour reconnoître la Flotte des ennemis. Le Courier qui a apporté les paquets à Bayonne, a dit que dans le temps qu’il alloit partir de Madrid, on avoit avis que les deux Armées Navales étoient en presence. On assure que ceux de Malaga de Tarife ont secouru Ceuta en Barbarie, qui en avoit un tres-pressant besoin.

[Lettre de l’Armée de Mr le Maréchal de Villeroy] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 419-423.

Je vous envoye une Lettre de l’Armée de Monsieur le Maréchal de Villeroy.

Du Camp à deux lieuës d’Hornberg le 24. Aoust 1704.

Quand Monsieur le Maréchal eût reçû le 20. par un Officier de Baviere, les paquets que Monsieur de Marcin lui envoyoit pour la Cour, il fit partir un Valet de chambre sur le champ, qui porta apparemment le projet de nostre marche. Nous decampames d’Herlacq le 21. matin, nous revimmes passer à Offembourg pour rentrer dans la Vallée de la Kintsche, & de là nous allames camper à Bibrack ; c’est-à-dire trois brigades d’Infanterie, les Gardes, le Roy & Picardie, les Dragons de la generale, & la Maison du Roy. Le reste campa ce mesme jour à Offembourg, sous les ordres de Mr de Roquelaure. Le mesme jour Mr d’Antin qui estoit campé à Haselacq avec un corps de troupes, marcha en avant, & vint jusqu’icy, où Monsieur le Maréchal de Villeroy le joignit le 22. au soir avec la Cavalerie ; car pour l’Infanterie elle ne pût arriver que le 23. au matin, & coucha à moitié chemin d’Hornberg icy, à cause de la difficulté de la gorge qui est trop étroite, & dans laquelle on ne marche pas à son aise. Comme nous ne marchions que pour prester la main à Monsieur de Baviere qui ramene ses troupes en cas qu’il fust suivi & inquieté dans sa retraite. Monsieur le Maréchal fut fort en peine de n’avoir point reçû de ses nouvelles depuis le 20. il partit hier matin à dix heures avec un gros detachement de la Maison du Roy, qui fut suivi deux heures aprés de toute la Cavalerie, qui marcha sans équipages. L’Infanterie est restée icy sous le commandement de Mr de Gassion, avec ordre de se tenir prête à marcher. Monsieur le Maréchal a mandé depuis, qu’à force de chercher, il avoit deterré Monsieur l’Electeur qui marchoit fort lentement, qu’il n’étoit encore qu’à cinq lieuës d’Vlm, & à une journée de Monsieur de Marcin qui faisoit l’avangarde, & que les ennemis ne faisoient aucun mouvement pour le suivre. Nous esperons le voir bien-tôt. On ne sçait pas bien encore s’il a laisse garnison dans Ulm, peut-estre pour arrester les ennemis. Nous sommes campez sur la creste des montagnes à deux lieuës d’Hornberg. Le jour que nous partîmes d’Herlacq, nous envoyames nos gros équipages à Kell.

[Nouvelles d’Italie] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 423-424.

Les affaires de la guerre en Italie sont dans une situation tres-avantageuse. Les Ennemis chassez du bas Pô, ne donnent plus d’inquiétude au Mantoüan ; la prise de Verceil laisse le Milanez en repos, & la démolition de cette place assure pour longtemps ce repos : Cazal va se trouver fortifié par cette démolition, & ses remparts garnis d’une partie du canon que l’on en tire ; l’autre partie & les munitions serviront au siege d’Yvrée où la tranchée doit être ouverte le premier de Septembre. Mr le Marquis de Parelle a abandonné les vallées pour se retirer à Coni, afin d’empêcher la jonction de Monsieur le Duc de Feüillade avec Mr Albergotti. On continuë de fortifier Pignerol, & le fort de Ste Brigitte ; & le Roy se trouve maître de ces deux postes importans, qui ne ne luy ont pas coûté un seul homme. La prise d’Yvrée empêchera que Monsieur le Duc de Savoye ne reçoive aucun secours ; il en demande avec les plus fortes instances, mais outre qu’il ne peut luy en venir assez-tost, si le secours qu’on luy envoyeroit nous étoit désavantageux d’un côté, il nous seroit avantageux de l’autre, puisque nous trouverions les troupes qu’il auroit reçûës, de moins dans les armées des Alliez.

[Perte faite par les Ennemis à l’attaque des retranchemens de Donawert] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 425.

Il ne s’est point donné de bataille depuis plusieurs siécles où le party vaincu ait plus perdu de monde que le vainqueur a fait à l’attaque des retranchemens de Donawert. On vient d’apprendre qu’outre les Generaux d’armée & les Officiers Generaux qui ont esté tuez ou blessez à mort dans cette attaque, & dont je vous ay envoyé les noms, le General Major des Troupes de Franconie est mort des blessures qu’il y a reçûës ; & par une Lettre interceptée on a appris que les Ennemis ont perdu dans la même action 20. Colonels, 31. Lieutenans Colonels, 17. Majors, 36. Capitaines, 196. Lieutenans, & 102. Enseignes.

[Bataille d’Hochstet] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 426-438.

On commence à démesler que les Ennemis n’ont pas remporté à la derniere bataille d’Hochstet une victoire moins fatale : je dis derniere bataille d’Hochstet, parce que vous sçavez que Monsieur l’Electeur de Baviere & Mr le Marquis d’Usson battirent l’année derniere le Comte de Stirum au même lieu. Ce qui s’y vient de passer n’est pas encore bien éclairci ; cependant il paroît qu’au nombre des prisonniers prés, les Ennemis ont fait une perte beaucoup plus considerable que nous, puisque les morts ne ressuscitent point, & que les prisonniers reviennent. Voicy sur quoy mes conjectures sont fondées. Les premieres nouvelles de cette bataille ne sont venuës que par quelques billets des principaux Officiers François à qui les Alliez permirent seulement d’écrire quelques Lettres ouvertes, par lesquelles ils mandoient à leurs parents qu’ils estoient prisonniers, n’ayant pas eu permission de rien mander davantage. Il est vray semblable, pour ne pas dire qu’il est certain, que si les Ennemis n’avoient pas fait de tres-grandes pertes, ils auroient esté ravis que les prisonniers, à qui ils permettoient d’écrire, eussent envoyé d’amples relations de la bataille. Elle consiste en deux articles ; sçavoir, en deux combats donnez l’un à l’aîle droite, l’autre à l’aîle gauche. Les Ennemis qui ont esté enfoncez deux ou trois fois par nôtre aîle gauche y ont perdu beaucoup de monde, parce que le combat y a été fort opiniâtré & que ceux qui sont enfoncez & qui reculent perdent beaucoup plus que ceux qui les poussent. Il n’en a pas esté de même à nôtre aîle droite, où l’affaire a tourné autrement. Les Ennemis favorisez d’un broüillard, ayant passé un marais, & la cavalerie estant dans un terrein trop serré pour agir & pour secourir l’Infanterie, cette Infanterie qui a esté prise en flanc, a esté obligée de se rendre. Voilà quels ont esté les deux combats ; d’où l’on peut inferer que les Ennemis ont eu plus de monde tué, & qu’on nous a fait plus de prisonniers. Ce qui vous paroîtra manifestement dans la suite de cet article.

À peine l’action fût-elle finie que Milord Marlborough & le Commandant des troupes Hollandoises écrivirent aux Etats Generaux & ne parlerent que de ce qui s’étoit passé a l’aile droite, & de la prison de Monsieur le Maréchal de Tallard, ainsi que de 26. Bataillons qui s’étoient rendus, se voyant coupez, sans pouvoir être secourus. Toute la Hollande retentit du bruit de cet avantage, & l’on fit imprimer les Lettres de Milord Marlborough & du General Hollandois qui avoit écrit, & l’on ne par la non plus de ce qui s’étoit passé à l’autre aîle, que si elle n’avoit point combatu. On fit imprimer avec les Lettres dont je viens de parler, des listes des morts & des blessez, presque toutes remplies de faussetez, & l’on y disoit que Mr le Marquis d’Usson, qui avoit gagné l’année precedente une bataille contre le Comte de Stirum, y avoit esté tué, quoyque ce Marquis soit presentement à Paris & qu’il ait quitté l’Armée du Danube, lorsque Monsieur le Maréchal de Marcin y arriva. On tuoit aussi dans ces listes beaucoup d’Officiers qui étoient dans l’Armée de Monsieur le Maréchal de Villeroy.

L’ordinaire suivant, on reçût en Hollande des Lettres qui contenoient ce qui s’étoit passé à l’aîle droite des Alliez, avec des listes des morts & des blessez de cette aîle, qui avoit esté deux fois enfoncée par Monsieur le Maréchal de Marcin ; il fut resolu aprés la lecture de ces Lettres & de ces Listes que tout seroit supprimé pour en ôter la connoissance au public, & que l’on n’en feroit rien imprimer. On apprit aussi qu’on avoit mandé à Mr le Prince de Bade, qui faisoit le siege d’Ingolstadt, en consequence du resultat d’un Conseil de Guerre de lever ce siege & de venir joindre l’Armée avec les troupes qu’il commandoit, ce qui fit connoître qu’il n’étoit que trop certain que l’Armée des Alliez avoit fait des pertes considerables, puisqu’elle avoit besoin du renfort des troupes de Mr le Prince de Bade & qu’elle faisoit lever le siege d’une place importante, dont la prise estoit assurée. Ces faits sont incontestables, & ce ne sont point des raisonnements ; aussi les Ennemis n’ont ils fait aucun mouvement aprés la bataille ; ils ont laissé faire la jonction de l’Armée de Monsieur l’Electeur de Baviere avec celle de Monsieur le Maréchal de Villeroy. S.A.E. ce Maréchal & Monsieur le Maréchal de Marcin souperent le 25. de ce mois à Donneschinguen ; leur Armée aprés la jonction estoit de 85000. hommes ; elle avoit esté jointe par 3800. prisonniers, qui avoient trouvé moïen de revenir. On forma six bataillons de ces troupes. Dans l’avantage remporté par Monsieur le Maréchal de Marcin sur les Ennemis, il gagna 37. Etendarts ou Drapeaux, avec 5. paires de Timballes ; quelques Relations portent, qu’il prit aussi 42. pieces de Canon, & qu’il fit 4. ou 5000. prisonniers, c’est ce que les nouvelles de Hollande prendront grand soin de déguiser. Cependant il est tres constant que les 37. tant Etendarts que Drapeaux sont arrivez icy & que le Roy a dit à Monsieur l’Archevêque ; que dans une pareille occasion ses Ennemis les feroient voir au peuple avec une grande ostentation, mais qu’il se contenteroit de les luy envoyer sans ceremonie, afin de les faire placer avec ceux qui sont déja dans l’Eglise de Nôtre-Dame.

Je viens d’apprendre par les Lettres de la Haye du 28. de ce mois, qu’on y a reçû un état des morts & des blessez à la journée d’Hochstet, qui monte à plus de 12000. hommes, ce qui cause d’autant plus de chagrin aux Etats, que le Duc de Savoye demande aux Alliez du moins 15000. hommes, sans quoy il assure qu’il ne pourra être en estat de se deffendre. On est persuadé en Hollande que ces 15000. hommes detachez de l’Armée des Alliez, les 7. ou 8000. qu’elle a perdus à l’attaque des retranchemens de Donawert & les 12000. qu’elle vient de perdre à la journée d’Hochstet, la rendront beaucoup inferieure à celle de Monsieur l’Electeur de Baviere jointe à celle de Monsieur le Maréchal de Villeroy.

Il y a des Lettres qui portent que Milord Malbourough & le Prince Eugene s’étoient trouvez d’un sentiment contraire, ce dernier voulant que l’on ne fist aucun quartier aux prisonniers. La chose n’est pas difficile à croire, puis qu’on se souvient encore, que dans la guerre precedente, ayant attaqué un Château prés de Pignerol, il fit tirer sur un Prestre, qui se mit à une fenestre pour luy demander quartier, ce qui causa beaucoup d’indignation pour luy parmi les troupes.

Milord Marlborough a accordé à Monsieur le Maréchal de Tallard la permission d’envoyer Mr de Silly pour informer le Roy de ce qui s’est passé à la journée d’Hochstet, & le second fils de Mr le Marquis de Livry estant arrivé ensuite, ces deux Mrs ont ressuscité la plûpart des personnes de qualité, & des Officiers generaux dont on avoit publié la mort. On a aussi appris que les Officiers de la Gendarmerie avoient combatu avec beaucoup de valeur ; & l’on ne peut avoir aucun lieu d’en douter, puisque plusieurs ont esté blessez, ou faits prisonniers, & qu’il y en a même eu de tuez. La perte des ennemis augmente tous les jours, & je viens de voir des Lettres qui la font encore monter plus haut que l’état de 12000 hommes qui a esté envoyé en Hollande. Ils ont perdu le Prince d’Holstein-Beck, le general Danois Bieltezen, & le General Major, Brandebourgeois, Nazamer ; ils avoüent même dans l’imprimé, dont je tire ces noms, que leur perte va à 8000. hommes, & comme leur peu de sincerité sur ces sortes d’articles a toûjours esté connuë, & qu’ils chantent souvent des Te Deum pour des batailles perduës ; on ne doit presque pas douter, que lors qu’ils font monter leur perte à 8000. hommes, ils n’en ayent perdu plus de 12000. aussi a-t-on appris par les dernieres Lettres qui sont arrivées, que leur Armée estoit tellement en desordre, qu’ils ont esté cinq jours sans la pouvoir rassembler. Je ne vous parle point icy de nos morts, de nos blessez, ny de nos prisonniers ; tout ce que l’on en dit est encore si confus, que je craindrois que la liste que je vous envoyerois ne fût pas juste. Il me suffit de vous assurer qu’il est tres-constant qu’il s’en faut plus des deux tiers, qu’elle ne soit aussi nombreuse, que l’on a publié d’abord.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 438-439.

Ceux qui ont trouvé le mot de l’Enigme du mois dernier, qui est le Flux & le Reflux, sont, Mr Devaux Avocat au Parlement de Bretagne, Sénéchal de la Thébaudais. Mrs Bourque ville, Salomon & Compagnon, de la ruë des Vieux Augustins. Mlle Marie Julienne, la Scientifique Parisienne, qui demeure à Nogent, & la Dame la plus gracieuse du Cloistre nôtre-Dame.

L’Enigme qui suit ne sera peut-être pas si difficile à expliquer que la precedente.

ENIGME.

Du repos des humains implacable ennemie,
J’ay rendu mille Amans envieux de mon sort ;
Je me repais de sang, & je trouve la vie
Dans les bras de celuy qui recherche ma mort.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 440.

Je vous envoye une Chanson nouvelle.

AIR NOUVEAU.

En vain d’un amant malheureux
Vous méprisez les tendres vœux.
Malgré vous je veux vivre, Iris, sous vostre Empire ;
Quelque affreux que soit mon martire,
Si j’ose en soupirer, je n’en veux point guerir :
Le plaisir de porter vos chaînes
Me console trop bien des peines,
Que vos rigueurs me font souffrir.
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[Articles reservez] §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 440-442.

L’abondance de la matiere, ne me laisse ny le temps d’ajouter à cette Lettre plusieurs articles qui me restent, ny de place pour les y mettre ; c’est ce qui fait que je ne vous parle point de la situation des affaires des Cevennes, de ce qui s’y est passé depuis quelques mois, & de la mort de Rolland. Je me trouve aussi obligé de remettre au mois prochain tout ce qui s’est passé le jour de la feste de S. Loüis à l’Academie Françoise, à celle des Sciences, & à celle des Inscriptions ; ainsi que les divertissemens qui ont esté donnez à Paris à Madame la Duchesse de Bourgogne, & plusieurs autres articles qui regardent des Particuliers de distinction ; mais vous devez considerer que ma Lettre est si longue, que suivant la grosseur que je me suis proposé, lorsque j’ay commencé à vous écrire, celle-cy est presque double, ce qui ne peut être qu’aux dépens de ceux qui la rendent publique, aprés que vous l’avez luë. Je suis, Madame, &c.

À Paris ce 31. Aoust. 1704.

Avis §

Mercure galant, août 1704 [tome 9], p. 442-443.

AVIS.

Le Public doit être satisfait des deux volumes qui luy ont esté donnez le mois dernier ; tous ceux qui ont lû le Mercure l’ont trouvé si rempli de pieces curieuses, qu’ils assurent que l’Auteur n’en n’a point fait de plus beau, depuis vingt-sept ans qu’il travaille à cet ouvrage. Il estoit accompagné d’un second volume, qui ne contenoit que des réjoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Jamais on ne vit tant de varieté sur un même sujet, tant de fêtes galantes, tant de devises differentes, & tant de choses capables de marquer l’esprit inventif des François. Cependant toutes les rejoüissances n’ayant pû entrer dans ce volume separé, on en a inseré beaucoup dans le Mercure d’Aoust, & comme il n’a pas encore suffi, on mettra le reste de ces rejoüissances dans le Mercure prochain, afin de faire connoître le zele & l’amour des François pour le Roy, & pour toute la Famille Royale.