1704

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1704 [tome 11].
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Mercure galant, octobre 1704 [tome 11]. §

[Service solennel fait à Gien pour Madame la duchesse de Verneüil] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 12-33.

On fit le 18. Septembre un Service solemnel à Gien, dans l’Eglise Collegiale de Saint Estienne, pour Madame la Duchesse de Verneuil, Comtesse de ce lieu. Mrs Robeau Maire perpetuel de la Ville, Louzeau des Renaudieres, & de la Creusette Echevins en Charge, n’oublierent rien pour rendre cette Ceremonie lugubre, des plus magnifiques ; ils crurent devoir cette marque de leur reconnoissance à une Princesse à qui ils avoient eu l’honneur d’apartenir en qualité de Comtesse de Gien, & qui en beaucoup d’occasions les avoit favorisez de sa protection & de son credit. L’Eglise de Saint Estienne, comme la premiere des Eglises de cette Ville, située auprés du Château des Comtes de Gien, & composée d’un Chapitre considerable, dont la dignité de Chantre est la premiere, fut choisie pour cette Ceremonie ; elle estoit toute tenduë de noir, avec un lay de velours chargé des Ecussons de Henry de Bourbon, Duc de Verneüil, joint aux Armes de la Maison de Seguier : La representation estoit élevée au milieu du Chœur, accompagnée d’un nombre infini de Cierges, chargez de leurs Ecussons ; la Couronne de Duchesse estoit couverte d’un crespe, avec les autres marques de la dignité de Princesse.

Le dix-huitiéme de ce mois ayant esté marqué pour luy rendre ces tristes devoirs, tout le Clergé, les Capucins, les Cordeliers & les Minimes s’y rendirent processionnellement, & les Corps de Ville assemblez ; la Messe fut chantée par Mr le Chantre de l’Eglise ; & au milieu de la Messe, en presence d’un grand nombre de personnes de consideration de la Ville, du Duché de Sully, & des lieux circonvoisins. Le Reverend Pere Faulques Chanoine regulier de l’Ordre de Sainte Geneviéve, Prieur de Briquemault & de Chevry sous le Bignon, monta en Chaire, & prononça l’Oraison Funebre ; il prit pour Texte ces paroles du Chap. 46. du L. de l’Ecclesiastique, Vsque in senectutem permansit illi virtus ; & aprés avoir fait voir le danger où se trouvent les personnes mondaines qui ne renoncent aux vanitez du monde, que lorsque le monde est sur le point de disparoître à leurs yeux avec ses vanitez, & qui ne donnent à Dieu que les momens precipitez d’une penitence tardive ; aprés avoir representé le bonheur de ces ames que Dieu enleve du monde dés l’aurore de leur vie, dont il eût peut-être esté dangereux de confier plus longtemps la vertu à l’inconstance du cœur humain, il continua de la sorte : Graces au Ciel je viens faire aujourd’hy l’Eloge funebre d’une Princesse que le Seigneur a prevenuë de ses misericordes dés ses plus tendres années, & qui durant le cours d’une longue vie, ne s’est appliquée qu’à reconnoistre & qu’à imiter les misericordes du Seigneur, dans qui la grace toûjours agissante a esté fertile en bonnes œuvres, & dont la vertu s’est soûtenuë jusqu’à une heureuse vieillesse. Usque in senectutem permansit illi virtus. Je parle, Messieurs, d’une ame toûjours constante dans la pratique du bien, inébranlable au milieu des plus grandes épreuves, que la prosperité n’a point enflée, que l’adversité n’a pu abattre, qui a vû les vanitez du monde sans en estre ébloüie, qui a senti la pesanteur de ses croix sans en estre accablée, & qui à l’abry de ces alternatives malheureuses, où l’on passe si souvent du vice à la vertu, & de la penitence au peché, a suivi le Dieu d’Israël avec une fidelité inviolable dans l’accomplissement de tous ses devoirs, & qui par un rare exemple a sçû dans les differens états d’une vie toute chrestienne, faire succeder à la modestie d’une Fille dans sa jeunesse, la moderation d’une Epouse, dans sa fortune, & la retraite d’une veuve, dans sa viduité,

Aussi, Messieurs, le Seigneur a-t-il pris plaisir de réünir en sa personne toutes les benedictions de l’ancienne & de la nouvelle alliance ; elle a eu comme les Patriarches cette plenitude de jours, qui estoit la recompense anticipée de leur foy. Les richesses ont coulé dans sa famille par les canaux de la justice pour estre employez aux usages de la misericorde. Sa gloire a passé jusqu’à ses enfans par une longue suite de generations, & elle a vu avec joye son illustre fille, approcher du Trône, & faire revivre sous les yeux d’une auguste Princesse, les delices de la Cour, toutes les vertus d’une mere qui en avoit esté l’exemple ; enfin elle a goûté aux approches de la mort ces douces consolations qui sont des avant-gousts de l’Eternité ; elle la regardée, cette mort si terrible à ceux qui aiment la vie, comme le terme de son exil, & le commencement de son bonheur.

Il montra ensuite que ces benedictions de l’Ancien Testament, avoient esté accompagnées de toutes les benedictions de la nouvelle Alliance, par le saint usage qu’elle en avoit fait ; & il continua de la sorte :

Or, Messieurs, qui eut plus de part à cette gloire, que l’illustre Princesse, dont je viens-loüer les vertus, & dont vous ne sçauriez assez pleurer la mort ? Quel usage fit-elle des grands avantages qu’elle avoit reçus de la noblesse de son Sang, de la grandeur de ses alliances, de l’éclat de sa fortune, de la réputation même de sa vertu ? Vous le sçavez : elle fit tout servir à la sanctification de son ame, & au soulagement des malheureux ; elle soûmit sa gloire à la grandeur de Dieu, qu’elle servoit avec une fidelité sans exemple ; elle employa ses biens en faveur des Pauvres, qu’elle secourut avec une charité sans relâche ; toujours constante dans la pratique de la vertu, elle remplit tous les devoirs de la Justice chrestienne ; toûjours bienfaisante dans la dispensation de ses richesses, elle s’appliqua à tous les exercices de la misericorde ; ainsi par sa pieté envers Dieu, par sa charité envers les pauvres, sa vertu s’est soutenuë jusqu’à une heureuse vieillesse. Usque in senectutem permansit illi virtus. Telle fut la vie de tres-Haute, tres-Puissante, & tres-vertueuse Princesse, Charlotte Seguier, Duchesse de Verneüil, Comtesse de Gien, &c.

Il fit voir d’abord en commençant son premier Point le bonheur d’une ame, que Dieu prévient de ses Benedictions dés sa plus tendre jeunesse, & aprés avoir montré les vertus naissantes de Madame la Duchesse de Verneüil, & les loüables inclinations qu’elle avoit à la pieté ; il ajoûta :

Ne vous en étonnez pas, Messieurs, elle avoit pris naissance dans le sein de la Justice & de la vertu. Elle tiroit son origine de Messire Pierre Seguier Chancelier de France, & sortoit d’une maison feconde depuis plus de cinq cens ans, en Magistrats d’une probité reconnuë, d’une science consommée ; hommes équitables, depositaires des loix du Prince, observateurs de celles de Dieu ; rendant la justice, exerçant la misericorde, protecteurs de la veuve & de l’orphelin ; prononçant des oracles sur les Tribunaux, & répandant leurs ames aux pieds des Autels en presence du Seigneur. Hommes en un mot tels qu’il les avoit dépeints à Moyse, & tels que les choisit ce Prophete pour decider les differens de son Peuple.

Ce fut dans cette illustre Maison que la France alla chercher ses Juges pour juger Israël, & il en sortit ce qui ne s’est jamais rencontré dans aucun Royaume, un Chancelier de France, cinq Presidens à Mortier, onze Conseillers, quelques-uns d’Etat, deux Avocats Generaux au Parlement de Paris, sept Maîtres des Requêtes & plusieurs qui échapent à ma memoire, & dont le merite n’échapera jamais au souvenir de la France.

Il entra ensuite en matiere, & fit voir toutes les pratiques de sa pieté dans les differens états de sa vie, soit dans sa premiere alliance avec Maximilien-François de Bethune, dont il releva la gloire de l’auguste Maison établie en France depuis sept cens ans ; soit dans sa seconde alliance, avec Henry de Bourbon, Duc de Verneüil ; qui l’approchant du Trône ne servit qu’à donner plus d’éclat à sa vertu. Il fait l’éloge dans son second Point de sa grande charité envers les Pauvres, soit en les servant dans les Hôpitaux, soit en les retirant du peché. Car, dit-il, il est de plus grandes miseres, que celles que je viens de vous dépeindre, & qui sont le partage funeste des pécheurs. La pauvreté, la maladie, la mort même, dit Saint Augustin, n’est que la suite & la punition de nos crimes ; le peché est donc la plus grande de toutes les miseres ; & il n’est point de misericorde comparable à celle qui s’applique, ou à l’empescher, ou à le reparer.

Telle fut, Messieurs, la charité de vostre vertueuse Duchesse ; non contente de racheter ses pechez par les amertumes de la pénitence, elle voulut racheter ceux des autres par ses bien-faits ; ses richesses ne furent pas seulement employées à éteindre le feu d’enfer, selon le langage du Saint Esprit, elle en porta l’usage plus loin, elle le fit servir à éteindre le feu des plus violentes passions ; & ses mains semblables à celles de l’Epouse du Cantique, distilleront l’amorce premiere, en preservant une infinité d’ames de la corruption du peché, par ses liberalitez : elles allerent, ces liberalitez, jusqu’à fonder une maison de Refuge. Sa charité ingenieuse, aprés avoir fait le bien, trouve le secret d’empescher le mal ; elle ne put voir sans douleur la porte ouverte au libertinage ; & aprés avoir mis en usage tous les pieux artifices que son zele luy inspira pour en retirer tant de filles à qui la necessité fait prendre de si mauvais conseils, qui ne tombent dans le desordre que parce qu’elles sont tombées dans la misere, & qui, comme dit Saint Augustin, ne deviennent coupables, que pour, s’empescher d’estre malheureuses ; qui en un mot ou suivent leurs passions par le penchant de leur cœur, ou répondent aux passions des autres, par le malheur de leur condition. Nostre pieuse Princesse forma le dessein de leur fonder une maison de retraite & de penitence, pour sauver un reste de vertu, ou pour expier de longues années de peché, &c.

Il parla ensuite du zele qu’elle avoit fait paroistre pour faire tomber de dessus les yeux de ses sujets de la Religion prétenduë reformée, le bandeau fatal qui les empêchoit de voir la verité, & aprés avoir fait le Portrait de sa mort pretieuse dans le Convent de Sainte Elisabeth de Paris, il finit de la sorte :

C’est à vous, Dieu d’Abraham & de Jacob, Createur du riche ainsi que du pauvre, à recevoir dans vostre sein une ame qui a répandu si souvent ses aumônes dans le sein des pauvres ; qu’elle soit dans le Ciel l’Ange tutelaire de cette Ville, dont elle a esté la Protectrice sur la terre ; que ses illustres Enfans, soient les heritiers de ses vertus, ainsi que de sa gloire ; qu’elle obtienne les benedictions des Patriarches par une heureuse fecondité à l’illustre Duchesse que la Providence vient de vous donner pour Dame, dans qui le Ciel aremis ses dons les plus precieux, Niéce d’un grand Cardinal, plus illustre par ses vertus que par sa pourpre ; Neveu luy-même de nostre vertueuse Princesse, & qui sortie d’une famille élevée aux plus éminentes dignitez de l’Eglise & aux premieres Charges du Royaume, ne reconnoist point d’autre gloire que celle qui vient de la vertu, qui en est la recompense, & que je vous souhaite, &c.

Cet éloge regarde Madame la Duchesse de Sully, niéce de Monsieur le Cardinal de Coislin, & épouse de Maximilien Duc de Sully, qui n’auroit pas manqué de se trouver à cette Ceremonie, s’il n’en avoit esté empêché par une indisposition. Le Discours dont je viens de vous donner quelques idées, fut generalement applaudi, & il y a lieu de croire qu’il sera bientost donné au Public.

[Histoire de la musique] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 106-108.

Mr l’Abbé de Fournaux dans toutes les occasions marque son zele pour la gloire & le bonheur du Roy. J’ay parlé dans la Relation des réjoüissances sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, de celles qu’il avoit faites en son particulier. Il a fait depuis sur ce sujet des Vers qui ont esté fort bien reçûs à la Cour. Il a voulu estre le premier qui eût l’honneur de dedier un Livre à Monseigneur le Duc de Bretagne, & il a eu cet honneur de si bonne heure qu’il n’a pû estre prevenu, puisque l’ouvrage a paru quinze jours ou trois semaines aprés la naissance de ce Prince. C’est l’Histoire de la Musique dont je parle : on a trouvé l’Epître fort belle & delicatement écrite, & on ne pouvoit loüer avec plus d’Art un jeune Prince de cet âge. Tout ce qui sort de la plume de cet Abbé est tres-estimé, & on espere qu’il donnera quelque jour un Recüeil de ses Poësies diverses. Le public l’attend avec impatience. On y verra d’excellens morceaux en Latin, en Grec & en François.

[Apologie du Tignon] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 108-112.

Les deux Articles qui suivent doivent servir d’intermedes divertissans aux Articles serieux de ma Lettre.

On representa dernierement dans le College de Chartres une petite Comedie, où l’un des Acteurs s’emportant contre le luxe, se déchaîna particulierement contre la coëffure que les femmes appellent un Tignon. Les Vers suivans furent faits sur le champ, pour la deffense d’un ornement qui ne deplaist pas à tout le monde, & qui sied sur tout aux belles.

APOLOGIE DU TIGNON.
VERS LIBRES.

Philinte vous avez beau dire
Qu’un Tignon est impertinent,
Le beau Sexe, en recriminant,
Se tira de vostre satire.
Je le prens sur un autre ton,
Car ce n’est pas assez de rire,
Voyons si vous avez raison
De condamner & de proscrire
Un ornement, qui sans comparaison,
Plaist infiniment d’avantage,
Et fait plus paroistre un visage,
Qu’une cornette qui descend
Depuis le front jusques à la ceinture ;
Dont l’importune garniture
Nous derobe des traits, qui font qu’un cœur se rend,
Dés la premiere vûë, & ne peut se deffendre.
C’est par là que le mien s’est enfin laisse prendre.
Ma Philis en cornette estoit à redouter ;
J’avois pourtant sçû resister
Quand ce fatal Tignon vint mettre en évidence
Une infinité de Tresors,
Dont les charmes puissans répandus au dehors,
Triompherent d’abord de mon indifference.
Osez-vous bien aprés cela,
Sans sentir remords ny scrupule,
Trouver cette coëffure & laide & ridicule,
Et vous faire haïr par là ?
Je pense qu’il vaut mieux s’en prendre à la memoire,
Qui dominoit alors sur vostre jugement.
Puisque vos yeux en voyant l’Auditoire,
Vous démentoient suffisamment.
Au dessus d’un tas de Grisettes,
Vous pouviez découvrir plusieurs beautez parfaites,
Qu’un Tignon favorable offroit au Spectateur :
Alors sans écouter vostre injuste caprice,
Ny faire le reformateur,
Vous leur eussiez rendu justice.
Mais j’allois oublier que vous parliez par cœur ;
Et parliez assis à vostre aise.
Il ne tient donc qu’à s’emporter,
Sans penser à prouver sa These ?
Quand il s’agit de refuter,
Monsieur Philinte, il faut que l’on se taise
Si l’on n’a de bonnes raisons,
Et vos moralitez ne sont que des chansons,
Qui sans cela ne sçauroient plaire :
C’est seulement beaucoup qu’on vous les laisse faire.

[Madrigal sur la mort d’une petite Chienne] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 113.

À Mademoiselle de Cha… sur la mort de sa petite Chienne Nine.

La pauvre Nine entre vos bras
À fini ses destinées,
Pour moy je ne me plaindrois pas
Si j’y finissois mes années.
Pouroit-on plus heureusement
Entrer dedans le monument ?
Nine, que je te porte envie
Et que ton sort me paroist beau,
D’avoir entré dans le tombeau
En sortant des bras de Silvie.

[Mort de Marguerite de Morais de Brezolle, abbesse de Saint Sulpice]* §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 179-193.

Dame Marguerite de Morais de Brezolle, Abbesse de Saint Sulpice, Ordre de Saint Benoist prés Rennes en Bretagne, déceda le 13. Juin 1704. âgée de soixante-cinq ans, aprés avoir esté Abbesse l’espace de 42. ans. Elle étoit née avec de grands avantages de la nature & parfaite d’esprit & de corps ; elle avoit un naturel charmant, l’ame grande & genereuse, le cœur doux & plein de charité, l’esprit vif, penetrant & sublime, une prestance majestueuse, une conversation solide & remplie de douceur, une modestie & une vertu exemplaire, & elle étoit d’une naissance qui l’allioit à un grand nombre des meilleures Maisons de France. La Maison de Morais-Brezolle est originaire de Beauce.

Elle étoit fille de Mre Nicolas de Morais, Seigneur de Brezolle, & de Dame Marguerite de Sevigné, Tante de Mr le Marquis de Sevigné, Lieutenant pour le Roy en Bretagne.

Nicolas de Morais étoit fils d’Urbain, Chevalier des Ordres du Roy, & de Françoise d’Angenne, fille de Jean d’Angenne, Seigneur de Poigny, Chevalier des Ordres du Roy, Ambassadeur en Angleterre, & sœur de Nicolas d’Angenne, Viceroy pour Henry III. au Royaume de Pologne ; Urbain de Morais fils de Jean, & d’Anne d’Aché.

Jean de Morais, fils de Mre Charles de Morais & frere de Gabrielle de Morais décédée en 1614. Abbesse de Saint Sulpice, âgée de 81 an. Ce Charles de Morais dont est issu Jean de Morais, avoit épousé Anne d’Harcourt. Il étoit Capitaine d’une Compagnie d’Ordonnance sous François premier, & fut tué sur la frontiere d’Allemagne. Cette Anne d’Harcourt étoit sœur de Pierre d’Harcourt, Chevalier de l’Ordre du Roy, & son Lieutenant General en Normandie ; Charles de Morais étoit fils de Jean de Morais, Chevalier de l’Ordre du Roy, & de Roberde d’Oinville, de la Maison de Saint Simon.

Jean de Morais Brezolle, étoit fils de Mathurin de Morais & de Catherinne Barnéens ; Mathurin de Morais étoit issu de Guillaume de Morais & de Jeanne d’Espagne, petite fille de Saint Louis Roy de France, étant sortie de Blanche, fille de Saint Louis, & du Roy d’Arragon. Il est rare de voir une suite d’Abbesses parentes, qui ait duré aussi longtemps, sans interruption, tant il est vray que la grande vertu & le merite qui a fait conserver cette Abbaye dans ces familles, y est hereditaire. En effet la Dame du Pont Bellanger a possedé cette Abbaye aprés une de Bretagne. Une Jeanne d’Harcourt, niece de la Dame du Pont Bellanger luy a succedé, qui laissa l’Abbaye à Gabrielle de Morais sa niece, à qui Antoinette de Morais succeda ; aprés elle, fut Marguerite d’Angenne, qui mit la Reforme dans cette Abbaye de Saint Sulpice ; elle étoit niece d’Antoinette de Morais, ladite d’Angenne obtint la Coadjutorerie de l’Abbaye de Saint Sulpice pour Marguerite de Morais sa niece, dont je vous parle aujourd’huy, qui luy a succedé & qui a conservé la Reforme, fait bâtir un Enclos de trois quarts de lieuës, fait bâtir une Eglise avec un Dôme, construire une Orgue magnifique, élever des Dames ses Parentes, & autres Dames, dans sa Maison, toutes sçachant la Musique & à joüer des Instrumens, afin de servir le Seigneur avec plus de magnificence. Elle y a procuré par le travail de ses Religieuses, un Ornement magnifique.

On a obligation à cette Dame de Morais, d’y avoir attiré par sa vertu deux niéces nées en Poitou, une cousine née en Beauce, & deux autres niéces de la Martinique.

Les deux niéces qui son sorties du Poitou sont sœurs. L’aînée se nomme Me de Toucheprest, la cadette Me de Chateaumur ; elles sont filles de Mre Olivier Mesnard, Baron de Chateaumur, Marquis de Toucheprest, & d’une Dame de Morais de la Flocelliere. Ces deux sœurs sont de tres-dignes Religieuses, d’un rare merite, & d’une sublime vertu. Cette Dame de Toucheprest a rendu beaucoup de services à l’Abbaye de S. Sulpice, auprés de feuë Me l’Abbesse sa tante en qualité de Depositaire. Leur maison est une des plus illustres du Poitou. Elle a toutes les mesmes alliances de feuë Me de Morais du costé maternel, & du costé paternel, elle est alliée aux illustres maisons de Rohan Chabot, de Sully, de Beaumont, de la Baume le Blanc, de la Valliere, de la Roche des Aubiés, de Vibrais, de Mortemart, d’Angennes, Maintenon, d’Agennes Poigny, de Vivonne, du Chasteigner, de la Roche-pozé, de S. Gardau en Limousin, de la Trimoüille, de la Moussaye, du Bordage, du Boisorcan, de Nonant, & plusieurs autres, &c.

La cousine est Me de Morais Fortisle, née en Beauce ; elle estoit cousine germaine de la deffunte. Elle a les mesmes alliances du costé paternel que feuë Me de Morais, & du côté maternel elle est alliée aux maisons de Nivernay, de Grancé, de la Riviere, de Chiverny, & parente fort proche de Madame la Duchesse d’Angoulesme, & de plusieurs autres.

Les deux autres niéces de la feuë Dame de Morais sont nées dans la Martinique, d’où elles sont venuës pour se donner à Dieu en cette Abbaye auprés de Me de Morais leur tante. Elles sont sœurs. L’aisnée a le nom Dangenne, & la cadette Dangenne de la Moutonniere ; ces deux sœurs sont d’un tres-rare merite, & d’une haute vertu. L’aisnée, quoique jeune, fut proposée pour une Abbaye, il y a prés de deux ans, qu’elle refusa pour demeurer auprés de feuë Madame sa tante. Elles sont filles de Charles Dangennes Marquis de Maintenon, Gouverneur pour le Roy à la Martinique. Leur grand-Pere estoit Loüis Dangenne Marquis de Maintenon, Baron de Meslay, Chevalier des Ordres du Roy, Ambassadeur Extraordinaire en Espagne ; elles sont alliées de toutes les maisons ci-dessus nommées, & de celles d’Aumont, de Matignon, des Ducs & Maréchal de la Ferté, de Rochefort, d’O, de la Trimoüille, de Poigny, de Rohan, de Salert, de Pommereüil, le Clerc Tremblay, de Cresme Lucé, Darquenay, de Vivonne, Pisani, du Bellay, de Barbançon, Cany.

Ces Dames Dangenne Religieuses de S. Sulpice ont un frere qui passe pour un homme tres-accompli. Il a beaucoup de valeur, ainsi que Mr le Comte Dangennes Poigny son cousin, Colonel du Regiment Royal de la Marine, où Mr le Marquis Dangenne est Capitaine. Mr le Comte Dangenne sert en Italie avec son Regiment depuis prés de quatre ans, & il est tellement attaché au service, qu’il n’est point revenu en France depuis ce temps-là. Il est neveu de la feuë Dame de Morais Abbesse de S. Sulpice, & est fils de Mr le Marquis Dangenne Poigny & d’une Chastillon, descendu de Jean Dangenne, Marquis de Poigny, Chevalier des Ordres du Roy, & son Ambassadeur vers le Roy de Navarre, & depuis vers le Duc de Savoye, pour l’obliger à rendre le Marquisat de Saluce, ou lui declarer la guerre. Il fut aussi envoyé Ambassadeur vers l’Empereur Rodolphe II. & les Potentats d’Allemagne. Jean Dangenne son fils a esté Ambassadeur en Angleterre du regne de Loüis XIII. qui laissa le Marquis de Poigny de la Comtesse de Brezolle ; c’étoit un homme fort sçavant. Ces Familles sont alliées à toutes les maisons dont j’ay parlé cy-dessus & aux Dangennes Maintenon, la Flocelliere, Touche-prés, Beauveau, Boisorcan, Chastillon, de Faucon, de Beauvilliers, Pontchartrain, des Marest, Colbert, Vaubourg, d’Artagnan, & plusieurs autres.

[Mariage de M. le marquis de Bayers de La Rochefoucaut avec Mlle de Turmenyes]* §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 206-208.

Mr le Marquis de Bayers de la Rochefoucaut vient d’épouser Melle de Turmenyes. Je ne vous dis rien de la maison de la Rochefoucaut, elle est si connuë, & je vous en ay si souvent parlé que je ne vous en entretiendrai pas davantage aujourd’huy. Mr le Marquis de Bayers est parfaitement honneste homme ; il a servi avec beaucoup de distinction, & il s’est fait un tres-grand nombre d’amis. Melle de Turmenyes est jeune, belle & bien faite ; elle a l’esprit vif & bien tourné, les manieres fines, aisées & toutes remplies de politesse ; le cœur admirable, un goust tres-particulier pour la Musique, & pour tout ce qui peut rendre parfaite une personne de son sexe. Elle est fille de feu Mr de Turmenyes Garde du Tresor Royal, & sœur de Mr de Nointel, aussi Garde du Tresor Royal, ci-devant Maistre des Requestes & Intendant à Moulins, de Me Huguet, de Me la Marquise des Reaux, de Mr de Montigny, Colonel d’Infanterie, & de Mr l’Abbé de Turmenyes.

[Couplets de Chanson adressez à Me l’Envoyée de Gennes] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 211-214.

Me la Marquise de Mulazzano envoyée de Gennes en France se trouvant sur son depart pour l’Italie, Mr son Epoux ayant fini les fonctions du Ministere qu’il devoit remplir icy pendant trois années, plusieurs personnes ont adressé à cette Dame les Couplets suivans sur le chagrin que son départ est sur le point de causer.

I. COUPLET.
sur l’air de la Sarabande de l’Inconnu.

Quoy ! sans retour nous perdons tous vos charmes.
Rien n’est égal à ce cruel malheur !
Dieux ! que d’allarmes ?
Quelle rigueur ?
Dans tous les cœurs, helas que de douleur !
Pour l’exprimer, c’est trop peu de nos larmes.

II. COUPLET.

Il faut mourir, Iris, lorsque l’on pense,
Que pour toûjours nous cessons de vous voir.
Quelle souffrance !
Quel desespoir !
C’est un tourment, qu’on ne peut concevoir,
Quand le retour, n’adoucit pas l’absence.

III. COUPLET.

Quand vous quittez ceux qu’amour vous enchaîne,
Sçavez-vous bien l’ennuy de tous les cœurs.
Belle inhumaine,
De nos douleurs,
Sentirez-vous, quelles sont les rigueurs,
Et voudrez-vous y penser jusqu’à Genne ?

IV. COUPLET.

Vous partez donc, trop aimable inhumaine,
Rien ne peut plus arrester vos beaux yeux.
De nostre peine
Les plus grands Dieux
Seront touchez, dans le plus haut des Cieux.
Nous plaindrez-vous, quand vous serez à Genne ?

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 214.

L’air qui suit, & que je vous envoye noté, est de Mr Campion de Roüen.

Air Nouveau.

L’Air qui commence par Est-ce un crime, &c. page 215.
Est-ce un crime de trop aimer,
Quand le Ciel nous a fait un cœur sensible & tendre ?
Si l’amour peut forcer les Dieux à s’enflammer,
Un mortel peut-il s’en deffendre ?
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[Fin des Réjoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 223-252.

Quoique vous ayez déja trouvé dans quatre de mes Lettres un grand nombre de Relations des Réjoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; Je crois que vous ne serez pas fâchée de trouver encore dans celle-cy des marques du zele & de l’amour que tous les François ont montré pour le Roy en cette occasion. Mr le premier President du Parlement d’Aix, aprés avoir assisté au Te Deum chanté dans l’Eglise Cathedrale de cette Ville, donna un repas magnifique, & fit servir avec autant de delicatesse que d’ordre & de profusion, six Tables en même temps, & donna ensuite le bal aux Dames dans un Salon de verdure qu’il avoit fait dresser exprés, & qui estoit tout rempli de lumieres au milieu du grand Cours, qui fut precedé d’un feu d’artifice orné de devises à la gloire du Roy & de la Famille Royale, & de tout ce qui peut rendre un feu d’artifice, un spectacle magnifique.

Huit jours aprés qui fut le Dimanche troisiéme du mois d’Aoust, Mr l’Abbé Viany, Prieur de l’Eglise de S. Jean de l’Ordre de Malthe, fit une Feste particuliere dans la même Eglise, où il avoit eu l’honeur de recevoir & de haranguer Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry lors qu’ils visiterent la Provence.

Ceux qui ont vû la situation de cette Eglise, conviennent qu’il n’y a pas un endroit plus propre à faire une illumination Son frontispice est flanqué de deux Tours, au milieu desquelles il y a un Portail gotique avec tous les ornemens qui accompagnent cette bizarre Architecture. Au dessus de la porte on voit un Fronton de même orné de Fleurons, on avoit mis tout le long de ce Fronton des lampions aux Armes de toute la Maison Royale, entre l’espace du Timpan & de la porte on posa les Armes du Roy, au côté droit, & au dessous des Armes du Roy on posa celles de Monseigneur le Dauphin, & à l’autre côté celles de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & au dessous celles de Monseigneur le Duc de Bretagne, & au milieu des quatre Armoiries on plaça cette Inscription :

Auspicatissimis natalibus
SERENISSIMI BRITANNIÆ DUCIS,
Hispaniæ fælicitatis assertoris,
LUDOVICI MAGNI PRONEPOTIS,
LUDOVICI FRANCIÆ DELPHINI NEPOTIS,
LUDOVICI BURGUNDIÆ DUCIS FILII.
OMNIUM SIMUL, UTINAM LONGEVE VIVENTIUM,
ECCLESIA AQUENSIS S. Joannis hierosolymitani,
SOLEMNIA FESTA DD. CO.
Ac etiam PRO VOTO QUINTÆ GENERATIONIS, ET BORBONIDUM PERENNITATE.
ANNO M. DCC. IV. DIE III. Augusti.

Toutes ces Armes estoient entourées de Lauriers & Lacets avec des agrémens d’Or & d’Azur, & accompagnées de lampions. Au dessus du Fronton paroît la forme d’une grande vitre ronde de deux toises de diametre avec des enlacemens gotiques, on mit des lampions qui éclairoient deux Figures, l’une de Religion Chrêtienne, qui écrase sous ses pieds l’Heresie, & l’autre de la Religion de Malthe qui foule aux pieds les Mahometans.

Le grand Balcon de trois toises de long qui regne au dessus de la vitre, fut aussi orné de lampions dessus & dessous ; on posa au milieu les Armes de Monsieur le Grand Maître heureusement regnant, entre deux Piramides enflammées, & avec des devises, où estoient representez les Vaisseaux qu’il a établis dans l’Ordre, & deux en son particulier, avec ces mots, gloriæ regnantis, & un Temple qu’il a orné magnifiquement, aussi-bien que les Ministres qui le servent, avec ces mots ; magnificentia religiosi. Les lampions estoient entre les girandoles qui étoient au dessus du Balcon, & dans le milieu s’élevoit une Piramide d’une toise & demie, ornée pareillement de lampions, où l’on avoit placé le feu d’artifice du dessein du sieur Graille. La Montre du grand Horloge qui est au dessus dans le vuide du Timpan estoit éclairée. On y voyoit une peinture à fresque de la main du feu Peintre Garcin, qui represente les deux Saints Jean qui partagent l’année ; avec ces mots Ego vox, pour marquer l’heure qu’il sonne avec repetition, la porte de l’Eglise estoit ornée de Festons & de Guirlandes éclairées par des lampions.

Sur le grand fronton qui couronne tout le frontispice, on avoit élevé un étendart bleu aux Armes de France, & on avoit placé une prodigieuse quantité de lampions, & comme il se trouve flanqué de deux tours, on les avoit garnies aussi de même d’un nombre infini de lampions, on avoit posé sur leur Piramide des pots à feu, & aux sept fenêtres ou lucarnes des deux Tours, on avoit mis quatorze pots à feu.

On avoit continué les mêmes illuminations sur vingt-deux Piramides qui terminent les Arc-Boutans de l’Eglise, & sur une tour qui la flanque du côté du Presbitere, aussi-bien que sur les trois frontons qui forment la Croix de l’Eglise.

Ce qui paroissoit de plus difficile étoit d’illuminer tout le Clocher, qui a trente-huit toises de hauteur, à prendre sa hauteur depuis le pied ; il est à trois étages, dont le dernier est flanqué de quatre Piramides à jour, & de quatre Frontons. Aux faces du milieu de ces huit pieces d’architecture s’éleve la fleche du Clocher qu’on croïoit impossible d’illuminer, cependant les Sonneurs des Cloches l’entreprirent hardiment sans qu’aucun d’eux ait eu le moindre mal à cause des precautions que Mr le Prieur fit prendre, de crainte que la Feste ne fut troublée par quelque funeste accident. On avoit attaché à la Croix un grand Fanal illuminé, au dessus & à costé du globe où il y a quatre crampons de fer, on avoit mis quatre pots à feu, & comme la pointe est octogone ornée de fleurons gotiques à tous les angles, on avoit mis sur chaque fleuron un lampion, on avoit placé aux huit fenêtres de la fleche des pots à feu, on avoit placé sur les fleurons de la pointe des quatre Frontons de grands pots à feu, & sur les quatre Piramides qui les flanquent, & au dedans des Timpans desdites Piramides qui sont à jour, on avoit mis une infinité de lampions, ainsi que sur les Fleurons des corniches des Frontons. Il falloit ensuite orner les faces du Clocher, & pour cet effet on avoit fait faire de grands Estendars de feu de l’invention de Mr de Maison, Gentilhomme Parisien, qui fit aussi une tres-belle illumination dans une maison de Campagne, composée d’un nombre infini de lampions attachez proprement ensemble, qu’on avoit élevez à quinze toises de haut avec des poulies, ce qui fit un merveilleux effet.

Tout le Bourg S. Jean fit une illumination extraordinaire, la Place quarrée devant l’Eglise fut illuminée sur trois lignes à tous les étages des maisons, à l’exemple de la Maison Prieurale, sur le Balcon de laquelle on fit paroître toute la Famille Royale, & le Baptesme de Monseigneur le Duc de Bretagne qui avoit paru dans la maison de Mr le Premier President, qui étoit l’ouvrage d’un Prestre habitué dans l’Eglise Prieurale de Saint Jean, la grande ruë qui aboutit à l’Eglise fut illuminée de mesme, & le tout ensemble fit un si bel effet, que toute la Ville y accourut.

Si les dehors de l’Eglise furent si bien ornez l’interieur le fut encore mieux. Elle fut tenduë de tres-belles Tapisseries, l’Autel fut illuminé extraordinairement, & au milieu de l’Eglise on éleva un Etendard de feu qui la rendoit plus claire qu’elle ne l’est le jour, on mit grand nombre de Plaques à tous les Piliers & aux Orgues.

Le Samedy au soir la feste fut annoncée par les cloches qui sonnerent à volée, par les tambours, les trompettes & les timbales.

Le lendemain tous Mrs les Commandeurs & Chevaliers, Mr le Commandeur de Coriolis, l’ancien, à leur teste, se rendirent à la grande Messe à laquelle Mr le Prieur les avoit invitez. Ils prirent leur place sur un banc orné au dossier & à l’agenoüilloir d’un Tapis d’écarlate semé de Croix de Malthe, & aprés que la Messe eut esté solemnellement chantée en Musique & au son de l’Orgue, Mr le Prieur precedé du Maistre des Ceremonies & quatre Prestres revestus de Chapes avec leurs Bourdons, parut au milieu de l’Autel & entonna le Te Deum, qui fut ensuite continué par tout le Clergé accompagné des Orgues, pendant lequel on tira quantité de boëtes dans la cour & on sonna toutes les cloches à volée. Toute l’Eglise qui est fort grande fut remplie de tout ce qu’il y a de personnes de distinction dans Aix, & le Te Deum étant achevé, Mr le Prieur dit les prieres accoûtumées & une Oraison particuliere pour la prosperité de la Famille Royale, & donna la benediction du S. Sacrement.

Le soir on chanta l’Exaudiat avec un grand corps de Musique, & pendant la Benediction du Saint Sacrement on fit une nombreuse décharge de boëtes. Tout le Clergé precedé du Maistre de ceremonie marcha ensuite, & Mr le Prieur assisté de ses Officians ayant un flambeau à la main, se présenta sur la porte de l’Eglise, & pendant que la Musique chantoit le Pseaume Exurgat Deus & dissipentur inimici ejus, que les Chapelains de Philippes Auguste chantoient à la bataille de Bouvines, qui fut rangée par Frere Guerin, Chevalier Hospitalier, nommé à l’Evêché de Senlis & ensuite Chancelier de France, sortit de l’Eglise & alluma, au son des trompettes & des tambours le feu de joye, qui étoit orné de festons & de banderoles aux Armes du Roy & de toute la Famille Royale. La nuit étant arrivée on commença l’illumination. On vit dans un instant tout le dehors de l’Eglise & le Clocher en feu ; l’illumination de l’Eglise & du Clocher fut suivie de celle de toutes les maisons de la Place & des ruës du Bourg Saint Jean, ce qui faisoit un spectacle merveilleux, & qui fut vû de l’Estang de Berre à cinq lieuës d’Aix à cause de la hauteur du Clocher, qui paroissoit, pour ainsi dire, une Tour de lumiere.

Demie heure aprés on tira le feu d’artifice, dont les fusées s’élevoient d’une prodigieuse hauteur & alloient tomber dans le grand Cours, semant d’étoiles de feu l’air & la terre où elles tomboient. On détacha aprés, à diverses reprises, une infinité de serpenteaux dans la foule, qui firent un agréable & capricieux desordre, & on mit ensuite le feu aux girandoles qui réussirent parfaitement ; & ce qu’il y eut d’heureux, c’est que le vent qui fut violent jusques à quatre heures du soir, & qui avoit renversé beaucoup de lampions, ayant cessé, on eut le temps de tout rétablir en bon ordre. L’illumination dura plus de trois heures, pendant lesquelles toute la Ville accourut à un si beau spectacle, où l’on voyoit toute l’architecture de l’Eglise marquée avec l’illumination ; les Religieuses mesmes les plus austeres voulurent avoir part à la feste en regardant l’illumination de leurs galeries, & firent des vœux pour la vie & la prosperité de Monseigneur le Duc de Bretagne & de toute la famille Royale. Le Seigneur voulut mesme exaucer les prieres qu’on faisoit pour la pluye, puisque sur les trois heures du matin il en tomba une fort abondante qui éteignit le grand fanal attaché au bout de la Croix de la pointe du Clocher, ce qui fit dire à toute la Ville que jamais Feste n’avoit esté plus complette & plus agreable à Dieu.

Le 25. du mois d’Aoust dernier Feste de Saint Louis, on chanta le Te Deum dans l’Eglise de Mrs les Penitens bleus de Brive, pour rendre graces à Dieu de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne avec les ceremonies accoûtumées. Elle étoit magnifiquement ornée, on voyoit sur le Portail & dans l’enceinte beaucoup de devises & de grandes illuminations. Mr de la Jugie, Chanoine & ci-devant grand Vicaire de Mr de la Met, Prieur de la mesme Ville y officia. Mr l’Abbé Daudy qui a donné au public plusieurs pieces d’Eloquence Latines & Françoises à l’honneur de Sa Majesté tres-Chrestienne, & qui se distingue tous les jours par ses Prédications, y prononça un Discours François qui fut applaudi de toute l’Assemblée. Le soir il y eut un feu d’artifice qui réussit tres-bien & qui avoit esté precedé pendant deux jours de quantité de salves de mousqueterie.

Les Religieux Celestins d’Avignon, seuls de fondation Royale Françoise dans cette Ville, voulant donner des marques sensibles de leur zele & de leur joye, au sujet de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, issu de la Tige glorieuse de leurs Fondateurs & rendre cette Ceremonie pompeuse & éclatante autant qu’il leur estoit possible, inviterent le 13. Aoust Mr Blandichieri, Vicelegat de Sa Sainteté avec les principaux Magistrats & Officiers de la Ville & la Noblesse du Pays, d’assister aux Prieres & aux actions de graces qui se devoient faire en leur Eglise à cause de cette heureuse naissance & pour la prosperité & conservation de son illustre Bisayeul. Ce Prelat suivi des Personnes distinguées du Clergé, du Corps de Ville & de quantité de Noblesse, s’étant rendu le même jour aprés midy à la porte de l’Eglise du Monastere des Celestins, il y fut reçû par le Reverend Pere Superieur de l’Ordre à la teste de sa Communauté, & ayant pris la place qui luy avoit esté préparée, il entonna le Te Deum, qui fut chanté par un tres-grand nombre de Musiciens, & les Oraisons à la fin recitées par le R.P. Superieur de l’Ordre, étant revestu des habits Sacerdotaux. Le soir il y eut un tres-beau feu d’artifice tiré en presence de Mr le Vicelegat, & de toute l’Assemblée devant l’Eglise. Toutes les façades du Convent & des avenuës étoient remplies d’illuminations, & il y avoit un grand nombre de trompettes, de haut-bois & d’autres instrumens qui joüerent sans discontinuer. On tira quantité de boëtes par l’ordre de Mr le Vicelegat, & deux fontaines de vin coulerent depuis midy jusques fort avant dans la nuit.

Je devrois vous parler icy des réjoüissances qui ont esté faites sur ce mesme sujet à Château-du-Loir par Mr Massuë, Procureur du Roy, Maire perpetuel de cette Ville, & Subdelegué de Mr l’Intendant de Tours ; mais comme la Relation de cette Feste contiendroit un Volume entier, je n’ay de place dans cette Lettre que pour vous dire qu’il est impossible de donner de plus grandes marques du zele le plus ardent qu’à fait ce Magistrat : qu’il n’a rien oublié de tout ce qui le pouvoit faire paroistre, & que son esprit n’a pas moins paru dans toutes les parties de la feste qu’il a donnée, que son amour pour le Roy.

[Prieres des quarante heures faites pour la prosperité des Armes du Roy dans l’Eglise des Filles de sainte Elizabeth] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 262-264.

Les Religieuses du Monastere Royal de Sainte Elizabeth du tiers Ordre de Saint François, établies à Paris devant le Temple, ont avec la permission de son Eminence, Monseigneur le Cardinal de Noüailles, commencé le 5. & 6. Octobre 1704. d’exposer le tres-saint Sacrement, pendant lesquels jours l’on a fait dans leur Eglise les Prieres de quarante heures, & demandé au Seigneur la prosperité des Armes du Roy, & la Paix pour son Royaume. Le P. Dom Charles Simon de S. Joseph Feüillant, & le P. Jean-Baptiste, Exdefiniteur & Confesseur desdites Religieuses ont presché pendant les deux jours. Il y a eu chaque jour Salut à cinq heures avec la Benediction du S. Sacrement. Elles continuëront de faire les mêmes Prieres les Dimanches & les Jeudis à quatre heures & demie. Elles diront un De profundis à la fin pour le repos de l’ame de ceux qui sont morts pour le service du Roy & de la Patrie.

[Lettre sur la prise du château d’Ivrée, par Mr de Batteville]* §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 367-378.

La Lettre qui suit parle de la prise de ce Chasteau. Elle est de Mr de Batteville, Commandant du Regiment de Dragons de Senneterre, qui étoit de trenchée le jour que le Chasteau s’est rendu.

À Ivrée le 3. Octobre 1704.

Je montay le 28. la tranchée sur les 4. heures aprés midy. Je relevay Mr Collandre, & le hazard fit que je la montay avec Senneterre ; ainsi c’est le Corps de Dragons qui a eu l’honneur de la reduction de la Place. Monsieur le Duc de Vendosme vint voir la tranchée dans le temps que nous la montions. Il m’ordonna d’envoyer un Tambour à la teste du travail, qui estoit au pied du Glacis, & de faire battre. Aprés avoir fait avertir dans toutes nos tranchées & aux batteries de Bombes & de Canons, qu’elles ne tirassent plus, si-tost que le Tambour auroit battu, les Ennemis parurent dans le moment tous à decouvert, & nous de mesme sur nos tranchées, & il y eut paix de part & d’autre. Je demanday à parler à un Officier ; on en fit avertir un ; il parla à Monsieur de Vendosme, qui luy dit : Monsieur, vous pouvez asseurer vostre Gouverneur, que s’il me laisse loger sur son chemin couvert, il n’y aura plus de capitulation pour luy, & que je feray tout passer au fil de l’épée. Cet Officier, qui estoit un Lieutenant Colonel, fit une profonde reverence, & s’en retourna. Il revint une demie heure aprés demander du temps jusqu’au lendemain. Monsieur de Vendosme luy accorda jusqu’à onze heures. Nous donnâmes des Ostages de part & d’autre ; nous soupâmes tranquillement dans nos tranchées, jusqu’à minuit, que le Lieutenant Colonel apporta des propositions par écrit. Nous l’envoyâmes à Monsieur de Vendosme, qui estoit retourné à son quartier. Il lût tout bas ces propositions, qui le mirent en colere, & qui l’obligerent à dire au Lieutenant Colonel des choses tres-vives. Il nous envoya sur le champ un Ayde de Camp, afin que nous fissions travailler sur nouveaux frais, & tirer sur le Château. Je remenay le Lieutenant Colonel, avec le Major que nous avions en Ostage, à la place du Chevalier de Langon, qui estoit de nostre part dans le Château, jusqu’à la barriere du chemin couvert, où le Lieutenant Colonel me fit des plaintes de la maniere dont il avoit esté traité. Je fis de mon mieux, pour luy persuader que le Prince estoit honneste & incapable de rien dire à personne de desobligeant : je pris le Major à temoin, qui le connoissoit pour avoir servy sous luy l’année passée, lorsque nous desarmâmes les troupes de Savoye. Le Major convint de ce que je disois au Lieutenant Colonel, n’ayant reçû luy-mesme autrefois que des honnestetez de Monsieur de Vendosme. Aprés ce quart d’heure de conversation, je fis entrer le Colonel dans la barriere, & je retins le Major jusqu’au retour du Chevalier de Langon, que l’on me ramena plus d’une bonne heure aprés. Je causay pendant ce temps-là avec le Major, comme si nous avions esté les meilleurs amis du monde, & nous nous fîmes l’un à l’autre beaucoup d’honnestetez. Enfin le Chevalier de Langon arriva, je le reçûs à la barriere, & rendis le Major que j’avois en Ostage. Le Commandeur Teiste, Gouverneur du Château, me parla ; il avoit au-dessus de luy Mr de Crickbaun, General Allemand. Je dis au premier qu’il estoit bon de convenir du temps que nous recommencerions à tirer ; il répondit à la proposition que je luy fis d’un quart d’heure, & de faire donner auparavant quelques coups de baguettes sur un Tambour ; que j’estois le maistre, & qu’il ne feroit point tirer que de nostre part nous n’eussions fait donner quelques coups de baguettes sur un Tambour. Nous nous separâmes là-dessus, avec bien des complimens ; les Assiegez se renfermerent dans leur barriere, & nous nous revînmes dans nos tranchées. Je n’eus que le temps d’aller avertir par tout que la guerre alloit recommencer, qu’on fist éteindre les feux, & qu’on rentrast dans les boyaux. Je revenois à la teste de nostre travail pour faire donner les coups de baguettes, dont nous estions convenus ; mais les Ennemis, qui manquent ordinairement de bonne foy, me previnrent, les firent toucher eux-mesmes, & en mesme-temps ils firent un tres-gros feu de mousqueterie, de bombes, de canon, de grenade & de pierrier sur nos tranchées ; ce qui dura jusqu’à une demie heure de jour, que nous fîmes taire leur feu par un feu superieur de nostre Artillerie. Et dans le temps que nous estions si fort acharnez de part & d’autre ; sur les onze heures & demie que nous allions nous mettre à table, à nostre droite, où je vous diray en passant, que je fis mes efforts pour bien traiter toute ma tranchée ; comme nous allions manger la soupe, qui se trouvoit un peu dérangée par le canon que l’on tiroit du Chasteau, qui nous couvroit de sable & de pierres, quand les boulets donnoient dans les rochers, ces bonnes gens battirent la chamade. J’envoyay aussi-tost par toutes les batteries pour empescher qu’on ne tirast davantage, & je reçûs le mesme Lieutenant Colonel, dont j’ay parlé, que j’envoyay à Mr de Senneterre, qui le mena à Monsieur de Vendosme. Ils se rendirent à discretion. Monsieur de Vendosme m’envoya dire de m’aller rendre maistre du Château, j’y allay avec quatre Compagnies de Grenadiers pour prendre possession des portes. Je rendis visite à Mr Cricbaun, qui avoit esté blessé. Il me reçût dans un endroit qui faisoit peur. C’estoit un souterrain tres-affreux & tres-puant. Je remarquay que tout le Chasteau estoit sens dessus dessous. Voilà l’employ de mes vingt-quatre heures. Je vous en fais un détail un peu trop-long ; mais comme je prends plaisir à vous raconter toutes mes avantures, je vous fais part de celle-cy, & que le Regiment restera dans Ivrée. C’est un tres-bon quartier, outre cela, il luy épargnera la fatigue du siege de Veruë, ce qui est une grande faveur, puisqu’il se reposera prés de six semaines plus que les autres. J’ay demandé à Monsieur de Vendosme d’y commander la Cavalerie, il me l’a accordé, luy ayant representé que je me trouvois le plus ancien de tous les Colonels de Dragons, de Cavalerie, & mesme d’Infanterie de son Armée.

[Journal du Voyage de Fontainebleau]* §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 396-405.

Je ne vous tiendray pas entierement parole à l’égard de ce que je vous ay promis touchant le Journal du Voyage de Fontainebleau. L’article seroit trop long ; mais ce que je vous en diray ne laissera pas de vous faire connoistre tout ce qui s’est passé à ce Voyage.

Le Roy alla coucher dans la belle Maison de Sceaux, qui appartient à Monsieur le Duc du Maine, le jour que S.M. partit pour Fontainebleau. Elle fut regalée en arrivant d’un Concert d’Instrumens. Les Concertans estoient Mrs des Coteaux, Buterne, Forcroy & Vizée, ainsi qu’il l’écrit luy-mesme, & non de Vizé, comme disent plusieurs personnes qui corrompent ce nom. Vous sçavez que ces quatre Mrs sont des plus illustres de leur profession. S.M. alla ensuite promener dans les Jardins, & à son retour Elle fut regalée d’une Musique de la composition d’Antonio, Musicien Italien, & qui est au service de Monsieur le Duc d’Orleans. Les paroles de ce Concert estoient de Monsieur le Duc de Nevers. Monsieur le Duc du Maine fit servir plusieurs tables, outre celle du Roy, pour les Personnes de distinction qui avoient accompagné S.M. Il y avoit plusieurs autres tables à Chastenet, qui est au bout des Jardins de Sceaux. Ces tables estoient pour les Officiers que Mr de Malezieux invitoit de venir prendre place dans des voitures qui estoient preparées pour les y conduire. Comme il devoit tenir ces tables, qui estoient dans le lieu de sa demeure, les Officiers qui y mangerent n’eurent pas seulement le plaisir de la bonne chere, mais aussi celuy de joüir de la conversation d’un homme d’esprit, & profond dans un grand nombre de Sciences.

Le Roy partit le lendemain pour aller coucher à Fontainebleau, où la Cour a toûjours esté fort grosse, quoyque la plus grande partie des Personnes de distinction qui la composent fust alors dans les Armées de S.M. Le Voyage de Fontainebleau estant destiné aux plaisirs, ils y ont tous les jours regné alternativement. Il y a eu de plusieurs sortes de Chasse, & sur tout du Cerf & du Sanglier. On y a tiré ; on y a chassé le Loup ; on y a pesché. Il y a eu de magnifiques promenades autour du Canal. Le jeu a esté grand ; & tous ces plaisirs ont esté meslez de Musique & de Comedies.

Je ne dois pas oublier de vous dire que la Cour d’Angleterre ayant demeuré quinze jours à Fontainebleau, Sa Majesté Britannique s’y est fait admirer à l’ordinaire. Vous sçavez que les graces accompagnent tout ce que fait ce Monarque. Son adresse paroist à la chasse ; son esprit brille dans la conversation ; & sans descendre de son rang, il a les manieres aisées, honnestes au dernier point, & tout-à-fait galantes. Enfin on trouve dans ce Prince mille & mille grandes qualitez, qui charmeront un jour ses Sujets, lorsqu’ils le verront de prés, & qui ont déja inspiré icy de l’amour à tous les Anglois qui ont eu le plaisir de le voir. Cela est si veritable, que toute l’Angleterre en est remplie, ces mêmes Anglois ayant publié à leur retour en Angleterre tout ce qu’ils ont remarqué de grand dans ce Prince, & de digne de leur amour & de leur admiration ; de maniere qu’on peut dire qu’il y regne déja dans une partie des cœurs.

Le 23. de ce mois le Roy partit de Fontainebleau pour se rendre à Sceaux. Le départ de Messeigneurs les Princes preceda de quelques heures celuy de S.M. Monsieur le Duc du Maine leur avoit fait preparer un magnifique repas, & ils se mirent à table en arrivant. Le Roy arriva sur les quatre heures aprés midy, & se promena en Caleche aussi-tost qu’il fut arrivé. S.M. revint de la promenade sur les six heures, & travailla jusqu’à huit que commença un Concert de Clavecin, de Basse de Viole, de Luth & de Flute d’Allemagne. Madame la Duchesse de Bourgogne tint jeu le mesme soir.

Le lendemain le Roy se promena encore en Caleche à l’issue de la Messe. Il travailla ensuite, aprés quoy S.M. se mit à table. Il y eut pendant le dîner une Symphonie de Violons. S.M. se promena ensuite, avec toute la Cour, & alla jusques dans tous les endroits du Jardin les plus éloignez. Il y eut Musique à son retour, de la composition de Mr de la Lande. Cette Musique fut tres-bien executée. Les paroles estoient de Mr l’Abbé Genest. Madame la Duchesse de Bourgogne tint jeu aprés cette Musique ; & ce jeu dura jusqu’à l’heure du soupé. Monsieur le Duc du Maine fit servir à l’ordinaire plusieurs tables à Sceaux & à Chastenet pour les Seigneurs de la Cour, & pour les Officiers de la Maison Royale. Il y avoit un grand nombre de voitures pour aller à Chastenet, & pour en revenir.

Je dois ajoûter icy que le Roy trouva la Musique si belle, qu’il la fit recommencer.

Il n’y eut rien d’extraordinaire le lendemain matin. Le Roy se promena en Caleche jusqu’au dîner, à l’issuë duquel S.M. partit pour Versailles, & alla descendre chez Monseigneur le Duc de Bretagne.

On ne peut trop s’étendre sur les manieres genereuses de Monsieur le Duc du Maine envers toute la suite du Roy, ce Prince ayant fait servir des tables pour les Officiers des Gardes du Corps, & pour les Gardes mesmes Le Thé, le Caffé, le Chocolate, & toutes les liqueurs n’ont point manqué pendant tout le temps que le Roy a demeuré à Sceaux.

On ne peut donner trop de loüanges à Madame la Duchesse du Maine, dont vous connoissez la magnificence, l’esprit & le bon goût. Cette Princesse a fait les honneurs de chez elle de la meilleure grace du monde, & avec un empressement, qui faisoit connoistre qu’elle auroit encore plus fait s’il luy avoit esté possible de faire davantage.

[Mort de M. de Bellocq, doyen des valets de chambre du roi]* §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 405-408.

Je ne vous apprends ordinairement la mort que des Personnes distinguées par leur naissance, par leurs Charges, par leurs Emplois, par un fort grand âge, où par beaucoup d’esprit, ainsi vous devez juger que je dois vous parler de feu Mr de Bellocq, Doyen des Valets de Chambre du Roy, & dont la Charge qu’il avoit auprés de Madame la Duchesse de Bourgogne luy procuroit l’honneur d’estre souvent proche de sa Personne. La solidité de son esprit, son bon goût, & ses Ouvrages, luy avoient acquis une grande reputation. Il fit en 1694. la Satyre des Petits Maîtres, dont le succés fut prodigieux, & dont on fit un nombre infiny d’éditions. Enfin jamais Ouvrage n’a esté plus generalement applaudy que le fut cette Satyre. Le Poëme des Invalides ne luy a pas moins acquis de gloire, quoyque d’un genre tout different. Il travailloit peu, & ne travailloit que pour la gloire, & non pour faire des Vers ; de maniere qu’il ne faisoit point d’Ouvrages qui ne fussent extrêmement châtiez. Le dernier qui est sorty de sa plume a reçû de grandes loüanges de toute la Cour, & de tous ceux qui l’ont vû. Le Roy voulant régaler de plusieurs presens Madame la Duchesse de Bourgogne, la premiere fois qu’elle iroit à Marly aprés la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, resolut de les luy faire offrir par plusieurs Divinitez, dans tous les Pavillons de Marly, avec un Madrigal de chaque Divinité adressé à cette Princesse, & S.M. choisit feu Mr de Bellocq pour faire tous ces Madrigaux, qui furent trouvez d’autant plus beaux, qu’ils entroient dans l’intention de ce Prince, qui avoit imaginé cette magnifique & spirituelle galanterie.

Le Roy a donné des marques, aprés la mort de Mr de Bellocq, de l’estime qu’il avoit pour le défunt & pour sa veuve.

[Suite des Essais de Litterature] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 428.

Mr Ribou, qui continue à debiter les Essais de Litterature, vient de mettre au jour le mois d’Aoust. On y trouve un Traité sur les vrayes richesses, fait par une personne dont l’esprit paroist avoir beaucoup de delicatesse.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 428-432.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Mode. Ceux qui l’ont trouvé, sont Mrs

De Vaulx, Avocat au Parlement de Bretagne, Sénéchal de la Thebaudais : Gerig, Baillif du Chasteau de la Bour, en Suisse : Bourquenod, du Cloître S. Honoré : Jean Laisné, de la ruë S. Honoré : Bardet & son amy du Plessis, Chirurgien au Mans : Tortil & son amy Boirat : Cotteret : Levé : Barat, du Chevet S. Landry : de Beauvais de la ruë S. Martin : Chartier, Avocat : le Pere André : Dupré & ses inclinations de nouvelle découverte : Loüis-Antoine, de la ruë saint Bon, & son aimable voisine : Le passionné Greffier du Châtelet : Anthelme : le Major de la Ville du Belley : le Tulliste, Bibliothecaire : les deux jeunes Maistres de Noret, & leur tante Fanchon : Mes de Luiron de Hours : de Blair : de la Puyade : de Segur de Baure : Mlles Maignen, de la ruë S. Honoré : Thain, de Calais : Foisneau l’aisnée : la charmante du Tillet, de la ruë des vieux Augustins, & son fidele : les Filles Orphelines, de la ruë Ste Avoye : Manon des Neiges, proche la Bastille : les Vertueuses Latines : Tamiriste & sa fille Angelique : Parfaite de la perfection : la Merveille du Mont Jura : l’incomparable Therese : la Bergere Climene, & son Berger Tirsis : l’illustre & l’incomparable du Marais : la petite Brunette, & la Jardiniere de Chaillot.

Je vous envoye une Enigme, qui m’est venuë de Ligourne.

ENIGME.

Dans le lieu le plus sombre
J’étale mes beautez,
Sans y souffrir d’autres clartez
Que celles dont mon feu fait voir une belle ombre.
***
Semblable à ses Originaux,
Ce qui sort de mon sein, imitant la peinture,
Hommes, femmes, enfans, élemens, animaux,
Tout y paroît aussi grand que nature.
***
Plus leger que le vent,
Et de même impalpable,
En un instant je disparois souvent,
Et mes vives couleurs sont une belle Fable.
***
Avec plaisir le curieux
Voit ce que je produis, & ma beauté l’enchante ;
Mais sans que par trop je me vante,
On ne sçauroit me voir sans détourner les yeux.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1704 [tome 11], p. 432.

Je vous envoye un Air nouveau.

AIR NOUVEAU.

L’Air qui commence par Quand je choque le verre, &c. doit regarder la page 433.
Quand je choque le verre avec vous ma Silvie,
Bacchus se fait honneur de ceder à vos coups.
Les plus doux plaisirs de la vie
Sont ceux qu’on goûte prés de vous.
Sans vous tout déplaît, tout ennuye ;
Les jeux, les ris n’ont rien de doux,
Si vous n’estes de la partie.
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