1705

Mercure galant, avril 1705 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1705 [tome 4].
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Mercure galant, avril 1705 [tome 4]. §

[Sonnets] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 87-92.

Les deux Sonnets qui suivent tiendront bien leur place aprés tant de si tristes articles.

BOUTS-RIMEZ
Donnez par Mr le Lieutenant de l’Amirauté, pour estre remplis à la louange de Monsieur le Comte de Toulouse.
SONNET.

Que vois-je ! & quel Heros represente ce Buste :
Un Prince, qui de l’Inde au climat des glaçons
De lauriers immortels fera plus de moissons,
Que celuy que la Fable a dépeint si robuste.
***
Issu d’un Roy plus grand qu’Alexandre & qu’ Auguste ;
De ce fameux Vainqueur il suivra les leçons,
Tandis que les neuf Sœurs diront dans leurs chansons :
Son cœur est aussi grand que son esprit est juste.
***
Il répand ses bien-faits sans bruit & sans orguëil,
Il adoucit les maux par un charmant accüeil,
Et leur sçait opposer une puissante digue.
***
Grand Dieu ! qui de son cœur fais mouvoir les ressorts,
Et qui de tes faveurs luy fut toûjours prodigue
De sa jeune valeur modere les transports.

DEVISE.

Un Soleil avec une Lune au-dessus d’une Mer, avec ces mots :

Mutuato sub lumine splendet.

SONNET EN BOUTS-RIMEZ,
Donnez par Mademoiselle de Bourbon, & remplis sur le desir qu’elle a de prendre l’Habit de Religieuse, à Fontevrault.
SONNET.

Muse ! de mon cerveau comme d’une Escarcelle,
De tirer quelques Vers on m’impose la loy ;
Mais je crains ce qu’ont dit des gens de bonne foy
Du sort du Papillon qui brûle à la chandelle.
***
Il s’agit de loüer ce feu dont étincelle,
La Princesse qui sort du Sang de nostre Roy.
On luy voit fuïr le vice avec plus d’ effroy
Qu’un Amant qui surpris se cache à la Ruelle.
***
Pleine de cet esprit du Pontife Sadoc,
Son cœur pour son Dieu seul est plus ferme qu’un Roc.
Le Monde vainement luy fait la caracolle,
***
Toûjours victorieuse elle sort du combat,
Et renonce à l’Hymen pour l’heureux Celibat
Aimant plus Fontevrault qu’un Beuveur sa gondole.

[Lettre au sujet du Service & de l’Oraison funèbre de Me la duchesse d’Aiguillon, prononcée à Aiguillon] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 102-138.

LETTRE
De Mr Dumanoir, de Caën, Maistre és Arts, & Professeur de la Langue Latine dans la Ville d’Aiguillon, écrite à un de ses Amis à Toulouse, au sujet du Service solemnel, & de l’Oraison funebre de feuë Madame la Duchesse d’Aiguillon.

Mrs les Maire & Consuls de la Ville d’Aiguillon n’eurent pas plutost appris la triste nouvelle de la mort de Madame la Duchesse d’Aiguillon, que penetrez d’une vive douleur, à la vûë de la grande perte qu’ils venoient de faire, & animez d’un veritable zele de donner des marques éclatantes du profond respect qu’ils ont toûjours conservé pour le grand merite, les insignes vertus, & pour la haute naissance de Madame la Duchesse, & de leur parfaite reconnoissance pour toutes les bontez qu’elle a eu pour eux, & pour la protection dont elle les a toûjours honorez pendant tout le temps qu’ils ont eu l’avantage d’estre ses Vassaux, ils resolurent de faire celebrer un Service solemnel avec toute la pompe & la magnificence possible, tant pour honorer la memoire de cette illustre deffunte, que pour luy rendre leurs derniers devoirs. Tout estant disposé pour cette lugubre ceremonie, ils designérent le 27. de Janvier pour la solemnité. Mr de Gilbert Curé de la Ville, voulant de son costé signaler son zele pour feuë Madame d’Aiguillon, & seconder en tout le louable dessein du Corps de Ville, fit le Dimanche 25. de Janvier aprés le Prône, & la Priere ordinaire de l’Eglise pour les morts, annoncer à tous ses Paroissiens de se rendre le Mardy suivant avec beaucoup de pieté & de devotion dans Saint Felix, pour assister au Service solemnel qui s’y feroit pour feuë Madame la Duchesse, & de prier Dieu avec ferveur pour le repos de son ame. A l’issuë de la Messe de Paroisse, on fit avertir à son de Trompe dans tous les endroits accoûtumez de la Ville, tous les Habitans & Tenanciers de la Jurisdiction qu’ils eussent à y assister avec décence & modestie, & de fermer toutes les Boutiques, comme dans un jour de Feste. Le Dimanche aprés Vespres, les Cloches commencerent à sonner jusqu’au Mardy au soir que la Ceremonie fut achevée.

Le Lundy 26. de Janvier veille de la solemnité, on chanta l’Office des morts. Tous les Ecclesiastiques de la Ville, & un tres-grand nombre de Curez du voisinage qui composoient un nombreux Clergé, & qu’on avoit invitez à cette ceremonie, se rendirent dans Saint Felix, le lendemain de grand matin, pour y offrir successivement les uns aprés les autres le tres-saint Sacrifice de la Messe, pour le Salut de l’Ame de Madame d’Aiguillon.

Sur les dix heures Mrs les Maire & Consuls accompagnez de tout le Corps de Ville, & d’une infinité de peuple, tant de la Ville & Jurisdiction, que des autres Villes & lieux circonvoisins, se rendirent au Chasteau, d’où ils sortirent ensuite pour aller Processionnellement à S. Felix. La marche se fit sans aucune confusion, & le silence qui s’y garda, & la modestie & la pieté qu’on y remarqua firent bien voir que l’air triste & lugubre qui paroissoit empreint sur le visage de tous les assistans, ne venoit que de l’extrême douleur dont leurs cœurs estoient vivement penetrez.

On arriva à la Paroisse qui estoit toute tenduë de drap noir, & ornée d’écussons aux Armes de l’illustre famille de Wignerod, originaire d’Angleterre, écartelées de celles de la tres-ancienne & tres-illustre Maison du Plessis-Richelieu. Toute la décoration funebre estoit tres-belle & tres-bien entenduë.

La Représentation, avec la Couronne Ducale couverte d’un grand crespe noir, estoit sur une estrade au milieu du Chœur de l’Eglise. Il y avoit autour un tres-grand nombre de cierges de cire blanche chargez d’écussons. On voyoit regner au dessus de ce superbe Mausolée, une magnifique Chapelle ardente toute parsemée de larmes, & chargée d’une infinité de cierges, dont la symmetrie & l’ordonnance faisoient un tres-bel effet. Le grand Autel estoit paré de tres-beaux Ornemens, & éclairé d’un grand nombre de lumieres. Tout le monde estant placé & les Reverends Peres Carmes, qui avoient esté invitez à la Ceremonie, estant arrivez, Mr le Curé de S. Felix celebra la Messe qui fut chantée par les Ecclesiastiques, qui y assisterent tous en Corps. Aprés l’Evangile, l’Oraison funebre fut prononcée avec beaucoup de grace & d’éloquence, par le R.P. Raimon de la Communauté des grands Carmes de la Ville d’Aiguillon. Il prit pour Texte ces paroles rapportées dans le second Chapitre du Prophete Malachie, In pace & æquitate ambulavit & multos avertit ab iniquitate : & il commença à peu prés en ces termes :

N’attendez pas, Chrestiens, que dans la triste & lugubre Ceremonie qui vous assemble aujourd’huy, je vienne en presence du Dieu vivant, & à la face des saints Autels, interrompre un auguste & redoutable Sacrifice, pour mêler mes soupirs avec les vôtres, & réveiller par de tristes accens ou par des plaintes entre-coupées, les premiers transports d’une vive douleur qu’excite dans le fond de vos cœurs la perte que vous venez de faire, de Tres-Haute & Tres-Puissante Dame, Madame Marie-Madeleine-Therese de Wignerod, Duchesse d’Aiguillon, Pair de France, Comtesse d’Agenois & de Condomois, qui vient de passer par une mort heroïque à une glorieuse Immortalité ; qui de ce lieu d’exil & de miseres, de cette vallée de larmes & de cette malheureuse Babilone, est passée dans la sainte Cité de Sion, dans la Jerusalem celeste, & qui reçoit dans les Tabernacles éternels le prix de sa fidelité & le fruit de tous ses travaux. A Dieu ne plaise qu’à la vuë d’un passage si glorieux & d’une mort si avantageuse pour elle, je vienne icy renouveller la douleur que vous en avez ressentie, r’ouvrir une playe qui saigne encore, n’y employer de vaines ou de flateuses expressions d’une éloquence mondaine, pour vous porter derechef à une compassion languissante & effeminée, qui n’aboutiroit tout au plus qu’à vous faire répandre quelques larmes : Funeste hommage qui accompagne presque tous les mortels dans leur tombeau ; Injuste tribut, que l’on rend à leur memoire : si non criminel, du moins inutile & impuissant, mais toûjours le triste effet de la misere & de la foiblesse humaine. Je ne veux donc, Chrestiens auditeurs, rien vous dire dans tout ce discours qui soit capable de vous affliger ny de porter le trouble & l’agitation dans vos esprits & dans vos cœurs ; rien au contraire qui ne puisse tout à la fois vous édifier, vous instruire, & vous consoler de vôtre perte. Je viens ranimer vôtre zele & vôtre ferveur en vous proposant à imiter une infinité de vertus heroïques & éclatantes que cette illustre morte a pratiquées pendant sa vie ; je viens vous apprendre par le genereux mépris qu’elle a fait de toutes les pompes, de toutes les grandeurs & de toutes le vanitez du siecle, celuy que vous devez concevoir tous les jours pour les richesses & pour tous les faux plaisirs ; je viens enfin réveiller vôtre foy & vôtre esperance par cette douce consolation & par cette heureuse assurance qu’elle vous laisse de sa felicité & de son bonheur, fondé sur la misericorde infinie de nôtre Dieu, & sur le grand nombre de bonnes œuvres & d’actions vertueuses qu’elle a fait paroistre avec tant d’édification aux yeux de tout le monde.

Pour réussir avec plus de succés dans un si vaste dessein, il considera cette grande Duchesse dans deux états differens qui avoient partagé tout le cours de sa vie, dans le monde & dans la solitude. Et il prouva d’une maniere fine & delicate que dans l’une & dans l’autre de ces états elle avoit toûjours esté animée de l’esprit de son Dieu, & verifié les glorieuses paroles qu’il avoit choisies pour le sujet de son éloge. In pace & æquitate ambulavit & multos avertit ab iniquitate.

Il s’étendit sur le premier Point d’une maniere dont tous ses Auditeurs furent charmez, & voicy ce que dit cet habile Orateur en le finissant.

Faut-il donc s’étonner, si cette grande ame se posseda toûjours au milieu de l’embarras & du tumulte du monde, elle qui en estoit si parfaitement détachée par un sentiment interieur, & qui estoit toûjours inseparablement unie à Dieu dans le commerce que la necessité de sa condition l’obligeoit d’avoir avec les hommes ? Faut-il s’étonner si elle joüissoit pendant toute sa vie d’une profonde paix & d’une tranquillité à l’épreuve des troubles, des inquietudes & des agitations qui accompagnent toûjours la joüissance & la possession des richesses, elle qui en avoit déja conçu tant d’aversion dans le fond de son cœur, & qui en faisoit tous les jours de nouveaux sacrifices, par le genereux mépris qu’elle en concevoit encore à tous momens ? Et n’est-ce pas, continua-t-il, avec beaucoup de raison que cette incomparable Duchesse avoit toûjours marché dans des voyes de paix, de justice, d’équité, & de droiture. In pace & æquitate ambulavit. Puisque rien ne fust jamais capable de la troubler ny de la surprendre, qu’elle ne sentit presque aucune revolte dans ses passions, aucune rebellion dans ses sens ; que les uns & les autres obéïssoient à son esprit, & que son esprit obéïssoit à Dieu, & n’agissoit dans toutes ses actions que pour l’honneur & l’interest de sa gloire. Il passa ensuite à son second Point, dont tout l’Auditoire ne fut pas moins charmé que du premier. Voicy de quelle maniere il finit :

Il est temps de vous faire voir le terme & la fin où tant de vertus conduisoient insensiblement cette sainte ame, & le bonheur qu’elles luy préparoient dans le ciel. C’est icy, Messieurs, ajoûta t-il, où je ne doute point que vos cœurs ne s’attendrissent & ne se laissent aller aux mouvemens d’une douleur que le recit de tant de belles actions n’avoit fait que suspendre pendant quelques momens. Ce profond silence, cette grande attention dont vous m’honorez en sont des preuves convaincantes, & cette tristesse que je vois peinte sur vos visages avec de nouvelles couleurs, me persuade assez le trouble & l’agitation qui se passe dans vos ames. Vous ne sçauriez rappeller dans vostre esprit ny dans vostre memoire le souvenir de ce qu’a esté cette grande Duchesse, sans vous abandonner au chagrin dans cette triste reflexion qu’elle n’est plus ; qu’une mort impitoyable accoûtumée à tout vaincre, l’a enlevée du milieu des vivans, & a caché toute sa gloire sous les tenebres & sous les obscuritez du Tombeau. Cependant, Chrêtiens, je viens icy pour essuyer vos larmes, ou plutost pour vous dire de ne pleurer que sur vous-mêmes, & de ne pas pleurer sur elle, de ne pas regretter sa destinée, mais seulement de vous plaindre du malheur & du danger de la vostre : En un mot, pour vous exhorter à imiter ses vertus, & à si bien regler vostre vie sur la sienne que vous puissiez participer au bonheur, au repos, & à la douceur de sa mort. Helas, Messieurs, s’écria-t-il, qui pourroit vous exprimer la profonde paix, la tranquillité parfaite, & l’humble confiance avec laquelle elle attendit cette mort, dont le simple souvenir a de coûtume d’épouvanter tout le monde & dont la seule pensée répand tant d’amertume sur tous les plaisirs. Combien de fois dans les transports de sa foy & de son zele, s’est-elle écriée avec le Prophete, Revertere anima mea in requiem tuam. O mon ame sors avec confiance de mon corps, pour aller joüir dans le ciel de la récompense qui t’y est préparée ! Combien de fois dans les saintes impatiences que le dégoût du monde & l’esperance d’une éternité bienheureuse avoient fait naître dans son ame, s’est elle adressée au Pere des misericordes pour luy demander avec l’Apôtre, qu’il la délivrast de ce corps de mort de cet obstacle importun qui arrestoit à tous momens son esprit & son cœur au milieu des mouvemens de son amour & de sa charité : combien de fois dans la violence & dans la rigueur d’une longue maladie, qui la conduisoit insensiblement au tombeau par des douleurs vives & piquantes, a-t-elle levé les yeux & poussé des soupirs vers le ciel pour prier le Pere celeste, non pas de l’en délivrer, mais seulement de luy donner la force & le courage de les supporter pour l’amour de luy. Entendit-on jamais sortir de sa bouche la moindre plainte ny le moindre murmure ? Luy vit-on jamais former aucun vœu pour obtenir sa guerison ? Aussi intrepide, & aussi courageuse à l’heure de la mort qu’elle l’avoit esté pendant sa vie, n’attendit-elle pas toûjours dans le calme & le silence l’accomplissement des volontez de son Dieu & l’heureux moment qui devoit finir ses peines & commencer son bonheur ? Aussi humble & aussi soûmise dans la tempeste qu’elle l’avoit esté dans la bonace, ne supporta-t-elle pas toûjours avec une resignation au-dessus de la foiblesse humaine, la violence & la durée de ses maux ; flotante toûjours entre la vie & la mort, entre la santé & la maladie, également satisfaite ou de souffrir pour Jesus-Christ, ou de mourir pour luy témoigner son amour, infiniment plus heureuse que ces ames sensuelles & terrestres qui aiment mieux les douceurs de Dieu, que le Dieu des douceurs, & qui à la premiere occasion qu’il leur presente de souffrir, se laissent aller au chagrin & au murmure, le loüant & le benissant quand il les flate, murmurant quand il les exerce : victimes toûjours prêtes à courir à l’Autel quand il n’est couvert que de fleurs, mais toûjours prêtes à fuïr quand le feu commence à se faire sentir. Nôtre genereuse Deffunte fut toûjours dans un aveugle & parfaite soûmission aux ordres de la Providence & pour sa maladie & pour sa guerison, soûpirant à la verité aprés la consommation de son sacrifice ; mais cependant toûjours disposée à le retarder si la divine Sagesse le jugeoit à propos, regardant les douleurs qu’elle souffroit comme des effets de la bonté d’un Dieu misericordieux & charitable, qui éprouvoit sa fidelité, & qui vouloit bien que l’oblation volontaire qu’elle luy faisoit d’une vie languissante qui luy échapoit à tous momens, luy servist pour l’entiere expiation de ses fautes. C’est, Messieurs, continua-t-il, avec ces genereux sentimens & ces saintes dispositions qu’elle s’est endormie dans le doux baiser du Seigneur, & qu’elle a rendu son ame à son Createur, comblée de bonnes œuvres, de merites & de vertus. C’est aussi ce qui vous doit tout faire esperer pour son salut & qui nous donne lieu de croire, sans vouloir trop penetrer les jugemens de Dieu, mais uniquement fondez sur son infinie misericorde qu’il la reçue dans les Tabernacles éternels, pour y joüir du bonheur de ces ames innocentes qui suivent l’Agneau par tout où il va, & qui regneront avec luy pendant tous les siecles.

Fasse le Ciel ! que l’image d’une mort si sainte, si douce & si tranquille imprime dans vos esprits & dans vos cœurs de veritables & de sinceres desirs d’y participer. Fasse le ciel ! que pour attirer les misericordes de Dieu dans les derniers momens, vous vous attachiez uniquement à la pratique de la vertu pendant toute vostre vie, que vous rompiez le commerce criminel que vous avez avec le monde, que vous soûmettiez vos passions à la grace ; en un mot que vous vous détachiez entierement des creatures pour vous unir au Createur, afin qu’aprés avoir travaillé sur la terre à vous santifier, vous puissiez un jour mourir de la mort des Justes, pour vivre à jamais de la vie des Bienheureux dans le Ciel.

Ce Discours fut trouvé d’un si bon goût, les pensées en parurent si belles, les expressions si nobles, les termes si purs & si biens choisis, & enfin l’élocution si énergique & si éloquente, qu’il merita l’applaudissement & l’admiration de toutes les personnes de distinction & des bons Connoisseurs qui se trouverent dans cet Auditoire. Je puis vous dire à la gloire du R.P. Raimond, qu’il a veritablement herité de toutes les vertus, de l’éloquence, & de tous les grands talens de feu Mr Chausé, Sr de la Terrierre, son illustre pere ; l’un des plus éloquens & des plus sçavans Avocats du Parlement de Paris, dont la réunion à l’Eglise Romaine sera dans tous les siecles en benediction chez tous les bons Catholiques, & le nom connu & respectable dans toute la France par les beaux ouvrages qu’il a donnez au Public, & sur tout par le dernier intitulé, Le Réüni de bonne foy à l’Eglise Catholique, qui peut passer pour un Chef-d’œuvre en son genre.

Aprés l’Oraison funebre, Mrs les Maire & Consuls allerent à l’Offrande. On continua ensuite la Messe. Aprés qu’elle fût achevée, tout le Clergé alla à la Représentation chanter le Libera, & faire les encensemens. Tous ces honneurs funebres étant finis, l’Assemblée qui étoit des plus nombreuses, se retira tres-satisfaite d’une Ceremonie aussi auguste, & marchant dans le mesme ordre & la mesme modestie qu’auparavant, se rendit au Chasteau. Cette Pompe funebre commença à dix heures, & ne finit qu’à une heure aprés midy. On peut dire à la loüange de tout le Corps de Ville d’Aiguillon en general, & de Mrs les Maire & Consuls en particulier, que tous ont eu une attention toute extraordinaire, afin de ne laisser rien échaper à l’ardeur de leur zele pour rendre ces honneurs funebres majestueux & respectables, & les plus beaux qu’on ait jamais vûs dans cette Ville. Tout s’est donc executé par leurs soins & leurs ordres, & ç’a esté en suivant leur exemple, & en marchant sur leurs traces que tout le monde depuis le plus grand jusqu’au plus petit, cherchant avec empressement à remplir ses devoirs, & à satisfaire à ses obligations, a contribué de son costé à rendre cette Ceremonie la plus auguste qui fût jamais en ce lieu. Les RR. PP. Carmes animez d’une veritable pieté & d’un zele ardent de procurer le salut de Madame d’Aiguillon, non contens d’avoir assisté à toute la Ceremonie de S. Felix, d’avoir fait des prieres & dit plusieurs Messes basses pour Elle, firent en leur Convent un Service solemnel. Les Sœurs de la Croix en firent aussi faire un en leur Eglise & établirent des Prieres publiques & particulieres dans leur Communauté pour le même sujet, tant pour honorer cette Illustre Défunte qui les a toûjours favorisées de sa protection, de son amitié & de son estime, que pour faire éclater par un esprit de reconnoissance le profond respect & le parfait attachement qu’elles ont toûjours conservé pour l’illustre Maison de Wignerod, à qui elles sont redevables de leur établissement & de leur fondation, en la personne de feuë Madame Marie de Wignerod, Duchesse d’Aiguillon Tante de cette Illustre Défunte.

Outre que tous les Ecclesiastiques du Duché d’Aiguillon ont offert chacun en son Eglise le redoutable Sacrifice du Corps & du Sang de Jesus-Christ pour le repos de l’ame de cette illustre Morte, beaucoup de particuliers ont aussi fait dire des Messes basses, & ont offert des vœux & des prieres à Dieu pour elle. J’ay de mon costé établi dans ma Classe pendant trois mois des prieres publiques soir & matin, pour le salut de l’ame de cette incomparable Duchesse, à la fin desquelles je ferai dire une Messe où assisteront tous mes Ecoliers. J’ay crû devoir à cette vertueuse Dame cette marque de mon zele & de mon tres-profond respect, sur tout ayant eu l’avantage d’exercer pendant son vivant la Regence d’Aiguillon, l’espace de seize ans.

[Mort de Mre Anne de Fieubet de Launac, Chevalier]* §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 176-180.

Mre Anne de Fieubet de Launac, Chevalier, Sr de Jaillac, Cendré, Castanet, Sivry, Saisi, &c. Maistre des Requêtes, mourut le mois dernier âgé de soixante-treize ans. Il estoit frere de feu Mr de Fieubet, l’un des plus grands Magistrats que la France ait eu, & qui détaché du monde avant que le monde le quittast, se retira aux Camaldules qui sont dans la Forest de Grosbois, où il est mort & enterré. Ces deux freres estoient oncles de Mr le Premier President de la Chambre des Comptes. Feu Mre N… Nicolaï aussi premier President de la même Chambre, & pere de celuy qui est aujourd’huy en Charge, avoit épousé Dame N… de Fieubet, sœur de celuy qui vient de mourir. Mrs de Fieubet estoient fils de Gaspard de Fieubet, premier President au Parlement de Toulouse. Ce grand Magistrat fut à l’âge de dix-huit ans President aux Requestes de ce Parlement, & il en fut ensuite Procureur General, & à l’âge de trente-un le Roy le nomma premier President. Il fit éclater dans l’exercice de cet employ toutes les vertus & toutes les qualitez d’un grand Magistrat. Ce que le Roy en a dit le met au dessus de toutes les loüanges qu’on pourroit luy donner. Quand ce Monarque apprit sa mort, il dit : C’estoit un des plus grands Juges de mon Royaume, & des plus attachez à mon service. Mr de Fieubet mort aux Camaldules, son fils aîné, fut Conseiller au Parlement de Toulouse à l’âge de vingt ans. La Maison de Fieubet est originaire de Languedoc aussi bien que celle de Mrs Nicolaï, avec laquelle elle est alliée de plus d’un costé. Ce fut Jean Nicolaï Sr de S. Victor qui fut ensuite premier President en la Chambre des Comptes de Paris, qui quitta le premier la Ville de Toulouse dans le quinziéme siecle. Feu Mr de Fieubet dont je viens de parler estoit un excellent Poëte Latin. Ces quatre Vers qu’il fit pour la celebre Comtesse de la Suze, en sont une preuve.

Quædea sublimi rapitur per inania curru ?
An Juno, an Pallas, num Venus ipsa venit !
Si genus inspicias, Juno, si scripta, Minerva,
Si spectes oculos, mater amoris erit.

[Mort de Mr Berault, Professeur du Roy en Langue Hébraïque]* §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 182-183.

Mr Berault Professeur du Roy en Langue Hebraïque au College Royal, mourut dans le mois de Mars. C’estoit un des plus sçavans hommes de France pour l’intelligence des Langues. Il s’y estoit appliqué avec succés dés sa plus tendre jeunesse. Il a laissé d’excellens manuscrits remplis de sçavantes remarques sur les meilleurs Interpretes de l’Ecriture. Il avoit fait des Notes critiques sur Aben-Ezra & sur Maimonides deux fameux Rabins. Il avoit de grandes relations avec le Docteur Hydes, mort en Angleterre depuis deux ans.

[Reception de Mr l’Evesque de Soissons à l’Academie Françoise] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 192-216.

Vous sçavez que Mr l’Evêque de Soissons a esté nommé pour remplir la place de feu Mr Pavillon à l’Academie Françoise. Ce nouvel Academicien fit selon l’usage le jour de sa reception les éloges de l’Academie, du Cardinal de Richelieu, du Chancelier Seguier & de l’Academicien dont il remplissoit la place. Il finit son discours par un éloge du Roy, qui est Protecteur de l’Academie. Voicy de quelle maniere il parla de Sa Majesté.

Mais, Messieurs, l’inclination, le devoir, la reconnoissance, l’usage mesme de nos assemblées, tout cela exigera de moy que j’entretienne nostre Academie des vertus du Roy vostre auguste Protecteur. Et combien me sera-t-il difficile de trouver des expressions qui répondent à la dignité du sujet.

Une seule chose me rassure, c’est que bien que quand on parle de ce Prince, ce qu’on en dit soit toûjours infiniment au dessous de ce qu’on en devroit dire ; cela même neantmoins est toûjours infiniment au dessus de tout ce qu’on peut dire des autres hommes.

Toutefois me sieroit-il bien à moy, Ministre des Autels que je suis, de celebrer par preference à toutes ses autres actions, celles que le monde admire davantage, & qu’en effet on ne peut regarder que comme autant d’étonnans prodiges. Provinces conquises, Batailles gagnées, Villes prises, Armées nombreuses & formidables, aguerries par ses soins, & renduës invincibles par sa presence ; Flottes maistresses des mers, & dans la derniere Campagne contraignant de nouveau l’Angleterre & la Hollande de ceder à leur effort ; L’Europe toute jalouse qu’elle estoit de sa grandeur, forcée plus d’une fois à accepter la Paix aux conditions qu’il la vouloit ; son alliance recherchée par des Peuples puissans, des extremitez de la terre ; Ambassades reçûes des climats les plus éloignez. Grand Prince, tant d’éclat m’ébloüit & me feroit apprehender pour vous si je ne sçavois que depuis longtemps la Pieté a établi son thrône dans vostre cœur.

Qu’il est beau de la voir cette Pieté sacrée faire en toute occasion un Chrestien obéïssant & docile, d’un Prince accoûtumé à ne rien trouver qui ne plie sous ses volontez. En effet, ne sçavons nous pas qu’il suffit de faire connoistre au Roy que Dieu parle, pour qu’il obéïsse ? Ce n’est point flatterie, c’est verité, de dire que jamais Prince à cet égard n’eut une volonté plus soûmise ny des intentions plus simples & plus pures.

Heureux que nous sommes que Dieu ait mis ainsi dans sa main le cœur de ce Prince ! De là comme d’une source benigne vont couler vers nous toutes sortes de biens. La Paix sur tout, ce present du Ciel, si desirable, nous la recevrons bientost. Dieu conduira bientost ce Prince dans les sentiers de la Paix, & pour me servir des paroles du Roy Prophete, il marquera la paix pour ses frontieres ; il le fera joüir du fruit de ses longs & glorieux travaux ; & le plus doux fruit pour luy, Messieurs, c’est de procurer à ses Sujets des jours heureux & tranquilles.

Et que n’a-t-il point fait jusques icy, ce Prince pieux, pour porter ses ennemis à recevoir la Paix à des conditions raisonnables ? Que n’est-il pas prest de faire encore ! Un succés imprévû peut-estre les flatte & les enorguëillit : c’est une sorte de joye qu’ils n’avoient pas encore goûtée, elle a pour eux tout le charme de la nouveauté, ils s’y abandonnent sans mesure. Mais cette épée redoutable, qui jusqu’icy n’avoit porté que des coups certains, pensent-ils qu’elle soit émoussée ? Attendons, Messieurs, de la prudence du Roy, de sa grande experience dans l’art de la guerre, & encore plus de la protection dont Dieu l’accompagne, qu’encore une fois il confondra les projets de ses ennemis, & les forcera de souhaiter un repos qui leur est si necessaire.

Alors nous le verrons s’appliquer à reparer ces bréches, que la necessité d’une deffense legitime contraint quelquefois un Prince juste de faire à son Etat. Il oubliera en luy le Heros pour se souvenir du Pere ; & considerant à quelle fin Dieu a donné des Rois aux Nations, il ne travaillera qu’à faire regner avec la paix, la verité & la justice.

C’est là sans doute, quelque illusion que l’orguëil humain s’efforce de nous faire à ce sujet, ce que les Rois peuvent executer en leur vie de plus glorieux & de plus grand. Les trophées qu’on éléve en leur honneur dans le champ de la Victoire, à dire vray, ont une sorte d’éclat ; mais que les Rois cessent de s’y méprendre, il n’y a de trophées veritables, il n’y en aura de durables que ceux que Dieu de sa propre main daignera leur élever dans le Ciel, aprés que parmi les hommes, l’amour & la reconnoissance les auront élevez en leur honneur dans le fond des cœurs.

Ces solides veritez, Messieurs, le Roy les connoist parfaitement ; & ne doutons pas qu’en ces momens où nous le voyons prosterné devant les Autels, sa plus ardente priere ne soit de demander au Distributeur des dons, celuy de pouvoir remplir les obligations à quoy ces veritez l’engagent.

Vivez donc, Prince juste, grand, magnanime ; vivez pour procurer le bonheur de la Terre, & que desormais toutes choses refleurissent par vos soins dans vostre Estat. Le Ciel vous comble de ses benedictions les plus particulieres. Vous voyez les Enfants de vos Enfants, &, ce qui peut-estre n’a point d’exemple dans l’Histoire, une troisiéme generation vous a esté encore accordée. Aimé, respecté au dedans, craint & redouté au dehors, vous joüissez d’une santé vigoureuse qui vous promet de longues années. Vostre felicité est parfaite ; puissiez-vous conformément à vos desirs & à l’exemple de Dieu, devenir de plus en plus la consolation des hommes, l’esperance & la joye de vos fidelles Sujets.

Mr l’Abbé Regnier des Marais, Secretaire de l’Academie répondit au Discours de Mr l’Evêque de Soissons, & aprés avoir parlé de luy-même avec beaucoup de modestie, il fit l’éloge de ce Prelat & celuy de feu Mr Pavillon dont il remplissoit la place. Voicy de quelle maniere il entra dans celuy du Roy, & ce qu’il dit de Sa Majesté. Il venoit de parler de la liaison qui doit estre entre les Academiciens.

Que si cette liaison est toûjours necessaire entre toutes les personnes d’un mesme Corps, de quelle indispensable necessité n’est-elle point entre tous les membres d’une Compagnie, qui a LOUIS le Grand pour Chef, & pour Protecteur ; & qui par des titres si glorieux pour elle, a l’avantage de tenir à luy d’une façon plus particuliere que tout le reste de ses Sujets.

N’oublions jamais, Messieurs, à quoy une Protection si singuliere nous engage : & souvenons-nous sur tout qu’elle nous impose l’obligation de le faire connoistre à toute la Terre & à tous les temps tel que nous avons la bonne fortune de le connoistre ; & tel qu’il seroit à desirer que le connussent tant d’Ennemis que la jalousie a réunis contre luy.

C’est peu de dire qu’il n’en auroit plus depuis long-temps, s’il avoit esté possible qu’il eust esté toujours en personne à la teste de ses Armées. Quelque grande que puisse estre une pareille idée, & quelque fondement qu’elle puisse avoir sur le passé ; ce seroit toujours une gloire qui luy seroit commune avec d’autres Princes & d’autres Heros ; & du moins il en devroit une partie à la bonté de ses Officiers & de ses Troupes.

Une gloire plus grande, plus pure, & qu’il n’auroit à partager avec personne ; mais qu’on ne devroit pas moins justement se promettre de tant de grandes qualitez que le Ciel a rassemblées en luy ; de cet esprit de sagesse & d’équité qui regne dans tous ses sentiments, & dans toutes ses paroles ; enfin de cet air de douceur & de Majesté qui est répandu dans toute sa personne qui luy a toujours concilié l’amour & la veneration de tout ce qui est jamais venu à sa Cour de tous les endroits de l’Univers ; c’est que pour mettre ses Ennemis de son parti, il n’auroit pas mesme besoin d’estre suivi de ses Troupes, toujours fidelles sous luy à la Victoire.

On a dit autrefois que la Vertu se feroit aimer de tous les hommes, si elle pouvoit se monstrer aux hommes aussi aimable qu’elle est. Si Louis le Grand pouvoit se faire connoistre à ses Ennemis tel que le connoissent ceux qui ont l’avantage de l’approcher de prés ; au lieu de tant d’Ennemis qui luy font aujourd’huy la guerre, il n’auroit bientost plus que des admirateurs zelez ; & toute l’Europe joüiroit bientost avec nous d’une Paix profonde.

Je croy devoir ajoûter ce qui suit, touchant Mr l’Evêque de Soissons. Ce Prelat a fait plusieurs ouvrages dont quelques-uns seulement ont vû le jour. Sa Lettre au Pere Lamy Religieux Benedictin, a esté imprimée à la teste d’un Livre intitulé Reflexions sur l’Eloquence. Pour en bien entendre le sujet il faut sçavoir que le Religieux à qui elle est adressée s’estoit declaré ouvertement contre la Rhethorique ordinaire qui s’enseigne dans les Colleges & qui se pratique au Barreau & dans la Chaire, dans ses Traitez de la Connoissance de Soy-même & les Eclaircissemens qu’il avoit donnez sur ces Traitez. Cet Auteur dont certainement il faut loüer la subtilité & la politesse, a poussé son emportement contre cet Art, autrefois si celebre dans les Ecoles Grecques & Latines, jusqu’à dire que la Rhetorique prise selon l’usage ordinaire est nuisible à la perfection du jugement ; qu’elle ne sert qu’à resserrer l’esprit, à l’affoiblir, à luy faire illusion ; qu’en un mot elle nuit au bon goust, à la droiture & à la justesse de l’esprit. Ce qu’il dit sur la Poësie n’est gueres moins fort ; enfin il n’a pas tenu à luy qu’on ne proscrivist ces deux Arts des Ecoles chrestiennes. Ce sçavant Ecrivain envoya son livre à Mr l’Evêque de Soissons, ce Prelat qui a un goust excellent & qui a des lumieres tres-sûres sur l’Eloquence & sur la Poësie, frappé de cette nouvelle doctrine, écrivit à l’Auteur la Lettre dont il est icy question, mais elle estoit si honneste & si polie que l’adversaire de la Rhethorique fut charmé de son procedé. On en peut juger par la Lettre même & par les Reflexions qui la suivent, & que le même Auteur fit sur le cinquiéme Eclaircissement de la Connoissance de Soy-même. Le P. Lamy répondit, & Mr de Soissons repliqua. Au reste cette querelle avoit déja commencé quelques années auparavant entre deux fameux Antagonistes. Feu Mr Dubois de l’Academie Françoise & Traducteur de plusieurs ouvrages de Saint Augustin, avoit répandu dans la Preface de sa Traduction des Sermons de ce saint Docteur, une violente declamation contre l’Eloquence, ou pour parler le langage de Mr de Soissons, il estoit tombé dans une terrible confusion d’idées touchant la vraye ou la fausse Eloquence. Mr Arnaud Docteur de Sorbonne, fit sur cette Preface & sur l’Eloquence des Predicateurs des reflexions dont le Traducteur de Saint Augustin n’eut pas lieu d’estre content. Ces Reflexions sont precedées d’une Lettre de Mr Arnaud à Mr Dubois pour le remercier de la Traduction des Lettres de Saint Augustin qu’il luy avoit envoyée, elle est pleine d’honnestetez, & il fut sans doute bien aise de le prévenir par là sur la vivacité des Reflexions. Cette Lettre & les Reflexions qui la suivent terminent le Livre intitulé Reflexions sur l’Eloquence, qui fut approuvé avec de grands éloges par Mr Pavillon, auquel Mr de Soissons vient de succeder. L’Eloquence eut donc dans le dernier siecle deux illustres Deffenseurs en la personne de Mr Arnaud & de Mr l’Evêque de Soissons. Comme la querelle n’est pas finie & que le P. Lamy continuë à declamer contre la Rhetorique, elle ne manquera pas dans ces temps-cy de Deffenseurs. On peut dire que Mr Gibert Professeur de Rhetorique au College des Quatre-Nations, le nouvel adversaire du Pere Lamy, la deffend bien, & qu’il la deffendra encore mieux lorsqu’il sera soûtenu des raisons d’un Auteur anonyme qui est prest de publier un ouvrage également fort & solide contre le dernier livre du Pere Lamy, intitulé la Rhethorique du College trahie par son Apologiste. Ce second Antagoniste combat le Benedictin par ses propres principes, & comme celuy-cy est un grand Metaphysicien, c’est aussi par des raisonnemens puisez dans la plus sublime Metaphysique que nostre Anonyme l’attaque. Au reste, cette dispute n’est pas d’une petite consequence, & on fera voir qu’on ne doit pas estre aussi indifferent sur le succés de la dispute que le prétendent quelques personnes d’esprit. Mr l’Evêque de Soissons a fait d’excellentes Odes dont le P. Bouhours qu’il honoroit de son affection, a enrichi son Recüeil de Poësies. Il a fait aussi la version des Epîtres de Saint Clement Pape sur le Grec, & il l’a accompagnée d’une excellente Preface pour donner le vray goust de ces ouvrages apostoliques, mais il n’a point voulu donner cette version au Public.

[Suite du voyage des Religieux de la Trape à Florence] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 216-227.

Vous verrez dans la Lettre suivante que c’est le Pere Dom Garnerin, Savoyard, qui est Abbé de la Colonie des Religieux de la Trape, qui vont s’établir dans les Etats de Monsieur le Grand Duc de Toscane. Je vous avois mandé que c’estoit le P. d’Aria Piémontois, & je ne m’estois pas trompé, puisqu’il avoit d’abord esté nommé, mais ses instantes prieres jointes à ses infirmitez, luy ont fait accorder par ses Superieurs la grace de ne pas sortir de la Trape, & ils ont nommé à sa place le Pere Dom Garnerin.

A Lyon ce 21. Mars 1705.

Les Peres de la Trape, qui vont faire un établissement de leur réforme dans les Etats de Monsieur le Duc de Florence, arrivérent en cette Ville par la Diligence le soir du neuviéme de Février. Ils avoient passé par Tournu, où Monsieur le Cardinal de Boüillon les avoit reçus & regalez magnifiquement. Il voulut se donner le plaisir de leur voir faire leurs exercices ; & sur tout celuy du travail des mains, ce fut à faire des sabots qu’ils s’appliquerent, le mauvais temps ne leur permettant pas de travailler à la Campagne. Cette Altesse craignant qu’ils ne trouvassent pas de ces chaussures où ils vont s’établir, leur en fit remplir deux grands sacs, qui font une partie de leur bagage. Ces Religieux se servent de ces sabots, lorsqu’ils vont travailler aux champs.

De Tournus ils descendirent à Mâcon, & de là ils se rendirent icy. Comme on estoit averti de leur passage, une infinité de gens se rendirent sur le Quay pour les voir arriver. Mrs de Saint Antoine, chez lesquels ils devoient loger, avoient pourvû à leurs voitures. On leur avoit presté une vingtaine de carosses, qui se trouvérent sur le Port pour les emmener : mais ces Messieurs ne furent pas les maistres. Les personnes les plus distinguées, qui y estoient venuës dans le même équipage, se firent un honneur d’enlever ces bons Religieux, & de les conduire au lieu destiné. Le cortége des principaux de la Ville estoit si nombreux, qu’on demeura pendant une demie-heure à le voir passer, avant qu’on pust arriver dans la Maison de Saint Antoine. Les ruës estoient bordées d’un peuple infini, & l’empressement de voir ces nouveaux Hostes fut des plus grands.

Comme ces saints Religieux estoient venus sur la riviere & que la saison estoit extrêmement rude, le froid les avoit penetrez. Dés qu’ils arriverent, on les conduisit dans une grande Salle, où ils trouvérent un grand feu. Ce fut là qu’on eut le plaisir d’admirer leur modestie. Quoy qu’on eust mis des Gardes aux portes de la maison, on n’en pût refuser l’entrée aux Principaux de la Ville, qui s’y rendirent pour les voir. Ces Peres estoient debout autour du feu. On ne put les obliger à tourner la teste, pour regarder les personnes dont ils estoient environnez, ou pour répondre aux demandes qu’on leur faisoit. Leur conduite a esté sans affectation, soit pour le lit, soit pour la nourriture. Ils ont couché sur des matelats & entre les draps de toile qu’on leur avoit préparez. Ils ont mangé du poisson & des œufs, ils ont bû du vin, ils avoient permission de parler avec Mrs de Saint Antoine leurs hostes, qui ont toûjours eu la politesse de les servir à table, & de faire la lecture pendant le repas, quoy qu’ils ne mangeassent pas avec eux.

Le lendemain, le Pere Abbé de cette religieuse Troupe dit la grande Messe, qui fut servie à Diacre & à Soûdiacre, & chantée par Mrs de Saint Antoine. Les Religieux de la Trape estoient seuls dans une petite Tribune, pour n’estre pas exposez à la foule qui estoit accouruë pour avoir la consolation de les voir. Aprés le dîner, le Pere Abbé, accompagné du Pere Prieur, monta en carrosse pour rendre visite à Madame de Villeroy, fille du Maréchal de ce nom, & ci-devant Prieure des Carmelites, qui avoit souhaité ardemment d’avoir cette satisfaction. C’est la seule visite qu’ils ont renduë en cette Ville. Le jour de leur départ, qui fut le onziéme, le Pere Abbé alla dire la Messe chez les Dames de la Visitation du premier Monastere, où est le cœur de Saint François de Sales, qu’il avoit devotion de baiser. Dés qu’il fut de retour, & qu’on eut dîné, il s’embarqua avec ses Religieux, accompagnez chacun d’un de Mrs de Saint Antoine, jusqu’au Batteau.

Ce qui porta le R. Pere Abbé à choisir son logement chez ces Messieurs, est qu’il a esté autrefois de leur Ordre, & qu’il estoit lié d’une amitié particuliere avec le Superieur de cette Maison, dont il a parfaitement bien fait les honneurs. Il voulut que deux de ses Religieux descendissent jusques à Vienne avec cette sainte Troupe, afin de les loger encore dans la maison de Saint Antoine de cette Ville-là ; mais Mr l’Archevêque ne voulut pas le permettre, il fut les enlever luy-même, leur donna à souper, & les envoya coucher dans son Seminaire, où il leur avoit fait préparer des lits. Dés le lendemain ils partirent pour Avignon, où ils descendirent dans la premiere maison du Fauxbourg de la Porte du Rhône. Aprés quelques momens de repos le Pere Abbé avec le Pere Prieur allerent saluer Monsieur le Vicelegat, qui les reçut parfaitement bien. A leur retour ils furent visitez par Mr le Doyen & quelques Chanoines de l’Eglise Metropolitaine, par les R.P. Jesuites, & par les R.P. Celestins. Le jour d’aprés ils se mirent deux à deux dans des Chaises roulantes & allerent jusqu’à Marseille, où ils se rendirent heureusement. La Galere qui les devoit porter jusqu’à Livourne n’estant pas encore arrivée, on leur choisit une maison spacieuse, accompagnée d’un grand jardin, afin qu’ils pussent faire toutes leurs fonctions religieuses, ce qui leur a esté jusqu’icy impossible, tant on a esté empressé pour les voir.

Le Pere Abbé s’appelle Garnerin ; il est de Chambery, d’une famille tres-ancienne ; son ayeul a esté premier President du Senat, & son Pere y a eu des emplois tres-honorables. Le Pere Prieur est de Toulouse ; je n’en sçais ny le nom, ny la qualité. On a fait mille honneurs en cette Ville au Pere de Janson de Rosemberg, qui y estoit connu d’une infinité d’honnestes gens. Vous sçavez le motif de sa conversion. Il ne prétend pas de rester en Italie, ce n’est que pour faire plaisir à Monsieur le Duc de Florence, qui l’a specialement demandé, qu’il a bien voulu quitter la Trape, où il espere de retourner dans peu de temps. La Colonie est composée, ce me semble, de dix-sept Profés, & de trois Novices.

[Lettre de Berlin] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 273-294.

La lecture de la Lettre qui suit vous fera connoistre que cette Lettre m’a esté adressée.

A Berlin le 4. Avril 1705.

Vous n’ignorez pas, Monsieur, l’irreparable perte qu’a fait nôtre Cour, en perdant son incomparable Reine, qu’une mort imprevuë & prématurée nous ravit le 1. de Fevrier. Vostre Cour qui la vit avec admiration, dans le temps qu’elle ne faisoit que sortir de l’enfance, comme vous le publiastes alors dans vostre Lettre du mois de May 1684 n’aura pas esté insensible au coup fatal qui l’a mise dans le tombeau à la fleur de son âge. Mais vous, Monsieur, qui fites l’éloge de cette merveille naissante, dont vostre Cour fut charmée, & qui avez tant de fois pris plaisir à le retoucher, croyiez-vous estre obligé à donner si-tôt la relation de sa Pompe funebre ? Vous souvient-il de cette prediction, qu’on trouve dans le volume que je viens de citer, où dans un Ballet fait à Hanover pour le divertissement de cette jeune Princesse, qui n’estoit point encore mariée ; une des Actrices en parle en ces termes :

Le Ciel luy doit une Couronne,
Et l’Amour l’unira par d’illustres liens.

La prediction a eu son accomplissement. Le Roy de Prusse son auguste Epoux lui a mis de sa propre main la Couronne sur la teste. Vous en parlez, Monsieur, dans vostre Lettre de Fevrier de 1701, & on ne pouvoit voir de plus doux, ni de plus illustres liens que les leurs. Mais helas ! qu’ils ont peu duré.

Vous souvient-il encore du Portrait que vous en fites au mois de Decembre de la même année ? Quelque achevé qu’il soit, il n’étoit neanmoins point flatté : & je ne sçai si on a jamais vû sur le Thrône tant de beauté, tant d’élevation d’ame & d’esprit, tant de sagesse, tant de vertu & tant de douceur ensemble. Faut-il que tout cela ait disparu ? Que le Ciel nous ait ravi sa grande ame, & que le plus beau corps du monde soit renfermé dans un triste tombeau ?

Elle la rendit sa grande ame au milieu de toute sa famille entre les bras d’une mere, de deux freres, & d’un oncle, qui se trouvoient tous à la Cour d’Hanover, dont elle ne faisoit pas moins les delices que de la sienne. Une courte maladie l’emporta le troisiéme jour qu’elle se fust mise au lit, & changea tous les jours de feste en des jours du plus profond & du plus veritable deüil qui fust jamais. Elle seule, pendant que ceux qui estoient dans sa chambre, fondoient en larmes, ne témoignoit ni douleur ni foiblesse : & aprés avoir donné toutes les marques de foy & de pieté qu’on pouvoit souhaiter, elle envisagea la mort avec une fermeté dont peu de Heros ont esté capables.

Son Corps, aprés avoir esté embaumé, fut mis sur son lit de parade enrichi de tous les Ornements Royaux, & illuminé de flambeaux de cire blanche. Pendant qu’il y reposa il fut gardé par ses Filles d’honneur & par les principales Dames de la Cour & de la Ville, par deux Chambellans de l’Electeur, par trois Gentilshommes de la Chambre & quatre de la Cour, outre les Pages & les Valets de pied. Il y eut aussi toûjours une Garde composée de vingt-quatre Gardes du Corps, & commandée par leur Officier.

Le Corps partit le 9. de Mars de la Cour d’Hanover, qui fit les honneurs du Convoy jusques sur les Frontieres, d’où le Roy le fit conduire dans sa Capitale, & déposer dans la Chapelle ardente, ou le Castrum doloris qu’on lui avoit préparé. L’une & l’autre Cour, ainsi que celle de Zell, ayant témoigné dans une si triste Ceremonie, sa douleur & sa magnificence. Je ne vous en donneray qu’un détail succinct.

Le 8. de Mars on notifia le départ du Corps pour le lendemain, le Château de l’Electeur fut fermé, on y posa des Gardes pour en deffendre l’entrée aux spectateurs, dont la multitude n’eust pas manqué de causer de la confusion.

Le 9. ce triste & pompeux cortege commença sa marche : deux Fouriers à cheval en habit noir & en manteau long parurent les premiers pour donner les ordres. Les carosses de l’Electeur, precedez par les Domestiques & par les Pages à cheval, venoient au nombre de douze, suivis des Trompettes & des Timbales. Le Grand-Maréchal, & le Capitaine du Château les suivoient. On voyoit aprés les Chevaliers & les Gentilshommes servants ; & cette marche estoit fermée par deux Ministres d’Etat, qui avoient au milieu d’eux le Grand-Maître de la Maison de la Reine ; tous à cheval, en habits de deüil, & avec leurs manteaux longs.

Alors parut le Chariot portant le Corps, & tiré par huit chevaux. Le Ciel ou le Dais qui couvroit le cercueil étoit soûtenu par deux Generaux Majors, par le premier Capitaine, & par le Grand Veneur de la Cour, & par deux Brigadiers ; quatre Lieutenants Generaux en tenoient les quatre coins ; aux côtez du Chariot marchoient, le Comte de Platte à la droite, & le Baron de Kilmanseck à la gauche.

Vingt-quatre Gardes du Corps, douze d’un costé & autant de l’autre, en manteaux noirs, & avec le crespe aux chapeaux & à leurs Pertuisanes, dont ils tenoient la pointe baissée contre terre, venoient aprés le Chariot, suivis d’un pareil nombre de Valets de pied de l’Electeur, & rangez de même.

La Maison de la Reine venoit ensuite dans les Carrosses du Roy : 1°. La Femme du Grand-Maistre. 2°. Les Filles d’Honneur. 3°. Les Carosses de Sa Majesté. 4°. Ceux où estoient les Femmes de Chambre de la Reine ; & un Fourier à cheval marchoit le dernier.

Lorsqu’on fut arrivé sur la Frontiere, où finissent les Etats d’Hannover, & qu’on entra sur ceux de Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc de Zell, on y trouva un autre Cortege assemblé par ses ordres, qui ne le cedoit pas en magnificence au premier, & qui accompagna le Corps jusqu’aux Frontieres des Etats du Roy.

Ce fut là que le Grand Maréchal de Sa Majesté, avec deux Chambellans & une grande suite de Gentilshommes de sa Cour, vint recevoir le Corps. Les Trompettes & les Tymbales suivoient dans un appareil convenable à cette lugubre Ceremonie ; les Pages & les Valets de pied venoient ensuite. Un Escadron des Gardes du Corps de six-vingts Maistres marchoient aprés, menez par le General Major : & ils estoient suivis de la Noblesse de Magdebourg & des Maistres des Chasses du Pays, accompagnez de tous leurs Chasseurs.

Par tout où passoit le Corps, dans les Villes & dans le Villages, on sonnoit les cloches ; & les Magistrats ou Syndics, aussi bien que le Clergé, tous en habit de deüil, & teste nuë, venoient le recevoir aux Portes. La Bourgeoisie se mettoit sous les armes ; les Soldats faisoient la même chose dans les Places de Garnison, & à l’arrivée du Corps on faisoit trois décharges du canon.

Pendant toute la marche le premier Ecuyer de la Reine fut toûjours aux costez du Chariot, & un Chambellan à la gauche, & par tout où l’on fit des Entrées ils pontoient les quatre coins du drap qui couvroit le cercueil, aidez de deux Gentilshommes de la Reine.

Ce fut dans cet ordre qu’arriva le Corps de la Reine à Berlin le Dimanche 22. de Mars, entre huit & neuf heures du soir. Son arrivée fut annoncée par le son des cloches, & par le bruit du canon, dont cent pieces firent trois décharges consecutives.

Soixante-six carosses, qui l’allerent recevoir, le precederent, & quatre-vingt Gentilshommes à cheval l’accompagnerent ; deux mille flambeaux de cire blanche portez par des hommes vêtus de deüil, éclairoient ce Cortege funebre, & leur lumiere dissipoit l’obscurité de la nuit.

Plus on avançoit vers le Château, & plus les illuminations augmentoient. Toutes les fenestres de la ruë depuis la Porte S. George, ou la Porte Royale, par où on entroit, jusqu’au Pont-neuf bâti sur la Sprée, comme le vôtre sur la Seine, estoient éclairées. Tout ce Pont l’estoit luy-même par deux rangées de flambeaux de cire blanche, une de chaque costé ; ainsi que l’avant-cour du Chasteau jusqu’à la Chapelle.

Les ruës depuis la même Porte jusqu’au Pont estoient bordées du Regiment des Gardes, qui formoient deux hayes, & depuis le Pont jusques devant le Chasteau, estoit un Bataillon de Grenadiers, qui est aussi la Garde du Roy, & un autre occupoit l’avancour. Les Cent Suisses placez dans la derniere cour s’étendoient jusqu’à la Chapelle, un Page entre deux Suisses tenant en chaque main un flambeau de cire blanche, ce qui faisoit une illumination extraordinaire.

Le Chariot s’en estant approché, le Prince Royal accompagné de leurs Altesses Royales Messieurs les Margraves, freres du Roy, & de toute la Cour, alla recevoir le Corps, ainsi que fit Son Altesse Royale Madame la Margrave, accompagnée de ses Dames & des Dames de la Ville. Dix Chambellans porterent le Corps à la Chapelle, & le poserent sur un riche Piédestal ou Catafalque, couvert d’un Poësle de velours noir, semé d’Aigles de Prusse, élevé sous un Dais tres-magnifique aux Armes de Prusse & de Hanover, & surmonté d’une Couronne d’or.

Toute la voûte de la Chapelle est argentée ; les murailles sont tenduës de velours noir avec des bandes & des lez de brocart d’argent, garnis d’écussons aux Armes de la Reine, & la Chapelle est remplie de Statuës grandes comme le naturel, aussi argentées, qui environnent le cercueil de cette Princesse, & qui representent les Vertus qui pleurent sa mort, chacune ayant son symbole qui la distingue. Je ne vous parleray point des flambeaux de cire qui éclairent nuit & jour la Chapelle, des bras d’argent qui les soûtiennent, des girandoles, des lustres, des couronnes, dont quelques-unes sont posées sur des appuis, & d’autres sont suspenduës.

Mais je ne puis passer sous silence la Couronne qui servit au Sacre de la Reine ; on la voit sur un carreau de velours cramoisi, avec le Sceptre & le Globe sur un autre carreau de la même étoffe, & tous trois enrichis de pierreries de grand prix, & couverts de crespes.

C’est dans cette Chapelle ardente ainsi ornée que repose, & reposera jusqu’au jour de l’Enterrement, le Corps de la Reine, gardé par un Chambellan, deux Gentilshommes de la Chambre, quatre Pages, deux Officiers, l’un des Gardes du Corps, & l’autre des Suisses, chacun avec douze hommes de leurs Corps ; & un troisiéme Officier avec des Grenadiers, qui gardoient la porte en dehors.

J’oubliois à vous dire que les Ambassadeurs de Suede, de Pologne, de Savoye, & les Ministres des autres Cours qui se trouvent ici, ont voulu voir cet auguste & triste appareil, & n’ont pas esté moins charmez de la magnificenceI de nôtre Cour, que touchez de sa douleur.

Il semble qu’elle soit generale ; ce n’est pas le deüil de nôtre Cour seulement, c’est celuy de toutes les Cours de l’Europe. Celle de l’Empereur n’a pas attendu que la mort lui fust notifiée pour prendre le noir, & Vienne n’a paru guere moins sensible que Berlin à une si grande perte.

Voila, Monsieur, ce que j’avois à vous aprendre d’une mort dont le Roy a de la peine à se consoler, & que ses Etats pleureront longtemps. Les obseques qu’on a remis au 29. Juin, & dont je vous envoyeray la Relation, acheveront de vous persuader de la somptuosité de nôtre Monarque, aussi bien que de son amour pour l’admirable Epouse, dont il honore la memoire par des depenses toutes Royales.

Il faut avoüer que la lecture de tout ce qui se fait à la Cour de Berlin, doit faire beaucoup de plaisir, estant toûjours distingué par un caractere de grandeur & de magnificence.

[Lettre contenant l’entrée de Mr l’Evesque d’Auxerre à Auxerre] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 321-326.

La Lettre qui suit est écrite d’une maniere naturelle, & qui fait parfaitement connoistre la verité de ce qu’elle contient.

A Auxerre le 23. Mars 1705.

Nous partimes hier de Regennes aprés avoir disné de bonne heure. Toute la Jeunesse d’Auxerre s’y étoit renduë à cheval pour escorter son nouvel Evesque. Elle étoit commandée par plusieurs Officiers bien montez & bien équipez. Toute cette Jeunesse accompagna au bruit des tambours & des trompettes, & avec beaucoup d’ordre le Carosse de Monsieur d’Auxerre. La Maréchaussée que nous rencontrâmes au milieu du chemin se joignit à cette Jeunesse, quoiqu’il restast encore une lieuë de chemin à faire pour arriver à la Ville, nous le trouvâmes bordé d’un nombre infini de personnes qui étoient sorties de la Ville & venuës de la Campagne. Nous trouvâmes à demi-lieuë d’Auxerre plus de cinq cent hommes d’Infanterie sous les armes. A l’entrée de la Ville nous trouvâmes le Maire qui complimenta Monsieur d’Auxerre à la portiere de son Carosse. Il parla avec beaucoup d’esprit & avec une effusion de cœur qui nous fit plaisir. Il dit des choses fort glorieuses à la Maison de Quelus, & parla fort avantageusement de Monsieur le Maréchal Faber & de sa famille. La harangue étant finie nous continuâmes nostre marche jusqu’à l’Eglise. Les rues & les fenestres étoient aussi remplies de monde que si tout le peuple de la Province s’étoit rendu à Auxerre. Lorsque le Clergé reçut son Evesque, la Cavalerie & l’Infanterie se retirerent, & ce fut alors que nous essuyames une presse qui nous fit craindre, puisqu’il y avoit quatre fois plus de monde que la grande Eglise n’en peut contenir. Nous penetrâmes cependant jusqu’au Chœur, où aprés une longue Musique & plusieurs harangues assez interrompues par les acclamations du peuple qui benissoit la mere qui avoit porté un tel enfant, Monsieur l’Evesque de son Trône Episcopal, parla à son Troupeau avec beaucoup de dignité pendant un quart d’heure. Ce discours reçut de grands applaudissemens. On le conduisit ensuite au Palais Episcopal, où tous les Corps se sont signalez à l’envi en luy rendant leurs hommages. Tous les appartemens étoient si remplis de monde que je doutay si nous y pourrions passer la nuit. Ce matin les visites & les harangues ont recommencé. Il s’en est trouvé de si belles qu’elles seroient avoüées par les plus habiles Academiciens de Paris ; mais ce qui nous a fait le plus de plaisir, a esté de voir l’effusion du cœur de tout le monde ; car je ne croy pas qu’il y ait eu jamais icy une Ceremonie plus sincere, ny plus solemnelle. Je vous ay déja parlé des beautez de la Maison de campagne où nous avons fait quelque sejour, mais je puis vous dire présentement que ce n’est qu’un tres-petit échantillon de celles du Palais Episcopal. Le bon goût, la dépense, le bon air, en un mot l’art & la nature y donnent le plus accompli Palais qu’aucun Evesque puisse avoir en France. Comme les portraits sont toûjours inferieurs à leurs originaux, la description que je vous en ferois, seroit beaucoup au dessous des beautez qui s’y trouvent & il faut vous laisser le plaisir de la surprise, puisque vous nous promettez celuy de vous y voir. Monsieur l’Evesque donna hier un grand soupé. Mercredy il fera l’Office dans la Cathedrale, aprés lequel il ira se reposer deux jours à la campagne ; car je vous assure que nous sommes accablez d’honneurs.

Air, ou récit de Basse §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 342-344.

Les paroles qui suivent on esté mises en Air par Mr de Montailly ; elles servent d’explication à la Devise du Jetton de la Marine qui a esté frappée cette année, & dont la face droite represente Monsieur le Comte de Toulouse.

AIR, OU RECIT
de Basse.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par ces mots, Où sont-ils, &c. doit regarder la page 343.
Où sont-ils ces audacieux,
Qui couvroient les deux Mers de leurs Voiles nombreuses,
Et sembloient menacer & la terre & les cieux ?
De nos armes victorieuses,
Ils n’ont que trop senti les redoutables coups :
Tant de Vaisseaux armez flatoient leur esperance,
Ils croyoient ébranler & l’Espagne & la France.
Louis a bravé leur courroux.
Sa foudre par mon bras les a dissipez tous.
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[Livre intitulé la Langue] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 348-351.

Rien n’est plus curieux que ce Livre, & il seroit à souhaiter qu’il se répandist chez tous les Peuples de l’Europe, afin qu’ils fussent instruits à fond des veritez qu’il contient, & que ceux qui gouvernent n’ignorent pas, ou du moins ne doivent pas ignorer, rien n’estant plus necessaire dans la conjoncture presente pour rendre justice à ceux à qui elle est dûë.

Le sieur Coustelier, ruë S. Jacques au Cœur-bon, vend un Livre intitulé, la Langue. Quoy que ce Livre ait un titre fort court, son utilité ne laisse pas d’estre fort étenduë pour la conduite de la vie : vous en pourrez juger par les vingt sept Traitez, ou Chapitres qu’il contient ; qui sont, 1. De la conversation. 2. la Langue du Babillard. 3. la Langue du Silentieux. 4. la Langue du Diseur de bons mots. 5. la Langue du Polisson. 6. la Langue du Railleur. 7. la Langue de celuy qui dispute. 8. la Langue de l’Opiniastre. 9. la Langue de l’Etourdy. 10. la Langue du Complimenteur. 11. la Langue de celuy qui louë. 12. la Langue du Flatteur. 13. la Langue du Menteur. 14. la Langue de celuy qui se vante. 15. la Langue du Medisant. 16. la Langue de celuy qui jure. 17. la Langue de celuy qui promet. 18. la langue du Nouvelliste. 19. la langue de celuy qui fait des rapports. 20. la langue de celuy qui conseille. 21. la langue de celuy qui fait des reprimendes. 22. la langue de celuy qui instruit. 23. la langue de celuy à qui on confie, ou qui confie un secret. 24. la langue des Femmes. 25. la langue de l’Amour. 26. la langue de celuy qui se plaint. 27. la langue de celuy qui console. Chacun de ces Traitez contient plusieurs Maximes, & chaque Maxime est suivie de solides Reflexions que l’Auteur fait sur luy-même & sur les autres d’une maniere judicieuse & polie, & sans avoir d’autre vûë (puisqu’il ne veut pas estre connu) que l’interest du public ; c’est dans cette même vûë qu’il donne dans le dernier Traité les plus forts principes dont on se puisse servir pour se consoler dans les plus ordinaires disgraces de la vie. Quand il n’y auroit dans ce Livre que ce Traité, on devroit presque toûjours l’avoir à la main, parce qu’on a presque toûjours besoin des remedes qu’il renferme.

[Mort de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 363-371.

Le 13 de ce mois, à neuf heures & demie du matin, Monseigneur le Duc de Bretagne fut saisi tout d’un coup d’un catharre suffoquant, causé par un mouvement de dents, qui fut suivi de violentes convulsions réïterées frequemment. Elles furent suspenduës par les remedes ausquels on eut recours, pendant trois heures & demie ; de sorte qu’il parut presque revenu dans son estat naturel ; mais une cinquiéme attaque de convulsions ayant absolument serré sa poitrine, il en fut étouffé sur les sept heures du soir. Ce Prince estoit âgé de neuf mois & dix-neuf jours, estant né le 25. de Juin de l’année derniere.

A peine la maladie de Monseigneur le Duc de Bretagne eust-elle esté sçuë à Paris que le P. de la Chaise partit pour se rendre à Versailles. Il arriva avant sa mort, mais il ne vécut pas longtemps aprés. Lorsqu’il fut expiré, le Roy dit au P. de la Chaise en parlant de ce Prince : ce n’est pas luy que je plains ; il est bien-heureux, & nous sommes dans des places difficiles pour le salut. Ce Monarque dit à Madame la Duchesse de Bourgogne : Dieu vous l’avoit donné, Madame, Dieu vous l’a osté ; il est le maistre. Si toute la Cour, qui s’estoit renduë chez le Roy pour marquer sa douleur par sa presence, demeura muette par respect & pour mieux faire voir la douleur qu’elle ressentoit, cette douleur ne l’occupa pas entierement, & elle fut partagée par l’admiration que luy donna ce qu’elle entendit dire à Sa Majesté, & par la maniere heroïque & chrétienne avec laquelle elle soutint la douleur dont elle estoit penetrée. Celle de Monseigneur le Duc de Bourgogne n’estoit pas moindre & ce Prince ne la soûtint pas avec moins de dignité & de resignation & ne fit pas voir une constance moins chrétienne à la supporter. On voulut luy representer tous les malheurs dont S. Louis avoit esté attaqué pendant son regne, & ce qu’il avoit souffert du costé de ses enfans, & luy faire voir la constance avec laquelle il avoit supporté tout ce qui luy estoit arrivé de plus douloureux. Ce Prince répondit qu’il le sçavoit bien ; mais qu’il y avoit une grande distance entre S. Louis & luy. La grande pieté de ce Prince est si connuë que toute la Cour estoit persuadée qu’il sçauroit mettre en usage pour se consoler & pour se resigner aux volontez du Ciel, toutes les vertus qu’il pratique tous les jours. Je n’ose m’expliquer plus au long là-dessus, persuadé que je ferois mal ma Cour, la modestie de ce Prince m’estant connuë.

Je ne vous rapporte point icy ce que Monseigneur le Dauphin a dit dans la douloureuse situation où il s’est trouvé à l’occasion de cette mort. Je vous diray seulement que ce Prince toûjours égal a fait voir une douleur aussi sage que sa tendresse a toûjours esté grande pour son auguste Famille, & qu’il y a joint une resignation heroïque.

Je ne vous feray point icy le détail de la pompe funebre de ce Prince, puisqu’il a esté rendu public. Je vous diray seulement qu’il fut conduit à S. Denis par Monsieur le Cardinal de Coislin, Grand Aumônier de France, & par Madame la Duchesse de Ventadour, Gouvernante des Enfans de France, accompagnée de Me de la Lande, Sous Gouvernante, & que Monsieur le Duc de Bourbon avoit esté nommé par le Roy pour faire les honneurs de ce Convoy. Le Carosse dans lequel estoient le corps & le cœur de Monseigneur le Duc de Bretagne estoit precedé & suivi de plusieurs détachemens des troupes de la Maison du Roy. Le détachement des Mousquetaires gris estoit commandé par Mr d’Artagnan, & celuy des noirs par Mr de Canillac : celuy des Gendarmes par Mr de Tresnel : celuy des Chevaux legers par Mr de Pourpris : & celuy des Gardes du Corps qui suivoient le Carosse & fermoient la marche, par Mr de Scheladet. Monsieur le Duc de Tresmes, premier Gentilhomme de la Chambre, & Mr l’Abbé de Sourches, Amônier du Roy de quartier, estoient dans ce Carosse, qui estoit accompagné de 24. Pages de la grande & de la petite Ecurie à cheval, & d’un grand nombre de Valets de pied, qui portoient tous des flambeaux de cire blanche, aussi bien que tous les détachemens des troupes dont je viens de vous parler.

Au retour de S. Denis le cœur de Monseigneur Duc de Bretagne fut porté au Val de Grace dans le même ordre.

Je vous envoye deux Epitaphes sur la mort de Monseigneur le Duc de Bretagne : la premiere est de Mr de Messange, & la seconde de Mr Tremaile.

Cy-gist des François l’esperance,
Le tendre & juste amour du plus puissant des Rois,
L’ornement inoüi de l’Empire François,
Dont l’Univers n’eut d’exemple qu’en France.
Ne pleurez point sur son tombeau :
Son calme est doux, son sort est beau ;
Et la perte pour nous n’en est pas sans ressource ;
Puisque le Ciel habile à répandre ses dons,
Nous en laisse l’auguste Source
Qui nous rendra bien-tost autant que nous perdons.

AUTRE.

Cy-gist un Prince né pour le Trône de France.
La triste mort nous l’a ravi dés le Berceau :
Plus qu’on ne vit des feux briller à sa naissance,
Il couleroit de pleurs sur son Royal Tombeau,
S’il ne portoit déja la seule des Couronnes,
Preferable aux Etats de ses puissans Ayeux,
Et s’il ne nous restoit deux augustes Personnes
Pour faire encor cesser nos besoins & nos vœux.

[Autre mariage] §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 372-376.

Le Lundy 27. Avril Mr de Guiry, Chevalier Seigneur de Noncourt & de Rousieres, épousa Madlle de Malezieu, fille de Mr de Malezieu, Chevalier Chancelier de Dombes, Seigneur de Chastenay, l’un des dix Honoraires de l’Academie des Sciences, & l’un des Quarante de l’Academie Françoise, & de Dame Françoise Faudel de Faveresse. Son Altesse Serenissime Madame la Duchesse du Maine vint exprés de Marly coucher à Versailles. Elle fit l’honneur à la jeune Mariée de la mener à l’Eglise Paroissiale, où la ceremonie fut faite par Mr l’Abbé de Malezieu, & au retour, cette Princesse qui ne manque à rien de tout ce qui peut faire plaisir aux personnes qu’elle honore de ses bontez, donna la chemise à Madlle de Malezieu. Il y a long temps que Madame la Duchesse du Maine, dont le discernement fin & delicat n’est touché que du vray merite, a appellé la jeune Mariée à son intime familiarité, & à ses plaisirs toûjours reglez par la raison & par la sagesse. Madlle de Malezieu à present Me de Guiry, a en effet mille bonnes qualitez. Elle a une physionomie douce & insinuante qui luy attire les cœurs, sans qu’on la connoisse ; elle joüe du Clavecin, sçait la Musique & chante comme les Maistres. On ne s’étonnera pas qu’elle ait reçû une excellente éducation, quand on fera reflexion qu’elle a esté élevée par la même personne, qui a esté choisie pour élever tant de grands Princes, & que Me sa mere, Gouvernante des Enfans de Monsieur le Duc du Maine, ne luy a jamais donné que de grands exemples de sagesse & de vertu. La famille de Mr de Malezieu est établie depuis plusieurs siecles à Paris, où elle a donné plusieurs personnes distinguées dans l’Epée & dans la Robe. Elle est alliée aux Saintions, aux Andrés, aux Parfaits, aux le Coigneux. Le cinquiéme ayeul de la Mariée se distingua fort dans les guerres de la Religion, & mourut Lieutenant general & Gouverneur du Soissonnois ; mais sans puiser dans l’Antiquité, pour relever la naissance de Me de Guiry, il suffit de dire qu’elle est fille, de Mr de Malezieu, dont le merite rare & generalement reconnu est au dessus des titres & des éloges. Quant à la Maison de Guiry, personne n’ignore qu’elle est des plus considerables du Royaume, & qu’elle descend incontestablement des anciens Seigneurs Sicambres. Elle tient depuis plus de huit siecles un des premiers rangs parmy la haute Noblesse du Vexin. Elle a donné à la France plusieurs Prelats & plusieurs grands Chambellans de nos Rois. L’illustre S. Romain estoit de cette Maison ; ce qui se prouve par des titres & par des monumens publics, dont il n’est pas possible de douter. On y justifie plus de trente degrez de filiation non interrompuë, & le dixiéme ayeul du Marié fut donné en ôtage pour la personne du Roy Jean, aprés la bataille de Poitiers. Mr de Guiry, dont il s’agit, a eu l’honneur d’estre Page de la Chambre du Roy, & est fils de Mr de Guiry, Lieutenant general du Païs d’Aunis & Gouverneur des Tours de la Rochelle, qui a laissé une grande reputation de valeur, de conduite & de probité dans les Gardes du Corps de Sa Majesté, dont il a eu l’honneur d’estre fort longtemps Enseigne.

Lettre du Roy, ecrite à Monseigneur le Cardinal de Noailles, Archevêque de Paris §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 412-418.

Le Roy voulant faire rendre graces à Dieu de toutes ces conquestes envoya la Lettre suivante à Monsieur l’Archevêque de Paris. Je sçay qu’elle vous a déja esté envoïée ; mais comme ce qui n’est qu’en feüilles volantes s’égare souvent, & qu’on ne le peut dans la suite trouver, que lorsqu’il est inseré dans de plus gros ouvrages, vous ne devez pas vous étonner si vous trouvez cette Lettre parmi les nouvelles que je vous envoye.

LETTRE
DU ROY,
Ecrite à Monseigneur le Cardinal de NOAILLES, Archevêque de Paris.
Pour faire chanter le Te Deum dans l’Eglise de Nôtre-Dame, en action de graces de la prise de Veruë par l’Armée de Sa Majesté, sous le Commandement de M. le Duc de Vendôme ; & autres avantages remportez contre Mr le Duc de Savoye.

Mon Cousin, le Siege de Veruë commencé par mon Cousin le Duc de Vendosme dés le 14. Octobre dernier, vient d’estre heureusement terminé le 8. de ce mois par la reduction de cette Place qui s’est soûmise à mon obéissance, & dont la Garnison s’est renduë à discretion aprés une deffense de prés de six mois. Le Duc de Savoye par sa presence, par l’union de toutes ses troupes, par les secours & par les rafraîchissemens continuels qu’il fournissoit à cette Place, n’a rien obmis de tout ce qui auroit pû rebuter d’autres troupes que les miennes : Mais tous ces obstacles n’ont fait qu’animer davantage leur courage & leur fermeté dans toutes les occasions qui se sont présentées, & qu’à redoubler leur patience à supporter la rigueur d’un des plus rudes hyvers. Cette entreprise auroit esté plus promptement terminée, si le Duc de Vendôme encore plus occupé de la conservation de mes troupes que de sa propre gloire, instruit d’ailleurs de l’extremité où étoient les Assiegez, n’avoit jugé plus à propos d’en differer le succés, que de l’avancer en exposant au peril inévitable de plusieurs mines dont il avoit connoissance, tant de braves Officiers & de Soldats, qui s’y seroient livrez avec la mesme ardeur dont il avoit esté témoin en tant de differentes occasions. Quoiqu’une partie considerable des troupes que j’ay en Italie fust employée à cette entreprise, qu’une autre partie composée de l’Armée que j’ay en Lombardie opposée à celle de l’Empereur, que j’aye fait avancer un autre Corps de troupes vers Pignerol, que plusieurs bataillons soient employez au blocus du Chasteau de Montmelian & à la conservation des Vallées ; j’ay neanmoins jugé à propos, pour oster au Duc de Savoye tous moyens de se procurer des secours ou par terre ou par mer, de former une nouvelle Armée dont j’ay confié le commandement au Duc de la Feüillade, soutenu des forces de mes Vaisseaux & de mes Galeres commandez par le Marquis de Roye, pour se rendre maistre de la Ville de Nice, des Ville & Chasteau de Villefranche & des Forts de Saint Ospice & de Montalban, ce qui a esté executé avec autant de capacité que de valeur. Des avantages si considerables qui ne sont dûs qu’à la protection du Ciel, m’obligent d’en rendre à Dieu de tres-humbles actions de graces. Ainsi je vous écris cette Lettre pour vous dire que mon intention est que vous fassiez chanter le Te Deum en l’Eglise Metropolitaine de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le Grand Maistre, ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part : Sur ce, Je prie Dieu qu’il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Marly le 21. Avril 1705. Signé LOUIS ; Et plus bas, Phelypeaux.

Enigme §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 429-432.

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit le Caresme ; ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs le Chevalier de Simery & Chauvelot Avocat de Semur en Auxois : Fleury Avocat : Loreau : Robinet proche S. Pierre aux Bœufs : de Sancé, Pensionnaire de Mr Thomas : Richard du Marais : le Philosophe neutre : le zelé Cartesien : le Medecin poly : le spirituel Abbé du quartier Saint Jacques : le grand Clerc de la ruë des Marmousets : le grand Compere de l’aimable Suzon de la ruë des deux Ponts : l’Ami content de Versailles : le petit Loup de Versailles & son grand Pere : le Heros du Canada : D.L. & la belle Brune du bout de la ruë Quinquempoix : l’Echo fidele : & Mlles de Segny de Semur en Auxois : Bailly du Fauxbourg S. Antoine : du Moutier, la fille, de la ruë de l’Echarpe : Rousseau du quartier S. Merry : le Vasseur du quartier S. Nicolas des Champs : de la Vigne du quartier S. Paul : la constante Calesienne & sa fidelle Amie : Tamiriste : la charmante enjouée & l’aimable Prude sa sœur de la ruë des Canettes, derriere la Madelaine : les trois sœurs du quartier S. Sulpice : la fine Manon de la ruë S. Denis : la brillante Heroïne, & l’heureuse mariée.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Je suis d’une figure ronde
Par le cul, la teste, & le corps.
A voix haute on m’annonce au monde,
Et les soirs sans jambes je sors ;
Comme j’affecte d’estre rond
Mon corps ne se remplit que de matiere ronde,
Et je fais la joye d’une ronde,
Quand on me vuide sur un rond.
Je réjoüis les jeunes gens,
Mon Maistre chante leur victoire
Il attrape les plus sçavans
Et si pour prix, on le fait boire ;
On l’accuse par tout, dit-on,
Qu’il n’a jamais eu de memoire ;
Mais pour empêcher de le croire
On l’entend fort souvent qu’il repete son nom.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1705 [tome 4], p. 432-433.

Les paroles que je vous envoye sont de Mlle des Houlieres. Vous sçavez qu’elle a herité du talent merveilleux que sa mere avoit pour la Poësie, que cette Demlle a infiniment d’esprit, & qu’elle n’est pas moins estimée par son bon cœur que par les beaux talens qu’elle possede. Les paroles ont esté mises en air par Mr de la Tour, il y a long-temps que sa reputation vous est connuë ; ainsi rien ne doit manquer à l’air & aux paroles que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : Celle [la Chanson] qui commence par ces mots, Venez, petits Oiseaux, &c. doit regarder la page 433.
Venez petits Oiseaux sous ces charmans ombrages
De mon Iris annoncer le retour.
Venez celebrer un amour,
A qui le temps ne peut faire d’outrages.
Pour rendre mon bonheur plus doux,
Quand vous aurez admiré cette Belle,
Partez, volez, separez-vous,
A mes jaloux, portez-en la nouvelle.
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