1705

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1705 [tome 11].
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Mercure galant, novembre 1705 [tome 11]. §

[Mariages, du nombre desquels sont deux étrangers] §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 196-211.

Le 4. de Novembre Mre Henry-François de Paule le Fevre-d’Ormesson-d’Amboile, Conseiller au Parlement, épousa Dlle Catherine de la Bourdonnaye de Coëtyon ; ce mariage a eu un applaudissement general. Mr l’Abbé d’Ormesson, oncle de l’époux & Doyen de Beauvais, en fit la ceremonie à S. Mederic, Paroisse de la nouvelle épouse.

Il y a peu de familles dans la robe aussi anciennes & aussi bien alliées que celle de Mr d’Ormesson ; il est frere de Me Anne le Fevre-d’Ormesson, épouse de Mr Daguesseau, à present Procureur General ; & neveu de Mre Antoine François de Paule le Fevre-d’Ormesson, Maître des Requêtes & Intendant en la Generalité de Soissons. Son pere qu’il perdit en bas âge, estoit Mre André le Fevre-d’Ormesson, qui est mort Maître des Requêtes & Intendant en la Generalité de Lyon. Son ayeul est le celebre Olivier le Fevre-d’Ormesson, qui s’estoit acquis par son integrité & sa fermeté inébranlable la veneration de tout le Royaume. André, son bis-ayeul, est mort Doyen du Conseil. Olivier, son tris-ayeul, avoit épousé une arriere-petite niece de S. François de Paule : il a fait la tige de trois illustres familles, sçavoir, d’Ormesson, d’Eaubonne, & de Lezeau. La mere de Mr d’Ormesson mourut quelques jours aprés qu’il fut né ; elle se nommoit Eleonor le Maître, & estoit fille de Mre Jerosme le Maître, President en la 4e Chambre des Enquestes, & de Dame Marie-Françoise Feydeau. Cette Dame, dont tout le monde connoist la probité & le merite singulier, a eu soin de l’éducation de Mr d’Ormesson. Mr le President le Maître estoit de la famille du fameux Gilles le Maître, premier President du Parlement de Paris.

La nouvelle épouse est aussi d’une famille tres-considerable ; elle est fille de Mre Yves-Marie de la Bourdonnaye de Coëtyon, Maître des Requêtes & Intendant de Bordeaux, & de Dame Catherine de Ribeyre. Mr de la Bourdonnaye est frere de Mr l’Evêque de S. Paul de Leon, & sa famille est tres-distinguée en Bretagne, où elle a rempli les premieres Charges de ce Parlement ; mais le merite personnel de Mr de la Bourdonnaye ne sert pas peu à relever sa famille. Le Roy vient encore de luy donner une nouvelle marque de son estime, & de la satisfaction qu’il a de ses services. Me de la Bourdonnaye est le seul enfant qui reste maintenant à Mr de Ribeyre, Conseiller d’Etat, que sa capacité, sa prudence, & son integrité ont toujours distingué dans le Conseil. Me de Ribeyre est fille de feu Mr Pottier de Novion, premier President du Parlement de Paris. Le nom de Pottier de Novion est si generalement connu, que je ne vous en dis rien davantage.

On maria le 3. du mois de Novembre, dans la Paroisse de saint Troüé à Nevers, un homme âgé de cent huit ans ; l’Eglise put à peine suffire pour contenir le monde qui y estoit venu en foule pour voir une chose si extraordinaire. Les Dames qui s’y trouverent, l’obligerent de danser au sortir de l’Eglise ; ce qu’il fit fort agreablement.

Mr le Marquis de Deinse, Gouverneur de Bruxelles, a épousé en secondes noces Mlle d’Oignies, fille de Mr le Comte de Coupignies, Chevalier de la Toison d’or. Cette Dame est d’une tres-ancienne maison & alliée aux plus considerables des Pays-bas ; l’Ordre de la Toison d’or, dont Mr le Comte de Coupignies son pere a l’honneur d’estre, est une preuve de l’éclat de sa naissance & du rang que cette Maison tient dans le monde. Me la Marquise de Deinse a beaucoup d’agréemens, & les soins qu’on a pris pour son éducation ont parfaitement réüssi, puisque c’est une des personnes de la Cour de Bruxelles, des plus accomplies. Mr le Marquis de Deinse est d’une tres-ancienne Maison, & qui a produit de celebres personnages ; ce nom est tres-connu dans les Pays bas. L’employ de Mrs de Deinse est une preuve de la confiance que l’on a en luy ; & on ne donne de pareils postes qu’à ceux qui les ont merité par de longs services & par une fidelité souvent éprouvée. La maison dont Mr le Marquis de Deinse est le chef, estoit connuë dans les Pays-bas dés le temps des premiers Comtes de Flandres. L’heritiere de Flandres qui épousa le premier Duc de Bourgogne, qui estoit fils du Roy Jean, avoit à son service, & en qualité d’un de ses principaux Officiers, un Seigneur de Deinse. Le pere de Mr le Marquis de Deinse a servi une grande partie de sa vie, & il a donné en diverses occasions des marques de son courage. Celuy qui vient de se marier a aussi long-temps porté les armes, & il s’est fait voir souvent digne du nom qu’il porte.

La Maison de Coupignies dont est Mlle d’Oignies, n’est pas moins illustre ; elle a donné plusieurs Chevaliers de l’Ordre de la Toison d’or. Dans l’établissement de cet Ordre un Seigneur de cette Maison fut des premiers à qui le Duc de Bourgogne l’accorda. Le Comte de Coupignies, fils de ce Seigneur, fut fort consideré à la Cour de Philippes le Bon, Duc de Bourgogne ; il estoit fort avant dans la confidence de ce Prince, qui le combla de biens-faits. Le fils de ce Comte fut aussi tres-attaché à la Princesse Marie, petite-fille de Philippes le Bon, qui épousa Maximilien Roy des Romains, qui fut ensuite Empereur & ayeul de Charlequint. Bruxelles, dont Mr le Marquis de Deinse est Gouverneur, est la Capitale du Duché de Brabant, le Siege de la Chancellerie & de la Cour de Brabant, des Conseils d’Etat, des Finances, & de la Guerre, & la demeure ordinaire du Prince ou du Gouverneur general que le Roy d’Espagne tient dans les Pays-bas. Elle est située sur la petite riviere de Saine, qui se rend dans l’Escaut par un canal de cinq lieuës qu’on y fit en 1561. Elle est en partie bâtie dans la plaine, & en partie sur un costeau fort agreable.

Le Roy d’Espagne a donné la Charge de Mayor-Domo-Mayor, à Mr le Conestable de Castille ; & ce Seigneur épousa peu de jours aprés, Donna Anna-Maria Giron, l’une des Dames de la Reine. Cette ceremonie se fit avec beaucoup de magnificence ; le Roy & la Reine firent voir beaucoup de distinction pour les nouveaux Mariez, & leur firent tous les honneurs que des Souverains peuvent faire à des sujets. Il y eut pendant plusieurs jours de magnifiques Festes dans l’Hostel de ce Connestable, & qui se trouverent du goust de toutes les Nations, tant il avoit pris soin de les diversifier. La symphonie estoit admirable ; & il avoit envoïé chercher des Musiciens meme hors du Royaume. Je ne vous diray rien de la Maison de Velasco, dont est Mr le Connêtable de Castille, vous en ayant parlé plusieurs fois. Je vous diray seulement que l’illustre Maison de Giron, dont est Me la Connestable de Castille, a produit sur la fin du 16e siecle, un Archevêque de Tolede. Garcias de Loyasa Giron ne joüit pas long-temps de cette dignité, il mourut en 1599. six mois aprés avoir esté élevé à cette dignité, & avoir succedé au Cardinal Albert d’Autriche qui l’avoit laissé grand Vicaire à Tolede, lorsqu’il vint prendre le gouvernement des Pays-bas ; ce Prince s’estant marié ensuite, Philippe II. donna cet Archevêché à Loyasa Giron. Ce Prelat estoit né à Talavera, & fils de Pierre Giron Conseiller au Conseil suprême de Castille ; & de Dame Mencia de Caravaial. Son oncle Lopez de Caravaial luy resigna l’Archidiaconé de Guadalaiar, qui est une des dignitez de l’Eglise de Tolede, où il avoit déja une Chanoinie. Il y demeura jusqu’en 1585. que Philippe II. l’appella à la Cour, où il le fit son Aumônier & Maistre de sa Chapelle, & peu de temps aprés Précepteur du Prince Philippe Infant d’Espagne. Ce Prelat nous a laissé une collection des Conciles d’Espagne. Me la Connestable de Castille est une tres-aimable personne, & fort aimée de la Reine sa Maistresse. La Charge de Mayor-Domo-Mayor est une des plus importantes de la Cour d’Espagne. On croit qu’elle fut établie un peu aprés l’an 1010. qu’un Sanche de Villa Espinosa avertit un Comte de Castille, que sa mere le vouloit empoisonner : mais on ne doit pas beaucoup compter sur cette vieille tradition.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 215-216.

L’Air que je vous envoye a esté noté par de Montailly, & les paroles sont tirées des œuvres de Me des Houlieres.

AIR NOUVEAU.

AVIS. L’Air, Agreables transports, page 216.
Agreables transports qu’un tendre amour inspire,
Desirs impatiens, qu’étes-vous devenus ?
Dans le cœur du Berger pour qui le mien soûpire,
Je vous cherche, je vous desire ;
Et je ne vous retrouve plus.
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[Messe celebrée par Mr l’Evêque de Fréjus, à l’ouverture du Parlement] §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 250-254.

Le mesme jour, le Parlement fit chanter à l’ordinaire une Messe solemnelle, où tous ceux qui composent ce grand Corps, doivent se trouver en robes rouges. Elle fut chantée en musique, & celebrée par Mr de Fleury, ci-devant Aumônier du Roy, & presentement Evêque de Fréjus, qui fut servi par Mrs du Seminaire de Saint Nicolas du Chardonnet, parmi lesquels on remarqua Mr l’Abbé de Canillac & Mr l’Abbé de Colonges, tous deux Comtes de Brioude. La Messe estant finie, Mrs du Parlement passerent dans la Grand-Chambre, où le Prélat Officiant prit place au dessus du plus ancien Conseiller. Mr le premier President le remercia au nom de la Compagnie de la peine qu’il avoit pris de venir à Paris, & de sortir de son Diocese pour faire cette ceremonie ; il le loüa de son application à ses devoirs, & sur tout de l’exacte residence qu’il faisoit dans son Eglise ; il toucha quelque chose de la maniere dont il avoit rempli ses devoirs pendant le long séjour qu’il avoit fait à la Cour en qualité d’Aumônier de sa Majesté : Enfin, il finit en lui souhaitant un long Episcopat & rempli de toutes sortes de benedictions. Le compliment de Mr l’Evêque de Fréjus fut trés-delicat, & l’éloge qu’il fit du Parlement de Paris fut trouvé tres-beau. Il loüa le zele, la fidelité, & l’attention continuelles de cette celébre Compagnie pour le bien & la tranquillité de la patrie ; & l’éloge particulier qu’il fit de Mr le premier Président fut fort applaudi. Il dit à ce grand Magistrat qu’il réunissoit en luy la vertu, les lumieres & l’integrité des Achilles de Harlay & des Pompones de Belliévre ses illustres ayeuls ; que le public avoit encore aujourd’huy la consolation de voir revivre en luy ces grands noms, autrefois si chers aux François, & si venerables à toute l’Europe : que le sang de ces dignes Chefs de la Justice qui couloit dans ses veines faisoit tomber sur sa teste avec encore plus d’abondance les benedictions de tous les peuples de cette grande Monarchie. Ce discours reçût de grands applaudissemens.

[Ce qui s’est passé à Lille, pendant le sejour que S.A.E. de Bavière y a fait] §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 280-284.

Monsieur l’Electeur de Baviere jugeant que la Campagne finiroit par la prise de Diest & par celle de Santvliet ; que les ennemis estoient trop avancez pour revenir sur leurs pas ; qu’ils estoient trop affoiblis ; que presque toute leur Cavalerie estoit ruinée ; & qu’ils estoient persuadez que les troupes de deux Couronnes étoient en estat de s’opposer à tous leurs desseins, resolut avec Mr le Maréchal de Villeroy de les faire mettre en quartiers d’hyver : & pendant qu’elles y ont marché, ce Prince a esté voir à Lille son Altesse Electorale de Cologne, son frere, où elle fait son sejour. Cette Altesse y a demeuré incognito, & a refusé absolument tous les honneurs qu’on se préparoit à luy rendre ; cependant on n’a pas laissé de tirer le canon à son arrivée & à sa sortie. Pendant le sejour que son Altesse Electorale a fait à Lille, Monsieur l’Electeur de Cologne & Mr le Maréchal de Boufflers n’ont rien oublié pour la divertir ; & Monsieur de Cologne sçachant qu’elle souhaitoit de voir une Comedie Allemande, a trouvé le moyen de luy donner ce divertissement. Mr le Maréchal de Boufflers s’est empressé de son costé à chercher tout ce qui pouvoit contribuer aux divertissemens de ce Prince. On a donné plusieurs Bals pendant son sejour ; il y a eu grand Jeu ; on a pris plusieurs fois le plaisir de la Chasse ; & Mr le Maréchal de Boufflers a traité ce Prince avec toute la magnificence imaginable. Il l’a accompagné à son retour jusques à Tournay ; ils ont chassé sur leur route : & estant arrivez à Tournay, ils en ont visité les fortifications, qui ont esté trouvées tres-belles, & dans un tres-bon estat. Enfin cet Electeur, aprés avoir esté regalé de nouveau avec beaucoup de somptuosité par Mr le Maréchal de Boufflers, ce Maréchal prit congé de son A. Electorale, qui retourna à Bruxelles, où elle a esté reçuë avec beaucoup de joye & de grands applaudissemens ; toute la Ville ne pouvant cesser de loüer un Prince, qui par sa prudence & par les grands mouvemens qu’il n’a point cessé de se donner, a trouvé le moyen d’empescher que les ennemis, aprés leur entrée dans les Lignes, ne se rendissent maistres de cette Capitale du Brabant.

[Discours prononcez à l’ouverture de l’Académie des Médailles & Inscriptions, & à l’Academie des Sciences] §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 284-295.

Le Vendredy 13. Novembre, l’Academie des Inscriptions & des Medailles, recommença ses Séances par une Assemblée publique, dans laquelle Mr Danché, connu par plusieurs Tragedies en Musique, qui ont eu beaucoup de succés, ouvrit la Séance par la lecture qu’il fit d’une Dissertation de sa composition, touchant les repas des Anciens. Elle étoit remplie de traits agréables d’érudition ; & tous les Passages qu’il cita de nos plus celebres Auteurs, firent beaucoup de plaisir. Il en rapporta plusieurs tirez des ouvrages de Platon, sur les Festins symposiaques, où les anciens Philosophes se trouvoient moins pour boire & pour manger, que pour parler avec plus de liberté & d’enjoüement des hautes Sciences & des plus grands sujets de la Morale. Apulée, Athenée, Lucien, & tous les anciens Auteurs qui ont écrit sur cette matiere, furent amenez dans cette Dissertation ; celle du Pere Fronteau, Chanoine Regulier de Sainte Genevieve, sur l’ancienne maniere de se saluer à table, & qui a paru depuis peu par les soins de Mr de S. Flachard-de-Saint Sauveur, ne fut pas oubliée. Mr l’Abbé Bignon, en resumant tout ce que Mr Danché avoit dit, luy donna de grandes loüanges, sur la fecondité de son genie, & particulierement sur le succés des Pieces qu’il a données au public.

Aprés Mr Danché, Mr Gros de Boze lût un discours sur les recompenses & les marques d’honneur que les Grecs & les Romains accordoient à ceux qui se distinguoient dans les sciences ou dans l’art militaire.

Il remarqua d’abord, que quelque estimable que fust la vertu par elle-mesme, on avoit jugé presque dans tous les temps, que son nom seul & ses charmes ne suffisoient pas pour engager les hommes à la suivre ; que c’est ce premier aveu de la foiblesse humaine qui introduisit l’usage des recompenses & des marques exterieures de gloire & de distinction : qu’ainsi l’honneur devint le chemin ordinaire de la vertu, contre l’idée de ce Sage, qui bâtissant un temple à chacune de ces Divinitez, les joignit l’un à l’autre & les disposa de maniere, que l’on ne pouvoit entrer dans celuy de l’honneur, sans passer par celuy de la vertu. Que ce fust pour exciter cette noble passion dans le cœur de leurs Citoyens, qu’Athenes & que Rome commencerent à tirer le marbre & le porphyre des carrieres ; qu’elles apprirent à fondre l’or, l’argent & le bronze, & qu’elles en dresserent ces Monumens ingenieux ou superbes, qui font encore aujourd’huy le sujet de nostre admiration.

Il parcourut ensuite avec ordre les differentes especes des recompenses que les Grecs & les Romains accordoient à ceux qui se rendoient celebres par une sagesse profonde, par un esprit juste, ou par une valeur éprouvée. Statuës, Inscriptions, Medailles, Couronnes Civiques, Murales, Castrenses, Navales ou Classiques, Bracelets, Chaisnes d’or, Colliers, Ornemens d’hommes & de chevaux, Javelines, Etendarts, Acclamations, Eloges funebres, Apotheoses ; tout cela entra dans son sujet.

La connoissance que Mr de Boze a de l’antique, luy fit rappeller tres-à-propos les plus précieux Monumens, dans tous les endroits où ils pouvoient servir de preuves, ou d’ornement à son discours.

C’est ce que remarqua fort bien Mr l’Abbé Bignon dans la réponse qu’il fit à Mr Gros-de-Boze. Il en rapporta, à son ordinaire, tous les endroits les plus remarquables ; & ce qu’il y ajoûta fit un extrême plaisir à toute l’Assemblée, qui ne pouvoit se lasser d’admirer la presence d’esprit & la memoire de ce sçavant Abbé.

Mr de Boze est connu par plusieurs Dissertations sur les Medailles, qui sont sorties de sa plume depuis un an ou deux. La premiere qui a paru de luy, est une Lettre, adressée au Pere de Chamillart, sur une Medaille qui est dans le Cabinet de ce Sçavant Jesuite. Nous avons obligation de la publication de cette piece au même Mr de S. Sauveur dont je viens de parler. Mr de Boze composa au commencement de ce siecle un Traité historique du Jubilé des Juifs ; & cet ouvrage fut tres-estimé. Une année ou deux auparavant il avoit prononcé à Lion sa patrie, le Discours Consulaire que l’on y fait toutes les années, la veille de la Feste de Saint Thomas, à l’élection des Echevins de cette Ville. Cette piece d’Eloquence fut tres-applaudie.

Mr l’Abbé Massieu, qui par là en suite, avoit choisi pour sujet de son discours, la défense de la Poësie. Quelque temps auparavant, il avoit lû à cette illustre Compagnie le commencement d’un ouvrage, au quel il travaille ; c’est l’Histoire de la Poësie Françoise. L’Apologie dont nous parlons, y doit servir de Préface. Dans cette Dissertation il répondit à ce qu’autrefois Platon, & à ce que, dans ces derniers temps, Mr le Fevre & le Pere Lami ont publié contre la Poësie. Il refuta ces sçavans hommes avec tous les égards qui leur sont dûs ; & en combattant leurs sentimens, il fit voir par tout un fort grand respect pour leurs personnes. Il remarqua que tous les reproches qu’on fait à la Poësie, peuvent se reduire à deux principaux : On prétend qu’elle est propre à gaster l’esprit & à corrompre le cœur. Il justifia sur ces deux accusations, cette partie des belles lettres qui a toujours passé pour la plus agreable ; & montra que si on la considere dans la pureté de sa premiere institution, elle peut être la plus utile.

Ce Discours qui auroit pû ennuyer, s’il n’avoit esté que mediocre, puisque la lecture que Mr l’Abbé Massieu en fit, prolongea d’un quart d’heure le temps ordinaire des Assemblées, parut encore trop court à tous ceux qui l’entendirent, & luy fit donner mille loüanges sur la force de ses preuves & sur la noblesse de son stile. On conçut de là une grande idée de la beauté de l’ouvrage auquel il doit servir de Préface, & il ne peut estre donné au public assez tost pour satisfaire l’impatience que les Amateurs de la Poësie ont de le voir ; & à qui la Poësie ne plaist-elle pas ?

[Lettre de Monsieur le Duc de Savoie à la Reine d’Angleterre, précédée d’un prélude sur la même lettre, & suivie de divers raisonnements] §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 356-372.

Je vous envoye une piece fort curieuse, quoy qu’elle ne soit pas nouvelle ; mais le contenu vous sera sans doute nouveau. C’est une lettre de Monsieur le Duc de Savoye à la Reine d’Angleterre, qui fait voir tous les projets qui avoient d’abord esté concertez pour la derniere campagne. Je vous en marquay quelque chose lorsque la Flotte des Alliez se rendit devant Barcelone ; & je vous dis que Monsieur de Savoye auroit grands sujets de plainte contre ses Alliez, qui faisoient toute autre chose que ce qu’ils luy avoient promis. Je vous marquay aussi qu’il y avoit eu de grandes disputes entre les Alliez, les uns voulant que l’on tinst parole à Monsieur le Duc de Savoye ; & les autres soûtenant qu’il falloit profiter des mesures que Monsieur le Prince d’Armstadt avoit pris pour exciter une rebellion en Catalogne. L’affaire se développe aujourd’huy par la Lettre de Monsieur de Savoye, dans laquelle on voit les premieres resolutions qui avoient été prises, & tout ce qui s’est passé à cette occasion. Vous y remarquerez ce que Monsieur de Savoye dit de Mylord Marlborough, sans le nommer ; mais ce que ce Prince en dit, le fait aisément reconnoistre. Il y a lieu de croire que voulant dominer parmi les Alliez, & avoir la gloire de tout ce qui se passera, tant entre les Troupes, que dans le Cabinet, l’harmonie qui est entre toutes ces Puissances sera bientost rompuë. Il s’estoit broüillé en Allemagne avec Monsieur le Prince de Bade ; il n’est pas mieux presentement avec Monsieur de Savoye, qu’il estoit avec Monsieur de Bade au commencement de la Campagne : & vous avez vû de quelle maniere il s’est attiré les Hollandois, à cause du juste & prudent refus qu’ils ont fait de joindre leur Armée aux Troupes Angloises, pour une expedition, dont le succés paroissoit impossible, & qui pouvoit faire perir leurs Troupes. On verra si ce Mylord sera heureux dans les négociations qu’il prétend faire cet hyver dans la plus grande partie des Cours d’Allemagne ; mais il est à craindre pour luy, que la superiorité qu’il veut avoir par tout, que ses grands projets échoüez sur la Moselle, & le peu d’avantage qu’il a tiré d’avoir trouvé nos Lignes ouvertes, sans avoir esté obligé de les forcer, ne luy procurent quelques chagrins, & sur tout en Angleterre, les Anglois sçachant que leur Armée de Flandre est entierement ruinée, & qu’il n’y reste pas cinq mille chevaux. Je ne croyois pas donner tant d’étenduë à cet article lorsque je l’ai commencé ; mais vous devez remarquer que c’est la verité des faits qui m’a fait parler, tout ce que je viens de dire ne contenant que des faits, & non des raisonnemens.

Voici la Lettre dont je viens de vous parler, & qui a donné occasion à cet article.

À Turin le 26. Aoust.

MADAME,

Les assûrances que Vostre Majesté nous donna par sa Lettre du 12. du mois dernier, que l’Armée Imperiale, sous le commandement du Prince Eugene, nous joindroit incessamment, & délivreroit nos peuples du triste estat où ils se trouvent ; viennent de s’anéantir par le fâcheux succés de la Bataille de Lombardie. Le malheur qui vient d’arriver à cette Armée, ne doit estre attribué ni à ce Prince, ni aux autres Generaux qui servoient sous luy ; puisque les uns & les autres y ont donné des marques de leur valeur : la mort de quelques-uns, & le sang des autres justifient assez leur conduite. Cependant nos Etats sont les seuls qui souffriront des suites de cet évenement ; puisque l’Empereur n’est guére en état de faire passer en Italie un secours aussi prompt, & aussi nombreux qu’il seroit à souhaiter, pour réparer la perte que Sa Majesté Imperiale vient d’y faire.

Si les projets de la Campagne que nous fismes communiquer à Vostre Majesté & à nos autres Alliez dés le mois de Mars dernier, avoient esté suivis, les affaires de l’Europe auroient aujourd’huy une toute autre face. Vous sçavez, Madame, que nostre sentiment estoit, d’estre sur la défensive en Allemagne, en Brabant, & même en Portugal ; & que pendant que la Flotte de Vostre Majesté & celle de Messieurs les Etats Generaux tiendroient en crainte & en allarme les Côtes d’Espagne & de France, on feroit passer en Italie du moins soixante mille hommes, dont vingt mille auroient fait diversion du costé du Milanois, pendant que le reste ayant penetré en Piémont, auroit chassé l’ennemi de nos Etats & favorisé en même temps les Mécontens du Languedoc, qui se voyant abandonnez du côté du Piémont, d’où ils attendoient leur unique soûtien, on les a vû accablez dans un instant.

L’événement n’a jusqu’icy que trop prouvé, que nous ne nous estions point trompez dans les conjectures que nous tirâmes, lorsque nos Ambassadeurs à Londres & à la Haye, nous donnerent avis, que le fort de la guerre tomberoit cette Campagne sur la Moselle. Ils en firent en nostre nom des remontrances inutiles ; les Alliez crurent, sans doute, que nous n’avions en vûë que nos propres interests : ce qui les engagea de préferer les avis de quelques particuliers aux nostres. Si ces particuliers ambitionnoient si fort la gloire, ils pouvoient venir en acquerir plus surement en Italie que sur la Moselle, où leurs vûës se sont trouvées bornées.

Nostre conduite jusques à present a esté fort opposée à l’idée qu’on en a voulu donner dans les Conferences de la Haye, on a vû que bien loin de songer à nos veritables interests, nous les avons sacrifiez pour ceux de la cause commune ; & ce sacrifice volontaire ne nous a procuré que l’abandon de la part de nos Alliez. Car, Madame, nous ne sçaurions nommer autrement la foiblesse & la lenteur des secours qu’on nous a envoyez jusqu’à present ; puisque V.M. n’ignore pas qu’ils nous ont esté entierement inutiles.

Nous nous trouvons presentement dans deux extremitez également fâcheuses ; il faut que nous voyions passer le reste de nos Etats entre les mains de l’Ennemy, ou que nous fassions une paix forcée avec luy, qui ne sera pas moins desavantageuse pour nous, que honteuse pour nos Alliez.

Si nous en venons à cette dure necessité, aucune personne raisonnable ne sçauroit nous en blâmer ; car vous voyez, Madame, qu’il n’est plus temps pour nous de demander du secours aux Alliez, puisqu’ils ont negligé de nous en envoyer, lorsque nous estions en estat d’en favoriser le passage, dans le temps que l’Armée ennemie estoit fort affoiblie par la longueur du siege de Veruë.

Cependant s’il y a encore quelque milieu à prendre pour l’interest de la cause commune, & que nous puissions y contribuer de nôtre part, nous sommes encore prests d’écouter là-dessus les sentimens de V.M. & ceux de l’Empereur, & des Etats Generaux, à qui nous écrivons aujourd’huy sur le même sujet ; mais comme le temps ne sçauroit estre plus precieux, nous esperons que les Puissances alliées avec nous ne l’employeront pas en vaines deliberations. Cependant nous souhaitons à Vostre Majesté un heureux regne, & toutes sortes de prosperitez, puisque nous sommes avec sincerité, Madame, vostre affectionné Amy & Confederé.

Signé, Victor-Amedée.

Personne ne doutera, aprés la lecture de cette lettre, que les Alliez n’ayant esté battus au Combat de Cassano, puisque Monsieur le Duc de Savoye l’avouë luy mesme ; & quand il n’en demeureroit d’accord, ce qui s’est passé depuis ce combat fait connoistre la verité. Toutes les Lettres d’Allemagne & celles de l’Armée de Monsieur le Prince Eugene ont fait connoistre que ce Prince a reçu sept ou huit mille hommes de secours depuis le Combat de Cassano ; & quand il n’en auroit reçeu que six, suivant les Lettres de ceux qui l’étendent le moins, il auroit dû, s’il avoit gagné la bataille, suivant le langage de ceux qui en ont fait chanter le Te Deum dans leurs Etats, faire reculer beaucoup en deçà Monsieur le Duc de Vendosme : puisqu’une Armée victorieuse & qui reçoit des secours, aprés le gain d’une bataille, doit profiter de ces deux avantages, & pousser vigoureusement ses ennemis. Cependant il faut, ou que le gain de cette Bataille tant vanté, soit faux, ou que Monsieur de Vendosme soit le plus grand & le plus habile de tous les Capitaines, & que l’on ne puisse rien ajoûter à la valeur des François ; puisque les ennemis ont presque toujours esté battus, & ont toujours reculé depuis le Combat de Cassano, quoyque Monsieur de Vendosme n’ait receu aucun secours. C’est un fait constant, & chacun sçait que ce Prince n’a point reçeu ce luy qui luy avoit esté destiné.

Enigme §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 407-410.

Le mot de l’Enigme du mois dernier étoit Les Orgues de Barbarie. Quoyque tous les vers en soient justes, je croyois que le mot de cette Enigme seroit plus difficile à trouver ; le sujet en estant peu connu. Voicy les noms de ceux qui ont trouvé ce mot.

Mrs de la Panneterie, d’Amiens, ruë Sainte Croix prés du Palais ; Les quatre bien zelez pour la Societé, Mrs G. Despiet & Poitevin, Syndics ; Commes & Dorliat, Notaires à Bordeaux : André-François Santus, fils du Bailly Royal de Vincennes : Jean Paris & Loüis Regnoust, Clercs, de la ruë des Rats : Maître Estienne, de la ruë Guisarde : Martel le jeune, de la ruë Bethisy & son Associé, du coin de la ruë des petits Champs, avec la charmante Bruné, de la ruë de. Tamiriste : Fanchon, & sa petite Poulle, de la ruë de la Bucherie : Le Solitaire Desangloux, & sa chere petite Gougou : Et Mlles la plus jeune des trois. Tantes de leur Neveu, de la ruë Guisarde : & la Nouvelle Commere, de la porte Saint Antoine.

L’Enigme que je vous envoye, est de Mr L’Abbé Bechet, Chanoine d’Uzés.

ENIGME.

D’étrange & bizarre attitude,
Je n’ay qu’un ventre & qu’un boyau,
Le plus pur élement dissout ma plenitude.
Richesse du monde nouveau,
Delice du siecle où nous sommes ;
Je fais respirer en repos
L’Artisan, le Soldat, le Docteur, le Heros.
Charmant amusement de la pluspart des hommes,
D’usage en tous les temps, & de guerre & de paix,
D’usage en tous les lieux, sur la terre & sur l’onde,
Mais tandis que je fais le plaisir des Palais,
On ne representa jamais
Si naturellement les vanitez de monde.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1705 [tome 11], p. 410.

L’Air que je vous envoye est de Mr de Montaillis.

AIR NOUVEAU.

AVIS. L’Air, Que l’on m’apporte un muid, page 410.
Que l’on m’apporte un muid au bout de cette table,
Et voyons en buvant de ce bon vin nouveau,
Qui contiendra le plus d’un jus si delectable,
Ou de mon ventre, ou du Tonneau.
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