1705

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1705 [tome 12].
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Mercure galant, décembre 1705 [tome 12]. §

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 5-7.Bien que le Mercure ne donne pas le nom du poète, il est possible que ce soit le compositeur qui composa les vers de cet air. Monsieur de Maiz est en effet l'auteur de la musique et des paroles des airs Mercure de février 1705, du Mercure de septembre 1705, du Mercure de février 1706

Rien n’estant plus agreable que la varieté en toutes choses, je commence ma Lettre d’une maniere assez nouvelle, & dont je ne me suis encore servi qu’une fois ; c’est-à-dire, par la chanson suivante, qui doit y servir de Prélude. Elle regarde le Roy, dont j’ay accoûtumé de vous parler au commencement de toutes mes Lettres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures. L’Air, Dieu de paix, &c. [page] 6.
Dieu de la Paix, Dieu de victoire,
Exauce de LOUIS les plus ardens souhaits ;
Il ne veut vaincre, & ne cherche la gloire,
Que pour faire la Paix.
C’est pour tes droits sacrez qu’il entreprit la guerre ;
Seigneur, benis tous ses exploits,
Et permets que son bras puisse calmer la terre,
Pour y faire regner tes loix.
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[Relation curieuse de tout ce qui s'est passé à Naples, à la découverte de la statue équestre de sa Majesté Catholique] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 7-16.

Vous devinez bien que cet Air est de Mr de Mez, de la Fléche en Anjou ; puisque tous ceux qu’il m’envoye regardent le Roy.

Je vous ay parlé fort imparfaitement de la découverte d’une Statuë Equestre érigée à Naples ; ce qui m’oblige à vous en envoyer la Relation suivante, que je viens de recevoir, & de la même maniere qu’elle m’a esté renduë.

RELATION
De ce qui s’est passé à la découverte de la Statuë Equestre que la Ville de Naples, a élevée au Roy Philippe V. en marque de sa fidelité, & en memoire de la venuë de Sa Majesté dans ladite Ville de Naples l’année 1702. faite par les soins de Mr le Duc de Popoli & du Tribunal de la Fortification de ladite Ville. Ecrite par Antoine Bulifon.

Le 16. du mois de Septembre dernier. Aprés midy, toutes les choses necessaires estant prestes pour découvrir la Statuë Equestre, dressée par la Ville de Naples à S.M.C. à la place du Jesus-neuf. Cette place qui a 1600. Palmes de circonference, estoit toute ornée de parements & de loges, qui estoient remplies d’un grand nombre de Dames & du plus beau monde de la Ville. On avoit élevé au milieu de la place une superbe machine de 150. palmes de hauteur, dans un quarré diametral de 80. palmes, formé sur les bases de trois colonnes, qui representoient les quatre parties du monde, aux bases desquelles estoient les armes de tous les Royaumes & de tous les Estats que S.M.C. possede par toute la terre. Au sommet de la machine qui se serroit en fleurs de lis, estoit un Soleil de 20. palmes de diametre, avec trois fleurs de Lis, qui forment les armes de S.M. Il y avoit au dessous une Couronne Imperiale de 30. palmes de circonference, au dessous de laquelle pendoit un pavillon de Damas cramoisi, de 100. palmes de hauteur, qui couvroit le Roy jusques à terre. Les colonnes estoient ornées de Statuës, de festons, de trophées & de cartouches, avec des inscriptions à la louange du Roy. Le tout disposé par les soins du Mestre de Camp & Ingenieur. Dom Dominique Dentici, Noble du siege de Nido, qui avoit aussi eu l’ordre de faire la Statuë Equestre du Roy.

Au milieu de cette machine estoit cette Statuë, qui a esté faite en trois années de tems par le fameux Statuaire Nicolas Vacaro. La Statuë avec le Cheval pese environ deux cens quintaux, poids de France, & elle a dix-sept palmes de haut, sur une base de marbre bien travaillé, de la même hauteur. Le tout entourré d’une belle grille de fer, & de 16. petites colonnes de marbre. On lit sur la face du devant de la base, l’inscription suivante, composée par le sçavant Matthieu Egizi.

PHILIPPO V.
HIS.NEAP. SICIL. ET INDIARUM
REGI POTENTISSIMO
CATHOL. PIO FELICI.
QVOD ADVENTU SUO PRÆSENTIQ
NUMINE CIVES BENEFICIIS
ITALIAM MAGNITUDINE RER
GESTARUM COMPLEVERIT
ORD. POP. Q. NEAPOLITANUS
OPT. MAXIMOQ PRINCIPI
P.P.
ANN. DOM. MDCCII.

À quatre heures aprés midi Mr le Marquis de Villena, Viceroy de Naples sortit de son Palais en cavalcade précedé de toute la principale Noblesse montée sur de beaux chevaux, au milieu des Gardes Suisses, il passa par la belle ruë de Tolede, & se rendit à la place du Jesus, où étant devant la Statuë du Roy, on tira adroitement 8. cordons du rideau & du grand pavillon, dont il se forma un grand dais, garni de galons, franges, & fleurs de lis d’or, Alors le Viceroy levant son chapeau, salua le Roy, criant viva el Rey ; ce qui fut pareillement prononcé par tous ceux qui estoient presens. Aussi-tost cent Musiciens qui estoient sur les bases des pyramides, chanterent les louanges de S.M. Dans le mesme tems Mrs les deputez du Tribunal de la Fortification (qui avoient eu le soin de faire la Statuë) jettoient de deux balcons qui estoient sur les avenues de la place, au peuple quantité de medailles d’argent & de cuivre, qui representoient d’un côté, la figure de la Statuë, autour de laquelle estoit le nom du Roy, & de l’autre côté une femme assise qui representoit Partenope armée d’une cuirasse, & tenant d’une main une pique, & de l’autre une corne d’abondance ; les paroles suivantes estoient autour, Adventui Principis Felicissimo. Aprés que cette Statuë eut esté découverte, Mr le Viceroy alla à l’Eglise Royale des Dames de Sainte Claire, où il entendit le Te Deum, qui fut chanté en Musique pendant une triple salve de l’Infanterie qui estoit dans la cour de la mesme Eglise, & des salves du canon des quatre Châteaux de la Ville de Naples.

La nuit estant venuë, toute la place fut éclairée par une grande quantité de lumieres, & la machine & le tour de la Statuë par un grand nombre de flambeaux de cire de Venise, & cent Musiciens chanterent une belle serenade à la louange de Sa Majesté Catholique.

[Relation du Couronnement de Stanislas I. Roy de Pologne, & de la Reine Catherine sa femme] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 16-41.

La Relation suivante vient de Pologne ; je ne sçais si elle a esté faite par un François ou par quelque Suedois, la langue Françoise estant fort familiere aux Suedois. Je n’ay pas crû en devoir reformer le style, afin que les choses y parussent plus naturellement comme elles se sont passées.

RELATION
Du Couronnement de Stanislas I. Roy de Pologne, & de la Reine Catherine sa Femme, qui s’est fait à Warsovie le 4. Octobre dernier.

Les Senateurs & les Nonces des Palatinats de Pologne ayant dressé les Pacta Conventa, le Roy Stanislas alla la veille de son Couronnement à l’Eglise de Saint Jean pour jurer de les observer religieusement. S.M. partit du Palais de Belinsky où Elle logeoit. Les Carosses des Palatins & des Nonces commençoient la marche, & ceux des Evêques & des Senateurs les suivoient ; Le Carosse du Roy, dans lequel S.M. se trouvoit seule, étoit précedé par quantité de noblesse à cheval & suivi par ses Gardes du Corps pareillement à cheval. Le Roy traversa l’Eglise éclairée par un double rang de flambeaux, jusqu’au Grand Autel, où il trouva l’Archevêque de Leopol revêtu de ses habits Pontificaux, qui luy lût les Pacta Conventa & le Formulaire du serment. S.M. l’ayant prêté à genoux, fut reconduite audit Palais dans le mesme ordre, avec cette difference que l’Archevêque de Leopol & l’Evêque de Caminiek étoient au retour dans son Carosse sur le devant.

Le jour suivant qui étoit le 4. Octobre, Leurs Majestez allerent incognito au Château, aprés avoir jeûné trois jours de suite pour se préparer à cette solemnité & pour communier.

Sur les 10. heures du matin, tout étant prest, on avertit les Ambassadeurs de Suede, qui se rendirent aussitôt au Château, où ils furent reçûs d’une maniere convenable à leur rang.

Ils trouverent dans la premiere Cour un Bataillon sous les Armes tambours battants.

Le Maréchal de la Cour, le Sieur Poninsky, les reçût au bas du grand escalier à la descente de leurs Carosses. Le Comte Sapieha, Pissart ou Grand Commissaire de Lithuanie, les attendoit quelques degrés plus haut, & les conduisit jusques à la Salle des Gardes, où le Colonel desdits Gardes, le Sieur Poniatowsky, vint au devant d’eux. À la porte de l’antichambre du Roy se trouva le Castellan de Siradie, qui est Senateur, avec quelques Députez, qui les complimenterent de la part du Roy & de la Republique, & dans l’antichambre, le Grand Tresorier de Lithuanie faisant la fonction de grand Maréchal, s’avança vers eux & les mena dans les Cabinets de leurs Majestez.

Voicy de quelle maniere tout étoit disposé dans l’Eglise.

Dans le Chœur, vis-à-vis le grand Autel, sur une estrade de niveau avec ledit Autel, étoient élevez deux Thrônes sous deux Dais, entourez de Gardes du Corps ; un costé du Chœur étoit destiné pour les Generaux & les Officiers Suedois, l’autre pour les Grands & pour les Nonces Polonois.

À l’égard des Ambassadeurs de Suede, il y avoit entre le premier banc & l’Autel trois fauteüils ; au dessus de cet endroit il y à une fenestre & une chambre qui communique au Château, de laquelle les Rois de Pologne ont coûtume d’entendre la Messe. Elle étoit destinée pour le Roy de Suede, qui voulut estre spectateur de cette Ceremonie avec le Comte de Piper, le Duc de Wirtemberg & quelques autres Seigneurs Suedois. De l’autre costé vis-à-vis, il y avoit un petit Balcon pour la Mere du Roy & les Dames les plus qualifiées.

La Marche commença par les Gentilshommes des Ambassadeurs de Suede ; ensuite venoient les Nonces Polonois & une grande partie de la noblesse.

Aprés eux marcherent de suite le Porte-épée de Posnanie avec l’Epée ; le Castellan de Radziec avec la Pomme ; les Castellans de Juny, Wladislaw & de Leure, avec les sceptres ; le grand General de Lithuanie & le Castellan de Siradie avec les Couronnes.

Ces marques de la Royauté estoient suivies par le Tresorier Sapieha, faisant la fonction de grand Maréchal de la Couronne.

Au devant du Roy marchoient les Ambassadeurs Wachslager & Palmberg.

Le Roy, armé de toutes pieces & ayant un Manteau rouge doublé de Martres Zibelinies sur les épaules, étoit conduit par le Pissart ou Grand Commissaire de Pologne Potocky, & par le Staroste Sapieha. La Reine, qui parut ensuite en habit de drap d’argent & les cheveux épars, étoit menée par le Baron Horn, premier Ambassadeur de Suede, les Dames & les principaux Officiers de la Cour étoient les derniers. Dez que les premiers furent à l’Eglise, on commença la Musique sur les trois Tribunes. Les marques de la Royauté furent mises entre les mains des Ecclesiastiques, qui les mirent sur le grand Autel, la Couronne du Roy un peu plus haut que le reste.

Deux Evêques & deux Prélats le reçûrent & le complimenterent au bas du Thrône, dont les deux premiers menerent S.M. à l’Autel ; & la Reine cependant passa dans la Sacristie.

L’Archevêque étoit assis devant l’Autel, revestut des ses habits Pontificaux, auquel l’Evêque de Caminiek dit les paroles suivantes.

Nôtre Mere Sainte Eglise desire que ce vaillant Chevalier, éleu Roy, soit couronné. L’Archevêque demanda s’il en étoit digne, & s’il étoit dans le dessein de remplir ses devoirs. L’Evêque répondit : Oüy, il en est digne & il remplira ses devoirs. Aprés quoy, on ôta au Roy son Casque, Il se mit à genoux & promit encore par serment beaucoup de choses conformes aux Pacta Conventa. S.M. baisa l’anneau de l’Archevêque, fit sa confession de foy & son serment, en mettant les deux mains sur l’Evangile. L’Archevêque ayant la teste nüe se mit à genoux avec les autres Ecclesiastiques ; & le Roy se prosterna les bras étendus. On chanta les Litanies & plusieurs autres Prieres, lesquelles finies, l’Archevêque s’assit sur sa chaire Episcopale ; & le Roy se leva sur ses genoux. On luy ôta le Manteau Royal & les brassarts. L’Archevêque, avec le pouce de la main droite, luy oignit le dedans de la main droite, le coude & le haut des vertebres entre les épaules, prononçant ces mots : Je t’oins pour estre Roy ; au nom du Pere, du Fils, & du S. Esprit. Amen. Il s’essuya ensuite le pouce avec du pain, & se lava, pendant qu’un Evêque essuya le Roy avec du pain frais & avec du coton. Ensuite de quoy on conduisit S.M. dans la Sacristie, où elle changea l’habit militaire en un habit Episcopal tout blanc, qui doit être gardé pour son enterrement. On trouve que le Roy Jean a de mesme esté enterré dans l’habit qu’il avoit porté à son Couronnement. On reconduisit S.M. à l’Autel ; l’Archevêque luy donna l’épée nüe. Le Roy la mit entre les mains du Porte-épée, qui la remit dans le foureau, & la mit ensuite au côté du Roy ; & aprés l’avoir tirée de nouveau, il la brandit plusieurs fois dans l’air, pour marquer l’usage qui en doit estre fait, & la remit ensuite dans le foureau. La Couronne fut mise sur la teste du Roy par l’Archevesque & les autres Evesques ; le Sceptre, dans la main droite, & la Pomme, dans la gauche. Toutes ces ceremonies se faisoient avec des prieres & des exhortations convenables à chaque sujet. S.M. se leva ; & portant les susdites marques de Royauté, donna l’Epée au Porte-épée. Elle monta sur le Thrône, conduite par les Evesques & les principaux des Seculiers, où les derniers demeurérent. Peu de temps aprés, le Roy fut reconduit par deux Evêques & deux Prelats, à l’Autel, où Sa Majesté demanda à l’Archevêque de couronner la Reine. L’Archevêque ayant promis de le vouloir faire ; les deux Evêques la menerent de la Sacristie devant l’Autel, où les Ceremonies des deux Couronnements furent presque pareilles. La Reine se prosterna, pendant qu’on luy donna la Benediction ; on luy oignit la main & le dos entre les épaules, & on l’essuya. On la reconduisit dans la Sacristie ; & on la revêtit d’un manteau de drap d’argent, doublé d’hermines. Les Evêques la ramenerent devant l’Autel, on luy mit la Couronne sur la teste, & le Sceptre dans la main droite ; & l’on fit des prieres & des exhortations, comme auparavant. Elle fut conduite ensuite à son Thrône. Sept Dames de la premiere qualité porterent sa queuë, & toutes les plus distinguées se rangerent autour de Sa Majesté.

Cela fini, on chanta le Te Deum, pendant qu’on faisoit trois salves du canon du Château, & de la mousqueterie. Un des Evesques porta l’Evangile aux Throsnes pour estre baisé par leurs Majestez ; aprés quoy deux Evêques les ramenerent à l’Autel pour y faire leurs offrandes. Elles baiserent derechef l’anneau de l’Evesque & quelques Saintes Reliques, & se mirent ensuite sur leurs Throsnes pendant la grande Messe, à la fin de laquelle leurs Majestez communierent pour cette fois sous les deux especes. L’Archevesque donna la benediction à leurs Majestez & au peuple ; & le grand Maréchal de la Couronne proclama vive le Roy & la Reine : ce qui fut repeté par toute l’Eglise.

On retourna au Château, dans le mesme ordre qu’on avoit observé en allant. Dans la grande salle, l’Evêque de Caminiek fit une belle harangue au nom des Senateurs & de la Noblesse.

Le Tresorier Sapieha luy répondit de la part de leurs Majestez ; aprés quoy les deux Etats les Grands & la Noblesse furent admis à leur baiser les mains.

Dans la Salle où leurs Majestez mangerent, il y avoit trois tables, dont celle du milieu estoit quarrée & élevée de quelques degrez au dessus des autres. C’étoit celle de leurs Majestez, qui furent servies par les principaux Officiers du Royaume ; les Ambassadeurs de Suede y estoient.

Celle de la droite estoit pour les Senateurs & pour les Nonces ; & l’autre pour les Dames & pour plusieurs Officiers & Seigneurs, tant Suedois que Polonois.

Le Prince Alexandre pendant cette solemnité s’estoit retiré à sa terre de Villanova, moins par crainte d’irriter le Roy Auguste contre ses freres prisonniers, que pour éviter toute dispute avec les Ambassadeurs de Suede, qui luy avoient fait dire que dans une telle ceremonie, & à la table du Roy ils ne pouvoient luy donner la préséance. Ce fut pour la même raison que la Princesse mere du Roy s’en absenta aussi ; d’autant qu’on avoit un exemple, qu’au Couronnement du Roy Michel, sa mere avoit esté assise à table au dessous des Ambassadeurs de Suede.

Le Roy & la Reine s’estant levez de table, furent reconduits dans leur Palais par tout ce qu’il y avoit de gens de qualité.

Le lendemain leurs Majestez furent felicitées de nouveau par plusieurs Seigneurs & Dames.

Elles dînerent chez Mr le Comte Horn, Ambassadeur de Suede, où il y eut un bal & masquarade bien avant dans la nuit.

Le 6. elles dînerent toutes seules. Le soir on celebra les noces du Castellary de Mezeriz & d’une Dame de la Cour. La ceremonie fut faite par l’Archevêque dans l’appartement de la Princesse Mere du Roy, parce qu’elle estoit un peu indisposée. Le Roy soupa dans la grande gallerie en public, à la maniere des Rois Polonois nouvellement couronnez ; la Reine & les nouveaux mariez estoient à la même table. On en avoit placé une autre bien grande, un peu au dessous, pour les Senateurs, les Dames, les Nonces, les Generaux, Seigneurs & Officiers Suedois. Il y avoit aussi quelques tables dans l’appartement du Maréchal.

Le soupé fini, leurs Majestez passerent dans un autre appartement, où il y eut bal ; il n’y avoit pour toutes chaises que deux fauteuils pour le Roy & pour la Reine.

Le Roy dansa le premier avec la nouvelle mariée, précedé de douze Senateurs & Seigneurs, dansans deux à deux.

La Reine prit ensuite la mariée, précedée des mêmes Seigneurs, & suivie de quelques Dames, se tenans aussi deux à deux. Aprés cela, le Roy dansa avec la Reine de la même maniere. Cela fini, le Roy donna la liberté de danser à tout le monde. La Reine se retira à onze heures, & le Roy environ à minuit.

Et le lendemain, les affaires prirent la place des divertissemens ; & cela continua les jours suivants.

Il est à remarquer que toutes les ceremonies & circonstances ont esté observées à ce Couronnement ; on n’a negligé que celles qui n’étoient pas de consequence. On compte du nombre de ces dernieres, la coûtume de jetter des medailles au peuple par le Tresorier. Il en est de même du lieu du Couronnement, qui est ordinairement à Cracovie ; mais cela n’a pas toûjours esté observé.

Cette Ville a envoyé des Députez, qui ont donné au Roy les clefs pour marque de sa soumission. Le Primat fait ordinairement le Sacre du Couronnement ; mais on a des exemples que d’autres Evêques l’ont aussi fait, en cas de besoin. Pour ce cas-ci, outre que le Cardinal ne pouvoit pas se rendre à Warsovie ; il a declaré, qu’il approuvoit tout ce qu’on auroit fait en son absence, & qu’il le tiendroit comme fait par luy mesme. Plusieurs Deputez sont arrivez à Warsovie, aprés le Couronnement, qui n’avoient pas crû, qu’il dût se se faire si tost. Il est trés remarquable, qu’il n’y a pas un Palatinat, ny dans la Prusse, ny dans la grande Pologne, ny dans la petite, & mesme dans la Lithuanie & dans la Samogitie, où sont les troupes ennemies, qui n’ait envoyé quelques Deputez. Les Cosaques ont empesché ceux de la Russie de s’y rendre ; nonobstant cela, les principaux d’entr’eux ont pourtant témoigné leur obéissance. Les hautes vertus, & particulierement l’éloquence du Roy, jointes à son pouvoir de distribuer les premieres charges du Royaume, aussi bien que le peu de tems qu’il a donné à ceux qui veulent avoir part à l’amnistie, font esperer que tout se rangera bien-tôt à son devoir.

[Réjoüissances faite par la Compagnie des Arquebusiers d’Etampes] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 70-79.

Monsieur le Duc de Vendosme s’estant acquis beaucoup de gloire par le gain du Combat de Cassano, les Chevaliers de la Compagnie Royale de l’Arquebuse d’Estampes, qui sont sous la protection de ce Prince, voulant luy donner des marques particulieres de leur reconnoissance, s’assemblerent dans l’Hostel de Vendosme, pour resoudre tous les préparatifs de cette Feste, & ils chargerent de l’execution Mr Rivet, leur Commandant, dont ils connoissent le zele & l’affection. Mr Rivet, écrivit aussitost à Mr l’Archevesque de Sens, pour obtenir la permission de faire chanter un Te Deum ; ce qu’il parut accorder avec beaucoup de joye. Mr Crozat, Intendant du Conseil de Son Altesse, marqua aussi son zele, en permettant aux Chevaliers, la Chasse sur les plaisirs du Prince, la veille de cette réjoüissance.

On commença à trois heures aprés midy, par la publication de l’Ordonnance des Officiers ; & le soir l’on fit battre les Tambours & sonner toutes les Cloches de la Ville. L’on dressa un Feu à quatre faces, devant la porte de l’Hostel, où d’un costé Mr de Vendosme estoit representé poursuivant l’Armée des Alliez, avec ces mots : Fiat Angelus persequens & coarctans eos. Ps. 34. On voyoit, d’un autre côté, ce Prince qui mettoit le feu dans les Montagnes du Piémont, en les touchant seulement avec une baguette ; & tous les peuples qui, pour éviter l’embrasement, montoient au sommet, & sembloient se précipiter, avec ces mots : Tange montes, & fumigabunt, Ps. 144. Quis se abscondet à calore ejus, Ps. 18. On voyoit dans une autre face Monsieur de Vendosme presentant au Roy divers peuples enchaînez, avec ces mots : Non timebo millia populi circumdantis me. Ps. 3. Omnia subjecisti sub pedibus ejus, Ps. 8. Et la quatriéme face representoit la Victoire, montrant au Roy les quatre Saisons, avec ces mots : Regnum tuum, regnum omnium sæculorum, Ps. 144. Ce Feu estoit terminé par une Pyramide, aussi à quatre faces, où estoient representées toutes les Conquestes de Son Altesse en Italie, avec une Renommée au dessus.

Tout l’Edifice du Feu estant ainsi en état, la Compagnie s’assembla à trois heures aprés midy à la porte de leur Commandant, au nombre de cinquante Chevaliers tous sous les armes, proprement vêtus, tous leurs chapeaux estant ornez de plumes blanches ; ils se rendirent à la porte de Mr Hochereau, Roy de l’Oiseau, qui se mit à leur teste, & qui les conduisit à la Butte, où il fut tiré pour Prix trois Eguierres. Ces Prix estant tirez, la Compagnie revint à l’Hostel pour disposer la marche. Mrs les Maire perpetuel & Lieutenant General de Police marchoient à la teste, suivis de tous les Officiers de Ville en robes noires, précedez de leurs Hallebardiers & de leurs Bedeaux en robes rouges. Ensuite dequoy, le Roy de la Compagnie richement vêtu, avec ses Officiers, l’Esponton à la main, le Drapeau déployé & suivi de tous les Chevaliers, chacun selon son rang, entra dans l’Eglise de Nostre-Dame, au bruit de toute l’Artillerie, qui avoit esté conduite à la place de l’Eglise, & de trois décharges de Mousqueterie. Le tour du Chœur estoit illuminé d’un tres-grand nombre de lamperons ; & le Te Deum fut chanté en Musique par le Chapitre. Ce Cantique fini, les Tambours qui estoient au milieu du Chœur, donnerent le signal, & l’Artillerie fit encore une décharge. La Compagnie sortit dans le mesme ordre, & trouva les fenestres des Chevaliers & la porte de l’Hostel toutes remplies de lumieres, que la nuit faisoit briller. Mr Hochereau, Roy, à la teste de ses Officiers, alluma le feu, pendant que la Compagnie en faisoit le tour au son des Tambours, & au bruit des acclamations de Vive le Roy & Son Altesse, du Canon & des Fauconneaux qui estoient dans les tours de l’Hôtel, des Boëtes, & de toute la Mousqueterie. Cette décharge estant finie, on tira le Feu, dont l’artifice qui estoit nombreuse, fit tout l’effet qu’on en pouvoit attendre, & remplit toute la place où ce Feu estoit dressé. Aprés quoy, la Compagnie fit encore une décharge & entra dans l’Hostel, où un souper magnifique étoit préparé & où les santez du Roy, des Princes de sa Maison & de Son Altesse furent souvent réiterées, au son des Tambours. Le souper fini, on commença le Bal, où quantité de Dames parurent avec beaucoup d’éclat ; & ce Bal fut suivi d’une superbe collation : & l’on peut dire que cette réjoüissance a esté des mieux ordonnées & des mieux executées. Ces Chevaliers, en attendant quelques nouvelles actions de leur Prince, pour donner des marques plus éclatantes de leur zele, font faire des prieres continuelles pour la prosperité des Armes de Sa Majesté.

[Lettre remplie de plusieurs Articles d’érudition] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 79-95.

La Lettre suivante est remplie de beaucoup d’articles d’érudition.

A…… ce 15. Novembre.

Voicy, mon Reverend Pere, les ouvrages nouveaux qui paroissent depuis quelque temps dans les Pays étrangers, & dont j’ay reçu des Lettres de plusieurs de mes Amis.

Description de l’Isle Formosa en Asie ; du Gouvernement, des Loix, des Mœurs, & de la Religion des Habitans : dressée sur les Memoires du Sr George Psalmanaazaar, natif de cette Isle ; avec une ample & exacte Relation de ses Voyages dans plusieurs endroits de l’Europe, de la persecution qu’il y a soufferte, &c. par le Sr N.F.D.B.R. à Amsterdam.

Celuy sur les Memoires duquel cette Relation a esté dressée, est Payen de naissance ; il eut pour Précepteur, un Jesuite, qui passoit pour Japonois comme luy, & par consequent pour Payen. Cette pieuse fraude ne luy servit de rien, & quoy qu’il eust engagé le Disciple à passer en Europe, il ne put l’attirer à sa Communion. Un Ministre Anglican fut plus heureux ; il gagna le jeune Japonois, dans un voyage qu’il fit en Angleterre.

La Relation est bien écrite. On trouve dans le 33eChapitre un détail bien circonstancié de la persecution faite dans le Japon aux Missionnaires de nostre Societé, dans laquelle il a peri depuis 1549. jusqu’en 1616. plus de 500000. Chrétiens. On trouve dans le 37eChapitre, les raisons qui engagerent le jeune Japonois à préferer la Communion de l’Eglise Anglicane à celle de la Presbyterienne.

Phil. Reinh. vitriarii, Jurisconsulti & Antecessoris ordinarii institutiones Juris naturæ & gentium, in usum Serenissimi Principis Christiani Ludovici, Marchionis, Brandeburgici, &c. & ad Methodum Hugonis Grotii conscriptæ. C’est un ouvrage que Jean-Jacques Vitriarius, Docteur en Droit, & qui y a fait des Notes, a publié depuis peu à Leyde ; il y a mis dans un bel ordre tout ce que le sçavant Grotius, Puffendorf & plusieurs autres celebres Ecrivains ont rassemblé sur cette importante matiere. Mr Vitriarius qui nous donne cette édition, est fils de Phil. Reinh. Vitriarius, Auteur de ce Livre. La premiere édition de cet excellent Ouvrage, parut en 1692. il en parut, peu de temps aprés, une seconde en Allemagne ; & voicy la troisiéme, qui a esté augmentée d’une ample Table des Matieres.

Voyage de Guinée, contenant une Description nouvelle & tres-exacte de cette Côte, &c. C’est un Ouvrage que Guillaume Bosman, Conseiller & premier Marchand dans le Chasteau S. George d’Elmina, & sous-Commandant de la Côte, a composé, & qui a esté imprimé à Utrecht. L’Auteur a demeuré 13 ans en Guinée ; ainsi il a eu le tems de s’instruire pleinement de tout ce qui regarde le Pays. Cette Relation contient vingt-deux Lettres. On trouve dans la quinziéme des choses étonnantes des Fourmis de ce pays-là. On remarque dans la dix-neuviéme, que la Polygamie est le principal obstacle que les Missionnaires trouvent à la conversion de ces peuples. Dans la derniere, l’Auteur dit, qu’ayant demandé aux Habitans de Cabamonte, de quelle Religion ils étoient ; ils répondirent, qu’elle consistoit à bien obeïr au Roy & à leurs Gouverneurs, & qu’ils ne se mettoient pas en peine d’autre chose.

Voicy un autre Voyageur qui nous donne la Description des Isles Septentrionales de l’Afrique ; c’est une Description des Royaumes de Barbarie, Tripoli, Tunis, & Alger, &c. de sorte que dans ces deux Ouvrages on a la description de toute l’Afrique ; puisque dans le premier, c’est-à-dire, dans le Voyage de Guinée, on trouve une description d’une partie des Costes Meridionales de l’Afrique. Le Voyage de Tripoli est composé de quatre Lettres ; la quatriéme est une espece de Dissertation sur la Tradition de l’Eglise, pour le rachat & le soulagement des Captifs. L’Auteur la fait remonter, cette Tradition, jusqu’à Abraham, qui délivra Loth son neveu, qui avoit esté fait prisonnier. C’est prendre la chose d’un peu loin.

Un Philosophe Anonyme a publié dans le monde, des Reflexions sur la transmutation des Metaux. Il dit sur ce sujet des choses fort curieuses ; & il démontre l’impossibilité de cette transmutation, par l’impossibilité qu’il y a, par exemple, de faire meurir le Plomb, comme quelques Philosophes prétendent qu’il meuriroit dans les entrailles de la terre, si on l’y laissoit un certain temps. Nostre Philosophe s’inscrit en faux contre l’experience de Van-Helmont, qui prétendit autrefois avoir changé le Mercure en eau ; & il assure que ce celébre Chimiste ne prit pas assez garde à toutes les circonstances de son operation. Il m’a parû que cet Auteur est partisan de l’ancienne doctrine des atomes : Qui oseroit, dit-il, se promettre que parmi une infinité de corps que la terre nous fournit, il seroit assez heureux pour en trouver, en tâtonnant & à l’aveugle, qui seroient propres pour en faire de l’or, & en sçavoir la juste doze ? Ce qui seroit un hazard plus grand que si en jettant un million de dez à la fois, tous venoient à marquer le même nombre : car peut-estre cela n’arriveroit-il pas, quand on commenceroit de les jetter depuis le commencement du monde jusqu’à la fin ? On juge par ce trait que nôtre Philosophe ne fait pas beaucoup de fonds sur les operations de la Chimie.

Atlas historique ou nouvelle Introduction à l’Histoire, à la Chronologie, & à la Geographie ancienne & moderne : representée dans de nouvelles Cartes, où l’on remarque l’établissement des Rois & Empires du monde, leur durée, leur chûte & leurs differens gouvernemens ; la Chronologie des Consuls Romains, des Papes, des Empereurs, des Rois & des Princes, & qui ont été depuis le commencement du monde jusqu’à present ; & la Genealogie des Maisons Souveraines de l’Europe, par Mr C… avec des Dissertations sur l’histoire de chaque Etat ; par Mr Gueudeville. À Amsterdam 1705.

On trouve dans cet Ouvrage des Cartes de Geographie, tant pour l’ancienne histoire que pour la nouvelle : on y trouve aussi des tables chronologiques, qui contiennent par ordre les évenemens les plus considerables de l’Histoire, tant Sacrée que Profane. L’Auteur a joint au portrait des Empereurs, une marque qui apprend ce qu’il a été ; à peu prés selon la methode de Mr Martel dans ses Tablettes Chronologiques. L’opinion de l’Auteur sur le Pontificat de S. Pierre, est qu’il a gouverné l’Eglise 24. ans, cinq mois & dix jours, & qu’il fut crucifié la tête en bas, environ le 29. Juin.

Discours touchant la felicité des gens de bien & la punition des méchans dans l’autre monde. Premiere partie, qui contient les preuves de l’immortalité de l’ame & de la vie éternelle. Par Mr Sherlock, Doyen de S. Paul à Londres, &c. Cet ouvrage est traduit de l’Anglois. Si on pouvoit, dit l’Auteur, prouver par la raison, qu’il est impossible que l’ame puisse vivre separée du corps, ce seroit un fort argument contre la verité de la revelation, qui nous dit positivement le contraire. Mais jamais homme ne prouvera l’impossibilité de la vie aprés la mort, & jamais personne n’a entrepris de la prouver. Tout homme raisonnable doit avoüer que cette vie est trés possible. S’il y a donc une revelation Divine, & c’est le seul article qu’il faut prouver, & ce que la droite raison nous montre sensiblement n’estre pas impossible, doit devenir l’objet propre de nôtre foy, dés que nous sommes assurez par la revelation que cela est veritable. Voilà un des raisonnemens de Mr Sherlock.

Il court trois Lettres dans le monde qui font beaucoup de bruit : La premiere, est une Lettre en Prose & en Vers sur l’incertitude du Roy Auguste en matiere de Religion ; elle est bien écrite & elle finit par ces deux Vers.

Il verra ce qu’il en coûte,
Quand on ose tromper Dieu.

La seconde, regarde une These de Philosophie qui a été soûtenuë en Lorraine, & où leurs A.R. ont assisté. Le Pere Augustin de S. Paul, Professeur de Philosophie des Peres Cordeliers de Nancy l’avoit dédiée à Monsieur le Duc de Lorraine ; le portrait de ce Prince étoit dans une medaille de quatre pouces de diametre soûtenuë par deux Renommées, &c. Le compliment de celuy qui ouvrit la These fut admiré ; le sçavant Religieux qui le fit, argumenta en François sur la pesanteur de l’air. Mr Petitdidier fut aussi écouté avec plaisir.

La troisiéme Lettre est sur les qualitez d’un bon Juge. L’Auteur remarque qu’il ne faut pas suivre l’opinion de Monsieur.… sans approfondir si Monsieur.… suit la régle de la Justice & de l’équité. Je suis, &c.

[Ceremonie faite dans la Chapelle de S. Symphorien, presentement appellée S. Luc] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 95-105.

L’Eglise Collegiale de Saint Denis, dite de Saint Symphorien, prés Saint Denis de la Chartre, dans la Cité, l’une des plus anciennes de Paris, ainsi qu’il est prouvé par le Testament d’Ermentrude, qui vivoit sous la premiere Race de nos Rois, écrit sur du papier d’Egypte, & gardé aux Archives de Saint Denis en France ; & comme il se voit encore par la Fondation qu’y fit Matthieu, Comte de Beaumont, l’an 1206 en consideration du lieu qui avoit servy de Chartre au Bienheureux Saint Denis, avec le consentement d’Odo ou Ude soixante-onziéme Evêque de Paris, pour trois Chanoines Prébendez ; a esté desservie fort long-temps par ces Chanoines. On ignore quand elle fut érigée en Paroisse ; on sçait seulement que Robert de la Chambre & Jeanne sa femme y ont fait quelques legs en 1214. & qu’en 1225. Raoul Chevenacier legua 125. livres parisis pour la fondation d’un Chapelain ; qu’elle a esté dediée à S. Denis & à Sainte Catherine, & depuis à S. Symphorien & à S. Blaise.

Cette Eglise qui a esté ensuite Paroisse, ayant subsisté jusqu’au 30e. Decembre 1698. que par Decret de Monsieur le Cardinal de Noailles, elle fut supprimée, éteinte & réunie à Sainte Marie-Madeleine de la même Cité. Elle a esté venduë par Contrat du 3. May 1704. à la Communauté des Arts de Peinture & de Sculpture de cette Ville, qui l’ayant ornée, embellie, & décorée ; & aprés qu’elle a esté visitée par Mr l’Abbé Chapellier, Doyen de S. Germain l’Auxerrois, & Grand-Vicaire de Son Eminence, il a esté en consequence permis d’y celebrer le service divin, sous l’invocation de Saint Luc & de Saint Jean l’Evangeliste, leurs Patrons. Cette permission aïant esté obtenuë, cette Communauté, aprés s’estre empressée d’en rendre de tres-humbles graces à Dieu, alla supplier son Altesse Serenissime Madame la Duchesse de Nemours, Souveraine de Neufchastel & de Val-Engin, en Suisse, & Mr le Duc de Chastillon, de leur faire l’honneur de vouloir bien donner le nom à la Cloche de leur Chapelle, lorsqu’elle seroit benite, & de leur marquer le jour qu’il leur plairoit choisir pour cette ceremonie, qu’ils fixerent au Samedy 17e. d’Octobre dernier. Et cette Communauté s’étant assemblée dés le matin du même jour dans son Bureau, les Gardes-Jurez, les Anciens, les Modernes & les Jeunes chargerent Mr l’Abbé le Maistre du soin des ceremonies Ecclesiastiques, & Mr Pezey, des Laïques. L’Assemblée convint que lorsque la Princesse Maraine & le Duc Parain paroistroient, toute la Communauté sortiroit & se tiendroit en haye des deux costez de la ruë, depuis leur Eglise jusques au bout du Pont Nostre-Dame, que les sieurs Elies, Martin, Besançon & Slodze, leurs Gardes-Jurez en Charge, & les sieurs le Chantre, Tristan & Goupille, Anciens, précedez du Maistre des Ceremonies, avanceroient jusques à la vûë de la Princesse & du Duc, qu’ils salueroient d’une profonde reverence ; qu’ils seroient en habit uniforme noir, en manteau & en épée, & qu’ils les conduiroient jusques en leur Eglise, où Mr l’Abbé Chastelain, Chanoine de l’Eglise de Paris, qu’ils avoient choisi pour en faire les benedictions, accompagné de Mr l’Abbé Balin, leur Aumosnier, de Mr l’Abbé le Maistre, & de tout le Clergé assistant, viendroient à la porte leur presenter de l’eau-benite. Madame de Nemours arriva à trois heures & demie, accompagnée de Mr le Duc de Chastillon, de Me la Duchesse son épouse, de Mr le Comte de Luz leur fils, de Mlle de Neuf-chastel, & de Mr de Maulondin, &c. Cette Princesse alla se placer sur un fauteüil qui luy avoit esté préparé, qui estoit élevé sur une estrade vis-à-vis la Credence, sur laquelle estoient posées toutes les choses necessaires pour cette benediction. Mr le Duc de Chastillon se plaça à sa gauche, ainsi que Me la Duchesse de Chastillon, sur des fauteüils plus bas que l’estrade. Les Gardes-Jurez de la Communauté & les Anciens étoient debout prés de la Cloche, psalmodiant avec le Clergé. Aprés que la Maraine & le Parain eurent sonné avec le battant de la Cloche jusques à trois fois, & les Gardes une seule, son Altesse & Mr le Duc de Chastillon l’ayant nommée Marie-Jeanne-Lucase-Sigismonde, ils furent reconduits dans le même ordre jusques à leurs Carosses.

La Feste de Saint Luc, leur premier Patron, se rencontra le lendemain, on la celebra pour la premiere fois dans cette Chapelle, & la Feste fut solennisée avec autant de joye que d’éclat ; les Gardes, tous les Anciens, les Modernes & les Jeunes s’y estant trouvez, l’Assemblée fut fort nombreuse. Toute cette Communauté alla à l’Offrande, selon son rang, & tous les Anciens voulurent avoir l’honneur d’y rendre le Pain-benit ce jour-là.

Trois jours aprés, cette Communauté députa les sieurs Besançon, Slodze, Dumesnil & Chauveau, (ces deux derniers élûs nouvellement Gardes) les sieurs Tristan, Bonnard, le Goupille, Elies & Martin, qui allerent tous ensemble, avec Mr l’Abbé Balin leur Aumônier, prier Mr l’Abbé Chastelain de vouloir bien les accompagner chez Madame la Duchesse de Nemours & chez Mr le Duc de Châtillon, pour les remercier, & les prier de signer l’Acte de Baptême sur leur Registre, qui leur fut presenté avec la plume par le sieur François, Greffier, accompagné de Mr Pezey, Maître des Ceremonies. Ils remercierent tous ensemble cette Princesse & ce Duc, au nom de toute leur Communauté, de l’honneur qu’ils avoient bien voulu leur faire.

[Extrait d’une Lettre d’un Ecclesiastique demeurant chez Mrs de la Mission de Rome, à un de ses amis en Languedoc, écrite au sujet de la célèbre Colonne de marbre Granit Oriental, nouvellement découverte en une des maisons de Missionnaires de la même Ville] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 106-112.

EXTRAIT
D’une Lettre d’un Ecclesiastique demeurant chez Mrs de la Mission de Rome, à un de ses amis en Languedoc, écrite au sujet de la celebre Colonne de marbre Granit Oriental, nouvellement découverte en une des Maisons des Missionnaires de la même Ville.

Rome, dont les antiquitez ont de tout temps fait l’attention de tout l’Univers, vient de faire la nôtre en ce même genre, dans cette Maison. Le mesme jour que je vous envoyay la Bulle du Pape, que je ne pûs accompagner d’un mot de Lettre, on a fait dans le Jardin de cette Maison, une des plus belles fonctions en matiere de Statique, qu’on ait fait en Europe depuis l’érection de l’Obelisque de saint Pierre. On éleva & on coucha une Colonne de marbre Granit, rouge, Oriental, toute d’une piece, haute de soixante-sept Palmes, & grosse de vingt-six & demi. Il y a prés de 16 cens ans qu’elle étoit plantée en cette Ville de Rome, ayant esté élevée en l’honneur d’Antonin, lorsqu’on fit son Apotheose. Le pié-destal est tout d’une piece, de la hauteur de dix-huit Palmes ; on y lit d’un costé l’Inscription suivante, en gros caracteres, non-seulement gravez fort avant dans le marbre, mais encore sur un airain qui y est fort avant enfoncé :

DIVO ANTONINO AUGUSTO PIO
ANTONINUS AUGUSTUS, ET VERUS AUGUSTUS FILII.

Le costé opposé est orné de tres-beaux Bas-reliefs, qui representent autant de Symboles de l’Apotheose. On voit au milieu un jeune homme aîlé, que les Sçavans disent estre le Genie. Il a les aîles déployées comme en posture volante ; il a sous ses pieds quantité d’instrumens de Guerre, comme Carquois, Fléches, Boucliers, Ecus, &c. Il tient avec la main droite une Draperie volante, qui luy sert de Manteau, & avec la gauche il presente un Globe celeste étoilé, où l’on voit la Lune, & une partie du zodiaque, sur laquelle sont représentez les Signes des Poissons & du Belier, qui sont les Symboles de Fevrier & de Mars, temps auquel les Auteurs anciens disent que se fit l’Apotheose. Ce jeune homme porte sur ses épaules Antonin, d’un costé, & Faustine de l’autre. Le premier tenant en main un Sceptre, au bout duquel est une Aigle ; Faustine est couverte d’un voile, symbole de la déification. On voit en haut deux Aigles volantes, qui representent les Ames de ces deux Princes qui s’envolent aux Cieux. On voit au dessus, du costé droit, Rome avec un Casque en teste, montrant avec le doit ledit jeune homme aîlé. Son bras gauche est appuyé sur un Ecu, où est représenté la Louve qui alaite Remus & Romulus. Du costé gauche est représenté un jeune homme nud qui embrasse avec la main gauche un Obelisque ; la main droite luy manque. On remarque aussi un Serpent & un Coq, Symboles de la prudence & de la vigilance d’Antonin.

Le Château qui devoit porter le poids de la Colonne est composé de six grosses Antennes ou Colonnes, faites chacune avec douze grosses poûtres ; elles sont hautes de cent dix Palmes, & grosses de seize. Les poutres sont attachées ensemble avec de grosses machines de fer, & des cordes pour suppléer, en cas que le fer se cassast. On avoit fait sur ces Colonnes un beau Château, tres-bien fortifié, qui portoit dix-huit des plus grosses poutres qu’on ait pû trouver, ausquelles devoient estre attachées toutes les poulies & les roües. Il y avoit douze Cabestans, deux leviers de vingt-cinq Palmes chacun, &c. & cinq cens hommes travailloient, &c. Le tout réussit fort bien.

Dés que la Colonne fut abaissée, cinquante Mortiers, les Canons du Château Saint-Ange, quantité de Tambours & de Trompettes, la Cloche de la Curia, &c. en annoncerent la nouvelle à la Ville. Je suis, &c.

Ode §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 126-137.

La cure que Mr Raisin, Chirurgien du Roy à Toulouse, y vient de faire, est si singuliere, & peut devenir si utile au public, que je ne dois pas oublier de vous en parler. Mr l’Abbé Fresquet, homme de qualité & de merite, sentoit depuis son enfance des douleurs extrêmes, & des retentions d’urine dont on ne pouvoit deviner la cause. Il fit consulter son mal à Paris ; & les plus habiles Medecins & Chirurgiens crurent qu’il avoit la pierre. Ils furent d’avis qu’il se fist sonder ; il le fit, & Mr Raisin sentit bien que cette pierre estoit tres-grosse. L’operation estoit dangereuse, mais le mal estoit extrême. Mr Fresquet la demanda ; il se prépara sagement à la mort, & se livra courageusement entre les mains de cet homme, déja fameux par plusieurs belles cures. Il fit cette Operation au mois d’Avril dernier, en présence de tout ce qu’il y a d’habiles gens à Toulouse. Elle fut violente, mais heureuse ; & il arracha une pierre noire, rameuse, plus grosse qu’un gros œuf, & pesant environ une livre. Cette pierre estant enracinée dans la Vessie, le Malade souffrit beaucoup, & le Chirurgien s’acquit beaucoup de gloire. Toute la Ville voulut voir cette pierre ; ce qui obligea de la faire graver, afin que les Curieux en pussent avoir des Estampes. Les suites de cette operation ont esté heureuses, puisque Mr Fresquet joüit d’une parfaite santé. Le Pere D.L. fameux Predicateur de l’Ordre des Freres Prescheurs, voulant rendre cette guerison celebre, a composé l’Ode suivante, adressée à Mr Fresquet, Curé de Revel, que j’ay crû vous devoir envoyer ; parce qu’on ne peut rendre trop public une si belle cure, ni donner trop de loüanges à ceux, dont le profond sçavoir est si utile au genre humain.

ODE.

Enfin mes justes allarmes
Se changent en doux transports ;
Enfin, amy plein de charmes,
Tu reviens de mille morts.
Une pierre meurtriere
De ton corps fit sa carriere,
Et t’aprocha du tombeau :
Mais une main Souveraine
A de ta vie incertaine
Ralumé l’heureux flambeau.
***
 Puis-je contenir ma joye ?
Puis-je taire ton bonheur ?
Que ma Muse icy déploye
Mille chants en ton honneur !
Je fais tréve avec mes veilles,
Et des celestes merveilles
Je suspens les saints Portraits,
Pour chanter d’un ton d’Oracle,
Le salutaire Miracle
Dont tu conserves les traits.
***
 Grand Dieu, dont la Providence.
Blesse & guerit les mortels,
Afin que leur main encense
Toujours tes sacrez Autels ;
Permets que ma gratitude
Me dérobe à mon étude
Pour annoncer tes faveurs ;
Ranime ma foible Lyre,
Et sur ce qu’elle va dire,
Répans de vives ardeurs.
***
 Aprés l’équitable hommage
Que j’ay fait au Tout-Puissant ;
C’est à toy que mon langage
S’adresse, amy renaissant.
O quelles douleurs mortelles,
O quelles langueurs cruelles,
Ont souffert tes tristes jours !
Helas, tu formas toy-même,
Malgré toy, le mal extrême
Dont tu nourrissois le cours.
***
 Tel qu’un nuage paisible,
Qui brille au milieu des airs,
Paîtrit dans son sein terrible,
La source de mille éclairs ;
Une exhalaison brûlante
S’y condense, s’y fomente,
Et forme un ardent carreau,
Qui choquant ses flancs humides,
Romp ses barrieres liquides
D’où pleut la pierre avec l’eau.
***
 Telle fut ta destinée,
Modeste & brillant Fresquet ;
Ton sein, comme une nuée,
Forma son pierreux bouquet ;3
Il nâquit dans ton enfance,
Il crût avec ta souffrance
Que causoient ses mouvemens,
Qui déchirant tes entrailles,
Preparoient tes funerailles
Avec nos gemissemens.
***
 Combien de tristes complaintes
Forma ton troupeau cheri !
Combien de cuisantes craintes
Sentit mon cœur attendri !
Déja tout un Peuple en larmes
Pleuroit tes vertus, tes charmes,
Et je secondois ses pleurs ;
Il perdoit un beau modele,
Je perdois un cœur fidele :
Tes maux causoient nos malheurs.
***
 Mais l’intrepide Science,
Du sage & sçavant Raisin
Ranima nostre esperance,
Et rétablit ton destin.
Cet Esculape celebre,
Foüillant dans ton corps funebre,
En sçût arracher la mort ;
Et par un rare prodige,
Cherchant tes maux dans leur tige,
Il te fit un nouveau sort.
***
 Alors parut sur la terre
À ton œil épouvanté,
Un monstre formé de pierre,
Par ta douleur enfanté ;
Dur, herissé, noir, énorme :
Il fit connoistre à sa forme
Quel fut l’excés de tes maux.
Non, les climats les plus sombres
Ne cachent pas sous leurs ombres
De si hideux mineraux.
***
 À peine fut répanduë
Ta fameuse guerison,
Qu’une affluence éperduë
Vint assieger ta maison.
La mere des beaux Genies,
La source des harmonies,
Toulouse enfin s’atroupa.
Elle doutoit du miracle ;
Mais ce monstrueux spectacle
La ravit, la détrompa.
***
 O toy, dont la main sçavante
A fait cet effort divin,
À ta Cité qui te vante,
Sois utile, heureux Raisin ;
Sauve mille illustres testes,
Cause mille douces Festes
Par ton art, par ta vertu.
Ta pieuse & docte vie
Desarme la noire envie,
Dont tout autre est combattu.
***
 Pour toy, que le Ciel rapelle
Des approches du trépas
Benis l’en, ami fidele,
Et ne t’en exempte pas,
Tantost fervent sans relâche
Offres-luy l’Agneau sans tache
Devant ton Troupeau joyeux ;
Tantost rempli d’éloquence,
Presche ta reconnoissance
Sur des Theatres fameux.

[Rencontre de l’Himen et de l’Amour] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 188-193.

Les Vers suivans ont esté faits par un Maître des Comptes, qui n’a pas moins de goust pour la Poësie, que pour les Sciences, & dont l’esprit a souvent brillé dans l’une des Academies établies par Sa Majesté.

RENCONTRE DE L’HYMEN ET DE L’AMOUR,
Le jour du Mariage de deux personnes de la premiere distinction dans la Robe.

L’AMOUR.

 Où court le Dieu de l’Hymenée ?
Et quel est le sujet de son empressement ?

L’HYMEN.

 Je vais pour accomplir l’heureuse destinée
D’un Magistrat illustre, en qui rien ne dément
L’éclat de tant d’Ayeux, dont il fait l’ornement ;
 Et d’une Epouse fortunée,
Que Themis vit un jour naistre dans son Palais,
Et qui dés ce moment par le Ciel fut ornée,
D’esprit & de vertu, de graces & d’attraits.
Aujourd’huy, par mes soins, un doux nœud les assemble ;
Au Temple, où l’on m’attend, on doit trouver ensemble
 La Foy, la Pudeur, l’Equité,
 La Sagesse, la Probité,
Et les autres Vertus que tu ne connois gueres,
Lorsque seul & sans moy tu forges tes mysteres.
 Adieu, ne me retarde pas.

L’AMOUR.

 Et moy je vôle sur tes pas,
 Je veux estre de la partie ;
Cette union sans moy seroit mal assortie :
Quoy ! peut-on sans l’Amour former de si beaux nœuds ?
Et crois-tu qu’ils n’ont pas déja senty mes feux ?

L’HYMEN.

 Non, ton secours ne m’est pas necessaire,
Ton air badin, folastre, indiscret, temeraire,
Sieroit mal aux grands cœurs que je vais rendre heureux.

L’AMOUR.

Hymen, ignores-tu que je prends, quand je veux ;
Mais avec toy, sur tout, un autre caractere.
Tu me verras discret, tendre, sage & sincere ;
 J’auray pour armes ces traits d’or,
Qui causent sous mes loix les secrettes blessures,
Dont se sentent picquer les ames les plus pures :
Du flambeau que je tiens, tu verras naistre encor,
D’innocentes ardeurs, & des feux legitimes,
 Pour enflamer & l’Epouse & l’Epoux.

L’HYMEN.

À ces conditions l’accord est entre nous ;
Que d’Hymen & d’Amour leurs cœurs soient les victimes,
Mêlons de nos flambeaux, & la flâme & l’ardeur,
Unissons-nous, allons consommer leur bonheur.

[Lettre écrite à Mr de Baville] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 193-198.

Je croy devoir faire préceder la Lettre que vous allez lire, à l’article du mariage de Mlle de Lamoignon. Cette Lettre a esté écrite à Mr de Bâville, Intendant de Languedoc, sur la mort de Me de Lamoignon, sa mere, & grand’mere de Mlle de Lamoignon, fille du President à Mortier de ce nom, & qui vient d’épouser Mr le premier President Nicolaï, dont je vous parleray ensuite de cette Lettre.

J’ay esté tres-sensible à la grande perte que vous venez de faire de feuë Me vostre illustre Mere ; je ne doute point, que dans cette triste occasion, vous n’ayez eu besoin, de toute la fermeté que vous avez fait éclater en tant d’autres. En effet, cette Dame estoit également respectable par ses vertus & par son rang ; & sa mort a esté aussi glorieuse que sa vie. Trop heureux, si je pouvois à cette heure representer à vos yeux fins & delicats, la grandeur de son ame, la pureté de ses intentions, la solidité de sa pieté, la vigueur de sa foy, l’ardeur de son zele, l’exactitude de sa justice, la profondeur de son humilité, l’étenduë de sa charité, l’innocence de sa conduitte, la sainteté de ses mœurs, l’austerité de sa penitence, les douceurs de sa patience & de sa parfaite obéissance. Mais il faudroit entrer dans vostre cœur affligé, pour se former le portrait naïf & fidele que vous y gardez prétieusement, & que les traits animez de vostre seule éloquence pourroient égaler. Pour moy, à qui il seroit difficile d’exprimer assez bien ces diverses & excellentes qualitez, je me contenteray de les admirer, & de prier le Seigneur qu’il vous console luy-même dans vostre accablante affliction. C’est le souhait de celuy qui est avec autant de ressentiment que de respect, &c.

Cette Lettre estoit suivie des Epitaphes que vous allez lire.

EPITAPHES
de Madame de Lamoignon.

Aprés avoir servi ton Dieu,
Rempli de bonne odeur ce lieu,
Par des bienfaits d’éternelle memoire,
Admirable Potier, tu descends au Tombeau ;
Et de tant de beaux jours, que couronna la gloire,
Ton dernier jour est le plus beau.

Autre.

Muse, tes foibles sons ne sçauroient assez dire ;
Sa rare Charité, que l’Orphelin admire ;
Sa pieté, qui sert au siecle de flambeau,
La suit, sans la quitter, jusque dans le Tombeau.

Autre.

Potier a pris sa place, au celeste sejour ;
Elle est parmi les Saints, éclatante de Gloire ;
Ses illustres Vertus, l’exemple de la Cour,
Des ombres de la mort ont sauvé sa memoire.

[Abbaye donnée par le Roy à Mr l’Abbé Tamisier, Secretaire de Mr le Nonce] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 263-267.

Le Roy a donné l’Abbaye de S. Martin d’Aurion de l’Ordre de S. Benoist, Diocese de Châlons en Champagne, vacante par la mort de Mr l’Abbé de la Roche Jaquelin Aumonier de Madame la Duchesse de Bourgogne, à Mr l’Abbé Tamisier, Secretaire de Mr le Nonce de Sa Sainteté, en France. Cet Abbé est de la Ville d’Avignon, où sa famille est connuë il y a tres long-temps. Le choix que Mr le Nonce a fait de luy pour estre son Secretaire, ce qui répond à l’employ de Secretaire d’Ambassade, est une preuve de son merite & de son intelligence dans les affaires les plus delicates du Ministere. D’ailleurs on sçait que son goust répond à celuy de Mr le Nonce, c’est-à-dire, qu’il en a un tres-sûr pour les belles Lettres & pour la connoissance des Livres. Mr le Nonce ayant formé une tres-belle Bibliotheque des seuls livres qu’il a acheté depuis qu’il est en France, Mr l’Abbé Tamisier a eu grande part au choix de la pluspart des livres qui composent cette Bibliotheque. Il faut que son merite & toutes les qualitez qui le rendent recommandable, soient bien connuës du Roy, puisque Sa Majesté l’a nommé à l’Abbaye, dont je viens de vous parler, sans en avoir esté sollicitée, ny même que personne luy ait parlé en sa faveur. Mr le Nonce ayant esté remercier le Roy du choix que Sa Majesté a bien voulu faire de cet Abbé, pour répandre sur luy des graces qu’il n’auroit osé souhaiter, ce Monarque luy a parlé du choix qu’il avoit fait, d’une maniere qui luy a fait encore plus de plaisir que le choix même. Il a esté applaudi de tous ceux qui en ont oüi parler, & toute la Cour en a fait compliment à Mr le Nonce ; & Mr l’Abbé Tamisier en a été felicité par une infinité de gens qu’il ne connoist pas, & à qui son merite est connu. Je vous en parle, sur la foy de plusieurs personnes de distinction & de probité, qui m’ont assuré que je n’en pouvois dire trop de bien. Et en effet, il n’occuperoit pas la place qu’il tient auprés de Mr le Nonce, s’il n’avoit autant d’érudition que de merite ; puisqu’il est difficile d’avoir un sçavoir plus profond, & de s’appliquer plus à l’étude, que fait Mr le Nonce, qui y employe presque toutes les journées entieres, & qu’il est difficile de tirer de son Cabinet, à moins que les affaires qui l’en font sortir, ne soient essentielles & de consequence.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 288-297.

Le Sr Giffard, Libraire & Graveur du Roy, rüe S. Jacques, à l’Image de sainte Therese, vend depuis quelques jours, un Livre nouveau qui a pour titre : Histoire de la derniere Conjuration de Naples en 1701. Cet ouvrage est traduit du Latin, imprimé à Anvers en 1704. Cette traduction a toute la pureté & toute la delicatesse de nostre Langue ; & elle a eu l’approbation de plusieurs personnes, dont le bon goust est generalement reconnu. L’Approbateur même de l’ouvrage, qui au sentiment de tout le monde connoist parfaitement la Langue, a declaré plusieurs fois qu’il avoit peu examiné de livres mieux écrits que celuy-là. Le texte latin a esté composé par un des plus grands Seigneurs du Royaume de Naples, qui a eu beaucoup de part à la deffaite des conjurez de ce Royaume. Sa maniere d’écrire est fort belle & fleurie ; l’enchaînement & la liaison des évenemens s’y trouvent d’une maniere tres-naturelle. La situation sur tout où estoit l’Europe à la mort du feu Roy d’Espagne, est détaillée d’une maniere tres-exacte & tres-interessante. Ce morceau d’Histoire fournira un jour de grands éclaircissemens pour l’Histoire generale d’Espagne. L’Auteur s’est attaché à exprimer le plus sensiblement qu’il a pû, le dépit où estoient la pluspart des Princes de l’Europe, qui estoient liez d’interest avec la Maison d’Austriche, de voir entrer une des plus grandes successions du monde dans la Maison de France. Si l’Auteur Latin a bien exprimé la disposition de ces Princes, le Traducteur n’a pas moins bien réüssi à rendre en nôtre langue tous les faits differens qui sont contenus dans le texte original. Le tour qu’il a donné aux pensées de l’Auteur qu’il a traduit, a quelque chose de si neuf, que l’on peut dire qu’il luy appartient.

Mr Bulifon, Auteur de la Relation de ce qui s’est passé à Naples à la découverte de la Statuë Equestre, érigée à la gloire de Philippe V. & qui a passé de France à Naples dés l’année 1670. où il a toûjours demeuré depuis ce temps-là, a composé plusieurs Ouvrages, qui regardent tous le Royaume de Naples. En voici la liste.

Le premier Tome de l’histoire de Naples, concernant tout ce qui s’est passé dans ce Royaume-là, depuis la naissance de Nôtre-Seigneur jusqu’en l’année 1284.

Il a fait aussi plusieurs Ouvrages détachez, qui ont pour titre, Les Vies des Rois de Naples ; les Curiositez de Naples & de Pouzol ; l’histoire du Mont-Vesuve ; les descriptions de l’acclamation faite à Naples pour le possesse du nouveau Roy Philippe V. La solennelle entrée faite par sa Majesté Catholique à Naples ; & celle du Legat à Latere, que le Pape Clement XI. lui envoya.

Le même Auteur a fait aussi une histoire exacte des évenemens de la conjuration de Naples du 23. Septembre 1701. dont il a presenté une copie à sa Majesté Catholique pendant le séjour qu’elle a fait à Naples.

Il travaille presentement aux Vies des hommes illustres du même Royaume.

Dom Diego de Aguirre, premier Professeur du Droit Civil dans le College de la Sapience, a fait imprimer une petite dissertation Italienne, intitulée, Brevissima Epitome della Giurisdittione é podesta degli Eminentissimi é Reverendissimi Cardinali &c. dans laquelle, aprés avoir parlé de ce qui regarde les prérogatives & la Jurisdiction du Cardinal Camerlingue ; il traite aussi de la dignité du grand Chancelier du College de la Sapience.

On a aussi imprimé à Rome, chez François Gonzague, un in 4°. latin de prés de 400. pages. C’est une dissertation historique sur les Basiliques des Saints Martyrs Marcellin, Prêtre, & Pierre, Exorciste, composée par un Prêtre de l’Oratoire.

Le Livre qui a pour titre Sacro Arsenali ou Vera practica del sancto Officio ; c’est-à-dire, l’Arsenal sacré, ou la pratique du Saint Office, est de l’Imprimerie de la Chambre Apostolique. Le fonds de l’Ouvrage a été composé par le Pere Thomas Merghini, Dominicain ; mais les Notes sont de Mr Jean Pascaloni.

La Chambre Apostolique a fait faire aussi une nouvelle édition de l’Indice, dans laquelle on a ajoûté tous les Livres défendus jusqu’au mois de Juin 1704.

Le Livre de furibus Librariis, fait un fort grand bruit en Hollande ; Mr Crenius qui en est l’Auteur, s’est attiré une infinité d’ennemis.

[Feste de S. Lazare célebrée à l’Abbaye de S. Germain des Prez] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 306-308.

Le 17. de ce mois la feste de S. Lazare fut celebrée avec la magnificence & les ceremonies ordinaires dans l’Eglise de l’Abbaye de S. Germain des Prez. Je ne vous feray point ici le détail des ceremonies qui s’y observent, & sur tout lorsqu’on y reçoit quelques Chevaliers de l’Ordre de S. Lazare, vous en ayant déja envoyé sept ou huit grandes relations depuis 29. ans que j’ay commencé à vous écrire des lettres remplies de nouvelles. Le jour de la derniere feste de S. Lazare, Mrs les Chevaliers de ce nom & de Nostre-Dame de Mont-Carmel estant assemblez, receurent Chevaliers deux de leurs Eleves, dont l’un est de la maison de Conflans, & l’autre de la maison de Chabannes. Monsieur le Cardinal d’Estrées se trouva incognito à cette ceremonie, dans une tribune fermée, dressée dans le Chœur prés de l’Autel. Mr le Comte d’Aguilar, Grand d’Espagne, & l’un des Capitaines des Gardes du Corps de Sa Majesté Catholique, depuis quelque tems à la Cour, où quelques affaires de la plus haute importance & de confiance l’ont fait venir, fut aussi present à cette ceremonie, où assisterent quelques étrangers de distinction & plusieurs personnes qualifiées des deux sexes.

[Feste donnée par S.A.S. Monsieur le Prince] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 379-383.

Je viens d’apprendre que S.A.S. Monsieur le Prince a traité Monsieur le Comte d’Aguillard, & comme Prince ne fait rien qu’avec une ingenieuse magnificence, & que l’esprit, l’invention, la galanterie, & le bon goust, égalent l’abondance dans tous les repas qu’il donne, il n’y a pas lieu de douter que celuy où il a convié Monsieur le Comte d’Aguillard n’ait esté une Feste dans toutes les formes ; mais n’ayant pas le temps d’en ramasser toutes les circonstances, parce que je me trouve obligé de finir ma Lettre dans le temps que j’apprends que cette Feste s’est donnée ; je vais vous dire tres imparfaitement ce qui en est venu à ma connoissance. Il ne se trouva que des conviez à cette Feste, du nombre desquels estoit Monsieur le Duc, Mr de Luxembourg, Mrs les Comtes de Fimarcon, de Fiesque, & de Lussant, Mr le Marquis de Langeron, & plusieurs autres, d’un âge aussi mûr. Les Dames estoient, Madame la Princesse de Conty ; Mesdemoiselles d’Enguien & de Conty, Mes de Barbesieux & de Ris, & Mlle de Langeron. Le divertissement fut ouvert par un tres-beau concert de Haut-bois, ensuite de quoy il y eut une espece de petit Balet, composé de plusieurs entrées & dansé par les meilleurs Danseurs & par les meilleures Danseuses de l’Opera ; ce qui dura jusqu’au soupé, qui fut servi sur une table de vingt-cinq couverts, avec toute la propreté, la delicatesse, & la magnificence possibles. La Symphonie se fit entendre pendant tout le repas, qui dura long-temps, & cette Symphonie, qui fut fort variée, fut trouvée fort belle, & fit beaucoup de plaisir. À peine fut-on sorty de table que quatre Danseurs & quatre Danseuses donnerent un nouveau divertissement. L’ouverture du Bal se fit ensuite par Monsieur le Duc, & par Mademoiselle de Conty, & qui estoit Reine du Bal. Le Bal fut long, parce qu’il fut plusieurs fois agreablement interrompu par de nouvelles Entrées de Balet.

Aprés quoy on passa dans un lieu separé où l’on trouva une collation des plus magnifiques, & les liqueurs les plus exquises y furent prodiguées ; cette colation fut suivie de nouvelles entrées de balet, aprés lesquelles le bal recommença de nouveau. Ces plaisirs durerent jusqu’à pres de quatre heures du matin, que la feste finit. Je n’oze vous parler davantage de la magnificence de Monsieur le Prince, de crainte de blesser sa modestie, ce Prince traitant de bagatelles les choses les plus magnifiques lorsqu’elles viennent de sa part. On doit remarquer qu’il donne toûjours de si bons ordres & qui sont toûjours si bien executez qu’il n’y a jamais eu de confusion dans les Festes qu’il a données, quoy qu’elles ayent été souvent si grandes qu’elles pouvoient meriter le nom de Royale.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 414-418.

Le mot de l'Enigme du mois passé estoit la Pipe ; ceux qui l'ont trouvé sont, Mrs l'Abbé du Coudray : Geniez : Bertin du Rocheret : Lavocat, Procureur au coin de la ruë Oignard : Canelle, ruë d'Enfer : Loyau ve de bon cœur C.... Beurreleau Champenois : Fortin de Caën : la petit Manon Benjamine : l'Amant constant, & son aimable Maistresse de la ruë Aubry-boucher : l'Agreable dans les Compagnies : le troisième Roy de Pologne couronné : l'Aimable David, & son amy Met : le Compere des Champs, ruë de la Verrerie : les Amans de la ruë S. Germain, au coin de la ruë Thibault : le Genereux Nirar, & sa charmante voisine : l'Echo fidele : Tamiriste : la charmante Pillon, proche le Roy des Laboureurs : la charmante Catin de chez Mr Bretaucourt, ruë S. Martin : l'aimable Madelaine de la ruë des Tapisseries de Reims, & le chaste Joseph son fidel associé : l'aimable Catho Cailles de la mesme Ville, & son amant inconnu : L.... Deputé, des D. d. l. : la Dame du Champ de l'Aloüette : la commere de Fanchon de Lauz : la Visse begayante depuis deux ans : la Bergere Climene & son Berger Tircis de la Place Royale ; le Docteur du bois commun.

L'Enigme que je vous envoye est de Mr d'Aubicourt

ENIGME

Celuy qui nous créa, me rend si necessaire,
Que je n'ignore rien de ce qui se peut faire,
Et l'on ne peut jamais inventer d'instrument
Qui sçache comme moy tout faire adroitement.
***
Si de tant de sujets je suis le plus habile,
Je dois, faisant du bien, à tous me rendre utile,
Mais me laissant conduire à l'esprit animal,
Je pratique toujours moins le bien que le mal.
***
C'est ainsi que l'on voit mes talans pour écrire
S'employer à grossir un injuste procés,
Et que multipliant la chicane à l'excés,
Souvent j'impose au Juge, & je ne sçay pas lire.
***
Car je ne suis qu'un toux d'où sortent cinq rameaux
Qui se rassemblent tous, quoiqu'ils soient inegaux ;
Devenus grands & forts, chacun comme sa mere
Me nourrit, me deffend, & seconde son frere.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1705 [tome 12], p. 418-419.

La Chanson que vous allez voir vous paroistra divertissante.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures. L’Air, Que j'étois sot qu[and] j'étois amoureux, [page] 418.
Que j'étois sot, quand j'étois amoureux !
Souvent je répandois des larmes ;
Mes plus beaux jours, mes jours les plus heureux,
Ne se passoient pas sans allarmes.
Mais depuis que Bachus m'a muni de ses armes,
Doux effet de ce jus divin !
La joye a sçeu bannir de mon cœur le chagrin ;
Je resiste à l'Amour, je méprise ses charmes.
Ah ! qu'un homme est heureux de n'aimer que le vin !
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