1706

Mercure galant, août 1706 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1706 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1706 [tome 8]. §

[Mr de Vertron présente un nouvel ouvrage au Roy]* §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 158-163.

Mr de Vertron, Chevalier de l’Ordre de Saint Lazare, a eu l’honneur de presenter au Roy un nouvel ouvrage sur du vêlin, avec des cartouches, le Compliment qu’il a fait à Sa Majesté, vous fera connoistre la nature de cet ouvrage, qui, selon le témoignage de Mr l’Abbé Raguet, & d’autres Sçavans, merite d’estre mis entre les mains des Fideles, soit qu’on le considere du côté de la pieté, soit qu’on le regarde du côté de l’esprit. Voicy le compliment, qui vous plaira sans doute.

SIRE,

L’hommage, que je présente icy, à VOTRE MAJESTE, luy apartient si naturellement, que j’ose me flatter, qu’elle me fera la grace de l’accepter ; c’est un petit Livre, qui contient : les Prieres qu’on récite dans tous les Ordres Militaires, qui sont dans son Royaume. À qui pourrois-je m’adresser à plus juste titre, qu’à un Roy aussi pieux, que vaillant, qui en est le Chef Souverain, & le Protecteur ? De quelque costé, SIRE, que vous regardiez cette Traduction, vous n’y trouverez rien que de conforme à vos inclinations héroïques & religieuses ; vous y verrez les sentimens les plus pieux des Chevaliers, qui n’ont pris les armes, que pour proteger l’Innocence oprimée. N’est-ce pas ce que VOTRE MAJESTÉ pratique si genereusement, dans toutes les guerres qu’elle entreprend ? Vous aurez la secrete satisfaction d’y considerer, que l’ardeur martiale, dont brûlent ces intrepides Guerriers, est soûtenuë des plus grandes veritez de la Religion. Rien ne doit estre plus agreable aux yeux d’un Monarque, qui a porté la gloire du nom de Tres-Chrêtien, au plus haut degré où elle puisse arriver. Enfin SIRE, V.M. y découvrira ce qui sanctifie des Heros, également recommandables par leur vertu & par leur naissance. Quel sang plus illustre, que celuy dont vous êtes formé ? Quelle vertu plus éclatante, que celle dont vous êtes enrichi ? Voilà, SIRE, ce qui m’a excité à mettre l’auguste Nom de VOTRE MAJESTÉ, à la teste de cet Ouvrage. Un choix si juste fait ma confiance ; & je ne pouvois trouver une plus belle occasion de vous renouveller mon zele ardent pour vostre gloire, & le respect avec lequel je suis, & seray toute ma vie, SIRE, de V.M. le, &c.

[Divers couplets de chansons] §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 163-173.

Rien n’étant plus agréable que la varieté, je passe à une matiere bien differente, en vous envoyans divers couplets de Chanson. Le premier a paru du temps d’Henry IV. & même sous le nom de ce Monarque ; le voicy.

Charmante Gabrielle, L’Air qui commence par, Charmante Gabrielle, page 163.
Percé de mille dards ;
Quand la Gloire m’appelle
À la suite de Mars :
Cruelle départie !
Malheureux jour !
Que ne suis-je sans vie,
Ou sans amour !

Cette Chanson estant devenuë tellement à la mode, qu’on la chante tous les jours dans les plus belles compagnies, Mr Charles a jugé à propos de faire un Air nouveau, sur les mêmes paroles ; j’ay fait graver l’ancien au dessus du nouveau, & je vous les envoye tous deux. Je vous envoye aussi plusieurs couplets qui peuvent estre chantez sur ces deux Airs, & dont les premiers doivent avoir servi de suite aux couplets precedens.

Bel astre, je vous quitte,
O ! cruel souvenir !
Ma douleur s’en irrite,
Vous revoir ou mourir.
Cruelle départie, &c.
***
Recevez ma Couronne,
Le prix de ma valeur.
Je la tiens de Bellonne ;
Tenez-la de mon cœur.
O sort digne d’envie !
Trop heureux jour !
C’est trop peu d’une vie
Pour tant d’amour.
Je n’ay pû dans la guerre
Qu’un Royaume gagner ;
Mais sur toute la terre
Vos yeux doivent regner.
O sort digne d’envie, &c.

Vous jugez bien que le couplet qui suit regarde Monsieur de Vendosme.

Le Fils de Gabrielle
Arrive dans ces lieux ;
Une gloire immortelle
Le rend égal aux Dieux :
Les cœurs sur son passage,
Vont aujourd’huy :
Que veut-il davantage ?
Ils sont à luy.

Le couplet que vous allez lire ne regarde plus ce Prince.

On n’a que trop à craindre
Auprés de vos beaux yeux :
Mais bien loin de m’en plaindre,
Je veux mourir pour eux.
O sort digne d’envie !
Trop heureux jour !
C’est trop peu d’une vie
Pour tant d’amour.

Les Vers suivans sont encore sur le même Air. Ils ont esté chantez devant la porte de la personne dont il est parlé dans le troisiéme couplet, avec des accompagnemens de flûtes, de hautbois, de violons, de trompettes & de tymbales.

ADIEUX D’UN CAVALIER
à sa Maîtresse,
En partant pour l’Armée.

Mon aimable Maîtresse,
Il faut quitter ces lieux ;
Mon cœur plein de tristesse,
Vient faire ses adieux.
Cruelle départie !
Malheureux jour !
Que ne suis-je sans vie,
Ou sans amour ?
***
Au milieu de la Flandre
J’iray verser des pleurs ;
Par tout mon cœur trop tendre
Va porter ses douleurs.
Cruelle départie, &c.
***
Ma charmante Isabelle,
Les momens me sont courts ;
J’entens Mars qui m’appelle
Par le bruit des Tambours.
Cruelle départie, &c.
***
Pendant ma longue absence
Pense souvent à moy ;
Mon cœur dans sa souffrance
Ne songera qu’à toy.
Cruelle départie, &c.
***
Les Echos de ces plaines,
Témoins de mes amours,
Sur le bord des fontaines
Repeteront toûjours :
Cruelle départie, &c.
***
Fâcheuse recompense
De ce que je te dois !
Au moment que j’y pense,
Mon cœur tremble d’effroy.
Cruelle, &c.
***
Faut-il que j’abandonne
Ce que j’ay tant aimé,
Et quitter pour Bellone,
L’objet qui m’a charmé ?
Cruelle, &c.
***
Quelle douleur extrême !
Ah ! quelle cruauté !
De dire à ce qu’on aime :
Adieu chere beauté !
Cruelle, &c.
***
Le Tigre & la Tigresse,
Les Lyons & les Ours,
Constans de leur tendresse,
Sans crainte aiment toûjours.
Cruelle, &c.
***
Mon cœur est plus à plaindre ;
En s’éloignant de vous,
Il aura tout à craindre
De mes rivaux jaloux.
Cruelle, &c.
***
Assurez-moy, ma Belle,
Dans ce fâcheux moment,
Que vostre cœur fidelle
Partage mon tourment.
Cruelle, &c.

Le mot de départie, au lieu de départ, aura sans doute d’abord offensé vos oreilles ; mais il estoit d’usage dans le temps de l’adieu de Henry IV. à la belle Gabrielle, & vous sçavez que tout ce qui est à la mode est toûjours bien. D’ailleurs, quand on a chanté deux ou trois fois ces chansons, l’air en fait tant de plaisir, qu’on s’y accoûtume aisément. Les mots n’ont que les significations qu’on leur veut donner ; & quand on les sçait, & qu’on y est accoûtumé, on n’y trouve rien d’étrange.

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[Article concernant Monsieur le Cardinal Gualterio] §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 186-210.

Je ne vous dis rien de ce qui s’est passé lorsque Monsieur le Cardinal Gualterio a reçu le Bonnet des mains du Roy, & qu’il a eu l’honneur de dîner avec Sa Majesté ; la relation de ce qui s’est passé à cette occasion, ainsi qu’aux Audiences de congé données à ce Cardinal par Sa Majesté, & par toute la Famille Royale, est si curieuse & si exacte, que ne trouvant aucune circonstance qui puisse y estre ajoûtée, je ne repeteray rien de ce qui a déja esté rendu public sur ce sujet.

Je vous ay souvent parlé de Monsieur le Cardinal Gualterio, & particulierement lorsque le Roy d’Angleterre alla voir sa Bibliotheque, & les autres curiositez qui sont chez cette Eminence. Comme elle veut tout voir & tout sçavoir, ayant appris dernierement par Mr de Rouviere, si connu par ses celebres dispensations de la Theriaque, & qui luy presentoit un des derniers ouvrages de Mr l’Abbé de Vallemont, que cet Abbé avoit un tres-beau Cabinet, & rempli d’une infinité de curiositez ; cette Eminence témoigna qu’elle vouloit voir ce Cabinet, & que ce seroit chez Mr l’Abbé de Vallemont même, qu’elle le remercieroit de l’ouvrage qu’il luy avoit envoyé. En effet, elle alla le 24. de Juillet au College du Cardinal le Moine, où demeure cet Abbé. Elle estoit accompagnée de Mr le Chevalier Gualterio, son frere, de Mr le Marquis de Chenille, son neveu, de Mr l’Abbé Passioneï, & de Mr le Marquis Maldachini, General des Galeres de Naples. Mr de Vallemont ayant esté averti par Mr de Rouviere, le fils, que son Eminence estoit sur le point d’arriver, il alla la recevoir à la descente de son carosse. Les cloches du College sonnerent aussi tost, les Ecoliers sortirent de Classe, & il se fit un bruit d’acclamations qui dût faire plaisir à ce Cardinal. Mr Lheullier, Docteur de Sorbonne & Grand-Maître de ce College, estoit avec Mr de Vallemont ; & ce Grand-Maître, à la teste de tous les Professeurs, de tous les Docteurs, & des Bacheliers, qui demeurent dans cette Maison, adressa en leur nom le compliment suivant à Son Eminence.

MONSEIGNEUR,

Un grand Cardinal a fondé autrefois cette Maison ; un grand Cardinal la gouverne actuellement en qualité de Superieur ; & ce n’est que de sa part, & sous ses ordres que nous y travaillons à former les jeunes gens à la pieté, aux belles lettres, & aux sciences divines, & humaines : Et aujourd’huy un autre grand Cardinal l’honore de sa presence, & de sa visite. Que nous nous estimons heureux, Monseigneur, que les differentes Curiositez de la Nature & de l’Art, dont le Cabinet de Mr l’Abbé de Vallemont est rempli, ayent attiré icy Vôtre Eminence ! Cet honneur auquel nous ne nous attendions pas, rehausse infiniment la valeur & le prix de ces Curiositez, augmente la gloire de ce sçavant Abbé, & donne une nouvelle reputation à ce College. Permettez-nous, Monseigneur, de profiter de cette occasion si favorable, pour témoigner à Vôtre Eminence, la joye toute particuliere, que nous avons ressentie de vôtre Promotion au Cardinalat. Cette joye se renouvelle & augmente aujourd’huy, sur ce que nous apprenons que sa Sainteté a nommé Vôtre Eminence à la Legation de la Romagne. Ce grand Pape, qui gouverne l’Eglise avec tant de sagesse, ayant autant de penetration & de discernement pour connoistre le merite, que de pouvoir & de bonne volonté pour le recompenser, donne à toute la Terre une grande idée de vos vertus. Mais quel avantage pour l’Eglise, & quelle consolation pour les gens de bien, de voir un si saint Pape vous confier les plus importantes affaires de la Republique Chrêtienne ! Il y a déja plusieurs années que la France admire ces éclatantes vertus, que sa Sainteté prend plaisir de relever par des employs, & par des dignitez si considerables. En effet, peut-on assez celebrer cette sagesse, & cette prudence consommée à traiter les plus grandes affaires de l’Eglise, à ménager les interests du Saint Siege, à conserver ses droits, & ses privileges, sans vouloir donner la moindre atteinte aux usages de l’Eglise Gallicane ? Vôtre Eminence a sçu merveilleusement bien accorder le Sacerdoce, & la Royauté ; rendre à Dieu, & à Cesar ce qui leur appartient. Vous vous en êtes acquité d’une maniere, qui vous a attiré l’amitié du plus grand des Rois, & l’estime de tous les Etats du Royaume. Mais, Monseigneur, j’ose bien vous dire que personne au monde ne respecte tant que nous Vôtre Eminence, & que nous-nous y trouvons portez par des raisons, qui vous sont particulieres. Car enfin, outre ces brillantes vertus, qui sont l’objet de l’admiration, & des respects de l’Italie, & de la France, nous voyons, ce nous semble, quelques rapports tres-marquez entre la Personne de vôtre Eminence & les deux grands Cardinaux, que nous sommes les plus obligez de respecter, & par religion, & par reconnoissance. L’un a fondé cette Maison par ses liberalitez, & l’autre la soûtient par sa puissante protection. Nous sçavons que Monseigneur le Cardinal de Noailles, nostre tres-digne, & tres-illustre Superieur, que nous aimons, s’il nous est permis de le dire, autant par inclination que par devoir, est distingué dans l’Eglise par les mêmes vertus, qui vous ont fait orner de la pourpre Romaine ; & qu’il a toûjours esté lié avec Vôtre Eminence, par une amitié toute singuliere. Et pour ce qui est de nôtre pieux Fondateur, il fut comme vous, Monseigneur, Nonce en France, & même Legat du S. Siege. Il fut choisi dans des temps tres-difficiles, pour accommoder un des plus fâcheux differends, qui ayent jamais broüillé le Sacerdoce avec l’Empire. Et s’il n’eut pas le bonheur d’y réüssir entierement ; du moins eut-il la gloire de s’être comporté d’une maniere si sage, & si prudente, que le Pape & le Roy, furent également contens de sa conduite, & de sa negotiation. C’est ce que nous apprenons par les Titres de la Fondation de ce College, auquel le Pape Boniface, & Philippe le Bel accorderent de grands Privileges, en consideration, disent-ils, du merite, & des vertus du Cardinal le Moine. Voilà, Monseigneur, ce qui augmente nôtre attachement, & nôtre respect pour Vôtre Eminence. Un2 de nos premiers Professeurs en donna des marques publiques, il y a quatre ans, en publiant sous vôtre illustre nom, une Ode seculaire ; Carmen sæculare, sur le Jubilé de l’année Sainte, & que vous eustes la bonté de recevoir favorablement. Mais aujourd’huy toute cette Maison, composée de sçavans Docteurs de Sorbonne ; d’Abbez distinguez ; de Professeurs habiles, me charge d’asseurer Vostre Eminence de ses profonds respects. Que n’ai-je des expressions assez fortes, pour peindre la vivacité de leurs sentimens ? Il est vray qu’ils s’en expliquent assez eux-mesmes par ce grand concours, & par ce vif empressement à voir vostre chere & précieuse personne. Au reste, cette Maison se souviendra éternellement de l’honneur qu’elle reçoit aujourd’huy ; & elle tâchera par toutes sortes d’endroits de meriter de plus en plus vostre affection. Elle vous suplie tres-humblement de luy ménager, auprés du Souverain Pontife, la continuation des graces, des benedictions, & des Indulgences, dont le Saint Siege nous a toûjours si amplement favorisez. C’est ce que nous esperons de vostre protection, & de la bonté toute singuliere de vostre Eminence, à qui nous souhaitons, par les vœux les plus ardens, de tres-longues & heureuses années pour le bien de la Sainte Eglise.

Mr le Cardinal Gualterio témoigna beaucoup de reconnoissance à Mr le Grand Maître du College, & luy dit : Je ne m’attendois pas à tant d’acclamations & de témoignages de joye ; c’est icy une fête. Si j’avois crû recevoir tant d’honneur, je serois venu avec plus de ceremonie, & dans un autre équipage. Je suis sensible, comme je le dois être, à la reception si polie, que vous me faites ; je n’en perdray pas le souvenir, & vous aurez des marques de ma reconnoissance, dés que vous m’en ferez naistre l’occasion.

Dans le temps que Mr le Cardinal Gualterio entroit dans l’appartement de Mr l’Abbé de Vallemont, un Ecolier de Rethorique presenta à son Eminence, trente Vers Latins qu’il auroit recitez, si l’on n’avoit pas apprehendé d’ennuyer & de fatiguer ce Seigneur. Ces Vers estoient de la composition de Mr Pestel Professeur de Rethorique. Je vous en envoye une Traduction en Prose. Vous devez estre persuadé que cette traduction doit être beaucoup au dessous de l’Original, puisqu’il est impossible de donner à de simple Prose le tour, l’agrément & la force, que les Vers ont ordinairement.

MONSEIGNEUR,

Quel honneur, & quelle joye pour nous de voir icy votre Eminence ! Un spectacle si rare, & si charmant nous ébloüit, & déconcerte toutes nos Muses, peu accoûtumées à voir tant de grandeurs à la fois. Une pareille surprise nous est une légitime excuse du peu que nous faisons, pour satisfaire à nôtre zele. Nôtre Rethorique eut l’honneur de vous rendre ses hommages au commencement du siecle, lorsque comme Dépositaire des tresors du Vatican, vous répandîtes sur l’Eglise de France, les Sacrées richesses de l’Année Sainte. Nôtre Poësie, qui osa alors vous prédire l’honneur suprême de la Pourpre Romaine, feroit encore volontiers des vœux en vôtre faveur, si nos idées n’étoient déja dérangées par l’éclat de la dignité où Sa Sainteté vient de vous élever, & dont elle distingue avec l’approbation de toute la Terre, vos vertus, & vôtre merite. Quand nous aurions tous les lauriers du Parnasse, pour vous couronner, ils vous orneroient bien moins, que ce Chapeau auguste, qui vous met à portée de tout ce qu’il y a de plus grand dans l’Univers. Franchement nos fleurs ne sont plus propres qu’à semer sous vos pas. Pour vous loüer maintenant, il faut prendre sur le Mont de Sion, & non sur le Parnasse ; dans le Sanctuaire, & non dans les Académies, des expressions dignes de célébrer ces dons de la nature & de la grace, que nous regardons comme d’infaillibles augures d’une plus grande élevation. Les Poëtes, Monseigneur, sont des Devins : & la moitié de mes prédictions est déja accomplie. Mr l’Abbé de Vallemont, qui a tant de part à cette visite, dont nous nous trouvons si honorez, suppléera pour nous à ce que nous voudrions faire. Son éloquence, si connuë par tant de celebres écrits, porte un caractere de sublime, où chacun ne peut atteindre. Chez luy les beaux Arts de concert avec les Sciences, vont faire de leur mieux, pour témoigner à vôtre Eminence, combien il est touché de l’honneur qu’il reçoit aujourd’huy. Son Cabinet est certainement un abregé tres-entendu des merveilles de la Nature, & de l’Art. Vôtre Eminence y va voir avec plaisir, ce que renferment de plus précieux, la Terre dans son sein, & la Mer dans ses abymes. On y trouve ce que l’Antiquité a fait de plus venerable ; & ce que les Modernes ont fait de meilleur goût : Une suite de Medailles antiques depuis Jule César jusqu’à Hiéraclius ; une Bibliothéque choisie, & dans laquelle tant d’Ouvrages de la composition de cet Abbé ne devroient pas tenir le dernier rang. Mais, Monseigneur, je retarde vos plaisirs. Tandis que vous allez parcourir tant de rares Curiositez, nos Muses dans le silence vont écouter avec respect, ce qu’un vif & merveilleux discernement va vous faire dire sur chaque chose. Au reste, ce beau jour sera marqué dans nos fastes en caracteres ineffaçables, & nous en transmettrons la memoire à ceux qui nous succederont.

Il faudroit faire un détail du Cabinet de Mr l’Abbé de Vallemont, pour remarquer icy tout ce que Monsieur le Cardinal Gualterio dit sur tout ce qu’on luy presenta. On remarqua le profond sçavoir de Son E. sur les choses de Physique, sur l’usage des Instrumens de Mathematique, sur les Médailles antiques, sur les Pierres gravées, sur les Talismans, sur les Pétrifications, & sur les Coquillages. Son Eminence fut charmée, sur tout, d’une Boëtte de Coquillages d’Orient, qui est d’une trés-grande beauté, & le plus beau coup d’œil qu’il soit possible de voir dans aucun Cabinet de l’Europe. Ce Cardinal ; en remontant en carosse, fit beaucoup de caresses à Mr Rouviere le fils, & luy dit de remercier son pere de l’obligation qu’il luy avoit, de luy avoir procuré le plaisir de voir tant de belles choses.

[Le Roy d’Angleterre assiste à une messe solemnelle dite à l’église de Sainte Geneviève]* §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 252-259.

En effet, dés la mesme matinée, Mr Dongois vint à l’Abbaye de Sainte Geneviéve notifier ledit Arrest à l’Abbé & au Chapitre. Aussi-tost l’Abbé de Sainte Geneviéve, qui est Superieur General des Chanoines Reguliers de la Congregation de France, fit son Mandement, comme relevant immediatement du S. Siege, par lequel, pour obéïr à l’Arrest de la Cour, il ordonna que la Chasse de Sainte Geneviéve seroit découverte le Lundy 16. de ce mois, & que les prieres publiques seroient ouvertes dans son Eglise par une Messe Solemnelle, qui seroit celebrée le mesme jour. En consequence de ce Mandement, la Chasse fut découverte, & on celebra une Messe Solemnelle, à laquelle assisterent Mrs les Porteurs de la Chasse, ayant chacun un cierge à la main ; & il y eut dés ce mesme jour un grand concours de peuple. Comme Monsieur le Cardinal n’ordonne rien dans son Diocese dont il ne donne l’exemple le premier, son Eminence fit sçavoir qu’elle iroit ce jour même à l’Eglise de Sainte Geneviéve, à la teste du Chapitre de Nôtre-Dame, accompagnée des quatre Eglises que l’on appelle communément Filles de Nôtre-Dame, qui sont les Chapitres du S. Sepulchre de Sainte Opportune, de S. Benoist & de S. Mederic. Sur les cinq heures & demie, tous ces Corps entrerent dans l’Eglise de Sainte Geneviéve ; son Eminence y vint à pied, malgré la chaleur excessive, & elle fut reçûë par les Chanoines Reguliers de l’Abbaye avec tous les honneurs dûs à son rang. Les Eglises de Paris ont suivi & suivent encore tous les jours un si grand exemple ; les Paroisses, particulierement, y viennent avec un tres-nombreux Clergé, & toûjours accompagné d’un nombre infini de peuple.

Le 19. le Roy d’Angleterre qui ne laisse passer aucune occasion de faire paroistre sa piété, sans l’embrasser aussi-tôt, ayant sçû que la Chasse de Sainte Geneviéve étoit découverte, & que l’on faisoit des Prieres publiques dans l’Eglise dediée à cette Sainte, voulant y venir entendre la Messe ; ce Prince envoya le Jeudy 19. de ce mois, avertir Mrs de Sainte Geneviéve, qu’il y viendroit sur les dix heures, & qu’il vouloit y entendre une basse Messe, qui seroit celebrée par un des Chanoines Reguliers de la Maison. Ce Monarque y vint en effet à l’heure marquée ; & comme il venoit, incognito, il ne voulut pas entrer par l’Eglise, où on luy auroit fait les honneurs dûs à son rang. Ce Prince entra par la porte de l’Abbaye, & fut reçû, à la descente de son Carosse, par le Superieur, à la teste du Chapitre. Il voulut d’abord estre conduit à l’Eglise, où au lieu d’entendre une basse Messe, ainsi qu’il l’avoit d’abord demandé, il souhaitta d’assister à la Grand’Messe, disant qu’il avoit si souvent entendu parler de la maniere dont on faisoit l’Office dans l’Eglise de sainte Geneviéve, qu’il seroit ravy d’y assister ce jour là même. Pour satisfaire à la dévotion de ce Prince, les Chanoines Reguliers celebrerent la Grand’Messe avec toutes les Ceremonies qu’ils observent dans les Messes les plus solemnelles. Sa Majesté y assista dans la place qu’on luy avoit préparée, sur les degrez du Sanctuaire, avec une pieté & une modestie qui édifierent un Peuple infini dont l’Eglise étoit remplié ; & quoique cette Messe fut tres-longue, ce Prince dit qu’elle luy avoit paru courte, qu’il avoit esté charmé de la maniere dont on avoit celebré l’Office, & qu’on avoit raison d’en parler avec autant d’éloges que l’on fait.

À son Altesse Royale Monseigneur le Duc d’Orléans. Sonnet §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 412-414.

Le Sonnet suivant est de Mr de Galouby, Capitaine des Gardes de Monsieur le Prince de Vaudemont.

À SON ALTESSE ROYALE MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLEANS.
SONNET.

Eugene, il faut ceder à ce jeune Vainqueur,
Qui de tes legions vient d’arrêter l’audace ;
Il soutient dignement des Heros de sa race,
Les exploits glorieux, les vertus, la grandeur.
***
Dans ses plus tendres ans il montra sa valeur
Des plus affreux dangers il affronte la face.
Et sur le champ de Mars deux fois on vit la trace,
De son sang répandu que prodiguoit son cœur.
***
Tu ferois contre luy des effors inutiles ;
Borne tes grands desseins à de petites villes3 ;
Garde-toy bien d’oser luy livrer un combat.
***
Tu le verrois par tout suivi de la victoire ;
Il est du sang des Dieux, de ce sang où la gloire,
A puisé de tout tems son plus brillant éclat.

[Paroles sur l’Air des Bachantes de Philomène]* §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 414-415.

Les paroles suivantes regardent encore ce Prince ; elle sont sur l’Air des Bachantes de l’Opera de Philomene.

Haste-toy, cours à la gloire.
Digne sang des plus grands Rois ;
Les Filles de Memoire,
Au bruit de tes exploits,
Changeront leurs concerts en des chants de victoire.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 424-427.

Le mot de la derniere Enigme estoit l’Almanach. Ceux qui l’ont deviné, sont ; Mrs Henry Fouquet : Oedippe fils, de la ruë au Maire : l’Abbé Jolly, de la Vieille ruë du Temple : le Capitaine Fouquette soupirant de la belle Carthaginoise : le Roy de la Tragedie : les quatre Amis, de la ruë d’Enfer : le Chanoine en herbe, de Beauvais : l’Asthmatique, de la ruë Princesse, Fauxbourg Saint Germain : l’Amant mal récompensé : l’Amant secret, des deux Pilliers d’or, de la rue Saint-Jacques : le Philosophe, & le Solitaire du cul de sac de Saint Landry ; & les nouveaux mariez, de la rue Saint Benoist : Mlles Dona de Fonguillere, de Carthagene, & son intime Anne Roudier : la belle Madelon : la belle Bonneton : la charmante Marie-Anne, de la Paroisse de S. Benoist : les quatre Cousines germaines, du quartier S. Antoine : la Recluse de Chaillot ; & l’aimable Coûteliere, de la rue de la Savonnerie.

L’Enigme nouvelle que je vous envoye, est de Mr d’Aubicourt.

SONET ENIGMATIQUE.

Je suis un instrument fragile, & delicat,
Que l’on exerce en Paix, moins que pendant la Guerre ;
Depuis le General, jusqu’au dernier Soldat,
Chacun se sert de moy, tant sur mer que sur terre.
***
Je suis utile au Sage, & j’occupe le Fat.
J’attire à mon canal, l’humeur atrabilaire.
Par moy l’esprit s’éveille ; & si le cœur s’abbat,
J’ay pour le relever un talent salutaire.
***
Je m’échauffe au travail, & mon corps plein d’ardeur,
Animant qui m’exerce, excite sa vigueur ;
Mais ma blancheur enfin vieillissant, devient noire.
***
Si pour me reblanchir, quelqu’un me jette au feu,
J’en rougis ; puis prenant la couleur de l'yvoire,
Je renais blanche & belle, & je dépense peu.

[Panégyrique prononcé le jour de la Fête de la Saint Louis]* §

Mercure galant, août 1706 [tome 8], p. 439-440.

Vous savez qu’il m’a toûjours esté impossible de vous envoyer le détail des choses considerables, qui se passent quatre ou cinq jours avant la fin de chaque mois, dans le mesme mois qu’elles arrivent, parce qu’il faut du temps pour en ramasser toutes les particularitez ; c’est pourquoy je remets au mois prochain à vous envoyer ce qui regarde le Panegyrique de S. Loüis, prononcé le jour de la Feste de ce Saint, dans la Chapelle du Louvre, devant Mrs de l’Academie Françoise ; & dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire, devant Mrs de l’Academie des Sciences, & devant celle des Médailles & Inscriptions ; ainsi que ce qui s’est passé le jour que Sa Majesté a esté voir l’Eglise des Invalides, & dans les lieux où la curiosité a fait aller Monseigneur le Duc de Bourgogne.