1706

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1706 [tome 12].
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Mercure galant, décembre 1706 [tome 12]. §

[Sacre de Mr l’Evêque de Rieux] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 42-47.

Mre Pierre de Charite de Rutie, Grand Archidiacre & Grand Vicaire de Cominges, a esté sacré Evesque de Rieux, dans l’Eglise Cathedrale de S. Bertrand, par Mr l’Evesque de Cominges, assisté de Mrs les Evesques de Conserans & de Pamiers ; cette Ceremonie qui est d’ailleurs considerable par elle-mesme, fut renduë éclatante par le grand nombre de personnes de qualité qui s’y trouverent ; Saint Bertrand, que Mr l’Evesque de Rieux avoit choisi préferablement à tout autre Eglise pour son Sacre, & pour la satisfaction des Mrs de cet illustre Chapitre, dont il étoit le Chef, est situé au pied des Monts-Pyrénées. C’est un lieu fort desert & presque inaccessible. Le concours du peuple des lieux circonvoisins fut néanmoins si grand, qu’on fut obligé de faire mettre des Gardes aux Portes de l’Eglise, afin de n’estre pas accablé par la foule. Le Chapitre de Rieux y deputa quelques Chanoines des principaux de son Corps ; la Ville luy envoya aussi quelques Deputez, & l’on doit remarquer qu’un Avocat au Siege de Rieux, âgé de 98. ans, dans l’impatience qu’il avoit de voir son nouvel Evêque, demanda avec instance, d’estre du nombre des Deputez, ce qui luy fut accordé avec quelque peine, à cause de son grand âge & du temps qui étoit assez rude. Il revint de ce voyage de vingt lieuës, aussi frais que les plus jeunes de sa Compagnie. Mr l’Evesque de Cominges, dont l’estime & l’amitié sont infinies pour Mr l’Evesque de Rieux, en donna des marques bien fortes dans cette occasion, puisque tout infirme qu’il étoit, & épuisé par une longue maladie, il voulut bien faire cette Ceremonie, qui est des plus longues, & son zele & son amitié pour Mr de Rieux, luy firent trouver des forces pour s’en acquitter. La Messe qui fut chantée par une excellente Musique, étant finie, Mr l’Evesque de Comminges donna un grand repas à Mrs les Evêques ses Assistans, à Mr l’Evesque de Rieux & à plusieurs personnes de distinction ; & Mr l’Abbé de Rutie, Grand Archidiacre de Cominges, neveu de Mr l’Evesque de Rieux, tint aussi chez luy deux tables de vingt couverts chacune, qui furent servies avec autant d’abondance que de délicatesse ; le jour mesme, veille de la Feste de tous les Saints, le nouvel Evesque fut prié d’Officier à Vespres, où assisterent Mrs les Evesques de Conserans & de Pamiers. Jamais Prelat n’a officié avec plus de grace & de Majesté ; il avoit une Mitre des plus belles & des plus riches du Royaume, & qui a été donnée par la Reine Marguerite de Valois, à un Evesque de Rieux, de la Maison de Bertier. Je vous ay parlé dans le temps que ce Prelat a esté nommé Evesque de Rieux, de sa famille qui est fort ancienne & tres-illustre dans la basse Navarre, & je vous parlay de toutes les qualitez qui le rendent recommandable. Ainsi je ne repeteray rien de ce que je vous en ay déja dit. J’ajouteray seulement qu’on découvre tous les jours dans ce nouveau Prelat, de nouvelles qualitez qui le font de plus en plus estimer.

[Lettre touchant la vie de Mr de S. Evremont, imprimée en Holande] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 74-93.

La Lettre suivante est de Mr de Maizeaux, Auteur de la nouvelle édition des œuvres, & de la vie de Mr de S. Evremont, faite en Hollande. Il écrit de Londres, & sa Lettre est adressée à un homme de Lettres de Paris, qui luy avoit envoyé des remarques sur cette mesme vie. Elle pourroit servir à l’édition qu’on assure que l’on vient d’entreprendre en cette Ville, puisque l’Auteur y fait voir de bonne foy les fautes où il est tombé dans l’impression d’Hollande.

Vous ne pouviez m’obliger plus sensiblement, Monsieur, qu’en me communiquant les remarques que vous avez faites sur la vie de Mr de Saint-Evremont. J’ay toûjours esté tres-éloigné du genie de ces Ecrivains dont vous me parlez, qui, au lieu de reconnoistre de bonne foy les fautes qui leur sont échapées, s’imaginent sottement qu’il y va de leur honneur de n’en pas convenir, & tâchent ensuite de les pallier par toutes sortes d’artifices. La bizarrerie du sort, a bien pû me faire Auteur ; mais elle ne sçauroit me faire imiter sur ce point la pluspart de mes Confreres.

Vous estes surpris que j’aye dit que Mr d’Aubigny estoit neveu de Mr le Comte de Lennox : Cette inadvertance vous porte à croire que j’ay écrit ce petit ouvrage un peu à la hâte : & je vous avouë, Monsieur, qu’étant extrêmement pressé par le Libraire, & ayant d’autres affaires, j’envoyois les feüilles en Hollande à mesure que je les composois, sans en garder même de copie. On ne doit pas estre surpris aprés cela si le stile en est un peu negligé ; si j’ay passé trop legerement sur certaines choses ; si j’en ay peut-être obmis d’autres ; & si quelques endroits ne sont pas assez exacts, &c. ne croyez pourtant pas, Monsieur, que je fasse cet aveu pour excuser les fautes qui se sont glissées dans cet écrit. Vous allez voir que je suis bien resolu de ne leur faire aucun quartier. Pour commencer par celle qui regarde Mr d’Aubigny, je vous prie de la corriger, en mettant qu’il estoit oncle du dernier Duc de Richemont & de Lennox. Dans un autre endroit, au lieu de, le vieux Palais de la Haye, il faut mettre, une des plus belles maisons de la Haye. P. 88. effacez depuis ces mots de la seconde ligne, il couroit, jusqu’à ceux-cy de la quinziéme ligne, il fut enterré, & mettez à la place quelque temps auparavant il avoit donné un gros Manuscrit de ses ouvrages à Mylord Godolphin, Grand Tresorier d’Angleterre, & un autre à Mr Sylvestre. Il ne parla point de ses Livres, ni de ses Manuscrits dans son Testament ; mais aprés sa mort, ils furent remis à Mr Sylvestre par ordre de Mr le Comte de Galway, qu’il avoit choisi pour son Executeur Testamentaire ; il mourut dans sa quatre-vingt-dixiéme année, s’il est vray qu’il soit né dans le temps que j’ay marqué ; il fut enterré, &c.

Il y a trois choses à réformer dans l’endroit où je parle d’Isaac Vossius. J’ay dit que le Roy l’avoit appellé en Angleterre dés l’année 1673. pour le faire Chanoine de Windsor ; mais cela n’est pas exact, je devois dire, qu’il étoit venu en Angleterre en 1670. J’ay remarqué que son Doyen assisté du Docteur W.… ne pût jamais l’engager à recevoir la Communion, &c. & c’est ce que des personnes graves m’avoient assuré. Cependant ayant fait de nouvelles recherches ; j’ay enfin decouvert que ce refus de communier étoit chimerique. On ne le luy proposa pas seulement, il étoit trop éloigné de la situation d’esprit qu’il faut avoir pour une action aussi sainte, & aussi religieuse que celle-là. Je vous prie donc, Monsieur, d’effacer, dans vostre Exemplaire, toute la periode dont je viens de rapporter le commencement. Vous pourrez, si vous voulez, y substituer les paroles suivantes. Quelques soins, quelques précautions que l’on prit, on ne pût jamais l’engager à reconnoistre en general les veritez de la Religion Chrétienne. Il s’obstina à garder là dessus un profond silence, & cependant, &c. Au reste je suis bien aise que vous approuviez la reflexion que j’ay faite sur la sotte crédulité de Vossius, qui se piquoit d’estre esprit fort. J’ay toûjours crû qu’on ne pouvoit rendre un plus grand service à la Religion qu’en faisant voir le peu de discernement des incredules. Ces Messieurs nient les veritez les plus constantes, pendant qu’ils donnent dans des préjugez qu’un Ecolier de Philosophie auroit honte d’avoüer. Hobbes avoit pour les Latins, & Vossius goboit tout le merveilleux ridicule qu’on pouvoit attribuer aux Chinois ; selon luy il n’y avoit point d’Art, point d’invention en Europe, dont ces peuples n’eussent une parfaite connoissance depuis plusieurs millions d’années, & enfin j’ay noté à la marge de la mesme page que Vossius étoit mort à Windsor, & cependant il est sûr qu’il est mort à Londres. Mr Wood a fait la mesme faute dans son Athena Oxonienses.

Vous voyez par là, Monsieur, la difficulté qu’il y a de parvenir à la certitude des faits Historiques, & que tous les soins, & toutes les précautions que l’on prend pour ne rien dire que de veritable, n’empeschent pas que l’on ne soit trompé fort souvent, puisque sans parler des fautes qu’on peut faire soy-mesme, manque d’attention ou de memoire, combien y a-t-il de gens dont le rapport soit fidele ? les meilleurs guides s’égarent quelquefois eux-mesmes ; & qu’est-ce que l’interest, les préjugez & les passions ne deguisent pas ? ce qu’il y a d’étonnant, est que certains faits extraordinaires qui ont dû faire de l’éclat, soient differemment rapportez par les Auteurs contemporains, niez par les uns, & affirmez par les autres ; la dispute des deux Rainolds est de ce genre. L’épigrame d’Alabaster qui les devoit connoistre particulierement, jointe au témoignage d’Heislin, qui passe pour estre fort exact sur ces sortes de choses, sembloit la mettre hors de doute. Cependant Mr Wood l’a contredite, & vous me dites aujourd’hui qu’aprés plusieurs discussions vous avez trouvé que le fait regarde Guillaume Rainold & un autre de ses freres : mais non pas le fameux Jean Rainold qui a esté Professeur en Theologie. Vous avez, adjoutez-vous, une piece imprimée qu’il écrivit à son frere Guillaume, où il y a bien des choses qu’il n’eust pas osé dire, s’il avoit esté quelque temps Catholique, & s’il n’avoit changé de Religion, qu’à cause des objections que Guillaume, alors Protestant, luy auroit faites ; enfin vous m’apprenez qu’ayant consulté l’oraison funebre, ou la vie de Jean Rainold, vous n’avez point trouvé qu’il eust jamais esté Catholique, ni qu’il eust quitté sa religion aprés avoir disputé avec un frere Protestant.

Je n’ay rien de nouveau à ajoûter à ce que j’ay dit là-dessus ; je remarqueray seulement, que la double conversion de ces deux freres, passe icy pour une tradition constante ; & que des personnes d’une vaste litterature m’ont dit qu’elles n’en doutoient nullement ; que supposé que ce fait ne regarde pas Jean Rainold, on ne devra pas non plus le rapporter à Guillaume son frere, si on veut bien en croire le Pere Perzons Jesuite, qui a donné toute une autre idée de sa conversion à la Religion Catholique.

Que ferons-nous donc de l’épigrame d’Alabaster ; je n’en sçais rien. Ce fait me paroist à l’heure qu’il est si embroüillé, que je ne vois pas comment on pourroit le démêler. Il y a de quoy exercer le critique le plus laborieux & le plus aguerri.

J’oubliois de vous dire, Monsieur, qu’il y a cinq ou six petites notes dans ce Melange, où je n’ay aucune part ; elles estoient dans les Editions precedentes des pieces où elles se rapportent, & je ne sçay comment elles ont passé dans celle-cy. Les deux dont vous me parlez sont de ce nombre, & ainsi je vous prie de ne pas mettre sur mon compte les fautes que vous y avez trouvées. Vous ne me ferez pas moins de tort, si vous croyez que generalement toutes les pieces qui composent ce Recueil, sont de mon choix : le Libraire a jugé à propos d’y en mettre quelques-unes que j’aurois apparemment rejettées. Je ne doute pas pourtant que la pluspart des lecteurs ne les trouvent aussi bonnes que les autres. Il en faut neanmoins excepter cette maniere d’Epitaphe de Mr de S. Evremont, que l’on a fourrée à la fin de sa vie. Car sans parler de l’esprit de libertinage qu’on y découvre, les pensées en sont si triviales & les vers si fort au dessous du mediocre, qu’il n’y a pas d’apparence qu’elle trouve beaucoup d’approbateurs.

Avec tout cela je serois moins fâché de l’avoir publiée, aprés avoir eu le malheur de la faire, que de luy avoir donné le jour sans y avoir eu aucune part. Le mesme amour propre qui nous aveugle sur nos productions, nous fournit assez de lumieres sur celles des autres ; & celui qui publie un méchant ouvrage qui n’est pas de luy, est tres-capable d’en faire un infiniment plus mauvais.

Voila, Monsieur, les principales corrections qu’il y a à faire dans la Vie de Mr de Saint Evremont, avec les éclaircissemens que vous m’avez demandé. Je vous prie de les communiquer à Mr *** qui en fera un bon usage. Il n’est pas de ces curieux qui n’ont que des Biblioteques de parade, ni de ces Sçavans qui croiroient gâter un Livre s’ils chargeoient le texte de corrections, & les marges de remarques. Erasme n’avoit pas grande opinion de ces especes de Sçavans. Neque, disoit-il à un de ses amis, hi mihi libros amare videntur qui eos intactos ac seriniis abditos servant. Sed qui nocturnâ juncta ac diurna contrectatione sordidant, corrugant, conterunt ; qui margines passim notulis, hisque variis oblinunt ; qui mendi rasi vestigium quàm mendosam compositionem malunt. Un pauvre Auteur a beau faire des Errata ; il a beau envoyer des corrections à ces sortes de Lecteurs, ce ne sera que de la peine perduë. Ce qu’il y a de plus fâcheux, est que de cent Lecteurs il y en quatre-vingt-dix-neuf qui leurs ressemblent.

Je finis, Monsieur, en vous priant de me communiquer les nouvelles remarques que vous aurez faites sur ce que je viens de publier. Vous ne sçauriez me donner des marques plus fortes de vostre amitié. Je suis, &c.

[Remarques sur l’Histoire de la Poësie Françoise] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 99-102.

Mr de Saint Quentin, Gentilhomme de la Ville d’Apt en Provence & de l’ancienne Maison de Marville, originaire de Lorraine, vient de donner au Public des Remarques critiques sur l’Histoire de la Poësie Françoise que Mr l’Abbé de Mervezin mit au jour il y a sept ou huit mois. Vous jugez bien que s’agissant d’une Critique, je ne vous diray rien de cet ouvrage, ayant toûjours fait profession de ne rien dire qui puisse chagriner personne, & s’il arrive quelquefois que quelqu’un ait sujet de se plaindre de moy pour quelques faits que je n’ay pas rapportez suivant la verité la plus exacte, on doit croire que j’ay esté trompé, & que mon dessein n’a pas esté de donner le moindre chagrin à qui que ce soit.

Quant au Livre de Mr l’Abbé de Mervezin, & à celuy de Mr de Saint-Quentin, je ne prens aucun party, ainsi que j’ay toûjours fait, & je ne parle de leurs livres que pour les annoncer au Public, qui tient le sort des ouvrages entre ses mains, & à qui il est difficile de plaire generalement, puisqu’il est composé de differens goûts, & que hors les Lettres que je vous adresse, qui sont remplies de plusieurs ouvrages de differens caracteres, tous les Livres n’en ont qu’un seul chacun, qui fait souvent connoistre le genie des Auteurs, & la douceur ou la violence de leur humeur, ainsi que la profondeur de leur esprit, ou la mediocrité de leur sçavoir. Je crois pouvoir ajoûter icy que l’on trouvera beaucoup d’érudition dans les deux Livres qui font le sujet de cet Article.

[Jour de la naissance de Monsieur de Brunswich & de Lunebourg, celebrée à l’Academie de Wolfembutel ] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 107-112.

L’Academie de Wolfenbutel celebra avec beaucoup de magnificence le 18. du mois de Novembre, le jour de la naissance de Mr le Duc Antoine Ulric de Brunswich & de Lunebourg, qui entroit dans sa soixante & quinziéme année. Son Altesse Serenissime s’y rendit avec toute sa Cour, & elle fut reçuë à la porte par Mr de Wallerson, Conseiller d’Etat & Gouverneur de l’Academie, & suivi des Professeurs & d’un grand nombre d’Academiciens. Mr de Berbisdorff, Gentilhomme Saxon, & connu par son esprit, harangua ce Prince au nom de toute l’Academie. Ce discours qui fut trouvé tres-beau, reçut de grands aplaudissemens. Son Altesse Serenissime visita ensuite la plus grande partie des Apartemens, & passa dans une Sale, où elle fut splendidement regalée avec toute sa Cour, qui étoit aussi nombreuse que brillante. Elle alla en sortant de l’Academie, chez Mr le Gouverneur, à qui elle marqua le plaisir qu’elle avoit eu de voir une si belle & si nombreuse jeunesse, & elle l’assura qu’elle continueroit de donner à l’Academie des marques de sa protection, & à procurer l’avancement de ceux qui s’en rendroient dignes par leur assiduité & par leur bonne conduite, sans avoir plus d’égard pour ses Sujets que pour les Etrangers.

Cette Assemblée fut nombreuse ; elle n’étoit pas seulement composée de la Cour de Mr le Duc de Brunswich, mais aussi de plusieurs Etrangers venus des Cours voisines pour assister à cette Feste ; ce Prince étant sur le point de partir de Wolfenbutel envoya un Gentilhomme à Mr de Berbisdorf, pour luy marquer le plaisir que son discours luy avoit fait. Ce Gentilhomme est des plus polis : il joint à une naissance distinguée un merite generalement reconnu, & une érudition dont il a donné des marques en diverses occasions. C’est à ses soins & à son attention que l’Academie de Wolfenbutel, qui est des plus florissantes d’Allemagne, doit l’état où elle se trouve aujourd’huy. Les exercices n’y ont jamais esté faits avec plus de succés. Elle n’est composée que de personnes choisies. Quoy que Mr le Duc de Brunswick soit dans un âge fort avancé, il n’a rien perdu du goust qu’il a toujours eu pour les Sciences & pour les belles Lettres. Ceux qui les cultivent trouvent dans sa personne un Mecene & asseurent qu’il se fait un plaisir de les prévenir par ses bienfaits & par des manieres tout à fait polies.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 204-206.

Je crois qu’en parlant de vin, on peut parler de Chansons, puisque l’un & l’autre sont amis de la joye qu’ils accompagnent ordinairement. C’est pourquoy je vous envoye la Chanson suivante. Vous me direz qu’elle ne parle que de pleurs ; mais vous devez faire reflection, que pleurer en chantant, n’est autre chose que rire agréablement, & avec des tons mesurez.

AIR NOUVEAU.

L’Air Pleurez Amans, page 205.
Pleurez, Amans, aux pieds de vos Maîtresses,
Si vous voulez attirer leurs tendresses :
Qui pleure quand il faut des pleurs
En amour est maistre des cœurs.
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[Prix proposez par l’Academie Françoise pour l’année prochaine] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 213-217.

Vous sçavez que Messieurs de l’Academie Françoise donnent de deux en deux ans les Prix d’Eloquence & de Poësie. Ils seront delivrez cette année à ceux qui auront le glorieux avantage de les remporter. Vous en apprendrez les Sujets dans l’Avertissement qui a esté publié par cette Academie, & dont je vous envoye une copie.

PRIX D’ELOQUENCE ET DE POESIE.
Pour l’Année 1707.

L’Academie Françoise fait sçavoir au Public que l’année prochaine, le vingt-cinquiéme jour d’Aoust, Feste de Saint Louis, elle donnera le Prix d’Eloquence fondé par Mr de Balzac, de l’Academie Françoise. Le sujet sera, Qu’il ne peut y avoir de veritable bonheur pour l’homme, que dans la pratique des vertus Chrestiennes. Et il faudra que le Discours ne soit que de demi-heure de lecture tout au plus, & qu’il finisse par une courte Priere à Jesus-Christ.

On ne recevra aucun Discours sans une Approbation signée de deux Docteurs de la Faculté de Theologie de Paris, & y residant actuellement.

Le même jour elle donnera le Prix de Poësie fondé par Mr de Clermont de Tonnerre, Evesque & Comte de Noyon, Pair de France, & l’un des Quarante de l’Academie : Le sujet sera, Que la sagesse du Roy le rend superieur à toute sorte d’évenemens. Il sera permis d’y joindre tel autre sujet de loüange que chacun voudra, sur quelques actions particulieres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourvû qu’on n’excede point cent vers. Et on y ajoûtera une courte priere à Dieu pour le Roy, separée du corps de l’Ouvrage, & de telle mesure de Vers qu’on voudra.

Toutes personnes seront reçûës à composer pour ces deux Prix, horsmis les Quarante de l’Academie, qui doivent en estre les Juges.

Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages, mais une marque ou paraphe, avec un passage de l’Ecriture Sainte, pour les Discours de Prose ; & telle autre Sentence qu’il leur plaira, pour les Pieces de Poësie.

Ceux qui prétendront aux Prix seront obligez de mettre leurs Ouvrages dans le dernier May prochain, entre les mains de Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, à l’Hostel de Crequy, sur le Quay Malaquest : Et en son absence.

Chez Jean-Baptiste Coignard, Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy & de l’Academie Françoise, ruë S. Jacques, prés S. Yves, à la Bible d’or.

[Académiciens Associez & Eleves nommez dans l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, & dans celle des Sciences] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 251-259.

Je quitte ce qui regarde l’Espagne, dont j’espere encore vous parler avant que de finir ma Lettre, pour vous entretenir de ce qui se vient de passer dans l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, & dans l’Academie Royale des Sciences, à l’occasion de la mort de Mr Vaillant, qui estoit de la 1e de ces Academies, & de celle de Mr du Hamel qui estoit de la 2e. La place de Mr Vaillant a esté donnée par le Roy, qui a choisi un des trois sujets, nommez par l’Academie, à Mr l’Abbé Fraguier. Il estoit du nombre des Associez. Cet Abbé est un de ceux qui travaillent aux Journaux des Sçavans. Il connoist tres-bien l’Antiquité, & il a une parfaite connoissance des anciennes Medailles, & particulierement des Samaritaines, qui, au Jugement des Sçavans, sont les plus difficiles à déchifrer, à cause que les caracteres en sont usez, & personne ne peut mieux connoître que luy en voyant une Medaille, en quel temps elle a esté frappée.

Mr Galland, qui estoit Eléve, est monté à la place d’Associé. Il est tres-versé dans la connoissance des Medailles antiques ; il sçait parfaitement les Langues Orientales. L’ouvrage, intitulé Mille & une nuits qu’il a donné au Public a fait beaucoup de bruit. Il a traduit plusieurs Livres Arabes dont la traduction a esté fort aplaudie ; il a fait aussi quelques autres ouvrages qui ne luy ont pas moins acquis de reputation.

Mr Pinard fut ensuite nommé Eleve, avec l’agrément de Sa Majesté ; son érudition n’est pas bornée à la connoissance des Medailles, elle s’étend aussi à celle de l’antiquité sacrée. Personne ne connoist mieux que luy la verité ou l’alteration d’un passage. Il a beaucoup travaillé avec le Pere de Montfaucon, Religieux Benedictin, qui a donné depuis peu des preuves d’un grand sçavoir dans l’édition de Saint Athanase qui vient de paroistre. Il faut avoir une érudition bien profonde pour aider de ses lumieres ce sçavant Religieux, sur le veritable sens des plus anciens Peres Grecs. Mr Pinard n’a pas moins de connoissance des Langues sacrées, & il s’y est tellement appliqué, qu’il en connoist toute la force & toute l’étendue. On peut dire que ce sçavant homme en sçait beaucoup pour un Eleve.

Je passe au mouvement qui vient aussi d’estre fait à l’Academie des Sciences, où Mr Littre, Docteur en Medecine de la Faculté de Paris, & habile Anatomiste, a esté nommé pour remplir la place de Mr du Hamel. Il est grand Phisicien, & fort connu par plusieurs Dissertations sur des matieres de Phisique, & sur des experiences singulieres, qu’il a rendues publiques. Ce qu’il a écrit sur la distinction entre les Lieux plans & les Lieux solides, merite l’attention des Sçavans.

Mr Carré est monté à la place d’Associé. Il est fort habile Geometre ; il a beaucoup étudié les Geometres Grecs, & les ouvrages qui nous restent de ces anciens Philosophes, sur lesquels il a écrit. Ce qu’il a fait sur les Globes celestes & sur les Globes terrestres, n’est pas moins curieux, & l’on ne peut avoir une plus parfaite connoissance de leurs usages. Il ne sçait pas moins bien la Section du Cylindre & du Cone.

Mr Saurin a esté nommé Eleve. Il le meritoit bien, & peut-estre en auroit-il eu une plus considerable, si selon les Statuts de l’Academie, il ne falloit y parvenir par ce degré. Personne à l’avenir, quelque distingué qu’il soit, ne se doit faire de chagrin d’estre nommé Eleve. Mr Saurin, dont tout le monde convient que la réputation dans l’Empire des Lettres est des mieux établie, y estant entré sous ce titre. Il est un de ceux qui travaillent au Journal des Sçavans, & c’est luy qui tient la plume depuis la mort de Mr  Pouchard. Il est de plus commis à l’examen des Livres nouveaux ; mais il est encore plus distingué par le nom qu’on luy donne de grand Geometre qu’il a justement merité, & même de l’aveu de tous les Sçavans des pays étrangers. Feu Mr l’Evêque de Meaux avoit pour luy une estime aussi grande que sincere, & sa conversion à l’Eglise Catholique a esté l’ouvrage de ce grand Prelat, & il en a marqué sa reconnoissance par l’éloge magnifique de ce grand homme, qu’il publia aprés sa mort.

[Ouverture des Etats du Languedoc, avec le détail de tout ce qui s’est passé à cette occasion] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 262-286.

L’ouverture des Etats de la Province de Languedoc se fit le 25. Novembre, & les Commissaires du Roy allerent à dix heures du matin querir Mr le Duc de Roquelaure en son Hôtel ; ce Duc en sortit précedé d’un grand nombre de Gardes, de Pages & de gens de livrée & suivi de Mrs les Commissaires & d’une infinité de gens de qualité & d’Officiers. Il arriva à l’Hôtel de Ville, où Mrs les Barons, selon la coûtume, le vinrent recevoir dans la Cour. Ils étoient en manteau, ils suivirent Mr le Duc de Roquelaure qui étoit aussi en manteau & dont l’habit noir & or étoit magnifique. Il monta dans la Salle, précedé seulement par ses Gardes, avec leurs Officiers, & de ses Gentilshommes ; & suivi de tout le reste du Cortege, à la teste duquel étoient Mr le Comte du Roure, Lieutenant General de la Province & Mr de Bâville. Il se plaça dans un fauteüil de velours bleu, garni de galons d’or, au dessus duquel étoit un Dais aussi riche que le fauteüil, qui étoit élevé de trois marches au dessus des places de Mrs les Archevêques, Evêques, Commissaires du Roy & Barons qui n’étoient assis que sur des bancs couverts seulement d’une serge bleue. Mrs les Archevêques de Narbonne, de Toulouse & d’Alby & tous les Evêques, selon leur reception, étoient à la droite, & l’on voyoit à la gauche Mr le Comte du Roure, Mr de Bâville, les autres Commissaires du Roy & Mrs les Barons. Deux grandes Tribunes en maniere de petites Galleries, & au dessus de ces bancs, étoient remplies, d’un costé par Madame la Duchesse de Roquelaure, & par beaucoup de Dames qui l’accompagnoient, & l’autre par Mrs de la Cour des Aides.

Mr le Duc de Roquelaure ayant pris sa place, salua du chapeau le Clergé, & la Noblesse ensuite, & aprés avoir remis son chapeau, il ordonna aux Greffiers de lire les Commissions du Roy. Cette lecture étant finie, il fit un tres-beau discours qui ne convenoit pas moins à un homme de guerre qu’au rang qu’il tenoit dans cette Assemblée. Ce Duc ayant cessé de parler, Mr de Bâville prit la parole, & parla à son ordinaire, d’une maniere dont toute l’Assemblée fut charmée. Il finit par un Eloge de Mr le Duc de Roquelaure, qui fut trouvé tres-beau.

Madame la Duchesse son épouse, ne fut pas oubliée dans ce discours. Mr l’Archevesque de Narbonne parla ensuite, selon l’usage, & son discours fut trouvé fort éloquent. Monsieur le Duc de Roquelaure se leva, & s’en retourna dans le mesme ordre qu’il étoit venu. Mrs les Archevesques & Evesques le conduisirent jusqu’à la porte de la Salle, & Mrs les Barons jusques dans la Cour. On alla ensuite changer d’habit, & Mrs les Evesques, les Commissaires du Roy & les Barons, allerent dîner chez Mr de Roquelaure. Ce repas est nommé, le Repas Royal ; la table qui est en fer à cheval, est de quarante quatre couverts. Mr le Duc de Roquelaure occupoit la premiere place dans un fauteüil de damas cramoisy, chamaré de galons d’or ; il avoit un cadenas de vermeil doré, & il fut servi seul en vaisselle aussi de vermeil doré, par un Gentilhomme à qui un homme de livrée présentoit ce qui étoit necessaire pour le service. Le Capitaine & les autres Officiers de ses Gardes étoient derriere son fauteüil ; il y avoit aussi quelques Gardes qui avoient le Mousquet sur l’épaule. Mrs du Clergé étoient à la droite de de Mr de Roquelaure, sur de petits sieges, & à sa gauche étoient Mr le Comte du Roure, Mr de Bâville, les autres Commissaires du Roy & tous les Barons ensuite sur des petits sieges ; on but dans ce repas à la santé du Roy, de Monseigneur & des Princes, avec les ceremonies ordinaires. J’oubliois à vous dire que les trois Archevêques furent servis par des Pages de Mr le Duc de Roquelaure ; Madame la Duchesse son épouse, dîna ce jour là chez Madame de Bâville, qui luy donna un repas magnifique, où étoient seulement les Dames qui étoient avec elles à l’ouverture des Etats, & les personnes que cette Duchesse y convia. Le lendemain Mr le Duc de Roquelaure fut harangué par Mr l’Archevesque de Toulouse, accompagné de plusieurs Evesques & de plusieurs Barons qui avoient esté nommez pour l’accompagner. Ils furent suivis de quantité de personnes de distinction, de maniere que la suite de Mr l’Archevesque de Toulouse fut fort nombreuse. Deux jours aprés Mr l’Archevesque d’Alby harangua Madame la Duchesse de Roquelaure. Cette Duchesse étoit dans son lit. C’est ainsi qu’on en use lorsque l’on n’est pas bien d’accord sur le Ceremonial ; Mr l’Archevesque d’Alby estoit accompagné du mesme nombre d’Evesques & de Barons que Mr l’Archevesque de Toulouse l’avoit esté en allant chez Mr le Duc de Roquelaure, & l’on vit le mesme empressement pour entendre la harangue que cet Archevesque devoit faire, & la foule se trouva si grande que tous les Deputez ne purent entrer dans la Chambre, ce qui fait voir l’amour & l’attachement que l’on a dans cette Province, pour Mr & Madame la Duchesse de Roquelaure. Je vous envoye le compliment de Mr l’Archevesque d’Alby qui fut trouvé tres-beau, & qui reçût de grands applaudissemens.

MADAME,

C’est par les ordres d’une des plus augustes Compagnies de ce Royaume, que nous venons remplir ce que nous devons à la place que vous occupez ; vostre illustre époux a reçu nos premiers hommages, il est juste que nous ne separions point dans ces devoirs publics & solemnels, ce que le Ciel a joint dans une societé commune de rang & de dignitez. Nous vous portons avec empressement & avec joye un tribut d’éloge & d’honneur, d’autant plus estimable qu’il est sincere, heureux ! si nous pouvions par des expressions dignes de vous, & de l’Assemblée qui nous envoye, vous expliquer les sentimens, dont elle nous a fait les dépositaires & les interpretes.

Que ne doit-on pas, Madame, à cette haute naissance qui vous distingue par tant de titres ; vous sortez de cette maison que la gloire, les exploits & la splendeur ont rendus fameuse dans le monde entier, qui presque dans tous les regnes & dans tous les siecles, a esté le plus solide appuy de l’Etat ! qui ; non-seulement grande, mais encore Chrestienne dans sa source, a conservé de generation en generation, un zele ardent pour la Religion, une fidelité inviolable pour ses maistres que les conjonctures n’ont point dementi ! qui ; par la suite continuelle des Heros qu’elle a produits, remonte jusqu’aux temps les plus obscurs & les plus reculez de la Monarchie, & qui n’est pas moins ancienne dans son origine, qu’elle est immortelle dans sa durée.

Vous portez avec dignité, Madame, tout le poids d’un si beau nom, & vous luy rendez tout l’éclat que vous avez reçû de luy, dans ce pays si favorisé des dons du Ciel & de la nature, & où l’esprit de ses habitans croist, pour ainsi dire, parmi les fleurs que produit cet heureux climat ; vous donnez des exemples si nouveaux & jusqu’à present inconnus de graces, d’insinuations & de politesse. Chacun s’empresse à loüer en vous cette protection charitable que vous accordez tous les jours à l’infortune ou à la vertu ; cette affabilité, qui sans rien perdre du rang & du caractere, vous rend obligeante & accessible à tous ; cette attention si rare & cependant si necessaire dans les grandes places, qui descend jusqu’aux moindres égards & aux bienseances les plus fatigantes, ce soin exact & constant qui n’obmet rien de tout ce que vostre bonté croit devoir ; cette justesse de discernement qui distribuë à chacun la portion d’honneur dont il est digne, & qui accordant vostre estime à ceux qui la meritent, ne dédaigne pas pourtant ceux qui la desirent.

Née pour la Cour, faite pour y briller, moins encore par vos dignitez que par vous mesme, vous en soutenez l’éloignement sans murmure & sans impatience, nul ennuy, nulle contrainte ne paroissent jamais sur vostre visage, toujours tranquille & toujours riant, au milieu de cette foule empressée que le respect & l’admiration rangent sans cesse autour de vous ; vous remplissez tous ces penibles devoirs qui sont plutost la servitude que le privilege des premieres places, vostre bonté méprise cette vaine & orgueilleuse fierté qui n’est que trop ordinaire dans l’élevation, & l’on apprend dans vos actions, dans vos sentimens & dans vos exemples ce que c’est que la veritable grandeur, & l’usage qu’il en faut faire.

Aussi le succés repond-il à vos soins, à vos desirs & à vostre attente ; malgré vostre modestie, vous joüissez icy de votre reputation & de vostre gloire ; vous entendez sur vos pas à vostre suite, ces applaudissemens, ces acclamations qui font le plaisir le plus touchant des esprits raisonnables & des cœurs bien faits ; cet encens flateur que l’on presente d’ordinaire aux Grands par complaisance ou par coûtume, on vous le donne par goût, par reconnoissance ; on vous loüe sans artifice ; on vous cherche sans interest ; on vous suit sans affectation, & par cet assemblage heureux de tous les dons, dont le Ciel vous a pourvûë ; vous faites la joye & l’ornement de cette Province, comme vostre époux en fait aujourd’huy le bonheur, la consolation & les esperances.

Dieu vous l’a donné, Madame, cet époux selon vostre cœur. Illustre par sa naissance, élevé par ses dignitez & par ses emplois, reveré par la sublimité & par les agrémens de son esprit, l’oserois-je dire ! plus aimable encore par sa douceur & par ses bontez.

Nous le regardons comme le present le plus cher & le plus precieux que le Roy pouvoit nous faire, aprés les malheurs d’une guerre intestine & domestique, il conserve icy le calme & la paix, malgré la fatalité des évenemens, & sa presence est le présage de la felicité des peuples qui luy sont confiez ; il leur prepare par son activité & par sa sagesse, ces temps heureux qui rendirent autrefois sous les auspices de ses peres, la Guyenne si tranquille & si florissante ; & par l’experience que nous faisons de ses talens & de ses vertus, nous voyons qu’il y a des hommes choisis que Dieu suscite pour gouverner, & qu’il forme exprés pour estre les ministres de l’autorité des Rois, & les depositaires de leur grandeur & de leur puissance : puisse cette administration estre aussi longue, aussi durable, qu’elle est applaudie, qu’elle est bienfaisante ! veüille le Seigneur vous combler, Madame, de toutes les prosperitez dont vous estes digne. Répandre sur tout dans cette ame si noble & si Chrestienne qu’il vous a donnée, ses impressions de grace & de sainteté qui font sentir la vanité des grandeurs humaines, & le neant des dignitez les plus éclatantes, & puissiez-vous honorer les peuples de cette Province d’une bienveillance dont nous connoissons tout le prix, & dont nous conserverons une éternelle reconnoissance.

Le premier de Decembre, Mr le Duc de Roquelaure retourna aux Etats avec les mesmes ceremonies, & fit une harangue qui fut trouvée encore plus belle que la premiere. Mr de Basville qui parla ensuite, demanda le don gratuit au nom du Roy. Mr l’Archevesque de Narbonne fit aussi un beau discours. Mr le Duc de Noailles qui s’estoit trouvé à Montpellier en retournant à la Cour, se trouva à cette ceremonie dans la Tribune où estoit Me la Duchesse de Roquelaure. Ce Duc a demeuré trois jours chez Mr le Duc de Roquelaure, qui l’a magnifiquement regalé ; il luy a donné deux festes dont il a esté tres-satisfait. Il a esté aussi fort surpris de voir tant de gens de qualité ensemble, ne croyant pas qu’une Province en pût fournir un si grand nombre. Il y eut un Bal, où il se trouva plus de deux cents hommes & cinquante femmes qui furent tous regalez à souper, & les quatre ruës qui aboutissent à l’Hostel de Mr de Roquelaure, estoient remplies des chaises & des domestiques de ceux qui estoient chez ce Duc qui fit servir plusieurs tables en differentes chambres. Il continuë à faire les honneurs des Etats d’une maniere qui fait connoistre son bon goust & sa magnificence, & l’on sert tous les jours chez luy deux ou trois tables. On n’a jamais vécu plus noblement. Aussi la place qu’il occupe est-elle si considerable, qu’on ne peut la bien remplir sans faire une grande dépense : il y a fort souvent des Concerts dans son Hostel qui est tous les jours remplie d’une grosse Cour. Enfin toute la Province convient que ce Duc y a ramené la joye avec luy.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 325-328.

Le mot de l’Enigme du mois dernier étoit le Berceau. Il a été trouvé par peu de personnes, quoy qu’il ait esté cherché par un grand nombre, qui n’en ont pû deviner le veritable sens. Ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs Poulet de Metz : Tamiriste : le Solitaire du Marais, & l’aimable Docteur en Droit : Mlles Manon de l’Aigle : Julie & sa Tante : la Bergere Climene & son Berger Tircis : l’Infortunée D.L. de la ruë neuve Saint Eustache : la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins : & la jeune Muse renaissante.

SONNET.

Sous mon Casque pompeux il est moins de cervelle,
Que dans le crâne étroit d’un frêle Moucheron ;
Cet Insecte s’enyvre, & gruge un Macaron,
Tandis qu’à jeun, mon corps, cent fois, me renouvelle.
***
Je puis, des Confidens, estre cru le modele ;
Sans avoir plus d’esprit qu’un épais Potiron,
Je suis plus seur en mer, que voile & qu’aviron ;
Sur la terre il n’est point de sujet plus fidele.
***
Inanimé, je suis l’ame des Potentats,
Je les fais respecter & craindre en leurs Etats,
Un même instant me voit, en divers lieux paroistre.
***
Quelquefois précieux, toûjours rare & commun,
Je fais peine & plaisirs, bien ou mal à quelqu’un,
Et ma face en portrait, par tout, me fait connoistre.

L’Enigme nouvelle que je vous envoye est de Mr Daubicourt.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1706 [tome 12], p. 328.

AIR NOUVEAU.

L’Air Tout le déplaisir page 328.
Tout le déplaisir d’un Amant
Le plus long ne dure guere ;
Comment tenir sa colere
Quand on aime tendrement.
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