1707

Mercure galant, août 1707 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1707 [tome 8].
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Mercure galant, août 1707 [tome 8]. §

[Détail exact & curieux de tout ce qui s’est passé à la profession de Madame de Bourbon] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 11-42.

Je ne doute point que la lecture de la Relation que je vous envoye, ne vous fasse beaucoup de plaisir ayant esté faite par un habile homme, parfaitement instruit de tout ce qu’il a écrit.

Enfin les adorables desseins de la Providence divine se sont heureusement accomplis sur Tres-Haute, Tres-Excellente, & Tres-Religieuse Princesse, Madame Marie-Gabrielle-Eleonore de Bourbon, Princesse du Sang.

Loüise-Françoise de Rochechoüart de Mortemart, Abbesse, Chef & Generale de l’Abbaye Royale & de tout l’Ordre de Fontevraud. Et cette sainte Ceremonie est un des évenemens qui peuvent avec plus de splendeur signaler les premieres années de son Gouvernement, puis qu’elle luy procure l’honneur de replacer l’auguste Nom de Bourbon dans la celebre Communauté de Fontevraud, accoustumée pendant des siecles entiers à le voir porter, ou à ses Chefs, ou à plusieurs Membres illustres de son sacré Troupeau, & souvent aux uns & aux autres tout à la fois.

On a dit dans la Relation de la Vêture, que S.A.S. est Fille aînée de S.A.S. Monsieur le Duc & de Madame la Duchesse ; qu’ayant toûjours demeuré à Fontevraud depuis l’âge de cinq ans & demy, elle n’avoit point cessé de témoigner qu’elle vouloit y estre Religieuse ; que le Roy y consentit aprés qu’on eut examiné sa vocation : Enfin S.A.S. Monsieur le Duc entrant dans les sentimens de la Princesse sa fille, l’a renduë Bienfactrice de l’Abbaye par des avantages temporels tres-considerables, & dont on sent le prix & toute l’utilité avec une parfaite reconnoissance.

C’est avec un concours de circonstances si glorieuses que Mademoiselle de Bourbon prit l’Habit & fut mise en Probation au mois de May 1706. & S.A.S. ayant suivy pendant son Noviciat les observances du Chœur avec autant d’assiduité que l’extrême delicatesse de sa complexion pouvoit le permettre, & avec une ardeur qu’il a continuellement fallu faire ralentir. Elle fit au temps accoustumé les demandes de sa Profession, vers le commencement du Carême dernier, à trois jours differens, & un peu éloignez les uns des autres.

Chaque fois aprés la lecture & les prieres du Chapelet, Madame l’Abbesse étant dans son Siege, & la Communauté rangée & assise des deux costez, S.A.S. conduite par Madame de l’Hospital sa Gouvernante, se mit à genoux au milieu, devant Madame l’Abbesse, & dit : Je supplie Dieu, vous, Madame, & tout le Convent, de me faire l’honneur & la grace de me recevoir au saint Estat de Profession, puis elle se prosterna. Madame l’Abbesse en frappant, l’avertit de se remettre à genoux, luy fit une courte exhortation sur sa demande, & luy imposa une penitence selon la Coûtume : Aprés quoy S.A.S. se prosterna encore devant Madame l’Abbesse, & ensuite devant chaque costé de la Communauté, qui se leva & se tint debout pendant cette prosternation, au lieu qu’ordinairement elle demeure assise.

La troisiéme de ses demandes fut le Mercredy sixiéme Avril dernier. Aprés l’avoir faite, S.A.S. alla se mettre en priere devant le saint Sacrement à la grande Eglise, & Madame l’Abbesse demeura au Chapitre avec toute la Communauté. Madame de l’Hospital aprés le serment ordinaire de parler en conscience & selon la verité, rendit témoignage de Son Altesse Serenissime d’une maniere qui fut justement applaudie, & suivie d’une reception aussi unanime que l’avoit esté celle de la prise d’Habit.

Madame de l’Hospital alla prendre S.A.S. à l’Eglise, & elle la conduisit au Chapitre, au milieu duquel elle se mit à genoux. Madame l’Abbesse luy annonça sa reception, S.A.S. se prosterna, & aprés quelques prieres tout le monde sortit ; chacun à l’envy témoigna sa joye avec respect & avec empressement, & Madame de Bourbon marqua la sienne avec beaucoup de bonté. Tres-Haute, Tres-Excellente, & Tres-Puissante Princesse Mademoiselle de Clermont, Marie-Anne de Bourbon, Princesse du Sang, Sœur cadette de S.A.S. se trouva à la porte du Chapitre, & mêla sa joye avec une grace merveilleuse, à celle dont on estoit animé ; & il se fit alors une espece de confusion plus touchante & plus agreable une fois, que ne le peuvent estre les Ceremonies mesurées.

La Profession estant fixée au Jeudy 26. May 1707. S.A.S. s’y prepara dés le Samedy precedent par une Retraite, & le Mercredy Madame l’Abbesse, au lieu de Madame la Maistresse des Novices qui fait ordinairement cette fonction, luy baissa le Voile, qu’on ne doit plus lever jusqu’au troisiéme jour aprés la Profession ; ensuite Madame de l’Hôpital conduisit S.A.S. à Vespres, que l’on chanta solemnellement avec l’Orgue ; la Communauté croyant ne pouvoir témoigner sa joye plus convenablement dans cette occasion, qu’en servant Dieu avec plus de pompe & de majesté. On célebra tout l’Office comme les jours des plus grandes Fêtes, & l’Eglise fut ornée comme à la Prise-d’Habit ; on y voyoit par tout éclater les Fleurs-de-Lis, dont les magnifiques presens de la Royale Maison de Bourbon sont enrichis.

Le lendemain dés six heures au matin S.A.S. se rendit au Chœur, & elle assista à l’Oraison, à l’Office & à la Messe de Prime, comme elle avoit fait aux Vêpres de la veille à la place de premiere Novice, selon la coûtume, avec un Prié-Dieu & un fauteüil ; à huit heures & demie elle revint à l’Office de Tierce, pendant lequel elle se tint encore à la même place ; mais quand les Pseaumes furent finis, S.A.S. alla se mettre à genoux sur un Prié-Dieu de velours semé de Fleur-de-Lys d’or, dressé sous un Dais de drap d’or, dans l’espace qui est entre la grande grille & les chaises du Chœur, avec un fauteüil, derriere lequel estoit un tabouret pour Madame de l’Hôpital, qui a toûjours conduit S.A.S. à toutes ses démarches.

Incontinent aprés l’Office on commença la grand’-Messe, qui fut toute pareille à celle de la Vesture, c’est-à-dire, aussi solemnelle & aussi pompeuse pour la dignité du chant, l’Orgue, le bon ordre & la majesté des Ceremonies, la richesse & l’éclat des ornemens.

On observa tout ce qui est dû aux Princes du Sang, S.A.S. alla à l’Offrande, le Cierge porté par Mademoiselle de Belin ; on fit les encensemens & on donna la paix. Ce fut le Reverend Pere Prieur de Saint Jean de l’Habit, (qui est le Monastere des Religieux à Fontevraud) qui celebra ; le R.P. Sous-Prieur servoit de Prestre assistant en Chappe ; les deux Reverends Peres Soriz, Visiteurs des Provinces de l’Ordre, l’Aisné, Confesseur ordinaire de S.A.S. estoient Diacres assistans en Dalmatiques, & les Reverends Peres Professeurs de Theologie, servirent de Diacres & de Sous-Diacres.

À la fin de la Messe, Madame l’Abbesse, precedée de sa Crosse, & suivie de Madame sa Chapelaine, vint du Siege Abbatial se placer au costé droit de la grande grille où estoient son Prié-Dieu, & son Fauteuil ; Madame sa Porte-Crosse se mit entre la grille & le Prié-Dieu, & Madame la Chapelaine à la gauche du Fauteüil, ayant toutes deux chacun un tabouret.

S.A.S. Mademoiselle de Clermont, se plaça vis-à-vis de Madame l’Abbesse de l’autre costé de la grille, prés le Tombeau des Rois d’Angleterre, sur un Fauteüil avec un Prié-Dieu à costé, Madame de Rolivaud sa Gouvernante, avoit un tabouret derriere elle.

Madame de Mompipeau, Grande-Prieure, vint aussi se placer à une chaise un peu au dessous de Mademoiselle de Clermont, & la Communauté se tint, partie dans les chaises du Chœur, les plus proches de la grille, partie sur des bancs dans l’espace qui est entre les Tombes de cuivre de feuës Mesdames de Bourbon, & le Fauteüil de S.A.S.

Le R. Pere Prieur apporta le Saint Sacrement sur la grille, on chanta le Veni Creator avec l’Orgue, Madame la Chantre prit le Veni sancte, & Madame l’Abbesse dit l’Oraison.

Ensuite le R. Pere Diacre chanta l’Evangile Stabant juxta crucem, où se trouvent ces paroles que Jesus-Christ mourant sur la Croix adressa à sa sainte Mere, Femme, voilà vôtre Fils, & à saint Jean son Disciple bien-aimé, Voilà vôtre Mere. On chante cet Evangile à toutes les Professions de l’Ordre de Fontevraud, parce qu’il est fondé sur ces Paroles sacrées, en intention d’honorer la Maternité de la sainte Vierge.

Aussi-tost aprés on couvrit le Saint Sacrement. Les Celebrans ne quitterent point leurs habits, & se placerent ; le Reverend Pere Prieur au costé droit de la grille dans un Fauteüil, le R. Pere Sous-Prieur au costé gauche sur une chaise, les autres de suite de l’un & de l’autre costé sur des tabourets & des bancs, & à la file aussi de chaque costé, tous les Religieux de saint Jean de l’Habit en surplis, & derriere eux étoient des bancs pour les Officiers de Madame l’Abbesse & de l’Abbaye.

Le R. Pere Moisset l’aîné, Exprovincial de l’Ordre Reformé de saint Dominique, Visiteur Apostolique de cette Abbaye, & Prieur du Noviciat de Paris, du même Ordre de Saint Dominique, qui avoit l’année derniere examiné la vocation de Madame de Bourbon, & presché à sa Vesture, estoit venu exprés de Paris pour prêcher encore à cette derniere Ceremonie. En effet, personne ne pouvoit mieux que luy faire ce Discours, à cause de la connoissance qu’il a des dispositions interieures de S.A.S. dont il developa ce que la discretion permet qu’on en dise en public, avec une profondeur & une solidité dignes veritablement de l’action qui se passoit ; & du reste il ne s’expliqua pas avec moins d’énergie & d’onction que l’an passé sur les sujets generaux que fournissent la sublime naissance d’une Princesse du Sang, & l’honneur que recevoient l’Abbaye & l’Ordre, où elle vouloit bien choisir de se consacrer à Dieu, & enfin sur les souhaits qu’il fit pour la satisfaction de S.A.S.

La Princesse fut dignement loüée ; sa fermeté, sa constance, son exactitude à suivre tous les preceptes de la Regle & le parfait détachement de toutes les grandeurs ausquelles sa naissance l’appelloit, furent mises dans un beau jour. On fit aussi l’Eloge de Me l’Abbesse, ainsi que celuy de Me l’Abbesse sous les yeux de qui la Princesse qui prenoit l’Habit avoit esté élevée. On donna aussi quelques loüanges dans ce Discours aux Personnes considerables de cet Ordre ; l’Orateur en releva l’ancienneté & l’illustration, & toucha avec beaucoup de délicatesse l’Eloge du Bienheureux Robert d’Arbrisselles, Fondateur de l’Ordre.

Le Sermon fini, & le Saint Sacrement ayant esté découvert, & chacun estant à sa place & en silence, Madame de Bourbon à genoux, tenant à mains jointes sa Lettre de Profession, qu’Elle avoit euë devant Elle sur son Prié-Dieu, depuis qu’Elle s’y estoit placée, prononça en Latin à la maniere ordinaire & sur le ton accoûtumé, qui est une espece de demi-chant, les Vœux de la Reformation de l’Ordre de Fontevraud selon la Regle de saint Benoist, avec un courage & une fermeté que les Heros de la branche de Condé ne desavouëroient pas. Dés qu’elle eut fini, Madame la Sacristine luy presenta la plume, S.A.S. signa, & aprés avoir fait une profonde inclination au Saint Sacrement, Elle alla poser sa Lettre sur l’Autel à main gauche du Chœur.

On osta son Prié-Dieu & son Fauteüil, & le Tapis de pied resta nû. Me la grande Prieure retourna avec la Communauté dans les chaises du Chœur les plus proches de la grille, S.A.S. conduite par Me la Prieure du Cloistre, & par Me de l’Hospital s’achemina de l’Autel, qu’on vient de marquer vers Me l’Abbesse ; elle fit une profonde inclination au S. Sacrement, une à Madame l’Abbesse qui la luy rendit, & se rassit & S.A.S. se mit à genoux devant Elle.

Me l’Abbesse luy osta le voile blanc, jetta de l’Eau-beniste, sur le voile noir, le luy mit en disant, 1Accipe, Soror Velamen quod immaculatum perferas ante tribunal Christi & jetta encore de l’Eau-beniste sur la teste de S.A.S. qui baisa la terre, se releva & fit une inclination que Me l’Abbesse luy rendit ; elle en fit une autre tres-profonde au S. Sacrement, une troisiéme à Mademoiselle de Clermont, & elle se mit debout au milieu du Tapis de pied, Madame de l’Hospital étant fort loin d’Elle.

S.A.S. aidée de deux Dames Religieuses qui ont la voix tres-belle, chanta trois fois le verset, Suscipe, sur un ton harmonieux & fort touchant, que le Chœur repetoit alternativement. À chaque fois S.A.S. se mettoit à genoux au milieu du verset, & s’inclinant insensiblement elle se trouvoit à la fin la teste presque sur le Tapis.

Elle fit ensuite quatre profondes inclinations vers les quatre parties du monde, comme leur disant adieu, & se prosterna au milieu du Tapis de pied. Me de l’Hospital se retira incontinent d’auprés d’elle, ainsi que tout le monde avoit déja fait, & le Chœur chanta les Pseaumes, Miserere & Memento.

On doit avouër que cet état est attendrissant, sans avoir rien de funebre absolument, ni drap mortuaire, ni chant des morts, ni luminaires, une personne ainsi prosternée la face contre terre, en long habit noir, sans aucun mouvement, seule dans une grande espace & chacun à dessein détournant la vuë de dessus elle, donne certainement une idée d’aneantissement & d’abandon qui frappe l’imagination d’une maniere vive, & cause une espece de fremissement : Mais aussi, selon les vuës de la Religion, c’est alors qu’une Princesse est veritablement grande aux yeux de Dieu ; cette reflection consolante mesle une certaine douceur aux sentimens naturels un peu effrayans que ce spectacle inspire, & ce mélange fut la source de bien des larmes, sans qu’on put apercevoir si S.A.S. en répandoit.

Vers la fin des Pseaumes Me la grande Prieure passa pour aller tenir le livre à Me l’Abbesse, & ne parut pas faire attention qu’elle marchoit auprés non seulement d’une Princesse, mais même de quelque chose d’animé.

Madame l’Abbesse chanta plusieurs Oraisons aprés lesquelles precedée de sa Crosse, elle fit deux fois le tour de S.A.S. en jettant de l’Eau-beniste sur elle, & en l’encensant comme on fait à des obséques ; ensuite elle lui mit la main au front pour l’avertir de se lever, & sans la regarder, elle s’alla remettre sur son fauteüil.

S.A.S. se leva incontinent, s’avança vers le S. Sacrement, fit une profonde inclination, une autre à Me l’Abbesse qui la luy rendit, & se rassit, S.A.S. se mit à genoux devant elle, l’embrassa & baisa la terre, aprés quoy elle alla embrasser aussi Mademoiselle de Clermont qui s’estoit avancée vers elle, & qui redoubla ses larmes avec beaucoup de tendresse.

S.A.S. se remit au milieu du Tapis de pied pendant que le Reverend Pere Prieur emporta le S. Sacrement, & elle alla ensuite à la place de la derniere Professe, où Madame l’Abbesse luy jetta de l’Eau-beniste & la fit asseoir en luy mettant la main droite sur la teste, & la fit sortir de l’Eglise. Chacun suivit & rendit ses respects à S.A.S. qui n’a pas moins dignement soûtenu cette ceremonie que celle de la prise d’Habit, & malgré son voile baissé, & l’humilité de chaque action, on ne laissoit pas de demesler l’air de grandeur, qui convient à sa Naissance.

Un peu aprés on alla au Refectoire, S.A.S. servie par Me de l’Hospital, mangea à la Table de Madame l’Abbesse avec Mademoiselle de Clermont servie par Me de Rolivaud ; Me la Marquise de la Fresne y mangea aussi. Mesdemoiselles de Dony & de Gaut, & Mademoiselle de Belin mangerent à la table de Me la grande Prieure. Madame de Bourbon donnoit le disné qui fut magnifique aussi bien que celuy des Religieux.

S.A.S. ne mangea à la table de Me l’Abesse que comme font toutes les nouvelles Professes.

Fontevraud est le lieu du monde où l’on sçait le mieux rendre ce que l’on doit aux personnes de son rang, par un profond respect & par une longue habitude contractée auprés du grand nombre de Princesses qu’on a eu l’honneur d’y voir & d’y posseder, mais lorsqu’il s’agit des regles de la Religion on ne connoist plus les respects humains ni les grandeurs du siecle. Ces Princesses que l’on a eu l’honneur de posseder, comme on vient de le dire, en ont donné les ordres comme Superieures, ou l’exemple comme simples Religieuses, & à moins d’avoir quelques charges dans la maison, elles n’ont jamais pris au chœur, au Chapitre, au refectoire ; en un mot dans toutes les lieux & dans toutes les actions régulieres, que le rang de leur profession S.A.S. compte bien de ne se pas départir d’un usage si raisonnable & essentiellement religieux, & par consequent d’une tres-grande élevation par rapport à Dieu, & les hommes quelques ébloüis qu’ils soient de ce qui flatte l’orgueil & l’amour propre, ne peuvent refuser leur admiration à l’humilité des personnes à qui le monde fourniroit tout l’éclat qui pourroit nourrir ces dangereuses passions.

[Mort de l’Abbé Giraud]* §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 55-57.

Mrl’Abbé Giraud qui est mort en cette Ville, avoit esté Chanoine de l’Eglise Collegiale de Saint Nizier de Lyon, & aprés avoir joüy peu de temps de ce Benefice, il le resigna à l’un de ses freres, & vint à Paris afin d’y employer tout son temps à la culture des belles Lettres. Il y a assemblé une Bibliotheque si nombreuse, qu’il avoit été obligé de la mettre en quatre differentes maisons. Celle qu’il occupoit dans le Cloître S. Benoît où il est mort, en contenoit une grande partie. On y trouve le Livre du fameux Medecin Espagnol Gometius Pereira, & qui a pour titre : Antoniana Margarita, imprimé à Medina del Campo. L’Auteur y prouve que les Bêtes sont de pures machines. On accuse le celebre Mr Descartes d’avoir puisé son Systeme dans ce Livre. Cet Ouvrage est si rare, qu’il n’y en a que trois ou quatre Exemplaires à Paris ; sçavoir dans la Bibliotheque du Roy, dans celle de Mr l’Archevêque de Rheims, dans celle du College des Jesuites, & dans celle du Deffunt : Il y a plusieurs autres Livres tres-rares dans cette nombreuse Bibliotheque, qui est composée de plus de seize mille Volumes, & que l’on va vendre incessamment, & dont pour cet effet on a déja donné le Catalogue au Public.

[Ode de Mr l’Abbé de Villiers] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 138-144.

Rien n’est si difficile que les ouvrages dans lesquels on fait voir les deffauts des hommes, & il faut que la peinture que l’on en fait, soit aussi vive que naturelle, & que les défauts que l’on reprend sautent aux yeux des lecteurs, s’il m’est permis de parler ainsi ; autrement ces sortes d’ouvrages deviennent fades, & ne corrigent point ceux dont on reprend les défauts. Les ouvrages de Mr l’Abbé de Villiers n’ont jamais eu ce sort. Il seroit à souhaiter qu’il en fit plus souvent. Il a fait depuis peu une Ode sur la maison de campagne de son illustre Ami, Mr le President Lambert. Vous n’ignorez pas le merite de ce sage & genereux Magistrat, sa reputation vous l’a assez fait connoistre. Cette Ode roule sur une idée qui d’abord vous fera plaisir. La Maison de campagne où elle a esté composée, a pour principal point de veuë la Ville de Paris, & la plus grande partie de l’ouvrage renferme un détail des dereglemens ordinaires dans les grandes Villes ; c’est à dire que l’on fait sentir dans cette Ode le plaisir de voir Paris, sans essuyer ce peut y causer du dégoust & de l’ennuy. Les Peintures qu’on y represente, en sont admirables. Vous en jugerez par les deux Strophes que je vous envoye.

Je ne vois en ces lieux paroître,
Du Senat aucun Officier,
Que me déguise en Petit-Maître,
Un habit, un air cavalier ;
Nul Abbé, que me défigure
Sa blonde & longue chevelure ;
Nul Bourgeois tranchant du Seigneur ;
Nul Pedant bouffi d’arrogance ;
Nul Financier dont l’opulence,
Des temps insulte le malheur.
***
Du Droit au sortir des Ecoles,
Je ne vois point un Juge admis,
Aprés des épreuves frivoles,
Sur le Tribunal de Themis ;
Par la paresseuse habitude,
De fuïr le travail & l’étude,
Lâche Magistrat s’avilir ;
Et dans le Palais qu’il abhorre,
Dans le Senat qu’il deshonore,
Stupide Pagode vieillir.

Je crois que les Strophes suivantes ne vous déplairont pas non plus.

De son bon goust en bagatelles,
Nul icy follement jaloux,
Ny des modes les plus nouvelles,
La fureur d’avoir des bijoux ;
Et de sa poche inépuisable,
Tirant, d’un fardeau qui l’accable
La pesante inutilité ;
N’étale aux yeux vingt Tabatieres,
Et du nouveau goût des charnieres,
Ne vante la rare beauté.
***
Icy d’une avare famille,
On ne voit point la main former,
La chaîne qui lie une fille,
Au Convent qui va l’enfermer ;
Ny le zele aveugle, & bizarre,
Qui bâtit l’Autel ou le pare,
De l’argent qu’on doit au prochain ;
Et qui grave son injustice,
Au front du pieux édifice,
Et sur le marbre & sur l’airain.
***
On n’entend point de Bans au Prosne,
Annoncer le fatal lien,
Qui ne marie à la personne,
Que pour en épouser le bien.
On ne voit point icy la femme,
Rougir de l’innocente flamme,
Que l’Hymen a droit d’allumer ;
Et l’Epoux par délicatesse,
Avoir honte de sa tendresse,
Pour la seule qu’il doit aimer.

Cette Ode, qui contient plus de quatre cens Vers, se vend chez Jacques Collombat, ruë Saint Jacques, au Pelican.

[Replique à l’Auteur qui a écrit contre l’Histoire de la Poësie Françoise] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 144-148.

Je vous parlay il y a quelque temps de l’Histoire de la Poësie Françoise faite par Mr l’Abbé Mervesin. Ce livre, dont le succés a esté considerable, a paru d’autant plus curieux que dans un siecle où l’on voit paroistre chaque jour des livres nouveaux, il ne s’en trouve presque point dont la matiere n’ait esté épuisée, de maniere que le tour nouveau que les Auteurs donnent aujourd’huy à leurs ouvrages en fait presque toute la nouveauté. En effet ce n’est pas sans raison qu’on a dit il y a déja plusieurs siecles qu’il n’y avoit plus rien de nouveau sous le Soleil. Le succés de l’ouvrage de Mr Mervesin luy a attiré une Critique qui doit luy avoir fait plaisir dans la suite, puisqu’elle luy a donné lieu de faire une réponse toute remplie d’érudition, & qui fait connoistre le grand travail que doit luy avoir coûté son Histoire de la Poësie Françoise. La lecture de la réponse doit faire plaisir aux Lecteurs qui ne sont pas profonds dans la connoissance de l’Histoire generale. L’Auteur se justifie par des citations qui paroissent sans replique, & fait voir ensuite beaucoup de fautes dans l’ouvrage de celuy qui l’a attaqué, & sur tout à l’égard de la diction. Enfin personne ne peut disconvenir qu’il y a beaucoup à profiter dans la réponse sage & judicieuse de Mr Mervesin, qui ayant esté attaqué avec une vivacité un peu trop forte, pour ne pas dire davantage, répond avec plus de moderation que l’on n’en devoit attendre d’un Auteur outragé. Celuy qui l’a attaqué ne se fait point connoistre, & n’a sans doute pû obtenir de permission de faire imprimer son Livre, puisqu’on n’y voit point de nom de Libraire. Je n’entre point dans le détail de ces deux ouvrages, & je ne prétens pas décider de ce qu’il y a de bien & de mal dans chacun de ces Livres. Ma décision pourroit ne pas estre reçuë & chacun auroit droit d’en appeller ; mais je ne puis m’empêcher de dire que lorsque l’on parle avec un emportement qui va jusqu’aux injures, le Public a lieu de croire que la passion a plus de part que la verité, à ces sortes de Critiques. La réponse de Mr Mervesin se vend chez Pierre Giffart, ruë Saint Jacques à l’Image Sainte Therese.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 149-150.

Les paroles de l'Air qui suit sont de Mlle d'Alerac de la Charsse, de la Maison de la Tour du Pin en Dauphiné. Je vous ay déja envoyé plusieurs de ses Ouvrages, dont le public a esté tres-satisfait.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Cessez de me parler du Printemps, doit regarder la page 149.
Cessez de me parler du Printemps & de Flore,
Je détourne mes yeux de leurs touchans appas :
Absente du Berger que j'aime & qui m'adore.
C'est assez d'éviter les horreurs du trépas,
Sans songer aux plaisirs encore.

Les Vers que vous venez de lire ont esté notez par Mr Chastan de la ville d'Apt. Vous jugerez vous-même de la beauté de cet Air.

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[Feste de Ramboüillet] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 150-157.

Monseigneur, Monsieur le Duc de Bourgogne, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, Monsieur le Duc, Mesdames les Princesses d’Epinoy & de Lillebonne, & toutes les Dames de la Cour de ces Princesses ; tous ceux qui composent la Cour de Monseigneur, & celles des Princes que je viens de nommer, arriverent le Dimanche 7. de ce mois à Ramboüillet, qui appartient à Monsieur le Comte de Toulouse, où ce Prince les attendoit. Les Officiers du Roy qui servent presentement auprés de Monseigneur, s’y estoient rendus la veille, parce que depuis un assez grand nombre d’années le Roy voulant épargner la dépense excessive que faisoient les Maistres des lieux où Sa Majesté alloit se promener, & qu’il luy estoit impossible d’empêcher, elle resolut que dans la suite elle seroit traitée par tout où elle iroit par ses Officiers, & à ses propres dépens. Ce n’est pas que ceux à qui appartiennent les lieux où elle va, ne fassent toûjours beaucoup de dépense, que l’on ne sçauroit empêcher que sa suite ne soit regalée, que les rafraîchissemens ne s’y trouvent en abondance, ainsi que plusieurs divertissemens qui peuvent convenir au lieu & à la saison, & que les oreilles n’ayent toûjours grande part à ces divertissemens. Monsieur le Comte de Toulouse tint plusieurs tables magnifiquement servies, où mangerent tous les Seigneurs. Tous ceux qui étoient de ce voyage admirerent la magnificence des appartemens. Le lit où Monseigneur coucha parut d’une extrême beauté. L’or qui fait la principale matiere de l’étoffe est la moindre partie de ce lit. La finesse de l’ouvrage ; le dessein & les Portraits qui s’y trouvent, ainsi que dans la Tapisserie, qui est du même goust, charment les yeux de tous ceux qui les voyent. Tous les appartemens de cette delicieuse Maison estoient superbement meublez ; Messeigneurs les Princes & toutes les Princesses logerent dans le Corps du Chasteau, & tous ceux qui les accompagnoient, dans l’aîle nouvellement construite, dont tous les Appartemens sont lambrissez, & il se trouva dans tous ces appartemens tout ce que l’on peut imaginer d’utile & de necessaire à ceux qui y estoient logez. On vit en arrivant tous les appartemens, dans lesquels on se promena long temps. La Musique s’y fit entendre, & l’on chanta pendant le repas plusieurs chansons qui divertirent beaucoup.

Le lendemain Lundy, il y eut chasse du Loup & Monseigneur y prit beaucoup de plaisir. Ce Prince vit à son retour l’Ecurie des Chevaux de Selles de Monsieur le Comte de Toulouse, où il y avoit cent-deux chevaux, avec des couvertures magnifiques. Les harnois estoient en ordre, & d’une propreté tres-grande. Le nombre de chevaux tout d’une file, avec des nœuds de rubans ; les rideaux qui estoient à toutes les croisées, & les Chambres pratiquées dans les Trumeaux, pour les Palefreniers qui y ont chacun leur lit. Tout cela, dis-je, vû d’un coup d’œil, produisoit un aspect admirable.

Il y eut le Mardy Chasse du Cerf, où la pluspart des Dames allerent ; le Jeu, la Promenade, & la Musique, occupa le reste du jour.

Il y eut encore Chasse du Loup le Mercredy, & le Jeudy toute cette illustre Compagnie retourna à Versailles, charmée des manieres de Monsieur le Comte de Toulouse, dont l’attention s’estoit étenduë jusques sur tout ce qui pouvoit regarder la suite des moindres personnes qui avoient accompagné Monseigneur. Sa magnificence fut admirée, & l’on fut charmé des manieres genereuses dont il accompagne tout ce qu’il fait, & de l’affabilité de ce Prince.

[Mort de Mr de Gazille]* §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 188-190.

Mre N… de Gazille Contrôleur des Turcies & Levées de la Riviere de Loire, est mort aprés une longue maladie, pendant laquelle il a donné d’éclatantes marques de sa soumission aux volontez du Ciel. Il avoit beaucoup de goût pour les beaux Arts & il les a cultivez avec succés. Les liaisons qu’il avoit formées avec plusieurs personnes de distinction, sont des marques tres-certaines de la délicatesse de son esprit, ainsi que de son merite & de sa vertu. On n’en doutera pas quand on sçaura qu’il estoit l’ami de confiance de Mr Milon Evêque de Condom, de Mr de Meines son frere, cy-devant Intendant de la Levée de Loire, & de Mr l’Intendant de Tours, ainsi que du grand Prelat qui gouverne cette Metropole. On ne doit point oublier dans le nombre des amis de Mr de Gazille, Mr l’Abbé de Mus, fort connu à cause de la délicatesse de son esprit. Mr de Gazille estoit grand amateur de la Musique dont il connoissoit toutes les beautez, de l’aveu mesme de ceux qui ont professé cet art avec autant d’éclat que de reputation.

[Ouvrages de Mlle de la Guerre donnez au Public] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 193-197.

Mlle de la Guerre, qui par son rare talent pour la Musique s’est renduë si celebre, & connuë avant son mariage sous le nom de Mlle Jacquet, vient de donner au Public deux ouvrages fort estimez. Le premier est un Recüeil de Pieces de Clavecin, composé de deux suites. Comme elle possede excellemment tout ce que cet Instrument a de plus fin, on trouve dans ces Pieces dequoy faire une harmonie également brillante & liée, & des tours tout à fait nouveaux. L’autre ouvrage de Mlle de la Guerre, est un livre de Sonnates, qui en comprend six. Elles font connoistre qu’elle ne sçait pas moins la portée du Violon que celle du Clavecin. Quoy que ces six Sonnates soient toutes parfaites en leur genre, elles ont neanmoins partagé les Connoisseurs. Les uns sont pour le naturel qui domine dans la seconde, dans la troisiéme, & dans la quatriéme ; & les autres paroissent plus touchez de la noblesse qui regne dans la premiere, dans la cinquiéme, & dans la sixiéme. Elles peuvent estre toutes d’une grande utilité à ceux qui apprennent la Musique. Ces deux ouvrages, ainsi que tous les autres que Mlle de la Guerre a mis au jour, sont dediez au Roy. On trouve beaucoup d’esprit & de delicatesse dans l’Epître dedicatoire. Cette Demoiselle, presentée par Mr le Duc de Tresmes, ayant remercié Sa Majesté de la bonté avec laquelle elle avoit reçu à Marly, son livre de Pieces de Clavecin & de Sonnates ; elle fit executer deux jours aprés ses Sonnates en presence de Sa Majesté à son petit couvert, & ce Prince les honora d’une tres-grande attention. Les Sieurs Marchand, les joüerent parfaitement bien. Plusieurs personnes de distinction qui les entendirent en furent charmées. Le dîné estant fini, Sa Majesté parla à Mlle de la Guerre, d’une maniere tres-obligeante, & aprés avoir donné beaucoup de loüanges à ses Sonnates, elle luy dit qu’elles ne ressembloient à rien. On ne pouvoit mieux loüer Mlle de la Guerre, puisque ces paroles font connoistre que le Roy avoit non seulement trouvé sa Musique tres-belle ; mais aussi qu’elle est originale, ce qui se trouve aujourd’huy fort rarement.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 197-198.

Les paroles que vous allez lire ont esté faites à Toulouse ; ainsi que l'Air que l'on a composé sur ces paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par Eveillez comme moy, doit regarder la page 198.
Eveillez comme moy par les soins de l'Amour.
Jour & nuit, Rossignols, vous chantez vostre flame ;
Et je chante à mon tour,
Les transports de mon ame.
Nous sommes tous également charmez ;
Mais nous ne parlons pas de même :
Vous vous loüez de ce que vous aimez,
Et je me plains de ce que j'aime.
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Traduction d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, adressée à la Reine d’Espagne §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 230-244.

Il y a déja un nombre considerable d’années que Mr l’Abbé Boutard fait parler sa Muse Latine sur tous les principaux évenemens qui regardent la France, & sur ceux où elle prend part. Les Sçavans qui aiment la Langue Latine, & qui connoissent mieux que d’autres la beauté des ouvrages de cet Abbé, ont toûjours paru avoir beaucoup d’empressement pour en donner des traductions en vers François. Aussi ont elles toûjours reçu de grands applaudissemens. La Traduction que je vous envoyay, il y a deux mois étoit de Mr l’Abbé du Jarry, & cette piece regardoit la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Mr l’Abbé Boutard a fait depuis ce temps-là une Ode sur la grossesse de la Reine d’Espagne, & comme Mr l’Abbé du Jarry a receu de grands applaudissemens de sa traduction de l’Ode precedente, il vient encore de traduire la derniere, & je vous envoye cette traduction qui ne vous plaira sans doute pas moins que celle que vous avez déja vûe de cet Abbé.

Les Odes Latines de Mr l’Abbé Boutard ne sont pas moins estimées dans les Pays étrangers qu’en France, & les François ne sont pas les seuls qui ont travaillé aux Traductions de ces Odes, puisque plusieurs ont esté traduites en Italien, & que l’on en trouve même qui ont esté traduites en Anglois.

TRADUCTION
D’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, adressee à la Reine d’Espagne.

L’Epouse qu’à Philippe, ont accordé les Dieux,
De ce jeune Heros, tendre & chaste Compagne,
 Promettoit à la triste Espagne
 Le premier fruit d’un hymen glorieux,
Et fiere de porter un si precieux gage
 Se montroit sur les bords du Tage.
Quand le Dieu de ce Fleuve aux liquides tresors,
En abbaissant ses flots luy rendit son hommage
Et laissant de sa joye éclater ses transports,
 Luy tint à peu prés ce langage.
Qu’un sort heureux accompagne vos jours,
Et qu’un tissu de gloire en compose le cours,
Reine de ces climats arrosez par mon onde,
Moins encore respectable au monde,
Par l’éclat du suprême rang,
Que par l’enfant conçu de vostre illustre sang,
Que Junon favorable assiste à sa naissance ;
Que propice à nos vœux elle avance le jour,
Qui de l’Espagne & de la France,
Doit enfanter l’esperance & l’amour.
De vostre Sœur feconde, heureusement rivale,
Puissiez-vous partager la gloire conjugale,
À vostre auguste Epoux donner bien-tost un Fils,
Dont le front animé d’une ardeur martiale,
Nous montre les traits réünis,
Et de Philippe & de Louis.
Quand tout à leurs armes prospere,
À vos justes souhaits que rien ne soit contraire,
Et qu’aprés le long cours des lunes expiré,
Vienne le moment desiré,
Qui vous fera joüir de ce doux nom de mere.
Depuis que sur mes bords l’Hymen guida vos pas,
Telle qu’un Astre salutaire,
Vous éclairez ces fertiles climats ;
Mais aujourd’huy je vous revere,
Comme le ferme appuy du Trône de l’Ibere.
Rayon naissant de sa felicité,
Sa divine vertu se fait déja connoître ;
Vostre heureuse fecondité,
Va reparer les malheurs que fit naître,
Une longue sterilité.
Je dois encore moins à l’Illustre Isabelle,
Dont la memoire est immortelle,
Bien que dans Ferdinand heritier d’un grand nom,
Elle ait joint la Castille au Sceptre d’Arragon,
Et qu’au pied des Autels unissant leurs personnes,
L’Himen des mêmes nœuds ait uny leurs Couronnes ;
Et l’auguste Marie éleva moins jadis,
Du Trône où vous montez la grandeur & le prix,
Quand sa dot y joignit les nombreuses Provinces,
Qu’envioient tant de jeunes Princes.
Le precieux enfant formé dans vôtre sein,
Des Peuples inquiets tient le sort en sa main ;
Sa naissance calmant les troubles de la guerre,
Va reconcilier les Maistres de la terre.
Ouy, les tristes mortels attendent aujourd’huy,
La Paix qui doit naistre avec luy,
Sous quelque sexe qu’il respire,
Issu du sang de tant de Rois,
Du Ciel qui se declare il explique la voix,
Et promet à Philippe un éternel Empire,
Qui doit estre bien-tost paisible sous ses loix.
Déja ces doux climats prennent une autre face :
L’Espagne rassurée essuye enfin ses pleurs :
Au repos retably, les allarmes font place,
Et loin des bords du Rhin vont porter la menace
Des plus effroyables malheurs.
Reine, vostre presence écarte les tempestes :
Voyez la discorde à cent têtes,
Cette fille d’Enfer abbattue à vos pieds ;
Y jetter son venin sans force,
Les Rebelles humiliez,
Bannir le trouble & le divorce :
Et les peuples unis par une sainte foy,
À l’envi respecter & leur Reine & leur Roy.
Vos Sujets contens & tranquilles,
Goûtent un doux loisir dans l’enceinte des Villes ;
Par tant de cris de joye au milieu des lauriers,
Retentit le Camp des Guerriers,
Et dans le tumulte des armes,
D’une profonde paix on voit briller les charmes.
Tout sent vostre presence en ces aimables lieux
D’un émail plus riant vous parez ces prairies :
Toutes mes rives plus fleuries,
S’efforcent à l’envy de réjoüir vos yeux,
Et l’or mouvant qui coule avec mon onde,
Jette un éclat plus gracieux.
Mais quand cet Enfant né pour le bonheur du monde,
Se verra délivré de sa prison feconde,
Je franchiray mes bords,
Je m’ouvriray par tout une facile voye,
Et mes superbes flots, de ma plus vive joye
Iront jusqu’à l’Olympe élancer les transports.
La Seine de Lys couronnée
Et de splendeur environnée
Ne pourra l’emporter sur moy.
Je sçauray disputer contre l’Eridan même
Bien que d’Astres brillans un riche Diadême
Des Fleuves en fasse le Roy.
Rien ne m’arrestera dans ma course rapide :
Plus vîte que les vents, je voleray sans guide :
Et tel qu’Alphée osant passer les mers,
Je parcoureray l’Univers :
J’iray dans ces vastes Provinces,
Que le brillant pere du jour
Eclaire, en commençant & finissant son tour
Et qui suivent la loy de mes augustes Princes,
Et je feray retentir en tous lieux
Le nom de cet Enfant riche present des Cieux.
Les Nymphes de mes eaux, soigneuses de vous plaire
Le nourriront d’un Nectar salutaire ;
Mais dés qu’il s’ouvrira le chemin des vertus,
Je luy marqueray les exemples
De ces anciens Heros dont les superbes Temples
Sont le prix immortel des Monstres abbatus.
Je luy diray les noms des Conquerans celebres,
Que j’ay vû naistre sur mes eaux,
Qui de la nuit des temps ont percé les tenebres.
Il apprendra de moy la borne des travaux
Que fixa dans ces lieux le courage d’Alcide :
Et de ce Vainqueur intrepide
Les pas sur ma rive effacez
À ses yeux par mes soins seront tous retracez.
Le pur sang des Bourbons, sans rien perdre en sa course
Luy donnera l’ardeur, qu’il a prise en sa source :
Et la grande ame de Louis
Non moindre que celle d’Hercule,
Dans les veines du Petit-fils,
Fera couler le beau feu qui la brûle.
Voyez quel sera cet enfant
Qui dans vôtre sein triomphant
Et vainqueur avant que de naître,
Inspire à ses Sujets une guerriere ardeur,
Et de sa destinée annonçant la grandeur
À ses fiers ennemis fait redouter un Maistre.
Entendez-vous de toutes parts
La Déesse à cent voix publier sur mes rives,
Du pasle Usurpateur les Troupes fugitives ;
Les rebelles Citez soûmettent leurs ramparts :
Le Batave & l’Anglois dans les Plaines épars
Laissent leurs dépoüilles captives
Et servent de victime à la fureur de Mars.

[Histoire abregée des Comtes de Neufchastel] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 248-249.

Il paroist depuis peu un Livre de la composition de Mr des Molins, Avocat, qui a pour titre, Histoire abregée des Comtes Souverains de Neuf-Chastel, à l’occasion de la mort de S.A.S. Madame la Duchesse de Nemours. Si comme Mr de Corneille l’aîné a fort bien dit dans une de ses Tragedies

Le temps de chaque chose ordonne & fait le prix.

Il n’y a pas lieu de douter que le Livre dont vous venez de lire le titre, n’ait un fort grand succés. Ce n’est pas que je sois persuadé qu’il en merite aussi par luy mesme, ce que ceux qui se donneront le plaisir de le lire, connoistront facilement. Je dois les avertir de la part de l’Auteur, qu’à la page 28. ligne 17. de ce Livre, on a mis Rodolphe au lieu de Guillaume.

[Lettre sur les Affaires d’Allemagne]* §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 301-308.

On apprend dans ce moment par des Lettres de Mr le Marquis de Vivans qu’un party de Cavalerie & de Houssards a voulu attaquer son arriere-garde prés de Mulberq, & que ce party a esté entierement défait ; on en a même envoyé les prisonniers à Lauterbourg.

Comme Mr le Maréchal de Villars n’a rien fait que de glorieux & d’éclatant, soit en poursuivant les Ennemis jusqu’au bout de l’Allemagne, soit en revenant sur ses pas pour conserver une partie de ses nouvelles conquestes, & pour continuer à les harceler ; mais même aprés avoir veu diminuer ses Troupes, & grossir les leurs, & qu’enfin il conserve toûjours beaucoup de superiorité sur eux, quoyqu’inferieur en Troupes, je crois devoir continuer à vous envoyer les Lettres qui viennent de son armée. Ainsi je continue de vous informer de tout ce qu’il a fait pendant ce mois, de la même maniere que j’ay commencé à vous l’apprendre.

Au Camp de Gotzau le 16.

L’armée Imperiale marcha avant hier à Bruchsal, & comme Mr le Maréchal de Villars avoit esté informé que les Ennemis avoient eu dessein de se saisir du poste de Graben, en quoy nous les avions prevenus, il ne douta pas que n’ayant pu nous ôter les bords du Rhin, ils ne songeassent à gagner Dourlach, qui leur donneroit le pied des montagnes. Ils avoient pour cela deux lieuës moins à faire que nous, mais l’armée du Roy pouvoit marcher presque toûjours en bataille, au lieu que la marche des Ennemis par le pied de la montagne, estoit assez difficile. Cependant Mr le Maréchal eut besoin de toute la diligence qu’il fit pour les prevenir, & ayant esté informé en arrivant prés de Mulberg par trois Courriers du Commandant de Dourlach, que l’armée ennemie approchoit, il s’avança au grand trot avec 9. Escadrons qui estoient à la teste des Bagages. Il arriva sur Dourlach dans le temps que la teste de l’armée Ennemie paroissoit. On fit un grand bruit de Timballes & de Trompettes qui les arresta. Il fut averti à 9. heures au soir, que l’armée entiere des Ennemis arrivoit sur les hauteurs de Dourlach, ce qui l’obligea d’y envoyer diligemment Mr le Comte de Broglio avec quelques Compagnies de Grenadiers. Mr le Maréchal s’y rendit à la pointe du jour, & il trouva que les Ennemis qui avoient fait leurs dispositions la nuit, commençoient à embrasser Dourlach avec 2. colonnes d’Infanterie. Il ordonna à Mr le Marquis de Nangis de s’y jetter avec 300. Grenadiers. Cependant comme il y avoit prés d’une demi lieuë de nostre droite à cette Ville, on avoit forcé Mr le Maréchal, par la crainte assez fondée de voir investir Dourlach, d’envoyer ordre à Mr le Marquis de Nangis de se retirer, lequel ordre il revoqua dans l’instant, à cause de l’extrême consequence qu’il y avoit de soutenir ce poste dans la situation presente où est nostre armée. Comme nostre bruit de Timballes avoit arresté les Ennemis la veille, on les arresta de même par un grand bruit de Tambours & par une bonne contenance ; & les Dragons de la droite estant arrivez au galop, & la Brigade de Champagne un quart d’heure aprés, la journée se passa en canonnades. Les Ennemis estant fortifiez de plusieurs Troupes, & sçachant les détachemens que nous avons faits, deviennent assez vifs, & ils le seront encore d’avantage aprés l’arrivée de Mr d’Hanovre, que l’on attend de moment à autre, & qui amene encore un secours considerable. Nos Troupes ont grande envie de combattre, & l’on ne peut trop loüer l’ardeur & la joye qu’elles font paroistre dés qu’il y a apparence d’action. Les armées sont à la demi portée du canon.

Epitalame sur le mariage de Monsieur le Duc d’Estrées, avec Mademoiselle de Nevers §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 319-325.

La varieté estant toûjours de saison, & tres-agreable dans un ouvrage, j’ay crû devoir separer l’Article des Nouvelles d’Allemagne que vous venez de lire, d’avec celuy de l’Epitalame qui suit. Je ne vous dis point le nom de son Auteur, quoy qu’il soit tres-connu, & qu’il ait fait des ouvrages d’un grand éclat, & qui ont esté fort applaudis du Public. Vous le sçaurez peut estre d’ailleurs ; mais j’ay crû que je vous le devois taire.

EPITALAME
Sur le mariage de Monsieur le Duc d’Estrées, avec Mademoiselle de Nevers.

Himen, hâtez vous de descendre,
Venez unir deux illustres amans,
Songez qu’ils content les momens,
Repondez sans les faire attendre,
À leurs tendres empressemens.
***
Pour combler leurs desirs vous estes necessaires,
Mais en les unissant il faudroit vous deffaire,
D’un deffaut qui vous est reproché chaque jour,
Accordez vous avec l’Amour,
Dans le cœur des époux vous ne le souffrez guere,
Avec vous il faut d’ordinaire,
S’attendre à ce fâcheux retour.
***
Pour ces nouveaux époux devenez plus aimable.
Des nœuds qu’ils vont former ne soyez point jaloux,
Hymen, ce n’est pas trop de l’amour & de vous ;
Pour leur faire une bonheur durable.
***
Que la froideur ni le dégout,
Que les tristes soucis qui se glissent par tout,
Que l’importun chagrin avec ses noires ailes,
Que les aigreurs ni les querelles,
Ne suivent point icy vos pas,
On vous trouveroit sans apas,
Pourquoy souffrir à vostre suite,
Ces sombres enfans du Cocite ?
Ne nous amenez point ces hostes dangereux,
Qui troublent les Ris & les Jeux,
Et qui leur font prendre la fuite.
***
Vous pouvez aux mortels faire un sort assez doux,
Commencez par ces deux époux :
Ne laissez marcher sur vos traces,
Que les Plaisirs avec les Graces,
Lorsque vous le voulez vous avez des attraits ;
Venez avec l’aimable Paix,
Amenez l’humeur sans caprice,
Qu’elle ait de sages enjouemens,
Que la douceur avec elle s’unisse,
Joignez y tous les agrémens,
De l’esprit & des sentimens,
La bonté, la delicatesse,
L’égalité, la politesse,
Et n’oubliez pas le devoir,
C’est luy dont le divin pouvoir,
De toutes les vertus fait éclater l’usage,
C’est luy qui les fait naistre, elles sont son ouvrage,
Et c’est au devoir seul que les Dieux immortels,
Doivent ici bas leurs autels.
***
Faites que ces amans ne songent qu’à se plaire,
Que leur union soit sincere,
Que de leur mutuelle ardeur,
Nul soupir dérobé ne puisse les distraire,
Et qu’aucune flamme étrangere,
Ne surprenne jamais leur cœur.
***
Faites que toujours leur tendresse,
Se reveille par le desir,
Qu’un même trait toujours les blesse,
Qu’aucun bien ne puisse s’offrir,
Ou l’un sans l’autre s’interesse,
Et que dans tous les deux l’attrait du plaisir naisse,
De l’usage de leur plaisir.
***
Enfin, je vous les recommande,
Himen, n’oubliez rien pour contenter leurs vœux,
C’est une entreprise assez grande,
De rendre deux époux heureux.

[Enigme]* §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 386-389.

Mr D.S.O. ayant trouvé le mot de l’Enigme du mois passé en a envoyé l’explication suivante.

Je rêve la Nuit & le Jour
Au sens mysterieux de la nouvelle Enigme
C’est son obscurité qui m’excite & m’anime
À vouloir le mettre en son jour ;
Mais le voicy découvert, je m’assure,
La Lune & le Soleil ont part à ce retour,
Ces deux enfans du temps formez par la nature,
Pour nous éclairer tour à tour
En font, je croy, l’explication pure,
C’est la Nuit & le Jour.

Le veritable sens de cette Enigme a aussi esté trouvé par Mrs l’Abbé Robert, de Sezanne en Brie ; Bigot ; Dubois ; David ; du Saux ; François J. & son Amy Tenot ; le Voyageur malheureux ; le Voisin du Dieu des Eaux ; l’Avocat de la Paix de la ruë S. Louis ; Ed. N.M. de S. Florentin. Mlles du Ganeau ; d’Impré ; la Valette ; d’Enneville ; la Solitaire de la ruë aux Féves ; la Sœur genereuse de la ruë Saint Antoine ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la trop fidelle Amante, & la belle Angevine.

Le nombre des Devineurs auroit esté plus grand, si plusieurs n’avoient crû que l’Enigme devoit estre expliquée sur le Soleil & la Lune. Voicy une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Quoyque par tout je porte & l’horreur & l’effroy,
L’on ne peut se passer de moy.
Je n’ay qu’un ennemy que je crains sur la terre ;
Qui me fait en tout temps une cruelle guerre ;
Lequel est tellement le maistre de mon sort,
Que dés que je le sens il me cause la mort.

[Avis] §

Mercure galant, août 1707 [tome 8], p. 390-392.

AVIS IMPORTANT.

Ceux qui voudront envoyer des Memoires, & mesme des Journaux des marches de Mr de Savoye, à commencer du jour qu’il est entré en Provence, jusqu’au jour qu’il est rentré dans ses Etats, doivent les envoyer incessamment chez le Sr Brunet, Libraire, à l’Enseigne du Mercure Galant dans la Grande Salle du Palais. Ceux qui ne pourront envoyer des Journaux entiers de ses marches, pourront envoyer des articles se parez de ce qu’ils sçavent que les ennemis ont fait en divers lieux, contre les loix de la guerre, aprés avoir traité des contributions & les avoir reçues ; ils doivent ajoûter les noms de tous les Provençaux qui se sont signalez, & qui ont mis dans leurs terres des Païsans sur pied ; & generalement tout ce qui est venu à leur connoissance ; de ce que le Clergé, la Noblesse, & le Tiers-Etat de Provence, ont fait en cette occasion. On recevra aussi tout ce qui regardera le Siege de Toulon, & des Journaux même de ce Siege, separez par jour & par nuit, & des Memoires de tous les ouvrages qu’on a ajoûtez à la Place ; de tous les lieux où estoient les batteries de tous ceux qui les commandoient, & du nombre de canons qu’il y avoit dans la Place, afin que rien ne soit oublié dans le volume que l’on doit donner au Public ; de tout ce qui regarde le zele & la fidelité des Provençaux, & de tout ce que les troupes du Roy ont fait, en signalant leur valeur & leur zele ; tous ceux qui ont combatu pour leur Patrie, & pour la gloire du Roy & de l’Etat, doivent contribuer à un ouvrage qui conservera leur nom à la posterité, & qui doit un jour faire plaisir à leurs descendans.

AUTRE AVIS.

On vendra le Mercure de Septembre le 4. du mois d’Octobre.