1707

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1707 [tome 9].
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Mercure galant, septembre 1707 [tome 9]. §

[Extrait du Panegirique de S. Louis, prononcé devant l’Academie Françoise, le jour de la Feste de Saint Louis, & tout ce qui s’est passé ce jour-là à l’occasion de la Feste de ce Saint] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 5-95.

Messieurs de l’Academie Françoise, voulant honorer la memoire de Saint Louis, à cause que ce Saint est Patron du Roy, font dire tous les ans le jour que l’Eglise en celebre la Feste, une Messe accompagnée d’une grande Musique, & ils choisissent un Predicateur d’une reputation établie & capable de se servir des plus beaux traits de l’Eloquence pour faire le Panegirique d’un S. dont la vie se trouve remplie d’une infinité de Vertus morales & chrestiennes, que l’on voit tous les jours pratiquer au Souverain, dont ils ont le glorieux avantage d’être sous la protection. Et comme ce Monarque ressemble au grand Saint qu’il a pour patron, par toutes ces vertus, & par tout ce qu’il a fait pour la gloire de l’Eglise, & pour épargner le sang de ses Sujets, les Predicateurs qui se sont chargez du Panegirique dont je viens de vous parler ne manquent jamais de faire un éloge de S.M. qui fait connoistre tout ce qui la peut faire comparer au grand Saint dont elle porte le nom. La Messe estant finie, le jour de la Feste de ce S. qu’on celebra le 25. du mois dernier, pendant laquelle Mr du Bousset, fit chanter le Pseaume Laudate Jerusalem Dominum, Mr l’Abbé de Cambefort, Docteur de Sorbonne, & Curé de Nostre-Dame de Bonne-Nouvelles, prononça en presence de l’Academie en Corps, & d’une illustre & nombreuse assemblée, le Panegirique de Saint Loüis.

On doit remarquer qu’il fit l’honneur à Mrs de l’Academie du choix du sujet de son Panegirique. Elle avoit donné pour sujets des prix de l’Eloquence & de Poësie, Qu’il ne peut y avoir de veritable bonheur que dans la pratique des vertus Chrestiennes ; & que la grandeur du Roy le rend superieur à toutes sortes d’évenemens. Il tira principalement de ce dernier sujet, qui fournit la matiere de plusieurs éloges qui peuvent également estre donnez à Saint Loüis & au plus grand de ses successeurs, l’éloge de ces deux grands Princes. Voicy les paroles qui luy servirent de Texte, & mesme son Exorde entier.

Zelus domus tuæ comedit me, et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.

Le zéle de vostre maison, Seigneur, me devore, & les opprobres de ceux qui vous outragent retombent sur moy.

C’est ainsi que s’exprimoit au Pseaume 68. David ce grand Roy, à qui l’amour de Dieu & le zéle de sa gloire, firent remporter des victoires signalées, subjuguer les Moabites, triompher des Philistins, vaincre les Ammonites, établir Israël dans Sion, former le dessein de l’édifice du Temple pour l’Arche du Seigneur & qui pour couronner tant de victoires & tant de triomphes par des vertus encore plus éclatantes, souffre enfin tout ce que la misericorde de Dieu & de sa Justice, l’impieté des hommes & l’adversité purent faire souffrir à une ame pure, simple & innocente.

Chargé de faire l’éloge d’un Prince formé comme David selon le cœur de Dieu, & qui toûjours animé du zéle de la religion & de la justice, eut le bonheur de prendre part aux humiliations de Jesus-Christ, en travaillant à la conquête des lieux saints, où ce Roy des Rois fut couvert & comblé d’opprobres. D’un Roy qui fut toûjours fidéle dans les plus grandes tentations, toûjours trouvé digne de Dieu, digne de souffrir pour Dieu ; pourrois-je mieux remplir vostre attente & mon ministere, qu’en vous representant saint Louis sous ces traits glorieux, qui le rendirent la parfaite image de David & de Jesus-Christ, & qu’en vous faisant voir que son zéle & sa patience, sa vertu & sa sainteté, égalerent sa valeur & sa puissance, sa grandeur & sa gloire.

C’est par cette conformité avec David & avec JESUS-CHRIST que tous les peuples de la terre publient la sainteté de ce grand Prince ; c’est par elle qu’il sera le Juge des nations, comme il en fut le Roy, & c’est elle aussi qui va faire tout le sujet de ce discours.

Zelus domus tuæ comedit me. La grandeur & la puissance de saint Louis consacrées par le zéle pour la gloire de Dieu, dont il fut toûjours animé comme David, feront le sujet de mon premier point.

Opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.

Ce zéle recompensé & couronné dans saint Louis par la gloire des opprobres & des humiliations de Jesus-Christ, fera le sujet du dernier.

Saint Louis consacre sa grandeur & sa puissance par son zéle pour la gloire de Dieu, Dieu releve la grandeur & la puissance de saint Louis par la gloire des humiliations & des opprobres de Jesus-Christ.

Vous verrez par tout ce puissant Monarque aussi humble dans les grandeurs, qu’il le fut dans les humiliations, & aussi saint, aussi soumis à Dieu dans la prosperité, qu’il le fut dans l’adversité.

Si pour faire son éloge, je joins au zéle qu’il eut pour la gloire de Dieu, la constance qu’il fit paroistre dans ses malheurs, & la fermeté qui le soutint dans ses disgraces, nos courtes adversitez déja si heureusement interrompuës & bientost plus glorieusement reparées, ont eu moins de part à ce choix, que le desir de me conformer au sentiment de l’illustre Compagnie dont la pieté pour saint Louis rend icy cette Feste si celebre.

Cette Compagnie si auguste par le merite & par la dignité des grands hommes qui la composent, entre les differents sujets qu’elle a coutume de proposer pour avoir des essais de divers genres de cette éloquence, qu’on ne trouve dans sa perfection que parmy vous, Messieurs, fait voir cette année, qu’il ne peut y avoir de veritable bonheur, que dans la pratique des vertus chrétiennes.

Et dans cette foule de merveilles dont le regne où nous vivons est une source si vive & si feconde ; parmy ces merveilles que vous seuls, Messieurs, pouvez faire croire à la posterité ; ce qui vous a le plus touché & que vous voulez que l’on publie aujourd’huy, est cette grandeur & cette sagesse du Roy qui l’ont rendu comme saint Louis superieur à toute sorte d’évenement, & qui en furent toûjours souverainement independantes.

Ainsi, Messieurs, si je n’ay pas eu le bonheur d’apprendre parmy vous, à parler comme vous, j’auray du moins l’avantage d’avoir reglé dans ce discours mes idées sur les vostres, persuadé que celles que vous venez de donner du plus grand successeur de saint Louis, qui se sanctifie comme luy sur le trône, seront trouvées dignes du saint Roy dont j’entreprendray l’éloge aprés avoir imploré le secours du saint Esprit, &c.

Mr l’Abbé de Cambefort aprés avoir fait voir dans le commencement de son premier point en quoy consiste principalement la grandeur des Rois, fit voir que la seule pratique des vertus chrétiennes fait leur plus solide merite & leur plus veritable gloire.

Il tira l’éloge de saint Louis de son zéle pour la gloire de Dieu, pour la religion & pour la justice qui l’avoit toûjours animé, & il fit voir que Dieu qui vouloit le donner comme un prodige de sainteté à la maison d’Isrël, l’avoit déja comblé de ses plus pretieuses benedictions & de ses plus grandes misericordes, & que saint Louis y ayant toûjours cooperé, avoit consacré tous ses soins & toute sa puissance à se sanctifier luy-mesme, à sanctifier son Royaume & étendre celuy de Jesus Christ.

Il dit à l’occasion de l’éducation qu’il avoit receuë de la Reine Blanche de Castille sa mere, que s’il estoit arrivé jusqu’icy que l’Espagne eût donné souvent à la France, les Illustres meres de ses plus grands Rois, il arrivoit enfin heureusement de nos jours qu’elle recevoit de la France si genereuse & si reconnoissante, des Rois formez de l’auguste sang de saint Louis & le digne petit fils d’un Prince qui a merité avec tant de justice le surnom de GRAND.

À l’occasion des guerres civiles & de la revolte des Princes qui troublerent le commencement du regne de saint Louis, il dit qu’aprés qu’il eut receu de la Reine sa mere cette noble éducation qui forme également les saints & les heros, Dieu l’avoit voulu instruire par l’adversité qui en est la sure maistresse, & il montra par une belle allusion que c’estoit ainsi que dans ces minoritez traversées, Dieu faisoit voir ces Rois, ces Heros & ces regnes qui apprennent aux autres Rois de la terre à se vaincre eux-mesmes, & à joindre à la gloire du triomphe celle du pardon & de l’oubly.

Au sujet de la maladie de saint Louis & du vœu qu’il fit pour la conqueste de la terre sainte, il fit voir que rien ne pourroit mieux nous marquer qu’elle fut alors la consternation de tout le royaume que ce que nous avons éprouvé nous mêmes sous un regne qui est comme celuy de saint Louis, le regne de l’équité & de la justice.

Il rapporta ce bel endroit de la vie de saint Louis écrite par Mr l’Abbé de Choisy de l’Academie Françoise, qui estoit du nombre des auditeurs. (La crainte de le perdre, dit l’illustre historien qu’il a trouvé parmy vous, Messieurs, fit sentir le bonheur de le posseder).

Mais qu’elle fut, continua-t-il, sa soumission & sa resignation aux ordres de la Providence, verrez-vous, grand Dieu, dans un mesme sujet la fidelité d’Abraham & l’obéïssance d’Isaac sans en estre touché.

Il ajouta en parlant de la maladie du Roy & de Monseigneur, Dieu toûjours sensible à de semblables dispositions, a donné souvent à la France affligée, à esperer contre toutes esperances, & luy a conservé ses plus grands Princes, lorsqu’elle se voyoit sur le point de les perdre ; veüille-t-il pour le bien de l’Eglise & de l’Etat prolonger leurs jours mesme aux dépens des nôtres.

Il entra ensuite dans un détail tres-exact de la vie de saint Louis, & il fut assez heureux pour en découvrir jusqu’aux moindres circonstances en paraphrasant ce beau Pseaume qui renferme le vœu que Salomon faisoit à Dieu.

C’est le Memento Domine David, Souvenez-vous, Seigneur, dit-il, de la pieté de ce second David, sur qui vous exerçâtes de si grandes misericordes, & sur le trône de qui vous avez élevé un successeur & un fils tel que nous avons le bonheur de le voir aujourd’huy.

En faveur de ce fils, souvenez-vous de cette douceur majestueuse ; de cette humilité heroïque ; de cette moderation chrétienne que saint Louis conserva toûjours sur le trône dans le tumulte de la Cour, dans l’embarras des affaires, & mesme parmy les desordres de la guerre.

Il parcourut ensuite les autres versets, & dans le Sicut juravit Domino, il rappella la fidelité de saint Louis à accomplir les vœux faits au Dieu de Jacob, de soutenir la couronne par les vertus les plus heroïques, & de la sanctifier par les vertus chrétiennes.

Dans la paraphrase du verset, Si introiero in tabernaculum domus meæ, si descendero in lectum strati mei. Il fit admirer saint Louis au milieu de sa Cour, preservant son esprit & son cœur des dangereux attraits de l’ambition & de la volupté, funestes écüeils de l’innocence des Princes, & faisant des obstacles de son salut les moyens de sa sanctification, consacrant l’élevation du trône par l’humilité & la royauté par la penitence, il entroit dans un beau détail des dangers ausquels la facilité de satisfaire les passions expose les Princes, & representa saint Louis donnant aux Anges & aux Hommes le grand & le rare spectacle d’un Roy juste & penitent, faisant de sa Cour un azile assuré à la vertu, n’ayant d’autre regle que la charité & la justice, & consacrant les pretieux moments qu’il pouvoit dérober au gouvernement de son Royaume, à la priere & à la penitence, à la frequentation des Sacrements & au service des pauvres.

En continuant sa paraphrase, Si ascendero in lectum strati mei, il fit considerer Saint Louis dépoüillé de ces dehors majestueux, qui cachent souvent aux yeux des hommes les foiblesses des Rois ; & le representa tel qu’il paroissoit aux yeux de Dieu descendu du haut du Trône pour se prosterner en secret devant cet Etre souverain, par qui seul les Rois regnent, pour demander la sagesse qui lui étoit necessaire ; & pour puiser, comme Moyse, dans le sein de la Divinité, les Loix qu’il devoit donner à son Peuple.

En parlant des mortifications secrettes de S. Louis ; Anges du Ciel, dit-il, & vous seuls Confidens des mortifications interieures & exterieures de cet Ange terrestre, c’est à vous à nous découvrir icy celles des penitents les plus austeres, cachées sous les marques de la royauté, & les mesmes mains qui portoient le Sceptre avec tant de dignité & l’épée avec tant de force, armées des instrumens de la penitence la plus rigoureuse pour expier les pechez de son peuple, & pour donner quelquefois par son sang un nouvel éclat à sa pourpre.

Aprés avoir fait voir ce que saint Louis avoit fait pour sa sanctification, il entra dans le détail de ce qu’il fit pour celle de son royaume, & pour étendre celuy de Jesus Christ.

En paraphrasant le verset, Surge domine in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuæ. C’est icy, dit-il, l’ouvrage de vostre grace, Seigneur, & le fruit du zéle de ce grand Saint pour la gloire de l’Arche d’alliance ; & en parlant de l’étenduë de ce zéle, il rapporta tout ce que saint Louis avoit fait de grand pour le gouvernement & pour la sanctification de son Royaume. Il fit voir les abominations de l’impieté détruite ; l’heresie aneantie par la force de ses armes ; le duel & le blaspheme abolis par la vigueur de ses loix ; la langue impie du blasphemateur purifiée par le feu ; l’usure défenduë ; la vangeance desarmée ; & sous son regne comme sous le regne de Louis le Grand, la fausse valeur confonduë & deshonnorée.

Il fit voir l’integrité dans l’administration de la Justice, & les justices mesme Jugées ; le bon ordre dans les finances ; la discipline dans le service ; la sûreté dans les traitez ; la fidelité dans le commerce ; le repos des peuples assuré par la vigilance des Ministres, par la moderation des Grands, & par la puissance du Roy. La guerre enfin sanctifiée par une juste cause & portée à une heureuse fin ; la violence des armes, & la licence des Soldats reprimées par la severité de la discipline militaire & chrétienne.

Il fit voir que si Dieu avoit répandu tant de benedictions sur le regne de saint Louis, c’estoit la récompense des Temples élevez jusques dans Ephraïm à l’Arche sainte par la pieté de ce grand Prince, & c’est ainsi qu’il paraphrasa le verset Ecce audivimus eam in Ephrata, & sur ces paroles que Salomon & le peuple qui luy étoit soumis adressoient à Dieu, Adorabimus eum in loco ubi steterunt pedes ejus, il dit en faisant une belle allusion de saint Louis à l’Arche. Penetrez de la mesme reconnoissance de vostre ancien peuple dont nous renouvellons icy les vœux, nous adorons vostre providence, mon Dieu, in loco ubi steterunt pedes ejus, dans tous les lieux que ce saint Roy a marquez par les traces de sa justice & de sa pieté, in campis silvæ, continua-t-il en parlant de Vincennes, jusques sous ces arbres que les temps ont respectez, où sur un Tribunal de gazon, où semblable à l’Ange qui jugeoit Israël sous un chesne, il écoutoit les plaidoyers confus du pauvre & de l’orphelin.

La suite des versets Viduam ejus benedicens benedicam, pauperes ejus saturabo panibus, luy servit à faire voir tout ce que saint Louis avoit fait pour les pauvres & pour les miserables dont aucune espece, dit-il, n’échapa à ses soins & à sa magnificence, & en parlant des aumosnes de saint Louis, il prit occasion de parler de celles que le Roy fit distribuer au Louvre en 1694.

Qu’elle fut, dit-il, la profusion des tresors de son épargne dans ces temps malheureux où Dieu, comme dit le Prophete, pour punir les pechez des peuples appelle la famine sur la terre. La fin du dernier siecle nous les rappelle ces temps malheureux, & ce Louvre sera un monument éternel que la charité de saint Louis n’est pas éteinte, & qu’elle anime toûjours son auguste sang.

La suite des versets, Sacerdotes ejus induam salutari, et Sancti ejus exultatione exultabunt, fit une description naturelle de ce que saint Louis avoit fait pour l’Eglise, en rendant aux Temples & aux sacrifices pour lesquels il eut une foy si vive, leur premier veneration ; en retablissant la ferveur de l’ancienne discipline, & en n’élevant aux dignitez Ecclesiastiques que des veritables Pasteurs, & en prevenant entierement toute sorte de simonie ou de violences qui auroient pû rendre hereditaire le patrimoine de Jesus-Christ & des pauvres.

En paraphrasant ces paroles, Sancti ejus exultatione exultabunt, il marqua qu’elle fut la joye des Anges du Ciel & des Saints de la terre en voyant l’heresie des Albigeois foudroyée par le zéle de saint Louis ; le chef audacieux de ces Sectaires humilié à ses pieds, & le superbe Frederic forcé de reparer l’injure faite aux Prélats de France qu’il retenoit prisonniers.

En parlant des differens que saint Louis eut avec la Cour de Rome, quel respect, dit-il, & quelle veneration n’eut pas ce grand Saint pour les Ministres de Jesus-Christ ; mais dés qu’il s’agit de défendre les droits de sa Couronne & les libertez de l’Eglise dont il est le protecteur, de quelle maniere, sans perdre le respect de Fils, ne demesle-t-il pas le Souverain & le Prince temporel d’avec le saint Pontife.

L’Eloge de la Sorbonne dont il a l’avantage d’estre Docteur & dont il faisoit l’honneur ce jour-là, fut placé dans cet endroit fort à propos.

Ce fut sous-le regne de ce Monarque, dit-il, par ces liberalitez qu’on vit naistre la Sorbonne, ce sanctuaire de la Religion, cet azile de la Foy, ce fleau de l’heresie, cette celebre Ecole & dont enfin le Grand Cardinal & les illustres Prélats que vous avez parmy vous, Messieurs, & qui sont superieurs par leur merite & par leurs lumieres, à leurs dignitez & à leur naissance, font mieux l’éloge que tout ce que je pourrois en dire icy.

Dans ce verset, Illuc producam cornu David, paravi lucernam Christo meo, il dit que c’estoit ainsi que Dieu avoit voulu affermir le trône de saint Louis & perpetuer dans les heritiers de sa Couronne & de son sang, des modeles à tous les Rois de la terre.

Il finit son premier point par la paraphrase du verset inimicos ejus induam confusione, & pour faire voir l’élevation de la gloire de saint Louis par la confusion de ses Ennemis, dont la jalouse perfidie fut autant confonduë par sa clemence que par ses victoires, il fit une description tres-éloquente & tres-vive des actions de saint Louis ; il fit voir son trône presque renversé dans sa minorité, affermi par sa prudence & par sa valeur, & les armées conduites avec tant de sagesse dans les pays infidéles sous l’étendart de la foy ; les mers traversées avec tant de rapidité, les perils essuyez avec tant de courage ; ces batailles données & réiterées avec tant de force, & sur tout celle de Taillebourg que sa valeur rendit si celebre.

Le passage du premier point au second, par rapport au sujet de son discours, fut des plus heureux, comme l’on peut voir par ces paroles, Super ipsum autem efflorebit Sanctificatio mea, il ajouta que, s’il ne faisoit pas une plus longue description de tant d’autres glorieuses actions de saint Louis, un plus grand objet & un plus beau point de veuë pour la gloire de ce pieux Prince le pressoit ; c’estoit de faire voir tant de vertus & de victoires couronnées par les humiliations de Jesus-Christ.

C’est par ces humiliations, dit-il, que Dieu qui fit refleurir dans ce grand Roy la Religion & la penitence, fit aussi refleurir en luy la sainteté de Jesus-Christ.

Il passa ainsi du premier au second point, dans lequel il fit voir que si saint Louis consacra sa grandeur & sa puissance par le zéle de la gloire de Dieu, Dieu releva la grandeur & la puissance de saint Louis par la gloire des opprobres & des humiliations de Jesus-Christ. Opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me.

Si le premier point parut aussi beau que nouveau, le dernier ne fut pas moins rempli de quantité de pensées tres-brillantes & tres-propres au sujet. Il dit d’abord que si la bonté & la misericorde de Dieu, sa grandeur & sa sagesse avoient plus paru par son annéantissement jusqu’à la mort de la Croix que par la creation de l’Univers, la grandeur de Saint Loüis parut aussi avec plus d’éclat dans les humiliations qu’il plut à Dieu de luy faire souffrir, & il ajoûta que faire servir tout ce que la royauté a de grand à étendre le regne de Jesus-Christ, & s’efforcer de soumettre au joug de la Croix l’Orient & l’Occident avoit esté le glorieux dessein qu’inspiroit au Macabée Chrestien l’ardeur de son zele ; mais que couronner l’heureux succez de ses entreprises par la gloire des humiliations de Jesus-Christ ; se rendre conforme à l’Image d’un Dieu souffrant ; porter sa Croix & les chaînes de la captivité avec une grandeur d’ame, & une fermeté de courage, que rien ne fut capable d’ébranler ; mourir enfin sur la poussiere & sur la cendre dans une terre étrangere, c’étoit dans un grand Roy le trophée le plus éclatant de la Religion, le plus grand de tous les sacrifices, un martyr des plus genereux, & dans S. Loüis comme dans les Apostres le comble de sa gloire.

Pour faire voir l’appareil du sacrifice qui donna à Dieu une si sainte victime, & que Dieu voulut ne luy estre immolée qu’aprés l’avoir couronnée par tant de glorieux exploits, il fit voir combien Dieu terrible dans ses conseils touchant les Rois & les enfans des Hommes, estoit toûjours admirable dans ses Saints.

Il dit que l’abomination de la desolation placée dans les lieux sanctifiez par la vie & par la mort de Jesus-Christ ; les cris des enfans d’Israël qui gemissoient sous une dure captivité, s’estoient élevez jusqu’au trône de saint Louis, que pressé de la charité de Jesus-Christ, il avoit cru que les Rois tres-Chrétiens estant les protecteurs nez des conquestes du Sauveur, comme ils sont l’azile & la ressource des Rois & des fidéles persecutez pour la foy, il devoit comme Moyse rétablir le peuple de Dieu dans sa premiere liberté, & placer comme Salomon l’Arche du Seigneur dans le Temple.

Il fit une belle description de tout ce qu’avoit fait saint Louis pour assurer un heureux succez à une si grande & si glorieuse entreprise, & il fit voir de quelle maniere il avoit rallumé le zéle de la Loy de Dieu qui paroissoit éteint presque dans tous les cœurs, & levé sans cesse des mains pures & innocentes au Ciel pour attirer du haut de la Montagne sainte les secours divins sur les combats d’Israël, & épuisé ses tresors & mené avec luy ce qu’il avoit de plus cher au monde.

L’expedition & la prise de Damiete y furent dépeintes d’une maniere charmante, par le bel endroit des Macabées qui fait allusion à la devise des Rois de France, Ut sol refulsit in clypeos aureos multitudo gentium dissipata est. Aprés avoir representé la mer couverte d’un nombre prodigieux de vaisseaux chargez d’une armée de Princes & de Heros chrétiens portant avec respect l’étendart de Jesus-Christ. En vain, dit il, la force des fameuses Tours de Damiete & ses superbes murs ; en vain une armée de Sarrasins retranchez sur le rivage s’oppose au zéle impetueux qui anime le Josué de la loy nouvelle, Ut sol refulsit in clypeos aureos, multitudo gentium dissipata est. Saint Louis porté par la foy sur les eaux, la Croix d’une main, & l’épée de l’autre ne se lance pas plustost dans la mer à travers un nuage de traits qui le couvrent & des vagues repoussées sur elle-mesme, que ses Ennemis effrayez se dissipent comme se dissipe un nuage à l’ardeur du Soleil. La terreur que le Seigneur envoye quand il luy plaist, s’empara des infidéles ; il fit dans cette occasion ce que dit le Prophete, Macnalia in Egypto, terribilia in terra Cham.

Il parla ensuite de la profondeur impenetrable des jugements de Dieu, & de ses voyes incomprehensibles qui permet qu’une guerre que la Religion avoit commencée, que la sagesse conduisoit, que la valeur executoit, ne fut pas toûjours suivie de la victoire, & que le party le plus juste, & qui sembloit devoir l’emporter, ne fut pas le plus heureux.

Il rapporta à cette occasion ce bel endroit de la Lettre de saint Bernard au Pape Eugene. Gardez-vous bien, dit-il, d’attribuer au Chef un si malheureux succez. Moyse conduit le peuple de Dieu à une terre abondante, il luy promet la victoire sur ses Ennemis, les Tribus d’Israël s’unissent pour vanger le crime de la Tribu de Benjamin, Dieu luy-mesme leur designe un Chef ; les uns & les autres sont vaincus, & les vangeurs du crime sont forcez de ceder aux impies qui l’ont commis.

Il rapporta aussi ce bel endroit de saint Augustin. Sicut se habebant et peccata populi et misericordia Dei alternaverunt prospera et adversa bellorum, & dit que si la fidelité des Israëlites à observer la Loy estoit la mesure des benedictions de Dieu sur la prosperité de leurs armes, il ne falloit pas s’étonner que les Chrétiens plus criminels, comme plus éclairez que les Ennemis qu’ils alloient combattre, eussent excité la vengeance divine, & qu’une florissante armée eût esté frappée de ce fleau terrible que Dieu reserve dans les tresors de sa colere pour punir l’impieté des hommes, & pour imprimer dans leurs cœurs la crainte de ses jugements.

Il tira des grandes choses que S. Loüis fit dans cette occasion le sujet d’un éloge magnifique, & dit qu’une nouvelle gloire effaçoit les merveilles qu’on venoit d’entendre, que dans le tems que les Anges vangeurs de l’iniquité versoient sur l’armée de S. Louis des vases de fureur ; ce grand Prince transporté du zele d’Aaron parmi un tas de mourants qu’il servoit luy-mesme, ou de morts dont il avoit receu les derniers soupirs, se jettoit l’encensoir à la main entre Dieu & son armée, se regardoit comme chargé seul des iniquitez de tous les coupables ; s’offroit à la justice divine comme l’unique victime du sacrifice ; conjuroit le Seigneur dans le jeûne, dans le cilice, dans le sac, & dans la cendre, d’abreger les jours de sa colere, & d’en tourner contre-luy seul tous les traits.

Il releva ce bel endroit de S. Loüis par ces paroles du Prophete ; où sont donc Seigneur vos misericordes anciennes ? Avez-vous oublié l’alliance que vous avez contractée avec Abraham ? Ne vous souvenez-vous plus de vostre fidelle serviteur David ? Voulez-vous couvrir d’opprobres un Prince que vous venez de combler de gloire ? Souffrirez-vous que l’armée défaite & que le Roy devenu captif, l’infidelle victorieux s’écrie, où est donc le Dieu d’Israël ?

Il ajoûta que telle avoit esté la conduite du Ciel sur S. Loüis, que Dieu menoit quelquefois les Saints à qui il destinoit d’autres couronnes ; que Dieu les menoit à la gloire par le mesme chemin qui conduisoit les Heros du Paganisme à l’ignominie, & qu’il ne traitoit pas également tous les Rois formez selon son cœur.

Que l’adversité comme la prosperité avec ses Heros, qu’au jugement mesme du sage, les uns estoient au-dessus des autres, Melior est patiens viro forti et qui dominatur animo suo expugnatore urbium.

Que les biens & les maux, le gain comme la perte des batailles, venoient également de la main Toute Puissante de Dieu, & que dans l’ordre de la Providence, tout servoit à la sanctification de ses Elûs.

Il rappella dans cet endroit le sujet du Prix de l’Eloquence donné cette année par Messieurs de l’Academie, & cet endroit est un des plus beaux de son discours ; nous voyons mesme, ajoûta-t-il, & vous voulez, Messieurs, qu’on le publie aujourd’huy, que Dieu se sert quelquefois de l’adversité pour couronner les plus grands Saints & les plus grands Princes, par des vertus qui nous seroient inconnuës en eux, sur tout lorsque leur sagesse & leur fermeté les rendent superieurs aux plus fâcheux évenemens, & qu’elles font & la force des Soldats & la confiance des peuples.

Cet endroit fut suivi d’une heureuse allusion sur la devise du Roy, nec pluribus impar, & il ajoûta que dans les Princes qui pouvoient suffire à tous par eux-mesmes, les disgraces estoient comme des nuages qui ne nous cachoient le Soleil pour un temps, que pour nous faire découvrir un nouvel éclat dans ses rayons, refulsit sol qui prius erat in nubilo.

Il dit qu’il manquoit à la gloire de S. Loüis d’avoir fait éclater la patience dans les fers comme il avoit fait éclater la sainteté sur le Trône, & la moderation dans la victoire.

Et pour mettre dans tout son jour la preuve du sujet de son second point, il ajoûta que la plus grande misericorde de Dieu sur les Saints, & une surabondance de consolation & de joye sur les Apôtres, fut d’estre marquez au sceau des souffrances de Jesus-Christ.

Que Dieu avoit conduit S. Loüis, comme il conduisit son Disciple bien-aimé du Tabor sur le Calvaire, pour recevoir sur l’un toutes les impressions de sa douleur & de son amour, aprés avoir receu sur l’autre tout l’éclat de sa gloire.

Que Jesus-Christ luy-mesme n’avoit goûté les amertumes de son calice ny souffert les opprobres de sa passion, qu’aprés estre entré peu de jours auparavant en triomphe dans Jerusalem, comme si l’opposition de la gloire devoit faire mieux sentir la profondeur des humiliations & leur donner plus de merite.

Il continua en disant qu’il falloit que le zele de S. Loüis fut suivi dans ce religieux Prince des humiliations de Jesus-Christ, puisqu’il ne chercha jamais que la gloire de la croix de son Dieu, & qu’il mit toute la sienne à crucifier le monde en luy, & à se crucifier luy-mesme au monde.

Il ajoûta que si Jesus-Christ n’avoit jamais paru plus puissant ni plus victorieux que dans ses souffrances & dans sa mort, il n’y avoit jamais rien eu de plus fort que les mains adorables du Sauveur qui avoient vaincu le monde, non pas armées de fer, mais percées par le fer.

Que si l’hommage que la nature universelle rendit à la divinité de Jesus-Christ mourant sur la croix, avoit plus manifesté sa gloire que la vaste étenduë des Cieux qui la publient ; que si les chaînes dont S. Pierre fut lié luy sont devenuës aussi honnorables que les clefs, on pouvoit dire que S. Loüis dans sa captivité avoit fait paroistre plus de grandeur d’ame & plus de Majesté qu’il n’en avoit jamais montré sur le Trône ; que toûjours Roy dans les fers il estoit entré en Triomphateur dans ceux des Sarrasins ; qu’il avoit porté ses chaînes avec la mesme dignité que le Sceptre ; imposé des loix à ses vainqueurs, ce qui leur avoit fait souhaiter d’avoir un tel Maistre, jusqu’à déliberer s’ils le choisiroient pour Roy ; qu’il avoit appris au monde que la seule victoire ne fait pas les Heros.

Qu’il avoit enfin receu de ses ennemis, s’il estoit permis de le dire, sans faire comparaison de la Creature au Createur, les mesmes hommages que Jesus-Christ avoit receus des Juifs, abbattus à ses pieds par un rayon de la Majesté terrible qu’il fit briller à leurs yeux.

Il continua ses preuves par cette belle comparaison, & dit que si les enfans d’Israël n’avoient pû soûtenir la presence de Moïse qui descendoit de la Montagne plein de la Majesté de Dieu, on ne pouvoit soûtenir aussi sans en estre ébloüi l’éclat de la Majesté de S. Loüis plein de la gloire des humiliations de Jesus-Christ & couvert de ses opprobres, & qu’on devroit tirer le voile sur la fermeté de courage qu’aucune consideration ny aucun spectacle d’horreur ne peuvent ébranler, & sur la sagesse qui descendit avec luy dans la prison qui ne l’abandonna jamais dans les fers où il dicta les conditions de sa liberté, receut le serment de ses ennemis, & regarda comme un blasphême celuy qu’on luy demandoit.

Aprés avoir rapporté cet endroit du Pseaume, quod exprobaverunt inimici tui Domine, quod exprobaverunt commutationem Christi tui, il dit que les ennemis de Dieu qui reprochoient autrefois à son peuple l’anneantissement de leurs Rois, & le renversement du Trône d’Israël devoient changer de langage à la veuë de S. Louis qui refusoit de traiter de sa rançon qui ne donnoit à des Barbares d’autre assurance que sa vertu, & qui du fond d’une prison où l’on n’est frappé que de l’horreur qu’imprime l’image toûjours presente de la mort, formoit le plan d’un second sacrifice.

Il finit ensuite la plus touchante description qu’on puisse faire de la mort de S. Louis, à laquelle seule, sans faire le recit de sa seconde expedition, plus funeste à la France que la premiere, il voulut s’arrester, comme estant aussi pretieuse aux yeux de Dieu, que sa vie est glorieuse aux yeux des hommes.

Quel triomphe, dit-il, pour la Religion, de voir un grand Roy éloigné de ses Etats, affligé de tout ce que la contagion a de plus affreux, environné déja des ombres de la mort, dépoüillé des marques de la Royauté, & rendre à Dieu sur la poussiere & sur la cendre une ame qu’il avoit toûjours possedée en paix. Quel trophée pour la Foy de le voir dans cet Etat humilié sous la puissante main du Seigneur ; luy sacrifier sa vie, sa gloire, ses entreprises ; n’estre occupé que du soin d’implorer le secours du Ciel sur ses chers & fidelles sujets & sur les Princes ses enfans à qui il laisse un heritage plus pretieux que sa Couronne ; c’est l’amour & la crainte de Dieu, la verité & la justice ; ses instructions enfin qui renferment toute la droiture de son esprit, toute la pureté de son cœur, & toute la grandeur de son ame. Quel spectacle aux yeux de nostre Foy ; quelle instruction pour les Princes de la Terre & pour les peuples qui leur sont soûmis de voir le plus grand Roy du monde dans l’attente de ce moment terrible, qui égale les Souverains au dernier de leurs sujets, jouir dans cet état d’une tranquillité parfaite, n’avoir d’autre vûë que le Ciel, d’autre consolation que la Foy, d’autre amour que celuy de Dieu, d’autre crainte que de sa justice, d’autre attente que le Jugement, d’autre esperance que la vie éternelle, d’autre regret que de laisser l’Arche Sainte entre les mains des Philistins, d’autre douleur enfin que de ne pas rendre à la vraye Religion un peuple incirconcis qui s’en estoit separé.

Aprés cette belle Description de la mort de S. Loüis, il passa aux benedictions que Dieu a repanduës sur sa glorieuse posterité, & dit que si Dieu n’avoit pas permis à David d’élever le grand édifice du Temple qu’il avoit preparé, & si cette gloire fut reservée à son fils Salomon ; que si Moïse ce fidelle conducteur du peuple de Dieu mourut sans entrer dans la Terre promise, & si le passage du Jourdain fut reservé à Josué ; Dieu content du sacrifice de ce grand Saint, avoit reservé cette gloire à ses Successeurs ; que le Soleil éclairoit sans interruption dans l’un ou l’autre Emisphere la vaste étenduë des païs soumis à leur domination ; que le Royaume tres-Chretien, & le Royaume Catholique heureusement réunis n’en faisoient plus qu’un par le zele de sa glorieuse posterité à répandre la lumiere de l’Evangile aux nations du monde les plus barbares, & à élever par tout sur les ruines de l’Heresie & de l’Idolâtrie, dans les lieux les plus éloignez, des Temples au Dieu vivant.

Il tira ensuite de cet endroit des Proverbes de Salomon, corona dignitatis senectus quæ in viis justitiæ reperietur, un des plus beaux éloges que l’on puisse faire & de S. Loüis & du Roy, en disant que Dieu couronnoit les Saints dans leurs descendants, & que le sage nous apprenoit que la plus grande gloire des Saints Rois estoit dans leurs Successeurs un long regne & une vieillesse consommée dans les voyes de la Sainteté & de la Justice.

Il fit entrer dans son discours la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & prophetisa fort heureusement & fort à propos celle du Prince des Asturies qui vient de naistre en Espagne, & qui est venu au monde dans le temps mesme qu’il faisoit des vœux pour sa Naissance.

Quelles benedictions, dit-il, en s’adressant à saint Louis, inconnuës à tous les Princes de la terre, Dieu ne répandit-il pas sur vostre auguste sang, le Prince qui vient de naistre & que Dieu nous a donné dans sa misericorde, celuy que l’Espagne attend pour combler nos vœux communs, nous sont un gage assuré que Dieu fidéle dans ses promesses, conservera vos heritiers sur vostre trône jusqu’à la consommation des siecles.

C’est ainsi, dit-il, que Dieu l’avoit promis à David, & qu’il recompensa la pieté de ses Successeurs à garder son alliance, Juravit Dominus David veritatem et non frustrabitur eum : Et filii eorum usque in sæculum sedebunt super sedem tuam.

Il finit son discours en faisant des vœux pour le Roy, pour les Princes, & pour la Paix. Il ne nous reste, dit-il, qu’à souhaiter que le grand Roy dont le regne retrace si glorieusement le vostre, donne à ses dignes Fils & à ses fidéles Sujets la joye de le voir regner au delà de la quatriéme generation.

Qu’il plaise à Dieu de confondre par la force de ses armes les Nations conjurées, ennemies de la Paix, & jalouses de sa gloire. Qu’un Roy qui fait revivre en luy le sang de la Maison de France, la vertu des anciens Rois d’Espagne éteinte avec le leur, remplisse toutes nos esperances.

Ce sont, dit-il, en s’adressant à Messieurs de l’Academie, les vœux les plus ardents de cette illustre Compagnie pour son grand Protecteur, & pour toute sa glorieuse posterité. On lit dans vos cœurs, Messieurs, & on voit avec admiration dans vos écrits, ce qu’on ne sçauroit trouver dans d’autres pensées ny dans d’autres expressions que les vostres.

Il exhorta ensuite l’Auditoire d’unir ses vœux & ses prieres à ceux de ces Messieurs, pour demander à Dieu la même grace, & conjura saint Louis de nous obtenir de la divine misericorde cette charité pure & éclairée dont il fut toujours embrasé Illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis sedent.

Ouy, grand Saint, dit-il, la qualité de Roy & la Couronne que vous portez dans le Ciel vous interresse à la sanctification de vos fidéles Sujets ; faites réjaillir sur nous quelques rayons de la gloire dont vous joüissez, Ad dirigendos pedes nostros in viam pacis, pour nous faire meriter une paix durable sur la Terre qui soit suivie d’une Paix éternelle dans le Ciel.

Ce que vous venez de lire, a dû vous faire connoistre que Messieurs de l’Academie Françoise avoient fait un bon choix en priant Mr l’Abbé de Cambefort, de faire le Panegirique de saint Louis le jour de la Feste de ce saint. L’honneur que saint Louis avoit fait à Pierre de Cambefort, l’un de ses Ayeuls, de loger chez luy en allant visiter la sainte Chapelle du Puy en Velay, à son retour de la Terre sainte, engagea cet habile Orateur à se surpasser, comme il fit dans cette occasion. La pieté, ainsi que la fidelité pour le service du Roy, sont hereditaires dans sa famille qui est tres-ancienne, & qui a esté honorée il y a plusieurs siecles, par d’illustres alliances.

Le mesme jour, Mrs de l’Academie des Medailles & Inscriptions, & Mrs de l’Academie des Sciences, firent dire dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire, une Messe qui fut celebrée par Mr l’Abbé de la Marck-Tilladet, l’un des Membres de la premiere de ces Academies, & le Pere de la Boissiere, Prestre de la même Congregation, prononça le Panegirique de S. Loüis en presence des 2. illustres Corps dont je viens de vous parler. Il prit pour Texte ce que David mourant dit à Salomon, & il fit voir que S. Loüis, en observant par tout la loy de Dieu avoit esté vrayment S. jusques sur le Trosne, & Roy jusques dans les fers. Il fut S. sur le Trosne par la protection qu’il y donna à la vertu, par le soin continuel qu’il eut d’en chasser les vices & les passions qui l’environnent de toutes parts. Le Pere de la Boissiere fit en cet endroit un beau Portrait de la Cour. Il la representa comme une region où il souffle un air empoisonné qui en consume tous les habitans, & il ajouta que si S. Loüis réussit à rendre sa Cour qui avoit esté jusques-là le centre & l’azile de tous les plaisirs, une Cour Chrestienne, & l’azile des vertus Chrestiennes, Loüis le Grand, un de ses Petits-Fils, n’avoit pas moins réussi à en proscrire les vices. L’éloge qu’il fit du Roy dans cet endroit fut court ; mais les traits en furent bien marquez, & il representa ce Monarque encore plus grand par l’excellent usage qu’il a toujours fait de sa raison ; par sa moderation ; par son équité & par sa pieté, que par ses triomphes.

Le Pere de la Boissiere fit ensuite une description des deux voyages que S. Loüis fit dans l’Orient, qui plut beaucoup. Il décrivit d’une maniere tres-touchante les horreurs d’une longue prison dans le premier voyage, & la maladie contagieuse dont ce S. fut frappé dans le second. Les paroles qu’il mit à la bouche de ce Saint Roy prest à paroistre devant Dieu ; les dispositions où il le representa, & la parfaite soumission aux ordres du Ciel, dans laquelle il le peignit dans ces derniers momens, frapperent toute l’Assemblée.

Ce Pere fit dans son Exorde un compliment à Mrs des deux Academies beaucoup plus Chrestien que flateur.

L’Extrait du sermon de Mr l’Abbé de Cambefort s’étant trouvé plus long que je ne croyois, il ne me resteroit pas de place pour les nouvelles courantes, si je m’étendois plus au long sur celuy de Mr de la Boissiere ; mais son éloquence étant connue, personne ne doutera que le sermon qu’il a prêché devant un si grand nombre de Sçavans, n’ait répondu à ce qu’ils attendoient du choix qu’ils avoient fait de ce grand Predicateur.

On avoit chanté pendant la Messe le Pseaume 149. qui avoit esté mis en Musique par Mr de Bousset. Je vous envoye ce Pseaume qui fut distribué à toute l’Assemblée, avec une Version, ou Paraphrase en Stances regulieres. Elles sont de la composition de Mr Moreau de Mautour, qui à pareil jour l’an 1704. donna celle du Pseaume 127. Voicy le 149. de la maniere qu’il a esté distribué.

MOTET CHANTÉ LE JOUR DE S. LOUIS DANS L’EGLISE DE L’ORATOIRE
En presence de Messieurs des Academies Royales des Inscriptions, & des Sciences ;
Mis en Musique par Monsieur De Bousset, 1707.
Pseaume 149. Cantate Domino.
Dans ce Cantique, que plusieurs

Interpretes attribuënt aux Victoires remportées par les Israëlites aprés leur retour de Babylone, le Prophete Roy invite le Peuple choisi de Dieu, & à son exemple tous les Chrestiens, à luy rendre de nouvelles actions de graces pour tous les secours qu’ils ont reçus contre leurs Ennemis : David, parlant de la gloire des Elûs, prend occasion de faire voir que souvent ils sont les Ministres de la vengeance du Seigneur contre les Princes & les Grands de la Terre qui sont ennemis de sa loy, ou rebelles à ses ordres.

Cantate Domino Canticum novum : laus ejus in Ecclesia Sanctorum.

Que de nouveaux Concerts nos Temples retentissent
À loüer le Seigneur, consacrons ce grand jour :
Redoublons nôtre zele, & que nos voix s’unissent
Au cantiques divins de la celeste Cour.

Lætetur Israël in eo qui fecit eum : & Filii Sion exultent in Rege suo.

Qu’Israël, penetré de joye & de tendresse,
Vante le Tout-puissant, dont il reçût la loy ?
Vous, Enfans de Sion, montrez vôtre allegresse,
Par des vœux solemnels, benissez vôtre Roy.

Laudent nomen ejus in choro : in tympano & psalterio psallant ei.

Celebrez par vos chants sa puissance infinie,
Publiez sa grandeur au bruit de vos concerts ;
Que par les doux accords d’une tendre harmonie,
Son nom se fasse entendre, & penetre les airs ?

Quia beneplacitum est Domino in populo suo : & exaltabit mansuetos in salutem.

À son peuple cheri, le Seigneur favorable,
Fait goûter dés ce monde un solide bonheur,
Il lui prête en tout temps une main secourable,
Il est l’appuy du juste & de l’humble de cœur.

Exultabunt Sancti in gloria : lætabuntur in cubilibus suis.

Les Saints qui joüiront du prix de leur victoire,
Possederont en Dieu l’objet de leurs desirs ;
Goûtant un doux repos dans le sein de la gloire,
Ils seront enyvrez d’un torrent de plaisirs.

Exultationes Dei in gutture eorum : & gladii ancipites inmanibus eorum.

La vertu du Tres-Haut animera leur zele,
Du plus ardent amour, ils seront enflammez ;
Et l’on verra perir le pecheur infidele,
Sous le glaive trenchant dont ils seront armez.

Ad faciendam vindictam in nationibus : increpationes in populis.

C’est par eux que le Ciel dans sa juste colere,
Soûmetra la fierté des peuples orgueilleux,
Et que de leurs projets l’audace temeraire,
Ou sera confonduë, ou tournera contre-eux.

Ad alligandos Reges eorum in compedibus : & nobiles eorum in manicis ferreis.

Les plus superbes Rois des nations perfides
Seront humiliez, malgré leur vain effort ;
Et leurs Chefs obstinez, de sang toûjours avides,
Dans la captivité termineront leur sort.

Vt faciant in eis judicium conscriptum : gloria hæc est omnibus Sanctis ejus.

C’est ainsi qu’aux Elûs la gloire est reservée,
D’executer du Ciel les secrets jugemens ;
Ainsi l’on voit sur nous sa justice éprouvée,
Lorsque de sa vengeance ils sont les instrumens.

Domine salvum fac Regem : & exaudi nos in die, quâ invocaverimus te.

Seigneur conservez nôtre Roy : & exaucez-nous au jour auquel nous vous invoquerons.

[Relation historique des tremblemens de terre arrivez à Rome] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 96-103.

Vous trouverez dans l’article qui suit des marques de la profonde humilité du Pape, & tout ce que le saint Pere a fait pour détourner de dessus ses oüailles, la colere du Ciel dans les dernieres tremblemens de terre.

Mr Luc Antonio Chracas a publié depuis peu à Rome une Relation historique des tremblemens de terre arrivez à Rome, dans une partie de l’Estat Ecclesiastique & dans d’autres lieux, le soir du 14e Janvier, & le matin du 2e Fevrier de l’année 1703. Cet Ouvrage est dedié à Monseignor Pietro de Carolis Gouverneur de Terni. Il fait voir dans cet Ouvrage les dommages que ces tremblemens ont causez, les Missions, le Jubilé, les Processions, & toutes les autres devotions & les bonnes œuvres ordonnées & executées par sa Sainteté & par tout le peuple, pour appaiser la colere de Dieu. On y trouve aussi les discours prononcez à cette occasion par le S. Pere dans le Consistoire & dans la Chapelle Papale : & l’Auteur rend compte des soins pleins de tendresse avec lesquels sa Sainteté & la Congregation établie pour ce sujet, ont pourveu au soulagement des lieux ruinez par cet accident.

Ce Livre fait mention de deux Edits du S. Pere publiez pendant le Jubilé qu’il avoit accordé pour appaiser la colere de Dieu, l’un pour renouveller la défense faite aux femmes par le feu Pape Innocent XI. d’apprendre la Musique & à joüer des instrumens d’aucuns Maistres Laïques ou Ecclesiastiques ; & l’autre pour reformer le luxe du mesme sexe.

Il apprend une autre circonstance qui n’avoit pas esté sçuë, c’est que dans le temps du second tremblement de terre, pendant que sa Sainteté quittoit ses habits sacerdotaux dont elle estoit alors revêtuë, parce qu’elle faisoit la Benediction des Cierges, lors, dis-je, que le Pape quittoit ses habits sacerdotaux, pour aller suivi du sacré College, dans l’Eglise de saint Pierre, afin d’y implorer le secours des saints Apostres, il se recommandoit aux prieres des Cardinaux qui s’approchoient de luy, & il les exhortoit avec les sentimens de la plus profonde humilité, à luy obtenir le pardon de ses pechez qui avoient, disoit-il, si fort irrité le Seigneur, comme un autre David C’est moy, continuoit il, qui ay peché, c’est moy qui ay commis l’iniquité ; quel mal ont fait ces pauvres Brebis ? paroles, ajoute l’Auteur, qui tirerent les larmes des yeux de tous ceux qui les entendirent. Lorsqu’il estoit prest d’entrer dans l’Eglise de saint Pierre, quelques uns des Penitenciers vinrent au devant de luy & l’informerent de la rude Secousse qu’avoit reçeuë le Dôme de cette Eglise, & ils luy representerent le peril où il s’exposoit en y entrant ; mais la crainte du danger ne fût pas capable de le retenir, lorsqu’il s’agissoit du salut de son peuple ; & negligeant le soin de sa propre vie, il s’avança jusqu’au tombeau des saints Apostres où il fit une priere des plus ardentes au grand contentement de tout le peuple qui estoit present & qui ne pouvoit assez exprimer la consolation qu’il recevoit des marques de la tendresse vrayment paternelle que sa Sainteté faisoit paroître.

L’apresdînée, le Pape revêtu d’un simple habit de laine, ses Gardes en signe de deüil, portant leurs lances & leurs épées la pointe en bas, & le son discordant & lugubre des trompettes & des tambours répondant à la tristesse de tout le Cortege, se rendit en carrosse à l’Eglise de saint Clement, où il mit pied à terre, n’ayant point voulu à son passage estre salué de l’artillerie du Chasteau saint Ange selon la coûtume, & il alla delà à saint Jean de Latran & dans quelques autres Eglises pour implorer le secours du Ciel.

[Histoire genealogique de la maison de Gondy] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 124-136.

Mr de Corbinelli, Gentilhomme originaire de Florence, & estimé de tout le monde pour sa probité, pour son esprit, & pour son sçavoir, vient de donner au public l’Histoire Genealogique de la Maison de Gondi, en 2. Vol. in 4°. avec les preuves. Cette illustre Maison a pris son origine dans celle des Philippi, aussi ancienne que la Republique de Florence. C’est le sentiment des plus celebres Ecrivains d’Italie. C’est ainsi que le pensent le Dante, Jean Villani, Verinus, Malespini, Cervoni, Monaldi, & Perrotti. L’Auteur ne commence l’ordre des filiations qu’Abelli-Cozzo, qui vivoit en 1100. & qui estoit le seiziéme Ayeul en ligne directe, de Madame la Duchesse Doüairiere de Lesdiguieres. Paul Mini, dit dans le Livre qu’il a écrit pour la défense des Florentins, que ce Bellicozzo possedoit une Tour dans la Ville de Florence avec des Portiques, ou Loges ; privilege qui n’appartenoit qu’aux Maisons illustres, qu’on appelloit de i grandi. Cette Tour a appartenu à la Maison de Gondi pendant 270. ans, c’est à dire, jusqu’à 1428. qu’elle passa dans celle des Strozzi. Gondo de Gondi est le cinquiéme dans la ligne directe : sa posterité n’a jamais manqué d’ajoûter au nom de Gondo le surnom de Gondi ; cet usage est venu des Romains, & marque la Maison : ainsi Gondo de Gondi n’est autre chose que Gondo, fils de Gondi. Cette Maison, outre la branche qui est en France, & qui y a esté si illustrée, subsiste à Florence en la personne de Ferdinand-Alexandre de Gondi & de Charles Antoine de Gondi. Le premier a esté Gentilhomme de la Chambre du Prince de Toscane, à present grand Duc. Il vint en France en 1661. en qualité d’Envoyé Extraordinaire ; en 1687. il épousa Octavia de Gondi, fille du Chevalier Frederic de Gondi, & de Catherine de Medicis ; & par ce mariage, les deux branches de Leonard & de Silvestre, tous deux fils de Simon de Gondi, le huitiéme dans la ligne directe, se réünirent. En 1688. il fut fait grand Echanson de la Princesse de Toscane Yolande-Beatrix de Baviere, sœur de feuë Madame la Dauphine. En 1695. il fut fait Senateur de Florence, & grand Maréchal des Logis en 1696. Charles-Antoine, Abbé de Gondi, son frere, est Secretaire d’Estat du Grand Duc. Il nâquit en 1642. en 1671. le Grand Duc l’envoya en France, avec la qualité d’Envoyé ; il y a demeuré dix ans. Il fut fait Secretaire d’Estat en 1682. & Conseiller d’Estat en 1688. Jean de Gondi leur pere, a esté employé dans les plus grandes & les plus delicates Negociations à la Cour de France, à celles de Rome & de Venise, & a esté revêtu des plus grandes Dignitez de son païs. L’Auteur de cette Histoire, est allié à cette Maison. Antoine de Gondi, l’onziéme dans la ligne directe, épousa Madelaine de Corbinelli dans le quinziéme siecle. La Maison de Corbinelli a donné à la Republique de Florence, depuis l’année 1286. jusqu’en 1530. dix grands Gonfalonniers, quarante-neuf hauts-Prieurs, & deux Senateurs. Elle a aussi donné plusieurs Chevaliers à l’Ordre de Malthe, & elle a des alliances avec les plus illustres Maisons de Toscane ; & en France avec celles d’Iliers & la Palu-Bouligneux. Madelaine de Corbinelli a introduit l’usage dans les grandes familles de changer les noms qu’on avoit receus au Baptême. Antoine de Gondi, deuxiéme du nom, son fils, avoit receu sur les Fonts Baptismaux le nom de Guidobaldo ; & lorsque son pere fut mort en 1426. elle luy fit prendre le nom d’Antoine ; & dans la suite Loüis de Medicis : son pere Jean estant mort, quitta le nom de Loüis, pour prendre celuy de Jean. Ce Jean fut le pere de Cosme de Medicis, premier Grand Duc de Toscane.

L’Auteur, qui donne lieu à cet Article, est fils de feu Raphaël de Corbinelli, Secretaire de Marie de Medicis, Reine de France. Celui-ci étoit fils de Jacques de Corbinelli, né à Florence, & qui se retira en France, sous le Regne de Catherine de Medicis. Cette Reine dont il avoit l’honneur d’estre allié, le donna à son fils, le Duc d’Anjou, comme un homme de belles Lettres, & il suivit ce Prince en Pologne, pour l’entretenir dans le goût des Sciences. Il luy lisoit tous les jours, Polybe, & Tacite : & Davila dit, que lorsque ce Prince fut parvenu à la Couronne de France, Mr de Corbinelli luy lisoit aussi tous les jours les Discours & le Prince de Machiavel. Il fit un Recueil des Maximes de Tite-Live ; & on a inseré dans la Preface de cet Ouvrage une Lettre de Juste Lipse, où il est parlé d’un frere de Mr de Corbinelli, qui perit malheureusement à Florence, dans une entreprise qui regardoit la Republique. On consideroit à la Cour, celuy dont je parle, comme un homme du caractere de ces anciens Romains, pleins de droiture, & incapables de la moindre lâcheté. Le Chancelier de Lhospital eut pour luy une tendre amitié, il fit même des Vers à sa loüange. Mr de Corbinelli estoit à un tel point amy & Patron declaré des gens de Lettres, que n’estant pas fort riche, il ne laissoit pas d’employer une partie de son bien à faire imprimer leurs Ecrits. Ce fut par ses soins que le Livre de Dante, sur la Langue Italienne, parut. Mais son talent n’estoit pas borné aux exercices des Muses, il estoit homme de Cabinet, & homme de valeur & d’execution ; ce qui paroist dans l’Histoire d’Henry IV. de Pierre Matthieu. Quelques autres Auteurs n’ont pas esté tout à fait de ce sentiment. Le petit fils de Jacques Corbinelly, qui vient de donner l’Histoire Genealogique de la Maison de Gondi, est l’Auteur d’un Extrait de tous les beaux endroits des Ouvrages des plus celebres Auteurs de ce temps. Cet Ouvrage fut imprimé à Amsterdam en 1681.

La peine qu’il s’est donnée de reduire les anciens Historiens en Maximes, contribuera à leur gloire & à l’instruction du public.

[Dignité de Chantre donnée à Mr l’Abbé de Gontault, sur la démission de Mr l’Abbé de Perochel] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 136-142.

Mr l’Abbé Perrochel de Grandchamp, cy-devant Abbé de Saint Crespin le Grand, de Soissons, s’est depuis peu défait de la Dignité de Chantre de l’Eglise de Nostre-Dame de Paris, qu’il avoit euë aprés la mort de feu Mr Joly, & qu’il n’accepta qu’à condition qu’il quitteroit son Abbaye, qui fut donnée à Mr Brunet, Administrateur du Spirituel de la Cure de S. Roch. Mr l’Abbé Perrochel est neveu de feu Mr Perrochel, Evêque de Boulogne, & Superieur & Visiteur General des Carmelites de France. Il a toûjours donné de grandes marques de son détachement pour le monde, & d’une sincere pieté.

Mr le Cardinal de Noailles qui connoit son merite & sa vertu, & qui le regarde comme un modele achevé d’un parfait Ecclesiastique, a differé pendant trois années entieres de pourvoir à son Canonicat, quoy que Mr l’Abbé Perrochel luy en eût donné la démission ; & S.E. ne s’est enfin déterminée à remplir cette Dignité, que sur ce que cet Abbé, qui est à Bordeaux, occupé à la visite des Convens dont il est Directeur, a écrit à S.E. qu’il ne rentreroit pas à Paris avant que cette Dignité fût remplie. Enfin S.E. pressée par les vives instances de Mr Perrochel, a nommé Mr l’Abbé de Gontaut, son parent, pour remplir la place de Chantre de l’Eglise de Paris. Cet Abbé a long-temps porté les Armes, & a servy dans la Cavalerie & dans les Carabiniers, pendant que Mr le Maréchal de Noailles commandoit les Armées du Roy en Catalogne, & sous Mr de Vendôme, qui a commandé en ce païs-là aprés ce Maréchal. Il y a environ dix ans que Mr de Gontaut a embrassé l’état Ecclesiastique, & il s’y est acquis tant de reputation, que S.E. l’a nommé Superieur des Hermites du Mont Valerien, dont il a remply la place aprés Mr Madot, Evêque du Bellay, il a aussi celle de Superieur des Ursulines d’Argenteüil. Il a beaucoup de talent pour la Direction & pour la Chaire, qu’il a exercé dans plusieurs Eglises de cette Ville ; & sur tout dans celle de Saint Jacques de la Boucherie. La branche de la Maison dont il est, est celle des Comtes de Cabreres, établie en Quercy. Elle se separa dans le quatorziéme siecle de la Maison de Gontaut-Biron, si celebre par les grands Hommes qu’elle a donnez à la France, & principalement par le fameux Armand de Gontaut, Baron de Biron, Maréchal de France, & Grand Maistre de l’Artillerie, qui signala en tant d’occasions son courage pour le service de l’Etat durant les Regnes d’Henry III. & d’Henry IV. & qui perdit enfin la vie au Siege d’Epernay, où il fut tué d’un coup de Fauconneau. Il estoit pere du second Maréchal de Biron, qui fut fait Duc & Pair & Amiral de France, & Gouverneur de Bourgogne.

Il y a encore plusieurs branches de la Maison de Gontaut-Biron ; sçavoir celle des Barons d’Arraux, établie en Bearn ; & celles de S. Blancart & de Lanzac, qui subsistent encore aujourd’huy en Quercy. Les branches de Salignac, & de S. Geniez sont éteintes : Celle-cy est finie dans la Maison de Navailles, par la mere du Maréchal de France de ce nom.

[Proposition faite aux sçavans] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 180-182.

Un illustre Auteur, qui ne veut pas estre nommé, mais qui se fera connoistre au public quand il en sera temps, a dessein de donner une nouvelle Edition de l’Anthologie des Epigrammes Grecques. S’il y a quelque homme de Lettres qui le veüille aider à rendre cette Edition meilleure, il le pourra faire, en s’adressant ou au Libraire Henry Schelte, d’Amsterdam, ou à Mr le Clerc, qui demeure dans la même Ville : celuy qui s’est chargé de cette Edition aura beaucoup d’égard & de reconnoissance pour les avis & les secours qu’on luy fournira, & il en fera honneur à ceux qui luy en donneront, s’ils veulent estre nommez. Un Exemplaire bien relié, sera la moindre chose qu’il offrira à ceux qui auront fourny des secours un peu considerables. L’Edition sera in folio, & de la grandeur des Oeuvres de Grotius, de l’Edition d’Amsterdam.

Personne n’ignore que Mr de Longepierre a traduit en François, d’une maniere tres-naturelle, plusieurs des Epigrammes qui composent ce Recueil, dans ses doctes Remarques sur les Ydilles de Theocrite. Grotius a aussi traduit tout le Recueil en autant de Vers qu’il y en a dans l’Original, qu’il égale tres-souvent, & qu’il surpasse même quelquefois, selon le jugement des Connoisseurs. À l’égard des Additions, qu’il n’a pas traduites, parce qu’il ne les avoit pas, on les mettra en Prose, de même qu’un endroit de l’Edition d’Estienne, qu’il n’a pû traduire.

[Poëme de Mr Petroni] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 183-188.

Mr Petroni, Comte de Caldana, Italien, fit imprimer il y a quelques années à Venise, un Poëme heroïque Latin en douze Livres, intitulé Clovis, ou Clodias. Il décrit dans cet Ouvrage les actions remarquables des Rois de France, & sur tout celles de Loüis le Grand, à qui ce Comte avoit dedié son Poëme.

Il en envoya quelques Exemplaires en France, & le Roy ayant veu cet Ouvrage, honora Mr Petroni d’une Lettre qui marque l’estime que Sa Majesté faisoit de son travail & de son zele.

Mr Petroni charmé des bontez de Sa Majesté, & desirant avoir l’honneur de voir le Monarque dont il avoit chanté les actions & les vertus heroïques, sur le rapport de la Renommée, est venu depuis peu en France. Il a esté presenté à Sa Majesté, qui continuant de marquer l’estime qu’elle fait du vray merite, a donné à cet Auteur une Medaille d’or d’un prix tres-considerable. La face droite represente le Buste du Roy, & l’on voit dans le revers, ceux de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc d’Anjou, aujourd’huy Philippe V. Roy d’Espagne, & de Monseigneur le Duc de Berry, qui composent la Famille Royale. Cette Medaille qui a esté gravée par le sieur Roussel, & frappée à la Monnoye des Medailles, est accompagnée d’une grande chaîne d’or.

MrPetroni est de la noble & ancienne famille des Petrones, qui a donné plusieurs grands Hommes à la Republique Romaine, & ensuite des Empereurs ; sçavoir Vespasien & Tite. Cette famille, quoy que fort ancienne, est encore fort connuë à Rome, à Sienne, à Boulogne, & en Toscane, où est le Comte de Caldana, dont Mr Petroni porte le nom. Lors que la Maison de Medicis devint Souveraine, la branche des Petroni, qui estoit établie en Toscane, se retira sur les Terres de l’Etat de Venise ; où elle a toûjours esté fort considerée, & distinguée par plusieurs Emplois. Il y a eu un Nicolas Petroni, oncle de celuy qui fait le sujet de cet Article, qui aprés avoir enseigné avec applaudissement dans l’Université de Padouë, à l’âge de dix-neuf ans, fut dans la suite Nonce Extraordinaire de Sa Sainteté prés du Grand Duc de Toscane ; & enfin Evêque de Parenzo. Ce Prelat ayant conçû de grandes esperances de l’esprit de son neveu, & de son application à l’estude, avoit voulu luy faire embrasser l’estat Ecclesiastique ; mais estant resté seul de toute sa famille dans l’Estat de Venise, ses parens l’engagerent à se marier, afin qu’un si beau nom ne perit point. Il épousa une fille de la noble Famille des Rigori, dont il a eu sept enfans ; entr’autres deux filles, qui sont mariées à Messieurs de Marini, aussi d’une noble Famille Venitienne ; & aprés la mort de sa femme, se sentant appellé à l’estat Ecclesiastique, il a suivy les mouvemens de la grace, & il a pris l’Ordre de Prêtrise.

[Reception faite en la maison de la Meutte, par Mr d’Armenonville, à Monseigneur le Duc, & à Madame la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 190-196.

Mr d’Armenonville ayant fait de grands embellissemens au Bois de Boulogne, depuis qu’il en est Capitaine, & ayant aussi rendu le Chasteau de la Meutte, qui luy sert de logement en cette qualité, une des plus agreables Maisons des environs de Paris, & Monseigneur le Duc & Madame la Duchesse de Bourgogne en ayant ouï parler comme d’un lieu qui meritoit d’estre veu, resolurent d’y aller sans en avertir Mr d’Armenonville, qui de son costé se doutoit qu’il auroit un jour l’honneur de recevoir cette auguste Compagnie dans cette agreable Maison. Il ne se trompoit pas, & ayant sçû qu’elle estoit en chemin pour s’y rendre, il alla la recevoir à la porte du Parc, appellée la porte verte. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena long-temps dans ce Parc, en habit d’Amazone, accompagnée d’une vingtaine de Dames, dont les plus jeunes estoient aussi vêtuës en Amazones, & l’on se rendit ensuite au Chasteau de la Meutte, d’assez bonne heure pour en voir les Apartemens. Mr & Me d’Armenonville, pour répondre à l’honneur qu’ils recevoient, trouverent le moyen, malgré la brieveté du temps, de faire preparer un magnifique Ambigu, dont la delicatesse des Mets, & la beauté des Fruits, repondoient à leurs soins, & à l’ardent desir qu’ils avoient que ce repas pust estre digne des augustes personnes, pour lesquelles ils l’avoient fait preparer. Comme ils n’avoient pas preveu que la Compagnie dust estre si nombreuse, la table n’estoit que de quinze couverts. Il y avoit une seconde table pour les Seigneurs qui accompagnoient Monseigneur le Duc de Bourgogne, & comme toutes les Dames ne purent trouver place à la premiere table, il y en eut plusieurs qui se placerent à la seconde, ce qui fut cause que beaucoup d’Officiers n’i purent avoir place, & Mr d’Armenonville s’en estant aperçu, il en fit servir une troisiéme dans son Cabinet. Comme il fallut employer un peu de temps à preparer ces tables, les hautbois jouerent pendant cet intervalle, durant lequel Madame la Duchesse de Bourgogne dansa avec les jeunes Dames de sa suite. On se mit à table à 8. heures ; Monseigneur & Madame la Duchesse de Bourgogne furent servis par Mr & par Me d’Armenonville. Pendant le soupé, on illumina la Cour avec beaucoup de lamperons, afin que la Compagnie en fût éclairée lorsqu’elle sortiroit. Le repas fini, Madame la Duchesse de Bourgogne reprit la danse, afin de donner un air de feste à la reception qui luy avoit esté faite, & Mr d’Armenonville voulant marquer la joye qu’il ressentoit de ce que cette reception avoit esté agreable aux augustes personnes qui luy avoient fait l’honneur de venir chez luy, fit tirer de tres belles fusées volantes, dont il avoit fait provision, dans la pensée qu’il pourroit un jour recevoir l’honneur qu’il reçût ce jour-là. La danse finit à une heure aprés minuit, & toute la Compagnie retourna à Versailles, éclairée par un grand nombre de flambeaux.

[Ceremonie observée à la prise de possession du Prieuré Royal de Poissy, par Madame de Mailly] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 196-208.

L’Article qui suit est bien different de celuy que vous venez de lire.

Je vous parlay il y a quelques mois de Madame de Mailly, Religieuse de l’Ordre de S. Dominique, & Professe du Convent de Poissy, lorsque le Roy la nomma au Prieuré de ce Monastere Royal, vaquant par la mort de Madame de Chaunes, sœur de feu Mr le Duc de Chaunes, Pair de France, Chevalier des Ordres du Roy, Gouverneur de Bretagne, & qui avoit esté fort long-temps Ambassadeur de France à Rome. Le Roy a nommé à ce Benefice pour la premiere fois, & le privilege d’y nommer pour le present & pour l’avenir a esté accordé à Sa Majesté par le Pape, & par un Indult exprés, du vivant même de Madame de Chaunes, en consideration de ce que Sa Majesté a offert de rétablir la magnifique Eglise de ce Monastere Royal, dont le Tonnerre a entierement détruit le toit, qui estoit tout de plomb, ainsi que le comble & la Charpente, qui estoient d’une beauté proportionnée au reste de cette Eglise ; ce qui doit monter à de tres grosses sommes. Ce premier choix ne pouvoit mieux tomber que sur Madame de Mailly. Elle a toutes les grandes qualitez que l’on peut souhaiter dans une personne de sa naissance ; toutes les vertus d’une digne Religieuse, & tout l’esprit & tout le merite qui convient à une parfaite Superieure. Elle n’attendoit que ses Bulles pour prendre possession de ce Prieuré Royal. Les ayant receuës & les ayant faites fulminer, elle alla le deux de ce mois saluer & remercier le Roy, accompagnée de Madame la Marquise de Mailly sa mere, heritiere de la Maison de Montcavrel, de Mr l’Evêque de Lavaur, son frere, de Mr le Marquis de la Vrilliere, Secretaire d’Etat, & de Madame la Comtesse de Mailly sa belle-sœur, Dame d’Atour de Madame la Duchesse de Bourgogne. Le Roy la receut tres-favorablement, & luy parla avec les termes obligeans qui luy sont si naturels, & dont Sa Majesté se sert si à propos, pour honorer les personnes, qui sont encore plus distinguées par une bonne conduite que par une grande naissance. Le lendemain Madame de Mailly, Prieure de Poissy, alla saluer à S. Germain le Roy & la Reine d’Angleterre, qui honorent ce Monastere Royal d’une affection particuliere. De là cette digne Superieure alla à Poissy, où elle arriva sur les trois heures aprés midy, accompagnée de tous ceux qui estoient avec elle lors qu’elle alla saluer le Roy, ainsi que de Mesdames les Marquises de la Vrilliere, & de Listenois, ses niéces, de Madame la Comtesse de Seaux-Tavannes, de Mesdemoiselles de Nesle & de Mailly, aussi ses niéces. Mademoiselle de Mailly est fille de feu Mr le Comte de Mailly, Menin de Monseigneur, & de Madame la Comtesse de Mailly, & sœur par consequent de Mesdames de la Vrilliere & de Listenois ; & Mademoiselle de Nesle est fille de Mr le Marquis de Nesle, qui fut tué au Siege de Philisbourg, qui avoit épousé Mademoiselle de Coligny. Mademoiselle de Nesle, quoy que dans une grande jeunesse, a toutes les vertus & toutes les perfections que l’on peut desirer dans les personnes de sa naissance & de son sexe. Elle joint à beaucoup d’agrément une sagesse & une conduite qui la distinguent. Elle a esté élevée par Madame la Prieure de Mailly sa tante, & elle fait honneur à son éducation. Plusieurs autres personnes de distinction se trouverent à cette Ceremonie.

Les Dames Religieuses conduites par Madame de Livet, Sous-Prieure, vinrent en Communauté & en habit de Chœur à la Grand’ Porte du Convent, pour recevoir une Superieure qu’elles estimoient beaucoup, & qui estoit du choix du Roy, approuvé par le Pape. Le R. Pere Provincial des Jacobins, à la teste des Religieux de son Convent, accompagnoit aussi Madame la Prieure. On ouvrit les deux battans de la grande Porte ; elle entra, selon la coûtume, avec toutes les personnes de sa compagnie & de sa suite, & avec un grand nombre d’autres personnes de tout sexe & de tous états, qui avoient pris soin de s’y rendre de Paris, de Versailles, de S. Germain, & de tous les lieux des environs. Toutes les Dames Religieuses témoignerent leur joye, avec une vraye effusion de cœur. On conduisit au Chapitre Processionnellement, malgré la foule, la nouvelle Superieure. La Communauté marchoit devant elle, & elle avoit à ses costez un Commissaire Apostolique, & le Pere Provincial, Superieur du Convent. Lors qu’elle fut entrée dans le Chapitre, Mr Jousse, Avocat au Parlement, & Notaire au Châtelet de Paris, comme Notaire Apostolique, fit lecture des Bulles en Latin & en François & Mr l’Abbé Audran, Commissaire Apostolique, fit un beau Discours à ce sujet, & avec l’éloquence qui luy a acquis la reputation de grand Predicateur. On conduisit ensuite Madame la Prieure à la Chapelle où se fait l’Office Divin depuis que la grande Eglise a esté si fort endommagée. On y observa toutes les formalitez qui se pratiquent en cas pareil. Aprés que Madame la Prieure eut sonné la Cloche, pour preuve de sa prise de possession, le Commissaire Apostolique la conduisit à sa place du Chœur, & on entonna le Te Deum, qui fut chanté avec l’Orgue. Pendant ce temps-là la Sous Prieure & toutes les Dames Religieuses vinrent donner le baiser de paix, & le recevoir de leur nouvelle Prieure. Le Te Deum finy, le Notaire Apostolique dressa dans le Chœur même l’Acte de prise de possession ; & les Témoins qui y signerent furent Mr l’Evêque de Lavaur, Mr le Marquis de la Vrilliere, Mr l’Abbé d’Abcour, & plusieurs autres personnes de distinction ; ensuite de quoy on mena Madame la Prieure dans son Appartement, que feuë Madame de Chaunes avoit pris soin de rendre propre & magnifique, sans avoir rien d’opposé à la modestie Religieuse. On y trouva une grande Collation, pour les personnes de distinction, & on en abandonna les restes au peuple.

[Ce qui s’est passé à l’Academie Françoise le jour de la distribution des Prix] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 221-237.

Je vous ay parlé de la Messe que Mrs de l’Academie Françoise firent celebrer dans la Chapelle du Louvre, le jour de la Feste de S. Louis, & du Panegerique de ce Saint qui fut prononcé devant cette sçavante Compagnie ; mais je ne vous ay rien dit touchant les Prix de Prose & de Poësie, qu’elle donna l’apresdînée, & qu’elle distribuë de deux ans en deux ans. Voicy le sujet du Prix proposé pour l’Eloquence.

Qu’il ne peut y avoir de veritable bonheur pour l’homme, que dans la pratique des vertus Chrétiennes.

Ce Prix a esté remporté par Mr Hainault, Conseiller au Parlement, & comme il seroit difficile de vous marquer icy toutes les beautez de cette piece, je me contenteray de vous en donner une idée generale.

L’Auteur considere le bonheur que procure à l’homme la pratique des vertus chrétiennes, par trois côtez, par son éclat & son élevation, par sa solidité & par son immensité.

L’éclat & l’élevation de ce bonheur répondent au sentiment vif & pressant que l’homme a de sa grandeur. Il faut que ce sentiment soit satisfait, sans quoy l’homme ne peut estre icy bas parfaitement heureux, & c’est ce que fait la pratique des vertus chrétiennes, soit par la grandeur de son objet qui est Dieu mesme, soit par la grandeur des sentimens qu’elle inspire. Il passe de là à la solidité de ce bonheur, cette solidité, dit-il, en fait le principal caractere : quand l’homme eut pû s’étourdir sur la bassesse & la misere de la creature en faveur des plaisirs qu’il s’en promettoit, elle n’eut pas esté d’ailleurs plus en estat de le rendre heureux ; pouvoit-elle en effet foible & legere, assurer à l’homme un estat fixe & permanent ? elle pouvoit tout au plus amuser ses ennuis en variant ses peines, ou si l’on veut, accordons-luy qu’elle pût quelquefois le mettre dans une situation plus agreable ; mais quoy le parfait bonheur ne sera-t-il qu’un passage continuel du plaisir à la douleur, & de la douleur au plaisir, & l’homme estoit-il destiné à cette étrange vicissitude ?

En parlant de ce qu’il en coûte à nostre vanité dans la poursuite des biens qu’offre le monde.

Formons-nous, dit-il, des projets d’élevation ; que de refus ne nous faut-il pas essuyer de ceux qui peuvent nous en faciliter les moyens ? avec quelle dureté n’exercent-ils pas la superiorité tirannique qu’ils ont sur nous ? & par combien d’amertumes la gloire prepare-t-elle cette coupe empoisonnée qu’elle distribuë à ceux qui la suivent ? il n’en coûte pas moins dans les passions qui paroissent plus tranquilles si nostre cœur devient sensible & cherche à s’attacher à la creature, c’est-là où nostre amour propre est le plus humilié : que de mépris à souffrir d’un objet que souvent on n’estime guere ? par quelle sujetion faut-il gagner un cœur qui ne se donne que par caprice, &c.

Il passe ensuite à la fausse maxime du point d’honneur, & dit, cette maxime du point d’honneur qui ne lave les injures que dans le sang, & qui ne laisse nostre cœur en repos qu’aprés que nous avons vangé l’injure qu’on nous a faite ; qu’est-elle autre chose qu’un aveu honteux & secret que nous faisons à nostre ennemi, de l’avantage qu’il a sur nous ; ne croyons pas que le désordre & les emportemens qui naissent à sa vuë soient les vrais effets d’une ame noble & d’un cœur bien placé, malgré le prejugé general, ces émotions ne font que découvrir à nostre ennemi le trouble dans lequel il a sçu nous jetter, & rien ne le doit tant flatter que cet empire qu’il s’est acquis sur nos sens.

On voit dans le second point, le vuide & le neant de la creature, opposez à l’immuable stabilité du createur. L’Auteur envisage cette verité de deux costez ; l’homme qui fonde son bonheur sur la creature est malheureux, non seulement parce qu’il ne trouve nulle solidité dans les plaisirs ; mais aussi à cause qu’il n’a nulle resource dans ses peines.

Aprés avoir prouvé que ce n’est ni en s’appuyant sur la creature ni en s’appuyant sur soy-mesme, que l’homme peut estre heureux, il ajoûte.

Ah ! Seigneur, ce n’est qu’avec vous, ce n’est qu’en vous qu’on peut goûter dés ce monde une joye solide & un parfait bonheur ; & sur qui pourrions-nous nous reposer plus surement du soin de nostre felicité que sur celuy qui nous connoist mieux que nous-mesmes ? oublions pour un moment l’impuissance de la creature ; supposons encore que le pouvant, elle voulut nous rendre heureux, en trouveroit-elle surement les moyens ? sçauroit-elle écarter à propos ce qui pourroit alterer nostre bonheur ? connoist-elle assez ce qui se passe dans nostre cœur pour ne se pas méprendre aux plaisirs qu’elle nous offriroit ? non non, n’attendons de bonheur que de Dieu seul, cet Estre souverain mesure ses bienfaits à sa puissance ; & comme il est souverainement grand, il n’y a que luy qui puisse nous rendre souverainement heureux.

Le troisiéme point nous donne une démonstration bien nette & bien precise de cette verité, que l’homme n’est heureux icy bas qu’en esperance.

L’homme n’est heureux ici bas que par les plaisirs qu’il espere, & jamais par ceux dont il joüit. Il est aisé d’en appercevoir la raison, son ame incapable de repos, veut estre agitée, semblable en cela au feu qui ne se conserve que par le mouvement ; cette partie spirituelle ne peut demeurer dans un estat d’inaction, il faut qu’elle soit remuée ou par les peines ou par les plaisirs, & le calme seul luy est insuportable ; ainsi pour satisfaire à ce qu’exige sa nature, elle se propose quelques biens vers lesquels toute son ardeur l’emporte ; à la voir s’empresser, on croiroit que la possession va faire tout son bonheur ; mais il est pourtant vray que c’est la recherche seule qui luy en plaist ; incertaine de reussir, la crainte & l’esperance l’entraînent tour à tour & la conservent dans ce mouvement qui luy est si necessaire ; a-t-elle saisi ce qu’elle cherchoit, la voilà certaine de son estat, elle n’a plus rien qui l’anime, & elle va tomber dans l’ennuy, si un nouveau bien offert ne l’entretient dans sa premiere vivacité ; ce ne sera que dans le sejour des bien-heureux que nous jouirons en mesme temps & de nos desirs & de leur objet ; alors l’ame toute entiere ne pourra suffire malgré toute son ardeur aux desirs mesme qu’excitera encore en elle l’objet dont elle jouira, mais icy bas elle est reduite à borner son bonheur à ses esperances, ainsi donc plus nous grossirons ses esperances, plus nous ajoûterons à son bonheur, plus le bien que nous luy representerons à acquerir sera considerable, plus il redoublera son empressement.

Un plus long détail de cette piece me meneroit trop loin ; je finis par la priere à Jesus-Christ.

Auteur de toute felicité, Verbe saint, laissez tomber sur nous quelques gouttes de ce torrent immense de bonheur dont vous enyvrez vos justes ; c’est la conformité parfaite qu’ils ont avec vous qui les rend souverainement heureux : commencez donc nostre bonheur en commençant nostre justice, chaque grace nouvelle ne pourra ajoûter à nostre perfection qu’elle n’ajoûte à nostre felicité.

Le sujet du Prix de Poësie estoit.

Que la sagesse du Roy le rend superieur à toutes sortes d’évenemens.

Ce Prix a esté remporté par Mr Houdart de la Motte, qui a donné depuis peu au public un Recüeil de ses Odes, qui ont esté generalement approuvées. Le beau tour de l’Ode luy estant familier, il s’est servi du talent naturel qu’il a pour faire des Odes, afin de meriter le Prix de Poësie qu’il a remporté. Ce Prix luy ayant esté délivré, il prononça en presence de Mrs de l’Academie & d’une illustre & sçavante assemblée, une Ode qu’il avoit composée à la gloire de Mrs de l’Academie, & pour les remercier du Prix qu’ils luy avoient ajugé. Il avoit trouvé moyen de faire entrer dans cette Ode de nouveaux Eloges du Roy, & differens de ceux qui remplissoient l’Ode, par laquelle il avoit remporté le prix.

Toutes ces pieces ayant esté luës au bruit des applaudissemens souvent réiterez, Mr l’Abbé Abeille qui est du Corps de l’Academie, lut une Epitre sur l’Esperance, adressé à S.A.S. Monsieur le Prince de Conty. Cette Epitre qui estoit en Vers & qui fut fort applaudie, finit agréablement la sceance de ce jour-là, & toute l’Assemblée s’en retourna remplie des belles choses qu’elle avoit entenduës.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 237-238.

Je vous envoyai le mois passé un Air, dont les paroles ont esté faites par Mademoiselle de la Charse, de la Maison de la Tour du Pin. Celles que vous allez lire sont encore de cette spirituelle personne, dont l'esprit n'est pas moins connu que la naissance.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Je vivray sous tes loix, page 137.
Je vivray sous tes loix, adorable Bacchus,
Si tu veux effacer Tircis de [ma] memoire :
Mais il faut que ce soit sans boire,
Un Dieu, dis-je, le veux, il ne faut rien de plus,
Estre Bacchante in partibus,
Peut afranchir mon cœur, & conserver ma gloire.
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[Festes données par Monsieur le Duc d’Albe Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 252-302.

Le Jeudy premier de ce mois, Mr le Duc d’Albe, Ambassadeur d’Espagne, apprit sur les quatre heures & demie du soir, par un Courrier Extraordinaire, que la Reine sa Maîtresse estoit heureusement accouchée d’un Prince le 25. à dix heures dix-sept minutes du matin. À peine S.E. eut-elle parlé au Courrier, qu’Elle monta en Carosse, pour aller porter au Roy cette agreable nouvelle. Elle trouva en chemin Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui alloit à Meudon, où estoit Monseigneur. Ce Duc fit arrêter son Carosse dés qu’il fut à portée d’approcher de celuy de ce Prince, qui fit aussi arrêter le sien en même temps, & qui s’écria, dés qu’il vit venir ce Ministre à luy ; Monsieur, vous nous venez annoncer quelque bonne nouvelle. Ce Duc luy fit aussi-tost part du bonheur que la France partage avec l’Espagne. Ce Prince en témoigna sa joye par des expressions dignes de son cœur & de son esprit ; & aprés mille honnêtetez, qui regardoient personnellement Mr le Duc d’Albe : Allez, Monsieur, luy dit-il, portez au Roy cette heureuse nouvelle, & je vais la porter de vostre part à Monseigneur. Ce Duc rentra dans son Carosse, & il se rendit en diligence à Versailles. Il est aisé de deviner à quel point le Roy fut sensible à ce bonheur & à toutes ses circonstances. Ceux qui ont l’honneur de l’approcher, connurent encore mieux que d’autres, quelle fut en ce moment la sensibilité de son cœur de Pere pour tous ses Enfans, ainsi que pour tous ses Sujets, & la joye qu’elle ressentit du bonheur des Espagnols, qu’il a toûjours honorez d’une vraye affection & d’une estime toute particuliere. Madame la Duchesse de Bourgogne ne fut pas moins sensible à ce bonheur. Elle aime tendrement la Reine sa sœur, Elle en a toûjours parlé avec autant d’estime que d’affection, & Elle a tous les sentimens que peuvent exiger d’Elle & la Cour qui l’admire, & la France qui l’aime & qui l’honore. Toute la Famille Royale à qui Mr le Duc d’Albe fit part de cette agreable & avantageuse nouvelle, en parut également touchée. Le Roy en voulut sçavoir tout le détail ; & sa joye redoubla lors qu’il apprit que la Reine d’Espagne estoit accouchée le jour de S. Loüis, ce qui fit éclater sa Religion & sa pieté. Tout le reste du jour se passa en transports de joye, & en rendant des graces au Ciel. Mr le Duc d’Albe avoit à peine traversé le Cours pour se rendre à Versailles, que la grande nouvelle qu’il y portoit se répandit dans Paris, & elle y devint publique en moins d’une heure. La joye y fut generale, & chacun s’empressa d’en faire part à ses amis.

Madame la Duchesse d’Albe qui ne manque à rien, & qui n’a pas moins de tendresse que de veneration pour la Reine sa Maîtresse, & pour Madame la Duchesse de Bourgogne, suivoit de prés le Duc son époux, & se rendit à Versailles pour saluer le Roy, & pour feliciter cette Princesse, qui a pour Elle de grandes distinctions. S.E. receut aussi du Roy, de Madame la Duchesse de Bourgogne, & de toute la Famille Royale les honnêtetez les plus marquées, & dont elle eut lieu d’estre satisfaite.

Leurs Excellences revinrent ensemble à Paris le Samedy. Leurs ordres estoient donnez pour les magnifiques Festes, qui commencerent dés le Dimanche quatriéme du mois. Tout estoit en mouvement au dedans & au dehors de leur Hostel. Il est grand & beau & richement meublé. Les ruës qui y aboutissent sont larges & belles ; mais il n’y a point de place spacieuse devant cet Hostel, & Mr le Duc d’Albe auroit donné une bonne somme pour en avoir une, où il eut pû faire executer ses desseins. Il fallut se borner au terrain qui est devant son Hostel, & on trouva le moyen de l’orner si avantageusement & avec tant de goust, que l’on n’y pouvoit rien souhaiter.

On remarqua au dehors au tour de tout ce grand Hostel, & en dedans au tour de la grande Cour, de doubles rangs de plaques qui avoient une saillie de 15. ou 16. poulces pour porter de gros flambeaux de cire blanche pour les Illuminations. On en mit aussi un tres-grand nombre au tour de la grande porte, & ils furent placez jusqu’au toît avec beaucoup de symetrie. Vis à vis de ce portail, on avoit pratiqué sur la muraille d’un Jardin qui y répond, un grand Balcon, large & profond, bien couvert & bien tapissé pour y placer les Trompettes, les Tymbales, les Violons & les Haut-bois, dont l’harmonie se fit entendre pendant trois nuits de suite, par une infinité de concerts differens. On éleva en même temps une Pyramide des plus brillantes & des mieux entenduës pour le feu de joye qui se tira le Dimanche. Cette Pyramide estoit au milieu de deux grandes ruës qui se croisent à l’encoignure de cet Hostel.

Elle estoit dans toutes les proportions de l’art. Les ornemens en estoient allegoriques, & les peintures & les reliefs en exprimoient tout à fait bien ce qu’on y avoit voulu marquer. On lisoit aux quatre faces du piedestal les quatre Inscriptions suivantes, en Espagnol, en François, en Latin & en Italien ; & toutes les quatre renfermoient à peu prés le même sens.

I.

Al mayor de los Principes,
A vista del mayor de los Reyes,
El la mejor de las Ciudades,
El mas rendido de los Vassallos.

II.

Au Prince tres-auguste,
Fils du grand Philippe,
Petit Fils de Loüis le Grand,
La fidelité la plus humble.

III.

Spei Patris augustissimi,
Avi potentissimi Proli,
Vtriusque gentis vinculo,
Exultans fidelitas.

IV.

In ossequio d’un augusto natale
In presenza d’un augusto Monarcha
Nel piu bel teatro del mondo
Il piu Reverente de Vassalli.

Les Emblêmes qui suivent ornoient les quatre faces de la Pyramide.

I.

Le Soleil precedé de l’Aurore representée par l’Astre du matin, avec ces mots Espagnols :

Nadie primero que El Alva,
Rendidos cultos ofrece,
Quando & sol nos amanece.

II.

Une nuit obscure avec de grands éclairs & des foudres qui se dissipoient aux premiers rayons du Soleil à l’Orient, avec ces mots :

Tout cede à ma Naissance.

III.

Le Deluge universel & sur des nuës entassées, un Berceau où estoit representé le Prince entouré de l’Arc en Ciel, avec ces paroles :

Hoc erit fœderis signum.

IV.

Un Laurier, du Trône duquel s’élevoient jusqu’au haut de ses branches des Trophées d’armes, sur lesquels estoit le Berceau du Prince, que Pallas berçoit elle-mesme, & de sa pique, elle l’aidoit à prendre de ses mains les branches du Laurier, avec ces mots Italiens.

Su l’armi mauvicino à gli allori.
Sur les armes je suis prés des Lauriers.

La suite fera voir l’effet que tout cela produisit. Ces desseins, ces descriptions & ces Emblêmes sont de Mr Dom Laurenzo de las Llamossas, natif de Lima au Perou, qui a fait l’excellent Panegirique du Roy dont je vous donnay un extrait il y a quelques mois. Il a un tres-beau genie.

Le Dimanche 4e du mois, jour auquel le Roy fit chanter le Te Deum à Versailles, & qui fut le premier jour de cette magnifique Feste. Il y eut un grand dîné & une Compagnie nombreuse & choisie ; mais on est servi pendant toute l’année chez S.E. avec tant de magnificence, que si l’on avoit pu cacher tous les preparatifs des réjoüissances qui devoient commencer le soir, on ne se seroit pas aperçû qu’il y eut dû avoir ce jour-là chez S.E. une Feste extraordinaire. Tout le teste du jour se passa en plaisirs qui se succederent les uns aux autres. Toutes les personnes de la plus grande distinction de la Cour & de la Ville de l’un & de l’autre sexe y avoient esté invitées. Un fort grand nombre s’y rendit sur le soir. Le jeu & plusieurs autres divertissemens y furent continuels. À l’entrée de la nuit, la maison de S.E. parut en feu de tous costés. Toute cette grande Illumination qui dura pendant toutes les trois nuits, estoit de gros flambeaux de cire blanche. À l’égard des Jardins, ils furent illuminez par des lamperons & par des pots qui designoient les parterres.

Quoyque les Cours de l’Hôtel de S.E. soient d’une grande étenduë, la dixiéme partie des Carosses de ceux qui estoient conviez à la Feste n’auroit pû y trouver place, & afin que les Dames, en sortant de leur Carosse pussent descendre à pied par devant la porte, on avoit étendu de grands tapis de Turquie dans la ruë, ce qui leur donna la commodité, ainsi qu’aux Seigneurs de sortir à pied pour voir l’effet de cette Illumination. La Symphonie tenoit agreablement sa partie dans ce grand spectacle. Toutes les fenestres des maisons voisines estoient occupées par des personnes de consideration, & le concours du peuple fut prodigieux dans les ruës. Il n’y eut cependant ny desordre ny embarras à cause des sages precautions qu’on avoit prises.

Mr d’Argenson qui veille à tout, qui ne manque à rien, & qui outre le repos public qu’il a toûjours en vûë, avoit voulu donner à Mr le Duc d’Albe des marques particulieres de sa consideration, en envoyant dés l’entrée de la nuit, les Gardes de la Maréchaussée en juste au corps bleu, galonez d’or, avec leur plume blanche & tres-bien montez, & plusieurs Escoüades du Guet à pied & à cheval. Les Gardes la Maréchaussée toûjours à cheval, se rangerent autour des tapis de Turquie, en face de l’Hostel, pour conserver toûjours libre tout cet espace, pour l’abord & pour le degagement des Carrosses qui y abordoient. Jamais le bon ordre n’a esté mieux observé dans une foule.

Entre neuf & dix heures du soir, on commença à servir le soupé. Le repas fut des plus grands que l’on ait veu à Paris. La premiere table qui estoit en fer à cheval, estoit de cinquante couverts. Chaque service fut d’environ deux cens plats ou hors d’œuvres, & tous les services furent entierement relevez sans qu’il resta un plat du precedent. Tous les plats remplis de ce que la saison avoit de plus nouveau, & tous les mets les plus exquis y furent prodiguez, & la maniere dont le tout estoit disposé, produisoit un agreable spectacle. Quatre Maistres d’Hostel servoient dans le vuide du fer à cheval & les gens de livrée servoient au tour de la table. Les potages y furent servis dans de grandes olles d’argent ou de porcelaine rebordée d’argent. Les entrées estoient de tout ce qu’il y avoit alors de plus rare & de plus exquis. Le Rost y parut surprenant par la diversité & par le gibier le plus rare. L’entremets y fut trouvé des plus singuliers & des plus delicats ; mais rien ne parut plus extraordinaire & plus surprenant que le dessert, que les Espagnols appellent Ramilletté Tout le tour interieur de la table estoit rebordé de pyramides du fruit le plus beau le plus rare & de confitures les plus exquises & les moins communes. Les compotes & les glaces d’une composition singuliere remplissoient le vuide que laissoient entre elles les magnifiques corbeilles d’argent massif & du plus beau travail qui portoient les fruits & les confitures, & d’une symetrie qui faisoit plaisir à voir. Il y avoit au milieu de la table un riche surtout d’argent que S.E. a apporté de Madrid, & qui ne cede en rien aux plus beaux qui ont esté faits. On voyoit aux costez de ce magnifique surtout sur deux corbeilles d’argent des plus belles & des plus grandes, d’un costé, le Roy d’Espagne à cheval avec tous les attributs de ses exploits, & sur tout de la Victoire d’Almanza, & foulant aux pieds la discorde & l’heresie ; & de l’autre, la Reine sur son Trône, tenant entre ses bras le Prince des Asturies qu’elle montre aux quatre parties du monde & aux nations differentes qui dépendent de la Monarchie d’Espagne. La Justice montre au Prince d’une main sa balance, & de l’autre son glaive. Ces deux figures s’élevoient de 15. à 16. poulces de haut sur une terrasse de Chocolat ornée de differents attributs dorez & convenables aux sujets. Leur matiere estoit d’une paste des plus rares & dont on fait les pastilles blanches ; ce qui les faisoit paroistre d’un veritable marbre blanc. La sculpture en estoit belle & bien finie. Les gens de livrée qui servoient à table, n’avoient aucun autre employ. Ils ne portoient ny ne rapportoient les plats. Ce soin regardoit plus de cent personnes differentes, qu’on avoit distribuées par bandes separées, avec des gens sensez qui les conduisoient, pour éviter toute sorte de confusion ; aussi n’y en eut-il aucune. Ceux qui demandoient à boire, trouvoient d’abord à costé de leur assiette une soucoupe avec des carafes des plus excellens Vins de Bourgogne & de Champagne. Les liqueurs qui estoient à la glace, estoient distribuées tout le long de la table, dans de grands sceaux d’argent ou de fine porcelaine richement garnies. Outre le grand nombre de flambeaux qui éclairoient cette table, cinq grands lustres de cristal, portant chacun douze grosses bougies & quantité de girandoles, ornoient & éclairoient ce beau Salon richement meublé, ainsi que le sont pendant toute l’année, les Appartemens de leurs Excellences. Toutes les autres pieces du plain pied estoient ornées & éclairées de mesme. La pluspart des hommes de consideration qui étoient de la Feste, aimoient mieux manger debout derriere les Dames, que d’aller aux autres tables qui leur estoient destinées. Il estoit prés de minuit lors qu’on sortit de cette premiere table. À peine les Dames eurent-elles commencé à se lever, que les fusées & les serpenteaux partirent de tous costez & se repandirent dans les ruës voisines. On courut aux fenestres ; & ces fusées ayant continué pendant quelque temps de partir separées & ensemble, le feu d’artifice commença ensuite & continua sans intervalle un temps considerable. On n’en a peu veu d’aussi beaux ; & on ne comprenoit pas comment on avoit pû rassembler dans un aussi mediocre espace la quantité d’artifices differences qui en partirent. L’invention n’a encore rien trouvé sur cette matiere qui n’y fut réüni & multiplié ; la terre l’air & le Ciel parurent si long-temps en feu sans discontinuation, que tous les spectateurs en furent surpris & charmez, & personne n’en reçût la plus legere incommodité. Pendant que l’artifice joüa, vingt tambours entourerent le feu & se joignirent au bruit de guerre des timbales, des trompettes, des haut-bois & des violons. Les yeux & les oreilles y trouverent un plaisir égal, & ce plaisir ne pouvoit estre plus parfait.

Pendant tout le temps que le soupé dura, on distribua au dehors des pastez, des jambons, du rost & de bons vins aux Musiciens, aux Suisses, aux Gardes de la Maréchaussée, & aux Soldats du guet à pied & à cheval, & à tous ceux qui y estoient employez à quelque chose ; & on en distribua les restes au menu peuple. Le feu d’artifice fut à peine fini, qu’on se mit au jeu & on recommença divers autres divertissemens qui durerent jusqu’au jour. Pendant tout ce temps-là, on ne discontinua pas de servir des fruits, des confitures, des glaces & des liqueurs. Cette distribution continua pendant les deux nuits suivantes. Je ne vous diray point les noms de toutes les personnes de la plus grande distinction qui se sont trouvées à ces Festes, le nombre en estant trop grand. Je vous diray seulement que dés le premier jour, il y eut à la grande table quarante Dames, toutes Princesses, Duchesses ou femmes de la premiere qualité. Monsieur le Duc d’Albe ne put refuser aux grandes instances qu’on luy fit de se mettre à table, mais on ne put jamais l’obtenir de Me la Duchesse son Epouse. S.E. voulut se conserver la liberté d’aller & de venir pour donner par tout des ordres ou des avis, qui pussent remedier à toute sorte d’embarras & au moindre contre-temps. L’air noble, judicieux & aisé qui luy est si naturel se soutint par tout, & il luy réussit si bien, qu’elle ne laissa rien à souhaiter à personne.

Tous les Ministres Estrangers y avoient esté invitez, & Mr l’Ambassadeur de Venise s’y trouva tous les trois jours. S.E. qui a du goust pour toutes les bonnes choses, se récrioit à tout moment sur ce qu’elle voyoit. Parmy les principaux Seigneurs de la Cour qui s’y trouverent, Mr le Duc de Lauzun & Mr le Maréchal de Bouflers, qui sont amis particuliers de Mr le Duc d’Albe, ne se contenterent pas des applaudissemens qu’ils luy donnerent ; ils allerent dés le lendemain à Versailles, & ils rendirent compte au Roy de tout ce qu’ils avoient vû de grand & de magnifique. On sçait qu’ils sont tres-capables d’en juger. Aussi en firent-ils un détail que S.M. écouta avec plaisir. Elle fit des questions & des reflexions qui marquerent assez le plaisir que ce recit luy faisoit. S.M. prit delà occasion de parler des Espagnols avec l’affection & l’estime que S.M. fait toûjours voir pour cette nation, ce qu’Elle se plaist à témoigner dans toutes les occasions qui s’en presentent. Le Roy fit l’éloge de la Maison d’Albe, & il en fit un particulier de Mr le Duc d’Albe qui réunit en luy toute la gloire & toutes les vertus de ses illustres Ancestres. S.M. en parla pendant tout son disné. Ce Prince avoit avant la Feste donnée par Mr le Duc d’Albe, avoit témoigné que les personnes de sa Cour qui avoient esté invitées à cette Feste, luy feroient plaisir de s’y trouver ; & qu’il souhaitoit qu’on eut pour Monsieur & Madame la Duchesse d’Albe, les plus grands égards & les plus grandes distinctions. On ne doit pas s’étonner aprés cela du concours des gens les plus qualifiez que leurs Excellences ont vû chez elles ; ayant d’ailleurs le talent de s’attirer tout au moins l’estime & l’affection de tous ceux qui les connoissent, ou qui ont avec elles la moindre relation.

Nous voicy au Lundy second jour de cette grande Feste. Voyons la difference qu’il y a entre ce qui s’y est passé ce jour-là, & ce qui s’y estoit passé le precedent.

Cette magnificence fut soutenuë avec le mesme éclat pendant les deux jours suivans. Les illuminations en furent égales, la symphonie y fut la mesme, & les mesmes Gardes, les mesmes Suisses & le mesme Guet estoit aussi distribué au dehors.

Comme il y a presentement à Paris un grand nombre d’Espagnols distinguez, de divers Etats du Roy d’Espagne, il y en eut beaucoup au dîné de S.E. où se trouverent peu d’autres personnes. Ils avoient tous des habits richement brodez, & faits exprés pour cette ceremonie. Tous les Gentilshommes & tous les Officiers de son Excellence, avoient fait faire aussi exprés des habits fort riches, suivant l’usage étably chez les Espagnols pour les jours qu’ils appellent Jours de fonction. Toute la livrée de S.E. qui est sans contredit une des plus belles & des plus riches que l’on puisse voir, estoit aussi toute neuve & faite exprés. Vous serez peut-estre bien aise de sçavoir les noms des Sujets du Roy d’Espagne qui sont icy, & qui se trouverent aux Festes données par Monsieur le Duc d’Albe pendant 3. jours. Ce sont Mr le Duc de S. Pierre Grand d’Espagne. Mr le Marquis de la Florida, aussi fameux par une conduite sans reproche, que par ses exploits & le grand nombre des Places qu’il a glorieusement défenduës. Mr le Comte de S. Estevan de Gormas, fils aîné de Mr le Duc d’Escalona Viceroy de Naples, & l’un des plus grands hommes du siecle. Mr le Marquis de Monteleon, connu & estimé par ses longs services & par ses grands succez dans les negociations ; & qui sacrifie à sa fidelité son bien & sa Famille ; & un grand nombre d’autres dont je vous parleray dans quelque autre occasion, & qui meritent tous d’estre connus.

Le jour de la seconde Feste que S.E. donna, tout parut d’abord si simple au dehors de son Hostel, que personne ne s’attendit en y entrant, qu’il dût y avoir ny feu d’artifice, ny rien d’aprochant à ce qu’on y avoit vû de magnifique le jour precedent.

Comme il devoit y avoir grand Bal, on ajoûta au grand Salon de fort beaux miroirs & de grandes glaces aux trumeaux, qui faisoient un tres-bel effet ; & pour empêcher que le parquet ne fust gâté, on étendit de beaux tapis de Perse, sur lesquels on mit la grande table en fer à cheval, afin que ce qui pourroit tomber en servant ou en desservant, ne laissât rien de gluant ou d’humide qui pust faire glisser ceux qui danseroient. Enfin on prit toutes les plus delicates précautions sur tout ce qui pourroit arriver de fâcheux, tant au dedans qu’au dehors.

Dés l’entrée de la nuit la Symphonie recommença par un grand bruit de guerre, & elle continua jusqu’à l’ouverture du bal. À l’heure du soupé on servit un ambigu des plus magnifiques. Outre la bonté & la nouveauté des mets differens, rien n’estoit plus agreable à la vûë que le mélange prodigieux des potages dans de riches olles, d’entrées toutes differentes, de rost de gibier le plus rare, & de magnifiques corbeilles remplies des plus beaux fruits & des plus excellentes confitures. Dans le cours du soupé on releva les entrées, par un grand service d’entremets & le rost par un service entier de glaces. Les liqueurs à la glace y furent servies comme le jour precedent dans des seaux d’argent & de porcelaine. La table estoit remplie d’une partie des mêmes Dames du premier rang qui y estoient la veille, & de beaucoup d’autres de même distinction qui n’y avoient pas encore paru. On ne fut pas moins longtemps à table le Lundy que le Dimanche ; mais on en sortit avec une surprise bien plus grande. On n’avoit vû au dehors aucun artifice preparé. Dés qu’on eut cessé de manger, le signal fut donné pour tirer un feu, ou pour mieux dire, plusieurs, le long des ruës, d’une invention toute nouvelle. Les Dames agréablement surprises coururent aux fenêtres au bruit des fusées, & de l’artifice qui les accompagnoit. Elles virent, le long des ruës, des combats & des ricochets de flammes, qui se rallumoient aprés s’estre éteintes, & qui se jettoient les unes sur les autres, en forme de feu Gregeois. Il partoit en même temps & à la fois, & successivement, de grosses gerbes de feu du milieu des ruës, pendant que des fusées plates alloient au niveau de la terre du bout d’une ruë à l’autre, & que sans discontinuation d’autres fusées s’élevoient au plus haut des airs, tantost separées tantost en girandoles. Il s’est peu vû de spectacle plus curieux ny plus amusant. Aussi les acclamations répondoient-elles de tous costez au bruit de guerre des instrumens qui s’estoient fait entendre la nuit precedente, & le bon ordre ny fut pas moins bien gardé.

À peine ce divertissement fut-il fini, que les violons & les haut-bois se trouverent placez sur les échafaux qu’on leur avoit destinez pour le bal ; & on ouvrit la porte aux masques. Le concours en fut trés-grand, & on dansa presque aussitost aprés l’ouverture du bal dans les sept pieces differentes de ce mesme appartement, ce qui continua jusqu’à sept heures du matin. Mr le Prince d’Espinoy, qui dans un âge peu avancé, a toutes les qualitez que l’on peut souhaiter à une personne de sa naissance, ouvrit le premier bal dans le grand Salon avec Mlle de Bay, fille de Mr le Marquis de Bay, qui commande l’armée d’Espagne sur les frontieres de Portugal. Les Dames qui avoient esté du soupé y danserent les unes aprés les autres. Cependant le nombre de masques grossissoit, sans que les danses y fussent interrompues ny embarrassées, parce qu’outre les Suisses qui estoient dispersez sur l’escalier & aux portes des apartemens, il y en avoit d’autres en dedans, qui arrestoient honnestement tous ceux qui avoient de l’empressement pour se rendre aux lieux où l’on dansoit, & qui faisoient ouvrir le passage aux Dames pour aller occuper les places qui leur estoient destinées. Des Gentilshommes de S.E. qui se tenoient sur le haut de l’escalier, conduisoient les masques les plus distinguez & sur tout les Dames par des endroits qui leur faisoient éviter l’embarras de la foule. Depuis le commencement du bal, jusqu’à sept heures du matin qu’il finit, on servit sans discontinuer toute sorte de liqueurs, de glaces, de fruits & de rafraîchissemens. Trente domestiques de S.E. alloient & venoient sans cesse avec des corbeilles & des soucoupes, & tout y fut prodigué avec abondance. Aussi n’y eut-il aucune espece de contre-temps, malgré l’embarras & la foule. Les violons avoient sur tous leurs échafaux du pain, du vin, des pâtez & des jambons ; les Suisses, les Gardes & le Guet estoient regalez au dehors de la mesme maniere. Toute l’assemblée fut tres-satisfaite ; chacun s’en retourna en donnant des loüanges à S.E. Aussi peut-on dire que dans une Maison Royale, on n’auroit pas eu plus d’égards, plus de menagemens & plus de respect.

Mr le Duc d’Albe se donna de grands mouvemens pendant toute la nuit. Il alla souvent pendant le bal de Chambre en Chambre, & depuis le haut de l’escalier où il paroissoit souvent pour y conserver le bon ordre, jusqu’à la derniere piece où l’on dansoit. Tout s’y passa aussi sans interruption selon ses idées & selon l’envie qu’il avoit que le dernier de tous ceux qui composoient l’assemblée y fut à proportion aussi content que le premier. Aussi n’y refusoit-on rien à personne, excepté que l’on donnoit la preference aux Dames ; mais ceux qui la cedoient, n’attendoient pas long-temps aprés les rafraîchissemens qu’ils demandoient.

La Feste du troisiéme jour peut estre regardée comme un mélange des deux premieres. Tout y fut égal au dehors, à la reserve des feux d’artifice qui dans le mesme goût de ceux du Lundy, furent encore differens & multipliez. Le soupé fut aussi un ambigu ; mais d’une invention nouvelle, & l’embarras y fut encore moins grand, quoyqu’il y eut un plus grand nombre de Dames de distinction. Le bal fut encore plus beau que le precedent ; les masques y vinrent en plus grand nombre, l’ordre y fut égal ; & la profusion qui ne pouvoit aller plus loin, n’y fut pas moindre. Il est étonnant que Mr le Duc d’Albe ait pû resister trois jours & trois nuits à toutes les fatigues qu’il s’est données S.E. Madame la Duchesse d’Albe ne se donnoit guere moins de mouvemens. L’un & l’autre alloient & se trouvoient par tout pour donner à propos des ordres necessaires. Aussi tout s’y est-il passé à leur gloire & à leur satisfaction. On y dansa comme au bal precedent en sept pieces differentes ; les violons & les haut-bois y estoient également bons par tout ; on continua de danser cette troisiéme nuit jusqu’à prés de huit heures du matin ; & on prodigua également aux derniers qui en sortirent, les confitures, les fruits, les glaces & les liqueurs ; de maniere que tout le monde en sortit en s’écriant qu’il ne s’étoit rien vû de pareil.

[Feste donnée par Madame la Nourrice de S.M.C.] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 302-306.

Madame la Nourrice du Roy d’Espagne donna aussi en cette occasion, des marques de la joye qu’elle ressentoit. À peine eut-elle appris la naissance du Prince des Asturies, qu’elle alla à Versailles. Dés que le Roy l’aperceut, S.M. luy dit qu’elle venoit plustost pour recevoir des complimens, que pour en faire ; & en effet, elle en reçût de toute la Cour. Aussi tost qu’elle fut de retour à Paris, elle ne songea qu’à faire preparer une Feste qu’elle donna bien-tost aprés. Toute la façade de sa maison du costé de la ruë fut illuminée avec de gros flambeaux de poing de cire blanche, & le derriere de cette maison, qui donne dans le Jardin du Palais Royal fut aussi illuminé ; mais d’une maniere differente, cette illumination étant composée d’un nombre infini de lamperons, qui representoient un arc de triomphe qui regardoit une allée du Jardin du Palais Royal. Elle avoit aussi fait mettre plusieurs petites pieces de canon dans le même Jardin, avec quantité de boëtes. Il y avoit au devant de sa porte une fontaine de vin pour tous les passans, & une autre dans sa Cour pour les Joüeurs d’instrumens, & pour les domestiques des personnes de qualité qu’elle avoit conviées à un grand repas, qui ne fut pas un des moindres plaisirs de la Feste. On mangea dans un grand Salon orné de glaces, & remply de trés-beaux lustres de cristal, qui estant multipliez dans les glaces, produisoient un éclat des plus brillans, & qui avec celuy des flambeaux qui estoient au dehors, éclairoit tout le quartier. Le bucher d’où sortoit un May, parce que S.M.C. est née le premier jour de May, & que c’est aussi le nom de la Nourrice de ce Monarque, fut allumé par Mr le Curé de S. Eustache, au bruit du canon & des boëtes. On avoit commencé auparavant à tirer des fusées volantes, & le nombre en augmenta lors que le feu commença à brûler. Les violons se firent aussi entendre dans le mesme temps, & pour surcroit de réjoüissances, Madame la Nourrice en habit d’Espagnolette, jetta beaucoup de Monoye au peuple, & une grande quantité de sacs de dragées, accompagnées de confitures seiches. Il y eut ensuite un grand bal, & cette feste qui dura presque toute la nuit, & pendant laquelle on ne cessa point de boire à la santé des deux Rois, finit sans qu’il y eut eu aucun desordre, & chacun s’en retourna fort satisfait en loüant la generosité & la galanterie de Madame la Nourrice, ainsi que son amour pour le Prince qu’elle a eu le glorieux avantage de nourrir.

[Réjouissances faites à la maison de Mr Clement, au sujet de la naissance du Prince des Asturies] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 306-315.

Mr Clement premier Valet de Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne, ayant eu l’honneur d’accoucher la Reine d’Espagne, on a fait pendant deux jours des réjoüissances à son logis, ruë S. Antoine ; il y eut une grande illumination, un tres-beau feu d’artifice, une fontaine de vin qui ne cessa point de couler tant que dura la Feste, qui fut animée par les tambours & par les trompettes de la Ville, & pour empêcher le desordre que la grande affluence du peuple auroit pu causer, on avoit fait venir les Archers du Guet, qui étoient tres-proprement vêtus, & qui se rangerent au tour du feu. Les inscriptions qui remplissoient la façade du Logis de Mr Clement, n’ont pas esté un des moindres ornemens de cette Feste. Ces inscriptions expliquoient le sujet de deux Tableaux qui avoient esté faits exprés, sur la Naissance du Prince des Asturies.

Dans le premier de ces Tableaux, on avoit peint l’Espagne qui présentoit le Prince au Roy de France son bisayeul, & elle témoignoit la joye qu’elle avoit de la Naissance de ce Prince, par les paroles suivantes écrites dans un quadre placé au dessous du premier Tableau. Benedictus Dominus qui non est passus, ut Deficeret Successor Familiæ tuæ. Ruth. 4. Beni soit le Seigneur qui n’a point permis que vostre Famille fût sans Successeur. Et le Roy transporté par les mouvemens d’une tendresse paternelle, sembloit dire au Prince, ces paroles qui étoient écrites dans un quadre qui étoit au dessus du Tableau. Patrem vocabis me, et post me ingredi non cessabis. Jerem 3. Vous m’appellerez vôtre Pere ; parce que vous ne cesserez point de marcher sur mes traces. On ne pouvoit flatter les Espagnols d’une esperance plus douce, qu’en leur promettant une entiere conformité entre le Regne du Prince des Asturies & le Regne de Louis le Grand, soit à cause de la grandeur des évenemens qui le rendront fameux dans les siecles à venir ; soit à cause de la bonté qu’il aura pour les peuples qui luy seront soumis. Le second Tableau répresentoit le Baptême du Prince. On y voyoit Monsieur le Cardinal Portocarero, qui sembloit demander au Roy & à Madame la Duchesse de Bourgogne quel nom ils vouloient luy donner. Et le Roy sembloit répondre. Voca Nomen ejus ; 2 accelera spolia detrahere, festina prædari. Isaï. 8. Appellez-le : hâtez-vous de prendre les dépoüilles ; prenez viste le butin. C’est ainsi qu’on a cru pouvoir exprimer le nom de Louis ; parce que ce nom fait souvenir de la rapidité incroyable des victoires de Louis XIV. On avoit marqué au dessus de ce Tableau la raison pour laquelle ce Prince doit porter le nom de ce grand Saint. Ce n’est pas seulement par ce qu’il est né le jour de la Feste de S. Louis ; mais aussi parce que Fortis in bello, magnus secundum Nomen, maximus in salutem expugnare insurgentes hostes, ut consequatur hereditatem. Ecclesi. 46. Il sera vaillant dans la guerre, aussi grand que le nom qu’il portera, & tres-grand pour le salut & la défense de ses peuples, pour renverser les Ennemis qui s’élevent contre luy, & pour conserver la Couronne qui est son heritage. Sur le trumeau du milieu de la maison, il y avoit trois autres inscriptions qui marquoient les avantages que la Naissance du Prince des Asturies procurera aux peuples. La premiere estoit conçûë en ces termes. Multiplicabitur Imperium ejus, et pacis non erit finis. Isaï. 9. Son Empire s’étendra de plus en plus, & la paix qu’il procurera, n’aura point de fin. On a voulu faire entendre par là que cette Naissance sera avantageuse à nos Ennemis mêmes. La seconde estoit conçûë en ces termes. Et erit Dux ejus ex eo, et Princeps de medio ejus producetur. Jerem. 30. Ce peuple trouvera son Chef au dedans de luy-même : son Prince naistra au milieu de luy. C’est l’avantage particulier que les Espagnols trouvent en cette occasion. Le Prince des Asturies n’est point étranger à leur égard, puisqu’il descend par 8 endroits de Charles V. Roy d’Espagne : & que le sang Espagnol a passé dans ses veines par Marie-Therese d’Austriche Infante d’Espagne Epouse de Louis XIV. & sa Bisayeule ; avantage d’autant plus grand, qu’il sera perpetuel. C’est ce qu’on a voulu marquer par cette autre inscription. Non auferetur Sceptrum de Juda, et Dux de femore ejus. Gen. 49. Le Sceptre ne sera point ôté de Juda, & il y aura toûjours sur le trône des Princes de sa posterité. Cette inscription contient deux parties : la premiere marque combien seront vains & inutiles tous les efforts de ceux qui veulent usurper la Couronne d’Espagne. La seconde fait voir que ce Prince sera la tige d’une longue suite de Successeurs, qui ne sera point interrompuë d’icy jusqu’à la fin du monde ; & que par consequent les Espagnols ne seront jamais exposez à chercher des Princes dans un sang étranger. Sur deux autres croisées estoient deux inscriptions qui marquent l’effet que la Naissance du Prince des Asturies a produit sur les cœurs des Espagnols. Celle de la droite estoit conçûë en ces termes. Super Solium David, et super Regnum ejus sedebit, ut confirmet illud, & corroboret in Judicio et Justitia. Isaï. 7. Il sera assis sur le trône de David, & il possedera son Royaume, pour l’affermir, & le fortifier dans l’équité & dans la Justice. On lisoit ces paroles dans celle de la gauche. Et in Testamentis stetit Semen eorum. Ecclesi. 44. Leur posterité affermit le cœur des peuples dans la résolution de maintenir le Testament (de Charles II.) En effet, quoyqu’on eut crû que l’attachement & la fidelité des Espagnols pour Philippe V. leur Prince legitime, ne pût recevoir d’accroissement ; on a vû cependant redoubler leur zéle & leur amour à la Naissance de ce Prince.

[Te Deum chanté & réjouïssances faites dans toute la Ville de Paris] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 315-325.

Les Réjoüissances dont je viens de vous parler, ont esté faites avant que l’on eust chanté le Te Deum, en actions de graces de la Naissance de Monseigneur le Prince des Asturies, & par consequent avant que celles de la Ville fussent commencées, parce qu’elles ne se font jamais qu’aprés que le Te Deum a esté chanté. Il le fut le 8. de ce mois, aprés que Monsieur le Cardinal de Noailles eut reçû la Lettre du Roy, que j’ay crû devoir mettre icy, quoy que je ne doute point que vous n’ayez déja veu cette Lettre, puisqu’elle a esté renduë publique. Mais les Lettres que je vous écris estant regardées comme des Journaux historiques, on l’y trouvera un jour, lors qu’il sera difficile de la trouver ailleurs.

Mon Cousin, De toutes les marques visibles de la protection dont il a plû à Dieu de favoriser mon Petit-Fils le Roy d’Espagne, depuis qu’il a esté appellé à la Couronne, qui luy appartient par les droits les plus legitimes & les plus sacrez ; il n’y en a point eu de plus éclatante & de plus precieuse que la Naissance d’un Prince des Asturies. Les Espagnols y sont d’autant plus sensibles, qu’ils se sont vûs privez d’un pareil avantage pendant une longue suite d’années : & l’union des deux Couronnes rendant entr’elles les interests communs ; la France ne doit pas donner aujourd’huy moins de marques de joye sur cette Naissance, que l’Espagne en a fait paroître sur celle du Duc de Bretagne. Ces deux Princes assurent également la stabilité des deux Monarchies ; ils ôtent à nos Ennemis communs, la fausse idée de réünion, dont ils faisoient le prétexte le plus specieux de la Guerre qu’ils ont allumée ; & me donnent la satisfaction de voir la possession des deux Royaumes assurée à deux Branches de ma Maison. La juste reconnoissance que je dois à Dieu, unique Auteur de tant de bienfaits, m’engage à vous écrire cette Lettre, pour vous dire que je desire que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Metropolitaine de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le Grand Maître, ou le Maître des Ceremonies vous dira de ma part ; & je luy donne ordre de convier à cette Ceremonie mes Cours, & ceux qui ont accoûtumé d’y assister. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le quatre Septembre 1707.

Le Te Deum fut chanté le 8. & le Parlement se trouva en Corps dans l’Eglise de Nostre-Dame, où toutes les Cours Superieures se rendirent pareillement, aussi bien que le Corps de Ville, & les Ministres Etrangers qui sont en cette Cour. Il y eut le soir du même jour, un grand Repas à l’Hôtel de Ville, servy en Ambigu, où plusieurs personnes de distinction se trouverent. À l’issuë de ce Repas on alluma le Feu qui estoit dressé devant cet Hostel. Il consistoit en une figure de Bronze, qui representoit l’Espagne, tenant d’une main un bouquet de Lys, & s’appuyant de l’autre sur les Colomnes d’Hercule, avec leur Devise ordinaire, Non plus ultra, pour signifier que l’Espagne ne peut trouver de plus fermes appuis, que dans l’union des deux Branches de la Maison Royale de Bourbon, qui regne en France & en Espagne.

On lisoit sur la face du Piédestal, qui regardoit l’Hostel de Ville, l’Inscription suivante.

LUDOVICO MAGNO,
Ex altero nepote Philippo,
Hispaniarum Regi Catholico,
Iterum Proavo,
Inauditam Felicitatem,
Faustis Auspiciis Natam,
Gratulantur,
Præfectus & Ædiles.

Du même costé l’on voyoit au dessus de l’Entablement, la Victoire tenant entre ses mains une Medaille qui representoit Saint Loüis, offrant au Ciel le Prince des Asturies, avec ces paroles d’Horace.

Reddas incolumem precor, & serves animæ dimidium meæ.

Sur les Pilastres on avoit peint les quatre principaux évenemens qui ont précedé la naissance du Prince des Asturies : D’un costé l’on voyoit la bataille d’Almanza, & la reduction des Royaumes d’Arragon & de Valence ; de l’autre les lignes de Stoloffen forcées ; l’Allemagne ouverte aux Armées du Roy, & la levée du Siege de Toulon par Monsieur le Duc de Savoye.

Pendant que l’on tiroit ce feu, on en allumoit un million d’autres dans toutes les ruës de Paris, & l’artifice se faisoit entendre de tous costez, plusieurs particuliers ayant voulu se distinguer, pour marquer leur attachement & leur zele pour la Couronne d’Espagne, & particulierement ceux qui ont le plus de commerce avec les Etats de Sa Majesté Catholique. On vit aussi beaucoup de tables dressées dans plusieurs ruës, où l’on fit boire les passans à la santé des deux Rois & du Prince des Asturies ; & ces Réjoüissances durerent bien avant dans la nuit.

J’ay oublié de vous marquer que le Canon de l’Arsenal, celuy de la Bastille, & celuy que l’on avoit placé dans la Place de Greve, avoient annoncé ces Réjoüissances dés cinq heures du matin, & que le Feu qui estoit devant l’Hôtel de Ville fut tiré au bruit du Canon, aprés que l’on eut admiré plusieurs fusées volantes que l’on tira les unes aprés les autres, qui sont appellées Fusées d’honneur, & qui semblent n’estre tirées que pour avertir que la Feste va commencer.

Le même jour, Monsieur le Cardinal d’Estrées fit aussi chanter le Te Deum dans l’Eglise Abbatiale de S. Germain des Prez.

Le 10. Mr le Chevalier de Castel dos Rios, fils de Mr le Marquis de Castel dos Rios, Grand d’Espagne, & Viceroy du Perou, donna une grande Feste dans le College d’Harcourt.

Le 19. le Roy donna audiance au Pere Perrin, Commissaire General de la Terre-Sainte en France, Gardien du Grand Convent des Religieux Cordeliers de Paris, & Député par le Pere General de son Ordre, qui est Grand d’Espagne. Ce Pere complimenta Sa Majesté sur la Naissance de Monseigneur le Prince des Asturies, & ce Monarque ayant oüy son compliment, dont toute la Cour parut satisfaite, répondit d’une maniere tres-obligeante, & qui fit connoître combien il estoit contant du Pere General du Grand Convent de Paris, & de tout l’Ordre. Le Pere Perrin eut aussi audiance de Monseigneur le Dauphin, & de toute la famille Royale, dont il eut aussi lieu d’estre tres content.

[Réjouissances faites dans la ruë du Roule] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 325-331.

Je dois ajoûter icy la feste qui suit, quoy que j’eusse resolu de ne vous plus parler ce mois-cy de celles qui regardent Paris. Mrs le Leu & le Large, qui sont du nombre de ceux qui ont commerce en Espagne, dont je vous ay parlé cy dessus, donnerent le 8. de ce mois une feste des plus brillantes, & qui fut tres applaudie. Il y avoit au devant de la porte Cochere de leur Logis, une Pyramide suspenduë, toute remplie de Bougies, dont les lumieres qui se répandoient de tous costez, faisoient paroître les Ecussons des Armes d’Espagne, & les paroles de Vive le Roy, la Reine, & le Prince des Asturies. On découvrit en même temps dans le fond de la court du même Logis, qui est tres-spacieuse, une infinité de Bougies & de Lamperons rangez par compartimens le long des fenestres & d’un grand Vestibule, où paroissoit un grand Tableau, dans lequel on voyoit d’un costé l’Espagne, sous la figure d’une Reine vêtuë des Habits Royaux, tenant de la main gauche le Prince des Asturies, & de la droite un Miroir ardent refléchissant les rayons du Soleil sur l’Envie & sur plusieurs animaux ennemis de la lumiere, qui paroissoient tous terrassez de frayeur à la veuë de cet Astre nouveau, avec ces paroles écrites en gros caracteres ; Novo splendore tremiscunt ; faisant allusion aux Ennemis, qui se voyent déconcertez par la Naissance de ce Prince, qui leur ostant tout espoir de pouvoir faire regner des Estrangers en Espagne, doit par consequent réünir tous ses Sujets sous son Empire. Il y avoit à chaque costé de cette Emblême, trois Cartouches ornez de Festons, dans le premier desquels estoit peint l’enfant Frixus monté sur le Belier de la Toison d’Or, avec ces mots, Sibique patrique.

Dans le second, un jeune Hercule écrasant le voleur Cacus dans son antre, avec ces paroles ; Vltor ad antra Caci nascetur.

Dans le troisiéme, un Berceau orné & environné de Lys & de branches d’Olivier, avec ces mots ; Gratos fundent cunabula flores.

Dans le quatriéme un Lion, representant la Nation Espagnole, à l’entrée du Jardin des Hesperides, avec ces paroles, Infanti Domino custodit.

Dans le cinquiéme, une Grenade, avec ces mots, Con la Corona nasci.

Et dans le sixiéme, un Lion, presentant au Soleil qui dissipe des nuages, un bouton de Lys, qu’il tient dans une de ses pattes, avec ces paroles, Inde decus tutamen & ortus.

Il y eut ensuite dans cette grande Cour deux Tables de vingt couverts chacune, qui furent servies proprement par deux Ambigus. Il y avoit aux deux costez de cette Cour des Violons, des Hautsbois, des Timbales & des Trompettes ; & tous ces Instrumens se répondant les uns aux autres, tâchoient à se surpasser, & formoient un concert des plus harmonieux, tandis que pour ne laisser rien à desirer au peuple, qui paroissoit tres content de cette Feste, on avoit eu soin de placer en dehors au premier étage, deux grosses pieces de vin de Champagne, qui couloient dans la ruë sans discontinuer, & qui excitoient tous les passans à prendre part à la joye que ressentoient les Conviez, & à répondre à tous les cris de Vive le Roy, que les Conviez faisoient entendre, & à toutes les santez qu’ils beuvoient. La Feste continua par les Danses, qui ne cesserent que lorsque l’on vit paroistre l’Aurore.

[Nouvelles de Madrid touchant l’accouchement de la Reine d’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 336-353.

À Madrid le 29. Aoust 1707.

Le 25. de ce mois, jour de la feste de saint Louis, la Reine qui avoit bien passé la nuit, sentit à cinq heures du matin de petites douleurs qui cesserent & reprirent de temps en temps jusqu’à neuf heures. Elles augmenterent alors considerablement, jusqu’â dix heures, & elles furent tres-vives depuis dix heures jusques & compris seize minutes & demie que sa Majesté mit au monde un Prince qui comble l’Espagne de joye & de felicitez, qui est beau comme un Ange & qui paroist aussi fort & aussi vigoureux que s’il avoit quatre mois. Dans l’instant de cet accouchement, on envoya des courriers de tous costez. La Reine & l’Enfant joüissent d’une santé aussi parfaite qu’on la peut desirer.

Madame la Princesse des Ursins fait les fonctions de Gouvernante de ce Prince. Le Roy d’Espagne ne pouvoit confier un aussi grand dépost à qui que ce soit qui en fut plus digne que cette illustre Dame.

Les Seigneurs qui ont assisté à l’accouchement de la Reine dans la Chambre jointe à celle du lit & qui ont vû l’Infant dans l’instant de sa Naissance, sont :

Le Cardinal Portocarrero.

Le Grand Inquisiteur.

L’Evesque de Gironde, President de l’Assiente.

Le Commissaire General de la Croisade.

Don Bogia Grand Aumosnier.

Le President de Castille.

Le Marquis de Mansera, President du Conseil d’Italie.

Le Comte de Frigiliano, cy-devant President du Conseil d’Aragon.

Le Duc d’Atrisco, President du Conseil des Indes.

Le Duc de Veraguas, President du Conseil des Ordres.

Le Duc de Medina Cœli.

Le Duc d’Abrantes.

Le Comte de Cartaneda d’Aguilar.

Le Duc d’Avré.

Le Duc de Popoli.

Le Comte d’Aguillar.

Le Duc de Jovenasso.

Le Marquis de Canalles.

Le Duc de Montalto.

Le Duc de Montellano.

Le Marquis de Villagaña.

Le Marquis d’Aytona.

Le Duc de S. Jean.

Le Marquis d’Ariza.

Le Marquis de Priego.

Les Ducs d’Arcos & Baños.

Le Marquis d’Astorga.

Le Connestable de Castille.

Le Duc de Medina Sidonia.

Le Comte de Benavente.

Le Comte de S. Estevan.

Le Marquis de Castel Rodrigo.

Le Comte de Pinto.

Le Marquis de Majorada & Don Joseph Grimaldo en qualité Secretaires d’Etat.

Ministres Etrangers.

Le Nonce du Pape.

L’Ambassadeur de France.

L’Envoyé du Roy d’Angleterre.

L’Envoyé du Grand Duc de Toscane.

L’Envoyé des Cantons Suisses.

Les Envoyez de Modene & de Mantoüe.

Il est impossible d’exprimer la joye dont les peuples sont penetrez. Les Eglises sont remplies de gens qui rendent graces à Dieu de ce grand évenement ; ce ne sont que Festes & réjoüissances publiques.

Mr l’Ambassadeur de France en a fait une magnifique qui a duré pendant trois jours. La façade de son Palais estoit richement ornée ; les portraits du Roy, de sa Majesté Catholique & de la Reine y ont esté exposez avec les ornemens les plus magnifiques. Il y avoit des fontaines de vin qui n’ont point discontinué ; il y a eu musique & symphonie & plusieurs tables ouvertes, qui ont esté servies pendant les trois jours avec toute la magnificence possible.

On a fait une Procession Generale de la Paroisse du Palais à Nôtre-Dame d’Atocha, où le Roy a assisté avec tous ses Conseils & tous les Tribunaux de cette Cour.

Sa Majesté Catholique a fait distribuer de grandes aumosnes, & Elle a pardonné aux Comtes de Palmes, de Lemos, de Monterey & de Puno-en-Rostro, au Marquis del Carpio, à tous les exilez, & même au Duc de l’Infantado qui estoit prisonnier au Chasteau de Segovie, à condition qu’il se retirera à une de ses terres ; mais tous les autres sans exception ont permission de se rendre en cette Cour.

S.M. a accordé la mesme grace à plusieurs Officiers des Conseils, & à d’autres qui estoient prisonniers à Madrid, & dans Alcaçar ou Chasteau de Segovie, pour avoir manqué à leur devoir, lorsque les Ennemis entrerent icy. Enfin S. M. a accordé la liberté à tous les prisonniers, excepté aux voleurs, aux Bohemiens, & à ceux qui ont merité la mort.

On a donné le titre de Prince des Asturies au Prince qui vient de naître, parce que ce titre estoit attaché aux personnes des fils aînez des anciens Rois de Castille.

La Province des Asturies, qui avoit autrefois Titre de Royaume, est une dépendance du Royaume de Castille. Ce petit Estat est remply de Montagnes & de Rochers escarpez, où se cantonnerent le reste des anciens Goths qui furent subjuguez par les Maures il y a plusieurs siecles. Ces Musulmans ne pûrent jamais penetrer dans ces Montagnes, & cette contrée fut la seule qui ne subit point le joug de Mahomet ; & ce fut là où le vray sang Espagnol pullula pendant quelques siecles, & se conserva jusqu’à ce que le valeureux Dom Pelage, qui avoit toûjours conservé une petite Royauté sur ces hauteurs, en descendit, & commença le grand ouvrage de l’expulsion des Maures, qui fut enfin consommé sous les Regnes de Ferdinand & Isabelle, par les soins du Cardinal Ximenés.

Je dois ajoûter ce qui suit à la Lettre de Madrid que vous venez de lire. Le Roy d’Espagne fit aprés les couches de la Reine, un tres-beau Discours à son Conseil, pour luy marquer la raison qu’il avoit euë de pardonner à tous ceux dont vous avez veu les noms dans la Lettre de Madrid. Ce Discours fut tres-touchant, & fit admirer l’esprit & la bonté de ce Monarque, ainsi que l’attention qu’il avoit de se saisir de toutes les occasions qui pouvoient luy fournir les moyens de faire plaisir à ses Sujets de toutes sortes d’états. Si ce Discours peut tomber entre mes mains, je ne manqueray pas de vous en faire part, & je ne doute point qu’il ne fasse beaucoup de plaisir à tous ceux qui le liront, puisque l’on a remarqué que ce Monarque n’a jamais fait de Réponse publique, ni de Discours dans son Conseil, qui n’ayent charmé tous ceux qui les ont entendus. Je vous en ay envoyé quelques fois, qui ont esté admirez de tout le monde.

Le Prince dont la Naissance a causé tant de joye, a esté ondoyé par Dom Carlos de Borja, Archevêque de Trebisonde, qui faisoit les fonctions de Grand Aumônier, assisté de Mrs les Evêques de Girone & d’Oviedo. Les Ceremonies ont esté differées jusques à ce que Mr le Duc d’Orleans puisse se rendre à Madrid ; & alors il sera nommé au Nom du Roy Tres-Chrétien, par S.A.R. & par Madame la Princesse des Ursins. Cependant le peuple, sur la premiere nouvelle de l’accouchement de la Reine, estoit venu en foule dans la place du Palais, & le Roy pour la satisfaction publique, fit porter le jeune Prince sur un Balcon, afin qu’il pût estre veu de cette foule prodigieuse, qui faisoit retentir l’air de cris d’allegresse. La Lettre de Madrid vous a parlé de la Procession qui fut faite, où tous les Conseils assisterent avec le Roy : c’est pourquoy j’ajoûteray seulement icy que le Te Deum fut chanté dans toutes les Eglises, & que l’on fit des feux dans toutes les ruës pendant plusieurs jours. Le concours des peuples fut si grand autour du Palais pendant tous ces jours-là, que le Roy fut obligé de faire porter le Prince sur les Balcons, afin qu’il fût veu de tout ce grand peuple. La Manufacture de Segovie voulant estre la premiere à faire un present au Prince des Asturies, afin de servir d’exemple aux autres, elle a donné mille Varas, qui font sept cens quatorze aunes de tres-beau Drap bleu Turquin, disant que c’étoit pour les langes & les maillots de ce Prince.

Les Réjoüissances qui se sont faites à Sarragosse, ont esté des plus grandes, & l’on en jugera lorsque l’on sçaura qu’elles y ont esté continuées pendant neuf jours ; ce qui en fait plus concevoir que tout ce que je pourrois vous en dire. Le Te Deum y a esté chanté en presence de la Noblesse & des Officiers de Ville, dans l’Eglise de San Salvador. Mr l’Archevêque fit la même Ceremonie, & officia Pontificalement dans l’Eglise de Nostre-Dame del Pilar, où Mr le Comte de Xerena, President, & tous les Officiers de la Chancellerie assisterent en Ceremonie, avec un tres grand concours de Noblesse. La Ville de Burgos a fait faire ses complimens par Mr le Connétable de Castille ; celle de Seville, par Mr le Duc de Medina Sidonia, & par Dom Manuel d’Arias son Archevêque ; celle de Salamanque, par Mr le Comte de Benavente ; celle de Segovie, par Mr le Comte d’Aguilar ; celle d’Avila, par Mr le Comte de San-Esteran. Ils ont tous fait des presens au jeune Prince, à titres de langes : & il arriva les jours suivans des Députez des autres Villes, qui en firent de même. Dom Manuel d’Arias, Archevêque de Seville, a fait de son chef un present de mille pistoles.

La Lettre qui suit vous apprendra ce qui s’est passé à Bayonne, à l’occasion de la Naissance du Prince qui est aujourd’huy l’objet d’un si grand nombre de Festes publiques.

À Bayonne ce 31 Aoust.

La Reine Doüairiere d’Espagne apprit le 28. par un Courrier dépêché exprés par S.M.C. que la Reine son Epouse estoit accouchée d’un Prince sans presque sentir de douleurs, & qu’elle estoit en tres-bon estat, ainsi que le Prince dont il luy apprenoit la naissance. Cette Princesse expedia hier deux de ses Gentilshommes, l’un à Madrid, & l’autre à Versailles, pour feliciter les deux Cours sur cet heureux & important évenement, qu’elle commença de celebrer dés hier, en faisant faire des Illuminations dans son Palais, & par une triple décharge de nostre Artillerie ; ce qui doit continuer pendant trois jours. Elle fit aussi hier chanter un Te Deum en actions de graces, au Convent de la Visitation, où elle assista, & elle alluma ensuite un Feu de joye, qu’elle avoit fait dresser dans une Cour de ce Monastere.

Vous connoistrez dans l’Article suivant avec quel empressement on continuë par tout les Réjoüissances qui font aujourd’huy tant de bruit dans toute l’Europe.

On receut à Balaguer, où l’Armée estoit en quartier de rafraîchissement, le 29 Aoust, la nouvelle de l’heureux accouchement de la Reine d’Espagne. L’Artillerie eut ordre le même jour de faire trois décharges de tout son Canon, & toutes les Troupes de leurs Mousquets & Mousquetons. On mit des lumieres sur toutes les fenestres de la Ville de Balaguer, & le lendemain matin aprés avoir invité tous les Chanoines, Prestres & Religieux de la Ville, avec les Alcades & principaux habitans. Mr l’Abbé Desrabines, Aumônier de Monsieur le Duc d’Orleans, celebra la Messe, au commencement de laquelle il entonna le Te Deum. On chanta ensuite l’Exaudiat, & les Tambours, Fifres & Musiciens chanterent le Domine salvum fac Regem ; & aprés la Messe, Mr l’Abbé Desrabines dit les Oraisons ordinaires. Son Altesse Royale, qui avoit ordonné cette Ceremonie, y assista avec tous les Officiers Generaux, & ceux de sa Maison.

[Journal de tout ce qui s’est passé à Fontainebleau depuis que la Cour a quitté Versailles, dans lequel on trouve plusieurs nouvelles, marquées dans les jours où elles sont arrivées] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 353-382.

Je vous envoye un Journal de tout ce qui a occupé la Cour depuis son départ de Versailles pour Fontainebleau, jusqu’au 30. de ce mois, & vous trouverez ce Journal beaucoup plus exact que ceux dont je vous ay fait part depuis trois années, ayant pris des mesures pour vous en envoyer un cette année aussi complet que vous le pouvez souhaiter, & dans lequel vous puissiez remarquer la même exactitude qui se trouvoit dans ceux que je vous envoyois il y a quelques années. Je dois vous dire, avant que d’entrer dans ce Journal, que vous n’y trouverez pas que le Roy soit tous les jours occupé par autant de plaisirs que le reste de la Cour en prend, S.M. se donnant de grands soins aux affaires de son Etat qui font son unique atachement, quoyque (s’il m’est permis de le dire) Elle ne fasse point parade de son travail. Ce Monarque tient Conseil Royal à l’issuë de sa Messe tous les Dimanches, les Mercredis, & les Jeudis ; S.M. tient le Lundy Conseil de Dépêches ou de Parties, où Elle juge les causes importantes de ses Sujets, lorsque les Parlemens y rencontrent des difficultez ; & quand Elle se trouve interessée dans ces sortes de Causes, c’est un préjugé presque certain qu’Elle prononcera contre Elle même. Le Mardy il y a Conseil de Finances aussi-bien que le Samedy, & le Vendredy Conseil de Conscience, où l’on traite des affaires Ecclesiastiques. Tous ces Conseils occupent le Roy jusques à une heure aprés Midi qu’il se met à table pour dîner, & S.M. les reprend souvent aprés le repas ; & aprés les chasses & les promenades Elle travaille avec ses Ministres qui ont des jours marquez pour raporter les affaires de leurs Départemens, & les affaires extraordinaires qui arrivent, selon la necessité des temps. Cependant ce Monarque ne laisse rien voir qui marque ce grand travail, & l’activité avec laquelle il s’applique aux affaires, & ne laisse voir sur son visage aucun mouvement qui puisse faire deviner les heureux ou malheureux évenemens. Cette égalité jointe à toutes les graces naturelles qui accompagnent tout ce que fait ce Prince, cause l’admiration de ses Sujets, & dont les Etrangers sont toujours si remplis lors qu’ils quittent sa Cour, qu’ils ne sont souvent pas crus chez eux, lors qu’ils raportent de bonne foy ce qu’ils ont veu.

Le 12. de ce mois sur le midi, le Roy partit de Versailles pour aller coucher à Petit-Bourg, qui appartient à Mr. le Marquis d’Antin. S.M. avoit dans son carosse Madame la Duchesse de Bourgogne, S.A.R. Madame ; Me la Duchesse du Lude, Dame d’honneur, & Me la Comtesse de Mailly Dame d’Atour. Les Gardes du Corps, les Gendarmes, les Chevaux Legers, & les Mousquetaires Gris & Noirs étoient disposez par Escadrons sur la route, pour courre les uns & les autres à l’ordinaire, sçavoir les Mousquetaires devant le carrosse de S.M. & les autres Corps aprés le même Carrosse. Le Roy fit trés-obligeamment arrêter son Carrosse à Juvisi pour recevoir des corbeilles de fruits qui luy furent présentées par M. le President Portail, qui a une maison en ce lieu là. S.M. reçut ces fruits avec la bonté qui luy est naturelle, & Elle les presenta Elle-même à Madame la Duchesse de Bourgogne, & à Madame. Ces corbeilles étoient accompagnées d’autres rafraîchissemens dont S.M. remercia Mr. Portail. Avant que d’arriver à Petit-Bourg Elle fut rencontrée par Mr. le Marquis d’Antin, qui étoit venu pour la saluer sur la route, & qui reprit les devans pour la recevoir à Petit-Bourg S.M. y arriva à 4. heures, & aprés être entrée dans l’apartement que ce Marquis luy avoit fait préparer, qu’Elle trouva trés beau, & dont les meubles étoient magnifiques, Elle passa dans un autre apartement, & Elle se rendit ensuite dans les jardins qu’Elle trouva trés-bien entendus. Comme rien n’échape à S.M. de tout ce qui peut regarder l’ordonnance des jardins, & le bon goût, Elle fit connoître à Mr d’Antin ce qu’il pouvoit faire pour les rendre plus agreables, & pour profiter de l’aspect de la Seine, dont la veuë fait une des beautez. Au retour de cette promenade, ce Prince travailla jusqu’à l’heure du souper qui fut servi par les Officiers de S.M. qui s’y étoient rendus la veille. Toutes les tables tinrent comme à Versailles, & furent servies de même, & Mr d’Antin n’eut la liberté que de faire fournir toutes sortes de rafraîchissemens à tous les Officiers de S.M. & à toute la suite de la Cour, comme il avoit fait pendant toute la journée à tous ceux qui étoient venus chez luy. Les Gardes du Corps ne manquerent de rien, & les Gardes Françoises & Suisses ne purent vuider tous les tonneaux de vin qu’on leur distribua.

Le 13. le Roy entendit la Messe dans la Chapelle du Château, pendant laquelle plusieurs Musiciens que Mr d’Antin avoit fait venir de Paris, chanterent un Motet qui fut trés-bien executé. Sa Majesté dîna ensuite, & elle partit à l’issuë du dîné avec la mesme suite qu’elle estoit venuë. Elle arriva à Fontainebleau sur les quatre heures, & Monseigneur & Messeigneurs les Princes qui avoient esté à la chasse du loup ce jour-là, en estoient revenus à l’heure que S.M. devoit arriver, afin de la recevoir à la descente de son carrosse au bas du Fer-à-cheval. Sa Majesté travailla, selon sa coutume, qui est d’employer tous les soirs plusieurs heures à ses affaires.

Le Roy alla tirer dans les Parquets, le 14. Monseigneur alla à la chasse du loup avec Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry. Sur les 4. heures Madame la Duchesse de Bourgogne accompagnée de ses Dames, alla se promener dans la forest ; elle joignit S.M. & ensuite Monseigneur, & ils revinrent ensemble à l’entrée de la nuit. Il y eut grand jeu jusqu’au souper, & le Roy travailla avec ses Ministres.

Il y eut chasse du cerf le 15. S.M. en courut deux de suite ; Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne & tous les Princes estoient de cette chasse. Cette Princesse donna le retour de chasse, qui fut grand. Elle se mit ensuite au jeu avec les Princes, & le Roy s’enferma pour travailler Monsieur le Prince de Vaudemont se récria fort sur la beauté de la chasse, & sur les équipages de chasse de S.M. qui surprirent beaucoup d’Etrangers.

Le 16. le Roy alla tirer dans les Parquets & Messeigneurs les Princes à Samois. Madame de Bourgogne & ses Dames allerent se promener dans la forêt à cheval, en habits d’Amazones, & au retour elles allerent à la Comedie. On representa le Tartufe.

Le Roy reçut le 17. à son lever la nouvelle d’une troisiéme expedition faite par M. le Chevalier de Forbin, & qu’il avoit pris 17. vaisseaux d’une Flotte Hollandoise chargée d’étain, d’argent & de draperies. Messieurs le Camus eurent l’honneur de faire la réverence à S.M. à l’occasion de la mort de Mr le Cardinal Evêque de Grenoble. Le Roy & toute la Cour allerent à la chasse du Cerf, qui fut tres-belle, & le Cerf vint se faire prendre auprés de la caléche dans laquelle couroit Madame la Duchesse de Bourgogne.

Le 18. le Roy alla tirer, & Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne, Messeigneurs les Princes & toute la Cour, se promenerent en carosse & à pied dans le Parc & autour du Canal. Madame de Bourgogne prit le divertissement de la chasse du Renard dans la Bruyere d’Avon. Le jeu occupa ensuite jusqu’à l’heure du souper.

Le 19. Monseigneur, & Madame la Duchesse de Bourgogne, accompagnez de toutes les Dames, coururent le cerf à la Boissiere, & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry allerent à la chasse du sanglier ; il y eut un grand retour de chasse donné par Madame de Bourgogne, & la comedie succeda au repas. S.M. avoit tres expressement deffendu qu’on entrast dans les vignes pendant aucunes chasses, de crainte qu’on ne fit tort à la vendange des particuliers. On avoit appris le matin du même jour, la mort de Mr d’Avejan qui commandoit à Nancy. Ses Emplois furent aussi-tost demandez par plusieurs personnes ; mais S.M. en disposa en faveur des absens. Elle donna son Gouvernement à Mr le Chevalier Bauyn, ancien Capitaine aux Gardes ; le Commandement de Nancy, à Mr de Valeil ; sa Grand’-Croix de l’Ordre de saint Louis, à Mr de Laumont ; & son Cordon rouge à Mr d’Asfeld, & S.M. donna une pension aux enfans du défunt, ce qui marque qu’Elle estoit contente des services du défunt, puisque cette pension ne luy avoit point été demandée.

Le 20. le Roy alla tirer dans les Parquets ; Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne, & Messeigneurs les Princes allerent à la chasse du loup. Les Dames estoient fort parées, ayant des plumets & des cocardes uniformes. Madame de Bourgogne est toûjours precedée dans toutes ces chasses d’un Ecuyer qui court devant elle, & il y en a toûjours deux à ses costez, & toutes les Dames en ont un d’un costé, & un Page de l’autre. Cette galante troupe est toûjours accompagnée d’un grand nombre de Seigneurs. Le Roy donna une pension, & envoya la Croix de S. Louis à Mr Perée Dalion, Commandant d’un Bataillon du Regiment de Vexin, qui a défendu le fort S. Louis à Toulon, avec beaucoup de valeur & de conduite. Sa Famille est originaire de Touraine, & a toûjours esté attachée à nos Rois, tant dans le service militaire, que dans les Charges de la Maison Royale. Mr Perée neveu de celuy dont S.M. vient de recompenser le merite, estant actuellement Huissier de la Chambre ; il possede cette Charge de pere en fils, depuis Louis XI.

Le Roy & toute la Cour se promenerent le 21. dans le Parc, dans les Jardins & autour du canal. Les carosses des Princes, des Princesses & des principales personnes de la Cour, suivent dans ces promenades, & le grand nombre de Seigneurs qui accompagnent ce cortege à cheval, le rendent tres magnifique. Monseigneur alla ce jour là à la chasse du loup.

Le 22. Mr le Marquis de Torcy reçût une Lettre portant que trois Galleres de Naples, & quatre de l’Escadre de Mr le Duc de Turcis, s’estant approchées de Gaëtte, avoient tiré si justement sur les assiegeans qu’elles avoient pris en flanc, pendant que Mr le Duc d’Escalona faisoit une sortie, qu’ils avoient esté obligez de lever le siege avec precipitation, aprés avoir perdu mille ou douze cens hommes. Le Roy alla ce jour-là à la chasse du cerf, & les Dames qui étoient de la partie, y allerent à cheval. Me la Maréchale d’Estrées donna un tres-beau retour de chasse à Monseigneur, à Madame la Duchesse de Bourgogne, à Messeigneurs les Princes, & aux Dames.

Le 25. le Roy alla l’apresdînée tirer dans les Parquets, & Monseigneur alla à la chasse du loup. Toute la Cour s’assembla sur les six heures, & Madame la Duchesse de Bourgogne & les Dames estant fort parées, suivirent le Roy, pour recevoir le Roy, la Reine & Madame la Princesse d’Angleterre, qui arriverent à 7 heures par la Cour des Cuisines. Le Regiment des Gardes formoit une double haye, & les cent Suisses bordoient l’Escalier. Les Balcons & les fenestres de la Cour ovale, estoient remplis de toute la Cour. Le Roy les reçût au grand degré, & donna la main à la Reine. Les Princesses & les Dames étoient rangées depuis le haut du degré jusqu’à l’Apartement de leurs Majestez Britanniques, qui regne tout le long de la Gallerie de Diane, dans laquelle il y a un grand nombre de lustres ; cet Apartement qui en compose plusieurs de suite, étant plus commode pour leurs Majestez, que le superbe Apartement de la Reine Mere, où le feu Roy d’Angleterre logeoit avec la Reine. Le Roy, la Reine & la Princesse d’Angleterre y sont logez separement quoyque les Apartemens se communiquent. La Galerie leur sert de Salle des Gardes. Le Roy ayant conduit leurs Majestez Britanniques dans leurs Apartemens, revint travailler avec ses Ministres. Le Roy d’Angleterre & Madame la Princesse sa sœur, allerent à huit heures au jeu de Madame la Duchesse de Bourgogne jusqu’à l’heure du souper. Le Roy s’y rendit à dix heures, & il alla avec cette auguste Compagnie prendre la Reine à son Apartement. Il y avoit trois fauteüils au soupé. La Reine occupa celuy du milieu ; le Roy son fils celuy de sa droite, & le Roy celuy de sa gauche. Les bouts de la table estoient occupez par Madame la Princesse d’Angleterre, ayant la droite sur Madame la Duchesse de Bourgogne, & par Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, Madame, & Madame la Duchesse d’Orleans. Monseigneur ne se trouva point au soupé, parce qu’il avoit fait un retour de chasse chez luy aprés la chasse du loup. Il y eut Cercle aprés le soupé, & le Cercle fini, le Roy reconduisit leurs Majestez Britanniques dans leurs Apartemens.

Le Roy d’Angleterre commença le 24. ses visites à neuf heures du matin ; il alla chez le Roy, chez Monseigneur, & chez Messeigneurs les Princes. Sa Majesté tint Conseil avant la Messe, afin d’avoir le temps d’y mener la Reine d’Angle-terre, qui tint ce jour-là grande Toilette, où se rendirent Madame la Duchesse de Bourgogne, ainsi que toutes les Princesses, & toutes les Dames de la Cour. Le Roy se rendit à midy chez la Reine d’Angleterre pour la mener à la Messe. Monseigneur, & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, avoient esté le matin à la chasse du sanglier, & ils estoient revenus pour se trouver chez leurs Majestez Britanniques à l’heure de la Messe. Le Roy donna la main à la Reine, precedez de Messeigneurs les Princes, & suivis de Madame de Bourgogne qui donnoit la droite à Madame la Princesse d’Angleterre, de Madame la Duchesse d’Orleans, de Madame la Duchesse, de Madame la Princesse de Conty Doüairiere, & de toutes les Dames magnifiquement parées. On passa par la Gallerie de Diane bordée des Gardes du Corps & des cent Suisses, & remplie d’un fort grand nombre de Seigneurs & de Courtisans, aux travers desquels leurs Majestez passerent pour se rendre à la Tribune, où Elles entendirent la Messe. Cette nombreuse & brillante Cour, ainsi que la beauté de la Musique du Roy, surprirent Madame la Princesse d’Angleterre qui n’estoit point encore venue à Fontainebleau. Quoyque plusieurs des Seigneurs Anglois qui ont l’honneur de suivre leurs Majestez, y fussent venus plusieurs fois, cette magnificence leur parut toûjours nouvelle, & ils ne purent s’empêcher de se récrier, que si leurs Majestez Britanniques partoient de Londres dans l’éclat de leurs plus grandes prosperitez pour venir voir le Roy, il ne seroit pas possible qu’on les reçût avec plus de Majesté & de grandeur, & que ce qui les surprenoit encore d’avantage, estoit que depuis qu’Elles estoient en France, cela ne s’estoit jamais dementi un seul moment, & qu’il leur paroissoit au contraire, que la generosité du Roy augmentoit tous les jours â leur égard. La Cour ne s’aperçut pas comme eux de cette reception, estant accoutumée à voir sans cesse les manieres obligeantes du Roy. Comme il y eut ce jour-là grande chasse du cerf dans la partie de la forest appellée la Boissiere, le Roy dîna à son petit Couvert, & leurs Majestez Britanniques chez Elles. On partit à deux heures pour cette chasse, le Roy seul dans une Caleche, le Roy d’Angleterre dans une autre, & Madame de Bourgogne dans une troisiéme, vêtuë en Amazone, ainsi que toutes les Dames qui suivoient dans d’autres Caleches. Le Roy d’Angleterre monta à cheval au Rendez-vous. La suite estoit nombreuse, & l’on en peut juger par le nombre de chevaux, puisqu’il en sortit cent soixante & dix-sept de la petite Ecurie du Roy, sans ceux qui sortirent de la Grande, sans ceux de toute la Vennerie, & sans ceux des Seigneurs qui avoient suivi. Le Roy d’Angleterre & la Princesse sa sœur, en furent surpris, & donnerent à leur retour des marques de leur étonnement. Cette Princesse n’eut que le temps de s’habiller pour aller à la Comedie. On joüa le Cinna. Le Cercle y fut fort magnifique, & toutes les Princesses & beaucoup de Dames y étoient brillantes de pierreries. Il y avoit sept fauteüils de rang, où estoient le Roy d’Angleterre, & à sa droite Madame la Princesse sa sœur, Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame, & Madame la Duchesse d’Orleans : & Sa Majesté Britannique avoit à sa gauche Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Berry. Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & toutes les autres Princesses & Dames, formoient le Cercle, jusqu’à l’Orqueste. Le souper suivit ce divertissement, & les rangs y furent observez comme le jour précedent. Il est impossible de voir plus de pierreries ensemble, que celles qui servoient de parure à cette auguste Compagnie, qui reconduisit à l’issuë du souper leurs Majestez Britanniques dans leurs Appartemens.

Le même jour Mr Clement arriva d’Espagne, & il parut si reconnoissant des bons traitemens qu’il a receus à Madrid, qu’il ne cessa point de parler, en se loüant de la politesse & de la cordialité des Grands d’Espagne, de Monsieur le Cardinal Portocarrero, & de tous les Seigneurs. Il parla aussi beaucoup de la joye extrême que ressentoit la Nation d’avoir un Prince, & des Réjoüissances extraordinaires qui ont esté faites, & qu’il avoit trouvées par tout sur la route, jusqu’à la derniere Ville de la frontiere.

Le 25. leurs Majestez Britanniques allerent incognito le matin entendre une Messe à la Chapelle, & retournerent chez Elles. Le même jour à midy, le Roy alla aprés le Conseil, prendre la Reine pour aller à la Messe, où l’on alla dans le même ordre que le jour précedent, & où le même concours se trouva. Leurs Majestez dînerent ensuite au grand Couvert du Roy, où toute la Famille estoit. Il y eut l’aprés-dînée une promenade, où toute la Cour parut magnifique. Cette promenade se fit dans les Jardins & autour du Canal, où l’on vit la Chasse des Cormorans. Tous les Carosses de la Cour suivirent ceux de leurs Majestez, qui estoient dans le même Carosse. Il y eut aussi un grand nombre de Seigneurs & de Courtisans à cheval. On joüa ensuite chez Madame la Duchesse de Bourgogne ; ce jeu fut suivi du soupé au grand Couvert.

Vous trouverez à la fin de ma Lettre, la suite de ce Journal.

[Suite des Réjouissances faites en Espagne] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 382-388.

Ne m’estant pas assez étendu dans l’article que vous avez trouvé dans ma Lettre, touchant l’accouchement de la Reine d’Espagne, sur les festes qui se sont faites à Madrid à ce sujet, j’ay crû devoir reprendre cet article, afin que l’on n’y pût rien souhaiter. Les festes y ont duré douze jours ; toutes les maisons de la Ville ont esté illuminées pendant tout ce temps-là avec de la cire blanche ; on y a fait des feux de joye devant toutes les portes, ausquels on peut donner le nom de feux d’artifice, les moindres artisans n’en ayant point fait qui n’en fussent accompagnez de plus ou de moins, selon leur pouvoir. Il y a des Lettres qui portent que Madrid paroissoit toutes les nuits un Mont-Ethna, à cause des feux & des flammes qui en sortoient. Il y avoit pendant le jour diverses Quadrilles de masques, qui alloient en cavalcade par la Ville. Tous les Corps de Métiers ont fait faire des Prieres publiques, que l’on appelle Festes en Espagne, & qui le sont en effet, à cause de la magnificence avec laquelle on décore les Eglises ; de la grande quantité de lumieres que l’on y met ; du grand nombre de personnes qui s’y trouvent, ainsi que de la Musique, accompagnée d’un grand nombre d’Instrumens, & de la Symphonie que l’on y entend tout le jour.

On a remarqué que Madame la Duchesse d’Ossone s’est extrêmement distinguée tant dans ces sortes de festes d’Eglise, que dans celles qu’elle a données tant dedans que devant son Hostel. Elle est niéce de Mr le Connétable de Castille, Mayordome Mayor, que l’on a veu icy Ambassadeur Extraordinaire, pour venir remercier le Roy de la part de la Junta, & de toute l’Espagne, de leur avoir donné pour Roy, Monseigneur le Duc d’Anjou. Il s’acquitta de cet Employ d’une maniere digne de sa naissance & de sa magnificence, & digne de toute la Monarchie d’Espagne. Aussi reçut-il icy tous les honneurs que meritoient sa personne & son Employ. Madame la Duchesse d’Ossonne, qui est une des plus belles & des plus parfaites personnes de la Cour d’Espagne, donna chez elle, en l’absence de Mr le Duc d’Ossonne, qui commande en Andalousie, & qui n’a jamais quitté le Roy son Maistre depuis qu’il le vint trouver en France, que pour l’Employ qu’il occupe presentement : Madame la Duchesse d’Ossone, dis-je, donna une feste des plus magnifiques. Il y eut une grande illumination, de continuels feux d’artifice, un grand repas, & un grand bal qui dura toute la nuit. Toutes les personnes de distinction se sont aussi signalées dans les festes qu’elles ont données, & le peuple les a suivis de bien prés. Ce même peuple ayant demandé avec de grandes instances, une feste de Taureaux, & la dépense en estant fort grande, le Roy a eu de la peine à y consentir ; mais il s’est enfin rendu à l’empressement de ses fidelles Sujets, & aux instantes prieres de la Ville de Madrid, qui a renouvellé ses demandes pour en obtenir la permission. Quoy que la Reine se porte tres-bien, on ne laissera pas d’attendre encore quelque temps, afin qu’elle soit encore plus en estat de joüir de la veuë de ce grand spectacle.

Je dois ajoûter icy à ce que je vous ay déja dit des dons qui ont esté faits en consideration de la Naissance du Prince des Asturies, que les Evêques & le Clergé de Leon & d’Osma, ont envoyé au Roy d’Espagne deux mille pistoles, à cause de la Naissance du Prince, & plus de quarante-deux mille Ecus de Don gratuit. S.M.C. a donné à Mr de Berwick le Domaine des Villes de Liria & de Xerica dans le Royaume de Valence, en titre de Duché, & la Grandesse de la premiere Classe, hereditaire par celuy qu’il luy plaira de ses enfans. Ainsi l’on peut dire, en faisant reflexion sur les differens Dons que S.M.C. fait tous les jours, qu’il suffit de la bien servir, pour ne manquer jamais de bien ni d’honneur.

[Affaires de Flandre] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 397-402.

Depuis ma derniere Lettre, les deux armées de Flandre ont décampé trois fois chacune, sans qu’il se sort passé rien de considerable dans ces décampemens, & l’on peut dire avec justice que Mr de Vendôme s’est acquis beaucoup de gloire par tous les mouvemens qu’il a fait faire à ces Troupes qui ont toujours esté faits fort à propos, puisque jugeant bien que toutes les marches du Duc de Marlborough ne tendoient qu’à se poster de maniere qu’il pust assieger Nieuport sans qu’il pût estre secouru, à moins qu’on ne luy livrast combat, & Mr de Vendôme, par une sage prévoyance, par une vigilance extrême, & par le moyen de ses Espions, dont il reçoit des nouvelles à tout moment, a rompu toutes les mesures d’un General heureux, vif, & entreprenant, ce qui augmente la gloire de ce Prince, qui par les raisons que je viens de dire, a fait faire à Mr de la Motte tous les mouvemens necessaires pour rompre les mesures du vigilant Anglois dont je viens de parler. Mr de Vendôme avoit plus fait encore. Il avoit fait jetter des Troupes dans le Fort de la Kenoque, & il en avoit encore de toutes prestes pour occuper les Dunes, & tous les Postes qui pouvoient rendre l’entreprise sur Nieuport tres-difficile, & même impossible, selon le jugement de plusieurs. Voila ce qui s’est fait pendant tout le mois, ce qui a coûté des soins continuels aux deux Generaux, & qui ne rend pas moins fameux ceux qui réüssissent en parant par leur sçavoir, les coups qu’on leur veut porter, que feroit le gain d’une Bataille où toutes les Troupes auroient part, au lieu que des mouvemens pareils ne sont souvent dûs qu’à leur bonne conduite & à leur experience.

Il y a eu deux Réjoüissances à l’occasion de la Naissance du Prince des Asturies, la premiere s’est faite à Tournay, où l’on chanta le Te Deum dans l’Eglise de Nôtre Dame. Il y avoit deux Dais dans le Chœur ; l’un pour Monsieur l’Electeur de Baviere, & l’autre pour Monsieur l’Electeur de Cologne, qui officia Pontificalement. Toute la Cour de S.A.E. de Baviere, avec un grand nombre d’Officiers, assista à ce Te Deum, aprés quoy on fit une triple décharge dans les trois signes de l’Armée, ainsi que de toute l’Artillerie de la Citadelle. Mr de Vendôme ne sortit pas de son Camp, dont il ne s’éloigne jamais à cause des frequens Espions qui luy viennent, & des Courriers du Partisan Jacob, qui est presque toûjours à vûë des Ennemis avec 300. Dragons, sans les apprehender. Ce Prince a fait relever les Lignes de Commines.

Les secondes Réjoüissances dont je viens de vous parler se sont faites à Lille, où S.A.E. de Cologne a aussi officié, & elle a donné à cette occasion, une grande Feste à sa Maison de Campagne. Il s’est passé depuis ce temps-là une action assez considerable entre deux partis. Je ne vous en dis rien icy, puisqu’il est parlé de cette action dans la suite du Journal de Fontainebleau, que vous trouverez à la fin de ma Lettre.

[Suite du Journal de Fontainebleau] §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 409-419.

Le 26. leurs Majestez entendirent la Messe à midy, comme les jours précedens, toutes choses estant disposées de même ; & Elles mangerent à leur petit Couvert, à cause des habits de Chasse dont les Dames estoient revêtuës dés le matin, & qui ne conviennent pas au grand Couvert. On alla ensuite à la Chasse du Cerf, dont le Rendez vous estoit aux sentiers d’Avon. Elle fut tres-belle, & on y courut en Caleche, ainsi qu’à la précedente Chasse. Ceux qui ne connoissent pas l’attention du Roy à rendre tout facile, seront surpris que l’on courre le Cerf en Caleche : mais leur estonnement cessera, lors qu’ils sçauront que Sa Majesté a fait faire une infinité de routes dans la Forest, où l’on peut courir comme dans les plus belles allées. Les Princesses avant à leur retour demeuré quelque temps chez elles, elles se rendirent à un grand retour de Chasse, donné par Madame la Duchesse de Bourgogne. Ceux qui furent de ce retour de Chasse estoient le Roy d’Angleterre, Madame la Princesse sa sœur, Madame la Duchesse de Bourgogne, Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, Madame de la Valliere, Madame de la Vrilliere, Madame la Duchesse de Lorge, Madame de Mailly, une Dame Angloise, Madame de Duras, & Madame de Beaumanoir. La Reine d’Angleterre avoit fait quelques visites pendant la Chasse. Les Princesses quitterent leurs habits de Chasse, pour se rendre au souper du Roy en habits ordinaires, où toute la famille Royale se rassembla. On apprit ce jour-là que la Tranchée devoit estre ouverte le 19. de ce mois devant Lerida. On apprit aussi que les Ennemis ayant envoyé un party de 650. chevaux pour passer la Sambre, sous la conduite d’un fameux Partisan, afin de tâcher de penetrer dans l’Artois, Mr de Tournefort avoit marché avec une troupe de Cavalerie de même force ; avoit attaqué ce party & mis en déroute, ayant tué 70. hommes, & pris une centaine, dont le Partisan est du nombre. On reçut aussi des Lettres de Piemont, qui portoient que Monsieur de Savoye avoit voulu surprendre Suze ; mais comme le Chasteau est tres bon, & qu’il y avoit des Troupes à portée d’entrer dans la Ville, on ne crut pas que l’entreprise de Monsieur de Savoye pust reüssir.

Le Roy donna le 27 le Gouvernement d’Orleans, de l’Orleanois, Blaisois & Amboise, vaccant par la mort de Mr le Marquis de Sourdis, à Mr le Marquis d’Antin. Monseigneur, & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry ont esté à la Chasse du Loup, & il y en eut un de pris en deux heures : Ils en coururent un second. Le Roy dîna à son petit Couvert, & leurs Majestez Britanniques dînerent chez Elles. Les deux Rois allerent au sortir de table, tirer dans les Parquets. La Reine, & Madame la Princesse d’Angleterre receurent le soir visite chez Elles. Ce même soir, le Bourgeois-Gentilhomme fut representé avec tous ses ornemens ; & l’on avoit fait exprés venir à Fontainebleau tous les anciens Danseurs qui estoient autrefois des divertissemens du Roy, & dont la pluspart ont dansé à cette Piece, la premiere fois qu’elle fut representée devant Sa Majesté à S. Germain en Laye. Le Ballet qui avoit esté remis par le sieur Pecourt, fut trouvé tres-beau & tres-bien executé. Les voix plurent beaucoup, & ce divertissement, dont les habits convenables au sujet, estoient tres-propres, parut complet. L’on prit beaucoup de plaisir à entendre les Airs Espagnols qui furent chantez. Le Roy & la Princesse d’Angleterre se divertirent beaucoup, ainsi que la nombreuse assemblée qui se trouva à ce spectacle. À l’heure du soupé, le Roy alla prendre la Reine d’Angleterre chez elle, & l’on soupa au grand Couvert ; les Princesses estoient parées à leur ordinaire, excepté que les Garnitures de pierreries estoient differentes.

La Meutte de Monsieur le Comte de Toulouse chassa seule le 28. & ce Prince se trouva à cette chasse où il va souvent, ainsi que Monsieur le Duc qui chasse aussi tres-souvent avec sa Meutte. Monseigneur le Duc de Berry alla tirer ; la Messe se dit à midy à l’ordinaire, & leurs Majestez dïnerent au grand Couvert. On alla l’aprésdînée promener à Franchart, Madame la Princesse d’Angleterre ayant desiré de voir le desert de cet Hermitage qui est un des plus solitaires qu’il y ait au monde, & d’une beauté qui fait souhaiter à tous les curieux de le voir. La promenade fut des plus galantes. Le Roy, la Reine d’Angleterre, Madame la Duchesse d’Orleans Doüairiere, & leurs Dames d’honneur, estoient dans le mesme Carrosse. Le Roy d’Angleterre, Monseigneur, Messeigneurs les Princes, Madame la Princesse d’Angleterre, Madame la Duchesse de Bourgogne, & toutes les jeunes Dames de la Cour estoient à cheval en habit d’Amazones, avec des plumets & des cocardes au Chapeau ; leurs habits estoient magnifiques. Toute cette troupe accompagnoit le Carrosse de S.M. avec un grand nombre de Seigneurs & de Cavaliers. Aprés qu’on se fut promené aux environs de Franchart, on trouva dans le Salon que la Reine a fait bastir sur le haut d’une espece de precipice dont la vûë est tres-agreable, une collation servie en Ambigu, qui y avoit esté preparée par les Officiers de S.M. Cette galante troupe ne revint qu’à l’entrée de la nuit. On joüa au retour, & on soupa ensuite au grand Couvert, où les Dames estoient parées à l’ordinaire.

Leurs Majestez allerent le 29. à la Messe à midy à l’ordinaire. On apprit ce jour-là l’arrivée de Mr le Chevalier de Forbin à Brest, avec les prises dont on a déja parlé. Il en a envoyé une tres-belle Relation au Roy, qu’il finit en assurant S.M. qu’il y a amplement dequoy la dedommager des frais de l’armement, & dequoy en faire un autre tres-considerable. Leurs Majestez dînerent à leur petit Couvert, & allerent l’apresdînée à la chasse du cerf en Caleche. Le rendez-vous estoit à la Croix de Monservel. Il y eut ensuite un retour de chasse qui fut donné par Madame la Duchesse de Bourgogne, où se trouverent le Roy d’Angleterre, Madame la Princesse sa sœur, Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, & les Dames. La mesme Compagnie alla le soir voir une Representation de la Tragedie de Mithridate. Toute cette auguste troupe soupa le soir au grand couvert de Sa Majesté. On apprit ce jour-là la mort de Mr le Comte d’Egmont, qui servoit en Espagne, & qui laisse cinquante mille livres de rente à sa veuve.

Je vous envoyeray le mois prochain, la suite de ce Journal.

Enigme. §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 419-422.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit le Feu. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs Favier ; Berthelot ; Tegor, de la ruë de la Cerizaye ; Mylord des Roches ; Chauxpain ; Berkenhead, Maistre d’Hostel Anglois ; Jacques le Crenés de la Ville du Mans ; Jean Bigot ; René Aubin, de la ruë Trousse-vache ; René Augoüillan du College de Beauvais ; François Jean-Baptiste Tribuot ; Joseph David du Bois ; le Voisin du Dieu des Eaux ; Batouchat ; le Solitaire Que-Mine, & son Amy Darius ; le Berger Musicien, & le petit bon-homme Estienne ; le Marin de Romont en Suisse ; un pensionnaire de Mr Thomas, qui l’a expliquée en vers Latins, & le Chevalier des Avantures en vers François ; Me la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny ; Mlles Finette Mignogne ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la Solitaire de la ruë aux Feves ; la belle Blonde, de Rennes ; la Brune d’Argenteüil ; la belle G.T. de la ruë M. La Dame sans Medecin ; la derniere des trois Sœurs des C. La grosse Mere & sa Sœur de la ruë S. Jacques.

L’Enigme que je vous envoye est de Mr l’Abbé Heral, du Vialar du Tarn, en Roüergne.

ENIGME.

Je suis dés ma naissance, enterré jusqu’au cou,
J’ay soif fort rarement, mais toûjours gueule ouverte,
Dans mon ventre affamé plus d’un sot & d’un fou,
Sans me rassasier ont rencontré leur perte.
Suivant un Proverbe usité,
On tire de mon sein souvent la verité.
Je n’offre à quiconque m’aborde,
Qu’Abyme, Chaînes, Fers, Roüe, Potence & Corde ;
Toûjours pourtant chez moy l’hyver persecuté,
Contre l’Esté trouve un azile,
Que m’emprunte à son tour l’Esté,
Quand l’Hyver décharge sa bile.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 422.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Vous m’avez donc, page 422.
Vous m’avez donc quitté, plaignez mon triste sort,
Ce départ me coute la vie :
Souvenez-vous du moins, Philis, que je suis mort,
Le jour que vous estes partie.
images/1707-09_422.JPG

Avis très important §

Mercure galant, septembre 1707 [tome 9], p. 427-428.

AVIS TRES-IMPORTANT

On debitera le Mercure d’Octobre le 4. de Novembre, & le lendemain de la Saint Martin, sans aucune remise, on vendra la Relation intitulée :

histoire du siege de toulon.

Où l’on voit les raisons politiques qui ont fait agir ceux qui l’ont entrepris, & tout ce qui s’est passé depuis le jour que Monsieur de Savoye est entré en Provence jusqu’au jour que ce Prince en est sorty.

Avec un Plan qui n’a point encore esté vû.

Ceux qui voudront envoyer des Memoires touchant ce Siege doivent les envoyer incessamment.