1708

Mercure galant, février 1708 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1708 [tome 2].
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Mercure galant, février 1708 [tome 2]. §

[Extrait d’un discours prononcé à l’Academie Royale des Sciences]* §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 55-58.

 

Mr Nicolle lut ensuite une dissertation de Mr Carré ; sur la nature des tons, & sur les accords de la Musique ; cette piéce fut écoutée avec beaucoup d’attention ; elle estoit remplie de tout ce que les Anciens ont laissé de plus curieux sur cette matiere ; l’Auteur traita d’abord en habile Physicien, ce qui regarde le son : il combatit ensuite le sentiment ordinaire des Philosophes sur cette matiere, qu’ils font consister dans la vibration, &c. & il proposa une nouvelle Hypothese, qui soutenuë de quelques nouvelles preuves, pourra plaire à ceux qui s’attachent à cet Art. Il prétend que ce n’est point dans la vibration de l’air, mais dans le corps même, c’est-à-dire dans les cordes que le son est formé : il raporta sur ce sujet quelques experiences, qui étant bien verifiées, peuvent servir à prouver son opinion. Mr Carré traita ensuite avec beaucoup d’habileté, tous les accords de la Musique & l’on peut dire qu’il parla de cette matiere en Maître. Il examina toutes les proprietez des tons de cet Art depuis l’Ut jusqu’au  ; il fit connoître ceux qui portent à la joye, ceux qui inspirent de la tristesse, & ceux qui expriment les differens sentimens de l’Ame, comme l’amour, l’indifference, la haine, le repos, l’indolence, &c. il cita plusieurs Autheurs qui ont fait des traitez, ou qui ont parlé sur cette matiere, ainsi que Plutarque, Ciceron, & Saint Augustin. Il raporta les paroles de Platon, qui est que la musique est insuportable aux personnes qui sont dans l’affliction ; musica in luctu tristis narratio.

Le sujet qu’il traitoit lui donna lieu de parler de l’union de l’ame & du corps, sur laquelle les Philosophes ont esté fort partagez, & ce qu’il dit sur ce sujet, parut fort convenable à la matiere qu’il traitoit.

[Relation tres-curieuse de la reception faite à la Reine Doüairiere d’Espagne au Convent des Augustins de Bayonne] §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 158-186.

 

Quoy que la Relation que je vous envoyay de la reception faite à Bayonne à la Reine au Convent des Augustins, le jour de la Fête de S. Augustin, ait merité quelque attention, ce qui s’y est passé ce jour là, estant infiniment plus considerable, que tout ce que je vous en ay dit, & me paroissant digne de vôtre curiosité, & même de celle de toute l’Europe, j’ay cru vous en devoir envoyer un article, remply de plusieurs circonstances, qui vous feront connoître que le zele & la pieté des Peres de ce Convent n’ont pas esté les seules choses qui ont éclaté en cette ocasion. La Reine Doüairiere d’Espagne, qui depuis qu’elle est à Bayonne, a continuellement donné des marques d’une éminente vertu, & d’une pieté tres-exemplaire, ayant souvent visité les Communautez des Religieux & des Religieuses de Bayonne, le Pere Campmartin, Prieur du Convent des Augustins, esperant que cette Princesse leur feroit le même honneur le jour de la Feste de S. Augustin, fit preparer toutes choses long-temps auparavant : il fit travailler presque pendant un mois entier à faire faire plusieurs reparations dans son Monastere, & à faire blanchir toutes les murailles du Cloître, de l’Eglise, des Galleries & des Dortoirs ; il fit orner tous les lieux qui estoient les plus exposez, & il y fit placer des Tableaux. Enfin, ce Pere ayant esté assuré que la Reine se rendroit à leur Eglise, le jour de la Fête de S. Augustin, il y fit tendre de riches Tapisseries, qui formerent un double rang. Elle fut aussi ornée de divers Tableaux, placez dans des lieux convenables, & tout le tour de la même Eglise fut remply de Lustres. Plus de trois cent Cierges allumez, tant sur le Maître Autel que sur toutes les Chapelles de cette Eglise, en faisoient briller l’argenterie & les riches ornemens.

La Reine arriva sur les cinq heures du soir, acompagnée de toutes les personnes de distinction de sa Maison, & de la Ville, qui avoient grossi son Cortege, par un grand nombre de carosses. Le Pere Campmartin eut l’honneur de la recevoir à la tête de sa Communauté, composée de vingt Religieux, dont la plûpart estoient revêtus de Chappes & de Dalmatiques & tenoient des bâtons d’argent. Aprés les Ceremonies accoutumées en pareilles ocasions ; & que le Pere Campmartin eut presenté l’Eau benîte à cette Princesse & le Crucifix à baiser, il luy fit le compliment suivant.

Madame, quelle joye pour nous, de voir Vôtre Majesté pour la premiere fois dans ce saint Lieu, faire tout l’ornement du Sanctuaire. Nous devons ce bonheur au zele & à la pieté dont Elle est animée, afin d’exciter la Foy des Fidéles, & les assujetir par une loy d’exemple, au respect & au culte que la Religion veut qu’ils rendent à la sainteté & à la gloire d’un grand Docteur & d’un saint Evêque, dont nous sommes les enfans, & qui a esté une des plus brillantes lumieres de l’Eglise de Jesus-Christ ; le Soutien & la Colonne de la Maison du Seigneur, de même que celle dont Vôtre Majesté puise son auguste sang, a esté dans tous les temps l’appuy des saints Autels ; & de même qu’elle est encore aujourd’huy le soutien & l’appuy des Trônes les plus élevez du monde Chrétien ; que les démarches de Vôtre Majesté, Madame, nous paroissent belles ? Vous marquez tous vos pas par des œuvres saintes, & par des vertus d’éclat, qui sont utiles à la Religion : vous les accompagnez de cette Majesté de Souveraine, qui nous persuade que tout autre place qu’un Trône eût esté indigne de Vôtre Majesté, de ce grand cœur & de cette magnificence Royale, qui surpassent (si je l’ose dire) Vôtre illustre naissance : cet air obligeant, qui fait que Vôtre Majesté s’abbaisse sans descendre de son rang ; ce qui vous attire tous les cœurs, & ce qui vous a fait regner si glorieusement, sur une des plus puissantes Monarchies de la Terre. Si j’osois, Madame, m’abandonner à mon zele, j’aurois dequoy m’étendre beaucoup, sur un si grand & si noble sujet ; mais je crains de déplaire à Vôtre Majesté : & je sçay, Madame, qu’un Ministre de Jesus-Christ, ne doit ni interrompre, ni même suspendre le Sacrifice que Vôtre Majesté vient luy faire de toutes ses grandeurs, au pied de ce saint Autel. Nos vœux, Madame, vous accompagneront par tout. Nous allons en rendre des actions de graces à Dieu Tout-Puissant, Souverain du Ciel & de la Terre : c’est par luy que les Souverains vivent & regnent ; & nous n’employerons point pour cet effet, d’autre priere que celle que l’Eglise a reçûë du grand Saint Augustin, qui en est l’Oracle : Te Deum laudamus.

Pendant le Te Deum qui fut chanté au son de l’Orgue, touché avec beaucoup de delicatesse, par le Pere Lamarrigue Religieux Organiste de ce Convent, connu par son habileté, la Reine fut introduite dans le Sanctuaire. Le Te Deum fut suivi d’une Oraison pour la Reine ; aprés quoy le Pseaume Diligam te Domine fortitudo mea, fut chanté en Musique avec une tres-belle Symphonie, de la composition de feu Monsieur Gilles, Maître de Musique de l’Eglise de Toulouse, dont les Ouvrages ont toûjours esté fort estimez des Connoisseurs. Ce Motet étoit un des quatre que ce Maître fameux eut l’honneur de faire chanter à Toulouse, lorsque Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry y passerent, & ceux qui l’avoient entendu à Toulouse, trouverent qu’il avoit été tres-bien executé à Bayonne. La Reine assista au Salut, & le Prieur donna la Benediction du Saint Sacrement ; aprés laquelle la Symphonie seule recommença à se faire entendre par des Airs devots & touchans, de la composition du même Maître. Le Pere Prieur & ses Assistants eurent le temps de quitter leurs Ornemens & de revenir se representer devant la Reine pour la supplier de vouloir leur faire l’honneur d’entrer dans l’Interieur du Convent, ce que S.M. leur accorda d’une maniere tres gratieuse & avec des demonstrations d’une tres-grande bonté, en témoignant au Pere Prieur, combien elle avoit été touchée du compliment qu’il luy avoit fait, lorsqu’elle étoit entrée dans l’Eglise, & de la maniere dont il l’avoit prononcé.

Le lieu preparé pour recevoir la Reine, étoit une Salle bien proportionnée, & ouverte en quatre endroits, & dont les croisées qui avoient trois jours chacune étant fort grandes, donnoient lieu d’y respirer un air, dont on avoit grand besoin, à cause du grand nombre de personnes qui se trouverent en ce lieu, & de la grande quantité de lumieres. Cette Salle étoit tenduë d’une tres-belle & tres-riche Tapisserie qui representoit les Conquêtes du Roy en Hollande ; on avoit placé dans le fond un Superbe Dais de drap d’or, avec des Ecussons aux Armes de France & d’Espagne. Il y avoit aux côtez de ce Dais quatre Lustres d’argent à plusieurs branches, & il y avoit sous le même Dais un riche fauteuil sur une Estrade, avec deux carreaux de velours, couleur de feu, ornez de nates & de crespines d’or, l’un étoit dans le fauteuil, & l’autre aux pieds. Ce fauteuil étoit placé entre les Portraits du Roy & de la Reine d’Espagne aujourd’huy regnant. De l’autre côté de la Salle, vis-à-vis le Dais, & le Fauteuil de la Reine étoient le Portrait du Roy au milieu, & aux côtez du Portrait de ce Monarque, étoient ceux de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Madame la Duchesse de Bourgogne. On voyoit encore au milieu du côté droit de la Salle, un autre Portrait du Roy, & aux côtez les Portraits de Monseigneur le Dauphin & de Monseigneur le Duc de Berry. Au milieu du côté gauche de la même Salle, on remarquoit un tres-beau Portrait de la Reine Doüairiere d’Espagne au dessous duquel on avoit placé un tres-beau Clavecin. Le Portrait de Madame la Duchesse d’Orleans Doüairiere, étoit à côté de celuy de la Reine Doüairiere d’Espagne dans une médiocre distance ; tous ces Portraits étoient fort grands & ornez de tres-riches bordures : le reste de la Salle étoit rempli de glaces dans des bordures dorées, & orné de diverses manieres, le tout accompagné d’un grand nombre de lumieres, placées dans tous les endroits convenables pour faire briller tout ce que l’on avoit mis dans cette Salle, & pour faire remarquer un plafond orné de tres-belles Peintures, & d’où pendoient plusieurs grands Lustres remplis de Bougies. On avoit étendu plusieurs tapis sur le plancher de la même Salle ; dans laquelle on avoit dressé trois grands Buffets garnis d’un tres-grand nombre de pieces d’argenterie, de vermeil, & de cristal. Il y avoit sur les mêmes Buffets quantité de flambeaux garnis de lumieres ; on avoit aussi dressé au devant du Fauteuil de la Reine, trois grandes Tables sur une même ligne, & separées par une distance assez considerable. Ces Tables étoient chargées de differentes sortes de confitures, ainsi que des plus beaux fruits de la saison. La Reine considera pendant quelques temps la beauté & la disposition de tout ce Service. Le Pere Prieur suplia ensuite cette Princesse de toucher aux fruits & aux confitures. La Reine se mit à la Table d’un air tres-obligeant ; tout le Service de la Reine étoit de Vermeil, il n’avoit jamais servi à personne, & l’Ouvrage en étoit tres-beau, & la plieure de la Serviette de cette Princesse imitoit sa Couronne.

La Reine mangea, & fit l’honneur au Pere Prieur de boire à sa santé, & elle abandonna les deux Tables qui étoient à la droite & à la gauche de la sienne aux Dames de sa suite, & à celles quelle avoit fait inviter à cette Feste, & cette Princesse leur permit de manger en sa presence. On doit remarquer qu’il n’y avoit de sieges dans la Salle, que le fauteüil de la Reine ; mais seulement un carreau pour Me la Duchesse de Liñarez, sa Camerera-Major. La Reine donna de sa propre main, presque tout ce qui estoit sur sa table, aux personnes les plus distinguées de l’Assemblée, qui bien qu’elle eût esté choisie, se trouva neanmoins fort nombreuse. La Reine voulant combler d’honneur la Communauté des Peres Augustins, voulut bien consentir que l’on reservât des confitures & des fruits pour les porter dans son Palais. Les Buffets étoient remplis de vins de France & d’Espagne, & de diverses autres sortes, ainsi que de quantité de liqueurs & de divers rafraîchissemens à la glace. Pendant tout le temps que l’on mangea, l’Assemblée fut divertie par une tres-belle Symphonie que le Pere Prieur avoit fait placer dans un lieu d’où elle pouvoit être facilement entenduë. La Reine sortit de cette magnifique & brillante Salle, aprés y avoir demeuré pendant deux heures ; & le Pere Prieur, avec de toute sa Communauté, eut l’honneur de l’accompagner jusqu’à la portiére de son carrosse, où cette Princesse lui dit, qu’il estoit trés-dificile de trouver un homme de sa Profession, qui fit les honneurs de sa Maison, avec autant de goût & de magnificence, qu’il venoit de le faire. L’on peut dire, en effet, que le Pere Campmartin, qui est fort estimé à Bayonne, & qui l’a toûjours esté beaucoup par tout où il a esté, a infiniment d’esprit ; & qu’il sçait parfaitement, tout ce qui convient à son estat : Il a de grands talens pour la Prédication, ayant prêché plusieurs Avents & plusieurs Carêmes, dans les plus considerables Villes de la Guienne & du Languedoc : Il est de Toulouse, où il prêcha le Carême dernier, dans la fameuse Eglise Abbatiale de S. Sernin. Sa modestie l’avoit empêché de donner aucun détail de la Relation que vous venez de lire ; & il auroit toûjours continué de le refuser, si le Pere Loüis Durieu du Pradel, Provincial des Augustins dans les Provinces de Toulouse & de Giuenne, en ayant esté informé, ne lui eût écrit ; & ne lui eût même fait une espece de Commandement, de lui envoyer un détail de tout ce qu’il avoit fait, pour signaler son zéle & celui de son Ordre, dans une occasion aussi importante que l’estoit celle où il venoit de le faire paroître. On jugeroit de l’esprit de ce Pere, par la réponse qu’il a faite à ce Prieur, si l’on n’étoit pas déja convaincu par beaucoup d’autres endroits, que le Pere Durieu du Pradel est tres-distingué par sa qualité ; par son grand sçavoir ; par sa vertu, & par sa maniere de parler, d’écrire, de prêcher, & de regir sa Province. Voici sa Lettre ; elle peut servir de modéle aux Superieurs, qui sçavent soûtenir la dignité de leurs Emplois & de leur Charge ; & animer le zéle de ceux qui sont de leur Dépendance, lorsqu’il s’agit de le faire voir, pour la gloire de la Religion ; & pour faire reverer les traits de la Puissance, & de la Majesté du Seigneur, dans la personne d’une Majesté sacrée.

Je vous remercie, mon Reverend Pere, non pas du plaisir que vous m’avez fait, de m’envoyer la Relation de la reception faite à la Reine Doüairiere d’Espagne, dans vostre Eglise & dans vostre Convent, vous me le deviez ; mais, de l’honneur que vous avez fait à nostre Province, & à nostre Robe : je vous dois ce remerciment de sa part ; & je vous felicite du bonheur que vous avez eu, de plaire à cette Princesse, dans tout ce que vous lui avez dit, & dans tout ce que vous avez fait, pour lui témoigner tout vostre zéle. Je n’aprouve pas seulement, ce que vous lui avez dit ; mais je le revere dans son tout, & jusqu’aux syllabes : Tout y doit être regardé comme consacré, dés qu’il est parvenu aux oreilles d’une Majesté sacrée, & qu’il en a esté favorablement écouté. Le moins, que vous y deviez vous mesme ; c’est, de ne rien ajoûter, ou de ne rien changer, à ce qui vous a paru du goût d’une si Grande Reine. Je ne puis vous dire autre chose ; si ce n’est, que je n’ai pû lire vostre Relation, sans m’attendrir beaucoup sur tout ce qu’elle raporte, & qu’elle représente si naturellement. Encore une fois, je vous en remercie ; faites en plaisir, à ceux que vous jugerez à propos : il ne peut que vous en revenir un trés-grand honneur, si le Public en est informé. Je suis toûjours, mon Reverend Pere, vostre tres-humble, & tres-affectionné Serviteur, F.P. Durieu, Provincial des Augustins. À Bordeaux, ce 17. Septembre 1707.

Le Pere Campmartin se rendit, quelques jours aprés la Fête de S. Augustin, avec une partie de sa Communauté, au Palais de la Reine, pour avoir l’honneur de lui faire ses tres-humbles remerciemens : S.M. lui fit celui, de lui donner une audience en forme. Il fut conduit dans son Apartement, par Madame la Duchesse de Liñarez, sa Camerera-Major, & par Mr le Comte d’Albe, son Majordome : Et cette Princesse eut la bonté de lui dire, que depuis qu’Elle estoit en France, Elle n’avoit pas eu une journée, qui lui eût paru aussi agreable, que celle du jour de la Fête de S. Augustin.

Epithalame §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 237-244.

Je crois que l’Epithalame qui suit, tiendra bien sa place aprés les Mariages que vous venez de lire. Cet ouvrage est d’un Auteur fameux, & il a été fait pour un Mariage de consequence qui fut celebré le mois passé.

EPITHALAME.

De vôtre fête, Hymen, voicy le jour.
N’oubliez pas d’en avertir l’Amour.
Quand Jupiter pour complaire à Cibelle,
Eut pris congé du joyeux Celibat,
Il épousa, malgré la Parentelle,
Sa sœur Junon, par maxime d’Etat.
Nopces, jamais ne firent tel éclat ;
Jamais Hymen ne se fit tant de fête :
Mais au milieu du celeste Apparat,
Venus, dit-on, crioit à pleine tête,
De vôtre fête, Hymen, voicy le jour.
N’oubliez pas d’en avertir l’Amour.
***
Venus parloit en Déesse sensée.
Hymen agit en Dieu tres-imprudent.
L’Enfant aislé sortit de sa pensée,
Dont, contre luy, l’Amour eut une dent,
Et de là vint, que de colere ardent,
Le petit Dieu toujours luy fit la guerre,
L’angariant, le vexant, l’excedant
En cent façons, & chassant sur sa terre.
De vôtre fête, Hymen, voicy le jour.
N’oubliez pas d’en avertir l’Amour.
***
Malheur, dit-on, est bon à quelque chose,
Le Blond Hymen maudissant son destin.
Même, l’Amour, qui jamais ne repose,
Luy deroba sa torche un beau matin,
Le pauvre Dieu pleura, fit le lutin ;
Amour est tendre, & n’a point de rancune :
Tiens, luy dit-il, ne soit plus si mutin ; fortune.
De vôtre fête, Hymen, voicy le jour.
N’oubliez pas d’en avertir l’Amour.
***
Hymen d’abord se met en sentinelle.
Ajuste l’Arc, & bien-tost apperçoit
Venir à luy jeune & gente Pucelle,
Et Bachelier propre à galant exploit,
Hymentira, mais si juste & si droit,
Que Cupidon même ne s’en pût taire.
Oh ! oh ! dit-il, le Compere est adroit :
C’est bien visé ; je n’eusse pû mieux faire.
Amour, Hymen, vous voila bien remis,
Mais, s’il se peut, soyez long-temps amis,
***
Or voila donc par les mains d’Hymenée
D’un trait d’Amour, deux jeunes cœurs blessez
J’ay veu le Dieu, de fleurs la teste ornée,
Les Brodequins de Perles rehaussez,
Le front modeste, & les regards baissez,
En robe blanche, il marchoit à la feste.
Et conduisant ces amants empressez,
Il étendoit son voile sur leurs testes,
Amour, Hymen, vous voila bien remis,
Mais s’il se peut, soyez long-temps amis,
***
Que faisoient lors les Enfans de Cithere !
Ils soulageoient Hymen en ses exploits :
L’un des flambeaux, éclairoit le Mistere,
L’autre du Dieu, dictoit les chastes loix,
Ceux-cy faisoient raisonner le hautbois,
Ceux-là dansoient Pavane figurée,
Et tous en Chœur, chantoient à haute voix,
Hymen, Amour, Amour, oh, Hymenée,
Amour, Hymen, vous voila bien remis,
Mais s’il se peut, soyez long-temps amis.
***
Enfin finale, aprés maintes Orgies
Au benoist lit, le couple fut conduit,
Le bon Hymen, éteignant les bougies,
Leur dit, Enfans, bon soir & bonne nuit
Lors Cupidon s’empara du reduit,
Et les Amours de rire, & de s’ébatre
Se rigolans, menant joyeux deduit
Et jusqu’au jour faisant, le diable à quatre.
Amour, Hymen, vous voilà bien remis :
Mais, s’il se peut, soyez long-temps Amis.
***
Par tel moyen entre les Dieux Illustres,
L’accord fut fait, & le traité conclu,
Jeunes Epoux, faites que de vingt lustres,
Traité si doux, point ne soit dissolu,
Et puissiez vous devant l’an revolu,
Tant operer, que d’une aimable Mere,
Naisse un beau jour, quelque petit Joufflu,
Digne des vœux, de l’ayeul & du Pere.

Reponse à Phylis §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 244-247.

 

Si l’Auteur des vers suivans n’est pas marié, il paroist par son ouvrage qu’il est du moins fort amoureux. Ces vers ont un tour fort agréable, & ils ont esté fort estimez dans le monde. Ils sont de Mr de Souvenel.

REPONSE A PHYLIS.

Si je vais chez vous rarement
Philis, pourquoy s’en prendre à mon indiference ;
Ma raison me deffend d’en agir autrement
Et c’est bien malgré moy que j’use de prudence ;
Mais enfin quand le Ciel voulut former mon cœur,
Il le forma pour mon malheur
Si prompt à s’enflamer, si sensible, & si tendre
Que dés qu’il voit deux yeux & doux & languissants
Il cherche en vain à s’en deffendre
Aussi-tost mille traits perçants
Malgré tous ses efforts l’obligent à se rendre.
Que faire helas ! dans cette extremité ?
De son propre malheur, on se trouve enchanté,
On veut toûjours revoir l’objet que l’on adore,
Tout choque, tout déplaist quand on est loin de luy,
Et plus on le revoit, plus on se plonge encore
Dans le chagrin & dans l’ennuy.
Je sçay ce qu’il en est, je tâche d’être sage
Et je me trouve d’autant mieux
Que je m’expose moins à l’éclat de vos yeux ;
Cessez donc d’en tirer quelque mauvais presage,
La beauté, les amours, les graces, & les ris
N’en sont pas moins vôtre partage,
Vous n’en estes pas moins la charmante Phylis.
Peut-estre même helas ! que malgré mon courage
Rempli du même feu que je veux éviter,
Je me sens déja transporter …
Ah ! ne me pressez pas d’en dire davantage.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 247-248.

 

Les chansons à boire étant pendant le Carnaval, plus en regne que les autres, je vous en envoye une.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Chantons le pouvoir de Bacchus, doit regarder la page 248.
Chantons le pouvoir de Bachus,
Goutons le jus que sa treille nous donne :
  Sans ce doux jus
Croire qu’une fête soit bonne ;
  C’est un abus,
Chantons le pouvoir de Bachus.
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[Divertissemens du Carnaval, à la teste desquels on trouve un prelude tres-curieux] §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 294-320.

 

Le divertissement du Carnaval ayant commencé à la Cour, dés le mois passé, & vous en ayant parlé dans ma derniere Lettre, il ne me reste à vous entretenir que de ce qui s’est passé à cet égard, depuis le commencement de ce mois, jusqu’au 21. que le Carnaval a finy. Les Etrangers qui sont icy (la guerre ne pouvant empêcher qu’il ne s’y en trouve toujours quelques uns) ont esté surpris de voir que les choses se sont passées, d’une maniere toute contraire à ce que l’on publie dans leur Païs, de la situation où se trouve la France, & ils ont bien connu que l’on cherche à tromper les Peuples des Nations qui sont en guerre, afin de leur en faire supporter plus patiemment le joug & les frais. En effet, dans quelque situation que puisse estre la France, elle doit toujours plus esperer que craindre, du côté de ses Troupes. Il est vray que depuis quatre ans, ses affaires ont esté derangées par trois de ces évenemens, dont il faut souvent plusieurs siecles, pour en produire de pareils ; mais on doit remarquer que dans ces évenemens, la valeur n’a point manqué aux Troupes ; & que si par des fatalitez où je ne dois point entrer, elles ont eu le malheur de perdre quelque place seulement, parce que l’on estoit fort avancé dans le Païs Ennemy, les Alliez ont cherement acheté ces avantages, les François n’aïant sucombé qu’aprés avoir fait perir, par le fer & par le feu, un grand nombre de leurs Ennemis. Ainsi si l’on fait reflexion sur cette valeur, & sur ce qui s’est passé depuis 1672. on trouvera qu’ils ont gagné plus de 30 Batailles complettes, ou pour mieux dire, qu’ils n’en ont livré aucune, sans avoir pleinement triomphé ; & il paroît aujourd’huy qu’ils sont plus en estat que jamais de faire la même chose, & même en estat de faire remettre sous la puissance du Roy d’Espagne, les Etats que d’infideles Sujets avoient fait livrer à ses Ennemis. Le Roy a de bons Generaux à la tête de ses Troupes ; la valeur des Officiers a esté souvent éprouvée ; tous les Soldats sont de bonne volonté, & il paroît tous les jours que la France n’est pas épuisée d’hommes, & que l’on en levera autant que l’on voudra, toutes les fois que l’on sera en estat de le faire. Il est constant que l’argent est abondant en France ; quoy qu’il y ait des temps où l’on a de la peine à le faire circuler ; le Royaume en est infiniment plus remply qu’il n’estoit à la fin de la derniere guerre ; les raisons en sont évidentes, & je ne crois pas qu’il soit necessaire de les raporter. Cependant, à peine la paix eut elle esté concluë, que la crainte d’un rabais fit voir que la France estoit toute d’or, & que chacun s’offroit l’un à l’autre, de l’argent, pour une année, sans aucun interest. Ce Royaume sera toujours le plus pecunieux Etat du monde. Son industrie l’enrichira toujours, & les Etrangers, quelque deffense que l’on fasse dans leurs Etats, rechercheront toujours toutes les nouveautez que ses modes produisent, & quand ce qui vient des Nations les plus éloignées, a passé par les mains des François, tous les Habitans du monde marquent de l’empressement pour en avoir. Je pourois en donner des milliers de preuves incontestables ; mais tous les Etrangers en sont si bien informez, que je ne crois pas me devoir donner cette peine. Si ceux qui ont cru que la France estoit perduë, à cause des trois revers de fortune, qui l’ont empêchée d’étendre ses conquêtes, depuis quatre ans, aussi loin qu’elle auroit pû faire, se vouloient donner la peine de reflechir sur la situation de ses affaires, ils verroient qu’elle n’a pas perdu plus de deux ou trois places, depuis le commencement de cette guerre, & que ce qu’elle a gagné sur ses Ennemis, & dont elle est aujourd’huy en possession, est infiniment plus considerable. Je m’étendrois davantage là dessus, si je n’avois resolu de ne point finir ma lettre sans vous parler de la situation des affaires presentes, ce qui achevera de faire connoître à ceux qui sont toûjours acompagnez d’un esprit de crainte que l’on a pû, & que l’on a dû se divertir à la Cour, de la maniere que l’on a fait pendant tout le Carnaval, & je défie le plus entesté de faire voir qu’il y ait un seul mot, contraire à la verité, dans tout ce que je viens de dire.

Je reviens aux divertissemens du Carnaval, dont j’ay commencé à vous parler le mois passé ; ils ont recommencé ce mois-cy par un Bal que le Roy donna dans son grand appartement, & où il fut permis à tous les Masques d’entrer ; j’aurois beaucoup de choses à vous dire de ce divertissement, si je ne vous avois pas fait le mois passé une description de ce superbe apartement, & de la maniere qu’il avoit été decoré pour le divertissement que le Roy y donna la veille de la Fête des Rois. Je ne pourois d’ailleurs vous rien dire de la collation, qu’il ne soit aisé de s’imaginer, la magnificence du Roy étant connuë, ainsi que la maniere de servir de ses Officiers.

Quant à ce qui regarde les personnes Masquées qui parurent dans ce Bal, personne n’ignore dequoy les François sont capables ; que rien ne leur coûte lorsqu’il s’agit de paroître devant leur souverain, & qu’étant aussi galants qu’inventifs, il se trouva à ce Bal, un tres-grand nombre de Masques, dont les habits aussi riches que singuliers, n’étoient pas moins dignes de l’attention du public par leur invention que par leur richesse.

Madame la Duchesse de Bourgogne alla quelques jours aprés chez Me de Chamillart, à qui elle avoit demandé un Bal quelque temps auparavant, & cette Princesse s’y rendit accompagnée de Monseigneur le Duc de Berry, de plusieurs Princes & Princesses, & de la plus grande partie de la Cour. L’Assemblée y fut aussi magnifique que nombreuse ; & l’on y dança dans trois differentes Salles tres bien illuminées. La collation étoit dressée dans une grande gallerie ; ainsi l’on doit juger que rien n’y manquoit de toutes les choses necessaires dans une pareille occasion. Madame la Duchesse de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry furent servis par Mr le Duc de la Feüillade, & par Mr le Marquis de Cany. Quoyque l’Assemblée fut des plus nombreuses, l’ordre ne laissa pas d’y être admirable, ce qui est aussi rare que difficile.

Madame la Duchesse de Bourgogne donna quelques jours aprés un grand Bal dans son Apartement, où toute la Cour se trouva, ainsi qu’un grand nombre de Masques venus de Paris, à qui il fut permis d’y entrer, cette Princesse ayant declaré quelques jours auparavant qu’elle donnoit ce Bal en consideration des Dames de Paris, qui de leur côté y parurent avec le plus d’éclat qu’il leur fut possible. Je ne vous raporte rien de la Magnificence de ce Bal, puisqu’il suffit de vous dire qu’il étoit donné par Madame la Duchesse de Bourgogne. On ne peut rien ajoûter à la beauté de la collation qui fut dressée dans deux chambres de l’Apartement de Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui joint celuy de la Princesse qui donnoit ce Bal.

Monseigneur le Dauphin a aussi donné toutes sortes de divertissemens, & il y a souvent eu chez ce Prince, Jeu, & Musique, & tout s’est enfin passé en plaisirs à Versailles, jusques au jour que la Cour en est partie pour Marly, afin d’y prendre de nouveaux divertissemens pendant tout le reste du Carnaval.

Pendant les trois derniers jours, il y a eu quatre grands Bals. Il y en eut un le Dimanche à Seaux, donné par Madame la Duchesse du Maine. Le lundy, il y en eut un à S. Germain en Laye ; donné par le Roy d’Angleterre, & le mardy le Roy en donna un à Marly. Comme les plaisirs ne pouvoient être en tres-grand nombre ce jour-là, Madame la Duchesse du Maine reçût aussi tous les Masques à Seaux, car l’on doit remarquer que tous les Masques furent reçûs dans ces quatre grands Bals.

Les manieres obligeantes & genereuses avec lesquelles L.A. Serenissines, Monsieur & Madame la Duchesse du Maine, reçoivent à Seaux tous ceux qui se donnent l’honneur de les aller voir durant les sejours qu’ils y font de temps en temps pendant tout le cours de chaque année, sont cause que la plus grande partie des personnes distinguées de la Cour & de Paris, se rend à Seaux les trois derniers jours du Carnaval, les portes de cette delicieuse Maison étant ouvertes depuis plusieurs années à toutes les personnes Masquées qui veulent y venir pendant ces trois jours, & je puis dire que l’on n’y va pas ; mais que l’on y vole, s’il m’est permis de parler ainsi, & les ordres sont si bien donnez pour empêcher que personne ne soit incommodé de la confusion causée par les personnes de toutes sortes d’Etats qui se rendent à Seaux pendant ces trois jours, de maniere que par une espece d’enchantement, on y entre sans être obligé d’attendre, quoyque de quart-d’heure en quart-d’heure, on y voye arriver des centaines de Carosses à la fois. Les Courts y sont éclairées de maniere, ainsi que les Escaliers, que l’on diroit que la nuit y fait honte au jour, & on les traverse au milieu d’une grande foule sans se trouver pressé. Tous les Masques trouvent des places malgré la prodigieuse quantité qui y vient de toutes parts. On n’y attend point que le Bal soit avancé pour y servir des colations, & pour y donner des rafraîchissemens, ce que l’on fait pendant que tout le Bal dure : c’est-à-dire, pendant toute la soirée ; & pendant la plus grande partie de la nuit ; mais toutes ces choses touchent moins que l’accueil obligeant que Madame la Duchesse du Maine fait à tout le Monde. Ses airs prevenans & gracieux charment toutes les Assemblées : elle les reçoit d’abord avec des habits dignes de son rang, & de sa magnificence, & aprés s’estre ainsi fait connoître pour marquer le plaisir que luy fait l’empressement que l’on témoigne de venir à Seaux, sans que l’on soit rebuté de la longueur & de la difficulté du chemin : cette Princesse change de plusieurs habits, & se mesle avec les Masques. Enfin elle s’est trouvée par tout pour sçavoir par elle-même ce qui se passoit, & pour voir si ses ordres étoient bien executez. On a chaque jour prodigué dans ces Bals, les plus beaux fruits, & les plus belles confitures seiches, & outre celles que l’on portoit dans les trois Appartemens où l’on dançoit, il y avoit des Buffets garnis de toutes sortes de vins, de diverses liqueurs, & de plusieurs sortes d’eaux que l’on distribuoit en abondance à tous ceux qui venoient en demander.

Outre les divertissemens destinez pour chaque soir, on servoit plusieurs Tables à l’heure du dîné pour les Compagnies qui venoient voir Monsieur & Madame la Duchesse du Maine, & l’aprés dînée, chacun choisissoit le divertissement qui luy faisoit le plus de plaisir. Les uns se plaisoient à entendre des Concerts ; les autres joüoient aux jeux qui sont le plus en usage ; d’autres se divertissoient à joüer à des jeux d’esprit, & enfin, plusieurs se faisoient un plaisir de la conversation, ainsi que de regarder les joüeurs, sur les visages desquels on voit souvent des passions bien naturellement representées. Il s’en faut peu que je n’imite ceux qui ne pouvant sortir de Seaux à cause du plaisir qu’ils y prenoient, ne le purent quitter que lorsque le jour commença à paroître, & j’ay autant de peine à finir cet article qu’ils en avoient à sortir d’un lieu où tout leur faisoit plaisir.

Je ne vous diray rien du Bal qui fut donné le lundy à S. Germain en Laye, parce que l’on ne doit point risquer de parler d’une Feste Royale sans estre bien informé de tout ce qui s’y est passé, & que je ne le suis pas assez pour entrer dans un grand détail. Quoyque ce Bal se soit donné dans un lieu trop éloigné de Paris pour y attirer une grande foule, je suis neanmoins persuadé que l’Assemblée doit avoir été nombreuse, à cause du plaisir que l’on reçoit à voir le Roy d’Angleterre, & Madame la Prince sa sœur, tant on trouve de graces, répanduës sur ce Monarque, & sur cette Princesse. Ils peuvent se vanter de regner sur les cœurs de tous ceux qui les connoissent, ce qui est un grand prejugé que lorsque S.M.B. commandera : dans les trois Royaumes qu’elle tient du Ciel & de sa Naissance, son Empire sera grand sur les Cœurs de tous ses Sujets.

Je devrois vous entretenir du Bal qui fut donné à Marly le dernier jour du Carnaval, & où tous les Masques eurent permission d’entrer ; mais il est des choses dont on ne peut parler sans en diminuer l’éclat, & que le public se represente mieux sur l’idée qu’il s’en forme que sur tout ce qu’on luy en peut dire, & l’article qui regarde le Bal de Marly est de ce nombre. On n’a qu’à s’imaginer pour sçavoir bien-tôt tout ce qu’on en doit penser, tout ce qu’a d’auguste & de galant, la plus brillante Cour de l’Europe, assemblée dans le plus beau lieu du monde ; la magnificence de cette Cour, & le bon air de tous ceux qui s’exposent à danser dans une pareille Assemblée ; ainsi je crois vous avoir beaucoup dit en peu de paroles, & que vôtre imagination doit être aussi remplie de ce Bal, que si je vous en envoyois un article plus étendu.

Je viens d’apprendre beaucoup de choses, dont j’aurois parlé dans l’article des Bals que vous venez de lire, si j’en avois été plûtôt informé. Voicy en peu de paroles, une partie de ce qui auroit dû estre inseré dans ces Articles. Le premier Bal, aprés le retour du Roy de Marly à Versailles avant la fin du Carnaval, a été donné par Monsieur le Prince de Conty. L’entrée en fut permise aux Masques : il fut magnifique & tres-bien entendu, & la nombreuse assemblée qui s’y trouva, s’en retourna fort satisfaite. Il y a eu aussi plusieurs autres Bals hors du Château de Versailles, qui ont été trouvez tres-beaux, & qui ont esté honorez de la presence de la plus grande partie de la Cour, & sur tout celui qui à l’occasion d’un Mariage, a été donné à l’Hôtel de Gondrin par Mrs de Lazur Officiers du Roy. Les rafraîchissemens y furent abondamment distribuez, & l’ordre y fut si bon que nonobstant la foule ; il n’y eut point de confusion.

Je ne vous ay parlé que d’un Bal donné par le Roy dans le dernier voyage de Marly. Cependant il y en eut un le Vendredy qui a precedé les trois derniers jours du Carnaval, & un autre le Dimanche. Je dois ajoûter qu’il y eut outre le Bal du Mardy, un divertissement, accompagné de Musique ; ce divertissement étoit tiré d’une Marcarade inventée par Mr le Vidame, fils de Mr le Duc de Chevreuse.

Le Bal du Roy d’Angleterre, dont je vous ay déja parlé, a esté donné dans la Salle des Ballets de S. Germain en Laye. Ce lieu étant propre à donner de pareils divertissemens, & étant fort spacieux, on peut juger que se trouvant remply de Masques, l’Assemblée devoit estre des plus brillantes & des plus magnifiques.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 338-343.

 

Je passe d’un article bien serieux à un article qui l’est bien peu, quoique du tems des Oedipes, l’occupation de deviner des Enigmes fût des plus serieuses, & regardée comme telle parmy les Souverains. Je vous diray aprés cela que les Ongles étoient le mot de l’Enigme du mois dernier. Voicy les noms de ceux qui l’ont deviné.

Mrs Brandt ; de Barneon, de Tarascon en Provence ; Hémier, de la ruë des bons Enfans ; Alleaume ; l’Abbé Bougeard ; Laîné, proche le Cadran de S. Honoré ; de Laumel ; Michel, & son Amy ; le G.D.L.B.D.L.P. & son voisin le Fevre ; le Pere Jacob, de la Lune d’argent ; le Pere Becquet du Pont Nôtre-Dame ; le Mouton Ferré ; l’Anonyme ; D.J.F. de la ruë des Rats, & son aimable Javotte de la ruë des Lavandieres ; le Vert Galant, & la verte Galante du quartier des Carmes ; Beagle le gracieux, & son amy du quartier S. Landry ; l’Elixire de la Galanterie, de la ruë des Marmousets ; le Solitaire Que-mine, & son ami Darius ; l’Huissier de la ville, qui fait plus de vers en un jour, que dix Poëtes en une année ; le Cousin du Mouchel, devenu bel esprit par hazard ; le Fin Vieillard, de la ruë S. Jean de Beauvais, & son ami ruzé, du Cloistre Saint Benoist ; Le Marquis Nesgrosny, & le Chevalier Corsiny, de la ruë Saint Loüis au Marais ; Mlles Langlois, du Pont Nôtre-Dame ; de la Boulaye, de la ruë S. Antoine ; Manon le Blanc, & son fidel ami de la ruë S. Honoré ; Suzane de la Porte ; la jeune Muse renaissante ; la Boule recherchée en Cour, & la Conventuelle aux trois Oches ; la Dame qui sçait plaire à tout le monde, ruë de Richelieu ; Manieze, & S.B.L. la Dame qui s’est acquis le don de plaire à tous ceux qui la connoissent, même ruë, à côté des Quinze-vingts ; la Dame qui n’a que de bonnes qualitez ; la Brune du Port S. Landry ; la vieille Pie du desert ; la plus jeune des belles Dames de la ruë de Bernardins ; la rare Simplicité ; la Solitaire de la ruë aux Feves ; la charmante Godon d’Argenteüil, & son ami du même nom, la Brune du Port Landry ; la Grande H. de la ruë S. Jacques ; la belle Chenevelle ; la fidelle Gogo, & son frere de S.P. la belle Morillon, de la ruë Montmartre ; Sainte Carolte, & son aimable sœur de la ruë de l’Université ; & l’enjouée M. Vernier.

L’Enigme nouvelle, que je vous envoye est de Mr M.D.M.

ENIGME.

Ma figure est pyramidale,
Au corail le plus vif ma couleur est égale,
Quoyque petit de corps, je me pique d’honneur ;
Et de noblesse & de grandeur.
Souvent je ne suis point, ce que je veux paroître,
je suis difficile à connoître,
Et tel parle de moy qui ne me connoît pas.
Je suis par tout si necessaire,
Que sans moy dans le monde & parmy les combats,
Il n’est point d’honnête homme & de vaillans Soldats.
Lorsque je veux parler, mon langage est sincere,
Il ne faut pas s’y fier autrement,
Car je suis quelquefois sujet au changement.
On m’aime, on me conserve, & ma vie est fort chere.
Je ne puis subsister que par le mouvement ;
Le froid m’est tout-à-fait contraire,
Et je péris au moindre attouchement.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1708 [tome 2], p. 343-344.

L’Air qui suit a reçû de grands applaudissemens, & les paroles en ont esté trouvées tres-belles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Les Plaisirs, doit regarder la page 344.
Les plaisirs les plus charmans,
Sont ceux où Bachus nous convie :
Ce sont les seuls de la vie,
Dont on joüit malgré les ans.
Les Amours pour leur partage,
N’ont que nôtre printemps ;
On n’aime pas à tout âge ;
Mais on boit en tout temps.
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