1708

Mercure galant, mars 1708 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1708 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1708 [tome 3]. §

[Prelude, dans lequel on trouve une Epitre au Roy] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 5-10.

 

Je crois ne pouvoir mieux commencer ma Lettre qu’en vous parlant d’un Livre nouveau, intitulé : Prieres Chrestiennes, tirées des Pseaumes, avec une Priere particuliere pour le Roy, & pour demander à Dieu la Paix, dediées au Roy par un Pere de famille.

L’Epître qui est à la teste de cet Ouvrage estant fort courte, j’ay cru que la lecture vous en feroit plaisir, & c’est pourquoy je vous l’envoye.

AU ROY.

SIRE,

Les Prieres Chrestiennes que j’ay l’honneur de presenter àVôtre Majesté, sont celles du Prophete Roy, que l’Eglise a consacrées, & qu’elle met tous les jours dans la bouche des Fidelles pour adorer Dieu, & pour implorer son assistance. Les Grands du monde sont plus obligez que les autres hommes, de vacquer à la Priere, parce qu’ils sont plus environnez de plaisirs, & qu’ils ont plus besoin de la Grace pour les en délivrer. Les pompes qui les charment & les plaisirs dont ils joüissent, sont autant d’ennemis dangereux qui les attaquent, & qui remportent sur eux la victoire, s’ils n’ont pas la force de leur resister ; ce ne peut estre que par le secours de la Priere qu’ils les peuvent genereusement surmonter. Il ne faut pas s’étonner, SIRE, siVôtre Majestés’est tellement renduë maistresse des passions humaines, puisque nous la voyons tous les jours se répandre devant Dieu, avec tant d’aneantissement & de pieté qu’elle édifie tous ses Peuples, & doit servir d’exemple à tous les Rois. SiVôtre Majestéveut bien jetter les yeux sur ces Prieres qui sont tirées de l’Ecriture Sainte, elle y goûtera sans doute, une onction toute divine ; parce qu’elles sont remplies de l’esprit, dont Dieu n’anima autrefois ce saint Roy, qu’afin de le transmettre ensuite dans le cœur de tous les Monarques. Il n’y a rien de moy dans cet Ouvrage ; tout vient de Dieu, &Vôtre Majestén’y trouvera à mon égard qu’un amour respectueux & particulier que j’ay toûjours eu pour Elle pendant toute ma vie. La bonté singuliere qu’Elle m’a témoignée toutes les fois que j’ay eu le bonheur d’approcher de sa Personne sacrée en luy presentant mes petits Ouvrages, m’a si vivement touché le cœur, que je tâcheray de luy donner le reste de mes jours des marques de ma soûmission, de mon zele, & du tres-profond respect avec lequel je suis, &c.

[Mort de Mre Etienne de Bachet]* §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 60-73.

 

On ne trouve pas seulement dans la plûpart des articles de morts que je vous envoye, ce qui regarde la Genealogie des personnes dont je vous aprens la mort. Ce n’est pas toujours ce qui rend ces articles curieux ; mais comme il s’y trouve souvent quantité de faits historiques, dont la plûpart n’ont pas esté rendus publics, & que l’on y trouve souvent les noms de plusieurs ouvrages, ou qui sont inconnus, ou dont on ignoroit les noms des Auteurs. Comme, dis-je, la plûpart de tous les articles de mort sont remplis de toutes ces choses, & d’une infinité de faits curieux, on les doit regarder comme des morceaux d’histoire, qui doivent faire plaisir au Public, & honorer la France. Vous trouverez dans l’article suivant beaucoup de choses, qui doivent faire plaisir à ceux qui font profession d’érudition & qui aiment les belles Lettres.

Mre Etienne de Bachet Seigneur de Meyseria, ancien President en la Cour Presidiale de Bresse, mourut le mois passé à Bourg, âgé de 81. an. Il avoit exercé cette Charge pendant 57. ans, avec beaucoup de réputation ; il avoit un grand attachement pour sa Compagnie, composée de Magistrats tres-éclairez & tres-integres, & dont plusieurs sont Gentils-hommes. Je ne remonte point aux Ancêtres de ce President, qui ont esté annoblis par les armes, il y a trois siecles, & je vous parleray seulement de ceux, qui de même que le Défunt, se sont rendus recommandables dans la Robbe.

Etienne de Bachet, qui vient de mourir estoit fils de Claude Gaspard de Bachet, Seigneur de Meyseria, qui fut l’un des quarante, que le Cardinal de Richelieu choisit pour former l’Academie Françoise, où il merita cette place, par la profonde érudition, repanduë dans plusieurs de ses ouvrages, du nombre desquels est sa traduction de Plutarque, avec de sçavantes Notes Critiques, dans lesquelles il fait remarquer un nombre infiny de fautes grossieres, qui avoient échapé à Amyot, Traducteur de ce même Auteur : il a aussi composé la Vie d’Esope, fort recherchée des Sçavans, qui est imprimée à Bourg, & dans laquelle il fait démonstrativement connoître l’erreur de quelques Historiens, qui ont trompé le Public dans le portrait défiguré de ce sage Auteur, qui l’ont representé bossu & tout contrefait, quoy qu’il n’eût rien de défectueux dans sa personne. Mr de Bachet avoit particulierement excellé dans les Mathematiques & dans l’Algebre, ayant composé plusieurs ouvrages sur les Sciences, dont il a laissé quantité de Manuscrits, n’ayant pas trouvé le temps de les faire imprimer. Ceux qui sont imprimez sont, Diaphanti Alexandrini Arithmeticorum, Libri sex ; De numeris Multangulis, Liber unus : il avoit dedié ce dernier au fameux President Favre son oncle, Premier President au Senat de Chambery ; ses Problemes de Mathematique & d’Arithmetique sont dans les mains de tous les Curieux. Les Manuscrits sont, Elementorum Arithmeticorum, Lib. 13. Tractatus de Geometricis questionibus Algebram ; Appollodori Atheniensis Grammatici Bibliotheces, sive de origine Deorum, Lib. 3. Une Traduction d’Agathemeres, Geographe, Grec, fort exact, avec des Notes sur cet Auteur ; & comme son esprit estoit universel, il a aussi laissé plusieurs ouvrages de Poësie ; des Notes sur le plus galant des Poëtes, & des ouvrages de Morale ; de si grands talens l’avoient fait juger digne d’estre Précepteur de Loüis XIII. mais ayant appris qu’on jettoit les yeux sur luy pour ce grand Employ, qui l’auroit distrait de la lecture de ses livres, qu’il cherissoit plus que tous les postes les plus brillans, il quitta brusquement la Cour, pour retourner en Province. Il avoit épousé Philiberte de Chabert, fille de Claude de Chabert, Ecuyer Seigneur de Becerel, de Peronne & de Puget, de laquelle il eut cinq enfans ; sçavoir deux filles Religieuses, Peronne & Marie de Bachet, Pierre-Gaspard de Bachet, mort sans avoir esté marié, ainsi qu’Antoine de Bachet, Jean de Bachet, qui a eu de N. de Barbarel quatre fils, qui sont vivans ; sçavoir N. de Bachet, Gentilhomme, fort estimé dans sa Province, & qui remplit dignement l’employ d’Elû ou Sindic de la Noblesse de Bresse. N. de Bachet Prêtre. N. de Bachet Enseigne de Vaisseau, Seigneur de la Garde, & N. de Bachet, Seigneur de la Martiniere, qui a servy avec reputation, en qualité de Capitaine dans le Regiment de la Couronne, & en qualité d’Aide de Camp de Mr le Commandeur de la Beaume-Forsat, Lieutenant General des Armées du Roy : il eut une troisiéme fille, nommée Marie, qui épousa Mr de Bertod, Ecuyer & Seigneur du Bourg ; cette Dame est dans une grande consideration. Claude Gaspard dont je viens de parler, eut pour pere Jean de Bachet, Seigneur de Meyseria & de Vauluisant, qui fut Juge des Appellations de Bresse ; il brilla dans cette Dignité, qui luy fit acquerir la reputation d’un des sçavans & des plus integres Juges de son temps. Il eut deux femmes ; la premiere estoit fille de Mr le Comte de Chavannes, & Sebastienne Odinet, de la Maison des Comtes de Montfort. Il épousa en secondes noces, Claire de la Beviere, fille de Jean de la Beviere, Ecuyer Seigneur de Dananches. Jean de Bachet estoit fils de Pierre de Bachet, Seigneur de Meyseria, Vauluysan & Lionnieres, Lieutenant General du Bailliage de Bresse, sous Henry II. puis Juge des Appellations, ou Juge-Mage, lors que cette Province retourna à la Savoye ; il y fut souvent consulté comme un Oracle de Jurisprudence. On a imprimé deux tomes de ses Consultations, & un tome des Lettres qu’il écrivoit aux plus sçavans de l’Europe, & de celles qu’il en recevoit. Il avoit épousé Françoise de Soria, Portugaise, dont le pere avoit acheté en Bresse, où il avoit suivy la Duchesse de Savoye, les Terres de Bouvens & de la Garde. Cette Famille porte de sable à un triangle d’or au chef cousu d’azur à trois étoiles d’or, & elle a pour devise Nescit labi virtus. Je dois ajouter à ce que je vous ay dit au commencement de cet article d’Etienne de Bachet, qu’il n’est pas surprenant que le fils & petit-fils de tant de grands Magistrats en ait receu l’esprit avec le sang ; il a passé pour l’un des plus beaux genies de sa Province ; il a soutenu ce caractere dans tous ses discours publics, & particulierement dans la Harangue qu’il eut l’honneur de faire au Roy, au nom de sa Compagnie en 1660 & qui fut admirée de toute la Cour. Il brilloit aussi beaucoup dans les entretiens particuliers, & sur tout par ses reparties toujours vives & remplies de sel, & l’on a remarqué que les mauvais Plaisans ne l’ont jamais attaqué par aucune raillerie. Il n’a laissé que deux fils, dont l’un ou l’autre auroient pû remplir dignement l’Employ, dont il est mort revêtu, s’ils n’avoient repris le party de l’épée, que leurs Predecesseurs avoient portée avec honneur, avant que ceux dont je viens de parler eussent honoré la Robbe par leur merite personnel.

[Lettre touchant l’Histoire de la Poësie] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 103-106.

 

Mr de S. Quentin Gentilhomme de la Ville d’Apt en Provence ; connû par plusieurs Ouvrages qu’il a donnez au public, & par son talent pour la Poësie vient de faire Imprimer une Lettre adressée à Monsieur de *** servant de réponse à Mr Mervesin sur l’histoire de la Poësie 1707. Cette petite guerre litteraire dure depuis prés de 2. ans & elle est, ainsi que bien d’autres demelez de cette nature, la source d’une infinité de découvertes curieuses qui sans ces diversitez d’opinions n’auroient peut-être jamais esté faites. Dans cette lettre, que l’on croit adressée à Mr de Chastuëil-Galaup ami de Mr de S. Quentin, quoyque son nom ne soit pas à la tête ; l’Auteur pretend que les Gots n’avoient jamais inondé les Gaules, & qu’ils n’occuperent qu’une partie des sept Provinces que de leurs temps, on ne confondoit point avec les Gaules : il fait voir en même-temps que les Gaulois avoient toûjours negligé d’aprendre le secret d’endurcir l’acier, dont quelques Auteurs leurs ont cependant attribué l’usage. Mr de S. Quentin pretend aussi, & il le prouve fort bien, que le nom de Fatistes ne doit point être donné aux Poëtes qui vivoient sous la premiere & sous la seconde race de nos Rois. Mr Mervesin soutient le contraire, & qu’un de ces Poëtes qui vivoit du temps de Charlemagne, ayant mis par hazard ou autrement dans l’Hymne de S. Jean ut, ré, my, fa, sol, la, on en fit ensuite les six Notes de la Musique. La fable qui termine cette lettre est tres-ingenieuse & a attiré beaucoup de loüanges à son Auteur, dont on attend l’histoire de S. Elzear Gentilhomme Provençal, que l’on acheve d’imprimer, & que d’illustres & sçavans Prelats de Provence & de Languedoc, l’ont engagé de donner au public. Personne n’estoit plus capable de travailler à cette vie, que Mr de S. Quentin, parce qu’il connoît parfaitement la Noblesse & les antiquitez de Provence.

[Stratagème nouveau] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 106-115.

 

Il est souvent plus difficile de badiner agreablement dans un ouvrage dont le sujet semble ne rien promettre, ou pour mieux dire ne promet rien du tout, que de réüssir, dans un ouvrage serieux, & dont le sujet peut fournir beaucoup. On trouve une infinité d’ouvrages serieux qui ont merité l’approbation du Public ; mais à peine a-t-on vû dans chaque siecle, deux ou trois Auteurs, qui sur des riens, s’il m’est permis de parler ainsi, ont fait des ouvrages qui ont esté generalement applaudis, & qui sans s’abbaisser ny tomber dans un fade ridicule, ont rendu des bagatelles immortelles. Enfin toute l’Europe est remplie d’un nombre infini de Recüeils de Lettres serieuses, & celles de Voiture seules, se font remarquer par un caractere que personne n’a pû imiter parfaitement. On peut dire que l’Affiche que je vous envoye, est toute remplie d’invention & d’esprit, & qu’elle doit faire d’autant plus d’honneur à son Auteur, que le sujet auroit paru sterile à beaucoup d’autres qui font profession d’esprit & qui en ont effectivement.

La Lettre que vous allez lire est d’un des Amis de l’Auteur, & elle accompagnoit les Vers qui la suivent.

MONSIEUR,

Voicy un plaisant Stratagême pour retrouver un livre perdu ; ce livre doit estre pretieux à l’Auteur de la piece que je vous envoye, puisqu’il contient les Oeuvres de feu Mr Santeüil avec un éloge magnifique à la teste écrit de sa propre main : cet éloge où ce fameux Poëte avoit eu soin d’écrire son nom & celuy de nôtre Auteur, rouloit sur son goût & sur sa delicatesse dans la Poësie. Mr Santeüil n’estoit point prodigue d’encens, sur tout envers les Poëtes, & il est certain qu’un pareil éloge est un Titre d’honneur à conserver dans des Archives. La piece que je vous envoye, vient de me tomber imprimée entre les mains, le nom & les qualitez de son Auteur n’y sont marquez que par des Lettres initiales ; son stile le fait assez connoistre dans sa Province, & il n’a pas voulu estre connu ailleurs. Je vous diray seulement qu’il est Chanoine de l’Eglise d’Amiens, & que je vous ay envoyé plusieurs de ces Ouvrages, du nombre desquels sont les Hymnes latines qui se chantent dans son Diocese, avec leurs traductions en Vers François ; vous avez dû juger par son stile toûjours aisé qu’il se joüe de la Rime, & qu’il meritoit bien l’estime d’un des plus grands Poëtes de nostre Siécle. Je suis avec toute l’estime possible, Monsieur, vostre &c.

ELOGE EN VERS, REPAS EN FORME,
Ou trois Loüis-d’Or en espece, à gagner.

 Santeüil jadis ce grand Poëte,
Des neuf Sœurs le docte Interprete,
M’avoit de son Livre honoré,
Et de sa main avoit paré
Le frontispice de ce Livre,
D’un éloge à me faire vivre
Plus de mille ans aprés ma mort.
Un Quidam jaloux de mon sort,
Retient ce bien-aimé Volume,
L’appuy glorieux de ma plume,
Sans sonner mot depuis trois ans ;
(S’il prend des prêts pour des presens,
Il fera sa bibliotheque
À peu de frais, sur l’hipotheque
Qu’il s’imagine en sûreté
À voir sur tout livre emprunté :)
Son nom est hors de ma memoire,
Mais je l’ay dans quelque grimoire,
Et peut-estre qu’un beau matin
Il me tombera sous la main.
Ou si je fais enquête vaine ;
Du Santeüil dont je suis en peine,
Tost ou tard un bon fureteur
Me déterrera l’Emprunteur.
Il fera bien de me le rendre,
Ou par la mort, il doit s’attendre….
Mais que produira mon couroux !
On gagne plus à filer doux,
Si de sa part c’est indolence,
Si c’est petite negligence,
En est-il moins homme d’honneur ?
Ainsi donc sans taxer son cœur,
Je luy promets, foy de Poëte,
Et foy de1 personne discrete,
Sitost qu’il m’aura fait raison,
Des Vers, & des Vers à foison,
Des Sonnets & des Epigrammes,
Des Rondeaux & des Anagrammes ;
Que sçait-on peut-estre sans art,
Par un coup heureux du hazard,
Pourois-je en produire à sa gloire,
Dignes des Filles de Memoire ;
Mais si la rime est à son goût,
Viande creuse & maigre ragoût,
Il n’a qu’à dire s’il veut faire
Chere entiere de C…
S’il est friand de lapereaux,
De chapons du Mans, de perdreaux,
D’un cochon de lait, d’une éclanche,
D’un ragoût d’anguille ou de tanche,
D’un plat de sole ou de saumon,
Et de vin gris, j’en ay de bon ;
En faveur de cette trouvaille,
Nous ferons ensemble ripaille.
Mais enfin, s’il ne se rend pas
À l’espoir touchant d’un repas,
Et d’un éloge de ma veine,
Que l’interest donc me l’amene,
Et je luy rendray grace encor,
En luy donnant trois loüis-d’or.

[Article touchant la nouvelle découverte faite sur l’Ouye] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 116-118.

 

Vous me demandez des nouvelles de la découverte que Mr du Guet a faite sur l’oüye, & dont je vous ay parlé dans ma Lettre du mois de Decembre. Il est peu de découvertes dont le succés ait esté aussi grand & aussi prompt, & tant de gens m’en ont parlé, & ont eu recours à son secret, que je crois que l’on peut dire de beaucoup de personnes, Aures habent & non audient. En effet, ce secret qui regarde l’augmentation de l’oüye, est d’une tres-grande utilité pour ceux qui l’ont dure, puisque l’on peut par son moyen se parler & s’entendre sur Mer, d’un vaisseau à l’autre, de plus loin qu’il n’a esté possible jusqu’à present, même sans que celuy qui parle soit entendu d’aucune autre personne, que de celle qui aura l’oreille à cette nouvelle Machine, qui approche les sons ou les tons de l’oreille, de même que les lunettes approchent les objets de l’œil. Ainsi elle procure une infinité d’avantages ; sçavoir, d’entendre de plus loin les Orateurs, l’Opera, & la Comedie, des loges les plus éloignées, &c. Mr du Guet demeure dans la ruë de l’Arbre sec.

Le même Mr du Guet a fait plusieurs autres découvertes, parmy lesquelles il s’en trouve qui peuvent estre tres-utiles à l’Etat, & dont il a donné plusieurs Memoires à Messieurs de l’Academie des Sciences qui les ont fait mettre dans leurs Registres. Je pourray vous en faire part lorsque je seray moins accablé des nouvelles du temps.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 225-226.

Je vous envoye un Air nouveau, dont vous reconnoîtrez sans doute les paroles, puisqu’elles sont tirées de ma Lettre du mois de Janvier dernier, dans lequel je vous ay parlé d’un Amour galant, qui s’est fait admirer dans l’un des Bals de la Cour du Carnaval dernier.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Je suis, page 226.
Je suis Dieu des Amours, des graces & des ris ;
Et sur tant de beautez qu’on voit icy paroître,
C’est moy qui vous donne le prix.
Le Dieu d’Amour doit s’y conoître.
J’ay quitté mon bandeau pour pouvoir desormais
Chaque instant admirer tant de graces nouvelles ;
Et pour ne vous quitter jamais,
J’ay moy-même coupé mes aîles.
images/1708-03_225.JPG

Lettre à Monsieur le Duc de Vendosme §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 226-231.

 

Je crois devoir ensuite des Vers que vous venez de lire, qui ont esté presentez par l’Amour à une grande Princesse, placer les Vers suivans, envoyez par une Muse à Monsieur le Duc de Vendosme. Je dis Muse, parce qu’ils ont esté faits par une personne de vôtre sexe, qui s’est acquis beaucoup de reputation par ses ouvrages, & dont l’esprit repond à la qualité.

LETTRE À MONSIEUR LE DUC DE VENDOSME.

Serois-je seule dans la France
Sans te voir, sans t’entretenir,
Et desirant toûjours l’honneur de ta presence,
 Ne pourray-je point l’obtenir ?
***
Si j’avois d’Abaris la merveilleuse fleche
 J’en serois servie à souhait
Et sans aucun secours de chevaux de Caleche
 Je serois bien-tost à Anet.
***
Là, te rencontrant seul, prés d’une pallissade
 Dans tes Jardins delicieux,
Je sçaurois t’amuser en cüeillant ta salade,
 Par quelque recit curieux.
***
En voyant ton Palais je parlerois sans cesse
 De celuy de Semiramis
Je dirois ses hauts faits, je dirois sa foiblesse,
Tout ce que jusqu’à nous l’Histoire en a transmis ;
***
Que ne dirois-je point de ce Grec temeraire
 Dont l’heureuse rapidité
Ne vit jamais la fortune contraire
 À son immense avidité.
***
Semblable à ce guerrier, mais plus simple & plus sage
 Moins orguëilleux que luy, tu mesure tes pas.
 Plus Grand par plus d’un avantage,
Tu brille des vertus qu’il ne possedoit pas.
***
Redoutable aux Combats, chez toy doux & paisible,
 Aimé par tout également
Plus qu’un Dieu, quand il faut, tu te montres terrible,
 Dans Anet un homme charmant.
***
Qu’on ne me parle point de ces Heros qu’on vante
 Uniquement par leur valeur ;
 Je veux que le Heros ressente
 Tous les mouvemens d’un bon cœur.
***
Ah ! ce n’est pas toûjours en teste d’une armée
Qu’on s’attire du monde & l’estime & les vœux
 Et pour remplir sa renommée
Il faut servir les malheureux.
***
Tu m’as cent fois promis de reparer l’outrage
Du Sort qui m’accablant n’a pû m’assujettir ;
 Acheve, acheve ton ouvrage
 Force le de se démentir.
***
On me croit ton Amie, & j’en tire ma gloire,
Prince, ton nom est grand pour moy,
 Fais que l’avenir puisse croire
 Qu’il n’est pas indigne de toy.

[Diarium Europæum Historico Litterarium] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 237-240.

 

Le Pere Hommey Augustin Reformé de la Communauté d’Angers, connu dans la Republique des Lettres par plusieurs ouvrages qu’il a donnez au public, & sur tout par son Supplément des Peres, & par le Diarium Historico-Litterarium, qu’il avoit commencé à publier à Paris en 1703. en a commencé un nouveau qui s’imprime à Luxembourg chez le sieur Chevalier, & qui a pour titre : Diarium Europæum Historico-Litterarium, Ann. M. DCC. VII. Trimestre 1. Le Plan de l’Auteur est d’en donner un semblable tous les trois mois ; il est à souhaiter qu’il l’execute, puis qu’à en juger par celuy-cy on aura lieu d’estre content de cet ouvrage. On trouve dans l’Article d’Angleterre les 25. Articles de l’Union entre ce Royaume-là & l’Ecosse. On voit dans ce Journal plusieurs pieces de Poësie Latine, parmi lesquelles sont une Pompe Funebre en Vers Latins du grand Gustave-Adolphe Roy de Suéde, tué à la Bataille de Lutzen ; un petit Poëme tres-ingenieux adressé à Philippe V. Roy d’Espagne ; & une piece en Prose Latine à la gloire de Charles XII. aujourd’huy Roy de Suéde ; & un Eloge aussi en Vers de Mr l’Evêque d’Osnabruk. Le Pere Hommey annonce quelques livres nouveaux, mais il se plaint de leur cherté. Cet Auteur infatigable nous promet une Histoire suivie du dix-huitiéme siecle, & il doit commencer à l’avenement de Monseigneur le Duc d’Anjou au Trône d’Espagne l’année 1701. est presque imprimée.

[Place d’Eleve, remplie à l’Academie Royale des Inscriptions] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 306-307.

 

Aprés vous avoir parlé de ceux qui s’avancent dans la guerre, je dois vous entretenir de ceux qui font des progrés dans les Lettres.

Mr de Ville-fort, l’un des Eleves de l’Academie Royale des Inscriptions, connu par son merite & par divers ouvrages de Prose Françoise, parmy lesquels se trouvent les Vies des Peres du Desert, & celle de S. Bernard, ayant demandé à se retirer à cause de son peu de santé qui ne luy permettoit pas de satisfaire aux assiduitez & aux travaux Academiques portez par les Reglemens, Mr de Boze, Secretaire perpetuel de l’Academie, qui en qualité de Pensionnaire avoit droit de nommer à la place vaccante par la démission de Mr de Ville-fort, a presenté Mr Ron, Conseiller au Chastelet, & cette nomination a esté agrée de toute la Compagnie, & confirmée par Sa Majesté. L’érudition de ce jeune Magistrat, & son talent pour la Poësie Françoise, luy ont acquis beaucoup de réputation.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 307-313.

 

Une Dame amie de l’Autheur de l’Enigme du mois dernier, en ayant trouvé le mot, il a cru devoir faire pour elle les Vers suivans.

MADRIGAL.

Par le mot que sans peine, Iris, a deviné,
Son éloge en ces Vers se trouve terminé.
Elle est belle, bien faite, aimable,
On est charmé de sa douceur,
Son esprit la rend estimable,
Mais elle l’est encor cent fois plus par le Cœur.

Le dernier mot de ces Vers est celuy de l’Enigme. Ceux qui l’ont aussi deviné sont : Mrs le Begue, Precepteur de Mr de Miromesnil ; de Motiers, de la ruë Geoffroy-l’Asnier ; du Pin ; Tellusson ; D. le Chin, Procureur Fiscal à Egligny prés d’Auxerre, & son grand Amy Jacquart de Nanteil, Capitaine des Grenadiers au Regiment d’Orleanois, son voisin ; Vannereau ; J. le Beuf, Lieutenant d’Artillerie ; Barriere, C.… &c. Verninac, premier Consul de Soüillac pour la quatriéme année ; l’Americien ; du Hamel, & son neveu Neou ; Rouzaut, Commis au Greffe Civil du Parlement de Toulouse, & son Amy Aussaque ; Jacob, de la Lune d’argent ; Demachy, de la Toilette Royale ; Becquet, Philosophe, du Pont Nôtre-Dame ; Herbin, du même Pont ; M.L.M.D.R. l’Oedipe de l’Hostel d’Entragues ; les vrais rayons du Soleil d’or A.B.D.G.T.V. Le vieux M.P. Novice ; Richard sans barbe ; le grand Chaperon des Nymphes, & le P. des Perroquets ; les petits enfans, & Pilliette ; le Solitaire du Culde-sac Saint Landry ; le B.G. de la ruë du Meurier ; le Solitaire Que-mine & son amy Darius. Mlles du Boisrond ; de Poitiers ; Morillon L.F.E.S.A.M.S ; l’aimable Demoiselle Gombaut de la ruë S. Pierre aux Bœufs ; la jeune Muse renaissante ; M.A. l’Hoste de Boulogne sur Mer ; la Poule brune du bois de Cerf ; l’aimable Cochot, de la ruë aux Féves ; la Solitaire de la même ruë ; la belle Denise. D.C.R.D.P.N.D. La belle Tonton, de la ruë de Grenelle ; la Maman téton de Mr le Duc de Thouars, & sa grosse Gouvernante ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la Colombe de Merignac ; les deux Charmantes, du Pont Nôtre-Dame ; Javotte sur le Quay neuf ; Echuodub, sur le même Quay ; les deux sœurs inseparables, de la ruë neuve S. Eustache ; l’aimable niece du Solitaire, de la Croix du Tiroir ; la charmante de la Ronde ; la Nymphe de la Fossée ; L.G. de la ruë Geoffroy l’Asnier, & sa sœur Manette ; la toute aimable S.C.L.B. & la Maraine de la Commette.

Je vous envoye une Enigme nouvelle. Elle est d’une personne de distinction.

ENIGME.

Dans les quatre saisons, je suis toûjours de même
Les grands & les petits, je sers également
Aux deux sexes, je donne un fragile ornement,
De qui ne peut m’avoir, la disette est extrême.
***
Mon teint approche moins du vermeil que du blême
Dans toutes les couleurs, je fais du changement
Pourvû qu’on en excepte, une ou deux seulement,
On me trouve au village, & sous le diadéme.
Je n’ay pas d’ennemy plus rude que le vent ;
On ne fait aucun cas de moy dans le Convent
Si tu sçais d’où tu viens, tu connois bien ma mere.
***
Mon pere sans me voir, me bat soir & matin
Nous finirons tous trois, par un divers destin
Rien plus commun que moy, rien si peu necessaire.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1708 [tome 3], p. 313-314.

L’air que je vous envoye est de saison, puisqu’il regarde le Printemps.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Le doux Chant, page 313.
Le doux chant des oiseaux vient bannir la tristesse
Et l’aimable Printemps raméne les beaux jours :
Reveillez-vous, tendre jeunesse,
Et reprenez vos fidelles amours.

Les oiseaux ne se font pas entendre seuls dans cette saison, & ils sont souvent effarouchez en ce temps-cy par le bruit des tambours & des trompettes, & par celuy des armes, dont voicy le temps de vous entretenir.

images/1708-03_313.JPG