1708

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1708 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10]. §

[Panegyriques de Saint Loüis, prononcez dans la Chapelle du Louvre, & dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 5-14.

 

Le jour de la Feste de S. Louis, le Panegyrique de ce Saint fut prononcé dans la Chapelle du Louvre, devant Mrs de l’Academie Françoise, & dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire devant Mrs de l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, & devant Mrs de l’Academie Royale des Sciences. Mr Huet, ancien Evêque d’Avranches, de l’Academie Françoise, & le Pere Sebastien, Carme, de l’Academie des Sciences, celebrerent la Messe, l’un dans la Chapelle du Louvre, & l’autre dans l’Eglise de l’Oratoire. Pendant qu’on celebra ces Messes à basse voix, Mr du Bousset, fit chanter des Motets accompagnez d’une tres-belle Symphonie, & d’un Domine salvum fac Regem. La premiere de ces Messes commença à huit heures, & la seconde à onze. Les Panegyriques de Saint Louis furent prononcez par Mr l’Abbé de la Fare, âgé d’environ vingt-quatre ans, & par le sçavant Pere Turquois, Feüillant. Voicy à peu prés sur quoy roulerent les deux Panegyriques qu’ils firent de ce saint Roy, dans lesquels ils firent entrer fort naturellement, & avec beaucoup d’esprit, des Eloges de Sa Majesté, que vous trouverez dans ce que je vous envoye.

Le Texte du Sermon de Mr l’Abbé de la Fare, tiré de l’Apocalypse, luy donna lieu de faire une belle description de la Royauté. Il en fit voir les peines & les écueils ; & en leur opposant les plaisirs enchanteurs attachez à la condition des Grands, il conduisit l’Auditeur à conclurre naturellement que tout est precipice, & que tout est illusion dans cet estat pour ceux qui n’y sont pas soûtenus par la main toute-puissante de Dieu. Aprés cette peinture, il entra dans le partage de son discours ; il fit voir Saint Louis humble & modeste dans les plus éclatantes prosperitez ; ferme & inébranlable dans les plus grands revers & dans les plus surprenantes revolutions. Il fit voir en commençant son premier Point, que l’humilité est une vertu qui a esté inconnuë aux Sages du Paganisme, & dont on n’a connu la necessité que depuis la venuë du Redempteur des hommes. Il dit ensuite pour prouver l’usage que le saint Roy a fait de cette divine vertu qu’il ne s’étoit point glorifié de la conqueste qu’il avoit faite à l’âge de quatorze ans d’une Ville qui jusques-là avoit paru imprenable, & cela dans un âge où les passions sont dans leur plus grande force, & où l’orguëil sur tout, empoisonne les actions faites selon la plus exacte justice. Aprés un succés qui pouvoit réveiller, non seulement l’amour propre, mais même toute la vanité des hommes les plus moderez ; le saint Roy, dit-il, se prosterna devant Dieu, se confondit aux pieds de son Trône, & luy abandonna la gloire de l’avantage qu’il venoit de remporter. Son humilité & sa modestie ne se firent pas moins remarquer, ajoûta-t-il, dans les succés qu’il eut contre les Comtes de Champagne & de la Marche ; aprés avoir soûmis ces Princes remuans qui vouloient secoüer le joug de l’autorité du Prince dont ils relevoient, ses peuples ne le trouverent pas moins accessible, moins disposé à écouter leurs plaintes, moins prompt à les satisfaire, & moins patient & indulgent à leur égard, soit en descendant dans le languissant détail de divers interest qui les animoit, soit en leur pardonnant leurs égaremens lorsqu’ils recouroient sincerement à sa clemence. Cet Abbé, aprés avoir rassemblé & fait voir en même temps toutes les actions memorables qui avoient donné occasion à Saint Louis d’exercer cette vertu, qui est avec la charité, le fondement de toutes les autres ; qui en est la racine, & sans laquelle enfin pour suivre la pensée de l’Orateur, elles ne peuvent porter aucun fruit ; il demanda par une espece de figure qui servit d’un grand ornement à son discours, si les mêmes qualitez qu’on admire aujourd’huy dans un de ses plus dignes Successeurs, pouvoient estre une raison legitime de refuser un tribut d’admiration au Saint Roy, si parce que Louis le Grand a esté aussi humble, aussi modeste dans les plus surprenans succés, dans les conquestes les plus rapides, que l’a esté son saint Ayeul, c’est une raison de refuser à celuy-cy ou de diminuer l’admiration que les derniers siecles ont euë pour ses vertus ; au contraire, dit-il, le vraisemblable & l’exacte verité qui marchent si rarement du même pas, pourront à l’aide de la conformité qu’il y a entre ces deux regnes, le raprocher ; on pourra par les merveilles qu’on admire dans le cours du regne du Petit-fils, croire toutes celles qu’on raconte de celuy de l’Ayeul. Cet endroit fut touché tres-delicatement & parut à toute l’Assemblée puisé du fonds même du sujet. Ce qu’il dit en cette occasion à l’Academie qu’il avoit déja apostrophée à la fin de son Exorde par des traits aussi neufs que brillans, plut beaucoup ; il s’adressa à cette Compagnie comme à celle qui sçait parler dignement des grands Rois, & à qui seule il est reservé d’en parler avec dignité.

[Premier Article des Morts] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 49-87.

 

Mre Henry Joseph de Peyre, Comte de Tréville, ou pour parler plus juste, de Trois-Villes, est mort âgé de soixante-six ans, & regretté de tous ceux qui le connoissoient. Son esprit & son érudition le faisoient estimer. Il avoit fait une étude presque continuelle des Peres de l’Eglise, & particulierement des Peres Grecs, & qu’il avoit lûs plusieurs fois dans la source. Cette longue & continuelle application a augmenté ses infirmitez naturelles & a sans doute abregé le nombre de ses jours. Il avoit esté Colonel d’Infanterie dans sa jeunesse, & il avoit servi en cette qualité quelques Campagnes en Candie, sous Mr le Comte de Coligny General des Troupes que le Roy y envoya. Il y reçut deux coups de mousquet au travers du corps dont il a esté incommodé toute sa vie. Sa pieté a édifié tous ceux qui l’ont connu ; elle s’est soûtenuë jusqu’à son dernier moment, & il a voulu estre enterré sans ceremonie & avec deux simples cierges à Saint Nicolas du Chardonnet sa Paroisse. Il a donné sa Bibliotheque qui estoit tres-belle & tres-nombreuse, aux Carmes Déchaussez du Fauxbourg Saint Germain, & il a institué son heritier universel, le jeune Marquis de Monnins, son cousin, qui est à l’Academie, fils de Mr le Comte de Monnins, Gentilhomme de Bearn, qui a épousé N… de Trois-Ville, cousine germaine du Comte dont je vous apprens la mort. Il estoit second fils de feu Mr le Comte de Tréville Capitaine-Lieutenant des Mousquetaires sous Louis le Juste, & dont la conduite & la fermeté luy attirerent de grandes considerations sous le regne de ce Monarque. Il fut toûjours attaché aux interests de son Maître ; il ne sçut ce que c’estoit que de mollir sous l’autorité de ceux qui estoient à la teste des affaires. Il s’estoit élevé par son merite, & il estoit sorti de Bearn sa Province, avec la simple & sterile qualité de Gentilhomme Gascon ; sa valeur & sa bonne conduite l’éleverent par degrez. Il donna sur la fin de ses jours la démission de sa Charge de Capitaine des Mousquetaires, sous le Ministere de Mr le Cardinal Mazarin. Il en eut pour dédommagement le Gouvernement de Foix, avec la survivance pour son cadet qui vient de mourir, & qui le vendit ensuite à Mr de Mirepoix, d’où il a passé à Mr le Comte de Tallard aujourd’huy Maréchal de France, & de ce dernier à Mr de Segur. Mr de Treville eut aussi la Cornette de la Compagnie qu’il quittoit pour son fils, & l’Abbaye de Montirandé pour son fils aîné, qui n’estant pas propre pour la profession des armes, à cause des incommoditez qu’il avoit, & qui l’obligerent même à souffrir l’operation de la taille, ceda son droit d’aînesse à celuy qui vient de mourir & qui estoit son cadet. L’Abbaye de Montirandé avoit esté possedée par le frere de feu Mr le Comte de Treville, Capitaine-Lieutenant des Mousquetaires, & ce Comte aprés l’avoir procurée à son frere, la demanda pour son fils aîné, qui est mort depuis quelques années.

Mre Louis-Hugues de Lionne Marquis de Berni & de Claveson, Maistre de la Garderobe du Roy, est mort âgé de soixante ans. De Dame Renée de Lionne sa cousine, heritiere du Marquisat de Claveson, & de la branche aînée de la Maison de Lionne, il laisse Mr le Marquis de Lionne, Colonel d’Infanterie, déja connu par plusieurs actions de valeur. Mr le Marquis de Berny estoit frere de Mr l’Abbé de Lionne, Abbé de Marmoutier, &c. & Prieur de Saint Martin des Champs ; de Mre Artus de Lionne Evêque de Rosalie dans la Chine, & celebre par ses Missions dans l’Orient ; de Luc de Lionne, Chevalier de Malthe ; & de feuë Dame Madeleine de Lionne, mariée à François-Hannibal d’Estrées, Marquis de Cœuvres, depuis Duc & Pair de France, morte en 1684. Elle estoit mere de Mr le Duc d’Estrées d’aujourd’huy. Mr le Marquis de Berny estoit fils aîné d’Hugues de Lionne, Ministre & Secretaire d’Etat, & de Dame Paule Payen, morte en 1704. aprés avoir donné de frequentes marques de sa pieté & du zele qu’elle avoit pour la Propagation de la Foy Catholique, à laquelle elle a contribué par ses aumônes & par ses bonnes œuvres. Feu Mr de Lionne Ministre d’Etat fut premier Commis de Mr de Servien son oncle, à l’âge de dix-huit ans, & l’estime que Mr le Cardinal de Richelieu avoit pour luy, fut cause qu’il se maintint dans les affaires malgré la disgrace de son oncle ; il prit ce temps pour aller faire un voyage à Rome, où ayant connu Mr le Cardinal Mazarin, il eut le bonheur de gagner son estime & sa confiance, ce qui le fit élever au Poste où on l’a vû depuis. Il étoit fils d’Artus de Lionne & d’Isabelle Servien, sœur du Surintendant des Finances, dont je viens de parler. Mr de Lionne ayant perdu son épouse âgée seulement de vingt-un an, tourna toutes ses pensées vers Dieu & s’engagea dans les Ordres sacrez. Il fut nommé Evêque de Gap en 1638. & ne voulut point quitter cette dignité pour l’Archevêché d’Embrun qu’on luy offrit. Il estoit fils cadet de Sebastien de Lionne & de Bonne de Portes. Ce Sebastien se distingua par sa fidelité sous le Roy Henry IV. il se jetta dans Pont de Royans, Place alors considerable en Dauphiné, & il contribua beaucoup par ses soins à faire revenir les Places & les Forteresses du Royanez sous l’obéïssance du Roy. La Maison de Lionne est originaire de Dauphiné, où elle estoit déja connuë du temps des anciens Dauphins. Humbert de Lionne estoit Gardien de la Chambre du Dauphin Humbert en 1339. Mr le Marquis de Berny a esté inhumé à Saint Eustache sa Paroisse. Mr l’Evêque de Rosalie son frere, & Mr Maigrot Evêque de Conon dans la Chine, ont assisté à ses obseques.

Mre N… de Chomart Doyen de l’Eglise de Saint Mederic, est mort dans un âge tres-avancé, & dans de grands sentimens de pieté. Il a donné dans le cours de sa vie de frequentes preuves de son zele pour le service de Dieu & de l’Eglise, & il a travaillé à la conversion des Heretiques avec beaucoup de succés. Il estoit d’une famille ancienne de Paris, & qui y estoit connuë dés le Regne de François II. Il descendoit du côté maternel des maisons de la Roche-Breüillet & de la Baroüaire, & de celle du Terrail si connuë en Dauphiné. Mr Gabriel Vignar, un des plus sçavans hommes du dernier Siecle, étoit son proche parent, de même que François Salindre de la Salle, & Guillaume la Combe de la Salle. Un Guillaume Chomart se signala sous le Regne de Charles IX. pour la deffense de la Religion Catholique. Il se déclara ennemi de tous ceux qui favorisoient les nouvelles opinions, & il entroit en dispute avec eux par tout où il les trouvoit, ou pour les convaincre, ou pour les ramener au sein de l’Eglise. André Chomart son neveu, & élevé sous ses yeux, fut aussi zelé que luy pour la Religion dans laquelle il avoit eu le bonheur de naistre. Le zele de l’oncle & du neveu fut fort loüé à la Cour, & donna lieu à Charles IX. & à Henry III. de répandre leurs biensfaits sur cette famille. Le petit fils de Guillaume Chomart ne donna pas de moindres marques de sa fidelité au Roy Henry IV. en 1589. lorsque ce Prince par le droit de sa Naissance fut monté sur le Trône de ses Ancêtres. Il resista avec force aux offres séduisantes qui luy furent faites plusieurs fois de la part des Princes de la maison de Guise, & rien ne put affoiblir les sentimens de fidelité que la justice avoit gravez dans le fond de son cœur pour les Princes de la maison de Bourbon. Mr Chomart qui vient de mourir, avoit une grande étenduë de lumieres ; il est peu de sciences dont il n’eut quelque teinture ; il sçavoit parfaitement les Belles-Lettres, & il avoit sur tout un talent marqué pour la Poësie latine. Le Pere Robert Rault Jesuite, qui a traduit en latin avec tant de delicatesse deux Odes de Mr de la Mothe, ne faisoit rien sans le consulter, estant assuré de trouver dans les conseils de Mr Chomart le vray goust de la belle Latinité, & la finesse de la Poësie latine. Le Deffunt sçavoit parfaitement les Langues Orientales, & il s’estoit sur tout fort exercé dans la Langue Hebraïque.

Mre N… de Courcelles Religieux non Profés de l’Abbaye de Baume en Franche-Comté, est mort en cette Ville où il estoit depuis plusieurs années, âgé d’environ 40. ans. Il estoit aimé & estimé de tous ceux qui le connoissoient. Il avoit prêché avec succés en Province, & pendant le sejour qu’il a fait dans le Seminaire des Bons Enfans. Il avoit un grand fond de lecture, & il estoit dans le dessein, lorsque la mort l’a enlevé, de donner un abregé de tous les Ouvrages de feu Mr Maimbourg, & de revoir une Traduction françoise qu’un Etranger a faite de l’Histoire d’Espagne de Mariana, pour luy donner le tour de nostre langue, & y répandre la delicatesse des expressions qu’un Etranger ne trouve pas aisément. Mr l’Abbé de Courcelles estoit Docteur en Theologie dans l’Université de Besançon ; il n’a point voulu prendre les Ordres sacrez parce qu’il estoit persuadé de la difficulté qu’il y avoit de bien répondre à la sainteté de ce Ministere. Il estoit d’une des meilleures maisons du Comté de Bourgogne. Elle a donné des Connêtables à cette Province dans le temps des premiers Ducs de Bourgogne. L’Abbaye de Baume dont Mr l’Evêque de Senlis est Abbé, est une de celles où l’on fait les plus rigoureuses preuves. Mr l’Abbé de Courcelles laisse plusieurs freres ; l’aîné aprés avoir servi long temps s’est retiré dans ses terres ; Mr le Chevalier de Courcelles est premier Capitaine du Regiment d’Infanterie de Medavi ; il y en a trois Religieux Augustins, & un Jesuite, tous distinguez par leur merite & par leur sagesse ; ils sont parens de Mr l’Evêque de Meaux & de la maison de Thyard-Bissi.

Mre N… le Bigot, Seigneur de Gatines, Intendant de la Marine, & Directeur du Commerce des Echelles du Levant, est aussi mort en cette Ville ; il estoit d’une ancienne famille de la Robe qui s’est toûjours distinguée par une exacte probité, & un attachement au service de leurs Souverains. Mr de Gatines aujourd’huy Conseiller au Parlement, & neveu de celuy dont je vous apprens la mort, est un Juge tres estimé dans son Corps. Le deffunt avoit long-temps voyagé, & c’est par l’experience que ses longs voyages luy avoient donnée de tout ce qui regarde le commerce du Levant, qu’on luy en avoit donné la direction, qui est d’un détail & d’une étenduë tres-considerable ; il connoissoit parfaitement le genie des Orientaux ; le sejour qu’il avoit fait parmi eux luy ayant rendu leurs Coûtumes & leurs usages tres familiers ; il avoit demeuré long-temps en Perse & dans le Royaume d’Astracan qui appartient au grand Duc de Moscovie. Les memoires qu’il avoit dressez sur les lieux de tout ce qui regarde le commerce de ces Peuples, peuvent servir d’instructions pour tous ceux qui voudront y entrer. Ses voyages n’avoient servi qu’à le dégoûter du monde, & persuadé de son inconstance, & du peu de fonds qu’il y a à faire sur tout ce qui en dépend, il avoit choisi une solitude prés de Saint Victor, où il a passé les dernieres années de sa vie, & où il est mort dans de grands sentimens de pieté.

Mr Obrecht qui passoit pour l’un des plus sçavans hommes de l’Europe, & d’une des plus anciennes familles de Strasbourg, est mort depuis peu. On luy doit la version latine de la vie de Pythagore écrite en grec par Jamblique, & il l’avoit fait imprimer sous le grec avec un tres-grand soin. Mr Kuster Auteur de la belle édition de Suidas, publiée depuis quelque temps à Cambridge, a fait imprimer à Amsterdam cette même vie de Pythagore en deux colonnes, grecque & latine, persuadé que rien ne pouvoit tant faire d’honneur au grec de Jamblique que le latin de Mr Obrecht. Mr Kuster à revû le texte sur un manuscrit de la Bibliotheque du Roy qui luy a esté communiqué par Mr Clement Sous-Bibliotecaire de S.M. & qui se fait un plaisir de communiquer les trésors dont il est dépositaire, à tous les Sçavans de l’Europe. Par le moyen de ce manuscrit Mr Obrecht a corrigé un grand nombre de fautes qui avoient passé dans les autres éditions, & il a remply beaucoup de lacunes, & mis quantité de notes au bas des pages. Mrs d’Obrecht ont esté long temps Preteurs de Strasbourg, qui est la premiere Charge de cette Ville.

Mre Jacques de Boisadam, Curé d’Acheres prés S. Germain en Laye, mourut le mois passé, âgé de plus de quatre-vingt ans, puisqu’il a desservi cette Cure prés de soixante années. Il estoit le Doyen des Curez de France. Il n’a pas cessé de faire paroître son zele pour le service de l’Eglise dans toutes les fonctions Curiales, ayant même administré les Sacremens jusqu’à la veille de sa mort, nonobstant la resignation qu’il avoit faite de son Benefice à Mr l’Abbé Vieillard son parent, que son merite avoit fait choisir par Monsieur l’Evêque de Chartres, pour luy succeder. Il estoit fort connu des plus grands Seigneurs de la Cour, & même de Sa Majesté, qui luy avoit donné plusieurs fois des marques de sa bonté pendant les Camps & les Revuës de la Plaine d’Acheres, & il estoit regardé non-seulement comme un bon Ecclesiastique, mais aussi comme un bon Gentil-homme, estant de la famille de Boisadam, qui est des meilleures & des plus anciennes de Bretagne, comme il se voit par la nouvelle Histoire de ce Pays, qui paroist depuis peu : & du costé de sa mere Elisabeth du Pont de-Compiegne, il estoit ainsi que Mes de Crecy, de Compiegne, de Vieillard, de Chezelle, & de Bourqueville, proche parent de Mr de Compiegne, à qui le Roy vient d’accorder la survivance pour son fils de la Charge de Capitaine & Chef du Vol pour les Champs de la Chambre de Sa Majesté qui honore de sa bienveillance cette famille originaire de Beran, que le Roy Henry IV. consideroit fort, & qu’il fit venir en France avec luy pour l’attacher à son service.

Mr du Revest de Vachieres, Chevalier de l’Ordre Militaire de Saint Louis, Exempt des Gardes du Corps de la Compagnie de Noailles, qui avoit reçu un coup de Mousquet dans la cuisse au Combat d’Oudenarde, mourut à Gand le 16. du mois passé de la blessure qu’il avoit reçûë dans ce Combat. Il servoit depuis trente-cinq ans, & il avoit eu l’honneur d’estre choisi par Sa Majesté pour suivre en cette qualité Messeigneurs les Princes au voyage d’Espagne, & l’année derniere à celuy que Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry devoient faire en Provence. Ce Gentilhomme estoit d’une des meilleures Maisons de Provence, & la maniere dont il a vécu, & celle dont il a servi, le font regretter de tous ceux qui le connoissoient.

Dame N…. Begon épouse de Mr le Marquis de la Galissoniere, est morte à l’âge de 37. ans. Elle estoit fille de Mr Begon Intendant de Rochefort, & Pays d’Aulnis, & de la Rochelle, & sœur de Mr l’Abbé Begon Docteur de Sorbonne. Cette Dame a esté universellement regrettée. Les qualitez de son cœur ainsi que celles de son esprit, luy avoient acquis l’estime de tous ceux qui la connoissoient. Mr Begon son pere a toûjours aimé les Sciences & les beaux Arts, & protegé ceux qui s’y attachoient ; ainsi on ne doit pas s’étonner s’il avoit pris tant de soin à cultiver l’esprit de la Dame dont je vous apprens la mort. Elle sçavoit des belles Lettres & des Sciences tout ce qu’il est permis aux personnes de son sexe d’en sçavoir, & elle accompagnoit toutes ses lumieres d’une grande modestie. La famille de Mr Begon est originaire de Blois, & alliée à la maison de Colbert dont estoit la mere de Mr l’Intendant de Rochefort ; il a acquis dans l’administration des affaires dont il a esté chargé, une grande reputation ; sa douceur & son équité naturelle l’ont rendu cher aux Peuples de sa Generalité. Nous luy devons l’édition des éloges des Hommes Illustres de feu Mr Perrault ; il a fait la dépense de tous les Portraits gravez par les plus habiles Maistres, & il engagea Mr Perrault de travailler à leur histoire sous la forme & la methode qu’il luy prescrivit. Mr de Muyn pere de Mr de Muyn Conseiller au Parlement, & de Mr l’Abbé de Premontré, a esté Intendant de cette Generalité avant luy, & ils se sont trouvez tous deux en fonction dans des temps assez difficiles, puisque ce fut dans le temps de la revocation de l’Edit de Nantes, & aprés cette revocation. La maniere dont les Protestans parlent de Mr Begon, peut faire seule son éloge ; ils sont naturellement si portez à s’élever contre les Intendans qu’ils regardent comme les auteurs de leur destruction, que lorsqu’il leur arrive d’en dire du bien, on doit croire qu’il y en a beaucoup à dire. La maison de la Galissoniere est des plus qualifiées de Poitou, & qui s’est soûtenuë depuis plus de deux Siecles par les dignitez qu’elle a remplies, & par les alliances qu’elle a faites. Elle a produit des personnes distinguées dans la profession des Armes par leur valeur, & par des actions d’éclat ; elle est originaire de Poitou, où elle subsiste depuis prés de quatre Siecles.

Mre Henry Emanuel Hurault Chevalier Marquis de Vibray & autres lieux, qui est mort dans un âge fort avancé, avoit porté les Armes pendant plusieurs années, & il avoit long-temps commandé un Regiment d’Infanterie. De Me la Marquise de Vibray son épouse, & Dame d’honneur de feuë Me la Duchesse de Guise, dont je vous appris la mort il y a environ deux ans ; il a laissé Mr le Marquis de Vibray Lieutenant general des Armées du Roy, qui a des enfans de Dame Françoise-Julie de Grignan, fille de François Adhemar de Monteil Comte de Grignan, Chevalier des Ordres du Roy, & Lieutenant general en Provence ; & de Dame Angelique-Claire d’Angennes Ramboüillet sœur de feuë Me la Duchesse de Montausier. Mr le Marquis de Vibray descendoit de Philippe Hurault Comte de Cheverni, Chancellier de France. Les Memoires du Chancelier de Cheverni sont tres-curieux ; d’Anne de Thou fille du premier President de ce nom, il laissa Philippes Evêque de Chartres, & Henry Comte de Cheverni, & Gouverneur du Pays Chartrain. Elisabeth Hurault sa fille femme de François de Paule de Clermont, Marquis de Montglat, Chevalier des Ordres du Roy, fut son heritiere. Le Chancelier de Lhôpital n’eut qu’une fille qui épousa Robert Hurault Seigneur de Belesbat. Chancelier de Marguerite Duchesse de Savoye. Cette branche de la maison d’Hurault a produit deux Archevêques d’Aix. Guy Hurault qui fut le second mourut en 1625. estimé par sa grande vertu Le celebre Mr de Thou fait une mention tres-honorable de la maison d’Hurault au quatre & cinquiéme livre de son histoire, de même que l’Abbé de Brantôme dans l’éloge du Chancelier de Lhôpital.

Mr le Marquis de Vibray, fils du deffunt, fut nommé il y a quelques mois, Commandant de Saint Malo, à la place de feu Mr le Marquis de Thianges. Ce Commandement est important, & demande un homme intelligent, prudent & brave.

Il est à souhaiter que ceux dont vous trouverez les mariages dans les articles suivans, reparent la perte de ceux dont vous venez d’apprendre la mort.

[Mariages] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 91-96.

 

Messire Nicolas Petit de Ville-neuve, President de la Cour des Aides de Paris, fils feu Mr Petit de Ville-neuve, Conseiller en la même Cour, & de Marie-Anne Foucault, fille de Mr Faucault, Secretaire du Conseil, & sœur de Mr Foucault, Marquis de Magny, aujourd’huy Conseiller d’Etat, & de Me la Marquise d’Avaray, épouse de Mr le Marquis d’Avaray, Lieutenant general des Armées du Roy en Espagne, épousa le 8. de ce mois dans l’Eglise de S. Eustache, Marianne Neyret, fille de Mr Neyret, dont le pere & le grand-pere ont esté Echevins de la Ville de Lyon ; le soupé de la nôce se fit à Charonne dans la maison de feuë Madame de Nemours, où deux tables de vingt couverts chacune furent magnifiquement servies ; le fameux Mr du Bousset avoit fait en faveur des nouveaux Mariez l’Air dont voicy les paroles, qu’il chanta tres-agreablement.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pour former de si beaux nœuds, page 93.
Pour former de si beaux nœuds,
Amour, dans cette journée,
Viens joindre tes plus doux feux
Au flambeau de l’Himenée.
***
Ce Dieu triomphe aujourd’huy
Satisfait de sa Conqueste ;
Viens partager avec luy
Les honneurs de cette Feste.
***
En faveur de ces Epoux
Unissez-vous, Dieux aimables ;
Leur bonheur dépend de vous,
Rendez leurs plaisirs durables.

Mais l’Assemblée fut encore plus surprise d’entendre les Trompettes, Timballes & toute la Symphonie de l’Opera, qui estoit cachée dans un endroit du Bois, que Mr le President de Ville neuve avoit fait illuminer ; tous les Conviez furent charmez de cette Feste, qui parut d’autant plus belle qu’elle n’estoit pas attenduë.

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Epithalame §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 122-127.

 

Je vous ay parlé du Mariage de Mr le Prince Leon, dans le temps qu’il a esté arresté ; mais je ne vous en ay rien dit dans le temps qu’il a esté consommé, ce qui s’est fait au grand contentement des époux qui ont marqué toute la déférence imaginable au pouvoir de l’amour, n’ayant écouté que ses loix sans avoir eû d’attention qu’à obeïr à ce Maître des Dieux. Mr de la Motte, aussi connu qu’estimé dans l’Empire des Vers, ayant fait une Epithalame sur ce Mariage & la lecture de tout ce qui part de sa veine faisant beaucoup de plaisir ; j’ay crû vous la devoir envoyer.

EPITHALAME.

Viens unir deux Amans d’une chaîne éternelle,
Viens, favorable Himen, c’est l’Amour qui t’appelle.
Si ce Dieu sur tes pas ne fait marcher les Ris,
Ton regne n’est souvent qu’une longue querelle,
Mais qu’avec luy la Feste devient belle,
Et que ton regne est doux quand vous estes unis.
Viens unir, &c.
***
Ne separons jamais ces Dieux,
L’un est trop fol, l’autre est trop sage
L’Himen seul est trop ennuyeux ;
L’Amour seul seroit trop volage
Il faut qu’un heureux assemblage
Rende l’Himen riant & l’Amour serieux.
Viens unir, &c.
***
Vole, c’est trop tenir leur bonheur suspendu,
Aux vœux les plus ardens haste-toy de te rendre,
Quoy que le nœud charmant que tu leur fais attendre
Merite bien d’estre attendu
C’est toûjours pour l’Amour autant de temps perdu.
Viens unir, &c.
***
Descends du celeste sejour :
Que voy-je ! on te retient, on te fait violence,
Quels Dieux en t’arrestant veulent tirer vengeance
De n’avoir pû commander à l’Amour ;
Par un peu de fierté s’il osa leur déplaire,
C’est assez de ses vœux interrompre l’effet.
Peut-on contre l’Amour garder quelque colere ;
Ce qu’il est, doit servir d’excuse à ce qu’il fait.
Viens unir, &c.
***
Mais c’en est fait, tes pas ne sont plus arrestez,
Au devant de toy l’Amour vole,
  Et Jupiter d’une parole
Vient de rendre le calme à ces Dieux irritez :
Viens donc de nos Amans couronner la constance,
Par les nœuds que l’Amour t’a longtemps demandez ;
Et que ces Dieux charmez de vostre intelligence
Prennent part aux plaisirs qu’ils avoient retardez,
Viens unir deux Amans d’une chaisne éternelle,
Viens, favorable Himen, c’est l’Amour qui t’appelle.

[Clef de Mital] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 127-129.

 

Je vous ay parlé dans ma Lettre du mois de Juin d’un nouveau Livre intitulé : Mital, ou Aventures incroïables, & toute-fois &c. Comme ce Livre est non-seulement tres-amusant, mais qu’il est aussi des plus extraordinaires qui ayent jamais paru, il a donné beaucoup d’exercice à ceux qui ont crû qu’il renfermoit de grands mysteres, jusques-là même qu’il s’est trouvé de beaux esprits qui se sont extrêmement égarez dans la recherche de ces prétendus mysteres. Enfin, pour faire cesser ces interpretations, on vient de donner la Clef qui explique le dessein qu’on a eu dans le recit des prodigieuses Aventures que cet Ouvrage contient, avec quelques Scenes qui doivent faire plaisir. Vous serez bien étonnée lors que vous trouverez dans cette Clef prés de trois mille citations de plus de cent quatre-vingt Auteurs, qui autorisent ce qui y paroist incroyable, si l’on est d’humeur à le croire. Il est enfin constant qu’il y a dans Mital un précis de tout ce qui a été écrit de plus surprenant ; de plus bizarre par rapport aux choses naturelles, aux Coûtumes, aux opinions, &c. La Clef & le Livre se vendent chez Charles le Clerc, Quay des Augustins, du côté du Pont Saint Michel, la Toison d’or.

[Premiere Pierre du College des Barnabites de Montargis, posée par S.A.R. Madame] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 129-131.

 

Les Peres Barnabites de Montargis aprés avoir fait bâtir leur Eglise, qui est une des plus belles de la Province, font aussi bâtir leur College, où ils sont établis depuis 1620. feuë Son A.R. Monsieur ayant mis la premiere pierre de l’Eglise en 1679. S.A.R. Madame a bien voulu que celle du College fust mise en son nom. Cette Ceremonie se fit le 30. du mois passé. Le Clergé de la Ville, le Maire & les Echevins precedez des Compagnies de toute la Bourgeoisie sous les armes, les Officiers du Presidial, de l’Election, de la Prevosté, de la Maréchaussée, & des Eaux & Forests, y ont assisté par ordre de Son Altesse Royale. Mr de la Motte, Lieutenant general de Police & Procureur du Roy & de Son Altesse Royale, a mis la premiere pierre au nom de Madame. Les Ecoliers du College reciterent avant la Ceremonie plusieurs Pieces de Vers à la loüange de cette Princesse & de S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans.

[Article concernant tout ce qui s’est passé à l’occasion de l’élection d’un nouveau Prevost des Marchands ; le Scrutin presenté au Roy, & les ceremonies observées par la Ville en Corps, le jour de la Feste de Saint Louis, avec les harangues prononcées à cette occasion] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 131-159.

 

La place de Prevost des Marchands de la Ville de Paris, qui a toûjours esté tres-considerable, est encore devenuë plus importante à cause de la nouvelle étenduë que l’on a donnée au pouvoir de ceux qui en sont pourvûs, Mr Boucher d’Orsay ayant esté Prevost des Marchands pendant neuf ans, durant lesquels il a fait voir la sagesse & la probité qui sont hereditaires dans son illustre famille, vient d’avoir pour successeur, Mr Bignon l’aîné, Conseiller d’Etat. Cette place devoit estre remplie par un homme d’un aussi grand nom & d’une aussi grand distinction pour consoler le Peuple de Paris de la perte qu’il venoit de faire. Mais il trouve heureusement dans la personne de Mr Bignon un Magistrat distingué par son rang ; doux, affable, populaire, équitable, éclairé, capable de gouverner les affaires publiques, & qui a toûjours trouvé moyen de concilier les interests du Roy avec ceux du Public, d’une maniere qui luy a toûjours attiré beaucoup de loüanges. Il estoit encore fort jeune lorsque son esprit commença à briller dans la Charge d’Avocat du Roy au Chastelet. Il ne s’est pas moins distingué ensuite dans l’exercice de la Charge de Conseiller au Parlement, ainsi que dans l’Intendance de Normandie, & dans celle de Picardie & d’Artois, où il a esté extrêmement regretté. Il a fait voir que les temps les plus difficiles ne l’estoient pas pour luy, & qu’il sçavoit en tout temps contenter le Roy & les Peuples ; ce qui engagea Sa Majesté il y a quelques années à le nommer Conseiller d’Etat, pour recompenser son merite & ses services. C’est un avantage qui luy est commun avec ses illustres parens, tant du costé paternel que maternel. Il suffit de nommer les Bignons, & les Phelypeaux pour faire en peu de mots connoître au Public les honneurs & les prerogatives qui sont attachées à ces illustres noms, soit dans la Robbe, soit dans le Ministere & dans la Republique des Lettres.

Quelques jours aprés la nomination du nouveau Prevost des Marchands, ce grand Magistrat alla à Fontainebleau, accompagné du Corps de Ville, pour prester serment entre les mains du Roy, & le Scrutin fut presenté à Sa Majesté selon l’usage ordinaire, par Mr de Grise Noire, Conseiller au grand-Conseil, & grand Rapporteur au Sceau, second fils de Mr Chauvelin Conseiller d’Etat. Il fit un Discours qui ne parut pas moins éloquent que judicieux, & qui fit connoistre qu’il est tres-digne du sang d’un pere qui s’est distingué dans tous ses emplois, & sur tout dans celuy de l’Intendance, & d’un frere aîné qui s’estoit aussi attiré de grands applaudissemens en presentant le Scrutin à S.M. dans une pareille occasion, & qui a esté mis, quoy que fort jeune, en qualité de Maistre des Requestes, dans le premier Tribunal du Royaume. La maniere & le succés avec lesquels il exerce cette grande Charge, joints aux grandes qualitez qui le font estimer, donnent lieu d’en concevoir les plus hautes esperances.

Vous sçavez qu’il y a toûjours quatre Echevins en fonction ; que les deux plus anciens sortent tous les ans de l’Echevinage, & que l’on en choisit deux nouveaux pour remplir leur place. Ceux qui viennent de quitter cet employ, sont : Mr Scoujon, & Mr Denis. Ils en ont rempli toutes les fonctions avec un applaudissement general. On peut dire que tous ceux qui sortent de l’Echevinage, & que tous ceux qui y entrent, sont d’une probité reconnuë. Les Statuts sont tres-rigoureux là-dessus, & un homme qui auroit été arrêté prisonnier quoi qu’injustement, ne peut estre élû Echevin, & l’on doit avant d’y parvenir avoir passe par beaucoup d’emplois qui font connoistre le merite, & l’exacte probité de ceux qui les ont remplis.

Les nouveaux Echevins qui ont esté nommez, sont : Mr Bloüin, Quartinier, & Commis aux Greffe du Conseil du Roy ; & Mr Regnault, Marchand, qui s’est acquis une grande réputation dans le negoce. Ces nouveaux Echevins presterent serment aprés Mr le Prevost des Marchands, & S.M. leur fit à tous un accüeil tres-favorable, & leur parla avec la maniere obligeante qui est si naturelle à ce Monarque.

Le Roy estant encore dans un âge peu avancé, & qui ne luy permettoit pas de se mettre à la teste de ses Armées, ne laissoit pas avant la Paix des Pyrenées de quitter Paris à l’ouverture de toutes les Campagnes, pour aller tenir sa Cour dans une des Villes les plus frontieres du lieu où l’on devoit faire quelque Siege, afin que l’on y pût recevoir plus promptement ses ordres, & que sa presence donnast plus de chaleur aux Troupes qu’il visitoit quelquefois selon qu’on le jugeoit à propos pour le bien de ses affaires. Les mouvemens continuels que ce Prince se donnoit, furent cause qu’il tomba malade à Calais, où il auroit perdu la vie si le Vin-Emethique, ne l’eut tiré de l’extremité où il se trouva réduit. La Ville de Paris sçachant l’estat où estoit ce Monarque, fit vœu pour le recouvrement de sa santé, & pour la conservation de ce Prince, de faire chanter tous les ans le jour de la Feste de Saint Louis, une Messe solemnelle de Saint Roch, dans la Chapelle du Louvre, & les Carmes du grand Convent furent choisis pour cet effet. C’est pourquoy on les voit tous les ans le jour de Saint Louis, traverser la Ville en Procession en Chappes, faisant porter beaucoup de Reliques, au son de plusieurs Instrumens & particulierement des Trompettes. Cette Procession est toûjours suivie du Corps de Ville, qui a l’avantage de voir marcher à sa teste, Mr le Gouverneur de Paris, & Mr le Prevost des Marchands accompagnez de la plus grande partie des trois cens Archers de Ville, & de leurs Officiers. Les Carmes ont soin tous les ans d’inviter par un Compliment Mr le Gouverneur de Paris ; Mr le Prevost des Marchands, & le Corps de Ville, de se trouver à cette Procession. Le Pere de Pigray, est celuy qui a esté chargé cette année du Compliment d’invitation, & ce Pere n’ayant point trouvé Mr le Duc de Tresmes, Gouverneur de Paris, parce qu’il estoit à Fontainebleau avec Sa Majesté, fit le Compliment suivant à Mr le Marquis de Tresmes son fils.

MONSIEUR,

Si la grandeur du Roy pour la conservation duquel nous venons interesser la pieté de vostre illustre pere, luy estoit moins connuë, nous en ferions une éloge, & cet éloge quoyque toûjours inferieur à son auguste caractere, ne laisseroit pas d’animer ce zele qu’il fait paroistre dans toutes les occasions où il s’agit de la gloire de S.M. mais ce dessein tout glorieux qu’il est, ne seroit-il pas temeraire ?

C’est de luy, Monsieur, que nous devons apprendre à offrir des vœux pour un Souverain, dont il approche le Trône de si prés, dont il interprette si souvent les volontez, & duquel les grandes vertus luy sont bien mieux connuës qu’à nous ; c’est la parfaite intelligence qu’il a des excellentes qualitez qui sont singulieres au plus grand Roy du monde, qui l’a placé au dessus des peuples pour leur inspirer les mêmes sentimens de zele & d’attachement qu’il a pour le service de Sa Majesté.

Nous venons le supplier, Monsieur, de paroistre dans un jour de solemnité à la teste de ce peuple qui a esté commis à son sage gouvernement, pour luy estre un modele de la pieté la plus sincere & la plus édifiante ; elle a esté exemplaire, elle a esté magnifique, cette pieté, dans la personne de vostre ayeul, vostre illustre Maison l’a reçûë de luy comme une succession qu’elle prefere à l’éclat des Emplois & à la pompe des Dignitez ; une sagesse prematurée l’a fait briller en vous dés les premieres lueurs de la raison ; nous devons en recevoir des témoignages publics. Que ces témoignages seront avantageux ? de si dignes offrandes presentées pour la conservation du Roy, seront reçûës en odeur de suavité sur les autels du Tout-Puissant ; ces vœux seront du caractere de ceux qui ont le pouvoir de toucher le cœur de Dieu ; ils donneront une nouvelle force à nos prieres, & ils feront naistre une tendre devotion dans les cœurs des citoyens.

Le même Pere s’estant ensuite rendu à l’Hôtel de Ville ; fit le compliment suivant à Mr le Prevost des Marchands & à Mrs de Ville.

MESSIEURS.

S’il s’agissoit icy de vous proposer quelqu’une de ces festes publiques que vostre zele a si souvent décernées aux Triomphes de Loüis le Grand, je laisserois à de celebres Orateurs les soins glorieux de vous peindre par de vives expressions, & la grandeur de ce heros, & l’ardeur de ce zele qui vous a toûjours animé à publier sa gloire.

Mon discours doit renfermer quelque chose de plus vif, de plus pressant ; Je viens en Orateur chrêtien vous demander les offices d’une pieté qui vous est ordinaire ; pour l’animer cette sincere pieté, n’est-ce pas assez de vous dire que je veux l’interesser à la conservation du plus religieux, du plus grand de tous les Souverains, je viens, dis-je, vous rappeller les tristes idées de ces jours de deüil, où vos peres dans l’amertume de leurs cœurs, épancherent leurs âmes devant Dieu, pour détourner la violence du mal qui menaçoit la vie du plus grand de nos Roys, c’est vous exposer d’un seul trait ces jours d’allegresse publique, ausquels des vœux ardents ayant obtenu l’entiere guerison de ce Prince admirable, vos illustres predecesseurs reprirent les premiers ornemens de leur joye.

Ce n’est donc pas, Messieurs, dans un jour de larmes que je demande la continuation de ces vœux que la religion de vos peres a consacrez, & qu’elle a voulu transmettre jusqu’à vous ; c’est dans un jour de prieres que vostre pieté a prescrit, pour demander à ce divin Seigneur qui tient en ses mains la durée de nos jours, la conservation d’un Roy qui devroit toûjours vivre, s’il estoit possible, pour nous rendre toûjours heureux : jour d’actions de graces ! jour de supplications auquel vous implorez la protection d’un Saint dont l’intercession est fameuse dans tout le monde chrêtien, auquel vous honorez la Confrerie érigée en son nom ; vous la soûtenez de vos biensfaits, vous satisfaites aux tendres sentimens de vostre devotion, vous entrez dans les pieux desseins d’un Roy tres-chrêtien, vous representez la religion des peuples dont vous estes établis les peres.

Quoy de plus solide, Mrs, quoy de plus touchant que le motif qui doit animer icy vostre pieté ? Elle a en vuë la conservation du plus Religieux, du plus grand de tous les Rois ; qu’il ait regné, qu’il regne encore tout couvert de lauriers, que ce Roy glorieux surpasse tous les heros, sa pieté n’a-t’elle pas toûjours égalé sa gloire ? ne l’a-t’elle point emporté sur sa valeur, n’en a-t’elle pas esté la source ? Que son Regne, comme celuy de Salomon, ait fait fleurir la justice dans cet auguste Royaume ? C’est par les conseils éclairez d’une sagesse qu’il a reçuë de Dieu, qu’environné de toute la gloire des Conquerans, il ait plusieurs fois preferé le repos du monde à l’interest d’agrandir ses Etats ; c’est par une clemence qui est le propre de la Divinité dont il est l’image sur la terre : le zele de la maison de Dieu a toûjours esté l’âme de ses actions : comme David il paroist le premier devant l’Arche à la tête de tout Israël : comme Ezchias il n’a pû voir les Chapelles de division que l’heresie avoit élevées sur les hauteurs de Garizim, sans les détruire ; il a reüni les cœurs par les liens d’une même religion, ramené les esprits à l’unité d’une même foy : si les pechez du peuple l’ont fait cesser quelques momens d’estre victorieux, il n’a pas cessé d’estre vainqueur : cette constance si digne du heros chrêtien ne l’a pas abandonné ; l’esprit de force qu’il a conservé dans des évenemens contraires n’est-il point superieur à l’éclat des plus fameuses victoires ?

Le Motif de vostre devotion n’eut donc, Mrs, jamais rien de plus juste, jamais rien de plus saint : aussi qu’elle pieté fut jamais plus sincere, plus veritable que la vôtre ? vous estes ces hommes de misericorde selon le cœur de Dieu ; une distinction qui vous estoit dûë vous a mis à la tête des Citoyens pour les soûtenir, les deffendre, les proteger ; vous estes les delices, l’ornement, la gloire de la Patrie, vous veillez à sa seureté ; vous en asseurez le repos : Le Monarque parle-t-il à ses sujets, il s’explique par vos bouches : les peuples s’assemblent-ils pour offrir des vœux au Ciel, vous estes les Interpretes des sentimens publics.

N’est-ce pas Messieurs dans la connoissance des hautes vertus qui vous distinguent, que le Roy dont la penetration est toûjours vive, dont les choix sont toûjours les choix de Dieu, vous a donné pour chef un Magistrat d’une integrité reconnuë, d’une intelligence superieure, issu de cette illustre maison où l’amour de la justice est hereditaire ; ce zele de justice qui regle tout avec prudence, qui ne peut estre surpris ni par la prevention, ni par la faveur, n’a-t-il pas brillé dans ses actions, dans ses jugemens avec un éclat qui égale celuy de ses Ancêtres dans l’importante administration de la Picardie & du Pays d’Artois ? une sage conduite qui veille pour les interests de son Souverain ? n’a-t-elle pas esté en luy de concert avec une tendre misericorde qui soûlage les peuples ?

C’est de ses mains, c’est des vôtres, Messieurs, que la pieté publique exige des encens ; ce suprême Seigneur pourroit-il en recevoir de plus saints, de plus agreables ? puisqu’ils seront offerts par des mains pures, innocentes, tout occupées à la distribution de la justice, au soûlagement des peuples ; ils seront reçûs en odeur de suavité, puisqu’ils fumeront sur nos Autels pour obtenir au plus religieux de tous les Roys, la conservation de ses jours si precieux à l’honneur du Sanctuaire à la gloire de la Monarchie ; à la felicité des peuples.

On doit remarquer que l’on rend tous les ans le Pain benit à la Messe solemnelle dont je viens de vous parler, & que ce Pain benit est rendu tous les ans par une personne differente ; mais de la plus haute distinction, invitée pour cet effet. Mr le Duc de Gesvres l’avoit rendu il y a 21. an, & Mr le Duc de Trêmes son fils, Gouverneur de Paris, l’a rendu cette année avec toute la pompe & tout l’éclat convenable à un homme de son rang & de sa naissance. Les Trompettes & les Hauts-bois de Sa Majesté accompagnerent six Pains benits, ainsi que la Compagnie des Gardes, & la maison de ce Gouverneur tres-lestement vêtuë. Les Pains benits estoient portez par douze Suisses qui avoient la livrée de la maison de Trêmes. Ces Pains benits estoient garnis de Cierges & de Banderoles aux Armes de la même maison, & le Cierge qui fut presenté à l’Offrande, étoit garni de plusieurs pieces d’or.

[Mort de Mre Jean Luillier, Seigneur de Labbeville]* §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 210-216.

 

Mre Jean Luillier, Chevalier, Seigneur de Labbeville, Fontaine & Morenville, âgé de soixante-sept ans, mourut à Paris la nuit du 9. au 10. du mois dernier, pleuré d’un grand nombre d’Amis, estimé de ceux qui ne le connoissoient qu’à peine, ainsi que de ceux qui se faisoient honneur d’estre connus de luy, & regretté de tous. Jamais homme n’a joint plus de qualitez aimables a plus de vertus solides. Il aimoit la magnificence ; il estoit liberal jusqu’à la profusion, genereux jusqu’au dernier desinteressement, & charitable jusqu’à preferer les besoins des pauvres aux dépenses qu’il faisoit avec le plus de plaisir. Jamais pauvre n’a esté renvoyé à sa porte, & jamais indigent n’a eu recours à luy sans effet. Il se faisoit un plaisir particulier de soulager de pauvres vieillards que leur âge ou leurs infirmitez retenoient dans leur lit & dans leur maison, & de faire élever de jeunes gens qui paroissoient disposez au bien, d’une maniere qui pouvoit leur donner lieu de se distinguer & de s’établir. Cette charité luy a souvent réüssi, & Paris est rempli de gens estimez & souhaitez par tout, qui luy doivent leur reputation & leur fortune. Il cherchoit avec autant de soin les occasions de donner, que d’autres les évitent. Il communiquoit facilement ses grands biens ; mais toûjours avec proportion & avec choix. Il avoit plus de facilité à les répandre qu’il n’avoit d’attention à les recüeillir. Il se plaisoit sur tout à se cacher lorsqu’il répandoit ses graces & ses liberalitez. Il avoit toûjours des témoins de la maniere noble dont il vivoit, mais il prenoit soin de n’en avoir pas, des bonnes œuvres qu’il se plaisoit à faire. Ses propres domestiques les ignoroient, ses meilleurs Amis n’en sçavoient rien, & dés qu’il s’en estoit acquitté à son gré, ceux à qui il avoit fait du bien auroient dit qu’il l’ignoroit tant il prenoit de soin de l’oublier. Jamais pauvre honteux ne s’est autant caché pour luy demander, qu’il s’est caché luy même pour luy ouvrir sa bourse ; & il ne sentoit jamais si bien le plaisir d’estre riche que lorsqu’il joüissoit à son gré du plaisir de donner. Il avoit de l’esprit & du sçavoir, & il ne s’en servoit jamais plus heureusement avec autant d’attention que lorsqu’il les employoit à loüer ceux en qui il en trouvoit. Tout genre de merite luy estoit bon. Tout beau talent luy estoit cher, & toute bonne qualité luy estoit agreable. Il aimoit les ouvrages d’esprit, il les critiquoit avec peine, il les approuvoit avec plaisir, & il attiroit chez lui ceux qui en faisoient, ou qui estoient capables d’en faire, & toûjours dans l’idée d’ajoûter quelque récompense à son approbation. Il avoit un grand goust pour toutes choses ; mais sur tout pour les Bâtimens & pour la Musique, & il employoit utilement les Architectes & les Musiciens. C’étoit un titre pour eux lorsqu’il les employoit. Ses pensées estoient vives, ses idées justes ses lumieres pures, son choix toûjours sûr & son goust toûjours approuvé. Il avoit fait de toutes ses maisons tant à Paris qu’à la Campagne, autant de reduits charmans inaccessibles à l’ennuy, & d’où sa seule presence estoit en possession de bannir le chagrin & la tristesse. Enfin aprés avoir vécu en Philosophe, il est mort en Chrestien.

Madrigal §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 252-254.

 

Les Vers qui suivent n’exciteront point de dispute comme ceux dont il est parlé dans l’Article que vous venez de lire. Ils ont été faits sur un ouvrage qui doit autant durer que le monde, par Mr Moreau de Mautour, qui travaille à immortaliser son nom. L’ouvrage est le Dictionnaire Geographique & Historique de Mr de Corneille, qui doit estre rendu public dans le temps que vous recevrez ma Lettre. Je ne vous dis rien de cet ouvrage dont je vous ay amplement parlé le mois passé, & qui est attendu avec impatience, non-seulement de toute l’Europe ; mais même de toute la terre, s’il m’est permis de parler ainsi.

MADRIGAL.

L’esprit fait ses Heros, ainsi que la valeur.
Cet ouvrage immortel que nous voyons paroistre,
Acheve d’assurer la gloire à son Auteur :
Les Muses & les Arts l’ont déja fait connoistre,
Frere du grand Corneille il marche sur ses pas.
Mais lorsque sa plume feconde
Décrit ce que le Ciel sous ses vastes climats,
Comprend sur la terre & sur l’onde ;
Il conserve son nom au-delà du trépas,
Et confond sa durée avec celle du monde.

[Réjoüissances publiques faites à Madrid la veille & le jour de la Feste de S. Louis] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 273-283.

 

L’Article que vous venez de lire doit donner autant de chagrin aux Alliez, que celui qui suit a donné de plaisir à la Cour d’Espagne & au Peuple de Madrid.

La Cour & le peuple de cette Ville ont celebré la feste de Saint Loüis d’une maniere qui fait voir que leur zele & leur affection pour le Roy d’Espagne & pour la Maison Royale ont toûjours la même vivacité. On tira le soir de la veille de cette Feste des feux d’artifice en plusieurs endroits de la Ville ; on en avoit preparé un vers la Place de la Cevade prés la Porte de Tolede par les soins des Bourgeois de ce Quartier ; il fut trouvé des plus beaux ; mais celuy que Mr le Comte de las Torres avoit fait dresser au milieu de la plus spacieuse des Cours du Buen-Retiro, qui est celle par où l’on entre au Collisée, fut encore plus admiré. On avoit élevé deux manieres de Baldachins semblables à deux Pavillons qui partageoient cette Cour ; l’un estoit orné de Festons de verdure au milieu desquels paroissoit une grande Coquille d’où une fontaine de vin coula toute l’aprés-dînée & pendant une partie de la nuit, & l’autre representoit le Palais du Soleil ; la Statuë de ce Dieu estoit en pied au milieu ; elle estoit dorée en plein ; il y avoit des Inscriptions sur toutes les Façades, & cette demeure du plus brillant des Dieux parut toute de lumiere lorsqu’on mit le feu à l’artifice qui avoit esté disposé pour cet effet. Cette Cour estoit entourée de Fanaux placez en symetrie & élevez de dix pieds de haut qu’on appelle à Madrid Luminarias, & generalement toutes les fenestres qui ont vûë sur cette grande Place estoient garnies de flambeaux. Pendant tout le temps que la varieté de ces feux divertissoit tres-agreablement la vûë, on eut le plaisir d’entendre un million de vivat meslez au bruit des Timballes & des Trompettes qui de differens endroits se répondoient par échos. Ces preludes annoncerent pour le jour suivant des Spectacles d’une beaucoup plus grande magnificence.

La Place la plus frequentée de Madrid est celle qu’on nomme la Porte du Sol ; sept des plus grandes ruës de la Ville y aboutissent ; toute l’Architecture d’une belle fontaine qui est au milieu, estoit ornée de fleurs & de verdure ; un peu plus bas du côté de la Calle-Major, ou grande ruë, on avoit dressé un Château de feu à trois étages & fort élevé ; on y voyoit des Inscriptions de tous côtez à la loüange de leurs Majestez Catholiques, qui estoient remplies d’Augures heureux qui regardoient le Prince des Asturies. À la Façade des maisons de cette Place opposée à celle de l’Eglise nommée du Bon-Succés, on avoit placé un Dais magnifique, au haut duquel on avoit mis le Portrait de Saint Loüis en pied ; celuy du Roy estoit au dessous ; celuy de S.M.C. à sa droite ; celuy de la Reine à sa gauche, & au dessous celuy du jeune Prince des Asturies : des tapisseries d’une grande beauté, les Tableaux d’autres Princes de la Maison Royale, & de riches ornemens qu’on nomme Colgaduras accompagnoient le Dais, & paroient tous les balcons de la Place d’une maniere aussi galante que bien entenduë, & l’on doit avoüer que les Espagnols sçavent parfaitement arranger tout ce qui peut entrer dans la disposition de ces sortes de Fêtes. Dés que la nuit fut fermée tous ces balcons furent illuminez de grands flambeaux de cire blanche de cinq livres chacun, toutes les ruës bordées des Luminarias dont j’ay déja parlé, & enfin sur les neuf heures on tira le feu qui fut executé de la maniere du monde la plus vive & la plus agreable.

Pendant que la Ville estoit occupée de ces plaisirs, la Cour joüissoit au Buen-Retiro d’un spectacle digne de la Majesté des personnes qui l’honoroient de leurs presences. Mr le Comte de Las-Torres avoit demandé au Roy d’Espagne depuis plus de quatre mois la permission de luy donner une Feste. S.M.C. luy marqua le jour de Saint Loüis ; ce Comte qui est riche, dont la valeur est connuë, & qui est attaché à son maître par le zele le plus ardent & l’affection la plus sincere, si representer sur le Theatre du Colisée, un Opera des plus magnifiques qui ayent esté vûs en Espagne ; les Décorations étoient des plus brillantes, & les habits de plus de cent Acteurs estoient des plus superbes ; l’Orquestre charma tout le monde par la varieté de la simphonie qui fut trouvée admirable, & qui fut tres-bien executée, & les Etrangers qui ont du goust & du discernement, convinrent tous que si la Musique Espagnole estoit desormais traitée par des personnes aussi sçavantes, il ne luy manqueroit que les voix qui executent les grands chœurs, pour égaler la Musique Italienne. Cet Opera a esté imprimé, & il est dedié à Madame la Princesse des Ursins.

Enfin on ne parle à Madrid que de ce grand Spectacle pour lequel Mr le Comte de Las-Torres a dépensé de l’aveu de tout le monde plus de 30000. écus ; il y a des habits d’Actrices qui ont coûté plus de 100. pistolles. Il est aisé de croire que Leurs Majestez Catholiques qui ont fait connoistre combien Elles ont esté satisfaites de cette Feste, sont aussi sensibles qu’Elles le doivent au témoignage signalé que Mr de Las-Torres leur a donné de son dévoüement à leur service.

Si les Imprimez qui regardent cette Feste tombent entre mes mains, je vous envoyeray une traduction de tout ce qui manque à cette Relation, & particulierement des Inscriptions qui regardent la gloire de Leurs Majestez Catholiques.

[Journal du Siege de Lille] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 329-332.

 

Milord Marlborough sçachant la situation où estoit l’Armée de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & aprehendant toûjours quelque surprise de la part de ce Prince, vint camper le 18. vis-à-vis de l’Abbaye du Saulsoy-l’Escault entre les deux Armées. Il y eut plusieurs conversations par dessus cette Riviere entre les Officiers des deux Partis, & même entre les soldats. Les premiers demanderent du vin de Champagne à ceux de nostre Armée qui leur en envoyerent ; nos soldats jetterent du pain aux autres qui en échange leur jetterent du tabac, ce qui fut deffendu, & l’on mit même des sentinelles pour l’empêcher. Mylord Marlborough fit demander qu’il fust permis que l’on fit boire de part & d’autre les chevaux à l’Escaut, ce qu’il ne put obtenir, & ce qui fut sans doute cause qu’il délogea peu de temps aprés sans Tambour & sans Trompettes, pour se raprocher de Lille où Mr de Bouflers a sçû trouver le moyen de s’engager les cœurs de tous les Habitans qui s’exposent de la meilleure foy du monde, & avec tout le zele imaginable, aux perils les plus évidens, & qui vont au devant de tout ce qui peut estre utile au service du Roy, & dont plusieurs ont vû abattre leurs maisons avec joye, parce qu’elles pouvoient servir aux retranchemens ordonnez par ce Maréchal. Il ne s’est point fait de sorties de la Ville, soit pour la deffense des dehors, ou pour aller chasser les Ennemis des posstes qu’ils avoient occupez, sans qu’il y ait eu au moins 400. Bourgeois parmi les Troupes qui sont sorties, & on assure qu’outre cela il se trouve beaucoup de gens de metier qui remplissent les places de ceux qui sont tuez dans chaque Compagnie, & qui même consentent à s’enroller ; mais seulement pour le temps que durera le Siege.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 381-383.

 

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit les Quatre Elemens. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs de Montignac, du Portail-Imbert, de Limoges ; de Clerfeüille ; de Fontaine ; d’Arbriselle ; de Claireau ; de Launois ; le jeune Abbé de la ruë Saint Antoine ; la Ferriere ; Tamyriste ; le Voisin du cerceau de la ruë Bertin-Poiré ; l’Amant en idée ; le Protecteur des Romans ; le Mechanicien de Cour-Cheverny, en Sologne ; l’Anti-Diable boiteux, Mlles de la Coste ; de Clamaret ; de Panneval ; d’Orbustieres ; Madelon Robinet de la ruë Saint Martin ; la jeune Muse renaissante G.O. la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la Solitaire de la ruë aux Feves ; Cato du Bourgkachar ; la Pouponne de la ruë Saint Honoré ; l’Amante triste & dolente de la ruë Saint Denis, & Janneton la nouveliste.

Je vous envoye une Enigme nouvelle ; elle est de Mr Du… d’Har… de Bezançon.

ENIGME.

Celuy qui créa tout ne me fit pourtant point,
Et l’homme, cet ouvrage acomply de tout point,
N’égale pas encore mon ancienne naissance.
Je suis avec le pauvre ainsi qu’avec le Roy ;
Aveugle, je les suis avec grande asseurance
Sans qu’ils s’embarassent de moy.
Quoyque je sois sans yeux, je donne des lumieres
Ausquelles les Sçavans ont tres-souvent recours,
Leur estant necessaires
Pour bien regler leurs jours.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 384.

Je crois que la Chanson qui suit vous fera plaisir.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quand on est loin de ce qu’on aime, page 384.
Quand on est loin de ce qu’on aime,
On n’a ni repos ni plaisirs ;
Et quand la tendresse est extrême,
L’absence augmente les desirs.
images/1708-09_384.JPG

[Suite du Journal du Siege de Lille] §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 400-403.

 

Le même jour 29. Mr le Comte de la Motte sçachant que les Charettes qui avoient chargé à Ostende une partie des choses que la Flotte Angloise avoit débarquées pour être transportées au Camp du Prince Eugene, étoient en marche pour s’y rendre, & qu’elles estoient déja proche de Koquelar, & craignant que tout le Convoy ne passast s’il differoit d’avancer pour en arrêter la marche, crut devoir attaquer les Ennemis, ce qu’il fit en effet sans attendre qu’il eut esté joint par les Troupes qui avoient ordre de le joindre. Ainsi il engagea le combat quoy qu’il fut plus foible qu’eux ; mais il ne les put enfoncer. Cependant il continua le Combat, afin de laisser avancer les Troupes qu’il attendoit & qui le joignirent deux heures aprés l’action. Mais les Ennemis s’estoient retirez, tant parce que la nuit survint, que parce que sçachant qu’il venoit un renfort à Mr de la Motte ils apprenhendoient d’être coupez. Les Troupes Espagnoles ont fait merveille en cette occasion, où Mr de la Motte n’a perdu qu’environ cinq cens hommes, & les Ennemis beaucoup davantage, selon le raport de plusieurs Lettres. Ce Comte a mandé, qu’ayant reçu son renfort, il alloit de nouveau attaquer les Ennemis qui estoient à Odembourg. Il n’a passé tres-certainement que deux cens charettes chargées de Sel, d’Eau-de-vie & de Vinaigre, dont les Ennemis avoient grand besoin pour rafraîchir leurs canons. Il y avoit aussi sur ces charettes plusieurs Officiers & Soldats qui avoient esté blessez dans le Combat qui venoit de se donner. Un Tambour dit avoir compté les deux cens charettes qui sont arrivées à Menin, & qu’il n’y en est pas entré une davantage.

Mr le Maréchal de Bouflers a écrit qu’il tiendroit dans la Ville seule jusqu’à la fin du mois d’Octobre, & toutes les breches sont herissées de pointes de fer qui ne laissent aucune prise. Je crois que vous vous appercevez bien que les nouvelles de Guerre qui se trouvent sur la fin de ma Lettre, occupant la place de plusieurs autres Articles, je me trouve obligé de les reserver pour le mois prochain. Je suis Madame, vostre. &c.

Avis §

Mercure galant, septembre 1708 [tome 10], p. 403.

 

AVIS.

Le mois prochain commençant par quatre Fêtes de suite qui empêcheront de relier le Mercure, on ne vendra celuy d’Octobre que le septiéme de Novembre.