1708

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1708 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13]. §

[Prelude où il est parlé des Academies établies par le Roy] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 5-11.

 

On ne peut trop admirer l’attention que le Roy a euë presque dés le commencement de son Regne à faire fleurir l’Esprit, les Sciences, & les Arts dans son Royaume, & sept grands établissemens en font foy ; sçavoir, ceux de l’Academie Françoise, des Manufactures des Gobelins, dont un gros Volume ne pourroit contenir le détail, & qui se trouve neanmoins dans plusieurs des Lettres que je vous ay adressées depuis 32 ans, en sorte que si tous les Articles en étoient réünis en un Corps, il rempliroit plus d’un volume ; l’établissement de l’Observatoire, dont mes Lettres vous ont parlé aussi souvent, ainsi que de tout ce qui s’y voit & de tout ce qui s’y fait ; celuy de l’Academie des Medailles & Inscriptions, dont le titre fait connoître l’occupation ; celuy de l’Academie des Sciences dont les Academiciens s’attachent à cultiver tout ce qui peut être renfermé sous le nom de Sciences. L’Academie Françoise, vulgairement nommée l’Academie des Beaux Esprits, & dont l’employ se peut connoistre par le beau Dictionnaire qu’Elle a fait imprimer, & par la Grammaire qu’Elle acheve, tient, comme vous le sçavez, ses Assemblées dans le Louvre aussi bien que celle des Medailles & Inscriptions ; celle des Sciences, celle de Peinture & de Sculpture, & celle d’Architecture. On doit remarquer qu’on distribuë dans trois de ces Academies ; sçavoir dans l’Academie Françoise ; dans celle des Medailles & Inscriptions, & dans celle des Sciences, des Jettons d’argent aux Academiciens qui se trouvent aux Assemblées ; qu’on en distribuë chaque jour un nombre égal à celuy des Academiciens, & que les Jettons destinez aux Academiciens qui ne s’y trouvent pas quelquefois, sont distribuez à ceux qui s’y trouvent, en sorte qu’étant presque impossible qu’ils s’y trouvent tous chaque jour d’Assemblée, les presens, partagent les Jettons des absens. À l’égard de l’Academie d’Architecture, dans laquelle il n’y a que des Architectes dont le nombre est moins grand que celuy des Academiciens des autres Academies, on donne un Louis d’or chaque jour d’Assemblée, à chacun de ceux qui s’y trouvent. J’aurois beaucoup de choses à vous dire de l’Academie de Peinture & de Sculpture, qui est la plus étenduë par le nombre, & dans laquelle on donne souvent pour prix aux jeunes Etudians, des Medailles du Roy d’or & d’argent ; mais outre que ce n’est pas icy le lieu d’en parler, on a imprimé un Volume qui contient les Privileges & les Statuts de cette Academie, ainsi que plusieurs autres choses qui la regardent. De ces sept Academies, il n’y en a que deux qui ont des especes de vacances deux fois l’année ; sçavoir au mois de Septembre jusqu’aprés la saint Martin, & pendant la quinzaine de Pasques, & ces Vacances donnant lieu deux fois l’année à ces Academies de faire des ouvertures publiques, trois ou quatre des Academiciens y prononcent ces jours là des Discours sur les Matieres qui regardent ces Academies ; & depuis plusieurs années vous avez trouvé dans mes Lettres, des Extraits de ces Discours.

[Discours prononcé par Mr Roy dans l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions sur les Jeux de la Grece, en general, & sur les Jeux Olympiques en particulier] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 11-29.

Vous ne trouverez dans celle-cy que l’Extrait d’un des Discours prononcez dans chacune de ces deux Academies, mais vous pourrez trouver les autres dans ma Lettre du mois prochain. Je commence par l’Extrait du Discours prononcé par Mr Roy, Conseiller au Chastelet, & l’un des Academiciens de l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, qui paya ce jour là le tribut spirituel que tous les Academiciens doivent chacun à leur tour, pour justifier au Public, le choix que l’on a fait d’eux pour ocuper les Places de cette Academie. Mr Roy lut une Dissertation sur les Jeux de la Grece en general, & sur les Jeux Olympiques en particulier.

L’Art des divertissemens, est, dit-il, né dans le même lieu que les Arts les plus serieux. La Grece si ingenieuse à instruire les hommes par les Sciences, n’a pas dédaigné de les réjoüir par des Spectacles. Ceux du Theatre doivent leur origine à la Grece, comme tout le monde sçait. Il y en avoit d’autres encore plus pompeux, qui se donnoient dans un plus grand espace, qui duroient plusieurs jours, qui attiroient des Villes & des Provinces entieres, & qui par des exercices de corps & des combats simulez, representoient tous les travaux de la Guerre. C’est cette noble espece de Spectacles que Mr Roy remit sous les yeux de l’Assemblée. Les Peuples les plus polis de l’Europe qui inventerent les Jouxtes, les Tournois, les Carrousels, en ont apparemment tiré l’idée d’aprés ces sortes de Jeux.

Cette partie de l’Antiquité contient des recherches tres importantes & tres curieuses. Ces Jeux solennels, ajoûta Mr Roy, ornoient les Fêtes, & relevoient le culte des Dieux ; les Jeux Olympiques estoient dédiez à Jupiter, les Jeux Pythiens à Apollon ; les Neméens, à Archemore, & les Istmiens à Palemon. Mr Roy ne traita que des premiers ; & il annonça seulement les autres, aprés avoir donné de tous ensemble, une idée generale ; il fit connoître qu’il y trouvoit abondamment dequoy faire honneur aux Anciens ; il expliqua la varieté des plaisirs qui composoient ces sortes de Spectacles. C’étoient, ajoûta-t-il, les rendez-vous des Muses : Les Poëtes, les Orateurs, les Philosophes & les Peintres y venoient chercher les suffrages de la Grece ; & les Rois mêmes descendoient du Thrône, & quittoient le Sceptre, pour y disputer une Palme. Mr Roy en rapporta des exemples agreables, tirez des meilleurs Auteurs. Il releva l’éclat des Prix & des Couronnes destinées aux Vainqueurs, & il n’oublia pas à leur gloire, qu’ils avoient eu Pindare pour leur Panegyriste. Il compara les Jeux de la Grece à ceux du Cirque de Rome. Les Romains, poursuivit-il, n’ajoûterent guere d’agrémens à ce qu’ils imiterent des Grecs, n’y ayant ajoûté que la mollesse des danses, qui ont tant irrité les Peres de l’Eglise, & la cruauté des combats de Gladiateurs, qui revoltent l’humanité.

Mr Roy entra ensuite dans le détail des Jeux Olympiques, en indiquant les sources d’où il a puisé les autoritez & les connoissances dont il a eu besoin : Il laissa voir, que personne n’avoit encore traité son sujet ; & que les plus grands Compilateurs n’ont laissé que des Memoires pour l’Histoire qu’il entreprend. Onuphre avoit fait l’Histoire des Jeux du Cirque, & des Spectacles de Rome ; & l’ouvrage de Mr Roy, paroît n’estre fait que pour simetriser avec cet ouvrage.

L’ordre est difficile à pratiquer dans les recherches de l’Antiquité, & l’on ne réüssit pas toûjours à les ramasser en un corps. Voicy le plan que suivit Mr Roy. Il découvrit d’abord l’origine des Jeux Olympiques, qu’il avoit trouvée envelopée de fables, qu’il rapporta, sans prétendre les accorder. Une exposition succinte des differentes fictions sur l’institution des Jeux Olympiques, l’acquitta envers tous les Poëtes Grecs & Latins. Il passa ensuite au renouvellement des Jeux sous Iphitus ; & comme cette Epoque est la premiere de l’Histoire, & que jusques-là il n’y a rien de certain, Mr Roy fit sur cette Epoque une remarque Chronologique, & découvrit une erreur, où un mécompte de cent huit ans, qu’ont faite ceux qui l’ont placée à la victoire de Corecus Eléen. Il donna ensuite l’intelligence du calcul des Olympiades.

Il fit aprés une peinture du lieu du Spectacle. C’estoit, dit-il, dans la Ville d’Olympie, sur les bords de l’Alphée, ce fleuve, dont le cours si singulier a exercé les Philosophes pour l’examiner, & les Poëtes pour imaginer agreablement. Il parla du Temple, & de la fameuse Statuë de Jupiter Olympien.

Il donna aprés cela la Topographie exacte du champ où se faisoient les exercices Olympiques, qu’on appeloit, Stade. Mr Roy le partagea en trois parties principales ; la Barriere d’où partoient les Coureurs à pied, à cheval, ou sur les Chars ; les Bornes, ou le terme de leur course ; & le milieu, ou la Carriere, qui servoient de scene aux Lutteurs, aux Sauteurs, & aux Discoboles.

Tout le Stade, ajoûta-t-il, estoit une espece de terrasse ou de chaussée, longue de 625 pieds, fort large, & arrondie par les deux extremitez. La Barriere estoit embellie de Portiques, au devant desquels on tendoit une corde, qu’on abaissoit, pour faire partir en même temps les Combattans. Les Bornes estoient trois Pyramides isolées, entre lesquelles il falloit passer. Le passage n’estoit pas facile, & il falloit beaucoup d’adresse au conducteur d’un Char, pour n’y pas échoüer. Ces secondes parties du Stade estoient parées d’Autels, & de Statuës de Divinitez favorables & malfaisantes, à qui tous les concurrents sacrifioient par des motifs differens. Mr Roy égaya cette matiere par des reflexions sur la superstition des Grecs. Elle alloit, poursuivit-il, jusqu’à l’extravagance, dans les vœux qu’ils faisoient pour remporter une Couronne aux Jeux. Et il dit un mot en passant, de la plaisante fondation que fit dans le Temple de Venus, Xenophon le Corinthien. Il expliqua tous les autres preparatifs des Jeux Olympiques, le serment des Juges & des Combattans ; la datte qu’on estoit obligé de prendre sur le registre des Hellanodiques ; la Harangue des Juges aux Prétendans, pour les encourager ; la sortition des rangs ausquels chacun devoit combattre, & des adversaires contre qui on avoit affaire. Enfin ; la Lotterie composée de bons & de méchans billets, pour décider entre tous les aspirans à la course des Chars ; le nombre des Chars qui devoient courir, estant fixé à dix.

Mr Roy mit ensuite en mouvement tous les divers Combattans. Il regla l’ordre des Exercices qui composoient les Jeux Olympiques, & il les décrivit tous d’aprés Homere, Virgile, Stace, & Valerius-Flaccus. La course des Chars est le premier exercice. Mr Roy expliqua la forme & la construction des Chars, le nombre des chevaux qu’on y atteloit, la difficulté de la course, & les conditions de la victoire. Il fit connoître de même, ce que c’étoit que le Pugilat, la Lutte ; il rapporta en peu de paroles, ou indiqua seulement les traits de la Fable ou de l’Histoire, qui ont rapport à ces sortes de Combats. La Lutte de Pollux contre Breticus, celle d’Hercules contre Antée & contre Acheloüs, y furent citées : Mr Roy peignit aussi sensiblement, le Disque, ou exercice de jetter le Palay, si fameux par le malheur d’Hyacinte. Il finit par les courses à pied & à cheval, qui estoient des épreuves admirables de l’agilité du corps. Il décrivit les Combats Olympiques, où les Combattans estoient nuds, & il parla de la severité des Grecs à ne point admettre les Dames au nombre des spectateurs. Mr Roy fit connoître la dignité & le pouvoir des Hellanodiques, ou Juges des Combats, & la maniere dont ils donnoient leurs suffrages. Il descendit aux effets de ces suffrages, c’est-à-dire, aux récompenses dont les Vainqueurs estoient honorez. Il fit voir à quel prix la gloire s’achettoit chez les Grecs, & que le Vainqueur estoit proclamé par le Heraut ; qu’il entendoit les applaudissemens de tous les assistans, & des vers à sa loüange, en même temps qu’on chantoit l’Hymne de Jupiter ; il estoit couronné d’olivier sauvage, reconduit en triomphe chez luy, où il estoit honoré le reste de ses jours, & que c’estoit souvent parmi les Vainqueurs Olympiques, que l’on choisissoit des Generaux d’Armée ; qu’on leur élevoit des Statuës avec des inscriptions flatteuses, & que l’on frappoit des médailles, pour faire passer à la Posterité le souvenir de leur Nom & de leur Victoire. Mr Roy traita ces deux derniers Articles, avec une prédilection convenable à la place qu’il tenoit, & à l’Academie où il parloit.

Les aplaudissemens de l’Assemblée que reçut Mr Roy, furent couronnez par ceux de Mr l’Abbé Bignon, qui loüa ce Discours avec la maniere gracieuse qui luy est ordinaire. Il dit à Mr Roy, que s’étant d’abord proposé de parler des Jeux Olympiques des Pythiens, des Neméens, & des Istmiens ; & que n’ayant parlé que de ces deux premieres sortes de jeux, il étoit persuadé qu’il parleroit des deux autres dans la premiere Assemblée publique.

[Ode de Mr l’Abbé Boutard, lûë dans la méme Academie] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 29-32.

 

Mr l’Abbé Bignon ayant cessé de parler. Mr l’Abbé Boutard, Pensionnaire de l’Academie, lut une Ode Latine qui fut écoutée avec l’aplaudissement que tous ses Ouvrages reçoivent ordinairement. Cette Ode est adressée à Mr Bignon Prevost des Marchands que la Seine felicite sur les heureux commencemens de sa Prevosté. Le Dieu de ce fleuve qui par le dans cette Ode, & témoigne sa joye du choix que le Roy a fait de ce digne Magistrat, prend de là occasion de loüer la Famille du nouveau Prevost des Marchands qui est originaire d’Anjou, & qui est venuë s’établir à Paris sur les bords de la Seine, & comme ses eaux forment l’Isle du Palais, & qu’elles coulent prés les murs du Louvre, il marque avec quelle admiration il écoutoit autrefois l’illustre Jerôme Bignon & son fils, Avocats Generaux, & combien il est encore attentif aux Discours de Mr l’Abbé Bignon, soit qu’il explique les secrets de la nature dans l’Academie des Sciences où les monumens de l’Antiquité dans celle des Inscriptions. La Seine descend naturellement à l’éloge de Mr le le Prevost des Marchands, dont elle loüe la vigilance, & le soin qu’il prend d’embelir la Ville de Paris par de nouveaux Quays. Le reste de cette Ode est rempli de vives Peintures qui feront beaucoup de plaisir à ceux qui les liront, tant à cause de leur beauté, que de ce qui en fait le sujet.

[Dissertation sur l’Eglogue luë dans l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, par Mr l’Abbé Fraguier] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 112-117.

 

Quoy que je vous aye marqué que je remettois au mois prochain à vous parler des Discours dont je ne vous ay encore rien dit, & qui ont esté prononcez dans les Academies dont je viens de vous entretenir, je crois neanmoins devoir ajouter à ceux dont je vous ay déja parlé, qu’aprés la lecture de l’Ode de Mr l’Abbé Boutard, Mr l’Abbé Fraguier, de l’Academie Françoise, & qui est aussi Membre de celle des Inscriptions, lut une Dissertation sur l’Eclogue. Il la regarda comme un Poëme Dramatique ; & suivant cette idée il traita de quatre choses qui ont raport au Drame, & il examina 1°. le lieu de la Scene, 2°. les Acteurs. 3°. ce qui se passe & ce qui se dit sur la Scene 4°. le stile & les expressions de l’Eglogue. Le but de tout l’Ouvrage est d’établir ce que c’est precisement qu’Eclogue conformement à l’acception Françoise de ce mot, & d’en donner une idée juste, precise, & incommunicable, qui la distingue de tout autre genre de Poësie.

Il trouve que l’Eclogue est en Poësie ce que le paysage rustique est en Peinture. Cette notion lui fit établir des principes, selon lesquels il est aisé de conclure qu’il y a en effet fort peu d’Eclogues, quoi qu’il y ait beaucoup de pieces qui en ayent le Titre. Il établit avec soin la difference de l’Eclogue & de l’Idylle ; il marqua d’où ces deux mots ont tiré leur origine, aussi bien que la dénomination de Poësie Bucolique. Toutes ces choses furent traitées avec beaucoup d’ordre, d’élegance & de netteté & avec un heureux choix de differens endroits de Theocrite & de Virgile, qui sont les deux seuls Auteurs dont il a tiré ses exemples, parce que ce sont les originaux. Dans toute sa Dissertation qui fut assez longue, il ne se servit que de ses seules pensées ; mais ce fut avec une justesse de critique & avec un stile poli qu’on ne trouve pas toujours dans les ouvrages des Sçavans. Il ne s’attacha à suivre ny à refuter aucun de ceux qui ont traité cette matiere avant luy ; parmi lesquels il y a des personnes pour qui il ne pouvoit, ajouta-t-il, marquer trop d’estime & de consideration.

Mr l’Abbé Fraguier ayant cessé de parler, Mr l’Abbé Bignon donna de grandes loüanges à sa Dissertation, & comme il y avoit plus de demie heure que le temps de la Séance estoit passé il marqua qu’il estoit fâché qu’il ne luy restast pas assez de temps pour entrer dans le détail des differentes parties dont elle estoit composée, & d’en approfondir tous les principes.

J’ay écrit eclogue, comme l’écrit l’Auteur.

[Article très curieux contenant tout ce qui a esté fait à Perpignan pour honorer la Memoire de feu Mr le Maréchal Duc de Noailles] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 117-124; 132-137; 141-143; 171-174.

 

Je passe à un Article de même nature, que vous trouverez tres-curieux, & tres-digne de vostre attention, par la varieté des choses qui s’y trouvent. Ce que vous allez lire m’avoit esté promis par un homme dont les Relations ont toûjours fait beaucoup de plaisir à ceux qui les ont luës, ainsi j’avois lieu d’en attendre une aussi belle que celle que je viens de recevoir.

À Perpignan le 30. Novembre 1708.

Vous ayant promis de vous envoyer tout ce qui a esté fait en ces quartiers pour honorer la memoire de Mr le Maréchal de Noailles, il est juste de vous satisfaire. Je m’en acquitte un peu tard, parce que ces honneurs funebres commencez il y a plus de sept semaines, ne sont finis que d’hier. On a fait tant de choses pour marquer la veneration que l’on avoit pour ce cher Gouverneur, & pour exprimer la reconnoissance dont on y est veritablement penetré, que j’apprehende d’estre long dans mon recit.

Je commence par Mr le Duc de Noailles son fils. Je ne vous diray pourtant rien de sa vive douleur, lorsqu’il apprit une mort à laquelle il ne s’attendoit nullement : vous vous la figurerez par ses belles qualitez qui l’élevent si fort au dessus de la pluspart des hommes. Un Courrier extraordinaire luy apporta cette triste nouvelle, le 8. d’Octobre, & aprés avoir donné amplement à la nature ce qui luy estoit dû, la Religion vint à son secours, & luy fit voir qu’il estoit temps de songer au soulagement de l’ame d’un Pere qui luy estoit si cher. Il pria donc Mr nostre Evesque qui estoit venu chez luy pour le consoler, d’envoyer dans toutes les Eglises de la Ville, qui sont en grand nombre, retenir pour le lendemain toutes les Messes que l’on y pourroit celebrer.

Ce jour-là la douleur de Mr le Duc de Noailles fut bien augmentée, lorsqu’il reçut par le Courrier ordinaire des lettres de Mr le Maréchal son pere. Elles estoient accompagnées de Provisions signées de luy, en faveur d’un Officier du Conseil Souverain, qu’il avoit nommé Juge de la Capitainerie de cette Province. Ainsi on peut dire que Mr le Maréchal de Noailles est mort comme il avoit vécu, les bien-faits à la main, puisqu’une de ses dernieres signatures a esté une grace accordée à un des hommes du Roussillon, qui, durant qu’il a vécu ont eus un dévouëment entier pour ses volontez : mais Mr Collarés, penetré de la mort de son bien-faicteur, ne luy a survêcu que cinq semaines.

Le 13. d’Octobre, Mr le Duc fit faire un Service solemnel dans la Cathedrale. On y éleva par ses ordres un magnifique Mausolée, dont les quatre degrez furent chargez d’un nombre considerable de lumieres. Mrs du Conseil Souverain y assisterent en robes noires, aussi bien que Mrs les Consuls, accompagnez de ceux de leurs Predecesseurs en Charge qui se trouverent dans la Ville. La Noblesse du Pays n’y manqua pas, non plus que les Officiers qui estoient alors icy en nombre considerable. Ils parurent à cette triste Ceremonie, (de même qu’ils ont fait aux autres qui l’ont suivie) les Principaux en grand deüil, les autres avec de grandes écharpes de crespe & autres ornemens lugubres convenables à leur état. Mr l’Evêque officia. La Messe fut chantée en Musique. L’Offrande se fit en ceremonie, & aprés que les huit Bourdonniers eurent passé (ce sont huit Chappiers qui tiennent le Chœur, & qui, suivant le Ceremonial Romain ont en main de grands Bourdons d’argent.) Mr le Duc marcha en manteau long & offrit un cierge tres-garni de pieces d’or. Mrs les Chanoines suivirent avec tout leur Clergé, faisant en tout 120. Prestres. On doit remarquer que nul ne peut porter le Surplis dans le Chœur, qu’il ne soit Prêtre. Puis Mrs du Conseil ayant à leur teste Mr le Premier President ; Mrs les Consuls & leur suite ; & les principales Dames de la Ville en grand deüil. À la fin de la Messe quatre des principaux Chanoines ou Dignitez de l’Eglise, firent les Absoutes avec Mr l’Evêque.

Vous voyez par toutes ces choses qu’elle est la sensibilité de tous les Corps de cette Province, pour tous les biens qu’elle a reçûs des Seigneurs de Noailles, & combien cette illustre maison est honorée & aimée dans ce pays. Je ne dois pas finir cet article sans vous faire remarquer que cette Fondation faite par Mr le Duc de Noailles, n’est pas la premiere preuve qu’il a donnée de sa confiance aux suffrages de l’Eglise, puisqu’en 1702. aprés que son jeune frere le Marquis de Noailles fut mort à Strasbourg d’une blessure qu’il avoit reçûë sur le Rhin, il y fonda une messe qui devoit estre celebrée tous les jours pour le repos de son ame, & que tous les ans en quelque endroit qu’il se trouve, il y fait chanter un service solemnel pour le deffunt, le jour de son decés.

Je reviens aux prieres faite pour Mr le Maréchal : on chanta dans toutes les Paroisses de la Ville, & dans toutes les Maisons Religieuses de l’un & de l’autre sexe, un service avec le plus de solemnité qu’il fut possible ; mais le Prieur de l’Eglise du Temple de l’Ordre de Malthe, Frere Joseph Canta, se distingua dans ces honneurs funebres. Son Eglise toute tenduë de noir & tres-éclairée, presentoit une lugubre décoration des plus singulieres, & qui ne laissa pas de contenter fort les yeux. Tous les Chevaliers de Malthe qui se trouverent alors dans Perpignan, y assisterent en habit de deüil. Mr de Montmejan, Officier d’un merite distingué, d’une ancienne famille de son nom, prés de Milhau, en Roüergue, Major & Commandant de nostre Citadelle, fit aussi chanter avec beaucoup d’éclat, & en Musique, un Service dans la Chapelle de la Citadelle qui fut toute tenduë de noir, & au milieu de laquelle on vit une representation élevée de plusieurs gradins, chargez de nombre considerable de flambeaux & de cierges.

Toutes les Villes du Diocése & tous les lieux de la Campagne où il y a Communauté de Prêtres en ont aussi chanté par ordre de Mr nostre Evêque avec le plus de pompe qui leur a esté possible Mr l’Abbé Gaillard, non moins devoué à la maison de Noailles que son frere, le R.P. Gaillard Jesuite, premier Conseiller d’honneur du Conseil Souverain de Roussillon, & Abbé regulier de Nostre-Dame d’Arles, qui est une Abbaye considerable, située à sept lieuës d’icy, & dépendante immediatement du S. Siege, donna ses ordres pour faire des services & des prieres particuliers dans toutes les Paroisses de sa Jurisdiction. Celuy qui fut chanté dans son Eglise fut tres-solemnel, & l’Etat Major du Fort de Bains qu’il y avoit fait inviter, s’y trouva, ayant à sa tête Mr de Courtade qui en est Gouverneur.

Le 29. au soir toutes les Eglises de la Ville sonnerent leurs Cloches ; dans la matinée du lendemain toutes les Paroisses & toutes les Communautez de Religieux se rendirent, chacune en particulier, & processionellement, à l’Eglise de Saint Jean pour y chanter un Libera, & pour y faire une Absoute ; ensuite on celebra la messe chantée par la Musique : Mrs du Conseil qui y avoient esté invitez par Mrs les Consuls, s’y rendirent en Corps, ayant à leur tête Mr de Quinson, Lieutenant General des Armées du Roy, & Commandant dans la Province. L’Oraison Funebre fut prononcée par le R.P. de Macés Jesuite, qui n’avoit pas eu beaucoup de temps pour s’y preparer : son texte fut Deum timete, Regem honorificate, & il fit voir que Mr le Maréchal de Noailles, en craignant le Seigneur, & honorant le Souverain sous lequel il estoit né, s’estoit montré un homme selon le cœur de Dieu & selon le cœur du Roy ; mais qu’il n’avoit esté selon le cœur du Roy, que parce qu’il estoit selon le cœur de Dieu.

Le lendemain tous ces honneurs funebres se terminerent par un Service que fit chanter dans la même Eglise Mr de Villedomar, Capitaine des Gardes de Mr le Duc de Noailles, & qui estoit le premier Consul de Perpignan l’année derniere. Ils eussent sans doute esté poussez plus loin, si les facultez des particuliers eussent répondu aux sentimens de leur cœur, accoûtumez que sont ces peuples aux Ducs de Noailles : familiarisez, pour ainsi dire, avec cette Maison depuis qu’ils respirent l’air François ; c’est-à-dire, depuis plus de soixante-cinq ans, & penetrez de la bonté & de la douceur de ces sages & prudens Seigneurs qui durant un si longtemps les ont gouvernez sans hauteur & sans violence ; ce qu’ils auroient le plus apprehendé, & qui leur seroit le moins convenu ; ils ne parlent du Pere qu’avec veneration, ils pleurent le fils amerement, & il n’y a que la sagesse, la prudence & la valeur du petit-fils, qui puissent les consoler. Comme ce Seigneur a des vûës extrêmement étenduës, qu’il n’ignore rien, & qu’en particulier il connoist cette Province mieux qu’un autre qui y auroit fait trente années de sejour, il en prévient tous les besoins, il entre dans tout, il va au devant de tout : & cette sage conduite charme si fort les grands & les petits, que tous luy donnent leurs cœurs, comme ils les avoient donnez au Maréchal son pere : ils le regardent avec respect, & toutes ses aimables qualitez leur donnent de brillantes esperances, capables de les consoler, s’il est possible, de la grande perte qu’ils viennent de faire.

[Second Article des Morts] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 209-215.

 

Comme on se distingue par le merite dans toutes sortes d’états, je dois vous dire que la mort vient d’enlever deux hommes dont les Ouvrages de Theatre ont esté reçûs du public avec de grands applaudissemens, & qui cependant avoient cessé depuis plusieurs années de travailler à des ouvrages qui leur avoient acquis beaucoup de reputation. Le premier est Mr de la Fosse originaire de Paris ; il avoit composé quatre Tragedies ; sçavoir Polixene, Manlius, Thesée & Coresus. La Tragedie de Polixene eut un si grand succés, que Monseigneur le Dauphin ayant resolu de venir voir le nouveau Theatre des Comediens, qui est celuy où ils joüent presentement, & qu’ils avoient fait bâtir, demanda que le jour qu’il viendroit voir ce Theatre, on representât la Tragedie de Polixene, & cette piece reçût de ce Prince & de la nombreuse Cour qui l’accompagnoit, d’aussi grands applaudissemens que ceux que le public luy avoit déja donnez. Ces quatre Tragedies, & quelques Pieces comiques de la composition du même Auteur, forment un Volume qui se vend sous le nom d’Oeuvres de Mr de la Fosse.

Le même a aussi fait une Traduction d’Anacreon en vers, qui est fort estimée, avec des remarques, ce qui avec quelques autres Ouvrages en vers, contient un autre volume des Ouvrages du même Autheur. Il s’estoit acquis l’estime de plusieurs personnes de la premiere qualité, & il estoit fort consideré de feu Mr le Marquis de Crequi ; il ne l’estoit pas moins de Mr le Duc d’Aumont, dans l’Hostel duquel il est mort.

Le second est Mr de Pechantré né à Toulouse, où il avoit remporté les trois Prix ou fleurs, avant que la Compagnie des Jeux Floraux eût esté érigée en Academie sous la protection des Chanceliers de France. Les applaudissemens que l’on donna aux Chants Royaux & aux Sonnets qui luy firent remporter les Prix dont je viens de parler, furent cause qu’il prit la resolution de travailler pour le Theatre : il vint à Paris dans ce dessein, & le premier Ouvrage qu’il mit au jour, fut la Tragedie de Getha ; cet Ouvrage qui paroist encore de temps en temps sur la Scene, reçût de si grands applaudissemens, qu’ils luy donnerent lieu de le dedier à Monseigneur, & ce Prince pour luy marquer l’estime qu’il en faisoit, & qu’il en approuvoit la dédicace, luy donna des marques de sa liberalité. Cet heureux succés l’engagea à continuer de travailler pour le Theatre, & il fit deux autres Tragedies, qui sont Jugurta & la mort de Neron : il fit aussi pour le College d’Harcourt, deux autres Tragedies ; sçavoir Joseph vendu par ses freres, & le Sacrifice d’Abraham. Il venoit d’achever l’Opera d’Amphion & Parthenopé lorsqu’il est mort, à la reserve du Prologue. On fait esperer que l’on donnera ses Oeuvres Posthumes au public.

L’Article qui suit vous paroistra bien different quoy, qu’il s’agisse aussi d’une mort ; mais pourvû que chacun vive moralement bien dans l’état qu’il a embrassé, on ne peut rien demander davantage. Le Monde compose un Tableau où chacun paroist differemment, selon le personnage qu’il represente ; & comme il faut du Clair & du Brun dans un Tableau, pour le rendre parfait ; il est aisé d’en trouver dans les differens états de la vie des hommes.

[Sacre de Mr l’Evéque d’Agathopolis] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 261-264.

 

Mr l’Abbé de Galiczon, Grand Chantre de l’Eglise de saint Martin de Tours, & Docteur de la Maison & Societé de Sorbonne, a esté sacré Evêque d’Agathopolis, & Coadjuteur de Babylone, dans la Chapelle de l’Archevêché, par Mr le Cardinal de Noailles, assisté de Mr Maigrot aussi Docteur de la Maison & Societé de Sorbonne, Evêque de Conon en la Chine, & Vicaire Apostolique de la Province de Fokien dans le même Royaume, & de Mr de Lyonne Evêque de Rosalie aussi dans le même Royaume. Le grand âge de Mr l’Evêque de Babylone, frere de Mr de saint Olon, Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roy, l’a obligé de demander un Coadjuteur à S.S. qui a nommé Mr l’Abbé de Galiczon avec l’agrément du Roy. Je vous parlay du merite de ce nouveau Prelat lors de la nomination par le Pape & par S.M. Je dois remarquer à present, c’est une grande question entre les Geographes, de sçavoir si la Ville qu’on nomme aujourd’huy Bagdat, est au même lieu qu’estoit l’ancienne Babylone dont quelques-uns luy font encore porter le nom. Le Docte Mr Bochart, à l’authorité duquel on doit souscrire, pretend que Bagdat est à l’endroit où étoit l’ancienne Seleucie, puis que les deux Villes sont sur le bord du Tigre, & que Seleucie fut bastie autrefois des ruines de Babylone par Nicanor à 300 stades de cette Ville qu’on nommoit Babylone.

La Compagnie qui assista au Sacre fut tres-nombreuse, & la curiosité de voir trois Evêques des Missions d’Orient, dont deux consacroient le troisiéme, y attira beaucoup de monde. Mr le Cardinal de Noailles donna un magnifique dîner à ces Prelats, où se trouva Mr le Cardinal d’Estrées qui avoit assisté au Sacre, & dont la Niece, feuë Me la Duchesse d’Estrées étoit sœur de Mr l’Evêque de Rozalie. Une partie de la conversation roula pendant & aprés le disner sur l’état des Missions d’Orient. Mr l’Evêque de Conon qui en est revenu depuis peu en fit une Description touchante, & qui fit plaisir à toute l’Assemblée, & ce Prelat ajousta qu’il partiroit bien-tost pour Rome afin d’en aller rendre compte à S.S. qui le souhaitoit ainsi.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 267-268.

Les paroles de l’air que je vous envoye sont traduites d’une Chanson Espagnole, inserée dans le Livre intitulé, le Diable boiteux, par Mr de la Fevrerie.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que l’Amour cause de foiblesse doit regarder la page 267.
Que l’Amour cause de foiblesse,
Je brusle & je pleure sans cesse,
Depuis que je suis amoureux ;
Mais étrange effet de ses charmes !
Mes larmes pour me rendre encore plus malheureux,
Ne sçauroient éteindre mes feux,
Ni mes feux consumer mes larmes.
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[Transport du corps de Mr le Maréchal de Noailles à Nostre-Dame avec un détail de ce qui s’est passé à ce sujet] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 292-298.

 

Quoy que personne n’ait droit de sepulture dans l’Eglise de Paris que Me la Duchesse de Lesdiguieres de la maison de Gondy, dont il y a eu quatre Evêques ou Archevêques de suite ; néanmoins le Chapitre de cette Eglise ayant par une distinction particuliere, offert à Mr le Cardinal une Chapelle pour la sepulture de Mr le Maréchal Duc de Noailles son frere. Son corps qui estoit en depost en l’Eglise des Capucines, depuis le 5. Octobre dernier, y fut transporté la nuit du 2. au 3. Decembre, & en même temps huit enfans de ce Maréchal, morts jeunes, qui estoient inhumez aux Capucines. Sur la minuit quatre Beneficiers de l’Eglise de Paris, nommez par le Chapitre se transporterent en l’Eglise des Capucines où aprés les Prieres accoûtumées, les corps furent mis dans des Carosses, & transportez à Nostre-Dame, suivis de tous ceux de la famille éclairez d’un grand nombre de flambeaux. Quoyque cette ceremonie se fit incognito. Mr le Duc de Noailles voulut s’y trouver & assista à toute la ceremonie. Les Corps estant arrivez à Nostre-Dame à la fin de Matines, Mr le Doyen vint à la teste du Chapitre le recevoir à la porte de l’Eglise, & il les conduisit à la Chapelle qui estoit preparée, où ils furent inhumez aprés les Prieres ordinaires.

Le même jour 3. Decembre, l’on celebra dans la même Eglise un Service solemnel par ordre de M. le Cardinal de Noailles, où ce Prelat officia. Toute l’Eglise estoit tenduë jusqu’à la voûte, avec deux lez de velours, & un rang de grandes armes hautes de deux aulnes tout autour du Chœur. La Representation estoit sur une estrade à quatre degrez au milieu du Chœur, couverte d’un poësle de velours bordé d’hermines, avec la Couronne Ducale, les Bastons de Maréchal de France & le Collier des Ordres sur des carreaux de velours couverts de crespes, le tout sous un grand Dais de velours à crespines d’argent, suspendu du haut de la voûte. Il y avoit un nombre considerable de chandeliers d’argent avec des cierges garnis d’armoiries sur les degrez de l’estrade, ainsi qu’au pour tour du Chœur ; de sorte qu’à dix heures du matin l’Eglise n’étoit éclairée que par la lumiere des cierges.

À l’heure marquée tous les Prelats s’étant assemblez à l’Archevêché vinrent en corps à l’Eglise, où ils furent placez dans des fauteüils sur une grande estrade qui avoit esté dressée exprés à costé de l’Autel du costé de l’Evangile. Toute la famille qui est nombreuse, ainsi que tout ce qu’il y a de plus considerable à la Cour & à Paris s’y trouverent en tres-grand nombre ; de sorte que l’on n’y voyoit que Prelats, Ducs, Chevaliers des Ordres du Roy, & de plusieurs autres Souverains, Presidens à Mortier, Conseillers d’Etat, Generaux d’Ordre, & autres personnes du premier rang. Quatre Archers de la Connestablie estoient aux coins de la Representation, leurs armes basses, ayant deux Officiers à leur teste assis. Le nombre des Dames qui assisterent à ce Service, ne fut pas moins grand, & quoy qu’elles fussent aussi placées dans le Chœur, il n’y eut aucune confusion, à cause des précautions que l’on avoit prises de faire garder les portes & les avenuës. La Messe fut chantée par la Musique, qui fut placée sur un Jubé fait exprés à la porte du Chœur. L’Offrande fut portée par trois Gentilshommes de Mr le Maréchal, & à la fin de la Messe, Mr le Cardinal vint à la Representation, où il fit les Absolutions, aspersions & encensemens ordinairemens.

[Addition à l’Article des Ceremonies observées à l’occasion du transport du Corps de Mr le Maréchal de Noailles à Nostre-Dame] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 304-309.

 

Quoy que je vous aye déja parlé du transport du Corps de feu Mr le Maréchal de Noailles à Nostre Dame, pour y estre inhumé avec plusieurs de ses Enfans decedez, & de tout ce qui s’est passé à cette occasion dans cette Eglise Metropolitaine, de nouveaux Memoires qui viennent de tomber entre mes mains, m’obligent de vous parler de nouveau de cet Article, à cause de quelques circonstances qui ne se trouvent pas dans l’Article que vous en venez de lire. Je seray obligé pour mettre ces circonstances dans leur jour, de repeter quelque chose de ce que j’ay déja dit dans le premier Article ; mais le cas est si nouveau, & l’on enterre si peu de Laïques à Nostre-Dame, que je ne dois rien oublier de ce qui le regarde.

Le transport du Corps se fit à peu prés de la maniere dont je vous ay déja parlé. Le Corps de ce Maréchal estoit seul dans un Carosse, Ces deux Carosses étoient suivis de huit autres en Deüil, dans lesquels étoient Mrs le Duc & Marquis de Noailles, accompagnez de plusieurs Gentilshommes de leur maison. Cette marche fut éclairée par un grand nombre de Flambeaux, dont il y en avoit douze aux costez des deux Carosses où estoient les Corps. Ce Convoy arriva à Nostre-Dame environ à minuit, où le Chapitre avoit commencé Matines. Lorsqu’elles furent finies, Mr le Doyen & tout le Chapitre vinrent recevoir les Corps à la porte du costé du Cloistre, pour les porter dans la Cave qui est dans l’une des Chapelles de ce même costé. On chanta les prieres accoûtumées par où finit la Ceremonie de ce jour-là.

Le Service se fit le lendemain sur les onze heures dans le nouveau Chœur de cette Eglise, qui estoit tenduë de noir jusqu’à la voute.

Je vous ay déja parlé des ornemens lugubres qui estoient sur cette Tenture.

Il y avoit un si grand nombre de cierges dans des chandelliers d’argent, qu’ils paroissoient se toucher les uns les autres ; aussi assure-t-on qu’il y en avoit cinq cent, sans compter six douzaines qui estoient autour de la Representation qui estoit au milieu du Chœur, sous un Dais suspendu en l’air, & par consequent sans colonnes. La Representation estoit élevée d’environ trois pieds, couverte d’un Poil de velours noir, croisé de toile d’argent, & dont la bordure d’hermine avoit plus d’un pied de haut. Mr le Cardinal de Noailles officia, & S.E. avoit pour Assistans, quatre Chanoines, dont Mr le Doyen estoit du nombre. La plus-part des Chanoines avoient quitté leurs Chaises, qui furent occupées par les plus grands Seigneurs de la Cour, & par quantité de personnes de la Ville, de la plus haute distinction. Les Dames les plus qualifiées furent placées au bout de ces mêmes Chaises, dans l’espace qui est entre ces Chaises & le grand Autel, du costé de l’Evangile. Le Clergé, composé d’un grand nombre d’Evêques, estoit de l’autre costé. Trois Gentilhommes du deffunt allerent seuls à l’offrande ; le premier portoit un cierge chargé de Loüis d’or depuis le haut jusqu’au bas ; le second portoit un pain, & le troisiéme du vin dans un tres-beau vase. La Musique de Nôtre-Dame se fit entendre pendant la plus grande partie du Service, & elle fut trouvée tres-belle, ainsi que le De profundis qui fut aussi chanté en Musique.

[Détail du Voyage de S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans à Madrid] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 372-380.

 

Je passe de ce Monarque au grand Prince à qui l’Espagne est si redevable. Vous devinez bien que je veux parler de Mr le Duc d’Orleans. S.A.R. jugeant que la saison ne permettoit plus de faire des Expeditions considerables, resolut de retourner en France pour être de retour dés que le Printemps commenceroit à paroistre ; mais ne voulant pas que l’Espagne cessast de faire des conquestes, même pendant l’hiver, Elle prit de si justes mesures, & donna de si bons ordres à Mr le Chevalier d’Asfeld, pour l’attaque de quelques Places, & que ce Chevalier qui est capable des plus grandes entreprises, a si bien executées, que l’on peut dire que S.A.R. n’a pas cessé de triompher, même pendant l’hiver & l’Espagne de faire des conquestes. Aprés des ordres si bien donnez ce Prince envoya Mr le Comte de Bezons à Madrid pour y concerter avec les Ministres, les moyens de faire une glorieuse Campagne, & de l’ouvrir de bonne heure, & il partit ensuite pour Saragosse où il reçût des Lettres consecutives du Roy & de la Reine d’Espagne, par lesquelles ils le pressoient avec les plus fortes instances de faire un tour à Madrid. Il eut un peu de peine à se déterminer, parce que suivant le projet qu’il avoit formé, il ne devoit pas demeurer long-temps en France, ayant resolu d’en partir dés le mois de Février.

Ce Prince fut reçû à Saragosse avec toutes les demonstrations de joye imaginables. Les rejoüissances y furent grandes ; il y eut un tres beau Feu d’Artifice, & une Course de Taureaux aux flambeaux, ce qui rendit ce spectacle des plus brillans. Cependant il fit sçavoir au Roy d’Espagne qu’il partiroit incessamment pour Madrid, ce que S.M.C. ayant sçû Elle envoya ses Carosses jusqu’à Torremolché, avec des Ecuyers & des Pages ; c’estoit le lieu où ce Prince devoit arriver le second jour aprés son départ de Saragosse, d’où il devoit aller coucher à Calatajud. Depuis Torremolché jusqu’à Madrid, on avoit disposé des Relais de mules de 4. lieuës en 4. lieuës, & d’Alcala à Madrid des Relais de Gardes de 2. lieuës en 2. lieuës, où ce Prince, arriva le 15. Novembre au soir. Il alla en arrivant saluer Leurs Majestez. Il seroit difficile de bien dépeindre l’accüeil qu’elles luy firent, & les marques de tendresse qu’Elles luy donnerent ; il soupa ensuite au Palais qui luy avoit esté preparé, où il fut servi par les Officiers de S.M.C. & de la même maniere qu’ils servent ce Monarque. Il a esté gardé pendant tout son sejour par les Gardes du Corps, & par les Gardes Espagnoles & Walonnes.

Je crois devoir ajoûter icy l’extrait d’une Lettre de Madrid qui dit beaucoup en peu de paroles.

À Madrid le 26. Decembre.

Il s’est tenu icy plusieurs Conseils pendant le sejour que Mr le Duc d’Orleans a fait en cette Cour, où ce Prince & Mr de Bezons ont toujours assisté, & l’on y a deliberé sur les operations de la Campagne prochaine, pour laquelle on va commencer les preparatifs. On distribue déja l’argent pour les recruës des Troupes, & pour la remonte de la Cavalerie. Les Officiers ont ordre de tenir leurs Corps complets dans le 20. du mois de Janvier prochain, à peine d’estre cassez. On va aussi distribuer des Commissions pour la levée de six Regimens d’Infanterie, quatre de Cavalerie & deux de Dragons.

Je serois obligé d’entrer dans de trop grands détails, si j’entreprenois de vous faire une peinture de toutes les marques de joye & de reconnoissance que les peuples ont données à ce Prince pendant le sejour qu’il a fait à Madrid, d’où il partit le 26.

Il alla coucher ce jour-là à Quadraké. Le Roy luy avoit fait preparer des Relais de 4. lieuës en 4. lieuës avec lesquels il arriva en trois jours à Zintruenigue, d’où il alla à Pampelune où Mr le Prince de Tserclas luy fit une reception magnifique.

Ce Prince alla le lendemain coucher à Agnoa dans une maison que Mrs Hariague luy avoient fait preparer, & où il trouva un grand soupé & digne du zele de ces Messieurs qui eurent l’honneur de luy donner aussi le lendemain à disner à Bayonne.

S.A.R. alla de Bayonne à la Bouhaine où Mr le Maréchal de Montrevel l’avoit envoyé recevoir. Ce Maréchal la regala le lendemain à Bordeaux. Il y eut Opera ; un souper magnifique, une tres-belle Symphonie, & un Feu d’Artifice accompagné d’une grande Illumination.

Ce Prince coucha le lendemain à Chasteauneuf, où il fut traitté par les Officiers de Mr Begon, Intendant de Rochefort qui l’y attendoient ; il coucha le lendemain à Poitiers, & le jour suivant il soupa à Amboise, où il étoit attendu par Mr l’Intendant de Tours qui le regala magnifiquement. Si A.R. en partit à onze heures du soir pour se rendre à Versailles, où elle arriva le lendemain à 5. heures & demie du soir, étant venuë en 35. heures de Poitiers à Versailles. Je ne vous dis rien de l’accüeil qui luy fut fait par le Roy, par toute la Maison Royale, & par toute la Cour, qui s’empressa de luy donner des marques de la joye qu’elle avoit de le revoir.

[Articles des Enigmes] §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 380-383.

 

Le mot de l’Enigme du mois passé étoit le Maron. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs de l’Archat ; Hut, Contrôlleur des Rentes de l’Hôtel de Ville ; de la Gueriniere ; de Motte-ville ; du Buisson ; Camuset ; de Lagnac, & Mrs Mongin, Altier & Mazorier, Confreres ; le petit Amy du Pont de la Tournelle ; le Mechanicien de Cour-Cheverny en Sologne ; l’agreable Societé du Village de Clamare prés de Meudon ; les Indiferens de la ruë S. Martin ; le Medecin qui prefere le Jeu d’Hombre à ses Malades ; le Misantrope de la Place Royale ; le Heros des Caffez ; le trop Credule Nouvelliste ; le Chercheur de Tresors du Marais, & le Fidelle Adonis de la ruë S. Denis. Me la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny ; Mlles de Clignacour ; de Beaulieu, du Quartier S. Denis ; de la Valterie, du Marais ; de Pylo, & de Belleville, de la ruë S. Antoine ; la Belle Marguerite Brillant ; l’Aimable Benigne, de Valence en Dauphiné ; la Gracieuse de Font Lauzier ; la Nymphe aux deux Trumeaux, de la même ville ; & leur Charmante Cousine.

Je vous envoye une Enigme nouvelle ; elle est de Mr Galimard.

ENIGME.

On me connoist aux Champs comme à la Ville :
Je suis rare en tres-peu d’endroits :
Aux petits comme aux grands, aux Peuples comme aux Rois
Je suis également utile.
Tout mon merite vient du jour ;
Et la nuit qui le suit, tout mon éclat s’efface :
Ainsi dans l’un & l’autre espace
Je meurs & je vis tour à tour.
On fait grand cas de mes franchises ;
Les plus superbes ornemens,
Tant des Palais que des Eglises,
Sont par moy garantis de l’injure des temps,

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1708 [tome 13], p. 383-384.

Les paroles que je vous envoye ont esté mises en chant par Mr le Camus.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par Perfide Amour, doit regarder la page 384.
Perfide Amour, je renonce à tes charmes,
Mon Amant m’a manqué de foy :
Que tes plaisirs coûtent de larmes :
Malheureux sont les cœurs qui vivent sous ta loy ;
Mais si l’ingrat revenoit dans ses chaisnes. ;
Si touché de regret, il me rendoit son cœur ;
J’éprouverois encor tes plaisirs & tes peines :
Je te demande Amour cette faveur.
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