1709

Mercure galant, mars 1709 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1709 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1709 [tome 3]. §

[Prix d’académie fondé par Betoulaud]* §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 11-14.

Mr de Betoulaud, Gentilhomme né en Gascogne, qui faisoit sa residence à Bordeaux ; qui aimoit beaucoup les belles-Lettres ; qui en faisoit profession, & dont je vous ay souvent envoyé des Ouvrages qui ont esté fort aplaudis, en ayant fait pour le Roy qui ont eu les mêmes applaudissemens, & Sa Majesté sçachant qu’il avoit assez de bien pour ne chercher que de la gloire, luy donna une Medaille d’or qui peut passer pour un Medaillon, & dont la face droite represente le Buste de Sa Majesté, & la gauche la teste de Monseigneur le Dauphin, & celles de Messeigneurs les Princes. Mr de Betoulaud qui estoit déja charmé de la personne du Roy, ainsi qu’il l’avoit fait voir dans plusieurs de ses Ouvrages, le fut encore davantage lorsqu’il en eut reçû la Medaille dont je viens de vous parler.

Ce Gentilhomme vient de mourir, & il a fait un Testament par lequel il a laissé un fond de 6000. livres pour donner chaque année un prix de 300. livres à la personne, qui au jugement de l’Academie Françoise, fera la plus belle piece d’Eloquence à la gloire du Roy. Il a aussi laissé à ce Monarque par le même Testament, quantité d’Agathes antiques, des plus belles & des plus Curieuses. Il a aussi laissé à l’Hostel de Ville de Bordeaux, la Medaille dont je viens de vous parler, à condition que le premier Jurat la portera attachée sur son cœur les jours de Ceremonie.

Je ne crois pas vous avoir mandé depuis trente-trois ans rien d’aussi singulier, ni qui marque davantage le grand amour d’un sujet pour son Roy.

[Pompe funèbre à Montréal pour la duchesse de Pontchartrain]* §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 38.

On vient de faire dans cette Capitale de la nouvelle France, un Service solemnel avec toute la pompe dont nous sommes capables, pour Me la Comtesse de Pontchartrain, dont nous avons appris avec beaucoup de douleur la mort par les Vaisseaux qui sont arrivez devant Quebec le mois passé.

[Pompes funèbres au Canada pour Laval-Montmorency]* §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 39-46.

Le plus illustre d’entre les morts de cette année dans la Colonie, est Mr de Laval-Montmorency, ancien & premier Evêque de Canada ; il est extrêmement regretté. Ce Saint Prelat ayant voulu jusques-à la fin de ses jours édifier son peuple & le troupeau qui luy avoit esté confié, assista le Vendredy Saint dernier à tout l’Office dans sa Cathedrale ; & comme le froid estoit extraordinairement piquant ce jour-là, & le plus sensible qu’on ait jamais senti dans la nouvelle France, à ce que disent les anciens du Pays, il en fut saisi de telle maniere, qu’un de ses pieds s’estant trouvé gelé, on voulut luy faire quelques incisions, ce qui luy causa une fievre, qui au bout de quinze jours ou environ, nous l’enleva. Ce fut le 6. de May ; il estoit âgé de quatre-vingt six ans. Il avoit été sacré Evêque de Petrée en 1659. à Paris, à l’Abbaye Saint Germain des Prez, par le Nonce du Pape, & fait Evêque Titulaire de Quebec (où il estoit dés-lors) en 1673. On peut dire que son Convoy a esté un espece de Triomphe, & que ses obseques ont esté celebrées avec toute la solemnité que l’on peut desirer. Il a esté porté sur les épaules des Prestres & des Diacres par toutes les Eglises de Quebec, avant d’estre deposé dans la Cathedrale. Chacun s’empressoit d’assister à un spectacle aussi lugubre & en même temps aussi respectable ; tout le monde le regrette comme si la mort l’avoit enlevé dans la fleur de son âge ; c’est que la vertu ne vieillit point : pour moy qui ay goûté plus d’une fois les charmes & la douceur de sa conversation, j’ay esté touché autant que qui que ce soit de la perte d’un si grand Prelat. On remarque qu’il y avoit prés de cinquante ans qu’il estoit en Canada : avant d’estre promû à l’Episcopat, il avoit esté Grand Archidiacre d’Evreux, & on le connoissoit alors en France sous le nom d’Abbé de Montigny. Lorsqu’enfin même aprés sa mort, Mr l’Ancien (car c’est ainsi qu’on l’appelloit ordinairement) eut visité toutes les Eglises de son Siege Episcopal, il fut porté dans sa Cathedrale, où l’un de Mrs ses Grands Vicaires fit son Eloge Funebre : il s’y trouva un grand nombre (au moins pour le Pays) d’Ecclesiastiques Seculiers & Reguliers : toute l’Eglise estoit tenduë de noir ; le Lit de parade étoit magnifique, fort élevé, & entouré d’un grand nombre de chandeliers : les Armes de l’Evêque se voyoient par tout.

Les Eglises de la nouvelle France ont fait des Services solemnels pour le repos de l’ame de ce vertueux Prelat. Le trentiéme jour aprés son decés, Mr de la Colombiere, Archidiacre & Grand Vicaire de ce Diocése prononça dans la Cathedrale de cette Ville une Oraison Funebre dans laquelle on remarqua un goust du vray, & une idée du solide, dans le choix des choses qu’il dit à la loüange de l’illustre deffunt, ce qui est le caractere de la veritable Eloquence. Mr1de Belmont, aussi Grand Vicaire & Superieur des Missions de Saint Sulpice dans l’Isle de Montreal, en fit une dans l’Eglise de Nostre-Dame de2Ville-Marie, qui attira l’applaudissement de toutes les personnes de bon goust. Le Corps du vertueux & Saint Evêque a esté mis dans un Cercüeil de plomb, & enterré au milieu du Sanctuaire de la Cathedrale : voicy ce que l’on a gravé sur son Tombeau, au dessus de ses armes qui sont de Montmorency, l’écu de Laval en abysme.

Cy gît Mre François de Laval-Montmorency.
 Premier Evêque & Fondateur
 Du Seminaire de Quebec.
 Il est mort le sixiéme May
 De l’année mil sept cent huit,
 La quatre-vingt sixiéme de son âge,
 La cinquantiéme année de son Sacre.
 La memoire de ses vertus,
 Et de ce qu’il a fait
 Pour augmenter la Foy
 Dans la nouvelle France,
 N’y mourra point,
Tant que la Religion Catholique y subsistera.

Requiescat in pace.

[Service fait aux Feüillans de la ruë S. Honoré, pour feu Mr le Maréchal Duc de Noailles, avec une Description de tous les Ornemens lugubres dont cette Eglise estoit décorée] §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 125-139.

Je passe au Service dont je vous ay promis de vous entretenir ce mois cy, & que Mr le Duc de Noailles a fait faire dans l’Eglise des Feuillans de la ruë saint Honoré, pour feu Mr le Maréchal Duc de Noailles son Pere.

Le grand Portail de cette Eglise, & celuy de la court, étoient tendus de drap noir, sur lequel étoient deux bandes de velours noir chargées d’Ecussons aux Armes du Défunt ; & l’on en remarquoit un sur le grand-Portail qui avoit plus de 12. pieds de haut.

On entroit ensuite dans, l’Eglise, & l’on étoit d’autant plus surpris que rien ne paroissoit plus brillant ny plus magnifique, quoy que l’on eut esté informé que Mr le Duc de Noailles eut par modestie ordonné qu’on n’employast aucune figure, & qu’on retranchast même jusqu’aux Attributs dont on se sert ordinairement pour décorer les Representations que l’on éleve pour ces sortes de Services. Et en effet on n’y voyoit rien de tout cela ; mais Mr Berin Dessinateur ordinaire du Cabinet du Roy, qui depuis un grand nombre d’années a fait tous les Desseins des Pompes Funebres qui se sont faites à saint Denis & à Nostre-Dame par ordre de Sa Majesté, & à qui l’on doit celle que Mr le Prince d’aujourd’huy fit faire dans l’Eglise de Nostre-Dame pour feüe S.A.S. Monsieur le Prince son Pere, & qui a passé pour une des plus belles choses de cette nature, dont on ait ouy parler dans aucun Siecle. Mr Berin, dis-je, avoit fait dans cette occasion, tout ce que l’Art & l’imagination luy avoient pû fournir pour orner l’Eglise des Feuillans, & la Representation, d’une maniere qui produisoit un plus brillant effet, & surprenoit d’abord la vuë, que d’autres n’auroient peut-estre pû faire en employant toutes les choses dont on l’avoit prié de ne se point servir ; & cependant avec du Drap noir, du Velours, des Ecussons, des Chandeliers & des Girandoles de fer blanc ; mais dorées, & construites de diverses manieres avec un grand nombre de lumieres, il avoit composé un tout ensemble qui surprenoit tellement qu’il falloit beaucoup de temps pour démêler tout ce que l’on voyoit.

Le jour de toutes les vitres estoit si bien fermé, que l’Eglise n’étoit éclairée que par les lumieres qui reflechissant sur le Velours, sur les Ecussons dorez, & sur le grand nombre de Chandeliers de diverses figures qui l’estoient aussi, formoient un spectacle brillant & lugubre tout ensemble, ainsi que le demandoit la Ceremonie pour laquelle tout cet appareil avoit esté dressé.

Le Grand Autel de l’Eglise des Feuillans estant tres magnifique, & l’Architecture en estant toute dorée, on n’avoit tendu de noir que les fonds de cette Architecture, & cette tenture estoit ornée des Armes & des Chifres de la Maison de Noailles. Il y avoit au bas de grandes Girandoles, qui portoient des flambeaux qui finissoient en maniere de Cierges. Les Couronnemens de l’Autel, & toutes les Corniches, estoient bordées de flambeaux faits pareillement en Cierges, & portez par des fleurons dorez. Les Autels de toutes les Chapelles étoient aussi tous illuminez ; mais d’une maniere qui faisoit plaisir à voir.

Toute l’Eglise estoit tendue de deuil, ainsi que vous avez déja dû remarquer, & la Tenture, qui commençoit au dessus des Chapelles, montoit jusqu’à la voûte. Toute cette Tenture étoit ornée de deux lez de velours, semez de larmes d’argent, & l’on voyoit sur toute la tenture des Armoiries & des Chifres de 7. à 8. pieds de haut.

Il y avoit au pied de ces Armes, des Girandoles dorées, qui portoient chacune cinq flambeaux, & la Corniche qui regnoit au dessus du dernier lez de velours, estoit remplie de flambeaux qui sortoient d’un grand nombre de fleurons dorez, & qui n’étoient qu’à un pied de distance les uns des autres.

Le Mausolée étoit simple ; mais de tres bon goust, & éclairé par un grand nombre de flambeaux en maniere de Cierges, portez par de tres belles Girandoles dorées & enrichies d’ornemens.

Le Poil sur lequel étoit la Couronne & le Collier de l’Ordre sur un Carreau de Velours couvert d’un Crespe, étoit magnifique. Le Dais étoit fort elevé au dessus de la Representation ; il étoit enrichi des Armes & des Chifres de Noailles, & de plusieurs ornemens convenables. Il y avoit aux quatre coins de la Representation, quatre Officiers de la Connestablie.

On avoit osté toutes le Clostures des Chapelles, & même les Confessionnaux, & ces Chapelles étoient remplies de Personnes de distinction. Ceux qui étoient assis dans les rangs, n’étoient point elevez ; mais il y avoit derriere eux plusieurs Gradins qui étoient aussy remplis de plusieurs personnes ; de maniere, que tout le terrain étoit si bien menagé qu’il n’en restoit point d’inutile.

La Musique étoit placée dans les deux grandes Tribunes qui sont aux deux costez du Maistre Autel & dans lesquelles on avoit elevé des Amphiteatres. Cette Musique formoit deux Chœurs, & elle étoit composée de cent trente Personnes, tant Musiciens que Symphonistes. Elle étoit de Mr Bernier, Maître de Musique de la Sainte Chapelle, dont la reputation est connuë. Aussi est il dans une place qui a toujours esté occupée par les meilleurs Maîtres.

A la fin de la Messe, tous les Religieux, au nombre de cent ou environ, parce qu’il en étoit venu de quelques autres Convens de Feuillans, sortirent de leur Chœur, tenant chacun un Cierge. Ils firent les prieres acoutumées dans une pareille Ceremonie, devant la Representation.

Le Plan qui suit vous fera connoître l’ordre dans lequel étoient placez tous ceux qui se sont trouvez à cette grande Ceremonie.

A. Le Clergé, les Evêques au premier rang, & les Abbez aux rangs suivans.

B. Les Officians.

C. Les Duchesses, & autres Dames.

D.E. Les Personnes de distinction qui avoient esté invitées.

F. Les Officiers de la Maison.

✠ La Chaire du Predicateur.

G. Deux Prie-Dieu ; l’un fut ocupé par Mr le Duc de Noailles, & l’autre demeura vuide.

H. Quatre Officiers de la Maréchaussée aux coins de la Representation.

Je devrois vous parler de l’Oraison funebre qui fut prononcée par le Pere de la Ruë ; mais je remets à vous en entretenir ailleurs. Vous conoissez son esprit, son Eloquence, & la beauté de son genie. Ainsi vous devez être persuadée que cette Oraison funebre a merité les aplaudissemens qu’elle reçut de toute l’Assemblée ; la Ceremonie commença à onze heures, & ne finit qu’à quatre heures aprés midy, que l’on en sortit en donnant de grandes loüanges à Mr le Duc de Noailles, sur tout ce qu’il avoit fait pour honorer la memoire de feu Mr le Maréchal son pere.

[Sonnet à madame la Duchesse du Maine] §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 188-193.

Je repasse en France, où est le veritable sejour de la magnificence & de la galanterie, qui ne quitte point la Princesse à qui les Vers suivans sont adressez.

A MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.
SONNET.

Princesse, vous joignez, à vostre caractere,
Les attributs de l’ame, & les beautez du corps,
Et par le composé, de ces nobles accords,
Vous sçavez devenir, maistresse en l’art de plaire,
***
Vostre esprit autrefois, appliqué sur la Sphere,
Des Lignes & des Points, a connu les rapports,
Des Globes lumineux, a mesuré les Corps,
Et la declinaison de l’Etoile polaire.
***
La Reine d’Albion, que l’on sert à genoux,
Jamais dans son Withall, n’a brillé comme vous,
Dés qu’à Seaux les Zephirs, caressent la Jonquille,
***
Vos doux amusemens, dont le monde est charmé
Causent plus de plaisir, que n’en donne Spadille,
Quand sur Baste, & Manille, il rentre à Point nommé.

Ce Sonnet est de Mr Cassan.

Si l’on entreprenoit de donner les loüanges qui sont duës à la grande Princesse qui fait le sujet des Vers que vous venez de lire, des volumes entiers ne suffiroient pas. La grande naissance se trouve en cette Princesse avec un esprit superieur. Il y a peu de Sciences dont elle n’ait une teinture, & il s’en trouve même qu’elle sçait à fond. Il est difficile de porter un jugement plus juste sur tous les Ouvrages, & même d’Erudition, & de se connoistre mieux en Poësie. Aussi personne ne prononce-t-il mieux des Vers que cette Princesse, & l’on les trouve souvent beaucoup plus beaux dans sa bouche qu’ils n’ont paru sur le papier. Sa generosité va au de là de tout ce que l’on peut imaginer ; de maniere que l’on peut assurer qu’elle n’a rien à elle. On peut dire que lors qu’elle tient sa Cour à Seaux, on prendroit ce lieu pour le Palais de la Magnificence, & que cette Princesse y est toujours accompagnée des Graces, des Muses, des Jeux, & des Ris. Elle doit estre regardée comme un parfait Modelle de la plus haute vertu, & l’on ne peut pousser plus loin l’amour conjugal que celuy qui se trouve entre cette Princesse & le Prince son Epoux, dont l’esprit solide & brillant est generalement reconnu, & dont les Lettres peuvent passer pour des Chefs d’œuvres. Il n’y a point d’exageration dans ce que je viens de vous dire de leur amour Conjugal, puis que le plus grand Prince du monde, a souvent dit, qu’il devoit servir d’exemple.

[La Muse Mousquetaire] §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 196-201.

Je crois que vous vous souvenez de Mr de Saint Gilles l’Enfant, puisque dés le temps que j’ay commencé à vous écrire des nouvelles, je vous ay envoyé ses premiers Ouvrages, & particulierement des Fables qui eurent l’avantage de vous plaire, & qui reçurent de grands aplaudissemens dans le monde. Les progrés qu’il fit dans les Belles-Lettres dans un âge peu avancé ne le toucherent pas assez pour l’engager à s’y attacher entierement ; il ne regarda ses Ouvrages que comme un amusement, & ayant resolu de prendre le parti de la guerre, il se mit dans les Mousquetaires dont quelques années ensuite il devint Sous-Brigadier, & quelque temps aprés il eut l’Ordre de Saint Lazare qui estoit fort considerable en ce temps-là à cause des Commanderies que les Chevaliers de cet Ordre avoient lieu d’esperer ; mais les mouvemens qu’il y eut ensuite dans cet Ordre reculerent pour un temps les esperances de ceux qui estoient les plus avancez. Mr le Chevalier de Saint Gilles estant fort estimé dans son Corps, avoit resolu d’y rester, afin d’y monter par degrez aux premiers Emplois ; mais ayant esté blessé & fait prisonnier à la bataille de Ramillies, on n’a pû depuis ce temps-là apprendre de ses nouvelles ; ce qui a donné lieu de croire qu’il est mort de ses blessures.

Ses premiers Ouvrages de Poësie ayant beaucoup réüssi, ainsi que je viens de vous le marquer, il a esté tellement sollicité de donner de temps en temps des Ouvrages de sa veine, qu’il n’a pû s’empescher de satisfaire là-dessus les personnes qui luy en demandoient ; mais quoyque sa conversation ne fust pas des plus vives, & qu’il parût froid à ceux qui ne le connoissoient pas, ses Ouvrages ne laissoient pas d’avoir beaucoup de feu. Ils estoient tous remplis d’esprit, & d’une fine raillerie qui les faisoient souhaiter. On a pris soin de ramasser aprés sa mort ce que l’on a pû en trouver, & d’en faire un Volume sous le titre de La Muse Mousquetaire, Oeuvres Posthumes de Mr le Chevalier de Saint Gilles.

Ce Volume se vend au Palais, chez Guillaume de Luynes, à l’entrée de la Gallerie des Prisonniers, à l’Image Nôtre-Dame.

Augustin Hebert, à l’entrée de la Grand’ Salle, vis-à-vis la Chapelle, à l’Image Sainte Anne.

La veuve François Mauger, au quatriéme Pilier de la Grand’ Salle, au Grand Cyrus.

La veuve J. Charpentier, au sixiéme Pilier de la Grand’ Salle, à la Couronne d’or.

J’ay oublié de vous dire que Mr le Chevalier de Saint Gilles avoit esté Page de la petite Ecurie, avant que d’entrer dans les Mousquetaires.

A Monseigneur le Dauphin. Sonnet §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 203-204.

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
SONNET.

Heros, une gloire nouvelle
Va signaler vostre valeur :
Le monde entier à vostre zele
Devra la fin de sa douleur.
***
Est-il une vertu plus belle
Que celle d’un genereux cœur,
Qui pour la cause paternelle
Combat l’universel malheur.
***
C’est pour un fils & pour un pere :
Le Ciel n’y peut estre contraire
Et la terre doit se flater,
***
Qu’en ses generales alarmes,
Puisque vous avez pris les armes,
Vous allez les faire quitter.

[Paraphrase de la Prose des Morts, traduite en Vers Français par Mr l’Evêque d’Angers] §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 267-279.

Pendant que les uns songent à acquerir des honneurs, & à s’élever, les autres pensent qu’ils les doivent abandonner en quittant le monde, & s’occupent à penser à la mort, & à ce qu’un Chrêtien doit dire lorsqu’il la voit approcher. Cela se voit dans la Traduction de la Prose des Morts, paraphrasée de Mr l’Evêque d’Angers. Ce Prelat a toutes les vertus qui conviennent à sa dignité : il est grand Predicateur, & ses sermons sont aussi éloquens que solides, & les Discours qu’il prononce sur le champ, n’ont pas de moindres beautez ; de maniere que l’Eloquence luy est naturelle. La lecture de sa Paraphrase que je vous envoye vous fera plaisir, & vous trouverez les Vers si naturels & si coulans, qu’ils ne paroissent pas avoir esté aussi travaillez, qu’ils doivent l’avoir esté en effet, puisqu’il seroit difficile qu’ils fussent sans cela aussi bons qu’ils ont esté trouvez par tous ceux qui les ont lûs.

TRADUCTION PARAPHRASÉE DE LA PROSE
des Morts.

O Jour ! dont les horreurs ne peuvent se comprendre,
Où l’Univers entier sera reduit en cendre,
Jour qu’autrefois David inspiré nous predit,
Qui peut penser à toy sans en estre interdit.
***
Tout ce que la nature a de plus insensible
Sera frapé d’effroy, lors qu’un Juge inflexible
Percera par le feu d’un flambeau lumineux
Des cœurs les plus cachez les replis tenebreux.
***
Les Morts même au milieu de leur sombre retraite,
Saisis d’étonnement entendront la Trompette,
Qui du Maître des Cieux annonçant le couroux,
Devant son Tribunal les rassemblera tous.
***
La Mort qui maintenant se plaît à nous surprendre,
De surprise à son tour ne pourra se deffendre,
Quand l’homme de son corps de nouveau revêtu,
Aura lieu de trembler même sur sa vertu.
***
L’Esperance de feindre à tous sera ravie,
Dans un Livre on lira l’histoire de sa vie,
Livre où tout l’Univers dans la crainte plongé
Verra son jugement avant d’estre jugé.
***
Sur un Trône éclatant le Juge inexorable ;
Fera voir qu’à ses yeux rien n’est impenetrable ;
Sans égard, sans delai, chaque œuvre en ce moment
Aura sa recompense, ou bien son châtiment.
***
Malheureux que je suis, puis-je trop me confondre,
Sur mes égaremens trouveray-je à répondre ?
Si le juste inquiet cherche alors du secours,
A qui dans ma terreur pourra-je avoir recours ?
***
O Dieu ! dont la grandeur inspire tant de crainte,
Regardez la frayeur dont mon ame est atteinte ;
Vous qui quand vous sauvez, sauvez sans interêt,
Ne me refusez pas un favorable Arrêt.
***
Vous seul, ô Doux Jesus, pouvez calmer mes peines,
Souvenez-vous du sang qui coula de vos veines,
Et dans ce jour qui doit decider de son sort,
Faites-moy ressentir le prix de vôtre mort.
***
Vous m’avez dans le fort de mon ingratitude
Recherché mille fois avec inquietude ;
Pour moy sur une Croix je vous vois étendu,
Ce travail douloureux seroit-il donc perdu ?
***
Non, Non, je ne crains point assez vostre vengeance,
Pour ne pas mettre encore en vous mon esperance ;
Je sçay que vous pourriez un jour me reprouver,
Mais je sçay qu’aujourd’huy vous voulez me sauver.
***
Lors qu’au fond de nos cœurs vous jettez des alarmes,
C’est pour nous engager à repandre des larmes,
J’en verse en ce moment avec profusion,
Laissez-vous attendrir par ma confusion.
***
Si Magdelaine en pleurs calma vôtre colere,
Si vous fûtes touché par l’ardente priere,
Du Larron penitent plein de la même foy,
Ce qui fut fait pour eux, je l’espere pour moy.
***
Ce n’est pas que mon cœur superbe & temeraire
Pretende par luy seul pouvoir vous satisfaire,
Pour éviter un feu tant de fois merité,
Il compte moins sur luy que sur vostre bonté.
***
Heureux si dans ce jour au pecheur redoutable,
Je puis avoir de vous un regard favorable ;
Heureux si je ne sors de mon triste Tombeau ;
Que pour estre reçû dans vostre cher Troupeau
***
Assez d’autres sans moy, deplorables victimes,
De ce juste couroux que meritent leurs crimes,
Sentiront de l’Enfer les tourmens rigoureux,
Mais placez-moy, Seigneur, au rang des Bien-heureux.
***
C’est là ce que je veux, & ce que je desire,
C’est pour ce seul objet que mon Ame soupire,
Sensible à ma douleur, ne me refusez pas
La grace qui du juste adoucit le trepas.
***
Déja des Reprouvez j’entends les cris de rage,
Je vois le desespoir gravé sur leur visage ;
Que de larmes, Grand Dieu, se répandront alors,
Que d’hommes pour vous fuir feront de vains efforts.
***
Pasteur qui recherchez la Brebis égarée,
Pere qui corrigez l’Ame denaturée,
Charitable Sauveur ne nous perdez jamais,
Et faites nous jouïr d’une éternelle paix.
Ainsi soit-il.

Enigme §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 343-345.

Le mot de l’Enigme du mois dernier, estoit l’Esprit. Tous ceux qui en ont appris le mot, sans avoir pû le deviner, l’ont trouvé tres-juste, & cependant l’esprit n’a point servi à faire trouver son semblable ; de maniere que le mot de cette Enigme n’a esté trouvé que par tres-peu de personnes. Ce sont Mrs l’Abbé de Saint Didier ; d’Argentré, de Roüen ; de la Claus, Capitaine d’Infanterie ; le plus jeune des Conseillers ; & G.A.C. qui l’a expliquée en Vers. Mlles de la Durandiere ; de la Valterie ; de Penneval, & de Bus ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la jeune Muse renaissante G.O. & la Solitaire de la ruë aux Féves.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Mon corps est delicat autant qu’il le peut estre,
Je ne crains pourtant pas les injures du temps
Où la necessité m’expose tous les ans,
Quand pour le bien public on m’oblige à paroistre ;
Sans armes ny baston je fais peur aux filoux,
Ma presence pour eux est un objet contraire,
Les plus déterminez ne peuvent plus rien faire
Sans s’exposer souvent à de terribles coups ;
Quelquefois cependant je leur suis tres-utile,
Ainsi qu’à tout Mortel, quand il va par la Ville.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 345-346.

Quoy que le Printemps ne soit pas encore de retour, ou du moins, quoy qu’il ne brille pas encore avec tous ses attraits, quoy qu’il soit commencé, je vous en envoye un de ceux dont on voit tous les ans en cette Saison, les Poëtes n’oubliant pas de le chanter chaque année, même avant qu’il ait commencé à faire sentir ses douceurs.

AIR NOUVEAU.

L’Air, L’Heureux Printemps, page 346.
L’heureux Printemps est de retour,
Sa douceur inspire l’amour,
Son émail enrichit nos vergers & nos plaines.
Mais tant de beautez, tant d’appas
Peuvent-ils soulager mes peines,
Si mon Iris ne m’aime pas.
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Madrigal §

Mercure galant, mars 1709 [tome 3], p. 346-348.

Le Madrigal suivant, quoy-que long, meriteroit d’estre mis en air, & je crois qu’on le chanteroit avec autant de plaisir, qu’il a esté bien reçû de la personne de merite, pour laquelle il a esté fait. On dit que c’est le premier essay de la veine de son Auteur, & si l’on dit vray, il y a lieu d’en attendre un jour de beaux Ouvrages.

MADRIGAL.

Je languis nuit & jour, je brûle, je soupire
Pour vos apas trop dangereux ;
Mais c’est en vain que par mes vœux
Je vous presse, Philis, d’adoucir mon martire.
Quand je fais pour vous enflamer
Tout ce qu’au monde l’on peut faire,
Je vous trouve toujours à mes desirs contraire,
Toujours au moindre mot prête à vous allarmer.
Ah ! faut-il que vous sçachiez plaire,
Si vous ne sçavez point aimer.