1709

Mercure galant, avril 1709 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1709 [tome 4].
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Mercure galant, avril 1709 [tome 4]. §

[Cure aussi singuliere que surprenante, & qui doit divertir le Lecteur] §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 20-25.

Je crois que vous n’avez jamais entendu parler d’aucun fait plus extraordinaire, que celuy que vous trouverez dans l’Article qui suit.

On écrit de Leipsic, qu’il s’est fait depuis peu dans le Nord, une Cure singuliere auprés de Stockolm. Un Musicien, d’une grande habileté dans son Art, estant tombé dans une fiévre continuë, acompagnée d’un délire violent de cris, de larmes, de terreurs, & d’une insomnie continuelle, un secret instinct luy fit demander le 3e. jour de son délire, à entendre un petit Concert dans sa Chambre. Le Medecin eut peine à y consentir craignant que les sons des Instrumens n’augmentassent la frenesie.

Enfin les desirs du Malade redoublant, un Musicien François qui se trouva là, luy chanta les Cantates de Mr Bernier. Chose surprenante ; aux premiers accords que le Malade entendit, son visage prit un air serein, ses yeux devinrent tranquiles, & ses convulsions cesserent entierement. Enfin il versa des larmes de plaisir ; il eut même tout d’un coup une sensibilité pour la Musique qu’il n’avoit jamais sentie, quoy qu’il s’attachast à cet Art, & il perdit cette sensibilité dés qu’il fut guery. Il ne le fut pas par le premier Concert ; la fievre, comme suspenduë, revint dés que l’on eut fini de chanter ; mais on ne manqua pas de continuer l’usage d’un remede dont le succés avoit esté aussi heureux qu’imprevu. La Musique ne manqua pas de produire le même effet une 2. & 3. fois qu’elle avoit fait la premiere, & elle suspendoit toujours tous les fâcheux symptômes de la Maladie. Le Malade faisoit chanter la nuit & même danser, une vieille parente qui le veilloit & qui ne pouvoit se resoudre qu’avec peine, à un exercice peu convenable à son âge, & à la disposition du malade, qu’elle croyoit d’autant plus fâcheuse qu’elle luy voyoit plus d’enjoüement. Une nuit qu’il avoit une Garde auprés de luy qui ne sçavoit qu’un méchant Vaudeville, il l’obligea de le chanter, & il fut soulagé sur le champ. Enfin dix jours de Musique & de danses le mirent dans un estat parfait de guerison sans aucun autre secours que celuy d’une saignée au pied, qui fut la seconde qu’on luy fit pendant sa maladie, & qui fut suivie d’une grande évacuation. Cette aventure surprenante à esté écrite par plusieurs personnes dignes de foy, & plusieurs Physiciens font des reflexions sur ce sujet.

[Theses soûtenuës sur des Matieres tres-importantes] §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 82-87.

Il y a quelque temps que Mr Daniel Wieland, soutint à Tubinge, une These publique qui luy fit beaucoup d’honneur. Le sujet en estoit tiré de la 1e Epitre de Saint Pierre (Chap. 2. v. 9.) & regardoit la dignité des Chretiens à quoy ces paroles de l’Apôtre, vos autem genus electum, regale sacerdotium, gens sancta, populi acquisitionis : ut virtutes annuntietis ejus, qui de tenebris vos vocavit inadmirabile lumen suum, ont raport. Mr Christophe Reuchlin, Professeur en Theologie, Doyen de l’Eglise de Tubinge, Presidoit à cette These. Le nom de Reuchlin est fort celebre dans la Literature, le Professeur de Tubinge, qui le porte aujourd’huy, fait beaucoup d’honneur à sa Compagnie, il est en réputation d’un des plus Sçavans hommes de tout le Nord. Il sçait à fond l’antiquité & personne ne réüssit mieux que luy à former de sçavans Disciples. Mr Wieland est un de ceux qui luy font le plus d’honneur. Toutes les personnes de qualité de la Ville y assisterent, & même quelques grands Seigneurs des Etats hereditaires de l’Empereur.

Mr Frederic Stoer soutint y a quelque temps, une Theses à Altdorf, contre l’excés de la Boisson, de frugalitate insumendo potus, sive de sobrietate. Mr Magnus Daniel Omeïs, l’un des plus celebres Poëtes Allemans de ce temps, y a présidé. On cite dans cette These un Distique du celebre Maurice Landgrave de Hesse, qui est assez singulier pour un Prince Allemand.

Qui vult alterius cyathis haurire salutem
Tale lucrum refert, perdat ut ipse suum.

L’Auditoire fut tres-nombreux à cette These. Il estoit composé de toute la Noblesse Allemande du voisinage, que la singularité du sujet de la These, y avoit attirez. Il y eut même plusieurs Princes qui se firent un plaisir de proposer quelques difficultez au Soutenant, qui y donna toujours d’ingenieuses solutions. On y cita fort les Poëtes somptueux qui avoient favorisé l’excés de la Boisson, que ceux qui s’estoient élevez dans leurs ouvrages contre l’intemperance. Anacreon, Horace, Martial, Ovide, furent des premiers ; on en cita même plusieurs d’entre les Modernes ; cette opposition qu’on fit des uns aux autres interessa l’Assemblée. Mr Stoer reçût de grands applaudissemens dans cette occasion ; la subtilité & la solidité de ses réponses sur cette matiere luy firent beaucoup d’honneur ; mais toutes les fois que Mr Omeis parla, on admira dans tout ce qu’il dit, une connoissance parfaite de l’Antiquité & une saine critique des Auteurs qui ont traité de la matiere qui faisoit le sujet de la These. Les ouvrages de Mr Omeis & sur tout ses Poësies, l’ont fait connoistre dans toute l’Europe. Il estoit fort lié avec feu Mr Racine, & il se consultoient l’un & l’autre sur tous leurs ouvrages.

[Madrigal de Mr Moreau de Mautour] §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 115-117.

Mr Moreau de Mautour a fait les vers suivants sur la naissance d’un fils qu’un Magistrat du premier rang a eu de son second mariage avec une personne d’un nom trés distingué dans la Robe, de laquelle il avoit déja eu deux filles.

Nos vœux sont éxaucés, favorable Lucine
Par tes soins Uranie, enfin a mis au jour,
Un ouvrage formé par l’Hymen & l’Amour,
Cet enfant illustré par sa double origine,
Ce nouvel heritier d’un nom cher à l’Etat,
Flate le doux espoir d’un fameux Magistrat,
Par la posterité que le Ciel luy destine.
O vous qui tenez dans vos mains
La vie & le sort des humains,
Conservez aux Epoux cet objet de leur joye ;
D’une tendre union le gage si charmant ;
Parques, filez pour luy des jours d’or & de soye,
Filez des jours heureux, long-temps & lentement.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 117-118.

Les paroles suivantes ayant esté jugées dignes d’estre mises en chant, je vous les envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Mes Feux, doit regarder la page 118.
Mes feux qu’ont trop long-temps renfermé la contrainte,
Veulent en vain paroistre au jour.
Auprés de ma Bergere animé par l’amour,
Je suis retenu par la crainte.
Un tendre aveu doit-il exciter son couroux ?
Philis, jugez-en par vous même
Comme elle vous brillez des attrais les plus doux.
Si je disois que je vous aime,
Vous en offenseriez vous ?
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[Fête donnée à Monseigneur le Dauphin à Chantilly]* §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 351-400.

Je crois vous devoir parler icy d’une des Festes données par ce Prince à Monseigneur le Dauphin, qui luy avoit dit qu’il iroit passer quelques jours à Chantilly. Il n’en fallut pas davantage pour mettre l’imagination de ce Prince en mouvement, & les divertissemens qu’il imagina, & dont un seul auroit pû suffire pour regaler les plus grands Souverains du monde, furent en si grand nombre, que l’on peut dire qu’à chaque heure du jour il fut regalé par un divertissement nouveau, où l’invention, la galanterie & la pompe regnoient également. Je n’entreprendray point icy de vous faire une peinture de tous ces divertissemens qui pourroient remplir plusieurs volumes, & je prétens seulement vous en donner une idée. Cependant je crois que je ne pourray m’empêcher de m’étendre sur celuy qui servit de prelude aux autres, & dont la description pourra vous faire juger de la beauté & de la singularité de ceux qui le suivirent.

Monsieur le Prince resolut de donner une Colation à Monseigneur le Dauphin, & à toute sa Cour au milieu de la Forest qui conduit à Chantilly, & de faciliter à ce Prince tous les moyens de chasser agreablement avant que d’arriver au lieu où il devoit trouver cette Colation. C’estoit dans un endroit appellé la Table, & qui est regardé comme le milieu de la Forest. La figure de ce lieu est ronde : il a 23. toises de diametre, & il est partagé en douze routes, qui ont pour centre le point du milieu de cette Place. Elles sont toutes bordées de Charmille, & ont chacune cinq toises de large, & environ une lieuë de long. Dans le milieu de ce rond on avoit eu soin d’élever une Feuillée, dont la forme suivoit le mesme plan. Elle estoit de sept toises & demie de diametre, & élevée sur une Estrade de cinq pieds de haut. Cette Feuillée estoit percée de douze Portiques, qui aboutissoient à chacune des douze routes, dont je viens de vous parler, & pour y monter, on avoit construit quatre Escaliers de douze pieds de large, avec des appuis ou Balustrades des deux costez de chaque Escalier. La mesme Balustrade regnoit tout autour de l’Edifice, & chaque Portique avoit vingt pieds de haut sur douze de large. La Corniche estoit saillante en dehors ainsi qu’en dedans. Le Dôme avoit son plein ceintre, & sur le milieu & au-dessus estoit une Balustrade de dix pieds de diametre. Tout le Dôme, les Ceintres, les Pilastres & les Appuis, estoient recouverts de feuilles de Chesne. Des branches de Genievre formoient les Balustrades, & le tout estoit construit de maniere qu’on voyoit toute l’Architecture profilée. Tous les Portiques estoient ornez de gros festons de feuilles de Chesne, & de bouquets de fleurs. La Table où la Colation fut servie estoit au milieu de cet Edifice. Elle estoit ronde, & de dix pieds de diametre. Une grande Corbeille d’argent en occupoit le point du milieu. Elle estoit soûtenuë sur douze Consoles à jour de vermeil doré, qui répondoient à chacune des douze Arcades. Ces douze Consoles estoient jointes ensemble par des guirlandes de fleurs, & portoient chacune deux petites Corbeilles d’argent remplis de fruits. La grande du milieu l’estoit de fruits & de fleurs, & le tout formoit une élevation toute à jour, & qui ne faisoit aucun obstacle à la vûë. On mit sur cette Table le couvert de Monseigneur vis-à-vis le milieu de la route qui va à Chantilly. Tout le pourtour de cette Place de six-vingt toises de large, estoit de treillage de feuillée, & orné de Portiques aussi de feuillée, au travers desquels on découvroit toutes les routes.

Monseigneur entendit en arrivant un Concert de Timbales & de Trompettes qu’on avoit postées dans le Bois à une distance mesurée, afin que l’harmonie en estant un peu éloignée eust plus de douceur. Ce Prince trouva tout le dedans du Dôme vuide, & la Table servie de vingt-quatre bassins de Rost & de quatre plats d’Entremets autour de chaque bassin ce qui faisoit six vingt plats. Les mesures avoient esté prises si justes qu’on peut dire que ceux qui servoient estoient avertis de chaque pas que Monseigneur faisoit dans la Forest pour avancer, puisque ce Prince arriva dans l’instant qu’on venoit de poser le dernier plat chaud sur la Table. Comme il n’y avoit que le Couvert de Monseigneur, il ordonna qu’on en mist d’autres, & la Table en fut aussitost garnie ; mais on n’en mit point vis-à-vis de ce Prince. Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, & Monsieur le Prince de Conty furent placez à costé de Monseigneur, & les Seigneurs de sa suite ocuperent le reste des places. On releva les Entre mets chauds pour en remettre de froids. Tout fut en suite relevé d’un service entier de fruit avec le même nombre de Corbeilles & le Plats qui remplissoient la Table lors que Monseigneur arriva. Il y avoit quantité de Corbeilles ovales & en lozange chacune de deux pieds de diametre. Je n’entre point dans le détail des fruits & des confitures ; cela iroit à l’infini. Je vous diray seulement que dans les flancs des Corbeilles ovales étoient de riches Cuvettes remplies de toutes sortes de Liqueurs. Ces Cuvettes étoient acompagnées de Sou-coupes garnies de glaces & de quantité de Verres à Liqueurs de diferentes manieres. Un moment aprés que l’on eut servy le fruit, le bruit de guerre formé par les Timbales & par les Trompettes cessa tout à coup, & dans le même instant on entendit dans la route qui estoit vis-à-vis de Monseigneur, une harmonie de Hautbois, de Flutes, de Muzettes, & de divers Instrumens champêtres. On l’écouta quelque temps sans voir rien paroître, & tout estoit si bien concerté, & executé avec tant d’ordre & de justesse qu’il n’y avoit pas une seule personne dans la route qui devoit estre remplie un moment aprés. L’harmonie ayant diverti les oreilles & inspiré de la joye pendant quelque temps, on apperçut de loin le Dieu Pan, qui estoit suivi par quatre-vingt-dix Faunes, Sylvains, Satyres, & autres Divinitez qui ont accoûtumé d’accompagner ce Dieu dans les Bois. Toute cette Troupe parut d’abord à un quart de lieuë de la Table, & ne se mit en marche qu’aprés que Monseigneur eust eu le temps de la remarquer. Le Dieu Pan que l’on voyoit à la teste estoit representé par Mr de Lully Surintendant de la Musique du Roy, qui battoit la mesure avec son Thirse. Il estoit suivi de vingt-quatre Satyres, & de toutes les Divinitez qui habitent les Forests. On entendoit des Hautbois, des Muzettes, & plusieurs autres Instrumens champêtres, au son desquels se faisoit la Marche. Leur diversité formoit une harmonie tres-agreable, & le nombre de ces Joueurs d’Instrumens estoit si grand qu’il remplissoit trois lignes. Les Musiciens avec le reste de la suite du Dieu Pan, marcherent sur ces trois lignes avec beaucoup d’ordre & sans aucune confusion. Les Danseurs, au nombre de vingt-un qui avoient tous des Massuës, estoient montez sur les épaules les uns des autres & formoient des Groupes surprenans. En effet, il y avoit dequoy s’étonner qu’en formant ces sortes de Groupes ils se pussent tenir aussi fermes que si chacun d’eux eut esté à terre ; ils étoient suivis de 51. Musiciens qui portoient chacun sur leur teste une corbeille remplie de fruits feints, representant des fruits des bois, comme pignons, pommes de pin, gourdes & autres qui ne sont connus que parmy les Satyres. Ils tenoient chacun une branche de chesne ; cette nombreuse Troupe s’étant avancée vers le bout de l’allée le plus proche de Monseigneur, les joüeurs de Hautbois se rangerent des deux côtez de l’escalier qui montoit à la table de ce Prince, & quand ils furent placez, les Danseurs executerent parfaitement bien ce qu’ils avoient concerté, qui estoit de descendre pour danser, & de paroître neanmoins toûjours groupez. Pour cet effet, ceux qui estoient les plus élevez sautoient en cadence de quatre mesures en quatre mesures ; & comme il n’en sautoit que trois à la fois, on en voyoit toûjours trois qui formoient la même figure que les trois premiers. Ainsi l’allée fut toûjours remplie jusqu’à ce que les trois derniers eussent fait la même figure que les trois premiers. Les 51. Musiciens qui suivoient avancerent jusqu’aux environs du lieu où les Satyres groupez venoient de finir leur danse, & ayant passé sous le Portique de l’avenuë où ces Satyres étoient, ils se placerent sur un terrain que l’on avoit gazonné depuis le Portique de la route jusqu’à l’escalier. Quand chacun eut pris sa place, on joüa un air d’un autre mouvement, sur lequel tous les Faunes & les Satyres firent une danse fort extraordinaire. Elle plût beaucoup à Monseigneur, & reçût de grands aplaudissemens. Cette danse, qu’on pouroit nommer un petit Ballet, estant finie, les Musiciens avancerent vers l’escalier qu’ils monterent sur deux lignes au son des instrumens, & lorsqu’ils furent arrivez sur l’Estrade, ils se separerent les uns à droite, & les autres à gauche ; de maniere qu’ils entourerent la table. Ceux qui portoient les corbeilles suivirent, & les placerent sur des gueridons de feuillée qui estoient sur les appuis des Portiques.

Les Hautbois parurent aprés, & les Danseurs monterent ensuite ; ceux-cy s’étant pris par la main danserent autour de Monseigneur, sur air qui estoit tout diferent des deux derniers qu’on venoit d’entendre, & qui sembloit marquer l’excés de la joye qu’on ressentoit en ces lieux de la presence de ce Prince. Pendant qu’on dansoit autour de la table, les Musiciens descendirent par un Escalier qui estoit derriere Monseigneur, & se rendirent dans une allée que l’on voyoit à costé de celle par où tout ce divertissement estoit venu. Ils y trouverent les Picqueurs endormis avec leurs chiens. La Danse finit justement en ce temps là comme il avoit esté concerté, & les Musiciens chanterent un morceau le Musique de Mr de Lully, dont les paroles estoient de feu Mr de Moliere qui les fit pour un divertissement donné par le Roy, & nommé la Princesse d’Elide, qui convenoit à la situation où se trouvoient les choses dans ce moment. On entendit alors toute la Forest retentir du bruit de ces paroles.

Debout, Lysiscas, hola debout,
Pour la Chasse ordonnée, il faut preparer tout.

Les Piqueurs se leverent aprés avoir fait toutes les actions qui pouvoient marquer qu’ils estoient profondement assoupis, & qu’ils n’avoient esté éveillez que par ceux qui les apelloient, en leur disant qu’ils allassent preparer tout pour la Chasse que l’on avoit ordonnée. On entendit ensuite un grand bruit de Cors, & dans cet instant un Cerf ayant traversé la route à la vuë de Monseigneur, ce Prince s’écria, comme souhaitant d’avoir des Chiens. Dans le même temps on vit paroistre une Meute que l’on découpla aprés le Cerf. Monseigneur voyant que les Chiens chassoient si bien, témoigna estre fasché de n’avoir des Chevaux que pour tirer en volant. Dans ce moment on en vit paroistre d’autres, & ce Prince monta à cheval pour suivre la Chasse avec tous les Seigneurs qui l’accompagnoient. Il courut le Cerf qui fut pris dans le l’Etang de Cormeille, aprés l’avoir couru environ un heure.

Cette Chasse estant finie, Monseigneur prit le chemin du Chasteau, & dit en parlant du repas, & du divertissement du milieu de la Forest, que tout y estoit plein d’invention & fort bien executé ; que cela pouvoit passer pour un divertissement complet, & qu’il y avoit pris beaucoup de plaisir.

Toutes les Divinitez des Forests, ainsi que les Faunes, les Sylvains, les Satyres, qui composoient leur suite, avoient des habits faits exprés qui les representoient naturellement, plutost comme on a acoutumé de les Peindre, que comme on les voit habillez sur le Theatre. Ces habits estoient faits sur les Desseins de Mr Berrain, ainsi que toute la feuillée.

Ce qu’il y eut de surprenant dans les plaisirs de cette premiere journée, fut que Monseigneur, avant que d’arriver à Chantilly où il sembloit que les Divertissemens dussent seulement commencer, avoit eu le plaisir de deux Chasses diferentes ; un grand Repas dans un lieu construit exprés, & une Feste complette accompagnée de Musique, de Symphonie, & de Danses, & le tout executé, parce qu’il y avoit de meilleures voix, & de plus habiles Danseurs en France. C’est ce qui ne s’estoit encore jamais vû dans une occasion semblable, & ce que le zele de Monsieur le Prince luy fit inventer S.A.S. ne pouvant attendre que Monseigneur fust arrivé à Chantilly pour commencer à luy témoigner la joye qu’elle avoit de l’y voir venir.

Vous devez juger de l’embarras où je dois estre. Je voudrois donner une idée generale de la Feste de Chantilly ; mais il est à remarquer que cette Fête dura huit jours, Monseigneur le Dauphin estant arrivé à Chantilly le 22. d’Aoust de l’année 1688. & n’en estant party que le 31. du mesme mois. Ce que l’on nomme encore aujourd’huy la Feste de Chantilly, renfermoit dix ou douze Festes aussi magnifiques, aussi galantes, & aussi remplies d’invention, que celle qui servit de Prelude à toutes ces Festes, dont vous venez de lire la description, & qui fut donnée avant que Monseigneur fût arrivé au Château. On doit juger par là de la beauté de toutes les autres, dont je ne vous feray la description que de trois ou quatre, qui avec celle de la Feste de la Forest que vous venez de lire, pourront vous faire juger que ces Festes devoient estre autant de spectacles aussi nouveaux par leur singularité que par leur magnificence.

Je commence par vous dire que Monseigneur aprés avoir traversé la Court du Château, traversa plusieurs pieces de suite, qui portoient chacune un nom convenable aux choses qui y estoient representées. L’une se nommoit la chambre de Venus, & les autres celle de Diane, celle de Flore, celle de Bacchus, & celle de Momus, & dans lesquelles il y avoit plusieurs Tables pour toutes sortes de Jeux.

Aprés avoir traversé toutes ces Chambres, Monseigneur entra dans un grand Salon qui est en retour. Ce Prince au sortir de ce Salon monta dans un autre Appartement, dont j’aurois beaucoup de choses à vous dire tres-curieuses & tres-singulieres ; mais cela me meneroit trop loin. Il entra ensuite dans une grande Gallerie. Je ne vous dis rien de ce que contenoit cette Gallerie, dont la description pourroit fournir assez de matiere pour un volume entier. Elle est suivie d’un autre Appartement, dont je ne vous dis rien encore, & dans lequel Monseigneur mangea ; je passe au divertissement de l’Opera.

Monsieur le Prince ne voulant point donner de divertissement qui eut esté déja vû, & voulant que tout y fut nouveau, même jusqu’au Theatre, en avoit fait construire un dans l’Orangerie qui a 70. toises de long, & 27. pieds de large. Cette Orangerie fut séparée en trois parties, séparées par des Portiques d’Architecture, sans y comprendre le Vestibule par où l’on y entre, & duquel on voyoit cette longue étenduë éclairée de deux rangs de lustres que les grands Portiques qui servoient d’entrées a ces differentes Salles, laissoient voir distinctement. Je ne vous dis rien de la magnificence des ornemens de ces trois pieces, ayant resolu de ne vous parler que des choses singulieres qui ont regardé la grande Feste dont il s’agit. C’est pourquoy je vous diray que le Vestibule par où l’on entre dans l’Orangerie estoit orné de grands arbres qui ceintroient & cachoient toute la voûte. Les pieds de ces arbres estoient dans une seule caisse qui regnoit tout autour du Vestibule, & qui estoit peinte en Porcelaine, & ornée de Chiffres de Monseigneur, avec des Attributs de ce Prince. Ces arbres estoient si verds, si chargez de feuillages, & si artistement placez, qu’il estoit impossible qu’on vist les murs de ce Vestibule, de sorte qu’on le pouvoit prendre pour une tres belle Allée. Ces arbres conserverent leur verdure pendant les huit jours que dura la Feste, & ils donnerent une si agréable fraîcheur à ce lieu, qu’on respiroit en y entrant un air delicieux, dont on ne pouvoit s’empêcher de parler en marquant le plaisir qu’on y prenoit. Ce Vestibule estoit éclairé de plusieurs lustres, ce qui parmi la verdure de ces arbres, produisoit un effet tres-réjoüissant, rien n’estant plus agréable à la vûë que le verd, sur tout lorsqu’il est éclairé.

On passa de ce Vestibule pour se rendre au Theatre par les trois pieces qui avoient esté construites dans la premiere partie de l’Orangerie. Ce seroit ici le lieu de vous faire la description du Theatre ; mais quelque magnifique qu’il fust, & sur tout la façade, je ne vous en diray rien, non plus que de l’Opera, ayant resolu, comme je vous l’ay déja marqué, de ne vous entretenir que des choses singulieres. Vostre imagination peut aller aussi loin qu’elle voudra touchant la beauté des Décorations, celle de la Musique, celle des Habits, & celle des Danses, & elle ne pourra aller trop loin, Monsieur le Prince ayant choisi tout ce qu’il y avoit de meilleur pour l’execution de toutes ces choses. L’Opera intitulé Orontée, estoit nouveau, & tout ce qui regarda ce Spectacle charma l’Assemblée.

Monsieur le Prince avoit pris de si justes mesures pour que le gibier ne manquast point les jours que Monseigneur iroit à la Chasse, que ce que je vais rapporter là-dessus paroistra peut être incroyable. Ce Prince ayant résolu d’aller à la Chasse aux Perdreaux, tous les Seigneurs de sa suite se séparerent par Quadrilles. Monseigneur estant de retour de la Chasse : fit faire un état de ce que chacun avoit tué, & envoya cette Chasse au Roy, avec le détail & les noms de tous ceux qui avoient chassé. Il s’y trouva plus de cinq cens Faisans, Perdrix, ou Lievres, Monseigneur en ayant tué luy seul plus de cent quatre vingt ; de sorte que s’il y eut eu un Prix pour celuy qui en auroit le plus tué, il eut esté donné à ce Prince.

Je passe à une Chasse d’une maniere toute nouvelle, que Monsieur le Prince donna sur l’Etang de Comelle. Cet Etang peut avoir environ un quart de lieuë de long sur un demi-quart de large. Il est dans un fond dont le terrain s’éleve tout autour en Amphiteatre, à la reserve de la Chaussée, & tout est garni de bois, ce qui fait une vûë fort agréable. Les toiles des Chasses enfermoient l’Etang & leur enceinte s’étendoit par un costé dans la Forest. On avoit dressé une Feuillée sur la Chaussée avec des Tentes au milieu pour y mettre les Dames. Une Collation magnifique y fut servie. Tous les Spectateurs étoient autour ou derriere les Toiles. On trouva sur l’Etang des Batteaux couverts de leurs Tendelets, & plusieurs autres plus petits couverts de feuillages. Monseigneur, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, Monsieur le Prince & les Dames d’honneur des Princesses, avec quelques-uns des Seigneurs de leur suite, entrerent dans le plus grand de ces Batteaux. Monsieur le Duc, Monsieur le Prince de Conti, & Monsieur de Vendosme se mirent dans le second. Tout le reste de leur suite se partagea dans les autres, & Madame la Princesse se plaça sous la Feuillée avec plusieurs autres Dames. A peine avoit-on achevé de s’embarquer qu’on entendit retentir de tous costez le son de plusieurs Troupes de Hautbois & de Trompettes qui estoient placez en divers endroits, & peu de temps aprés un bruit de Cors & de Chiens qui firent lancer dans l’Etang à plusieurs reprises, un grand nombre de Sangliers, de Cerfs & de Biches. Tous ceux qui estoient dans les Bateaux prirent leur party pour les attaquer, les uns avec des pieux, les autres avec des dards, & les autres avec des épées. Plusieurs se servirent de grosses gaules avec des nœuds coulans au bout, afin de les pouvoir prendre vivans. Ils firent tout le tour de l’Etang en cet équipage, & formerent un croissant pour chasser toutes les Bestes du côté où estoit Madame la Princesse, ce qui causa un plaisir singulier, qui fut encore augmenté lorsqu’on donna les Chiens qui attaquerent ces Bestes de toutes parts, & avec tant de vigueur, qu’un seul Chien coëffa un Sanglier plusieurs fois & le noya. Cette Chasse dura environ deux heures, & donna beaucoup de plaisir. Les Dames eurent la satisfaction de prendre des Cerfs elles-mesmes avec des nœuds coulans qu’elles leur jettoient. On attachoit ensuite la corde au Bateau que les Cerfs tiroient en voulant gagner le bord, en sorte qu’on faisoit lever les rames ; & lorsqu’ils l’avoient conduit à bord, on coupoit la corde, & on leur donnoit la liberté. Elles eurent encore le plaisir de prendre dans leur Bateau quantité de petits Faons vivans & de leur donner aussi la liberté. Cependant quoy qu’on eut soin d’en sauver le plus qu’on put, on ne laissa pas d’en porter de morts dans la Court du Château au nombre de 50. ou 60. tant Cerfs & Biches que Sangliers. On revint ensuite au Château, où il y eut Appartement & Opera.

Tous ceux qui eurent part à cette ingenieuse & galante Fête, ou qui en furent seulement témoins, en parurent tout à fait charmez, & il n’y eut que celle que Monsieur le Prince donna dans le Labyrinthe, qui la pût faire sortir pendant quelque temps de leur imagination, qui en estoit toute remplie : Voicy une Description de cette Feste, qui fut donnée à l’ordinaire sans estre attenduë, & sans qu’on en soupçonnât rien.

Monseigneur ayant esté voir le lieu appellé la Maison de Sylvie, Monsieur le Prince luy fit servir un Retour de Chasse. Aprés qu’on eut mangé les Entremets, comme on croyoit qu’on alloit servir le fruit, Monsieur le Prince dit à Monseigneur que s’il en vouloit il falloit qu’il se donnât la peine d’en aller chercher au milieu du Labyrinthe où le Dessert estoit servy.

Monseigneur accepta la proposition avec joye, & l’on se leva de table pour aller dans le Labyrinthe. Il est au milieu d’une partie de la Forest que S.A.S. avoit fait enclore. Dans cette espace de la Forest enfermé du côté de la grande chûte d’eau, on voit un fort beau Jeu de Mail, & un de Longue Paume. Au-deçà est un grand Manege, & à côté sont les Jeux de l’Arquebuse & de l’Arbaleste, avec de grands Portiques d’Architecture au milieu de grandes Allées. Monsieur le Prince voulant que de quelque côté que Monseigneur pût tourner, il trouvast un plaisir imprevû, avoit fait venir des Gens qui se tenoient tout prests dans chacun des Jeux dont je viens de parler ; en sorte qu’il y avoit dans le Jeu de Paume des Joüeurs de longue Paume ; des Joüeurs de Mail dans le Mail ; des Tireurs d’Arbaleste & d’Arquebuze dans les deux Lieux destinez à ces exercices, & des Chevaux de Bague dans le Manege. Le reste de la Forest qui n’est point occupé par ces Jeux, est coupé de grandes routes, qui prennent leur commencement dans un demy rond qui fait l’Avant-court du Pavillon de Sylvie, & qui se separent encore en plusieurs autres, ce qui fait une Promenade aussi divertissante que belle. Voilà la situation du Labyrinthe, qui est si remply de détours qu’il est presque impossible de ne s’y pas égarer, & d’en trouver le milieu. Il est aussi ingenieusement imaginé que tout le reste de Chantilly.

Monseigneur estant entré dans le Labyrinthe avec les Princes & Princesses, & tous les Seigneurs de sa suite, chacun prit des chemins diferens pour arriver plutost au lieu où estoit la Colation, & ceux qui se promirent d’en trouver bien-tost le Centre, se lasserent en faisant plus de chemin que les autres sans avoir plus d’avantage sur eux. On peut dire seulement qu’ils furent les premiers trompez, tant ce Labyrinthe est difficile. Cependant Monsieur le Prince pour faciliter le moyen d’en trouver le milieu y avoit fait placer un Concert de Hautbois. On marchoit droit au lieu où ce Concert estoit entendu, & lors qu’on en estoit tout proche & qu’on croyoit ne devoir plus avancer que pour y entrer, on s’en éloignoit insensiblement ; de sorte que dans le temps où l’on estoit le plus persuadé qu’on n’avoit plus de chemin à faire, on s’en trouvoit encore aussi loin que lors qu’on avoit commencé à faire le premier pas. Les agreables impatiences que cela causoit servoient de divertissement à ceux mêmes qui étoient le plus trompez. Enfin, Monseigneur, qui s’estoit rendu, desesperant de trouver ce qu’il cherchoit, & voulant épargner aux Dames la fatigue de marcher plus longtemps, dit à Monsieur le Prince qu’il faloit les mettre dans le bon chemin, ce que S.A.S. fit. Quand ils furent dans la veritable route, ils arriverent bien-tost au Centre de ce Labyrinthe, extrêmement surpris de ce qu’ils y trouverent, parce qu’il ne s’estoit jamais rien vû de pareil. Je dois vous dire, pour vous le faire bien comprendre, que le milieu du Labyrinthe represente une maniere de grande Salle découverte. Son Plan est quarré avec un enfoncement en rond sur chaque face. La table qui estoit dressée dans le milieu de cette espece de Salle, suivoit le même Plan. Le dessus representoit un Parterre dont les compartimens étoient formez par des Corbeilles d’argent, & tous les sentiers qui separoient les Corbeilles étoient de Gazon ; de sorte qu’il n’y avoit point de Nape. Les devans & le tour de la Table estoient de feuillages ornez de festons de fleurs avec un cordon pareillement de fleurs qui bordoit la Table. Le milieu en estoit occupé par un Vase de filigranne d’argent, d’où sortoit un Oranger tout couvert de fleurs & de fruits naturels. Comme ce Vase estoit plus estroit vers le pied, on avoit placé tout à l’entour huit autres. Vases garnis de fleurs. Ils estoient accompagnez de huit Corbeilles qui en étoient aussi remplies, & ces Corbeilles estoient portées par autant de Masques d’or qui servoient d’ornement au grand Vase ; de sorte que les fleurs de toutes ces Corbeilles, & de tous ces Vases, faisoient ensemble un effet tres-agreable, & qui avoit quelque chose de delicieux. Les Corbeilles qui formoient le Parterre, & qui étoient en Dôme, joignant l’agrément de leurs figures au different coloris d’une si grande quantité de fleurs, le tout formoit un composé dont la vûë estoit réjoüie, & dont on ne pouvoit se lasser d’admirer l’agreable & riante diversité ; & ce qui la faisoit encore paroître davantage, estoit que toutes les Corbeilles qui se trouvoient d’une mesme forme estoient garnies de fruits de mesme couleur, & qu’elles estoient disposées de sorte qu’on croyoit voir un Parterre veritable. Outre toutes ces Corbeilles, il y en avoit encore beaucoup d’autres. Il y avoit un Bufet dans chacun des quatre angles du lieu où estoit la Table, & chaque Bufet avoit trois gradins. Ils estoient tous ornez de gazon, de feuillée & de festons de fleurs sans napes, afin qu’ils eussent du raport à la Table qui n’en avoit point. Tous ces Bufets estoient garnis de Vases d’argent & de porcelaines. Sur les coins de chaque étage, & dans le milieu du troisiéme gradin estoit un autre Vase plus haut que les autres. Aux deux côtez de chaque Bufet on voyoit deux socles de gazon, sur chacun desquels estoit posée une Caisse. Ces Caisses estoient au nombre de douze, & l’on voyoit sortir de chacune un Arbre fruitier, chargé de tres-beau fruit, & qui n’avoit pas moins dequoy contenter le goût que la vûë. Outre ces quatre Bufets il y en avoit deux grands qui estoient en face de la Table, & qui suivoient le plan du lieu où ils estoient dressez. Ils avoient deux gradins, dont le premier estoit occupé par une couche de Melons naturels. Le second estoit garny de vingt-quatre Couverts de Porcelaines fines. Le reste estoit remply de Gâteaux & d’Assiettes de grosses Trufes, derriere lesquelles estoient de tres-belles Porcelaines garnies de fleurs. Une maniere de Dossier formé par des Consoles où estoient attachées des guirlandes de fleurs, faisoit le fond de ces deux Bufets.

Lorsque Monseigneur entra dans le Labyrinthe, il n’y trouva personne ; ceux mêmes qui avoient pris le soin du service s’en estant éloignez, & s’étant cachez par l’ordre de Monsieur le Prince qui vouloit donner à cette feste un air de liberté. C’est un plaisir que les Rois & les grands Princes goûtent rarement, & qu’il est bien plus difficile de leur donner que les festes les plus superbes, & les repas les plus magnifiques où ils vont moins pour les recevoir, puisqu’il n’y a rien d’extraordinaire pour eux, que pour marquer l’estime particuliere qu’ils font de ceux qu’ils veulent bien honorer de leur presence. Monseigneur & ceux qui l’accompagnoient prirent beaucoup de plaisir dans le Labyrinthe. Ils examinerent la table dont l’invention leur parut toute nouvelle & tres singuliere. Ils considererent les Bufets, & le tout ensemble leur parut un enchantement d’autant plus qu’ils n’étoient point incommodez de la foule, & qu’ils pouvoient respirer en liberté l’air delicieux que tant de fleurs avoient parfumé.

Vous pouvez juger par les trois divertissemens dont je vous ay donné des Descriptions, quels peuvent avoir esté les autres, qui n’ont pas eu moins de grandeur & de magnificence, & ausquels l’esprit n’a pas eu moins de part. Vous devez bien vous imaginer que cette grande Fête qui en a tous les jours enfanté de nouvelles, ne s’est point passée sans que les feux d’Artifice y ayent eu part. Je ne pourois vous en parler sans faire un article qui fut seul aussi grand que le sont ensemble ceux des festes particulieres que vous venez de lire. On y a veu tout d’un coup tous les environs de Chantilly, aussi loin que la vuë pouvoit porter, tous éclairez tant par les lumieres qui formoient des illuminations, que par l’Artifice qui se faisoit voir & entendre de toutes parts. Tout le Château de Chantilly ne paroissoit qu’un amas de lumieres ; mais si avantageusement placées qu’elles formoient diferens spectacles dont la vûë estoit en même temps éblouy & charmée. Tous les differens endroits du Parc de Chantilly estoient aussi differemment illuminez selon la forme qu’ils avoient, & les fusées remplissant l’air en même temps, il paroissoit tout en feu aussi bien que le grand Canal sur lequel l’Artifice qui paroissoit en estre sorty faisoit mille tours, & retours, & se plongeoit sans cesse dans l’eau & en ressortoit aussi vif & aussi lumineux que s’il ne fut point sorti de l’eau. Enfin il fut si bien mis en usage dans cette feste qu’il donna aux spectateurs tous les plaisirs qu’il est possible d’en tirer.

Monsieur le Prince qui ne vouloit pas laisser passer un seul jour sans que Monseigneur eut le plaisir de plusieurs sortes de divertissemens, avoit si bien disposé toutes choses, & si bien choisi & preparé toutes les personnes qu’il employoit, qu’il estoit seur que lorsque le mauvais temps feroit manquer un divertissement, il pouroit facilement, & en fort peu d’heures luy en faire substituer un autre, & même qui seroit du goust de ce Prince, suivant les choses qu’il remarqueroit qui luy plairoient. Ainsi pendant le sejour que ce Prince fit à Chantilly il y eut beaucoup de divertissemens substituez à d’autres, & qui furent trouvez si beaux & donnez si à propos, qu’il estoit impossible de faire la diference des uns & des autres.

Monsieur le Prince faisoit servir tous les jours dans diferentes Salles & diferens Apartemens de sa maison, plusieurs tables toutes tres-magnifiques & tres-delicates tant pour les Seigneurs qui accompagnoient Monseigneur, que pour un nombre presque infini de Gentilshommes & d’autres personnes que leur devoir ou la curiosité avoit attirées à Chantilly. Tous les Villages des environs étoient remplis d’Officiers qui avoient soin de faire servir avec abondance tous ceux qui y étoient logez.

[Sur Monsieur le Prince Jules-Henry de Bourbon]* §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 425-432.

Il y avoit déja quelques années que dans le Carouzel de Monseigneur le Dauphin, ce Prince qui commandoit une des Quadrilles, y avoit paru de si bonne grace les armes à la main, & avec un air si guerrier qu’il fit encore paroistre en remportant plusieurs têtes dans le même Carouzel, qu’on jugea dés lors de ce qu’il feroit un jour dans le Champ de Mars. Ayant fait les vers de ce Carouzel par l’ordre du Roy, voicy ceux qui regardoient ce Prince.

Ce jeune Chef, plus brillant que l’Amour,
 Et qui conduit une Troupe guerriere
Pour la seconde fois entre dans la Carriere
Lorsqu’à peine il a fait son entrée à la Cour.
Si d’abord qu’on le vit dans la Lice paroître
 Son coup d’essay fut celuy d’un grand Maître,
 Ce Privilege heureux ne vient point du hasard :
Pour faire auprés du Trône une illustre figure,
 Il est d’un Sang que la Nature
Affranchit du besoin d’avoit recours à l’Art.
***
A voir dans sa fierté sa noble inquietude,
On diroit que jamais il n’a connu que Mars,
 Et qu’à suivre ses Etendars
 Il a mis son unique étude.
Les Armes à la main, & l’Amour dans les yeux,
 Voyez-le s’applaudir du destin glorieux,
Que le plus grand des Rois a pris soin de luy faire.
Des charmes de l’Hymen il est tout possedé,
 Et rien ne pouvoit tant luy plaire
Que le sang qu’il unit à celuy de Condé.
***
 Pour soûtenir cette auguste Alliance
 Que n’en doit-on point esperer ?
Tremblez, fiers Ennemis, si pour troubler la France
Contre-elle vous osez jamais vous déclarer.
Il a de tous costez, s’il court à la Victoire,
Des exemples brillans de valeur & de gloire,
Qui marqueront sa route & conduiront ses pas.
Avec un tel secours, quoy qu’il veüille entreprendre,
 Pour vous obliger de vous rendre,
Les plus fameux succés ne luy manqueront pas.

Comme ce Prince n’estoit marié que depuis quinze jours, je crois pouvoir ajoûter icy les Vers que je fis pour son auguste Epouse qui estoit du même Carousel.

 Quoy ? de l’Hymen subir les Loix,
Et presqu’en même temps entrer dans la carriere ?
En quinze jours estre femme & Guerriere ?
 C’est trop entreprendre à la fois.
Par là vous nous pourriez empescher de connoître
 Que vous ne faites que de naître ;
 Mais on n’a qu’à compter vos ans,
La memoire en cela n’a rien qui la confonde,
 Vos premiers jours nous sont encor presens,
 On sçait quand vous vîntes au monde.
***
 Déja pourtant bien des fois j’ay vanté
Mille graces en vous noblement assorties ;
J’ay fait voir vôtre esprit plein de vivacité
 Dans vos brillantes reparties.
 Plusieurs langues que vous parlez
 Les talens où vous excellez,
La Danse où vous feriez leçon au plus grand Maître,
Est-ce que tout cela s’apprend dans le Berceau,
Ou que par un prodige aussi grand que nouveau,
On l’apporte en naissant ? Cela pourroit bien estre.
***
On tient beaucoup du sang, nous en voyons l’effet.
Celuy dont vous sortez avec tant d’avantage,
 N’a pû, comme il est tout parfait,
 Produire qu’un parfait ouvrage.
Le Chef-d’œuvre qu’en vous il nous fait admirer
 Suffit pour nous en assurer ;
C’est des plus riches dons le pompeux assemblage,
Et peut-estre jamais dans ses plus grands efforts
La Nature n’avoit pour un fameux ouvrage
Avec moins de reserve épuisé ses tresors.
***
Quoy qu’on n’ait dans l’esprit ni brillant ni finesse,
  Il est naturel de sçavoir
 Ce qu’on prend soin d’apprendre à la jeunesse ;
  Ce sont teintures qu’on nous laisse,
Et dont avec le temps les effets se font voir ;
Mais l’éducation de tout point consommée
Jointe au bonheur du Sang dont vous êtes formée
Pour vous mener plus loin eut des droits suffisans,
Par vous-mesme en clartez vous fustes abondante,
 Et n’aviez pas encore dix ans
 Que vostre esprit en avoit trente.
***
De vos rares talens on connoissoit le prix ;
 Vous aviez déja fait paroître
Qu’un merveilleux genie estoit l’unique Maître
 Qui vous en avoit tant appris.
Mais on ne sçavoit pas qu’au mestier de Bellone
Vous fussiez à cheval une vraye Amazone,
Sur vostre air tout guerrier chacun vous applaudit.
 Ces graces vous sont singulieres,
Quand plusieurs, d’Amazone ont seulement l’habit
 Vous en avez le cœur & les manieres.

La beauté du caractere de la Princesse que j’ay peinte dans ces Vers, a toûjours esté en augmentant depuis que je les ay faits, & elle est devenuë l’une des plus spirituelles, & des plus genereuses personnes de la Cour.

Enigme §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 435-438.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Lanterne. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs Gaignat le jeune ; de Bonnefons ; de Pennavaly ; de la Croiziere, Turpin ; l’Amy de Pascalet ; le Nouveau Marié, de la ruë Michel le Comte ; le Solitaire du Marais, & le Solitaire de la ruë aux Féves. Mlles de la Croix, de la ruë S. Denis, de la Bretonnerie, du Marais ; la Charmante Eulalie du Fauxbourg S. Germain ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; les trois aimables Cousines ; la Bergere Climene ; l’incomparable naissante Beauté ; & la toute spirituelle d’Amonville.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, elle est de Mr Ztedroc.

ENIGME.

Je ne dois rien à la nature,
L’Art à déterminé ma forme & ma figure.
Avec moins d’esprit que de corps
Je fais plaisir au Peuple & rens service aux Sages ;
Comme Janus j’ay deux Visages,
L’air est mon Element & je couche dehors :
Quelquefois au Village & toûjours à la Ville,
Nuit & jour, en toute saison
Je ne quitte point la Maison
Où j’ay fixé mon domicile.
Bien que difficile à toucher
J’ay des amis par tout, en Province, à la Guerre ;
Et des quatre coins de la terre
Au seul bruit de mon nom, l’on m’est venu chercher.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1709 [tome 4], p. 438.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par, Petits Oiseaux, doit regarder la page 438.
Petits Oyseaux, que mon sort seroit doux,
Si je pouvois ainsi que vous,
Avecque le Printemps, voir finir mes allarmes :
Mais las ! rien ne sçauroit éteindre mon ardeur
Tircis a toujours trop de charmes
Pour ne pas regner dans mon cœur.
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