1709

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1709 [tome 7].
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Mercure galant, juillet 1709 [tome 7]. §

Mort de Messire Danet* §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 86-88.

Mre N… Danet, Abbé de Saint Nicolas des Prez de Verdun, est mort à Paris où il a esté fort regretté de tout ceux qui le connoissoient. Il avoit travaillé à l’éducation des Enfans de France, en composant pour leur usage un Dictionnaire François-Latin qui a eu une grande réputation, & dont il donna une seconde édition à Lyon il y a deux ou trois ans, augmentée de beaucoup de mots & de phrases qu’on ne trouve pas dans les premieres Editions. Mr Danet passoit avec justice pour un des meilleurs Grammairiens du Royaume. Sa latinité estoit pure & élegante, comme on le remarque dans son Dictionnaire. Il a fort chargé cet Ouvrage de façons de parler proverbiales, & il a fait un choix particulier des plus anciens Proverbes & de ceux qui sont le plus à l’usage de nostre temps & de nos mœurs. Mr Danet estoit fort lié avec le Pere de Colonia Jesuite, qui luy avoit même donné des avis tres-judicieux sur son ouvrage.

Epitalame pour Mr le Comte d’Etampes et Mademoiselle de Nonant §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 141-152.

C’est par toutes les illustrations & dignitez dont j’ay parlé que la Maison d’Estampes soûtient son éclat indépendamment de celuy qu’elle peut avoir de ses grandes alliances avec les Maisons de Beauvillier, de Mortemart, de Fervaques, de Choiseul, de Montmorency, d’Hoquincourt, &c.

Je devrois vous faire icy le Portrait de ces deux Epoux ; mais un des beaux Esprits du siecle, & celuy même qui a dressé l’Article que vous venez de lire, en a pris soin. Vous le verrez dans les Vers suivans qui sont de sa composition, & dont le nom est devenu fameux par plusieurs autres Ouvrages. Je vous en dirois davantage s’il m’estoit permis de vous le faire connoistre.

EPITALAME
Pour Mr le Comte d’Estampes & Mademoiselle de Nonant.
CONTE.

Quand l’Amour seul lioit nos cœurs fidelles,
Beautez n’estoient ny fieres ny cruelles,
Amans n’estoient ny legers ny jaloux ;
Mais qu’il fut court, helas ! ce temps si doux !
Pour nos pechez la Reine de Cithere
D’un second fils augmenta sa maison,
Dieu Laconique, au front toûjours severe,
Au regard sombre, Himenée est son nom.
Quoyque cadet de Cupidon son frere
Il le voulut toutesfois regenter,
Fit le Docteur & Loix sçût inventer
Que ses Sujets souvent ne suivent guere ;
 Jà l’on voyoit ce Dieu Legislateur
Marcher suivi d’un Sacrificateur,
Jà sur ses pas chicanne temeraire
Traînoit en lesse Avocat & Notaire,
Fâcheux devoir, imperieux honneur,
Froids Courtisans formoient sa suite austere ;
 Amour conduit cortege plus plaisant
Maint doux plaisir que mistere assaisonne,
Maint jeu folâtre & maint ris amusant,
C’est l’escadron qui toûjours l’environne ;
Souvent Comus & le Dieu de la Tonne
Vont l’escorter, Amour de ce convoy
Se trouve bien, la Cronique en fait foy.
 De ces deux Cours grande est la difference,
Hymen pourtant crut charmer les Mortels
Et de l’Amour meriter les Autels ;
Que de soi-même injustement on pense !
 Cœurs il gênoit croyant les assortir,
À son honneur oncques ne put sortir
De ce travail ; si par fois, cas étrange !
Epoux s’aimoient, c’est qu’Amour s’en mêloit,
À ce prodige Himen prenoit le change,
Et du succés il se congratuloit.
Ores un jour que ce Dieu tiranique
Rendoit visite à sa mere Cipris,
Il s’apperçut que les Jeux & les Ris
Lançoient sur luy maint regard ironique :
Ce triste Dieu qui n’est pas pacifique
Quoy qu’il ait bien des Sujets patients,
Dit à l’Amour, je voy que vos Clients
Sur mon flambeau font glose satirique,
On ne respecte icy que vos ardeurs
Eh bien, l’Himen au combat vous défie
[Car vostre exemple enhardit les railleurs,]
Qu’un seul exploit hautement justifie
Qui de nous deux doit regner sur les cœurs.
 Amour soûrit, donnez-moy vôtre gage
Répondit-il, ce fier défy me plaist ;
Nous combatrons, Himen tenez-vous prest,
Je vous feray même de l’avantage.
Une Beauté digne d’orner les Cieux
Qui fut toûjours à mes ordres rebelle
Brille à Paris, c’est Nonant qu’on l’appelle,
En les charmant elle trompe les yeux,
Et qui la voit la croit une immortelle ;
Je la prendrois moy-même pour Psiché
Si ne fuyoit quand je m’approche d’elle
Onques par moy son cœur ne fut touché
Plus d’un Amant chaque jour m’en querelle ;
Partant ce cœur suspect ne vous sera
Si le domptez, Amour vous cedera …
 Soit, dit l’Himen, que cet objet decide
Nôtre Procés, voyons qui de nous deux
Sçaura l’engager plutost dans ses nœuds.
 Il part soudain, riant Espoir le guide
Droit à Paris, toûjours flatant ses vœux….
Incognito d’abord il va se rendre
Dans un Palais l’asile des beaux Arts,
C’est-là qu’on voit les Muses se méprendre
Pour Apollon, elles y suivent Mars :
Mais non, l’objet de leurs chansons nouvelles,
Est l’un & l’autre : on s’y méprend comme elles
Prés du Heros qui pare ces beaux lieux
Est un Seigneur que vray merite y loge ;
Rien ne diray de luy, de ses ayeux,
Philippes l’aime, est-il plus grand éloge ?
Himen instruit de son discernement
Dans son parti l’engagea finement
Que ce luy fut presage favorable !
Il luy dépeint Nonant & ses attraits
Son esprit doux, son humeur agreable
Patrocinant qu’il devroit pour jamais
Unir son fils à cet objet aimable.
 Pas n’eut besoin l’Himen d’argumenter
Trop longuement pour soûtenir sa These,
Trop claire elle est : Or jugez s’il fut aise
Lorsque Themis luy promit d’arrester
Ce beau projet ; mais tandis qu’il rebute
De son Contrat ce qu’il ne trouve bien,
Jà Cupidon avoit fini le sien
Et dans Cithere on en avoit minute,
D’Estampes plaist & Nonant sçait charmer
Ils s’estoient vûs, comment ne pas s’aimer ?
Raison les guide ou penchant les entraîne
Lorsque l’Himen vint leur offrir sa chaîne
Ils estoient jà dans celle de l’Amour :
Loin d’éprouver une vaine colere
L’Himen trompé prit galamment l’affaire ;
Amour, dit-il, vous me jouez le tour
Que je voulois prévenir en ce jour
Charmant Vainqueur rien ne vous fait obstacle,
Plus de debats, mon frere, embrassons-nous
Ciel ! j’embellis en m’unissant à vous !
Les Dieux devoient à Nonant ce miracle.

[Second Article des Morts] §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 172-174.

Mr Dipi, dont je vous ay souvent parlé, & dont je vous ay souvent donné des Relations traduites de l’Arabe, est aussi decedé, & le Roy a donné à Mr Galand, sa Charge & sa Chaire de Lecteur & Professeur en Langue Arabe au College Royal de France à Paris. Il est connu par son érudition, & par plusieurs voyages qu’il a faits au Levant, d’où il a rapporté des Medailles & des Inscriptions, ce qui luy a procuré l’avantage d’estre reçu dans l’Academie Royale des Inscriptions. Il a donné au Public la Traduction des Contes Arabes, intitulez les Mille & une Nuits, dont il a apporté du Levant, l’Original Arabe.

Je ne suis point surpris que vous & vos Amis ayez trouvé l’Article de la mort de feu Mr de la Reynie, digne de vostre curiosité ; mais on auroit dû y trouver la copie d’un Ecrit qu’il portoit toûjours sur luy, & qui estoit au dessus de son Testament dans la même envelope. On croit dans sa famille qu’il le portoit sur luy dés l’année 1699. Voicy une copie de cet Ecrit, qui a esté déposé aprés sa mort chez un Notaire avec son Testament.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 237-238.

Vous donnerez telle aplication que vous voudrez à la Chanson suivante, dont il seroit avantageux que l’époux dit toujours le premier vers à son épouse.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Plus je vous vois, doit regarder la page 238.
Plus je vous vois, plus je vous aime,
Rien n’est égal à mon ardeur.
Helas ! que n’êtes vous de même
Que ne fixez vous vostre cœur.
images/1709-07_237.JPG

[Noms de ceux qui ont remporté les Prix à Toulouse, & les sujets des Prix qui sont proposez pour l’année prochaine] §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 241-250.

L’Avertissement qui suit m’a esté envoyé de Toulouse, & peut servir de réponse à tout ce que vous m’avez demandé touchant les Articles qu’il contient.

AVERTISSEMENT.

La Ceremonie de la distribution des Prix s’est faite avec la solemnité ordinaire le 3. de May 1709.

Mr Roy, Conseiller au Chastelet de Paris, & Academicien de l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions a remporté le Prix de l’Ode.

Mr l’Abbé le Maumenet, Chanoine de Beaune a remporté le Prix du Poëme.

Le Prix du Poëme qui fut reservé l’année derniere, a esté donné à une autre Ode du même Mr Roy.

Le Prix de l’Eloquence a esté adjugé à Mr Henault, Conseiller au Parlement de Paris ; & le Prix de la Prose qui fut aussi reservé l’année derniere, a esté donné à un Discours dont Mr la Mote-Houdart est l’Auteur.

Ce même Auteur a eu encore cette année le Prix de l’Eglogue ; c’est le neuviéme Prix qu’il a remporté dans l’Academie des Jeux Floraux.

Le Public ne sçauroit estre assez informé du nombre & de la qualité des Prix que l’Academie des Jeux Floraux doit donner chaque année.

Il y en a quatre ; le premier est une Amaranthe d’or de la valeur de quatre cens livres qui est adjugé à une Ode ; le second est une Violette d’argent de deux cens cinquante livres qui est adjugé à un Poëme de soixante Vers au moins, & de cent Vers au plus, tous Alexandrins & suivis, ou à rimes plates, dont le sujet doit estre heroïque.

Le troisiéme est une Eglantine d’argent du prix de deux cens cinquante livres qui est adjugé à une piece de Prose d’un quart d’heure de lecture, dont l’Academie des Jeux Floraux publiera toutes les années le sujet qui sera pour l’année prochaine 1710.

Rien ne fait plus d’honneur aux Grands que de proteger les belles Lettres.

Le quatriéme Prix est un Soucy d’argent de la valeur de deux cens livres ; on le donne à une Elegie, à une Eglogue, ou à une Idylle.

On laisse au choix des Auteurs le sujet de toutes sortes de Poësies qui peuvent prétendre à ces Prix ; à l’égard des Vers, ils doivent estre reguliers, & n’avoir rien de burlesque, de satyrique ny d’indécent.

Toutes personnes de quelque qualité & pays qu’ils soient de l’un & de l’autre sexe pourront aspirer aux Prix.

Les Auteurs qui y prétendront feront remettre leurs ouvrages dans tout le mois de Janvier, lequel estant expiré on n’en recevra plus.

Il faudra que l’on s’adresse à Mr de la Faille, Secretaire perpetuel des Jeux Floraux, qui loge à la place Saint George.

Les Auteurs ne se feront point connoître avant la distribution des Prix ; ils ne mettront point leurs noms à leur Ouvrages ; mais seulement une Sentence. Le Secretaire des Jeux en écrira la reception sur un Registre où il mettra le nom, la qualité, & la demeure des Personnes qui luy auront delivré les ouvrages lesquelles signeront les Registres & en même temps en recevront un Recepissé. Les Auteurs seront obligez de luy fournir trois Copies pareilles & bien lisibles de chacun de leurs Ouvrages.

On les avertit de s’abstenir de toute sollicitation, l’Academie ayant pris de nouvelles & plus fortes resolutions qu’auparavant d’exclure tout Ouvrage pour lequel elle sera convaincue qu’on aura sollicité.

On avertit encore que c’est une loy de l’Academie de n’adjuger les Prix qu’à des Ouvrages nouveaux, & d’exclure ceux qu’on reconnoistra avoir déja paru ; que les Auteurs qui font courir leurs Ouvrages avant qu’ils soient examinez & jugez contreviennent à cette Loy : qu’à l’avenir un Ouvrage dont il aura couru des Copies dans le Public ne sera point regardé comme nouveau, & qu’il sera exclus du Prix.

Les Ouvrages qu’on découvrira n’avoir pas esté faits par celuy qui s’en dira l’Auteur seront aussi exclus du Prix ; c’est un des Statuts de l’Academie.

On avertit donc les Auteurs de qui les Ouvrages auront remporté des Prix, qu’ils seront obligez pour les recevoir de se presenter eux-mêmes l’aprés-midy du 3. jour de May s’ils sont dans la Ville de Toulouze ; & en ce cas on leur delivrera les Prix dés qu’ils se presenteront ; que s’ils sont Etrangers & hors de portée de venir les recevoir eux-mêmes, ils seront obligez d’envoyer à une personne domiciliée à Toulouze, une Procuration en bonne forme pour la remettre à Mr de la Faille avec le Recepissé qu’il aura fait de l’Ouvrage.

On avertit aussi que ceux qui remettront au Bureau de la Poste des Paquets adressez à Mr le Secretaire des Jeux, les doivent affranchir, s’ils veulent qu’on les retire ; sans cette précaution ils doivent estre assurez qu’on laissera leurs Paquets au Bureau. D’ailleurs pour ce qui regarde les Ouvrages qu’on enverra pour les Prix, il est necessaire de se servir de la voye de quelque habitant de Toulouze, qui remette les Ouvrages, & en retire le Recepissé de Mr le Secretaire, pour éviter l’embarras qui surviendroit, si une Piece ainsi remise par le Courrier à droiture à Mr le Secretaire, venoit à estre jugée digne du Prix, parce que l’on ne sçauroit à qui le délivrer.

Lettre circulaire du R. P. Epiphanie de Lyon, Provincial des Recollects de la Province de Saint François, en France. §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 267-279.

LETTRE CIRCULAIRE,
du R.P. Epiphane de Lyon, Provincial des Recollects de la Province de Saint François, en France.

Mes RR. PP. & tres-chers Freres,

La Paix & la tranquilité avec laquelle nous avons heureusemens terminé toutes les affaires de nostre Congregation, & les justes precautions que nous avons demandées au S. Esprit, & que nous avons prises, éclairés de ses lumieres, pour conserver le bon ordre dans nostre chere & bien aymée Province, doivent estre à tous nos Religieux, des motifs de consolation dans ces temps malheureux, où le Seigneur nous retranche toutes celles qui ne viennent pas de luy, & cela sans doute pour nous attacher uniquement à luy. Depuis une longue suite d’années, nous avons apris à gemir sous la pesanteur de sa main, qui nous a comme par degrés, distribué les fleaux de sa justice. Heureux si par nos pleurs & nos gémissemens nous pouvons l’engager à se souvenir de sa misericorde parmi les traits les plus rigoureux de sa colere : une Guerre cruelle allumée dans toutes les parties de l’Europe, troubla d’abord nostre tranquilité & commença à nous faire éprouver la dureté d’un temps assés fâcheux. Cependant quoi qu’environnés des horreurs de guerre, nous respirions encore une heureuse liberté, pendant que le Dieu des Armées soutenoit le bon droit de nostre auguste & religieux Monarque & que la Victoire soumise à ses desseins, marchoit d’un pas égal, avec l’execution de ses justes projets ; mais nous fûmes étourdis de nos chûtes violentes dans ces derniers jours, où nous vîmes avec une extrême amertume de cœur le Seigneur faire un espece de miracle pour rappeller chez nos ennemis la victoire, qui jusqu’alors leur estoit inconnuë : l’allarme penetra jusques dans le centre de nostre Province, & dans la plus nombreuse partie ; il ne fut presque plus permis de manger son pain en sûreté sous son figuier, ny de boire de l’eau de sa cisterne ; ces malheurs multipliez nous occuperoient encore & nous sentirions, avec le renouvellement de la saison, renouveller toutes nos allarmes si une calamité plus pressante, ne nous faisoit oublier toutes les autres, nos campagnes desséchées, & sans aucune esperance de recolte, nous mettent en quelque maniere en sûreté contre l’irruption de l’ennemi ; elles nous annoncent visiblement la main d’un Dieu appesantie sur nos iniquitez : nous dormions encore tranquilement pendant que le Seigneur ne nous faisoit voir la punition que de loin ; pouvons-nous ne nous pas réveiller au milieu de la plus effroyante tempeste qui fut jamais ; les pauvres & les riches menacez de manquer du necessaire, & dans combien déja d’endroits de petits qui demandent du pain sans que personne soit à portée de leur en rompre : à ces fleaux nous devons réveiller nostre zele & nostre pieté, pour tâcher de réveiller le Seigneur qui paroist endormi sur nos miseres, ou pour appaiser sa colere, pendant que tout son peuple gemit, nous devons gémir plus qu’aucun autre ; non point parce que n’ayant d’autres ressources pour vivre que la charité des Fidelles, nous nous ressentons plus que tous autres des miseres publiques : ces raisons interessées ne nous meriteroient pas les regards favorables d’un Dieu qui n’a les yeux ouverts que sur les veritables Justes, dont la charité ne cherche point ce qui est à soy ; mais parce que destinez par nostre estat à estre les victimes publiques, nous devons dans les temps de la colere de Dieu, nous opposer comme un mur impenetrable en faveur de la Maison d’Israël. Il est donc de nostre devoir de renouveller nos penitences & nos austeritez, & de pleurer sans cesse entre le Vestibule & l’Autel pour obtenir de la misericorde de Dieu le pardon de son peuple & le nostre. À ces causes, de l’avis & du consentement des Reverends Peres de nostre Definitoire, nous Ordonnons à tous les Religieux & Religieuses, soumis à nostre Jurisdiction, que dans tous les Convens, Hospices, ou Oratoires, 1°. Que tous les Prestres dans le saint Sacrifice de la Messe, ajoûteront aux Oraisons qu’ils seront obligez de dire pour l’Office, celle de Ne despicias omnipotens Deus, & celle de Tempore fames per modum unias, & cela depuis la publication de la Presente, jusqu’au dernier jour d’Octobre inclusivement. 2°. Que pendant tout ledit temps, tous les soirs aprés les Oraisons de la Benediction du soir, avant que de commencer le De profundis, le Chœur chantera à haute voix le Pseaume Deus misereatur nostri, à la fin duquel l’Hebdomadier dira l’Oraison, Respice quæsumus Domine super hanc familiam, &c. & les deux Oraisons que nous avons ordonnées pour la sainte Messe. 3°. Que nous offrirons à Dieu le Carême du S. Esprit pour la necessité publique, & que pendant tout le temps dudit Carême, à commencer depuis le lendemain de l’Ascension, jusqu’au Samedy veille de la Pentecoste exclusivement, on sonnera & dira None à dix heures, aprés quoy on fera une solemnelle Procession dans les lieux accoutumez, pendant laquelle on chantera les Litanies des Saints sans les doubler, avec les Oraisons qui y sont jointes, aprés lesquelles on celebrera la Messe des Rogations, à laquelle toute la Communauté sera obligée d’assister, & parce qu’il n’est que la pureté de nos cœurs, qui puisse porter nos Prieres jusqu’au Trône de Dieu, pour en faire descendre sa misericorde, éprouvons-nous nous-mêmes, s’il estoit parmi nous (ce que je ne crois pas) quelque Jonas, qui excitast cette affligeante tempeste qu’il s’execute sans cesse à la rigueur, & qu’il retourne à Dieu, qui ne nous mortifie que pour nous vivifier : J’exhorte tous nos Reverends & Venerends Peres Gardiens & Superieurs de mettre toute leur attention à fournir du pain à tous nos chers & bien aimez Religieux, sur toutes choses, à cette miraculeuse Providence, dont nous avons jusqu’à present ressenti les bienfaits, & qui nous a promis de nous donner le centuple de ce que nous avons quitté pour suivre Jesus-Christ ; exhortant pareillement tous nos Religieux à se soumettre à tout ce que la Providence voudra ordonner, & recevoir sans inquiétude les épreuves où elle voudra bien nous mettre. Je ne feray à l’issuë de nostre Congregation que les changemens que je ne pourray me dispenser de faire, pour ne point fatiguer nos Bien-faiteurs, & ne point exposer les Religieux à périr de faim dans les voyages. Vous jugez bien dés lors que je refuseray tous ceux qu’on me demandera ; il ne nous convient pas à penser à autre chose qu’à nous affliger en presence du Seigneur, esperant de sa Misericorde, que conformément à l’Evangile de la Semaine : Nostre tristesse sera suivie d’une joye parfaite. Je vous la souhaite dans le Seigneur ; en attendant rachetons le temps, parce que les jours sont mauvais, exerçons nous dans les justifications du Seigneur ; montrons-nous ses dignes Ministres. Je le prie qu’il vous soûtienne, & vous affermisse dans son esprit principal ; demandez-luy cette grace pour moy, qui sens renouveller toute ma tendresse pour vous à mesure que je vois augmenter vos besoins. Je suis avec une affection paternelle, Mes RR. PP. & tres-chers Freres, vostre tres-humble & tres-affectionné serviteur. À Lyon ce 21. Avril 1709.

[Naissance de l’Infant d’Espagne, & ce qui s’est passé à cette occasion, tant en Espagne qu’en France, avec la mort de ce Prince] §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 304-319.

Les preparatifs de la grande Feste dont je viens de vous parler, estant achevez, cette Feste se donna le Mercredy 17 de ce mois. Plus de cent personnes de distinction parmi lesquelles il y en avoit du premier rang, y furent invitées, & plusieurs autres s’y étant aussi trouvées, le concours fut si grand qu’il seroit difficile de rapporter icy les noms de toutes les personnes de l’un & de l’autre sexe qui s’y trouverent ; cependant voici ceux qui sont venus à ma connoissance, & que je mets ici selon que ma memoire me les a fournis, & non selon leur rang. Mrs les deux Nonces ; Mr l’Ambassadeur de Venise ; Mr l’Envoyé de Parme ; Mr de Monasterol, Envoyé de Monsieur l’Electeur de Baviere ; plusieurs autres Ministres s’y trouverent aussi.

Mr le Maréchal Duc de Boufflers ; Mr le Duc de Lauzun ; Mr le Prince de Spinola ; Mr le Marquis d’Alegre ; Mr le Comte de Bergheik ; Mr de Donzy ; Mr le Prince de Leon ; Mr le Marquis de Dangeau ; Mr le Duc d’Estrées ; Mr le Duc de Fronsac fils aîné de Mr le Duc de Richelieu ; Mr le Chevalier de Baviere ; le fils de Mr l’Envoyé de Genes ; Mr le Maréchal de Tessé ; Mr le Prince de Lanty ; Mr l’Abbé de Castiglione ; Mr du Casse ; Mr le Marquis de Roye ; Don Francisco de Menessez ; Mr le Comte de Castel-Blanco ; Mr le Marquis de Carpa. Voici les noms de quelques-unes des Dames, selon l’ordre que ma memoire me les fournit aussi. Me la Comtesse d’Egmont, Me la Princesse de Rohan ; Me la Duchesse d’Aumont ; Me de Lauzun ; Me la Duchesse de Duras ; Me la Duchesse de Luxembourg ; Me la Princesse de Vergagne ; Mlle de Spinola sa sœur filles de Mr le Prince de Spinola ; Me la Duchesse de Sforce ; Me de Rupelmonde ; Me de Chimay ; Me de Croissi ; Me la Marquise de Bouzols ; Me la Marquise de Torcy ; Me Desmaretz & Mlles ses filles ; Me de Vaubecour ; Me la Comtesse d’Usez ; Me de Monasterol ; Me d’Argenson ; Me du Casse & plusieurs autres.

On se rendit l’aprés-dînée de fort bonne heure, à l’Hôtel de Leurs Excellences. Il y eut d’abord Apartement, & l’on y joüa à differens Jeux. Les Glaces & les Liqueurs y furent distribuées en abondance & dés que le jour commença à baisser, on entendit un grand bruit de guerre de Trompettes & de Timbales qui par intervales fut interrompu par des Violons & des Haut-bois. Cette Symphonie estoit placée sur des Balcons fort ornez, & pratiquez exprés vis-à-vis le grand Apartement de S.E. La nuit avoit à peine commencé à paroistre, que tout l’Hostel parut illuminé par plusieurs rangs de flambeaux de cire blanche, tant autour des cours qu’au dehors, ce qui fit un effet d’autant plus beau que cette spacieuse Maison occupe un terrain considerable dans la ruë de Grenelle & dans la ruë du Bacq. On avoit representé dans l’endroit où ces deux ruës se croisent, une maniere de Chasteau dans toutes les regles de l’Architecture, tout remply de Feu d’Artifice.

Sur les dix heures on servit la grande Table. Je dis grande Table, parce qu’on en servit encore beaucoup d’autres. Elle estoit de 50. Couverts, & en moins d’un demi quart d’heure, elle fut servie de 380. plats qui furent relevez plusieurs fois. On ne put obtenir de leurs Exellences Mr le Duc & Me la Duchesse d’Albe, qu’elles se missent à Table, & elles demanderent en grace qu’on leur laissast la liberté d’observer si tout se passoit selon leurs intentions. On ne s’étonna plus aussi de l’ordre qui y fut observé. Le Soupé dura une heure & demie, & sur les onze heures trois quarts, on en sortit au bruit des fusées, & le Feu commença un quart d’heure aprés. Vingt Tambours se firent entendre autour de ce Feu & les Trompettes, les Timbales, les Violons, & les Hautbois, redoublerent leur bruit qui se mêloit agreablement à celuy du Feu d’Artifice qui dura pendant une heure sans interruption. Ce Feu estoit orné de plusieurs Figures, avec des Inscriptions, & de plusieurs Devises, & terminé par un Globe sur lequel se reposoit un Lion couronné. Le Globe, attribut de l’Espagne, representoit les Etats differens de cette Monarchie dans les quatre parties du monde, & le Lion marquoit le Royaume de Leon.

À peine l’Artifice de ce Feu eut il cessé de se faire entendre, qu’il arriva de toutes parts, une infinité de Masques des plus magnifiques, qui joints au grand nombre de personnes de distinction qui s’estoit trouvé au Soupé remplirent plusieurs Apartemens dans lesquels on dansa. Le Bal fut ouvert par Mr le Duc de Liñarez avec Me la Comtesse de Rupelmonde. Cette Dame qui n’a que 20. ans, est fille de Mr le Marquis d’Alegre, & quelque distinguée qu’elle soit par sa naissance, & par tous les agrémens de sa personne, elle l’est encore plus par sa bonne conduite. Vous sçavez que Mr le Comte de Rupelmonde signale son zele & sa fidelité en Espagne, pour le service du Roy son Maistre. Les pertes qu’il a faites ne sont ignorées de personne. Je ne vous dis rien de toutes les Dames qui ont dansé à ce Bal ; mais j’ay cru que je devois vous faire connoistre seulement celle par qui il a esté ouvert.

Je devrois vous faire icy une Description de ce Bal ; mais ne vous en ayant point fait du Soupé, & ne vous ayant point donné les Inscriptions & les Devises du Feu d’Artifice, j’ay cru devoir passer aussi sous silence la Description du Bal, d’autant plus qu’il m’a paru que le chagrin que la mort de l’Infant d’Espagne a causé à Mr le Duc d’Albe, est si grand que ce Ministre voudroit, s’il estoit possible, oublier luy-même tout ce qui a regardé la grande & magnifique Feste qu’il a donnée, où tout a paru avec une profusion digne de la grandeur du Maître qu’il represente, & de toute la Nation Espagnole. Ainsi je crois que je ne luy aurois pas fait plaisir de m’étendre davantage sur toutes les parties de cette grande Feste qui pouroit remplir un volume entier. Voyons presentement ce qui se passa en Espagne, aprés le départ du Courrier qui a apporté en France la nouvelle de la naissance de l’Infant.

À peine la nouvelle de cette naissance fut elle répanduë dans Madrid, que toute la Ville fut illuminée. Il est aisé de juger par l’amour que les Peuples ont pour leurs Majestez Catholiques de la joye qu’ils ressentirent. Ils en donnerent des marques éclatantes de toutes les manieres, par lesquelles ils pouvoient la faire connoistre. Vous sçavez jusqu’où a esté l’emportement de leur joye en pareille ocasion, par les peintures que je vous en ay faites, & que je ne vous repete point pour ne vous pas dire deux fois la même chose. Le Roy qui n’étoit pas moins penetré de joye que ses Peuples, crut en devoir rendre grace au Ciel, & S.M.C. alla pour cet effet à Nostre-Dame d’Atocha.

Pendant que tout le Peuple estoit en joye, & que l’on commençoit de donner des marques dans plusieurs autres Villes du Royaume de celle que l’on y ressentoit le 8. du mois ; c’est à dire six jours aprés la naissance de l’Infant, on s’apperçut qu’il avoit quelques foiblesses, & peu de temps aprés les convulsions luy prirent, & ce Prince mourut à onze heures & demie, du matin. La douleur que cette mort causa tant au Roy qu’à toute la Cour, & à tout le Peuple, se pouvant mieux concevoir qu’exprimer, & d’ailleurs ces Images lugubres ne servant qu’à augmenter le chagrin de ceux qui ne sont déjà que trop penetrez des douleurs qu’ils ressentent, je ne crois pas vous en devoir dire davantage sur cet Article, c’est pourquoy je passe à un autre.

Enigme §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 389-395.

Vous trouverez la suite de ce Siege à la fin de ma Lettre, parce que je seray alors mieux informé de beaucoup de choses avantageuses dont il me reste à vous parler, & dont je sçauray les suites. Cependant je passe à l’Article des Enigmes.

Le mot de celle du mois dernier, étoit l’Eventail. Une fort jolie Demoiselle a fait en la lisant, l’Impromptu qui suit ; son nom m’a esté envoyé sous celuy de la charmante Fanchon de la ruë du Coulon….

Lorsque l’Astre du jour par ses chaleurs cruelles,
Interrompt nos plaisirs & fatigue nos sens,
Que du corps abbatu les efforts impuissans,
Ont peine à nous tirer de nos langueurs mortelles,
Que l’air que l’on respire est un air tout de feu :
Belle que feriez-vous pour conserver vos charmes ?
L’Eclat-en dureroit bien peu,
Si l’art ne vous donnoit des armes ;
Dans un si grand peril le remede est trouvé,
Prenez un Eventail vostre éclat est sauvé.

Mr de Chantarmel, en a aussi donné une explication en Vers, & elle a été expliquée en Prose par Mrs Gagnat, le fils ; Pecour, le Cader ; Naertsed, ou l’aimable Orphée en petit Colet, de la ruë de Grenelle ; Jean Barbot, dit Mirobolan ; de S. Elier, & sa chere Commere ; Rodrigue, & Climene, de la ruë du Cimetiere S. Nicolas des Champs ; l’Incomparable de la ruë Saint Marc ; le Grand Devineur, de l’Enfant Jesus ; les trois bons Amis, de la ruë de la Huchette ; le Solitaire des Angloux, & son Amy Darius ; les trois Amis de Faux, ruë S. Honoré ; le Chirurgien à marier, de la ruë de la Feronnerie ; l’Aimable petit Poupon de la belle Maman, de la ruë de la Coutellerie ; le Solitaire du Marais ; Tamiriste ; le grand Prince, & sa grande Princesse ; l’Aimable de Soycourt, & son petit…. Mlles de la Mothe ; la jolie Brune Manon Henant, de la ruë des Boucheries ; la Charmante Damonville, de la Porte S. Marceau ; la nouvelle Brune, & sa Sœur, ruë S. Denis prés les Innocens ; la chere Suze, & son fils ; la Solitaire, de la ruë aux Féves ; l’Aimable Bergere, de la ruë des Lavandieres ; la grosse Gouvernante de Mr le Prince de … la Nymphe, de Bievre ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; Lizette, de Châlons, de la ruë Bar-du-Bec ; la Bergere Climene & son Berger Tircis.

Je vous envoye une Enigme nouvelle ; elle est de Mademoiselle du Chesne, qui avoit fait celle du Lit.

ENIGME.

Le Corps qui des mortels frape le plus les yeux.
  Me donna la naissance,
  Et par reconnoissance
Je m’attache à son sort, & le suis en tous lieux.
  Souvent une aimable pucelle
Par mon pere enrichie, & moins belle que luy,
De mon éloignement pour adoucir l’ennuy,
Fait voir de mes attraits l’image peu fidelle ;
Et quelquefois aussi sa course meurtriere,
  En me cachant mon pere
Voudroit bien me faire perir ;
Mais ce n’est qu’un moment qu’elle peut m’obscurcir,
Car mon pere bien-tôt remportant la victoire,
Sçait me rendre à ses yeux, mon éclat & ma gloire.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1709 [tome 7], p. 395.

Je vous envoye une Chanson nouvelle.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par Amour de tes dangereux, doit regarder la page 395.
Amour, de tes dangereux traits,
Ne me prepares point l’atteinte trop cruelle :
Tu ne te plaîts qu’à faire un infidelle,
Et mon cœur s’il aimoit ne le seroit jamais.
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