1709

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1709 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12]. §

[Discours prononcez par Mr Galand Professeur en Langue Arabe, et par Mr Geoffroy, qui a eu la chaire de Professeur Royal, qu’avoit feu Mr Pitton de Tournefort, lors qu’ils ont pris possession de ces Chaires, & les Eloges de Sa Majesté qu’ils ont prononcez] §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 13-18.

Quoy que les choses qui regardent le soûtien de la vie soient les plus dignes de l’attention d’un Souverain, il l’a doit néanmoins porter sur une infinité de choses qui sont utiles à ses Sujets, chacune d’une maniere differente, & quoy que le Public ne fasse peut être pas d’attention sur l’importance qu’il y a d’avoir dans un Etat, des personnes qui Professent la Langue Arabe, il est néanmoins tres important qu’un Souverain, ait non-seulement des Sujets qui sçachent cette Langue, mais aussi qui la professent, afin d’avoir des Eleves, parce que par le moyen de cette Langue on fait beaucoup de choses qui sont utiles à la Religion & au Commerce ; & le Roy ayant donné depuis quelques mois, ainsi que je vous l’ay déja marqué, la Chaire de Professeur Royal en Langue Arabe, à Mr Galand, connu par ses voyages & par ses Traductions de Livres Arabes, il fit un Discours Latin lorsqu’il prit possession de cette Chaire ; & voicy par où il finit son Discours.

Il ne me reste, Messieurs, qu’à m’acquitter de mon devoir envers Sa Majesté, si distinguée par la grandeur & par la multitude de ses bienfaits, en luy faisant mon tres-humble remerciement.

Je vous le fais, à vous, SIRE, le plus grand des Rois, que Dieu veüille délivrer de l’envie de ses fiers ennemis ; envie, qui passe toute rage, & combler de toutes sortes de felicitez, & de prosperitez : je vous le fais, non pas aussi grand que la grandeur du bienfait le merite. Eh ! que peut de grand, un homme comme moy ? mais de la maniere qu’Ausone le fit à l’Empereur Gratien, en reconnoissance du Consulat, dont cet Empereur l’avoit honoré : c’est-à-dire ; de la maniere qu’on en use auprés de Dieu, plus abondamment par les sentimens du cœur, que par les paroles : Ut apud Deum fieri amat, sentiendo copiosius, quam loquendo.

Tel fut le Remerciement de ce grand Homme, l’ornement des Gaules, pour une dignité, qui aprés celle d’Empereur, l’élevoit au second rang de l’Empire Romain. Et moy, SIRE, je remercie Vostre Majesté, de ce que sur le rapport du tres-illustre Ministre, à qui tous les éloges & tout le bien que je pourrois dire de sa personne, ne marqueront jamais assez ma reconnoissance : de ce Ministre, dis-je, tres-vigilant, tres-actif, tres-fidelle, sur qui Vostre Majesté se repose de la direction de sa Marine, d’autres soins tres-importans de sa Cour tres-auguste, & de celuy qui regarde les Lettres ; aprés m’avoir déja admis dans son Academie Royale des Inscriptions & des Medailles, sur le rapport du même Ministre ; elle m’a fait de plus la grace de me créer Collegue des Hommes des plus celebres de l’Univers, honneur que je ne regarde pas comme un Consulat, mais comme un Empire.

[Ceremonies qui se pratiquent à l’élection du Vicomte Majeur de la Ville de Dijon] §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 42-75.

Je vous envoyai le mois passé un détail qui regarde les Etats de Bourgogne, qui vous a fait connoistre qu’ils sont composez des Elûs des trois Ordres, & ce qui se pratique en pareille ocasion, & je remis à vous parler ce mois-cy des Ceremonies qui se pratiquent à l’Election du Vicomte-Majeur de la Ville de Dijon. Je vous l’envoye, & vous le trouverez digne de vostre curiosité.

Les peuples les plus barbares ayant marqué leur attention au choix de leurs Magistrats en y travaillant avec des Ceremonies qui faisoient connoître qu’elle estoit l’importance de ce choix, on ne sera pas surpris que les peuples civilisez ayant eû en cette occasion une exactitude qui paroîtroit scrupuleuse si l’on n’estoit persuadé qu’il n’est rien de plus important que de choisir des Magistrats vigilans, sages & éclairez.

La Magistrature de la Ville de Dijon, ayant toujours esté regardée comme un employ de consequence par les Ducs de Bourgogne, Souverains de cette Province, & par nos Rois qui leur ont succedé, les Ceremonies qui se pratiquent à l’Election du Maire de Dijon sont tres-dignes de la curiosité du public, & font connoître la sagesse des Habitans de cette Capitale de la premiere Pairie du Royaume.

Hugues III. du nom Duc de Bourgogne, accorda aux Maire & Echevins de la Ville de Dijon la Police & la Justice sur tous les Habitans en l’année 1187. & environ cent ans aprés, Robert Second, aussi Duc de Bourgogne ayant acquis au mois de Novembre 1276. la Vicomté de Dijon de Guillaume de Pontaillier, de la Maison de Chanlite, il la remit au mois de Decembre 1284. aux Maire & Echevins de Dijon, par une Transaction qui fut confirmée par Philippes le Hardi, Roy de France, au mois de Decembre de la même année.

En consequence de ce Titre les Maires de Dijon ont joüi incontestablement de la qualité de Vicomte Majeur, qui avec la Justice & Police qu’ils avoient sur les Habitans, leur a donné le Commandement sur eux au fait des Armes.

Le mot de Vicomte avec celuy de Majeur, ne veut dire autre chose que Vicomte & Maire, qui vient du Latin Major.

Depuis l’établissement de la Mairie fait par le Duc Robert Second, les Habitans choisissoient tous les ans le Vicomte Majeur, mais ayant esté reconnu que ce changement frequent pouvoit apporter du trouble, causer des brigues & monopoles, & qu’il estoit difficile qu’un particulier dans un terme si court pust estre suffisamment instruit des affaires du public, par Lettres Patentes de 1668. il fut dit que celuy qui seroit élû Maire en la forme accoûtumée, en feroit les fonctions pendant deux ans.

Les Ceremonies les plus importantes, qui se pratiquent en cette occasion, sont rapportées dans ces Lettres confirmatives de plusieurs autres precedentes.

Le Vicomte Majeur qui a fourni sa carriere, fait sa démission à l’Hostel de Ville le 10e Juin, en presence des Magistrats, & aprés les complimens ordinaires, on fait choix du Garde des Evangiles, qui pendant l’interregne fait les fonctions du Maire, & l’on choisit toûjours le premier Echevin pour garder les Evangiles.

Le Dimanche suivant le Vicomte Majeur & le Corps de Ville assemblez en vertu de leursI & vêtus de leurs Robes de Ceremonies, aprés avoir averti par une députation celuy qui a esté élû Garde des Evangiles, vont en Corps dans l’Eglise des Peres Jacobins, precedez des Sergens & d’une Compagnie de Bourgeois en armes, & aprés avoir oüi la Messe se rendent tous dans le même ordre dans l’Eglise Saint Philibert, & ensuite sous le Portail de cette Eglise, où aprés avoir pris séance le Vicomte Majeur ayant sur ses genoux les Evangiles avec les deux anciens Sceaux de la Ville, fait un discours sur sa démission & sur la nomination du Garde des Evangiles, & aprés avoir remercié le Peuple, il remet les Evangiles & les Sceaux entre les mains du Procureur Sindic de la Ville, qui répond par un éloge du Vicomte Majeur, & en même temps remet les Evangiles & les Sceaux au Garde des Evangiles élû, qui de son costé les reçoit & répond par un autre compliment.

Les Habitans ayant esté avertis par une deliberation de la Chambre de Ville qui se publie par les Trompettes pendant trois jours & aux Messes Paroissiales, que le 20. de Juin il sera procedé à l’élection d’un nouveau Vicomte Majeur, on ordonne en même temps à tous les Habitans de s’assembler le 20. chacun dans l’Eglise de leur Paroisse au son de la cloche, pour suivre leurs Officiers militaires qui les conduiront au Convent des Jacobins, afin de donner leurs suffrages sans user de brigues, monopoles, ny faire aucune confusion.

Le 20. du mois de Juin au matin, le Corps de Ville, Assemblé à l’Hôtel de Ville, aprés avoir oüy la Messe se rend au Convent des Jacobins en Robbe d’honneur, precedé des Trompettes, Tambours, & Sergents.

Le Parlement averty par une députation d’envoyer deux Commissaires pour assister à l’Election, députe deux Conseillers avec le Procureur General, & la Chambre des Comptes, aprés avoir esté avertie, députe aussi un Auditeur.

Ces Députez arrivez & reçûs à la maniere accoutumée, le Secretaire de la Ville met dans un chapeau sept billets inscrits des noms des sept Paroisses de la Ville, qui sont tirez au sort, afin de faire sonner la Cloche pour l’Assemblée dans chacune des Paroisses suivant l’ordre que ces billets ont esté tirez.

Ces billets sont ensuite envoyez dans chaque Paroisse, & tandis que les Habitans s’y Assemblent, les Députez du Parlement, celuy de la Chambre des Comptes, & le Corps de Ville prennent leur Séance dans la Chapelle de Nostre-Dame de Bonnes-Nouvelles, le Garde des Evangiles au milieu dans un Fauteuil, ayant devant luy un Bureau couvert d’un tapis sur lequel sont les Evangiles ouvertes, afin de faire jurer tous les Habitans qui assistent à l’Election s’ils ont esté pratiquez, priez, ou sollicitez pour donner leurs suffrages.

Les Séances disposées, le Procureur Sindic fait un Discours au sujet de l’Election qui se doit faire, à quoy le Garde des Evangiles répond par un autre Discours & donne son suffrage à celuy qu’il croit propre pour remplir la place de Vicomte Majeur.

L’Auditeur des Comptes fait aussi un Discours aprés avoir donné la voix du Roy, contenuë dans l’Arrest de la Chambre qu’il presente.

Les Discours finis le Secretaire de la Ville fait lecture de l’Ordonnance de la Chambre de Ville dont on a parlé & de l’Arrest de la Chambre des Comptes, qui sont ensuite publiez par un Trompette devant le Portail du Convent.

Alors le Garde des Evangiles prend le suffrage de tous ceux qui composent le Corps de Ville, & ensuite de tous les Habitans, suivant l’ordre de leurs Paroisses, qui marchent chacun à leur tour precedez de leurs Capitaines, Lieutenans, & Enseignes.

Chaque Habitant donne son suffrage en mettant la main sur les Evangiles, & jurant qu’il n’a esté prié ny sollicité en cette occasion, & chaque fois qu’un Habitant donne son suffrage, les Sergens répetent à haute voix le nom de celuy qui a esté nommé dans le mesme temps que le Secretaire écrit le nom du Vicomte Majeur qui est nommé & de celuy qui le nomme.

Tous les Habitans qui se sont presentez ayant donné leurs voix, on fait encore demander par le Trompette s’il reste quelqu’un pour donner son suffrage, aprés quoy on les compte ainsi qu’ils ont esté retenus tant par le Secretaire que par le Greffier de la Mairie, afin de reconnoistre celuy qui a esté nommé pour estre Vicomte Majeur.

Les Deputez du Parlement & de la Chambre des Comptes s’estant retirez, le Vicomte Majeur élû est averti par une députation solemnelle qui le conduit dans le Convent des Jacobins, d’où il est accompagné chez luy en Ceremonie.

Le 23. Juin deux Echevins viennent en la maison du Vicomte Majeur pour le conduire à l’Hostel de Ville, où ayant esté reçû par tous ceux qui composent la Chambre, aprés avoir pris sa place au dessous du Garde des Evangiles, & fait les Complimens ordinaires, le Vicomte Majeur nomme & retient deux des anciens Echevins, & à la place des quatre autres qui doivent quitter, on en nomme quatre nouveaux à la pluralité des voix.

Les nouveaux Echevins avertis par Billets de leur nomination, aprés s’estre assemblez chez le Garde des Evangiles, vont en Corps sur le soir en la maison du Vicomte Majeur, où aprés une collation, il va allumer le Feu d’artifice qui se fait tous les ans la veille de la Saint Jean.

Le lendemain 24. les Echevins & le Corps de Ville assemblez du matin dans la maison du Garde des Evangiles, vont en Corps chez le Vicomte Majeur élû, precedez des Sergens, Trompettes, Tambours, & d’une Compagnie de Bourgeois en armes, l’Enseigne Colonelle de la Ville déployée, & le Vicomte Majeur revêtu de sa Robe d’honneur ayant le Garde des Evangiles à droite & le premier Echevin retenu, à gauche, se rendent avec la Magistrature dans l’Eglise des Jacobins, où ils entendent la Messe.

La Messe finie ils vont dans l’Eglise de Saint Philibert & de là sous le Portail de cette Eglise.

D’un costé sont rangez deux Fauteüils, un pour le Garde des Evangiles à droite & l’autre pour le Vicomte Majeur à gauche, & deux lignes de sieges à dos pour les Echevins & autres Officiers, avec un Bureau couvert d’un tapis pour le Secretaire, tous en Bonnet quarrez ou Chapeaux selon leurs qualitez.

Le Garde des Evangiles, ayant sur ses genoux les Evangiles & les Sceaux de la Ville, fait connoistre par un Discours le bon choix que le Peuple a fait d’un Vicomte Majeur & les avantages que l’on en doit esperer, fait ses remerciements de l’honneur qu’il a reçû en qualité de Garde des Evangiles, & les remet avec les Sceaux au Procureur Sindic, qui en les recevant fait un Discours sur le merite & les bonnes qualitez du nouveau Vicomte Majeur & luy remet les Sceaux avec les Evangiles.

Le Vicomte Majeur élû les ayant posé sur ses genoux fait connoistre par un Discours le dessein qu’il a de s’aquiter de son Employ à la satisfaction du Public.

Cette Ceremonie finie le Lieutenant General, averty par une Députation de deux Substituts du Procureur Sindic, prend sa place dans un Fauteuil vis à vis le Vicomte Majeur : à costé est une Chaise à dos pour le Procureur du Roy, avec un Bureau pour le Greffier, sur lequel le Secretaire de la Ville porte les Evangiles & les Sceaux, dont aussitost le Lieutenant General se saisit.

Le Vicomte Majeur & tous ceux qui composent la Chambre de Ville, ayant quité leurs places s’aprochent des Officiers du Bailliage, & un Avocat chargé de la parole presente le Vicomte Majeur, dont il fait connoistre le merite & l’intelligence, & pendant ce discours le Vicomte Majeur & l’Avocat sont debout & couverts ; quand l’Avocat a cessé de parler, un des Prud’hommes de la Ville rend compte par un discours que l’élection a esté faite sans brigue ny monopole.

Alors le Procureur du Roy prenant la parole s’étend sur les loüanges du Vicomte Majeur, & conclut à sa reception qui est prononcée ensuite par le Lieutenant general, qui luy fait prêter serment sur les saintes Evangiles de s’acquitter fidellement de sa Charge, & luy remet entre les mains les Evangiles & les Sceaux de la Ville, ayant avant cette reception & installation fait demander par un Trompette si personne ne s’y veut opposer.

Les Officiers du Bailliage s’estant retirez, le Corps de Ville marchant toûjours dans le même ordre, aprés avoir esté dans l’Eglise de Saint Jean, va dans l’Eglise de Nostre-Dame, où se trouve le Procureur du Roy.

Le Vicomte Majeur à genoux sur le marche-pied du Maistre-Autel, ayant devant luy les Evangiles & le Livre de la Messe ouvert dans l’endroit de l’Evangile de Saint Jean, tenu par le Sacristain de cette Eglise, le Curé de cette Paroisse tient à découvert le Saint Sacrement élevé au dessus du Ciboire devant le Vicomte Majeur à genoux & le Secretaire de la Chambre debout derriere luy, fait lecture à haute voix des articles du Serment du Vicomte Majeur au nombre de dix, qui regardent sur tout la fidelité au service du Roy, le zele & l’exactitude à rendre la Justice aux Habitans, & la vigilance pour conserver leurs droits & privileges ; cette lecture finie, le Procureur du Roy dit ces mots : Vicomte Majeur, vous promettez d’executer ponctuellement les Articles que l’on vient de lire ; à quoy le Vicomte Majeur toûjours à genoux, répond ouy, & prête serment.

Le Saint Sacrement enfermé dans le Ciboire, le Curé donne la Benediction & conduit le Vicomte Majeur à la porte de l’Eglise aprés luy avoir fait un compliment.

En sortant de l’Eglise de Nostre-Dame, le Garde des Evangiles ayant pris la gauche, le premier Echevin la droite, & le Vicomte Majeur entr’eux deux, suivis des autres Officiers de Ville, vont à l’Auditoire de la Mairie, où le Vicomte Majeur prend possession du Siege Magistral de la Justice, & par son ordre le Secretaire ayant pris les Evangiles, il les presente aux Echevins qui prêtent Serment de s’acquitter fidellement de leurs Charges, & remet ensuite les Evangiles au Vicomte Majeur qui reçoit le serment de tous les autres Officiers, ayant les clefs des Portes de la Ville à ses pieds.

Aprés quoy le Vicomte Majeur est conduit chez luy, precedé des armes qui luy remettent le Drapeau Colonel.

On connoist par les Registres de l’Hostel de Ville que cette place a esté remplie du temps des Ducs de Bourgogne, & depuis que cette Province a esté reünie à la Monarchie, par des personnes également distinguées dans la Robbe & dans l’Epée.

Depuis que le Gouvernement de cette Province a passé dans la Maison de Condé en la personne du Prince Henry, pere du Grand Loüis de Bourbon, Prince de Condé, les brigues & les monopoles que l’on n’avoit pû empêcher malgré tant de précautions, ont esté absolument écartées, & Sa Majesté ayant créé des Charges de Maire en titre d’Office en 1692. par Arrest du Conseil de la même année & par Lettres Patentes du mois de May 1693. il fut ordonné que la Charge de Vicomte Majeur seroit réunië au Corps & Communauté de la Ville de Dijon, & que les fonctions en seroient remplies par le Vicomte Majeur qui seroit élû à l’avenir comme il a esté fait du passé, de deux ans en deux ans, en la maniere accoûtumée.

C’est à la protection du Prince Henry-Jules que la Ville de Dijon doit la confirmation du plus beau de ses Privileges, le Roy ayant bien voulu laisser aux Habitans de cette Capitale la liberté de choisir ses Magistrats. Distinction qui est accordée à la Ville de Paris & à celle de Lyon, où les places de Prevost des Marchands ne sont pas en titre d’Office.

On conserve avec soin dans les Registres de l’Hostel de Ville une Lettre de feu Monsieur le Prince, dans laquelle il a la bonté d’entrer dans tout le détail de cette affaire avec cette penetration qui luy estoit si naturelle, & de faire connoître aux Notables quel est leur avantage d’avoir la liberté de choisir en la personne de leur Vicomte Majeur, un President né des Etats, & un Elû perpetuel de ces mêmes Etats.

En effet, aussi-tost que les Ceremonies de cette Election sont finies, la Chambre de Ville sur les requisitions du Procureur Sindic fait une deliberation qui contient un acte comme l’élection a esté faite dans les formes, & suivant les Lettres Patentes de 1668. afin qu’en consequence de cette deliberation (qui est remise au Vicomte Majeur) il puisse prendre sa Séance dans la Chambre des Etats Generaux de la Province, & y avoir voix deliberative.

Enfin le terme fatal de deux ans ayant paru trop court pour les besoins du public, lorsqu’il a fait choix d’un Magistrat éclairé & vigilant, & l’élection du Vicomte Majeur qui se devoit faire au mois de Juin 1703 n’ayant pû estre faite pendant la tenuë des Etats convoquez dans la Ville de Dijon au mois de Juin de la même année, Sa Majesté par Arrest de son Conseil du 6. Juin 1703. a bien voulu ordonner que pour ne point troubler la Séance des Etats où le Maire de Dijon a droit de presider dans la Chambre du Tiers-Etat, l’élection qui se devoit faire dans le temps de la Saint Jean de 1703. sera remise à la Nostre-Dame d’Aoust suivant, & permet à la Ville de Dijon de continuer ceux des Magistrats qu’elle élira à l’avenir, au cas qu’elle juge qu’il luy soit avantageux.

[Remarque sur les Audiences tenuës en Robbes rouges & en Robbes noires] §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 166-168.

L’Ouverture des Audiences dont je viens de vous parler s’estant faites en Robbes rouges, elles furent continuées le lendemain en Robbes noires. Voicy ce que l’on a fait en Latin sur ce sujet.

En Themis alta togam rubram nigramque resumit,
Augustam ad sedem legis feramque redit.
Themis, en rouge, en noir, pour juger les Procés,
Remonte au Tribunal & donne des Arrests.

C’est ainsi que le Soleil commence sa carriere sur un char de Pourpre qu’il reçoit de l’Aurore, & que la nuit il fait son entrée sur un char d’Ebene. Ces deux couleurs, le rouge & le noir se joignent ensemble par alliance dans les Fleurs. Les Pavots, que Virgile, dans sa seconde Eglogue, appelle summa Papavera, ayant une tige éminente, sont, d’abord rouges & deviennent ensuite noirs. On remarque aussi que le Corail qui se forme dans la Mer, à un bout de sa branche rouge lors qu’on l’en tire, & que l’autre bout est noir, ce qui pourroit donner lieu à une Devise pour la Justice qui auroit d’un costé de la Medaille une branche de Corail, & de l’autre la Legende qui suit Fulget utroque.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 180-199.

Les Articles qui suivent regardent plusieurs Livres Nouveaux, dont les Extraits vous feront beaucoup de plaisir, & dont les Titres seuls sufisent pour exciter une grande curiosité.

Il vient de paroistre un Livre nouveau qui sera sans doute de vostre goust ; en voici le Titre. L’Histoire des Imaginations extravagantes de Monsieur Oufle, causées par la lecture des Livres qui traitent de la Magie, du Grimoire, des Demoniaques, Sorciers, Loups-garoux, Incubes, Succubes, & du Sabbat. Des Fées, Ogres, Esprits-Folets, Genies, Phantômes, & autres revenans. Des Songes, de la Pierre Philosophale, de l’Astrologie judiciaire, des Horoscopes, Talismans, Jours heureux & malheureux, Eclypses, Cometes, & Almanachs ; enfin de toutes sortes d’Apparitions, de Divinations, de Sortileges, d’Enchantemens, & d’autres superstitieuses pratiques. Le tout enrichi de Figures, & accompagné d’un tres-grand nombre de Nottes curieuses, qui rapportent fidellement les endroits des Livres, qui ont causé ces imaginations extravagantes, ou qui peuvent servir pour les combattre. Deux Volumes in-douze, quatre livres dix sols, à Paris chez Nicolas Gosselin, dans la grande Salle du Palais, à l’Envie ; & chez Charles le Clerc, Quay des Augustins, du costé du Pont Saint Michel, à la Toison d’or.

Je puis vous assurer sans exageration, qu’on n’a jamais traité toutes ces matieres curieuses, d’une maniere aussi agreable & aussi forte que celle qu’on trouve dans cet ouvrage. Mr Oufle qui en est le Heros, s’estoit infatué d’une infinité d’erreurs populaires ; comme le fameux Dom Quixote, de Chevaleries. On fait joüer à celuy-là des rôlles du moins aussi réjoüissans qu’à celuy-cy, mais autre l’enjoüement qu’on voit répandu dans l’Histoire de Mr Oufle, on y trouve une érudition surprenante, & de tres-forts raisonnemens pour montrer le ridicule, & pour convaincre de la fausseté d’un nombre prodigieux d’Histoires que l’on fait tous les jours sur les Sorciers, les Loups garoux, les Horoscopes, les Talismans, les Phantosmes, les Esprits-Folets, les Eclypses, les Cometes, les Fées, la Pierre Philosophale, &c. Les Nottes seules qui rapportent fidellement & au long les endroits qui ont causé de si étranges imaginations, suffiroient pour faire un livre fort amusant. Entre plusieurs Figures tres-gracieusement gravées, qui sont dans ces deux volumes, je suis persuadé que vous verrez avec beaucoup de plaisir celle qui represente le Sabbat. Elle ne manquera apparemment pas de vous surprendre ; cependant quelque extravagante qu’elle vous paroisse, vous apprendrez qu’elle ne represente rien qui ne soit conforme à ce que beaucoup de gens ont la foiblesse de croire, & ce que plusieurs Auteurs, d’ailleurs assez celebres, ont osé avancer ; comme il y a environ deux ans qu’on donna Les Aventures de Mital, pour desabuser d’une maniere qu’on trouva d’abord fort mysterieuse, mais qui fut bien-tost aprés éclaircie & expliquée par une Clef, qui parut comme on l’avoit promis, pour desabuser, dis-je, d’une infinité de faussetez que les Historiens, les Naturalistes, & les Voyageurs ont hardiment rendu publiques dans leurs ouvrages, & aujourd’huy on donne les aventures de Mr Oufle pour détruire la credulité qu’on accorde trop facilement à un grand nombre de superstitieuses pratiques, qui n’ont point d’autre fondement, que la hardiesse de ceux qui les debitent, & la foiblesse de ceux qui les reçoivent. Il seroit à souhaiter que l’Auteur continuast de rendre service à la verité, en faisant la guerre generalement à tout ce qui l’attaque. Le succés de l’ouvrage dont je vous parle, l’excitera sans doute à traiter encore d’autres sujets où elle est extrêmement maltraitée.

On vient de mettre au jour un Livre nouveau, intitulé Histoire du Prince Erastus, fils de l’Empereur Diocletien.

Je crois vous devoir dire, avant que de vous en donner une idée generale qu’elle a d’abord esté écrite en Grec ; qu’on l'a trouvée si curieuse, qu’on l’a traduite en plusieurs Langues, & particulierement en Latin, en Italien, & en Espagnol, & qu’elle a même esté mise en vieux François, mais d’un stile si diffus & si barbare, qu’on a cru pour l’honneur de la Nation, la devoir traduire dans un langage plus poli, & plus digne de la beauté de son Original. Ainsi elle est à present dans le meilleur estat qu’elle peut estre, & je suis persuadé qu’elle atachera beaucoup ceux qui la liront avec attention. Elle est remplie d’evenemens extraordinaires, tous plus singuliers les uns que les autres. On y verra d’abord un jeune Prince, beau, bien fait & plein de merite, nommé Erastus, qui avoit pour Pere l’Empereur Diocletien, & pour précepteurs les plus grand hommes du monde, & de l’autre costé une jeune Imperatrice femme en seconde noces de ce même Empereur qui, quoy qu’elle soit belle-mere de ce jeune Prince, en devient amoureuse, & fait tout son possible pour l’obliger à repondre à sa passion. Mais voyant qu’Elle ne peut reussir, & même qu’il s’enfuit d’auprés d’elle, son amour se tourne en haine, & elle l’accuse devant l’Empereur d’avoir voulu attenter à son honneur. Ce Monarque trop credule, entre avec fureur dans les sentimens de l’Imperatrice, & sans forme de procés, condamne son propre fils à la mort. Comme les Astres avoient prédit à ce jeune Prince ; que s’il pouvoit estre sept jours sans parler, il éviteroit le peril dont il estoit menacé, il ne dit pas un seul mot pour sa défense ni pour autre chose. Son silence estonna tout le monde, & faisant croire qu’il estoit coupable, fut cause qu’on estoit sur le point de le faire mourir, lors que les sept Philosophes qui avoient esté ses Precepteurs, prirent sa défense pendant sept jours durant lesquels ils eurent l’adresse par la force de leur raisonnement de faire surseoir l’execution de la Sentence de mort. L’Imperatrice en haine de cette prorogation, & craignant que sa calomnie ne fût découverte, les accuse devant l’Empereur de crimes suposés, & les fait condamner à la mort. Mais le jeune Prince voyant que les sept jours dangereux estoient passez, & qu’il pouvoit parler sans rien risquer, fit prier l’Empereur son pere de luy donner une Audience en plein Senat, où l’affaire avoit esté renvoyée. L’Empereur surpris de cette priere, & qui avoit cru que le silence de son fils venoit de l’horreur de son crime, s’imagina qu’il ne souhaitoit luy parler que pour tâcher d’obtenir sa grace, qu’il avoit resolu de luy refuser. Il estoit dans une colere si terrible contre luy, qu’il ne pouvoit se resoudre à le voir. Mais l’amour paternel venant enfin au secours de cet innocent malheureux, obligea ce pere d’accorder à son fils l’Audience qu’il luy demandoit ; mais neanmoins dans la resolution de ne se laisser fléchir ni aux prieres ni aux larmes. Il fit donc venir ce jeune Prince, avec tous ses Philosophes qui entrerent dans le Senat comme des Conquêrans qui doivent estre Couronnez des mains de la Victoire. Leur contenance assurée étonna l’Empereur, & tout le Senat. On crut d’abord qu’ils avoient des gens tout prests pour les secourir, en cas que leur Sentence de mort fut confirmée ; mais leur assurance n’estoit fondée que sur la justice de leur cause, & sur la confiance qu’ils avoient en la probité de leurs Juges. Aprés donc qu’ils furent entrez, & qu’ils eurent salué l’Empereur & tous les Senateurs, le Prince Erastus, commença à leur faire connoître la necessité qui l’avoit obligé à garder le silence ; ensuite il expliqua ses moyens, & plaida sa cause & celle de ses Philosophes avec tant de force & d’éloquence, que tout le monde en fut surpris. Il demanda qu’on fit venir l’Imperatrice, afin de prendre les Dieux à témoins en sa presence de la maniere dont les choses s’étoient passées. L’Empereur l’envoya querir, & lors qu’elle fut arrivée, le Prince Erastus fit une recapitulation de ce qu’il avoit dit, & ajoûta nouvelles raisons, si puissant que l’Imperatrice qui ne sçavoit que répondre, estoit couverte de honte & de confusion. L’Empereur & le Senat voyant l’innocence de ce Prince & de ses Philosophes suffisamment justifiée, les déclarerent absous & l’Imperatrice coupable du crime dont elle les avoit accusez. Ce jeune Prince de qui la generosité estoit sans exemple, pria aussi tost son pere de pardonner à l’Imperatrice en faveur de son sexe, & de ce qu’elle avoit l’honneur de luy appartenir. Mais l’Empereur inexorable pour les crimes, & qui aimoit la justice plus que soy-même, la fit enfermer dans une Tour, & ordonna au Senat de luy faire son Procés, suivant la Loy du Talion. L’Imperatrice se voyant ainsi prisonniere, & aprehendant la rigueur de cette Loy, estoit dans une consternation épouventable. Elle gémit, elle pleure, & enfin le desespoir s’emparant de son cœur & de son esprit, elle se tuë de sa propre main, pour éviter la mort ignominieuse qu’elle meritoit. Voila l’abregé de ce Livre qui doit exciter beaucoup de curiosité. Je vous laisse à juger de la beauté du stile, & de la délicatesse des pensées. Il se vend chez Jacques le Févre, Libraire, ruë Saint Severin, vis-à-vis l’Eglise.

Je ne vous ay point encore parlé d’un Livre dont on vient de faire une seconde édition ; ce qui doit vous faire connoître qu’il a eu l’avantage de plaire au public ; il est intitulé, Recueil nouveau de Lettres, parties comiques & parties serieuses. L’Auteur vient d’ajoûter à ce Livre un Dialogue que l’on a mis à la teste, & il a pour Titre, Dialogue ou Entretiens, entre Belise & Emilie, femmes sçavantes aux Champs Elisées, sur differens caracteres, & differentes modes du Temps. Ce Livre, qui a esté composé par un Officier de la Ville de Nemours, se vend à Paris chez la Veuve Belley ruë saint Jacques, proche les Jesuites ; & à Roüen chez Jacques Ferrand, au coin de la Rouge-Mare.

[Discours à la louange de la Poësie, prononcé au Collège d’Harcourt par Mr Grenan devant Mr le Recteur] §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 293-310.

Mr Grenan, Professeur d’Humanitez au College d’Harcourt y prononça le 6e de ce mois en presence de l’Université, un Discours dont la Latinité pure & élegante, reçut de grands aplaudissemens ; & fut jugée digne du siecle d’Auguste, & dont la noblesse des pensées plut aussi beaucoup. Ce que je vais vous raporter de ce Discours a esté traduit sur ce qu’un homme de Lettres dont la Memoire est des plus heureuses. Cependant comme il n’y a point de memoire dont on puisse s’assurer d’une entiere fidelité, il peut manquer quelque chose à la beauté de ce Discours, à quoy les personnes d’esprit pouront suppléer. Je ne doute point qu’il ne reçoive les mêmes aplaudissemens de tous ceux qui liront ma Lettre ; & principalement des amateurs de la Poësie, & de ceux qui sont assez heureux pour bien parler ce langage des Dieux. Il est impossible de traiter plus noblement quelque matiere que ce puisse estre, & de la mettre dans un plus beau jour ; & ceux qui ne font pas assez d’attention au merite de la Poësie & aux grandes choses dont elle a esté, & dont elle est susceptible, en seront convaincus aprés la lecture de ce qui suit.

L’Exorde de ce Discours est tiré des guerres qui agitent l’Europe depuis tant d’années ; l’Auteur y dit, Que malgré le tumulte des armes, la Lyre d’Apollon ne laissoit pas de se faire entendre, particulierement en France ; qui par ce moyen s’élevera toûjours au dessus de ses Ennemis, quelques avantages qu’ils puissent remporter. Il ajoûta, qu’il laissoit aux Orateurs à dépeindre en termes pompeux la fureur des combats, & les Campagnes teintes de sang ; que pour luy qui cherissoit la Paix, il entretiendroit ses Auditeurs d’une matiere pacifique, & que comme cette même Paix est l’objet de leurs vœux, cette raison seule estoit suffisante pour meriter leur attention. Il poursuivit en disant qu’il alloit leur parler des Sciences ; mais que ce champ estant trop vaste il se restraindroit à la seule Poësie.

L’Exorde fut suivi de la division de la Piece, & il fit voir que trois choses pouvoient rendre un Art ou une Science recommandable : sa difficulté, la gloire qu’elle procure, & l’utilité qu’en retire la Republique.

Quant à la difficulté, qui fait le sujet de la premiere partie, l’Orateur fit voir que sans elle les Arts tomberoient necessairement dans le mépris. Il refuta ensuite l’opinion de ceux qui prétendent que la nature seule fait les Poëtes, & y fit connoistre que sans le secours de l’art, un Poëte, quelque talent qu’il ait reçû de la nature, ne produira jamais d’excellens ouvrages. Il répondit en passant à la calomnie de ces hommes envieux qui traitent de folie l’enthousiasme & les transports heureux qui caracterisent les vrais Poëtes : Je souhaite, dit-il, d’estre insensé de cette sorte avec les Homeres, les Euripides, les Sophocles, & s’il est permis de le dire, avec les Isayes, les Jeremies, &c.

Aprés ces Propositions generales, il vint à son sujet, & il prouva que de tous les Arts la Poësie est le plus difficile. En effet, dit-il, la plûpart des autres, n’ont besoin que d’eux-mêmes pour atteindre leur point de perfection ; ainsi le Musicien ne doit pas estre Geometre, le Geometre non plus n’est pas obligé d’avoir aucune teinture de Musique ; mais peut-on dire la même chose de la Poësie ? Pour estre un bon Poëte, il faut posseder une infinité de Connoissances. Nous en avons un illustre exemple dans la personne d’Homere ; quel abîme d’érudition ? quel secret dans la nature est inconnu à ce grand Poëte ? Est il aucun Art, aucune Science, dont on n’apperçoive clairement quelques vestiges dans ses divins écrits ? Ne dira-t-on pas à peu prés la même chose de Virgile, d’Horace, & d’Ovide ? Mais ce qui paroîtra peut-estre incroyable, est que les Poëtes mêmes qui se sont exercez sur des sujets moins importans, ne laissent pas de nous faire entrevoir une science profonde, & c’est ce qu’on remarque dans les Vers de Catulle, de Tibulle, & de Martial.

Mais s’il est difficile d’acquerir un si profond sçavoir, il l’est encore davantage de se former le style, & de donner à ses expressions le tour & l’agrément necessaire. En effet, sous combien de formes differentes un Poëte ne doit-il pas paroistre ? tantôt grand & pompeux, il prend son vol au dessus des nuës ; tantôt doux & coulans, il semble donner à son lecteur le temps de respirer & de reprendre haleine. Il est, suivant les sujets qu’il traite court & precis, fleury ou étendu ; il est grave & serieux, badin & enjoüé : Dans le Poëme Epique regne la majesté, dans l’Ode la hardiesse avec un artificieux desordre ; dans le Phaleuque la delicatesse, dans l’Iambique l’aigreur & l’amertume. Cet endroit fut touché d’une maniere qui plût beaucoup à toute l’assemblée.

Pour terminer cette premiere Partie, l’Auteur cita un passage de la Lettre de Mr Despreaux à son Jardinier.

Il fit voir dans la seconde Partie la gloire qui accompagne la Poësie, & les avantages que cet Art procure.

Il défendit d’abord aux Poëtes de prétendre par leurs veilles aux richesses. Le Parnasse, dit-il, est une terre ingrate qui ne produit que des Palmes & des Lauriers. Mais aussi quelle moisson de gloire n’y recueille-t-on pas ? Remontons dans les premiers temps de la Grece : Quel respect, quelle veneration pour la Poësie ! Huit Villes se disputoient l’honneur d’avoir donné le jour à Homere. Les Portiques, les Temples des Dieux, les Places publiques estoient pleines de Monumens élevez à l’honneur des Poëtes : les Rois les admettoient dans la plus étroite familiarité ; c’est ainsi qu’Euripide fut chery d’Archelaüs, &c.

Si les Poëtes, continua-t-il, furent tant estimez dans la Grece, ils ne le furent pas moins à Rome. Les Scipions, les Catons, les Lelius vivoient avec eux comme avec leurs égaux ; la Poësie alloit de pair avec les Consulats & les Dictatures, & les grands Hommes qui estoient revêtus de ces Dignitez, ne rougissoient point d’avoir des Poëtes pour amis, eux qui comptoient des Rois mêmes parmy leurs Cliens.

Mais pourquoy chercher des exemples étrangers, tandis que nous en trouvons d’aussi éclatans en France ? Ce fut en cet endroit principalement que l’Orateur excita les applaudissemens de l’Assemblée par les Portraits de Corneille, Racine, Despreaux, la Fontaine, &c. À l’occasion de Corneille, il ménagea un fort bel Eloge du Cardinal de Richelieu, sans pourtant dissimuler que ce Ministre avoit esté jaloux de la gloire du Poëte. Cet endroit demandoit beaucoup d’art, & il fut traité d’une maniere qui plût infiniment.

L’Orateur passa ensuite à l’utilité de la Poësie, & aprés avoir montré que Platon ne l’avoit bannie de sa Republique qu’à cause des desordres qui regnoient dans les Ouvrages Poëtiques de ce temps-là, il declara que luy qui suivoit la Loy de Jesus-Christ, n’avoit pas sur ce sujet des sentimens plus relâchez que ce Philosophe. À Dieu ne plaise que je sois, dit-il, le Panegiriste de la corruption & de l’impureté ; je ne presente pas à la Jeunesse que j’instruits une Coupe empoisonnée, l’Eloge que je fais n’est qu’en faveur de cette Poësie pure & chaste, dont le but est de porter les hommes à la vertu ; mais aussi c’est cette Poësie qui est au-dessus de tous les Eloges ; c’est elle qui remuë & amollit les Rochers, c’est elle qui arreste le cours rapide des Fleuves, qui fait descendre les Ormes du sommet des Montagnes, & qui apprivoise les bêtes les plus sauvages.

Aprés plusieurs raisons qui prouvent l’utilité de cette Poësie, l’Orateur finit par l’exemple du Prophete Royal, & ce fut au sentiment des Auditeurs l’endroit le plus éclatant de cette belle Piece. Mr Grenan enchaîna une douzaine des passages les plus sublimes de ce Psalmiste, dans lesquels ce saint Roy tonne, effraye, menace, console ; & c’est dans ces Ouvrages pleins d’onction & de feu que l’on trouve les plus belles semences de vertu, avec toute la vehemence & la delicatesse de la Poësie.

Dans sa Peroraison il adressa la parole aux Jeunes gens qui l’écoutoient ; il les exhorta à l’étude de la Poësie ; mais il les avertit qu’ils ne devoient s’en servir que pour inspirer aux hommes des sentimens vertueux, & pour chanter les loüanges de Dieu.

Il n’est pas surprenant que Mr Grenan ayant donné au public plusieurs Pieces de Poësie qui ont esté fort bien reçûës, ait fait un Discours sur cet Art qui luy ait attiré des applaudissemens universels.

Vous devez juger par ce que je viens de vous raporter, que ce Discours doit faire beaucoup d’honneur à la Poësie ; qu’il seroit difficile d’en faire un Eloge plus beau & plus juste, & en mesme temps plus capable de faire changer de sentiment à ceux qui s’en sont formé des idées moins avantageuses, pour ne pas dire davantage.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 323-325.

Rien n’estant plus agreable que la varieté, & estant fort à souhaiter dans mes Lettres, je passe à des Articles bien diferens de celuy que vous venez de lire.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Puisque l’hyver, doit regarder la page 324.
Puisque l’hyver a fait poser les Armes,
Banissons le chagrin
La crainte & les alarmes :
Bûvons qu’on nous verse du vin,
N’avons-nous pas assez versé de larmes ?
Versez Laquais versez,
Quand on a passé la Campagne
Sans goûter le vin de Champagne,
L’on n’en peut jamais boire assez.
Versez versez tout plein
Puisque l’hyver a fait poser les Armes,
Banissons le chagrin
La crainte & les alarmes :
Bûvons, qu’on nous verse du vin,
N’avons-nous pas assez versé de larmes ?
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Enigme §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 325-329.

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit la Cloche. Ceux qui l’ont trouvé sont, le Pere Agatange des grands Augustins ; Mrs le Curé de Baigneux ; Courant ; P. Morel ; H. Taillon ; Hanot, Officier du Roy Nogent ; Joulaud ; Blaret ; de Blainville ; de la Bottiere ; la Durandie ; de Clignac ; Guillot ; Justinart ; le Pin, Gueret ; Feuilletin ; François Berthier ; le Solitaire du Marais ; Engrave, Nouvelliste de la D… un des 4. Freres Mineurs, du Quartier du Louvre ; le grand Agioteur de Nantes ; le Chercheur d’aventures, de la ruë du Cimetiere S. Nicolas des Champs ; l’Abbé, G… le Berger Tircis de la Bergere Climene ; & le grand Chantre & sa Linote, du Quartier Saint Jacques. Mlles Roger, ruë de la Harpe, & sa Sœur, ruë Pavée, Quartier S. Denis ; Morin, de la ruë des Mauvaises Paroles ; Chanterane, du Fauxbourg Saint Germain ; la Charmante Blonde d’Amonville, de la Porte Saint Marcel ; la Sœur des quatre Freres Mineurs, du Quartier du Louvre ; Marie, Cousine du Chercheur d’aventures ; la Solitaire de la ruë aux Féves ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la Bergere Climene ; la Beauté indigente ; la fine Matoise ; & la Belle Chanteuse, du Quartier du Marais.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Je tire de loin ma naissance.
Il n’est usage icy plus commun que le mien :
Je porte toûjours mon lien,
Et chacun connoît ma puissance,
Je sers au Temple du Seigneur,
À la pompe des funerailles ;
Au triomphe d’un Roy vainqueur,
Qui vient de gagner des Batailles.
Ma matiere est d’assez grand prix :
Bien que pour moy on n’ait point de mépris,
Un seul jour de l’année on suspend mon usage ;
Les suivans on me fait travailler d’avantage.
J’habite un lieu fort élevé.
L’hyver & l’esté je suis nuë ;
Et sans avoir jamais peché,
Mon sort veut que je sois penduë.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1709 [tome 12], p. 329-330.

La Chanson qui suit est de Saison.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par, Recevez mon cœur, doit regarder la page 329.
Recevez mon Cœur pour Etrennes,
Adorable objet de mes feux
Et pour me donner les miennes
Repondez à mes vœux,
Et l’Amour fera deux heureux.
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